1-1241/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1998-1999

25 FÉVRIER 1999


Projet de loi modifiant la loi relative à la police de la circulation routière, coordonnée le 16 mars 1968


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR MME WILLAME-BOONEN


Le projet de loi a été discuté en commission au cours des réunions des 10 et 25 février 1999.


Le président déclare que, bien le projet à l'étude ait été adopté à l'unanimité des 139 votants en séance plénière à la Chambre, vu l'importance du sujet, il a quand même tenu à avoir un échange de vues avec le secrétaire d'État à la Sécurité.

Deux aspects le préoccupent. D'abord, est-ce que toutes les dispositions du projet relèvent des matières visées à l'article 78 de la Constitution ? Deuxièmement, il y a un avis circonstancié du Conseil d'État, qui critique, entre autres, la rédaction du texte néerlandais de l'avant-projet. Dans quelle mesure les remarques du Conseil d'État ont-elles été prises en considération ?

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA SÉCURITÉ, À L'ENVIRONNEMENT ET À L'INTÉGRATION SOCIALE

Le secrétaire d'État estime que le rapport de la commission de la Chambre (doc. Chambre nº 1840/2 - 98/99) rend compte de manière assez circonstanciée de l'essence du projet à l'examen. Par ailleurs, le rapport scientifique annexé à l'exposé des motifs (doc. Chambre nº 1810/1 - 98/99) tient lui aussi une place très importante dans l'argumentation développée.

Le plan en dix points que le gouvernement a approuvé en 1993 en matière de politique de lutte contre la drogue contenait notamment un point relatif à la lutte contre la drogue au volant. On a longtemps sous-estimé ce problème. Plusieurs enquêtes scientifiques ont été réalisées ces dernières années, tant à l'étranger qu'en Belgique. Elles révèlent qu'à côté de la consommation d'alcool, la toxicomanie constitue aussi une cause importante de l'insécurité routière et des accidents de la circulation.

Le secrétaire d'État se réfère à cet égard à l'étude BTTS dans le cadre de laquelle, en 1995 et 1996, pendant un an et demi, plus de deux mille conducteurs accidentés de la route, qui ont été admis au service des urgences de cinq des principaux hôpitaux belges ont été soumis à un dépistage à grand échelle en vue de déceler la présence éventuelle d'alcool et de drogue dans leur organisme. Cette étude a permis de constater que si la consommation d'alcool constituait un problème grave chez les personnes concernées, 10 % des conducteurs accidentés de la route avaient aussi consommé des drogues illégales. Il faut par conséquent se garder de sous-estimer le problème.

Ces dernières années, les services de police ont déjà procédé à un certain nombre de contrôles sélectifs aux abords de mégadancings et le long de certaines routes réputées de la drogue. Ces contrôles ont été confrontés à plusieurs difficultés pratiques.

La formulation de l'article 35 actuel de la loi relative à la circulation routière est si générale qu'il permet en fait de sanctionner tout état de conduite en état d'ébriété, quelle qu'en soit la cause : consommation d'alcool, absorption de certains médicaments, consommation de drogues illégales. Dans certains cas, un conducteur pourra même se voir infliger une interdiction temporaire de conduire. Toutefois, la consommation d'alcool est la seule à faire l'objet d'une procédure objective avec un taux légal à ne pas dépasser de 0,5 pour mille, un appareillage de mesure et de contrôle standardisé, etc.

Il n'existe aucune base légale pour les contrôles, tests et analyses relatifs à d'autres substances, comme les drogues. Dans ces conditions, il était par conséquent difficile d'asseoir juridiquement l'interdiction de conduire. Par ailleurs, aucun test, ou analyse ne pouvait jusqu'à présent être imposé aux conducteurs en présence d'une présomption de consommation de drogue, le contrôle devait toujours se faire sur une base volontaire, ce qui mettait finalement les services de police en position de faiblesse.

Le présent projet vise à répondre à la nécessité impérieuse de créer un cadre juridique en vue de contrôler la présence de drogues illicites dans l'organisme. Par le concept, la procédure et la philosophie, ce projet est fort semblable à la législation existante en matière de contrôle du taux d'alcoolémie au volant.

Il présente néanmoins cinq différences importantes :

1. On peut comparer les contrôles du taux d'alcoolémie à une « fusée à deux étages » et les contrôles de la consommation de drogue à une « fusée à trois étages ». En ce qui concerne l'alcoolémie, le conducteur est invité à ranger son véhicule et à subir le test de l'haleine (procédure de test); il ne devra subir une analyse de l'haleine (ou du sang) que si ce test est positif. Le conducteur n'est passible de poursuites que lorsque les résultats seront positifs dans les deux cas.

En ce qui concerne le contrôle de consommation de drogue, il y a trois phases. Dans un premier temps, les services de police constatent les signes extérieurs au moyen d'une batterie de tests standardisés, selon une méthode objective. Cette procédure constitue le filtre préalable à la procédure de test proprement dite. La deuxième phase consiste en un immunoessai sur un échantillon d'urine. Si ce test est également positif, on imposera une interdiction temporaire de conduire et on procédera à la troisième étape, à savoir l'analyse sanguine. Cette dernière fournira finalement la seule preuve concluante. Ce n'est que si cette analyse s'avère également positive que l'on pourra infliger une peine.

Le but est bien de procéder de manière très sélective, à l'instar de ce qui se fait en pratique pour les contrôles d'alcoolémie. La constatation des signes extérieurs fera partie intégrante du procès-verbal. La procédure standardisée utilisée à cet effet sera fixée par le collège des procureurs généraux. L'arbitraire est donc exclu.

2. La réintégration dans le droit de conduire ne pourra être obtenue, en cas de consommation de drogues et d'alcool que par une décision judiciaire. Cette disposition doit garantir que l'on vérifiera effectivement l'état médical de l'intéressé(e) pour déterminer si il/elle est à nouveau en état de conduire.

3. L'inderdiction temporaire de conduire est de douze heures en cas de consommation de drogue alors qu'elle est de six heures en cas de consommation d'alcool. En effet, la période d'ivresse liée à la consommation de drogue et, partant, l'effet sur le comportement routier, sont plus longs qu'en cas de consommation d'alcool.

4. Les frais afférents aux tests et à l'analyse seront à charge de l'intéressé si le résultat est positif.

5. Suite à l'avis du Conseil d'État, on a mentionné dans le projet de loi lui-même les substances punissables et les taux au-delà desquels on est en infraction. L'avant-projet prévoyait de régler ces questions par arrêté royal. Un comité scientifique a été sollicité à cet effet. En se basant sur les expériences étrangères, on a examiné quelles étaient les substances illégales qui avaient un effet particulièrement néfaste sur la capacité de conduite. Elles ont été inscrites dans le texte de la loi. On a retenu quatre drogues illégales et les sept substances énumérées à l'article 37bis , § 1er , 1º, proposé à l'article 3 du projet. Quant aux taux, ils ont été fixés à partir de la tolérance zéro. Cela implique qu'à partir du moment où, d'un point de vue scientifique, on peut raisonnablement supposer qu'il y a le moindre effet néfaste sur la capacité de conduite et la sécurité routière, le fait est punissable.

Cette tolérance zéro ne signifie pas que les taux soient de zéro pour les substances en question. Un certain seuil analytique minimum est toujours nécessaire pour pouvoir déterminer avec certitude que la substance en question est présente dans le sang ou dans l'urine. Ces taux figurent à l'article 11, c) , du projet et sont empruntés à la législation allemande.

Le projet se limite aux drogues illégales expressément mentionnées dans la loi. Cela signifie qu'il ne contient pas pour le moment de dispositions s'appliquant aux médicaments. L'idée est que, quand des médicaments peuvent influencer négativement la capacité de conduite, il n'y a pas encore lieu de réprimer, mais qu'il faut d'abord agir au niveau des prescripteurs pour les informer et les sensibiliser.

Une deuxième restriction importante consiste à prévoir dans le projet que tant les résultats du test d'urine que ceux de l'analyse sanguine obtenus dans le cadre de la présente loi, ne peuvent être utilisés pour poursuivre les intéressés à raison d'infractions définies par d'autres lois, notamment la consommation ou la détention de drogues. D'autres preuves sont requises à cet effet.

Le Conseil d'État n'a formulé aucune observation sur la qualification (article premier) du projet. Le secrétaire d'État en conclut qu'elle ne pose aucun problème. La commission compétente de la Chambre a formulé des remarques concernant les personnes qui prennent certaines drogues pour des raisons médicales, par exemple contre la douleur ou le cancer. Les spécialistes disent que les patients qui utilisent une pompe à morphine ou suivent des thérapies à la méthadone ne présentent pas les signes extérieurs recherchés dans la première phase du dépistage. Ils ne seront donc normalement jamais soumis à la phase suivante de la procédure. S'il devait toutefois en être ainsi, le projet prévoit la possibilité d'invoquer des raisons médicales pour se soustraire aux tests et analyses. Il suffit pour cela que le docteur contacté fasse une déclaration en ce sens (article 61ter , § 1er , 3º, alinéa 2, proposé à l'article 9).

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

Un membre souhaite obtenir plus de précisions sur les signes extérieurs. Il faut parfois se méfier des apparences. Ensuite, elle demande une explication quant aux abréviations, utilisées à l'article 3 du projet. Est-ce que par exemple l'effet d'un calmant combiné avec de l'alcool peut former une des substances visées ?

Un autre membre s'étonne du fait qu'à l'article 4, à l'article 38, § 4, en projet, l'on stipule que « Le juge doit subordonner... ». Selon le membre, cela n'est pas d'usage. En fait, du point de vue légistique, il suffirait de dire « Le juge subordonne... ». Cette disposition semble assez rigoureuse. De plus, le deuxième alinéa du même paragraphe stipule que « Cette juridiction statue sans appel ». Or, perdre pendant six mois le droit de conduire peut être très grave comme sanction. Cette disposition va à l'encontre des demandes de degrés d'appel qui sont formulées de plus en plus fréquemment. N'y a-t-il pas un appel que l'on puisse envisager ?

En ce qui concerne la question du premier membre, le secrétaire d'État renvoie au rapport scientifique reproduit dans le doc. Chambre, nº 1840-1, 98/99, pp. 26 à 135. Les annexes 2 et 3 donnent une description circonstanciée des signes extérieurs de présomption d'influence d'une des substances sur la capacité de conduite. Le but est d'en arriver à ce qui est déjà d'application aux États-Unies, au Canada, etc., à savoir à une batterie de tests standardisés qui sera imposée chez nous par le collège des procureurs généraux obligeant ainsi les agents qualifiés qui seront chargés de procéder aux contrôles sélectifs en matière de consommation de drogue, à s'y tenir et à la parcourir de manière systématique. Ces signes ont fait l'objet de tests à grande échelle ces dernières années et la recherche scientifique a établi leur fiabilité. Ils ne servent cependant qu'à faire une première sélection et un premier filtrage. Le procès-verbal devra mentionner les résultats des signes extérieurs de la procédure.

Le secrétaire d'État fait remarquer que les substances prohibées, énumérées aux articles 3, 9 et 11 du projet, sont des substances actives de drogues illégales et non de calmants ou d'antidépresseurs. Il s'agit de substances actives de l'héroïne et de la morphine, du cannabis, des amphétamines et de la cocaïne. Pour ce qui est de la terminologie et des définitions de ces substances, le secrétaire d'État renvoie au document de la Chambre, nº 1840-1, 98/99, pp. 65-66 et 121-122. Cette liste mentionne aussi les substances les plus utilisées actuellement comme « designer -amphétamine ».

En ce qui concerne les dispositions de l'article 4, le secrétaire d'Etat souligne que la procédure proposée est strictement identique à celle prévue actuellement à l'article 44 de la loi relative à la police de la circulation routière concernant la déchéance pour incapacité physique. Le texte de l'avant-projet était différent, mais on a finalement opté pour formulation suite à l'avis du Conseil d'Etat.

En ce qui concerne la déchéance prononcée pour incapacité physique également, la loi actuelle prévoit déjà qu'il n'y a aucune possibilité d'appel. La raison en est qu'il s'agit d'une déchéance de courte durée pour raisons médicales, devant permettre d'éliminer effectivement l'effet néfaste sur le comportement routier. Une procédure d'appel qui viendrait trois ou quatre mois n'aurait évidemment aucun sens en l'occurrence. Il s'agit d'une sorte de mesure conservatoire, qui existe du reste depuis longtemps déjà.

Une différence a cependant été introduite volontairement dans la procédure : avant de prononcer la réintégration dans le droit de conduite, le juge doit demander un rapport médical. Il n'en va pas de même pour la réintegration du droit de conduite suite à une déchéance prononcée pour cause d'incapacité physique; dans ce cas le juge est libre de rétablir ou de ne pas rétablir le droit.

Le membre estime que le tableau avec les signes extérieurs repris dans l'annexe 2 du rapport scientifique (doc. Chambre, nº 1840-1, 98/99) ne comporte aucune graduation de mesure. Par contre, l'annexe 1, qui contient le formulaire type pour noter les constatations en Allemagne, prévoit des mesures de degré. Ce dernier lui paraît meilleur.

Le secrétaire d'État souligne que l'annexe 2 précitée ne sera pas le formulaire utilisé en Belgique. Elle se borne à énumérer les éléments qui seront soumis au collège des procureurs généraux. C'est ce collège qui gérera finalement la sélection, sur proposition de la gendarmerie, et le formulaire sera standardisé, comme il l'est en Allemagnee, avec des gradations et des subdivisions.

Un autre membre pense que quelqu'un qui a bu trop d'alcool pour pouvoir encore conduire, va automatiquement montrer les signes extérieurs indiqués.

Le secrétaire d'État répond qu'en pratique, l'agent contrôleur dispose de moyens informels (notamment l'odeur) pour déceler s'il s'agit plutôt d'une consommation abusive d'alcool. S'il a la conviction que c'est cela qui est en cause, il procédera au contrôle normal en deux étapes, prévu pour l'alcool. Le projet ne modifie rien à cet égard.

III. DISCUSSION DES AMENDEMENTS ET VOTE

La commission constate qu'aucun amendement n'a été introduit.

L'ensemble du projet est adopté à l'unanimité (8 voix).

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

La rapporteuse,
Magdeleine WILLAME-BOONEN.
Le président,
Paul HATRY.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES


Voir le doc. nº 1-1241/3