2-402/1

2-402/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

6 AVRIL 2000


Proposition de loi visant à instaurer le droit à l'accès aux soins palliatifs et à améliorer la pratique des soins palliatifs

(Déposée par Mme Ingrid van Kessel et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Le développement de l'offre d'un vaste éventail de soins de santé de haute qualité dans le secteur des soins de santé, dans celui des soins aux personnes âgées et, en particulier, dans celui des soins palliatifs, est ce qu'il y a de plus nécessaire si l'on veut prévenir la demande d'euthanasie plutôt que de la considérer comme une solution de rechange. C'est aussi une condition pour que les situations extrêmes entraînant le renoncement à la vie soient véritablement ramenées au rang d'exception à défaut de pouvoir être totalement exclues. Jusqu'à la fin de leur vie, les gens doivent avoir l'assurance que leur sécurité est garantie et qu'ils peuvent compter sur la solidarité d'autrui. Voilà pourquoi nous considérons que les efforts à accomplir pour permettre aux gens d'achever leur vie dans la dignité doivent être un élément constitutif de soins de santé dignes de ce nom. C'est le devoir de toute société agissant en bon père de famille. Comme la naissance, la mort est un événement social.

Si on laisse des personnes affronter la mort sans leur apporter le moindre soutien, c'est qu'il n'y a aucune reconnaissance du caractère social du passage de la vie à la mort. Il faut veiller en outre à créer l'espace social nécessaire pour pouvoir donner un sens valable à cet événement.

Comme il n'est pas exclu que l'on voie l'offre de soins mise sous pression en raison du coût démographique du vieillissement de la population, il y a lieu d'expliciter du point de vue social le droit de mourir dans la dignité et de garantir ce droit dans les faits. Seule une culture de soins impliquant un revirement culturel en pensées et en actes peut répondre comme il se doit à cette demande.

Il faut par conséquent reconnaître pleinement le droit aux soins palliatifs. Les démocrates-chrétiens flamands considèrent que le droit aux soins palliatifs est un droit fondamental de tout être humain. Il constitue un droit social au sens de l'article 23 de la Constitution.

La reconnaissance du droit aux soins palliatifs implique que les soins palliatifs dispensés dans le cadre des soins de santé, maisons de repos pour personnes âgées (MRPA), maisons de repos et de soins (MRS), des soins de santé mentale et des hôpitaux soient pleinement développés et financés, et ce, sur un pied d'égalité.

Tout prestataire de soins doit être familiarisé avec le processus de perte, de souffrance, de mort et de deuil. Les soins palliatifs s'inscrivent dans le cadre de soins de santé fondés sur des principes d'accessibilité, de qualité, de soins sur mesure et sur une approche intégrée de tous les aspects des soins, y compris de l'environnement du patient.

Les soins de santé que veulent développer les démocrates-chrétiens flamands répondent au souci de fournir une assistance de qualité aux faibles, aux handicapés et aux malades.

Étant donné la complexité croissante et la rapidité de l'évolution de la médecine moderne, il n'est pas toujours aisé de déterminer quelle serait la meilleure manière de concrétiser cette valeur fondamentale qu'est la solidarité en matière de soins. Le faible livré à lui-même risque parfois d'être la victime de ce manque de clarté.

La meilleure définition que l'on puisse donner des soins palliatifs sur cette base est la suivante : les soins palliatifs sont « l'ensemble des soins actifs apportés aux patients dont la maladie ne réagit plus à des thérapies curatives et pour qui la maîtrise de la douleur et d'autres symptômes, ainsi que l'assistance psychologique, morale, familiale et sociale, revêt une importance capitale ».

Les soins palliatifs servent non plus à guérir le patient, mais à lui garantir et à garantir à ses proches, une qualité de vie optimale.

L'attention dont ont bénéficié jusqu'à présent les soins palliatifs au niveau politique a entraîné une structuration du paysage palliatif en Belgique et en Flandre. Des efforts substantiels ont été consentis en la matière au cours des dernières années par les autorités compétentes. Il s'agit aujourd'hui d'optimaliser et d'affiner les structures existantes.

Par conséquent, l'objectif de la présente proposition de loi est double. Elle vise :

­ à faire reconnaître le droit aux soins palliatifs;

­ à pallier une série de lacunes et de carences importantes de la législation actuelle et du financement des soins palliatifs.

Commentaire des articles Article 2

Il existe, au sein du Comité consultatif de bioéthique, un consensus sur l'opportunité du développement des soins palliatifs.

Cette disposition prévoit la reconnaissance légale du droit aux soins palliatifs comme droit fondamental de tout être humain. C'est un droit social découlant de l'article 23 de la Constitution et ayant pour but de contribuer à garantir la participation de chaque individu à la société. Ce droit est fondé sur l'implication qui privilégie des qualités comme la proximité, la présence, la chaleur, la fraternité et la solidarité. Il s'agit du droit d'être un patient, c'est-à-dire du droit à l'égalité dans l'accès aux soins de santé, y compris dans la phase terminale, tel qu'il est garanti par la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Article 3

L'article 3 donne une définition des soins palliatifs.

Les soins palliatifs peuvent être définis comme un ensemble de soins actifs et continus. Les soins palliatifs prennent en compte les aspects physiques, psychiques, sociaux et spirituels de la vie et de la mort. Ils sont dispensés de concert par des professionnels, des bénévoles et des intervenants de proximité, lesquels se complètent et se soutiennent mutuellement.

Les soins palliatifs sont toutes les formes de soins qui visent, d'une part, à atténuer la souffrance mortelle et, d'autre part, à rendre la vie plus confortable pendant la période précédant le décès. Tous les êtres humains ont le droit de mourir dignement. Même ceux qui voient venir la mort de très loin, comme les personnes atteintes de démence, ont le droit de bénéficier des soins palliatifs. Par conséquent, les soins palliatifs sont beaucoup plus étendus que les soins apportés en phase terminale aux malades incurables, aux cancéreux ou aux personnes atteintes du sida.

Les soins palliatifs visent à aider le patient à mourir dignement : la mort « peut » être et est considérée comme un processus naturel et normal, qui fait partie de la vie; la mort n'est ni différée ni accélérée; le bien-être du patient dans toutes ses dimensions, et du point de vue de son vécu à lui, est au centre des préoccupations; le traitement n'est pas axé sur l'acharnement thérapeutique ou sur la prolongation inutile de la vie; la douleur et d'autres symptômes sont atténués; le patient et sa famille sont associés activement autant que possible aux soins apportés et ils sont accompagnés dans leurs choix, moyennant le respect de leur autonomie et de leur spécificité, sur le chemin qui mène de la vie à la mort; tout au long de la période de la maladie, du décès et du deuil, la famille et les proches sont accueillis, soutenus, accompagnés et associés aux soins; la communication entre tous les intéressés, tant entre le demandeur et le prestataire des soins qu'entre les prestataires de soins mêmes (collaboration interdisciplinaire), est une condition essentielle.

Articles 4 et 5

L'intervention forfaitaire pour soins palliatifs à domicile, qui est limitée à une période de 30 jours, renouvelable une fois pour une période de 30 jours, en application de l'arrêté royal du 2 décembre 1999, est étendue et est due tant que le bénéficiaire reste un patient palliatif à domicile au sens de l'article 3 de l'arrêté royal. L'extension ne peut toutefois dépasser six mois. La modification proposée concrétise l'intention politique du ministre des Affaires sociales et des Pensions, qui a fait, le 16 février 2000, en commission des Affaires sociales de la Chambre des représentants, la déclaration suivante : « Depuis le 1er janvier 2000, un forfait de 19 500 francs a été fixé pour les soins palliatifs à domicile. Après évaluation, cette mesure pourrait être améliorée, par exemple par la prorogation de la période de 2 mois pour laquelle le forfait est prévu. » (Doc. Chambre, Compte rendu analytique des réunions de commission, C-123, p. 8.)

Article 5

L'implication du médecin généraliste en première ligne est renforcée. Les équipes palliatives de soutien, qui exercent leurs activités dans le cadre des associations de soins palliatifs à domicile, doivent pouvoir faire appel dorénavant, chaque semaine, pendant huit heures, à un médecin généraliste ayant une formation ou une expérience spécifique en matière de soins palliatifs.

C'est deux fois plus que la durée actuellement prévue. Les équipes seront renforcées aussi grâce à l'assistance d'un médecin spécialiste en algologie et d'un infirmier spécialisé dans le traitement de la douleur.

Une telle extension nécessitera une adaptation du mode d'octroi des subventions. Il faudra, pour cela, modifier l'arrêté royal du 19 juin 1997 fixant le subside alloué aux associations entre établissements de soins et services en matière de soins palliatifs et réglant les modalités d'octroi.

Articles 7 et 8

Si la fonction palliative dans les maisons de repos et de soins est soumise à des normes d'agrément, son financement n'est pourtant toujours pas assuré. Le but de la modification de la loi est de prévoir, outre les normes d'agrément, le financement nécessaire. Cela se situe aussi tout à fait dans le prolongement des intentions de politique du ministre des Affaires sociales et des Pensions, qui a fait, le 16 février 2000, en commission des Affaires sociales de la Chambre des représentants la déclaration suivante : « Je m'engage à fournir, au plus tard l'année prochaine, un effort particulier en faveur des soins palliatifs dans les maisons de repos. » Comme il existe, à l'heure actuelle, d'importantes discriminations financières en matière de soins palliatifs selon le lieu où ils sont prodigués (domicile, MRS-MRPA ou hôpital) et que le droit aux soins palliatifs doit devenir un droit à part entière, ce qui signifie qu'outre une offre suffisante de soins palliatifs, le choix du lieu où ils seront prodigués doit être financièrement neutre pour le patient, l'on décide de supprimer au plus tôt ces discriminations.

Article 9

Pour que l'on puisse reconnaître la fonction palliative dans un hôpital, il devra y avoir une collaboration étroite avec la fonction d'algologue qui doit encore être développée au sein de celui-ci. Celle-ci sera assumée par un médecin spécialiste ayant reçu une formation de base en algologie et par un infirmier spécialisé dans le traitement de la douleur, dont la mission consistera à veiller à ce que s'opère l'indispensable changement des mentalités et à assurer la formation continue et la coordination des divers départements concernés au sein de chaque hôpital.

Article 10

Une interdiction absolue de réclamer aux patients d'un service Sp (soins palliatifs) des suppléments d'honoraires est instaurée.

Article 11

Pour que le droit aux soins palliatifs soit concrétisé dans les faits, il convient aussi d'accorder quelque attention aux soins de santé mentale. Voilà pourquoi l'existence de la fonction palliative est insérée comme condition d'agrément dans l'arrêté royal du 10 juillet 1990 fixant les normes pour l'agrément spécial des maisons de soins psychiatriques.

Il va de soi que le Roi doit dès lors prévoir aussi un financement correct de la fonction palliative en MSP.

Ingrid van KESSEL.

PROPOSITION DE LOI


CHAPITRE Ier

Disposition générale

Article 1er

La présente proposition de loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

CHAPITRE II

Des soins palliatifs comme droit fondamental pour tous

Art. 2

Toute personne a droit à des soins palliatifs.

Art. 3

Pour l'application de la présente loi, on entend par soins palliatifs : « l'ensemble des soins actifs apportés aux patients dont la maladie ne réagit plus à des thérapies curatives et pour qui la maîtrise de la douleur et d'autres symptômes, ainsi que l'assistance psychologique, morale, familiale et sociale revêtent une importance capitale ».

CHAPITRE III

De l'amélioration des soins palliatifs

SECTION 1re

Des soins palliatifs à domicile

Art. 4

À l'article 3, 4º, de l'arrêté royal du 2 décembre 1999 déterminant l'intervention de l'assurance soins de santé obligatoire pour les médicaments, le matériel de soins et les auxiliaires pour les patients palliatifs à domicile visés à l'article 34, 14º, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, les mots « (espérance de vie de plus de 24 heures et de moins de trois mois) » sont supprimés.

Art. 5

L'article 6, § 2, du même arrêté est remplacé par la disposition suivante :

« § 2. L'intervention prévue à l'article 2 est due à chaque fois si, au terme de la période de trente jours visée au § 1er, le patient continue à remplir les conditions fixées par le présent arrêté.

Dans ce cas, les articles 4 et 5 sont appliqués.

L'intervention peut tout au plus être accordée à six reprises. »

Art. 6

À l'article 11, § 2, de l'arrêté royal du 19 juin 1997 fixant les normes auxquelles une association en matière de soins palliatifs doit répondre pour être agréée, les modifications suivantes sont apportées :

A) dans la disposition du 1º, deuxième tiret, les mots « quatre heures » sont remplacés par les mots « huit heures »;

B) la disposition du 1º est complétée par ce qui suit :

« ­ un médecin spécialiste avec une formation de base en algologie, à raison de quatre heures par semaine;

­ une infirmière spécialisée dans le traitement de la douleur. »

SECTION 2

Des soins palliatifs dans les maisons de repos pour personnes âgées et les maisons de repos et de soins

Art. 7

À l'article 2 de l'arrêté ministériel du 19 mai 1992 fixant l'intervention visée à l'article 37, § 12, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, dans les maisons de repos et de soins est inséré un § 1erter rédigé comme suit :

« § 1erter. La fonction palliative visée au point B de l'annexe 1 à l'arrêté royal du 2 décembre 1982 fixant les normes pour l'agréation spéciale des maisons de repos et de soins est assumée par un infirmier équivalent temps plein par groupe de cent lits MRS agréés. »

Art. 8

À l'article 1er de l'arrêté ministériel du 5 avril 1995 fixant l'intervention visée à l'article 37, § 12, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, pour les prestations visées à l'article 34, 12º, de la même loi est inséré un § 1erbis, qui est rédigé comme suit :

« § 1erbis. La fonction palliative est assumée par un infirmier équivalent temps plein pour cent lits MRPA agrées. »

SECTION 3

Des soins palliatifs dans les hôpitaux

Art. 9

À l'article 2, § 1er, de l'arrêté royal du 15 juillet 1997 fixant les normes auxquelles une fonction hospitalière de soins palliatifs doit répondre pour être agréée est inséré un 2ºbis, qui est rédigé comme suit :

« 2ºbis. collaborer avec la fonction d'algologue au sein de l'hôpital, où par groupe de cinq cents lits, un médecin spécialiste à mi-temps, ayant reçu une formation en algologie, assisté d'un infirmier à temps plein spécialisé dans le traitement de la douleur, est chargé du changement des mentalités dans l'hôpital et de la formation continue, de l'accompagnement et de la coordination de tous les départements concernés; »

Art. 10

L'article 50bis, § 2, alinéa 1er, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, est complété par la disposition suivante :

« d) dans le cadre d'une admission dans un service Sp (soins palliatifs) ».

SECTION 4

Des soins palliatifs dans le secteur des soins de santé mentale

Art. 11

Dans l'arrêté royal du 10 juillet 1990 fixant les normes pour l'agrément spécial des maisons de soins psychiatriques est inséré un chapitre Vter, rédigé comme suit :

« Chapitre Vter ­ Des soins palliatifs

Art. 39ter. Pour soutenir la dispensation de soins aux personnes nécessitant des soins en phase terminale dans la maison de soins psychiatriques, le médecin et l'infirmier en chef désignés par le pouvoir organisateur sont chargés :

1º d'instituer une culture de soins palliatifs et de sensibiliser le personnel à la nécessité de ceux-ci;

2º de formuler des avis sur les soins palliatifs à l'intention du personnel infirmier et paramédical, des kinésithérapeutes et du personnel soignant, visés à l'article 39, § 2, du présent arrêté;

3º d'affiner les connaissances des membres du personnel visés au 2º, en matière de soins palliatifs.

Art. 39quater. La maison de soins psychiatriques doit avoir un lien fonctionnel avec un service spécialisé de traitement et de réadaptation (Sp) destiné aux patients qui nécessitent des soins palliatifs.

Art. 39quinquies. La maison de soins psychiatriques doit collaborer à l'association en matière de soins palliatifs couvrant la zone géographique concernée. »

Ingrid van KESSEL.
Mia DE SCHAMPHELAERE.
Theo KELCHTERMANS.
Hugo VANDENBERGHE.