2-40

2-40

Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 27 AVRIL 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Marie Nagy au ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique sur «des structures éducatives fermées pour mineurs délinquants récidivistes» (n° 2-226)

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Avant de poser ma question, je féliciterai d'abord le ministre pour ses nouvelles fonctions.

La politique de la ville du gouvernement fédéral comporte un volet relatif aux mineurs délinquants. L'option retenue, orientée vers la sécurité, mériterait d'être revue. Nous avons d'ailleurs déjà enregistré un premier ajustement empreint de réalisme puisqu'il est à présent question de petites structures éducatives fermées d'environ 15 lits au lieu des 5 structures de 250 lits axées sur la répression prévues initialement. Ces structures seraient gérées conjointement par le ministre de la Justice, le ministre chargé de la politique des grandes villes et les communautés.

La question que je souhaite vous poser porte justement sur cette répartition des compétences.

À cet égard, j'espère que les motivations du gouvernement ne sont pas fondées sur l'idée que les communautés resteraient inactives dans cette matière. En Communauté française, les moyens récemment dégagés ont permis d'atteindre un nombre de places suffisant en régime fermé, compte tenu de la politique de mesures alternatives à l'enfermement mettant l'accent sur la protection du jeune plutôt que sur la répression.

Le ministre peut-il m'exposer les motifs qui l'amènent à formuler cette proposition dans un secteur que la loi spéciale et la Cour d'arbitrage situent clairement dans le champ des compétences communautaires ?

Le ministre s'est-il concerté avec les communautés quant à ce projet ? De quelle manière envisage-t-il d'articuler sur ce plan la collaboration entre son département et les communautés ?

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique. - Je remercie Mme Nagy de ses félicitations. Je me demande d'ailleurs si elle n'a pas été la première parlementaire de l'opposition à m'interpeller voici douze ans.

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je le pense.

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique. - Je dirai d'emblée que je ne laisserai pas courir une rumeur selon laquelle le ministre chargé de la politique des grandes villes serait amené à gérer ou à cogérer des centres fermés : telle n'est pas sa mission.

Comme vous le savez, car cette matière vous intéresse hautement, madame Nagy, toute politique urbaine doit être intégrée, ce qui suppose une mobilisation de tous les acteurs et opérateurs de la vie urbaine, sur le plan institutionnel bien sûr, afin de dégager une vision cohérente globale de la gestion des villes.

Il est évident qu'en matière de mineurs récidivistes, il importe que les différents niveaux de pouvoir puissent collaborer. C'est d'ailleurs le cas dans pratiquement toutes les autres matières. On oublie de dire en effet que la politique des villes trouve principalement son inspiration dans les initiatives que peuvent prendre les autres niveaux de pouvoir, même si le gouvernement fédéral a des compétences, directes ou indirectes, sur la gestion des villes.

Il est évidemment hors de question - je le dis ici puisque c'est la première fois que je m'exprime sur cette matière en tant que membre du gouvernement fédéral - que l'État fédéral se hasarde à mener ou à initier des politiques sans concertation avec les autres niveaux de pouvoir. Ce serait là nous condamner à l'échec. J'aurai probablement l'occasion de m'expliquer plus longuement sur ce point, dans un autre cadre que celui d'une question orale, mais je voudrais d'ores et déjà insister sur le fait que le gouvernement fédéral doit essayer à tout prix de développer, éventuellement au sein d'une commission interministérielle, cette volonté de travailler de commun accord.

Il a en effet été question des petites structures éducatives fermées. C'est une piste que nous avons avancée et qui exigerait, de toute manière, un accord de coopération avec les communautés. Il faut pouvoir répondre à de véritables besoins. Tout à l'heure, M. Verwilghen, répondant à une question, a dit que les juges de la jeunesse devaient d'abord pouvoir expérimenter toutes les autres formules, y compris les sanctions alternatives, avant de décider notamment des mesures d'enfermement. J'en suis également convaincu, mais il serait illusoire de croire que le nombre de places fermées dont nous disposons nous permettra de résoudre certains problèmes. Je ne plaide pas pour une inflation des centres fermés, mais je souhaite que, sur la base de ce que les juges nous diront, nous disposions de places suffisantes, car nous estimons qu'à un moment ou un autre, il convient d'éloigner les jeunes d'un milieu où leur présence peut se révéler particulièrement nuisible.

Il est également important que cet éloignement se fasse dans une perspective éducative. J'ai le sentiment qu'une phase de remédiation, de resocialisation s'impose. Je pose dès lors la question du contenu socio-pédagogique de toute formule d'enfermement.

Je ne m'avance pas plus puisque je ne suis pas compétent en cette matière.

Je pense qu'une consultation des différentes entités fédérées s'imposera dans cette approche de la ville. Il faut respecter les prérogatives, il vaut mieux convaincre qu'imposer dans ce contexte, d'autant que nous n'en avons pas le pouvoir.

Nous aurons certainement l'occasion en commission ou en d'autres lieux de nous étendre sur ce sujet. Ne nous trompons pas, en tout cas: si l'approche intégrée des problèmes de société, et spécialement des problématiques de la ville, est reconnue comme nécessaire par tout le monde - pensons aux expériences à l'étranger et à la réflexion que nous avons déjà menée à ce sujet -, il m'apparaît que recomposer des politiques cohérentes à l'échelle des villes suppose bien sûr une coordination de tous les acteurs et un grand respect des compétences de chacun.

Je sais que je suis face à une obligation de prudence. Il faudra convaincre que cette concertation et cette coordination sont nécessaires. Je m'y appliquerai en tout cas comme ministre de la ville chargé sans doute de conseiller le gouvernement fédéral sur les moyens qu'il peut mettre à la disposition des villes, mais je serai surtout soucieux d'animer le débat dans le respect des compétences de chacun.

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je remercie le ministre de sa réponse.

Je pense que nous sommes d'accord pour dire qu'une approche globale de la problématique des grandes villes suppose nécessairement de se pencher sur la question de la délinquance des jeunes, mais il ne faudrait pas croire que la seule création de centres d'accueil réponde à la question. On pourrait réfléchir - et la réponse du ministre de la Justice va dans ce sens - à une éventuelle modification de la loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse pour mieux équilibrer l'aspect éducatif et celui de la sécurité.

Un élément de votre réponse me satisfait tout à fait: vous annoncez la nécessité d'établir un accord de coopération. Pour les communautés, il est essentiel de savoir que ces instruments se situent dans le cadre des politiques qui leur reviennent et qu'ils ne visent pas à contourner la répartition des compétences, avec ce que cela impliquerait sur le fond, c'est-à-dire des options différentes en matière de protection de la jeunesse. J'apprécie que vous mettiez l'accent sur le respect des compétences de chacun, dans le cadre d'une politique intégrée, ce qui n'est pas une mince affaire dans une telle matière.

Il est important pour les communautés d'être rassurées sur cet aspect de la question.