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24 SEPTEMBRE 1999
L'accès à la culture est un droit fondamental. La culture est un terme vaste qui recouvre des réalités multiples et notamment la peinture, la sculpture, la musique...
Pour permettre à chacun de jouir de ce patrimoine national et international, il est important que l'État, envisagé de façon générale, s'investisse dans ce domaine notamment par la subsidiation d'organismes culturels. Il est également des voies indirectes mais tout aussi efficaces pour l'État d'agir en matière culturelle.
Cette proposition aborde la question des donations d'oeuvres d'art à l'État et de la dation d'oeuvres d'art en paiement de droits de succession. Il nous semble que ces deux mécanismes juridiques, s'ils sont envisagés de façon ouverte et pratique, sont de nature à enrichir le patrimoine culturel de l'État et donc celui de chaque citoyen.
Il faut préciser que l'article 4, § 4, de la loi du 16 janvier 1989 prévoit l'accord nécessaire des régions sur toute modification par le pouvoir fédéral des éléments des droits de succession restés de sa compétence. En effet, la loi du 16 janvier a fait des droits de succession et de mutation par décès des impôts régionaux. Une concertation avec les régions sur cette proposition doit donc être organisée.
À l'heure actuelle, le Code des impôts sur les revenus (pour les libéralités) et le Code des droits de succession (pour les dations en paiement) connaissent déjà ces deux procédés. Les lois sur la dation en paiement et sur les conséquences fiscales des libéralités faites à l'État datent de 1985. Elles ont essentiellement pour but d'éviter la poursuite de l'appauvrissement du patrimoine artistique belge (1).
Cependant, les conditions imposées par les textes sont telles que ces mécanismes sont quasiment inutilisés. À titre d'exemple, fin 1995, on ne recensait que 7 demandes de dations en paiement. Trois avaient abouti pour un total de 14 330 000 francs. Trois cas donc pour une période de 8 ans d'applicaton. Il est intéressant de noter, par exemple, que les héritiers de Magritte qui auraient pu utiliser cette procédure ont préféré vendre les tableaux chez Sotheby's (2).
La doctrine condamne unanimement la complexité et la lourdeur de la procédure (3).
Les préoccupations qui ont guidé le législateur en 1985 ont également animé les pays voisins, notamment la France et la Grande-Bretagne, qui ont adopté des législations beaucoup plus souples et efficaces que la nôtre.
La présente proposition vise à améliorer les systèmes de dations et de libéralités.
· En ce qui concerne la dation en paiement, la proposition :
supprime l'exigence de renommée internationale de l'oeuvre et la remplace par un critère plus adéquat;
supprime l'exigence d'appartenance de l'oeuvre à la succession;
redéfinit le champ d'application de la loi et permet la dation en paiement de droits de mutation par décès d'une personne qui n'est pas habitante du Royaume;
révise la procédure de dation.
· En ce qui concerne les donations d'oeuvres d'art, la proposition :
supprime l'exigence de renommée internationale de l'oeuvre et la remplace par un critère plus adéquat;
revoit les conséquences fiscales de la libéralité pour le donateur;
simplifie la procédure;
permet aux sociétés de bénéficier des conséquences fiscales accordées aux personnes physiques en cas de donation d'oeuvre à l'État.
Articles 2 et 3
Les articles 2 et 3 redéfinissent les oeuvres d'art susceptibles de faire l'objet de dation.
Le terme « oeuvres d'art » doit être largement interprété pour viser notamment les peintures ou sculptures mais également les livres, manuscrits, bijoux, pièces de mobilier etc. On peut référer le concept d'oeuvre d'art aux objets correspondant aux rubriques désignées dans le tarif extérieur commun de l'Union européenne, comme en France.
L'exigence de renommée internationale de l'oeuvre doit être remplacée par une exigence d'appartenance de l'oeuvre au patrimoine mobilier national (4). En effet, certains biens peuvent avoir une valeur incontestable sans pour autant avoir une renommée internationale (5). C'est le cas de biens représentatifs d'un artisanat régional de qualité qui ne sont pas forcément internationalement renommés et d'oeuvres d'artistes belges qui n'ont pas encore acquis une reconnaissance internationale mais qui sont de grande valeur.
Il convient de permettre la dation d'oeuvre qui appartiennent soit au défunt soit aux héritiers et légataires.
L'exclusion actuelle de la dation d'oeuvres n'appartenant pas à la succession pose problème et fait naître des situations curieuses. Prenons l'exemple suivant : un bien appartenant à une personee mariée et qui a des enfants. À son décès, les enfants deviennent nu-propriétaires du bien. Au décès de l'ascendant survivant ceux-ci ne pourront pas acquitter les droits de succession au moyen d'oeuvres d'art faisant partie de la succession du second défunt puisqu'ils sont déjà en partie propriétaires de ces oeuvres d'art, du chef de la succession du prédécédé. Les oeuvres d'art ne font donc pas partie en totalité de la succession du deuxième ascendant décédé.
Au vu de l'objectif de la législation qui est d'enrichir le patrimoine culturel belge, il n'est pas logique de refuser que des héritiers ou légataires fassent dation de leurs propres oeuvres.
Les articles 2 et 3 redéfinissent le champ d'application de la loi.
La proposition permet la dation d'oeuvres d'art pour paiement des droits relatifs à la succession d'une personne n'étant pas habitante du Royaume. La domiciliation de la personne défunte en Belgique n'est pas un élément important pour l'acceptation de la dation ou pour son refus.
Imaginons un citoyen de nationalité belge qui a décidé de s'installer dans un pays voisin à sa retraite. Si cette personne décède, ses héritiers ne pourront pas procéder à une dation en paiement même si les biens proposés en dation sont eux restés en Belgique. Ceci nous semble contestable et au vue de l'objectif, clairement affirmé de la législation rappelons-le enrichir le patrimoine culturel belge. Nous estimons, dès lors que des droits de succession ou de mutation par décès sont dus en Belgique, que la dation en paiement doit être possible. La domiciliation du défunt en Belgique est un élément sans importance : tous les biens susceptibles d'enrichir le patrimoine culturel belge doivent pouvoir être offerts par les héritiers ou légataires pour payer des droits dus en Belgique.
Les articles 2 et 3 réforment la procédure de dation en paiement.
La procédure que doivent suivre les héritiers ou légataires pour procéder à la dation en paiement est extrêmement lourde et doit être revue pour être assouplie.
Il convient de créer une commission spéciale unique chargée de rendre un avis au ministre des Finances sur la recevabilité de la procédure, la valeur de l'oeuvre et son appartenance au patrimoine culturel mobilier national. La proposition supprime le recours à deux commissions distinctes pour que la procédure soit plus rapide.
La commission unique est composée majoritairement de fonctionnaires du ministère des Finances. En effet, la dation en paiement n'est pas sans conséquence sur les finances de l'État. Il faut donc assurer aux représentants du ministre des Finances une majorité au sein de la commission. Mais, à ces fonctionnaires sont associés des experts capables d'appréhender mieux que les membres de l'administration la qualité et la valeur de l'oeuvre.
Il est nécessaire que les héritiers et légataires qui désirent procéder à une dation en paiement soient avertis dès le début de la procédure et avant le dépôt de la déclaration de succession de la valeur à laquelle l'estime le ministre sur avis de la commission.
À l'heure actuelle, les héritiers ou légataires doivent évaluer les oeuvres eux-mêmes au jour du décès et les déclarer. Ensuite, la « commission d'acceptation », dans le cadre de la procédure de dation, évalue à son tour l'oeuvre mais en se basant sur la valeur de celle-ci au jour où elle statue. Quelle que soit la valeur retenue par la commission, les droits de succession sont calculés sur la valeur de la déclaration de succession même si celle-ci est nettement supérieure à la première.
Cette situation est tout à fait négative pour les déclarants : il se peut qu'ils doivent payer des droits de succession très élevés parce qu'ils ont estimé fort généreusement l'oeuvre et que l'État n'accorde à celle-ci qu'une valeur beaucoup moins grande. L'évaluation du ministre, sur avis de la commission, dès avant la déclaration de succession, a le mérite de clarifier la situation sans porter atteinte aux intérêts de l'État.
Articles 4 à 8
Quatre idées sous-tendent les réformes que nous proposons en matière de donations d'oeuvres d'art.
· La redéfinition des oeuvres susceptibles de faire l'objet d'une donation :
L'exigence de renommée internationale de l'oeuvre doit être remplacée par une exigence d'appartenance de l'oeuvre au patrimoine mobilier national. En effet, certains biens peuvent avoir une valeur incontestable sans pour autant avoir une renommée internationale. C'est le cas, par exemple, de biens représentatifs d'un artisanat régional de qualité qui ne sont pas forcément internationalement renommés, ou d'oeuvres d'artistes belges qui n'ont pas encore acquis une renommée internationale, mais qui sont de grande valeur.
· La modification des conséquences fiscales de la libéralité :
Les avantages fiscaux liés aux donations d'oeuvres d'art à l'État présentent, dans le système actuel, des incohérences.
Ainsi, l'actuel article 109 du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit que, suite à la libéralité, les personnes physiques peuvent déduire une somme maximale de soit 10 % de l'ensemble des revenus nets, soit 10 millions de francs. Les deux plafonds sont totalement décalés l'un par rapport à l'autre. À quoi sert d'introduire le 2e plafond de 10 millions, quand le 1er plafond est placé à 10 % de revenus nets ? Le 2e plafond ne peut avoir d'utilité que pour les personnes physiques qui ont des revenus nets supérieurs à 100 millions de francs, ce qui n'est guère fréquent.
Le seul plafond efficient, celui de 10 % des revenus nets, est totalement insatisfaisant et inéquitable. Insatisfaisant parce qu'il limite de façon exagérée les avantages fiscaux que la personne physique peut tirer de sa donation. Inéquitable parce que pour une donation d'un même montant, une personne ayant des revenus nets modiques pourra déduire moins qu'une personne ayant des revenus plus importants.
Pour ces raisons, la proposition supprime ces deux plafonds et donne au Roi le pouvoir de définir un mécanisme de déduction plus adéquat. Un système de modulation des pourcentages déductibles en proportion inverse de l'importance des revenus nets semblerait, par exemple, plus indiqué que le système actuel. On pourrait ainsi définir des tranches de revenus nets et y lier des pourcentages dégressifs de déductions.
Enfin, pour les sociétés, il nous semble logique d'établir un système d'avantages fiscaux semblable à celui des personnes physiques.
· La réforme de la procédure :
La procédure à suivre, pour procéder à la donation d'oeuvres d'art, trop lourde, doit être assouplie. Pour ce faire, la proposition prévoit que la commission spéciale établie dans le cadre des procédures de dation d'oeuvres d'art en paiement des droits de succession soit, ici aussi, chargée de donner un avis au ministre des Finances sur la recevabilité de sa procédure, la valeur de l'oeuvre et son appartenance au patrimoine national.
· La redéfinition du champ d'application personnel :
Les sociétés qui procèdent à des libéralités d'oeuvre d'art en faveur de l'État doivent bénéficier en contrepartie d'avantages fiscaux semblables à ceux accordés aux personnes physiques puisque l'objectif général de cette législation est d'enrichir le patrimoine culturel belge.
Philippe MONFILS. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'article 83-3 du Code des droits de succession, inséré par la loi du 1er août 1985, est remplacé par la disposition suivante :
« Art. 83-3. Tout héritier, légataire ou donataire peut, s'il a sur le plan civil la capacité requise à cet effet, demander d'acquitter tout ou partie des droits dus en vertu d'une succession au moyen de la dation en paiement d'oeuvres d'art qui sont reconnues par le ministre des Finances comme faisant partie du patrimoine culturel mobilier du pays et qui appartiennent au défunt et/ou aux héritiers, légataires ou donataires.
Le paiement de droits de succession par la dation d'oeuvres d'art est subordonné à l'acceptation par le ministre des Finances sur avis de la commission spéciale définie à l'article 83-4. Sur avis de la commission spéciale, le ministre des Finances définit la valeur de l'oeuvre d'art offerte pour la dation en paiement avant que la déclaration de succession ne soit déposée. La valeur de l'oeuvre est déterminée au jour du décès.
Si sur base de cette évaluation, les héritiers, légataires et donataires acceptent de poursuivre la procédure de dation en paiement, la valeur ainsi déterminée lie les héritiers, légataires et donataires ainsi que le receveur en ce qui concerne le traitement de la déclaration de succession et le ministre des Finances pour le déroulement de la procédure de dation.
Les délais prévus aux articles 40 et 41 du présent Code pour remplir la déclaration de succession sont suspendus jusqu'à ce que le ministre ait statué sur la valeur de l'oeuvre.
La preuve que les biens offerts en paiement dépendent de la succession ou appartiennent aux héritiers et légataires peut être faite par toute voie de droit, témoignages et présomptions compris mais à l'exception du serment. »
Art. 3
Un article 83-4, rédigé comme suit, est inséré dans le même Code :
« Art. 83-4. Une commission spéciale est instituée, dont la mission est de rendre un avis au ministre des Finances :
1º sur la recevabilité de l'offre de dation en paiement et l'appartenance de l'oeuvre au patrimoine culturel mobilier au pays et
2º sur la valeur de l'oeuvre offerte en dation en paiement.
La commission spéciale est composée :
1º de huit fonctionnaires du ministère des Finances;
2º de trois membres présentés par les gouvernements de communautés;
3º deux membres présentés par les Musées royaux des Beaux Arts parmi les membres des comités de sections visés aux articles 8 et 9 de l'arrêté du Régent du 15 mai 1949 portant règlement organique des Musées royaux d'art et d'histoire selon la nature de l'oeuvre d'art;
4º de deux membres techniciens choisis par les onze membres visés aux 1º et 2º selon leurs compétences particulières relatives à l'oeuvre d'art à estimer.
Les membres de la commission spéciale sont nommés par le Roi.
Le Roi détermine le mode d'organisation et de fonctionnement de la commission spéciale. »
Art. 4
Dans l'article 104, 5º, b) , du Code des impôts sur les revenus 1992, les mots « qui sont reconnus par le ministre des Finances, comme ayant une renommée internationale » sont remplacés par les mots « dont le ministre des Finances, sur avis de la commission définie à l'article 83-4 du Code des droits de succession reconnaît l'appartenance au patrimoine culturel mobilier du pays ».
Art. 5
L'article 109 du même Code, modifié par la loi du 27 octobre 1997, est remplacé par la disposition suivante :
« Art. 109. Le Roi détermine le montant maximal des libéralités déductibles. »
Art. 6
L'article 111 du même Code est remplacé par la dispositions suivante :
« Art. 111. Le ministre des Finances détermine l'appartenance au patrimoine culturel mobilier du pays et la valeur des oeuvres visées à l'article 104, 5º, b) , avant que le contribuable n'ait consenti à la donation.
La commission définie à l'article 83-4 du Code des droits de succession rend au ministre un avis sur la recevabilité de la donation, la valeur de l'oeuvre offerte et son appartenance au patrimoine culturel mobilier du pays. »
Art. 7
Dans l'article 199 du même Code, modifié par la loi du 26 mars 1999, les mots « et des libéralités faites sous la forme d'oeuvre d'art visées à l'article 104, 5º, b), » sont supprimés.
Art. 8
L'article 200 du même Code est remplacé par la disposition suivante :
« Art. 200. Le Roi détermine le montant maximal des libéralités déductibles. »
Philippe MONFILS. Olivier DE CLIPPELE. Alain DESTEXHE. Alain ZENNER. |
(1) Doc. Sénat, nº 873-1 à 11, session 1984/1985.
(2) Ce qui a obligé la Communauté française à participer à la vente publique pour rapatrier les oeuvres les plus importantes.
(3) P. Verbranck et J. Cauwenberg, « Le paiement de droits de succession au moyen d'oeuvres d'art », RGF, 1987, p. 229.
« Payer les droits de succession au moyen d'oeuvres d'art : oui mais... » Fiscologue
nº 132 du 15 octobre 1985, p. 6.
« Le paiement des droits de succession au moyen d'oeuvres d'art : précisions complémentaires » Fiscologue
nº 136 du 15 décembre 1985, p. 6.
M. Donnay et A. Cuvelier « Droits de succession et de mutation par décès Taxes compensatoires des droits de succession » Répertoire notarial,
tome 15, livre 11, p. 882.
« Paiement des droits de succession au moyen d'oeuvres d'art », Chronique du droit à l'usage du notariat, le volume 9 du 27 octobre 1988, p. 125.
(4) Cette notion doit être comprise comme impliquant une qualité particulière de l'oeuvre, au sens par exemple où l'UNESCO reconnaît l'appartenance de certains monuments ou sites au patrimoine mondial de l'humanité.
(5) Voyez sur ce point le Livre Blanc de la Fondation Roi Baudouin intitulé « Propositions en faveur de la protection du patrimoine mobilier ». La Fondation Roi Baudouin s'y livre à une étude comparative des différentes législations qui fait ressortir les traits contestables du système belge.