2-483/1

2-483/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

21 JUIN 2000


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité

(Déclaration du pouvoir législatif,
voir le « Moniteur belge » n º 74
du 12 avril 1995)


PROPOSITION DE MME de BETHUNE ET CONSORTS


DÉVELOPPEMENTS


1. SITUATION ET FINALITÉ DE LA PROPOSITION

La présente proposition vise à insérer dans la Constitution un article 10bis nouveau visant à garantir le droit à l'égalité des femmes et des hommes dans tous les domaines de la société, y compris pour ce qui est de la participation au processus décisionnel social et politique.

Le titre II de la Constitution a été déclaré soumis à révision en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des hommes et des femmes à l'égalité (voir la proposition de déclaration de révision de l'article 10 de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles relatives aux droits des femmes et des hommes à l'égalité, déposée par Mmes Sabine de Bethune, Anne-Marie Lizin, Jeannine Leduc, Francy Van der Wildt, Michèle Bribosia-Picard, Martine Dardenne, Vera Dua, Bea Cantillon, Erika Thijs, doc. Sénat, nº 1-584/1, 1996-1997, et le projet de déclaration de révision de la Constitution, doc. Sénat, nº 1-1374/3, 1998-1999.

Il n'y a pas lieu d'interpréter de manière limitative la portée de la déclaration de révision relative à l'insertion dans la Constitution de dispositions nouvelles relatives aux droits des femmes et des hommes à l'égalité. Cette déclaration n'exclut en rien que soit aussi consacré, dans le cadre de la révision de la Constitution, le droit à l'égalité de participation des hommes et des femmes au processus de décision politique (cf. aussi doc. Chambre, nº 2150/3, 1998-1999, p. 18, où le premier ministre déclare que la disposition du projet du gouvernement qui tend a insérer un nouvel article relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité n'exclut pas que l'on puisse garantir la démocratie paritaire dans le processus de décision politique).

L'idée selon laquelle le droit des femmes et des hommes à l'égalité doit absolument être réalisée pour que l'on puisse parler d'une démocratie à part entière bénéficie d'un large soutien.

Pour le CVP, il est prioritaire que ce droit des femmes et des hommes à l'égalité soit ancré dans la Constitution et que la démocratie paritaire prenne forme concrètement dans celle-ci. Il s'agit d'un objectif important auquel le groupe de travail du CVP Vrouw en Maatschappij (Femme et société) oeuvre depuis des années.

Dans son plan d'action pour les élections législatives de 1999, il a plaidé pour l'inscription du droit des femmes et des hommes à l'égalité dans la Constitution et pour l'égalité de représentation des femmes et des hommes au Parlement, au sein du gouvernement et aux niveaux provincial et communal ainsi que dans tous les autres secteurs de la société. Vrouw en Maatschappij a demandé à cet égard que l'on inscrive expressément la question des femmes dans le processus décisionnel dans les deux accords de gouvernement de 1999 et que le prochain gouvernement fédéral et le prochain gouvernement flamand mènent en cette matière une politique globale intégrée (« De toekomst is vrouwelijk », actieplan CVP-werkgroep Vrouw en Maatschappij wetgevende verkiezingen 1999, p. 127-130).

En ce qui concerne plus particulièrement la démocratie paritaire, le groupe CVP a déjà déposé plusieurs propositions au cours de la présente législature. Nous renvoyons à cet égard à la proposition de déclaration de révision des articles 99 et 104 de la Constitution en vue d'assurer la parité entre les femmes et les hommes au sein du gouvernement (voir doc. Sénat, nº 2-250/1, 1999-2000), et les propositions de loi visant à rendre légalement obligatoire l'alternance sur les listes de candidats (voir doc. Sénat, nºs 2-230/1 et 231/1, 1999-2000).

Dans la foulée, nous plaidons, dans notre proposition, pour une politique globale tenant compte des principales lignes directrices qui se seront dégagées du débat.

Nous demandons concrètement dans notre proposition la reconnaissance constitutionnelle :

1) du droit des femmes et des hommes à l'égalité;

2) de mesures visant à réaliser cette égalité;

3) du principe de l'égalité de représentation des femmes et des hommes au niveau politique.

Il convient d'ajouter que le Conseil des ministres fédéral a approuvé à cet égard, le 28 avril 2000, une proposition de révision de la Constitution « qui vise à affirmer le droit des femmes et des hommes à l'égalité et à le garantir, en assurant le fondement des législations destinées à réaliser cette égalité de droit en égalité de fait ». C'est ainsi qu'outre la confirmation du droit des femmes et des hommes à l'égalité, la nouvelle disposition prévoit que la loi, le décret et l'ordonnance devront favoriser l'égal exercice de leurs droits et, notamment, leur égal accès aux mandats électifs et publics. Le projet prévoit en outre qu'il doit y avoir au moins un représentant de chaque sexe au sein des divers organes exécutifs.

2. LE DROIT CONSTITUTIONNEL DES FEMMES ET DES HOMMES À L'ÉGALITÉ

Jusqu'à ce jour, le principe constitutionnel d'égalité n'a pas permis de garantir effectivement l'égalité des femmes et des hommes. L'interdiction de discrimination prévue à l'article 11 de la Constitution ne garantit pas non plus suffisamment bien l'égalité effective des femmes et des hommes.

Les femmes sont toujours sous-représentées au sein des organes de décision politiques, économiques et sociaux. En moyenne, leur rémunération est inférieure à celle des hommes, elles sont confrontées plus qu'eux à la misère et au chômage et elles sont plus souvent victimes de violences.

Cela s'explique par le fait que les sujets de droit auxquels s'applique le principe constitutionnel d'égalité donne une définition abstraite et neutre en termes de sexe.

Le principe constitutionnel d'égalité, tel qu'on le connaît aujourd'hui, remonte à 1831. Il se voulait le plus radical du point de vue juridique et parmi les critères sur lesquels il reposait, les critères comme celui du sexe étaient considérés comme non pertinents. L'égalité que l'on visait était une égalité de nature purement formelle.

L'on brandit souvent cette égalité en droit comme un impératif juridique, pour maintenir des inégalités de traitement qui s'inscrivent dans la tradition (1). Par ailleurs, ce principe assoit des inégalités de fait quand il y a une égalité de droit (2).

On s'est rendu compte que le problème est bien plus complexe : des clauses anti-discrimination sont nécessaires mais elles ne sont certainement pas suffisantes; par ailleurs, le processus visant à niveler la société conformément à la norme sociale existante ­ formulée de manière abstraite et neutre ­, c'est-à-dire le modèle du masculin, n'est pas non plus la méthode d'approche correcte.

Les femmes et les hommes sont en effet l'expression de la dualité de l'humanité, ses deux composantes, ni asexuées, ni neutres, ni abstraites.

On ne peut dès lors plus considérer le principe d'égalité comme une donnée purement formelle et abstraite, et assimiler la réalisation de l'égalité à la simple suppression de toute discrimination. C'est un principe qu'il faut construire sur la base de la réalité telle qu'elle est. C'est cette réalité qui fait que nous sommes femme ou homme, un caractère propre à chaque individu et qui structure toutes les sociétés humaines.

Cette différenciation indéniable entre les femmes et les hommes nous oblige à consacrer dans la Constitution, non pas le droit à l'égalité de tous les hommes sans plus, mais le droit des femmes et des hommes à l'égalité (3).

Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est un principe fondamental dont le respect doit être la finalité expresse de toute démocratie qui se veut « paritaire ». Il faut par conséquent l'inscrire dans la Constitution.

En effet, comme la société se compose de deux groupes de population égaux, les femmes et les hommes, elle ne peut être qualifiée de démocratique que si elle repose sur l'égalité réelle entre eux. Cela suppose que les femmes et les hommes contribuent sur un pied d'égalité au développement de la société, avec leurs compétences, leurs connaissances et leur expérience respectives, et ce, à tous les niveaux.

La notion de parité implique quant à elle tant celle d'égalité que celle de différence, en ce sens qu'elle reconnaît l'existence de la différence entre les femmes et les hommes, qui est d'ailleurs réelle, tout en rejetant l'inégalité. La notion de différence entre les femmes et les hommes est acceptable en tant que reconnaissance de la spécificité des uns et des autres, et elle est parfaitement démocratique en ce sens. Par contre, l'inégalité est ni acceptable ni démocratique (4).

La présente proposition ne vise dès lors pas exclusivement à promouvoir les droits de la femme. Elle vise aussi à instaurer un nouvel équilibre social, un « nouveau partenariat social » entre les femmes et les hommes, dans le cadre duquel les unes et les autres pourraient apporter sur un pied d'égalité et d'équivalence leur participation au sein de la famille, de la société civile et de la vie politique et assurer les responsabilités qu'elles génèrent.

L'inscription dans la Constitution du droit des femmes et des hommes à l'égalité peut dès lors être considérée comme une étape nécessaire qu'il faut absolument franchir actuellement dans l'évolution de la pensée égalitaire dans le cadre de la Constitution belge.

Ce serait une étape d'autant plus importante que la Constitution a une valeur hautement symbolique. En tant que norme juridique suprême, elle doit être le reflet explicite de la société et des préoccupations qui existent au sein de celle-ci.

Le professeur Delperée a fait, à ce sujet, le commentaire suivant : « La Constitution d'un État moderne perd sa crédibilité si elle n'est pas en mesure de rencontrer, au moins en termes généraux, les préoccupations des hommes et des femmes de notre temps » (5).

L'inscription du droit des femmes et des hommes dans la Constitution constituerait par conséquent un signal fort qui indiquerait qu'en Belgique, ce droit est essentiel pour l'ordre juridique.

Constitutions d'autres pays

Plusieurs États ont déjà reconnu expressément le droit des femmes et des hommes à l'égalité dans leur Constitution.

C'est ainsi que l'article 3, 2, de la Constitution allemande, par exemple, pose le principe général d'égalité selon lequel « les hommes et les femmes jouissent de droits égaux ». Il s'agit en l'espèce d'une véritable norme juridique, comme l'a confirmé la Cour constitutionnelle allemande (BverGe 3, 239/BverfGE 85, 191, Handbuch des Verfassungsrechts, 82-83), qui a clairement souligné, dans divers arrêts, que son adoption constitue un pas en avant dans la mesure où l'article en question impose une égalité de traitement à l'ensemble de la société et va donc plus loin que l'interdiction de discrimination prévue à l'article 3, 3, de la Constitution.

Pour ce qui est de la Constitution portugaise, on relève que l'article 13 consacre le principe général d'égalité, l'article 9 énumère d'abord les missions fondamentales de l'État en précisant que celles-ci consistent entre autres à promouvoir l'égalité entre l'homme et la femme.

La Constitution portugaise prévoit donc, non pas uniquement l'égalité devant la loi, mais aussi l'égalité de fait.

L'on a également inscrit un principe d'égalité spécifique pour les femmes et les hommes dans les constitutions brésilienne (Article 5, I : Men and women have equal rights and duties under the terms of this constitution) et grecque (Article 4, 2 : Greek men and Greek women have equal rights and obligations).

La Constitution russe contient en outre une disposition spécifique relative à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes (article 19 (3) : Men and women shall have equal rights and liberties and equal opportunities for their pursuit).

3. VERS UNE ÉGALE REPRÉSENTATION POLITIQUE DES FEMMES ET DES HOMMES

Il est crucial, pour que l'on puisse réaliser ce nouvel équilibre social, que les femmes et les hommes participent dans une mesure égale au processus de décision politique. Il s'agit en effet en l'occurrence d'une condition qui doit être absolument remplie pour que la société puisse fonctionner de manière démocratique.

Les femmes représentent plus de la moitié de la population. Il n'empêche qu'elles restent largement sous-représentées en politique.

Cela trahit une carence fondamentale de notre démocratie.

La faible représentation des femmes dans le processus de décision politique est une entrave à la prise en considération des intérêts et des besoins de l'ensemble de la population.

Une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes permettra de développer une politique plus équilibrée et plus juste, une politique qui tient compte des besoins de l'ensemble de la population et qui est porteuse d'idées neuves et le reflet de valeurs nouvelles et de nouveaux types de comportement.

Les femmes et les hommes s'équilibrent et se complètent. La vie politique ne pourra que tirer profit d'une collaboration des femmes et des hommes à la mise en oeuvre d'une politique commune.

Voilà pourquoi il est indispensable d'inscrire le principe d'égalité de la représentation des femmes et des hommes en politique dans la Constitution. Une fois ce principe reconnu dans la Constitution, la réalisation de la démocratie paritaire deviendra une mission constante des autorités, quelles que soient les priorités politiques des divers gouvernements.

L'on créerait ainsi le fondement constitutionnel nécessaire à la prise de mesures légales et structurelles en vue de réaliser un équilibre entre les femmes et les hommes dans le processus de décision politique et de garantir cet équilibre.

Selon la jurisprudence du Conseil d'État, qui s'est déjà prononcé plusieurs fois de manière critique à propos de propositions et de projets de loi visant à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes en matière électorale, un tel fondement constitutionnel est indispensable (6).

Le Conseil d'État a souligné, à plusieurs reprises, à cet égard qu'il faut un fondement constitutionnel pour pouvoir voter des dispositions légales en vue de supprimer les inégalités de fait dont sont victimes les femmes, par exemple dans le domaine de la représentation politique (7).

Le respect du principe de l'égalité de représentation politique des femmes et des hommes ne pourra être assuré qu'au moyen de mesures drastiques et efficaces.

Le principe du gouvernement fédéral qui a été approuvé par le Conseil des ministres le 27 avril 2000 est manifestement insuffisant à cet égard. Il prévoit entre autres la garantie constitutionnelle de la présence d'au moins un représentant de chaque sexe au sein du gouvernement fédéral, des gouvernements de communauté et de région et des gouvernements des organes régionaux visés à l'article 39 de la Constitution.

Selon le communiqué de presse du gouvernement fédéral du 28 avril 2000, ce projet constitue « une avancée historique de l'égalité entre les hommes et les femmes au niveau des instances gouvernementales ».

Nous estimons que l'on peut difficilement considérer le fait de garantir qu'il y aura au moins un représentant de chaque sexe comme une avancée historique sur la voie de la réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes. Il s'agit tout au plus d'un premier petit pas n'offrant pas la moindre garantie d'une répartition équilibrée des mandats exécutifs entre les deux sexes. Quand on examine les choses de plus près, on arrive même à la conclusion qu'il s'agit d'un pas en arrière par rapport à ce qui était prévu aux alinéas 1 et 2 du projet gouvernemental, c'est-à-dire par rapport au principe de l'égalité de représentation.

Dans la perspective de la démocratie paritaire, il faut qu'il y ait une répartition paritaire des mandats exécutifs. Pour pouvoir atteindre la parité au sein du gouvernement fédéral, il faut modifier les articles 99 et 104 de la Constitution, comme le CVP l'a déjà proposé (doc. Sénat, nº 2-250/1, 1999-2000). Une proposition de loi en ce sens a été déposée par la suite à la Chambre des représentants (doc. Chambre, nº 624/1, 1999-2000). Pour atteindre la parité au sein des autres organes exécutifs, il suffit de modifier la loi portant exécution de l'article 10bis de la Constitution proposé ici.

Constitutions des autres pays

Le principe de l'égalité de représentation des femmes et des hommes dans le processus de décision politique a été consacré récemment dans plusieurs constitutions européennes.

En 1997, un article 109 nouveau avait déjà été inséré dans la Constitution portugaise (Article 109 : la participation directe et positive des femmes et des hommes dans la vie politique est une condition nécessaire et un instrument extrêmement important pour renforcer la démocratie. La loi doit renforcer l'égalité pour ce qui est de l'exercice des droits civils et politiques et prévenir la discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne l'accès aux fonctions politiques).

Parallèlement à l'article 9 de la Constitution portugaise, qui dispose d'une manière générale que la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes est une des missions fondamentales de l'État portugais, le principe d'une politique d'actions positives en vue de réaliser l'égalité des chances entre les femmes et les hommes en ce qui concerne l'exercice des droits civils et politiques et l'accès aux fonctions politiques dirigeantes a été inscrit dans la Constitution. Dans le cadre de cette politique, le gouvernement portugais a élaboré une législation concrète contenant des mesures d'actions positives, entre autres en ce qui concerne l'égalité de participation au processus de décision politique.

La loi constitutionnelle nº 99-569 du 8 juillet 1999 modifie l'article 3 de la Constitution française en disposant que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».

4. L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES DANS LES FAITS

La reconnaissance constitutionnelle du droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et du droit à l'égale participation des femmes et des hommes au processus de décision politique est une étape indispensable. Mais elle ne suffit pas pour réaliser une égalité véritable entre les femmes et les hommes.

Il convient aussi d'inscrire explicitement dans la Constitution que l'État a pour mission de réaliser cette égalité effective entre les femmes et les hommes. Une telle disposition constitutionnelle justifie que l'on prenne des mesures spécifiques en vue de favoriser une égalité de faits entre les femmes et les hommes. Elle supprimerait tout obstacle constitutionnel à ce que l'on prenne des mesures conduisant à l'égalité de fait entre les femmes et les hommes, et il y aurait même une obligation constitutionnelle de prendre de telles mesures par la voie légale.

Il n'appartient pas à cet égard au constituant de définir les mesures à prendre. La Constitution laisse au législateur ordinaire le choix des moyens, mais elle ne lui permet pas de ne pas prendre de mesures. Le législateur ordinaire se voit donc assigner une mission basée sur les principes inscrits dans la Constitution et sur la nécessité de remédier à une inégalité de fait.

Les actions positives ne sont plus un phénomène nouveau dans notre pays. L'arrêté royal du 14 juillet 1987 portant des mesures en vue de la promotion de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans le secteur privé (Moniteur belge du 26 août 1987), a créé le cadre juridique nécessaire pour pouvoir en développer. Cet arrêté royal exécute l'article 119 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique qui était à son tour la transposition en droit belge de la directive européenne nº 76/207/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. L'arrêté royal du 14 juillet 1987 a instauré la possibilité de mener des actions positives dans le secteur privé, sur une base volontaire; il ne s'agissait donc pas d'une obligation.

Dans le secteur public, le cadre juridique a été créé par l'arrêté royal du 27 février 1990 portant des mesures en vue de la promotion de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans les services publics.

Sur le plan européen, les actions positives tirent leur fondement juridique du Traité d'Amsterdam (1997), notamment des articles 141 (ex article 119) et de l'article 13. Ces nouvelles dispositions importantes du Traité UE n'ont néanmoins pas la même force contraignante sur le terrain du marché du travail et sur les autres terrains.

Il est, dès lors, indiqué, pour ce motif aussi, d'inscrire le principe des actions positives dans la Constitution.

L'insertion dans la Constitution de l'article 10bis proposé confirmerait explicitement la constitutionnalité des actions positives.

La jurisprudence a déjà consacré la possibilité de mener des actions positives sur la base de l'article 10 de la Constitution. C'est ainsi que la Cour d'arbitrage admet les « actions positives » ou les « inégalités correctrices » sous certaines conditions qu'il appartient au juge d'apprécier concrètement :

1. elles ne peuvent être développées que dans le cas d'inégalité manifeste;

2. la suppression de l'inégalité doit être érigé en objectif à atteindre par le législateur;

3. les mesures doivent avoir un caractère temporaire et elles doivent être rapportées une fois que le but fixé par le législateur a été atteint;

4. les mesures ne peuvent pas empiéter inutilement sur les droits d'autrui.

L'appréciation de la question de savoir si une norme légale viole le principe d'égalité dépend dès lors dans une large mesure d'une série de priorités et de choix politiques et sociaux.

L'article 10bis proposé en tient compte dans la mesure où il charge explicitement les autorités de réaliser l'égalité effective entre les femmes et les hommes.

Les constitutions d'autres pays

Le principe des actions positives est inscrit explicitement dans plusieurs constitutions. Nous nous référons tout d'abord à l'exemple portugais (voir chapitre 4).

Mais pour ce qui est des femmes, ce principe figure aussi, notamment, dans la Constitution suédoise (Article 16 : No Act of law or other statutory instrument may entail the discrimination of any citizen on grounds of sex, unless the relevant provision forms part of efforts to bring about equality between men and women or relates to compulsory military service or any corresponding compulsory national service), la Constitution indienne (Article 12(4) : Nothing in this Article shall prevent special provision being made by law, subordinate legislation or executive action for the advancement of women, children or disabled persons) et dans la Constitution finlandaise (Article 5, dernier alinéa : Equality of the sexes shall be promoted in social activities and in working life, particularly in the determination of remuneration and other terms of service, in a manner more precisely by Act of Parliament).

La Constitution néo-zélandaise (Article 19 : (1) Everyone has the right to freedom from discrimination on the grounds of discrimination in the Human Rights Act 1993. (2) Measures taken in good faith for the purpose of assisting or advancing persons or groups of persons disadvantaged because of discrimination that is unlawful by virtue of part II of the Human Rights Act 1993 do not constitute discrimination), la Constitution canadienne (Article 15(2) Subsection (1) does not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration of conditions of disadvantaged individuals or groups including those that are disadvantaged because of race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability) et la Constitution sud-africaine (article 8,3) contiennent une disposition de portée plus générale en ce qui concerne le principe des actions positives.

5. LE CONTEXTE INTERNATIONAL

L'égalité des droits des femmes et des hommes est inscrite explicitement dans la plupart des grands traités internationaux concernant les droits de l'homme. Ces traités consacrent généralement une attention spéciale à l'égalité des droits politiques des hommes et des femmes.

C'est ainsi qu'il est question, dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, de l'égalité des droits des hommes et des femmes et, dans son article 2, de l'interdiction de faire des distinctions, notamment de sexe.

L'article 21 de cette déclaration consacre le droit de participer au processus de prise de décision politique et garantit notamment à chacun le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants choisis librement et le droit d'accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays.

Les articles 23 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissent l'égalité des droits des femmes et des hommes et interdisent toute discrimination, notamment de sexe, tandis que l'article 25 traite des droits politiques.

La Convention de l'ONU de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes a été un jalon sur la voie de la reconnaissance de l'égalité entre les femmes et les hommes : elle explicite le principe de l'égalité des droits des femmes et des hommes dans tous les domaines et énumère les obligations que les États contractants doivent observer en vue d'éliminer toute forme de discrimination à l'égard des femmes.

L'article 2, a), de la convention oblige tous les États parties à « inscrire dans leur Constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l'égalité des hommes et des femmes, si ce n'est déjà fait ».

La convention permet en outre de prendre, sous certaines conditions, des mesures positives en faveur des femmes.

En ce qui concerne le processus de décision politique, l'article 7 de la convention dispose que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d'égalité avec les hommes, le droit :

a) de voter à toutes les élections et dans tous les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus;

b) de prendre part à l'élaboration de la politique de l'État et à son exécution, occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement;

c) de participer aux organisations et associations non gouvernementales s'occupant de la vie publique et politique du pays. »

La quatrième Conférence mondiale sur les femmes qui s'est tenue à Pékin en 1995 a aussi fortement souligné la nécessité de veiller à une répartition équilibrée des responsabilités, du pouvoir et des droits. La Plate-forme d'action de Beijing a demandé que l'on prenne des mesures en vue de promouvoir l'égalité d'accès et la pleine participation aux structures du pouvoir et aux processus de décision. Cette priorité a été confirmée dans le document final de la Conférence « Pékin 5+ » qui s'est tenue en juin 2000 à New York.

La question de l'égalité entre les hommes et les femmes retient aussi fortement l'attention au sein de l'Union européenne. Il faut souligner à cet égard que l'Europe s'est vu assigner un nouvel objectif dans le traité d'Amsterdam (1997). L'article 2 de celui-ci dispose que la Communauté a pour mission de promouvoir « l'égalité entre les hommes et les femmes » et, selon l'article 3, l'Union européenne doit chercher dans chacune de ses actions « à éliminer les inégalités et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes ».

Le traité d'Amsterdam crée également le fondement juridique nécessaire au développement d'actions positives : l'article 119 du traité UE (l'actuel article 141) a été complété par un quatrième alinéa qui permet aux États membres, pour assurer concrètement une pleine égalité entre les hommes et femmes dans la vie professionnelle, d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté (donc généralement les femmes) ou de prévenir ou compenser des avantages dans la carrière professionnelle.

Par ailleurs l'article 13 du traité confère au Conseil des ministres le pouvoir de prendre les mesures nécessaires en vue de combattre les diverses formes de discrimination fondées notamment sur le sexe.

Outre les traités, il y a de multiples directives adoptées par le Conseil des ministres, qui visent à ériger l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes en une norme à respecter par tous les États membres.

Dans le cadre du droit communautaire, existe une tendance à ne pas limiter l'application du principe d'égalité entre la femme et l'homme aux seuls droits de ceux-ci. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, les autorités doivent agir en vue d'éliminer les inégalités de fait.

Depuis le début des années 80, la Commission européenne oeuvre aussi, au travers de programmes d'action pluriannuels intégrés, à la transposition des principes d'égalité dans la réalité. Aux termes du troisième Programme d'action communautaire (1991-1995), « la participation active des femmes au processus de décision constitue une des manières les plus efficaces de réaliser l'égalité des chances entre les femmes et les hommes et de susciter un changement de mentalité durable ». L'un des objectifs du quatrième Programme d'action communautaire (1996-2000) est de promouvoir une répartition équilibrée entre les hommes et les femmes dans le cadre du processus décisionnel.

La recommandation que le Conseil des ministres a approuvée en décembre 1996 (96/694/CE) est un autre instrument important en la matière. Elle invite les États membres notamment à « adopter une stratégie intégrée d'ensemble visant à promouvoir la participation équilibrée des femmes et des hommes aux processus de décision et de développer ou d'instaurer, pour y parvenir, les mesures appropriées, telles que, le cas échéant, des mesures législatives et/ou réglementaires et/ou d'incitation ».

Signalons enfin que le Conseil de l'Europe se penche également sur la question de savoir si la rédaction d'un protocole additionnel à la CEDH qui énoncerait le droit à l'égalité des femmes et des hommes serait un objectif réaliste.

Sabine de BETHUNE.

PROPOSITION DE LOI


Au titre II de la Constitution est inséré un article 10bis qui est rédigé comme suit :

« Article 10bis. ­ Le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes est garanti.

La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans l'exercice de leurs droits et, en particulier, l'égale participation des femmes et des hommes au processus de décision politique. »

Sabine de BETHUNE.
Hugo VANDENBERGHE.
Ludwig CALUWÉ.
Mia DE SCHAMPHELAERE.
Theo KELCHTERMANS.
Reginald MOREELS.
Erika THIJS.

(1) Rimanque, K., « De paradoxale werking van het gelijkheidsbeginsel », RW, 1992-1993, p. 7, qui fait référence à Van Langendonck, J., lequel souligne avec insistance, dans son article intitulé « Gelijke behandeling in de sociale zekerheid », RW, 1991-1992, p. 1211-1222, le fait que les distinctions traditionnelles qui ont perdu leur pertinence sociale ont souvent la vie dure dans le droit de la sécurité sociale (traduction).

(2) Rimanque, l.c., p. 7; Heyvaert, A. attire, dans son article intitulé « Het gelijkheidsbeginsel in het Belgische internationaal huwelijks-, echtscheidings-, en afstammingsrecht », RW, 1991-1992, p. 1194-1202, l'attention sur les conséquences parfois singulières de l'application des principes d'égalité dans le cadre des règles de rattachement relevant du droit du divorce.

(3) Cf. Exposé de Mme E. Vogel-Polsky, professeur émérite à l'ULB et experte auprès du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne et de Mme R. Tavares da Silva, conseillère auprès de la Commission pour l'égalité et les droits de la femme au Portugal et consultante auprès du Conseil de l'Europe, dans le Rapport de la première Conférence des commissions parlementaires chargées de la politique de l'égalité des chances des femmes et des hommes dans les États membres de l'Union européenne et au Parlement européen (CCEC) sur : « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité dans les traités européens », 22 et 23 mai 1997, Sénat de Belgique, 103 p.

(4) R. Tavares da Silva, o.c., p. 44.

(5) Delperée, F. « Les droits fondamentaux et le droit belge », dans Stroobant, M., « Sociale grondrechten », Maklu, Anvers, 1995, p. 22.

(6) Pour un aperçu : voir Velaers, J., De Grondwet en de Raad van State, Maklu, Anvers, 1999, pp. 74-75.

(7) Voir par exemple Conseil d'État, avis du 17 novembre 1993, doc. Chambre, nº 1316/1, 1993-1994, p. 20.