2-497/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

27 JUIN 2000


Proposition de loi relative à la création du Comité supérieur des sports (1)

(Déposée par M. Philippe Monfils)


DÉVELOPPEMENTS


Sport et justice (au sens de « organisation judiciaire ») seraient-ils antinomiques ?

Il est regrettable d'avoir même à se poser la question tant la réponse devrait, à l'évidence, être catégoriquement négative. Or, dans la pratique et la réalité quotidienne des faits, force est de constater que le monde du sport et le monde judiciaire, confrontés à un conflit d'ordre sportif, réagissent bien souvent avec des logiques qui, sans être nécessairement contradictoires, n'en suivent pas moins des voies trop parallèles pour pouvoir opérer l'indispensable conciliation entre le strict respect du droit garanti par une équitable procédure judiciaire, d'une part, et la prise en compte des incontestables spécificités du sport, d'autre part.

En fait, quelle est la situation actuelle ?

On constate d'abord que l'activité sportive, même lorsqu'elle conserve l'étiquette ­ réelle ou seulement apparente ­ d'amateurisme, se meut dans un environnement de plus en plus teinté de couleurs économico-financières : sponsors divers, multiplication des épreuves aux calendriers nationaux et internationaux, retransmission télévisée de nombre d'épreuves dans des disciplines variées ont introduit dans le sport un afflux sans cesse croissant d'argent. Les sportifs, leurs clubs et leurs fédérations sont, sur ce plan financier, de plus en plus concernés et sollicités.

Il s'ensuit que les occasions de litige sont de plus en plus fréquentes dans la mesure où chaque décision prise ­ par un individu ou par un organisme ­ est de plus en plus susceptible d'avoir, de manière directe ou indirecte, des répercussions financières.

Face à cette situation, les fédérations sportives s'efforcent de maintenir ce qu'elles ont longtemps considéré comme devant être et demeurer leur monopole « de juridiction » : un litige né au sein d'une fédération droit trouver sa solution « juridictionnelle » au sein de cette fédération. Or, en raison de l'évolution ci-dessus rappelée, tous ­ et particulièrement les pratiquants du sport ­ ne l'entendent plus de cette oreille et tentent de plus en plus fréquemment, après échec de leurs recours purement sportif, de faire valoir leur point de vue devant les juridictions de l'ordre judiciaire.

Il ne s'agit évidemment pas d'empêcher qui que ce soit de faire valoir ses droits devant les organes du pouvoir judiciaire s'il s'estime lésé.

Cependant, deux dangers apparaissent immédiatement : en premier lieu, il n'est pas souhaitable de submerger les tribunaux ordinaires avec tous les litiges possibles en matière de sport : un tri s'impose inévitablement, qui devrait permettre d'opérer une sélection entre les litiges mettant en cause des revendications exclusivement sportives et ceux portant sur des droits civils au sens de la Constitution.

Ensuite, il faut bien admettre que les magistrats de l'ordre judiciaire semblent actuellement bien mal « équipés » pour aborder la connaissance d'un litige à caractère sportif sans perdre de vue ni les spécificités réelles de cette activité humaine, ni l'étendue exacte des répercussions éventuelles de leurs décisions judiciaires qui nécessitent une parfaite connaissance des structures du secteur sportif concerné.

Faut-il pour autant abandonner définitivement le règlement des litiges nés au sein du monde sportif, à la seule « lumière » des « juges » des clubs et fédérations sportives ?

Nous ne le pensons pas, car les procédures qui s'y déroulent n'offrent pas toujours ­ et ceci parfois simplement par manque de moyens matériels ­ une garantie absolue quant à l'équité de la procédure menée, notamment au niveau des droits de la défense, et quant à la stricte orthodoxie juridique de la décision prise.

Mais alors, quelle(s) solution(s) préconiser ?

Deux voies pourraient être explorées.

On pourrait d'abord penser à la création d'un véritable tribunal des sports, mais les obstacles à cette solution sont nombreux. La création d'un tribunal administratif en matière sportive apparaît impossible dans la mesure où les fédérations sportives sont, dans notre pays, des personnes de droit privé et que seuls des droits civils seraient en cause. Sauf à modifier les articles 144 et suivants de la Constitution (et autoriser ainsi un tribunal d'exception), la seule solution envisageable serait alors de créer une nouvelle section au sein du tribunal de première instance, qui serait compétente dans toutes les matières ayant trait au sport, aux sportifs et aux fédérations sportives; composé sur le schéma du tribunal de commerce ou du tribunal du travail, il serait composé d'un magistrat de carrière, secondé par deux assesseurs issus du monde sportif.

On voit aussitôt le coût qu'engendrerait la création de semblable tribunal et de son indispensable accompagnement administratif (création de greffes spécialisés).

En outre, une objection de principe fondamentale s'oppose à semblable création. C'est qu'il faut tenir compte de la loi du 24 février 1978 relative au contrat de travail du sportif rémunéré. D'une part, il n'est pas envisageable de distraire le sportif rémunéré de son juge naturel, qui est le juge du tribunal de travail, pour la connaissance de litiges résultant nécessairement ­ directement ou indirectement ­ du contrat de travail. D'autre part, il n'est pas non plus envisageable d'attraire devant le juge du travail des sportifs non rémunérés, c'est-à-dire non liés à leur club par un contrat de travail, et pour lesquels le juge naturel est le juge civil de première instance. La conséquence est qu'il faudrait maintenir alors deux systèmes juridictionnels distincts, ayant pourtant à connaître parfois des mêmes questions de principe.

Une autre piste s'ouvrait encore : celle de l'arbitrage. C'est en ce sens qu'a oeuvré le Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB) en proposant la création, en septembre 1991, d'une « Commission Belge d'Arbitrage pour le Sport » (CBAS) s'adressant aux associations sportives belges ou organisées au niveau d'une Communauté, à leurs clubs et affiliés, dans le but de faciliter la solution de litiges par voie d'une sentence arbitrale portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition.

C'est également dans ce sens que le COIB interpellait le monde politique dans la Charte Olympique pour le Sport, présentée en janvier 1995. Celle-ci suggérait notamment de « donner en accord avec le monde judiciaire belge une place réelle à la Commission d'arbitrage pour le sport du COIB. »

La mise en oeuvre du système d'arbitrage s'avère difficile, d'une part parce que les fédérations hésitent à inclure dans leur règlement le recours automatique à l'arbitrage de la Commission Belge d'Arbitrage pour le Sport et d'autre part parce que la jurisprudence ne semble pas admettre l'arbitrage imposé avant litige, ainsi que cela a d'ailleurs été rappelé en mars 1994 lors du premier colloque juridique organisé par l'Association Belge des Juristes du Sport (ABJS) (2).

La présente proposition de loi a choisi d'explorer une troisième piste. Elle crée un Comité supérieur des sports chargé de donner un avis dans tous les litiges mettant en cause, entre-eux, les pratiquants, les clubs sportifs et les fédérations.

Les caractéristiques du Comité supérieur des sports sont les suivantes :

a) la procédure proposée se déroule, de manière générale, sous l'autorité morale du COIB qui apparaît, par ses structures de regroupement de quasiment toutes les fédérations ou associations sportives reconnues officiellement, comme le gardien et le garant le plus indiqué de la conception la plus acceptable des notions de « mentalité et moralité sportive ».

Le siège est fixé au COIB qui, par ailleurs, désigne des membres au Comité;

b) la procédure ne concerne que le sportif non rémunéré puisque la loi du 24 février 1978 relative aux contrats de travail du sportif rémunéré assigne déjà à celui-ci son juge naturel ­ le tribunal du travail ­ pour le règlement des litiges mettant en cause ses droits civils;

c) la procédure organisée est une procédure d'avis. Les décisions ne sont pas coercitives ou exécutoires mais le passage par le Comité est obligatoire puisque l'intentement d'une action devant une juridiction de l'ordre judiciaire ne peut intervenir qu'après que le Comité ait été saisi pour avis;

d) le Comité supérieur des sports est subdivisé en chambres linguistiques présidées chacune par un magistrat de carrière, dont la présence est garante du respect de la procédure et de l'orthodoxie juridique. Ce magistrat sera entouré de deux assesseurs issus du COIB, chacune des parties en cause pouvant en outre désigner un assesseur supplémentaire; cette possibilité offerte permettra éventuellement à la fédération sportive concernée de mieux informer le Comité sur ses usages et pratiques spécifiques;

e) le Comité supérieur des sports ne peut être saisi qu'après épuisement de tous les recours internes propres au secteur sportif concerné.

Mais dans l'avis ultérieur qu'il sera éventuellement amené à formuler, le Comité pourra donner un éclairage nouveau au litige en cause dans la mesure où ce Comité, qui comprend nécessairement des représentants du COIB étrangers au secteur sportif concerné, devrait avoir ­ de par cette composition ­ suffisamment d'indépendance et d'autorité morale pour dégager ­ cas après cas ­ une jurisprudence mettant en évidence ce qu'il faut considérer comme les comportements normaux du sport en général et comme les principes essentiels et intangibles de toute activité sportive. En ce sens, il devrait être finalement, pour le juge civil éventuellement saisi ultérieurement du litige, le plus adéquat des experts lui permettant de saisir les divers aspects ­ autres, cela va de soi, que purement juridiques ­ d'un litige sportif.


La proposition décrit de manière précise la procédure à suivre afin d'assurer un strict respect des droits de la défense.

Si le litige devait ensuite se poursuivre devant les juridictions ordinaires, l'avis du Comité serait un élément-clé du dossier des parties, le tribunal conservant en outre la possibilité de demander au Comité toute explication ou précision complémentaire, confirmant ainsi celui-ci dans sa mission d'expert du sport au service des tribunaux civils.

Par ailleurs, et quoique ce ne soit pas son rôle premier, la proposition permet au Comité supérieur des sports de jouer un véritable rôle d'arbitre, au sens des articles 1676 et suivants du Code judiciaire, à la demande expresse des parties et après la naissance du litige qui les oppose.

En conclusion, nous pensons que le Comité supérieur des sports peut être un utile trait d'union entre le monde sportif et le monde judiciaire. Il devrait permettre à celui-ci de mieux percevoir les spécificités de celui-là tout en évitant, par sa fonction inévitable de sélection qu'il opérera au fur et à mesure de l'élaboration de sa jurisprudence, que les tribunaux civils ne soient abusivement envahis de litiges incongrus.

C'est dans cette optique qu'il est d'ailleurs prévu que, annuellement, le Comité publie un recueil regroupant l'ensemble des avis qu'il a rendus au cours de l'année écoulée.

Philippe MONFILS.

PROPOSITION DE LOI


CHAPITRE Ier

Dispositions générales

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

La présente loi ne s'applique pas aux sportifs rémunérés, au sens de l'article 2 de la loi du 24 février 1978 relative au contrat de travail du sportif rémunéré.

CHAPITRE II

Composition et attribution du Comité supérieur des sports

Art. 3

Il est créé un Comité supérieur des sports, ci-après dénommé « le Comité », chargé de donner un avis dans tous les litiges dont il est question à l'article suivant. Ce Comité a son siège au Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB).

Le Comité comprend une chambre francophone, une chambre germanophone et une chambre néerlandophone.

Art. 4

Tous les litiges mettant en cause :

­ un pratiquant d'une discipline sportive et un club sportif,

­ un pratiquant d'une discipline sportive et une fédération reconnue officiellement,

­ un club sportif et une fédération reconnue officiellement,

­ deux fédérations reconnues officiellement,

et portant sur des droits civils au sens de l'article 144 de la Constitution, hormis les faits de nature pénale, doivent être soumis, pour avis, au Comité, préalablement à tout recours judiciaire autre que le référé.

Le Comité ne peut être saisi qu'après épuisement des recours internes prévus par les règlements des fédérations dont il est question à l'alinéa précédent.

Art. 5

Chaque chambre est présidée par un magistrat, ou par un magistrat émérite. Celui-ci est nommé par le Roi, sur proposition du ministre qui a la justice dans ses compétences, pour un mandat de trois ans, renouvelable.

En outre, chaque chambre se compose de deux membres désignés par le conseil d'administration du COIB et de deux membres désignés chacun par l'une des parties. Toutefois, ces derniers devront recevoir l'agrément du président du Comité.

Chaque chambre comprend aussi un nombre égal de membres suppléants désignés de la même manière.

Art. 6

Avant d'entrer en fonction, chaque membre effectif et suppléant souscrit une déclaration solennelle et individuelle dans les termes ci-après : « Je déclare solennellement en tout honneur et en toute conscience, que je remplirai bien et fidèlement mes fonctions et que j'agirai en toute objectivité et en toute indépendance. »

La déclaration est faite par écrit et signée par l'intéressé.

Art. 7

Nul ne peut siéger comme membre s'il est concerné directement ou indirectement par le litige.

CHAPITRE III

Procédure

Art. 8

§ 1er. Les demandes d'avis doivent être introduites avant que le délai de prescription de l'action civile ne soit écoulé.

§ 2. La langue de la procédure est celle dans laquelle le différend a été traité dans les instances précédentes. À défaut d'intervention d'une instance antérieure, la demande est introduite dans la langue choisie par le demandeur, sous réserve de la possibilité pour la partie adverse de demander un changement de langue.

Art. 9

Le requérant joint à sa demande un mémoire en double exemplaire, exposant avec précision les éléments du différend et les moyens invoqués à l'appui de la demande.

Le Comité transmet sans délai une copie de la demande et du mémoire à la partie adverse. Celle-ci dispose de 15 jours ouvrables pour transmettre au Comité le dossier complet du différend et son mémoire en réponse, en double exemplaire.

Le délai visé à l'alinéa précédent peut être prolongé de quinze jours ouvrables par le président du Comité, si les circonstances l'exigent.

Art. 10

Le président nomme parmi les membres désignés par le COIB, un membre rapporteur qui, s'il échet, provoque les explications des parties et procède à toutes les vérifications nécessaires.

Art. 11

S'il le juge utile, le président peut, sur proposition du membre rapporteur, désigner un expert chargé de donner un avis sur le problème soumis à son examen.

Art. 12

Dès la clôture de l'instruction faite par le membre rapporteur, le président fixe le jour où l'affaire sera appelée et en avise les parties par lettre recommandée à la poste, au moins huit jours ouvrables à l'avance.

Si l'une des parties ne se présente pas, les deux parties sont reconvoquées dans les quinze jours ouvrables, par lettre recommandée à la poste. À défaut pour l'une d'elles de se présenter, le Comité peut statuer sur base des mémoires et du rapport d'instruction, à moins que la partie adverse ne demande le report de l'affaire.

Art. 13

Chaque partie a le droit de se faire représenter soit par un avocat, soit par un mandataire justifiant d'une procuration spéciale et écrite.

Après avoir entendu le membre rapporteur et entendu les parties, ou leur conseil, et leurs explications orales, le Comité émet après délibération, un avis motivé.

Art. 14

Dans les quinze jours ouvrables suivant l'audition prévue à l'article précédent, le président transmet l'avis aux parties, par lettre recommandée à la poste. Il les informe, le cas échéant, des opinions dissidentes.

Art. 15

Chaque année, le Comité publie un recueil regroupant l'ensemble des avis qu'il a rendus au cours de l'année écoulée.

CHAPITRE IV

Dispositions diverses

Art. 16

Il peut toujours être fait appel au Comité afin de régler un litige suivant les règles propres à l'arbitrage, contenues dans les articles 1676 et suivants du Code judiciaire.

Art. 17

Les cours et tribunaux peuvent solliciter du Comité toute explication complémentaire concernant l'avis qu'il a rendu.

Art. 18

Dans le titre XX du Code civil, est inséré un article 2259bis rédigé comme suit :

« Art. 2259bis. ­ Une demande d'avis introduite devant le Comité supérieur des sports, conformément à la loi relative à la création du Comité supérieur des sports, suspend le délai de prescription de l'action civile pour le litige en cause. »

Philippe MONFILS.

(1) La présente proposition de loi a déjà été déposée au Sénat le 6 octobre 1995, sous le numéro 1-119/1.

(2) Voir notamment Gand, 22.3.1988, RW 89-90, p. 151; Bruxelles, 4.10.1993, Journal des Procès 1993, p. 25.