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M. le président. - Je vous propose de joindre ces questions orales. (Assentiment)
M. Philippe Mahoux (PS). - Une réunion plénière du Conseil pour le commerce des services de l'Organisation mondiale du commerce s'est tenue à Genève les 5 et 6 octobre derniers. Il apparaît que des secteurs comme la santé et l'éducation sont inclus dans les négociations actuelles sur le commerce des services.
On ne peut pas dire que ces négociations se déroulent dans la transparence. C'est d'autant plus inquiétant que, selon certaines informations, les négociations en cours concernent des secteurs qui relèvent fondamentalement du service public. Il s'agit d'un problème politique fondamental. Ces secteurs, relevant donc clairement du secteur public, ne peuvent en aucun cas être considérées comme relevant du secteur commercial. C'est un problème éthique.
D'ailleurs, l'accord général sur le commerce des services exclut les services publics de son champ d'application. On connaît évidemment les différentes thèses en présence, que ce soient celles des Etats-Unis ou celles de l'Europe.
Le gouvernement s'était engagé à informer le parlement sur l'évolution des négociations concernant le commerce des services. Je souhaiterais, monsieur le vice-premier ministre, que vous informiez le parlement sur les positions de la Belgique et de l'Union européenne en la matière. Je sais que c'est l'Union européenne qui négocie. Il s'agit de problèmes qui intéressent au premier chef notre parlement. Par ailleurs, quel est le futur calendrier des négociations ?
Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je partage les préoccupations de M. Mahoux. Toute le monde se souvient des images diffusées voici près d'un an, filmées à l'occasion de la dernière conférence de l'OMC à Seattle. Nous avons pu constater à quel point les mouvements sociaux planétaires contestaient le modèle de développement promu par l'OMC qui fait du libre-échange le seul élément permettant de juger si une marchandise peut circuler sur toute la planète.
Suite à l'accord de Marrakech, nous allons entrer dans un nouveau round de négociations qui concerne, cette fois-ci, les services. L'accord prévoit bien que les services publics, pour lesquels la concurrence entre fournisseurs n'existe pas, sont exclus de la négociation. Mais, comme l'a dit mon collègue, la santé et l'éducation sont néanmoins considérées comme des services pour lesquels des fournisseurs entrent en concurrence. Ils peuvent, dès lors, faire l'objet de négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Or, on connaît le peu de cas que celle-ci fait des questions d'équité sociale ou d'environnement.
Depuis un an, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont souligné que les politiques des grandes institutions internationales avaient créé des problèmes, notamment dans les pays en voie de développement.
Ma question porte donc sur la suite de ces discussions, sachant que l'Union européenne a défendu la possibilité d'inclure tous les niveaux d'éducation et tous les secteurs de la santé, notamment le secteur hospitalier et celui de l'assurance-maladie, dans le cadre des négociations. Quelle est l'attitude du gouvernement belge au sujet de ces négociations et la position de l'Union ? Par la suite, comment pourrons-nous organiser un débat parlementaire, bénéficier d'une certaine transparence et disposer d'une possibilité de réaction afin de limiter la capacité de l'OMC à légiférer dans des secteurs essentiels au niveau de la cohérence sociale ? Enfin, je remercie le vice-premier ministre qui a consenti un effort particulier pour être présent cet après-midi.
M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Je remercie les honorables membres de leurs questions. Je répondrai aux différents points dans l'ordre suivant : le lien entre le Round global et les négociations services, le calendrier, la participation de l'Union européenne, les positions belges et la substance, c'est-à-dire les secteurs de la santé et de l'éducation dans l'OMC.
La Conférence ministérielle OMC de Seattle a marqué l'échec du lancement d'un nouveau round mais a laissé intacte l'obligation d'entamer les négociations prévues par l'Acte final de l'Uruguay Round en matière d'agriculture et de services, le built-in agenda. Celles-ci ont commencé au début de l'année 2000. Dans l'opinion de l'Union européenne, il est cependant clair que des résultats dans ces deux matières ne pourront être atteints que si ces deux négociations sont incluses à terme dans un paquet global de concessions résultant d'un nouveau Round et permettant à chaque membre de l'OMC de trouver son compte.
En ce qui concerne le calendrier, le Conseil Services est l'organe de l'OMC chargé de la gestion de l'Accord général du commerce de services conclu en 1994 au cours de l'Uruguay Round. Il est aussi, quand il se réunit en session spéciale, le forum de négociations dans le cadre du built-in agenda. Il n'a jusqu'ici procédé qu'à des activités préparatoires, examinant secteur par secteur la situation en matière d'échanges de services et encourageant les membres à identifier leurs intérêts et leurs besoins. Le calendrier des travaux pour l'année 2001 n'est pas encore arrêté mais le CTS a l'intention de procéder à une évaluation d'ensemble en mars 2001. A ce moment, la nouvelle Administration américaine aura été constituée, ce qui devrait permettre d'organiser le déroulement des travaux futurs. Je dois préciser qu'il n'y a aucune date limite prévue pour les négociations et donc pas d'obligation de résultat. C'est ce qui accrédite la thèse européenne qu'un succès n'est possible que dans le cadre d'un round global de négociations où toutes les parties trouveront la contrepartie d'éventuelles concessions.
Quant à la participation de l'Union européenne dans l'AGCS, le domaine des services relève encore en partie des compétences nationales mais les Etats membres se sont accordés, dans l'intérêt de peser du poids le plus important possible, à confier à la Commission européenne la mission d'ensemble de négocier à l'OMC à Genève. Bien entendu, la Commission est toujours liée par le mandat que lui a donné le Conseil le 25 octobre 1999 en vue de la Conférence ministérielle de Seattle. De plus, les États membres sont associés étroitement aux travaux actuels par le biais du Comité 133 Services qui se réunit deux fois par mois à Bruxelles et dans lequel la Belgique est représentée par mes services. On y travaille par exemple à des requêtes de mesures de libéralisation, lesquelles pourraient être adressées aux autres membres de l'OMC pour les secteurs présentant un intérêt pour les exportations de services européennes, y compris bien sûr belges.
Il est évident que les positions de la Belgique dans ce contexte sont étroitement coordonnées avec les ministères techniques. Un dialogue permanent existe avec les représentants du secteur privé ainsi qu'avec les nombreuses organisations non-gouvernementales qui ont manifesté un intérêt particulier pour ces négociations. Nous-mêmes sommes venus expliquer au parlement, avant et après Seattle, les enjeux de la Conférence ministérielle et les manoeuvres auxquelles il fallait s'attendre à la suite de son échec. Je reste évidemment disposé, comme nous l'avions proposé, à venir exposer l'état actuel des pourparlers à Genève chaque fois que le souhait en est exprimé, voire d'initiative. Je dois en effet parler de « pourparlers » car tant dans le domaine de l'agriculture que des services, il est difficile à l'heure actuelle de parler de « négociations ». L'allégation de l'honorable membre selon laquelle les négociations ne se déroulent pas dans la transparence manquent quand même à mon avis un peu de fondement.
En ce qui concerne la substance, je dois rappeler que les règles de l'AGCS ont la vocation à s'appliquer à tous les services. La seule exception concerne ce qui touche à l'exercice de l'autorité publique, ce que l'AGCS appelle « les services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental », c'est-à-dire les services qui ne sont fournis ni sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services.
Est-ce à dire que l'AGCS s'applique aux secteurs santé et éducation et que ceux-ci sont l'objet actuellement d'un effort de libéralisation ? Je puis pleinement rassurer l'honorable membre. Je suis personnellement, comme le gouvernement dans son ensemble, parfaitement attaché à préserver les systèmes d'éducation et de soins de santé que notre pays a laborieusement mis en place au fil des années. Il ne peut être question d'affaiblir le droit de chacun à une instruction gratuite ou à l'accès aux soins médicaux au nom d'un quelconque principe supérieur de la liberté de commercer.
Ce qu'il convient de souligner, c'est que notre pays a réalisé le service universel en matière d'éducation et de santé non pas en créant un monopole public, mais en organisant la liberté d'enseigner et la libre prestation de soins parallèlement à un soutien égalitaire de la part de l'autorité publique. Le système est accessible à tous grâce au soutien public. Ce qu'il convient également de souligner, c'est que, déjà aujourd'hui, il existe dans notre pays de l'éducation et de la formation professionnelle à prix coûtant ainsi que des formules de médecine privée. Elles ne sont pas antinomiques du service universel instauré par les pouvoirs publics mais, au contraire, sont reconnues comme des compléments utiles et souhaitables.
Pour être tout à fait clair, c'est de la faculté de subsidier l'enseignement et les soins de santé selon des règles qu'ils déterminent librement que dépend la capacité des pouvoirs publics belges à préserver l'accès de tous. De façon générale, la subsidiation n'est pas réglementée dans l'AGCS et il est évident qu'en ce qui nous concerne, la subsidiation des secteurs en question n'est pas actuellement sur la table. Je suis persuadé qu'il en va de même pour les autres États membres de l'Union européenne et pour la grande majorité des pays membres de l'OMC. Vous me voyez en tout cas déterminé à ce que cela ne change pas.
Je puis enfin vous informer que, dans le cadre de l'Uruguay Round, l'Union européenne a pris des engagements dans les secteurs des professions médicales, vétérinaires, paramédicales, pharmaceutiques, ainsi que dans les secteurs des services d'éducation primaire, secondaire, supérieure et des adultes. Le secteur des services hospitaliers est également inscrit sur les listes. Ces engagements sont, de surcroît, soumis à une réserve horizontale selon laquelle ces engagements n'excluent pas la possibilité de subsidier des institutions publiques. Je fournirai à l'honorable membre un tableau plus précis des engagements dans les domaines d'éducation et de santé acceptés par l'Union européenne dans l'Uruguay Round.
Je ne manquerai pas de maintenir le parlement au courant des négociations.
M. Philippe Mahoux (PS). - Je remercie le ministre de sa réponse. Quant à la position du gouvernement belge, je dirai que la première partie me rassure. Cependant, l'aspect mixte des secteurs de l'éducation et de la santé mérite une discussion car se pose le problème de l'importance relative que l'on accorde à la part publique ou à la part privée. Vous reconnaîtrez que la position des États-Unis et de certains pays européens ne correspond pas parfaitement à celle que vous venez d'énoncer. Je pense donc que nous devons rester vigilants.
En ce qui concerne les remarques sur la transparence, vous savez qu'elles ne s'adressaient pas au gouvernement. En réalité, comme parlementaire et comme citoyen, je suis échaudé par l'absence de publicité qui est faite à un moment ou à un autre sur tout ce qui régit le commerce mondial. Cela a commencé avec l'accord multilatéral sur les investissements au château de La Muette dont j'ai dit à l'époque qu'il portait bien son nom. Nous n'avons en effet appris l'existence de ces négociations que par quelques informations parues sur Internet. Certains parlements se sont ensuite mobilisés, ce qui a provoqué la fin de l'AMI. Je ne voudrais pas que nous ne soyons pas informés en temps et heure au sujet de négociations tout aussi fondamentales, surtout étant donné le rapport de force qui existe entre les systèmes américain et européen. Je suis convaincu que vous nous avertirez et que vous reviendrez chaque fois que nécessaire. Je prends bonne note en tout cas de ce que vous procéderiez par initiative. Nous ne manquerons pas, quant à nous, de vous poser les questions dans les commissions ou en séance plénière.
Mme Marie Nagy (ECOLO). - La position défendue par le gouvernement me paraît correcte sur le fond. Le problème vient à la fois de l'approche de l'Union et de l'Organisation mondiale du commerce elle-même. En effet, après Seattle, le fonctionnement et les règles d'évaluation de l'action menée par l'OMC avaient fait l'objet de critiques négatives. Un problème dans l'organisation de la conférence avait été mis en évidence. Alors que l'on espérait que les règles de son fonctionnement soient mises sur la table, on constate que les nouvelles discussions sur les services reprennent, comme si de rien n'était, comme s'il n'y avait pas eu de remise en question de l'Organisation. C'est relativement inquiétant.
Il conviendrait peut-être, monsieur le ministre, d'être aussi attentif à cette problématique et de se demander si le fonctionnement de l'OMC ne doit pas être revu - légèrement ou en profondeur selon les avis - pour arriver à des accords qui soient équitables et qui respectent les options de développement économique et social qui sont celles de l'Europe et non celles des États-Unis en particulier.
M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Je partage totalement le point de vue des intervenants mais je ne pense pas qu'un débat doive être entamé en ce moment à ce sujet.
Lorsque Mme Nagy évoque l'idée d'une réorganisation de l'OMC, je suis tout à fait d'accord avec elle. Il faudra simplement attendre que l'Europe ait acquis un poids suffisant pour peser davantage dans ce genre de négociations et ce rapport de forces. Ce problème d'une certaine forme de manque d'Europe politique, on le retrouve dans d'autres domaines et d'autres dossiers, et il apparaît aussi dans d'autres organisations. Il faut donc continuer à affirmer nos positions. Je reconnais que pour le moment, celles-ci sont beaucoup plus incantatoires que concrètes. Il convient cependant de rester vigilants et de poursuivre ensemble notre action.