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23 DÉCEMBRE 1998
La proposition de loi qui vous est soumise a pour objet d'introduire en droit belge le principe de la responsabilité pénale des personnes morales. La proposition contient trois types de dispositions dans cette perspective. Tout d'abord, une première disposition énonce le principe (article 2 de la proposition). Ensuite, plusieurs dispositions prévoient les peines spécifiques qui s'appliqueront à l'égard des personnes morales et adaptent les règles relatives à la mesure de la peine au cas spécifique des personnes morales. Enfin, plusieurs dispositions prévoient les adaptations qui s'imposent en ce qui concerne le déroulement de la procédure pénale à l'égard d'une personne morale soupçonnée d'avoir commis une infraction.
L'article 2 inscrit en droit belge le principe de la responsabilité pénale des personnes morales. La philosophie qui a été suivie dans ce contexte consiste à assimiler, dans la plus large mesure possible, les personnes morales aux personnes physiques.
À la lumière des remarques générales formulées par le Conseil d'État sur l'avant-projet du gouvernement, il est important de souligner que les rédacteurs de la présente proposition conçoivent la personne morale comme une réalité sociale qui peut commettre une faute pénale propre et doit donc aussi pouvoir être tenue responsable sur le plan pénal. Contrairement à l'approche qui semble être à la base de l'avis du Conseil d'État, il n'est donc pas recouru au modèle-fiction, modèle selon lequel la personne morale est purement considérée comme une collectivité de personnes physiques individuelles. C'est aussi la raison pour laquelle la responsabilité pénale de la personne morale n'a pas été considérée, dans la présente proposition, comme une responsabilité dérivée qui ne pourrait donner lieu à des poursuites et à une condamnation qu'en cas de preuve de la commission d'une infraction par une personne physique individualisée au sein de la personne morale, dont le comportement peut être imputé à la personne morale.
Il s'ensuit que la distinction invoquée par le Conseil d'État entre l'imputation légale et matérielle des infractions à leur auteur n'est pas pertinente. Il doit néanmoins être clair qu'une condamnation pénale d'une personne morale pour une infraction doit toujours être fondée sur la présence simultanée des éléments matériel et intentionnel de l'infraction. La façon dont cette imputation est opérée pour les éléments matériel et intentionnel est précisée respectivement sous les points 1.2. et 1.3.
Les observations du Conseil d'État relatives à la violation du principe de légalité ne peuvent pas être davantage suivies. En ce qui concerne la définition légale des comportements punissables, la proposition est claire : la personne morale peut, en principe, commettre toutes les infractions et celles-ci sont cela va de soi déterminées par la loi. En ce qui concerne les peines applicables aux personnes morales, celles-ci sont précisément prévues par la présente proposition. Dans la mesure où le Conseil d'État est d'avis que la façon d'imputer devrait être définie légalement, celle-ci ne doit pas être rattachée au principe de légalité à comparer d'ailleurs avec la problématique de l'imputation de la faute à une personne physique, qui n'est pas non plus réglée par la loi , mais au principe du caractère personnel du droit pénal. Comme cela a déjà été indiqué ci-dessus, le caractère innovant de cette proposition réside justement dans le choix d'un modèle dans lequel la personne morale en soi est considérée comme une entité responsable pénalement.
1.1. Les catégories de personnes couvertes
Le champ d'application de cette responsabilité en ce qui concerne les personnes est tout à fait général et couvre les personnes morales de droit public comme de droit privé et les sociétés commerciales comme les associations. Une exception est toutefois faite pour certaines personnes morales de droit public qui disposent d'un organe directement élu selon des règles démocratiques. En ce qui concerne les CPAS, certains disposent d'un tel organe, d'autres non. Il est par conséquent souhaitable d'exclure tous les CPAS du champ d'application.
Il n'est pas explicité que le changement de forme de la personne morale (par fusion, scission, absorption ou changement de forme juridique) n'a en tant que tel pas d'influence sur la responsabilité. Cela découle cependant automatiquement des règles du droit des sociétés.
La responsabilité est étendue aux entités qui ne possèdent pas la personnalité juridique (ni par conséquent de patrimoine propre). Il s'agit en particulier des associations momentanées et des associations en participation, des sociétés sans personnalité juridique visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales c'est-à-dire les sociétés à objet commercial qui n'ont pas déposé leurs actes conformément à l'article 10, alinéa ler , de la même loi des sociétés, en formation et des sociétés civiles.
La raison de l'extension de la responsabilité pénale aux entités précitées consiste justement à éviter une discrimination. Il ne serait en effet pas acceptable que les infractions donnent lieu à des poursuites différentes, lorsqu'elles sont commises par une même entité économique, selon que cette entité a formellement adopté ou non la forme de la personnalité juridique. Sans cette assimilation, des personnes morales qui forment une entité économique identique, pourraient être poursuivies comme des entités sans personnalité juridique pour les mêmes infractions sur la base de leur propre responsabilité pénale, tandis que pour ces autres entités, la responsabilité pénale individuelle des personnes physiques doit être établie. Cette assimilation est par conséquent fondée sur la même philosophie de base déjà exposée ci-dessus. La présente proposition limite cependant cette assimilation aux entités ayant des activités essentiellement économiques, parce que cette problématique est moins pertinente pour d'autres groupements dans la société.
1.2. Les comportements qui donnent lieu à la responsabilité
En ce qui concerne les comportements qui donnent lieu à la responsabilité de la personne morale, la proposition prévoit que la personne morale est pénalement responsable pour tout type d'infraction, à la condition que celle-ci ait été commise en vue de la réalisation de l'objet de la personne morale, en vue de promouvoir son intérêt ou pour son compte.
On a préféré cette formulation plus précise à celle, plus large, adoptée par le Conseil de l'Europe dans sa recommandation 1988/18, qui vise tous les faits accomplis à l'occasion de l'exercice des activités de la personne morale. En effet, on estime que la responsabilité pénale de la personne morale ne doit être engagée que quand il existe un lien intrinsèque entre le fait infractionnel et la personne morale en tant que telle. Il ne paraît par contre pas approprié de rendre la personne morale pénalement responsable de faits commis par des personnes ayant un lien avec elle (employés, administrateurs,...), quand celles-ci n'auraient fait que profiter du cadre juridique ou matériel de la personne morale pour commettre des infractions dans leur propre intérêt ou pour leur compte. Il ne s'agit pas d'instaurer une responsabilité objective de la personne morale pour tout fait quelconque commis en son sein. Ce point sera développé au point 1.3 à propos de l'élément intentionnel requis de la personne morale.
À l'inverse, on a estimé ne pas devoir préciser les personnes physiques ou les organes par lesquels la responsabilité pénale de la personne morale pourrait être engagée. En effet, cette indication aurait pour conséquence une limitation de la responsabilité qui ne se justifie pas, dans la mesure où elle imposerait une double imputation des faits, à savoir à la personne morale et à des personnes physiques déterminées. En outre, dans l'hypothèse où l'intervention des organes serait requise pour engager la responsabilité de la personne morale, toute responsabilité pourrait être éludée par le simple fait pour l'organe de ne pas acter les décisions qui auraient un caractère illicite.
À titre d'exemple, le principe de la responsabilité pénale des personnes morales a été introduit dans le code pénal francais par une loi du 22 juillet 1992, qui prévoit que « les personnes morales sont responsables pénalement (...) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. » Par contre, aux Pays-Bas, le code se limite à prévoir, dans son article 51, inséré par la loi du 23 juin 1976, que « les faits punissables peuvent être commis par des personnes physiques ou morales ». Dans ce dernier cas, « si le fait punissable est commis par une personne morale, la poursuite pénale peut être engagée et les peines ou mesures prononcées, soit à l'encontre de la personne morale, soit à l'encontre des commanditaires de l'infraction et de ceux qui ont conduit en fait à la réalisation de l'infraction, soit contre ces deux catégories de personnes en même temps ». Le principe contenu dans la présente proposition constitue un juste milieu entre ces deux approches et la solution la plus large si on veut éviter de tomber dans le travers de l'instauration d'une responsabilité objective.
1.3. L'élément intentionnel dans le chef de la personne morale
Le projet de loi n'explicite pas le mode d'imputation des faits à la personne morale. Il a été considéré qu'il s'agit d'une question de fait qui doit être laissée à l'appréciation du juge.
Cela étant, il doit être clair que le projet ne vise pas à instaurer une responsabilité objective dans le chef de la personne morale. Le principe général du droit pénal selon lequel l'élément intentionnel est un élément constitutif de tout crime et de tout délit s'applique également à la personne morale. Il va de soi cependant que cet élément intentionnel devra être apprécié en tenant compte des caractéristiques propres que présente une personne morale. Il devra être établi soit que la réalisation de l'infraction découle d'une décision intentionnelle prise au sein de la personne morale, soit qu'elle résulte, par un lien de causalité déterminé, d'une négligence au sein de la personne morale. On vise par exemple l'hypothèse où une organisation interne déficiente de la personne morale, des mesures de sécurité insuffisantes ou des restrictions budgétaires déraisonnables ont créé les conditions qui ont permis la réalisation de l'infraction.
Inscrire dans la loi la façon dont l'imputation de l'élément intentionnel doit être faite, comme le suggère le Conseil d'État, ne cadre pas dans la logique du projet de loi (voir plus haut). Afin d'apprécier la réalisation et la manifestation de l'élément fautif dans le chef de la personne morale, le juge se basera cependant sur l'attitude des organes au sein de la personne morale, y compromis les organes de fait, qui ne peuvent pas nécessairement être identifiés comme des personnes physiques. L'intention n'est pas de limiter la responsabilité pénale de la personne morale aux infractions commises par ses organes légaux ou statutaires. La responsabilité pénale de la personne morale peut aussi être la conséquence de faits matériels commis par certains de ses préposés ou mandataires. Elles doivent alors au moins avoir eu connaissance de l'intention de commettre l'infraction et y avoir consenti ou bien avoir incité elles-mêmes à la commission de l'infraction. Dans le cas d'infractions non intentionnelles, il devra être démontré qu'elles ont eu connaissance du risque de réalisation de l'infraction et ont négligé de prendre les mesures pour éviter celle-ci. Si la loi requiert un dol général ou spécial comme élément constitutif, il sera nécessaire d'établir que celui-ci est également présent dans le chef des instances dirigeantes.
1.4. Le concours des responsabilités pénales des personnes morales et des personnes physiques
En outre, la proposition règle la relation entre la responsabilité pénale de la personne morale et celle des personnes physiques pour les mêmes faits. Cette question ne peut évidemment surgir que dans le cas où une personne physique peut être identifiée comme auteur de l'infraction. Le principe retenu est celui de l'exclusion du cumul des responsabilités, sauf dans le cas où il peut être établi que l'infraction peut être imputée personnellement à une personne physique, qui aurait agi de manière intentionnelle. Contrairement à ce que le Conseil d'État semble affirmer dans son avis, l'exclusion du cumul des responsabilités ne concerne que les délits commis avec la négligence comme élément intentionnel. Le point de départ est par conséquent la qualification légale de l'infraction.
La proposition entend ainsi revenir sur une certaine jurisprudence audacieuse dans l'imputation d'infractions aux personnes dirigeantes au sein de personnes morales en considérant que la preuve de l'infraction était présente sur la base de manquements de ces personnes, dans des cas où l'incrimination requiert clairement l'intention, ou même en arrivant à une responsabilité pénale quasi objective, seulement sur la base de la position de la personne concernée au sein de la personne morale.
Néanmoins, la proposition ne peut être interprétée comme donnant carte blanche aux personnes qui adoptent des comportements punissables dans le cadre d'une personne morale. Comme cela a été ditplus haut, la personne morale et la personne physique peuvent être poursuivies et condamnées ensemble comme coauteurs en cas de dol. Si l'élément moral chez la personne physique est la négligence ce qui sera souvent le cas dans le droit pénal spécial où beaucoup d'incriminations ne requièrent pas le dol , il appartiendra au juge de vérifier au cas par cas laquelle de la responsabilité de la personne morale ou de la personne physique est déterminante. Ainsi on évite que soit la personne morale, soit la personne physique puisse évaluer le risque pénal à priori. Contrairement à ce que le Conseil d'État affirme, l'évaluation mentionnée ne concerne aucunement la question de savoir si le comportement est légalement punissable ou non, ni la question de savoir quelles peines peuvent être infligées, ni la question de savoir si et de quelle manière l'action publique peut être exercée. Il s'agit ici d'une exception légale aux dispositions relatives à la participation criminelle qui autrement obligeraient le juge à condamner dans tous les cas à la fois la personne physique et la personne morale, lorsque les éléments matériel et intentionnel de l'infraction ont été établis à leur charge.
Relativement à la remarque du Conseil d'État concernant le sort des mécanismes de sanctions directes et indirectes qui, dans le passé, étaient utilisés pour remédier en partie à l'absence d'une responsabilité pénale propre des personnes morales, et notamment les sanctions administratives, il faut avant tout faire remarquer que l'existence et la multiplication des réglementations constituent une raison supplémentaire de la nécessité de la proposition de loi. L'instauration d'une responsabilité pénale à part entière pour les personnes morales sera cependant une occasion d'examiner, dans les divers domaines où des réglementations alternatives ont été créées, où il est indiqué que celles-ci soient supprimées.
2.1. La peine principale
La constatation de base qui s'impose en ce qui concerne la détermination de la sanction est que la première peine principale applicable aux personnes physiques, qui est la peine privative de liberté, n'est ni applicable ni transposable comme telle aux personnes morales. On a donc opté pour l'amende comme peine principale commune à toutes les infractions commises par les personnes morales.
Dans ce contexte, le point de départ pour la détermination de l'échelle légale des peines d'amende applicables aux personnes morales a été de maintenir le parallélisme le plus étroit possible avec les peines qui peuvent être appliquées à des personnes physiques pour les mêmes faits.
Un tel parallélisme implique l'existence d'un mécanisme de conversion entre les peines privatives de liberté prévues à l'encontre des personnes physiques et les peines d'amende applicables aux personnes morales. Un tel mécanisme ne peut toutefois être purement automatique, mais doit tenir compte de la multiplicité des choix faits par le législateur en matière de sanction. Il doit prendre en considération en particulier le fait que certaines infractions sont sanctionnées uniquement par une peine privative de liberté, d'autres par une peine privative de liberté et une amende, d'autres enfin uniquement par une amende. Il doit tenir compte également du fait que le niveau des amendes prévues varie fortement d'un domaine du droit pénal à l'autre.
Le principe général qui a été suivi dans la détermination de ce mécanisme de conversion est que des personnes physiques ne peuvent en aucun cas être punies plus sévèrement que des personnes morales.
Ces considérations ont mené à distinguer trois hypothèses. Tout d'abord, pour les crimes et délits punissables actuellement d'une peine privative de liberté et d'une amende, un mécanisme de conversion s'appliquera : le minimum sera forfaitaire par catégorie d'infraction (crime ou délit), sauf si ce forfait est inférieur au minimum d'amende prévu par la loi pour le fait, auquel cas ce dernier minimum vaudra également à l'égard de la personne morale; le maximum sera déterminé par rapport à la durée de la peine privative de liberté, sans pouvoir être inférieur au double de l'amende prévue par la loi pour le fait. Ensuite, pour les faits punis uniquement d'une amende par la loi, celle-ci s'appliquera également aux personnes morales, sans modification. Enfin, en matière de contravention, une fourchette d'amende applicable à toutes les contraventions est fixée.
Un problème particulier se pose pour la détermination de l'amende quand la peine prévue par la loi pour le fait est une peine de privation de liberté à perpétuité. La conversion a été faite sur la base d'une privation de liberté présumée effective pendant 20 à 60 ans, en tenant compte des possibilités d'une libération conditionnelle éventuelle. Il était nécessaire de tenir compte de cette éventualité ab initio parce que, par le paiement d'une amende, la peine est entièrement et immédiatement subie, tandis qu'une peine de prison n'est seulement subie que dans la mesure où le temps s'écoule jusqu'à une éventuelle libération conditionnelle.
Partant d'un souci de garder un parallélisme maximal entre les peines prévues pour les personnes morales et les personnes physiques, les dispositions du livre Ier sont rendues applicables aux personnes morales. Contrairement à ce que le Conseil d'État propose, il n'est pas nécessaire de préciser quelles dispositions du livre Ier seront applicables, le but étant justement qu'en principe toutes les dispositions du livre Ier qui sont pertinantes pour la détermination de la peine puissent être applicables.
2.2. Les peines accessoires
De la même manière que pour la peine principale, certaines peines accessoires prévues par le Code pénal sont spécifiques aux personnes physiques et sont difficilement transposables aux personnes morales. Il en va ainsi notamment de l'interdiction de certains droits civils et politiques (articles 31 à 34 du Code pénal), de même que de la destitution des titres, grades, fonctions, emplois et offices publics (article 19 du Code pénal).
Par contre, la confiscation spéciale prévue par les articles 42 à 43bis du Code pénal est quant à elle directement applicable, sans adaptation de la loi, aux personnes morales. Une telle peine sera particulièrement appropriée pour sanctionner des personnes morales, en particulier la confiscation des choses qui ont été produites par l'infraction et des avantages patrimoniaux tirés d'infractions (article 42, 3º), qui les privera des bénéfices qu'elles auraient faits directement ou indirectement par le moyen de l'infraction. Comme le Conseil d'État l'observe, ceci répond au souci traduit par la Recommandation 1988/18 du Conseil de l'Europe de tenir compte, en infligeant des sanctions de nature financière, de l'avantage que la personne morale a tiré de ses activités illégales.
La proposition de loi prévoit pour les personnes morales, la possibilité pour le juge d'assortir la condamnation pour un crime ou pour un délit, dans les cas prévus par la loi, de la sanction de la publication ou de la diffusion de la décision.
La proposition prévoit en outre trois nouvelles peines spécifiques pour les personnes morales : la dissolution, l'interdiction d'exercer une activité relevant de l'objet social et la fermeture d'un ou plusieurs établissements. Il s'agit de peines qui, si elles sont accessoires par rapport à la peine principale d'amende, peuvent être d'une grande sévérité. Elles ne pourront par conséquent pas être prononcées par le juge dans tous les cas.
La dissolution qui constitue la « mort » de la personne morale ne pourra être prononcée que s'il est établi que la personne morale a été volontairement, à titre principal, créée dans le but de commettre les crimes ou délits sur lesquels porte la condamnation ou détournée de son objet dans ce but. Seules les personnes morales qui se sont placées dans l'illégalité dès leur création pourront donc être dissoutes en vertu de cette disposition. La proposition du Conseil d'État a été reprise.
L'interdiction d'exercer une activité relevant de l'objet social et la fermeture d'un ou plusieurs établissements ne pourront être prononcées que pour les crimes et délits spécifiques prévus par le législateur particulier. Les modalités spécifiques devront être prévues à cette occasion.
En ce qui concerne l'interdiction d'exercer une activité qui relève de l'objet social, le Conseil d'État ne peut être suivi dans sa proposition. Le texte projeté stipule en effet clairement qu'une activité déterminée est visée (ce seront normalement les activités à l'occasion ou dans le cadre desquelles l'infraction pour laquelle la personne morale a été condamnée, a été commise) et non la recherche de la réalisation de l'objet social en tant que telle. Il n'est dès lors pas utile de renvoyer dans le texte de la loi à une catégorie spécifique d'activités, comme le préconise le Conseil d'État.
2.3. Adaptation des règles relatives au taux de la peine
La proposition de loi adapte un certain nombre de principes du droit pénal général, pour tenir compte du fait que la peine principale à l'égard de la personne morale est une amende, distincte de celle prévue pour les personnes physiques, dont le montant est calculé à partir d'un mécanisme de conversion spécifique. L'objectif poursuivi par cette adaptation est ici aussi de garantir le parallélisme le plus étroit possible avec les peines qui peuvent être appliquées à des personnes physiques pour les mêmes faits.
À côté des modifications qu'il faut apporter au droit matériel pour tenir compte des spécificités liées aux personnes morales, il convient également de prévoir certains aménagements du droit de la procédure pénale dans le même but. La proposition contient quatre types de dispositions dans cette perspective, qui concernent la représentation en justice de la personne morale poursuivie pénalement, la compétence territoriale des juridictions à l'égard de la personne morale, les mesures provisoires à l'encontre de la personne morale et, enfin, l'inscription de la condamnation au registre du greffe du tribunal.
Article 2
Cet article contient le principe de la responsabilité pénale des personnes morales. Sa portée a été précisée dans la partie générale des développements. Dans la mesure où cette disposition contient un principe fondamental concernant le champ d'application du droit pénal, il a paru approprié de l'introduire dans le premier chapitre du livre premier du Code pénal, intitulé « Des infractions », qui contient les principes de base relatifs aux infractions et à la culpabilité de leurs auteurs.
Article 3
Cette disposition vise à adapter l'article 7 du Code pénal, qui détermine les peines, pour tenir compte de l'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales.
Article 4
Cet article insère un article 7bis dans le Code pénal, qui prévoit les peines applicables aux personnes morales.
En ce qui concerne la confiscation de l'objet ou de l'instrument de l'infraction, une limitation a été prévue : en ce qui concerne les personnes morales de droit public, cette peine ne peut concerner que les biens qui peuvent faire l'objet d'une saisie civile. Comme le Conseil d'État le fait remarquer à juste titre, il n'est pas nécessaire, dans le texte de loi, de renvoyer à une exception pour des activités qui relèvent d'une mission d'un service public. Par la limitation à des biens susceptibles de saisie civile, les règles de l'article 1412bis du Code judiciaire sont donc applicables.
Pour les peines qui sont spécifiquement applicables aux personnes morales, on renvoie à ce qui est dit dans la partie générale des développements.
Articles 5 à 9
Ces dispositions règlent le régime spécifique de l'amende à l'égard de la personne morale, les modalités des nouvelles peines et contiennent aussi un certain nombre d'adaptations légistiques. Les principes de ces dispositions ont déjà été exposés plus haut.
Article 10
Cet article modifie l'article 86 du Code pénal. Contrairement à la règle qui existe en cas de décès de la personne naturelle condamnée, il est prévu que la perte de la personnalité juridique ne fait pas disparaître la peine. De cette manière, on évite que la personne morale ne puisse se soustraire à l'exécution de la condamnation en décidant sa dissolution ou en adoptant une autre forme juridique.
Article 11
L'article 11 de la proposition règle un aspect de la représentation de la personne morale. En principe, le droit commun est applicable. Si cependant le représentant de la personne morale désigné par la loi est lui-même personnellement mis en cause pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, la proposition prévoit que le tribunal désigne un mandataire judiciaire. Cette solution est la même que celle adoptée par le législateur français.
Article 12
Cet article prévoit que, par analogie avec l'hypothèse du décès de la personne physique, la procédure prend fin par la clôture de la liquidation ou la dissolution judiciaire ou par la dissolution sans liquidation, lorsqu'il s'agit d'une personne morale. Pour éviter des abus, il a néanmoins été prévu que la procédure peut encore être engagée dans l'hypothèse où la mise en liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation a eu pour but d'échapper aux poursuites, ou si la personne morale a été inculpée par le juge d'instruction conformément à l'article 61bis du Code d'instruction criminelle avant la perte de la personnalité juridique.
Articles 13 et 14
Les articles 13 et 14 ajoutent, à côté des critères de compétence territoriale existant à l'égard des personnes physiques (lieu de l'infraction, domicile de l'inculpé ou lieu où il peut être trouvé), deux nouveaux critères de compétence :
le siège social de la personne morale (critère juridique);
le siège d'exploitation de la personne morale (critère factuel).
Article 15
Cet article instaure la possibilité pour le juge d'instruction de prendre un certain nombre de mesures provisoires à l'égard des personnes morales. L'objectif de ces mesures est de sauvegarder l'effectivité de la procédure dans laquelle la personne morale est inculpée. Une personne morale dispose en effet, à la différence d'une personne physique, de plus de possibilités pour faire contrarier ou éviter la poursuite pénale. C'est la raison pour laquelle les mesures provisoires suivantes sont prévues :
la suspension de toute procédure de dissolution ou de liquidation de la personne morale; de cette manière, il est possible d'éviter que la personne qui fait l'objet de la procédure puisse « disparaître » juridiquement;
l'interdiction de transactions patrimoniales spécifiques susceptibles d'entraîner l'insolvabilité de la personne morale; de cette manière, il est possible d'éviter que l'exécution de sanctions de caractère patrimonial ne devienne pratiquement sans objet;
le dépôt d'un cautionnement dont le juge fixe le montant, qui est destiné à garantir le respect des mesures qu'il ordonne.
Vu l'impact qu'un certain nombre de ces mesures peuvent avoir sur le fonctionnement normal de la personne morale, le juge d'instruction peut seulement ordonner de telles mesures s'il est satisfait aux conditions cumulatives suivantes :
une instruction doit avoir été ouverte;
il doit y avoir des indices sérieux de culpabilité constatés dans le chef de la personne morale (parallèlement aux conditions de la détention préventive pour les personnes physiques);
des circonstances particulières doivent rendre la mesure nécessaire.
Le Conseil d'État s'est posé la question de savoir s'il ne convient pas de préciser que le référé pénal est applicable sur la base des articles 28sexies et 61quater du Code d'instruction criminelle dans le cadre des mesures provisoires, maintenant que ces dernières ne sont pas des actes d'enquête ou d'instruction au sens strict. Il faut dire, à cet égard qu'il est déjà maintenant possible d'effectuer une saisie en vue de la confiscation spéciale (art. 35 CIC avec l'art. 42 CIC). Ces mesures de saisie ne sont pas non plus des actes d'enquête ou d'instruction au sens strict dans le sens de « destiné à la manifestation de la vérité » et entrent cependant dans le champ d'application des art. 28sexies et 61 quater du CIC. On rencontre ici une situation analogue et il est clair que les articles 28sexies et 61 quater du CIC sont d'application dans le cadre des mesures provisoires visées dans la proposition.
Articles 16 et 17
Les articles 16 et 17 de la proposition concernent des adaptations techniques des dispositions relatives à la tenue aux greffes, d'un registre particulier à certains condamnés. De cette manière, il est tenu compte des caractéristiques particulières de la personne morale.
Hugo VANDENBERGHE. |
CHAPITRE Ier
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Article 2
L'article 5 du Code pénal, abrogé par l'article 2 de la loi du 28 juillet 1934, est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 5. Toute personne morale est pénalement responsable des infractions commises en vue de réaliser de son objet, de promouvoir son intérêt ou pour son compte.
Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, la personne physique et la personne morale ne pourront être condamnées pour les mêmes faits, sauf en cas de faute personnelle commise sciemment et volontairement par la personne physique.
Sont assimilées à des personnes morales :
1º les associations momentanées et les associations en participation;
2º les sociétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation;
3º les sociétés civiles qui n'ont pas pris la forme d'une société commerciale.
Ne sont pas considérées comme personnes morales pour l'application du présent article : l'État fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l'Agglomération bruxelloise, les communes, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la commission communautaire commune et les centres public d'aide sociale. »
Article 3
À l'article 7 du même code, les mots « commises par des personnes physiques » sont insérés entre les mots « infractions » et « sont ».
Article 4
Il est inséré dans le même code un article 7bis , rédigé comme suit :
« Art. 7bis. Les peines applicables aux infractions commises par les personnes morales sont :
En matière criminelle, correctionnelle et de police :
1º l'amende;
2º la confiscation spéciale; la confiscation spéciale prévue à l'article 42, 1º, du présent Code, prononcée à l'égard des personnes morales de droit public, ne peut porter que sur des biens civilement saisissables;
en matière criminelle et correctionnelle :
1º la dissolution;
2º l'interdiction d'exercer une activité relevant de l'objet social, à l'exception des activités qui relèvent d'une mission de service public;
3º la fermeture d'un ou plusieurs établissements, à l'exception d'établissements où sont exercées des activités qui relèvent d'une mission de service public;
4º la publication ou la diffusion de la décision.
La dissolution ne peut être prononcée à l'égard de personnes morales de droit public. »
Article 5
Il est inséré dans la section V, livre 1er , chapitre II, du même code une sous-section I, comprenant les articles 31 à 34, intitulée comme suit :
« Sous-section I Des peines communes aux crimes et aux délits applicables aux personnes physiques »
Article 6
Il est inséré dans la section V, livre 1er , chapitre II, du même Code une sous-section II, comprenant les articles 35 à 37bis , rédigée comme suit :
« Sous-section II Des peines communes aux crimes et aux délits applicables aux personnes morales
Art. 35. La dissolution peut être décidée par le juge lorsque la personne morale a été intentionnellement créée afin d'exercer les activités punissables pour lesquelles elle est condamnée ou lorsque son objet a été intentionnellement détourné afin d'exercer de telles activités.
Lorsqu'il décide la dissolution, le juge renvoie la cause devant la juridiction compétente pour connaître de la liquidation de la personne morale.
Art. 36. L'interdiction d'exercer une activité relevant de l'objet social de la personne morale pourra être prononcée par le juge dans les cas prévus par la loi.
Art. 37. La fermeture d'un ou plusieurs établissements de la personne morale pourra être prononcée par le juge dans les cas prévus par la loi.
Art. 37bis. La publication ou la diffusion de la décision aux frais du condamné pourra être prononcée par le juge dans les cas déterminés par la loi. »
Article 7
Il est inséré dans la section VI, livre 1er , chapitre II, du même code une sous-section I, comprenant les articles 38 à 41, intitulée comme suit :
« Sous-section I De l'amende applicable aux personnes physiques »
Article 8
Il est inséré dans la section VI, livre 1er , chapitre II, du même Code une sous-section II comprenant un article 41bis , rédigée comme suit :
« Sous-section II- De l'amende applicable aux personnes morales
Art. 41bis . § 1. Les amendes applicables aux infractions commises par les personnes morales sont :
En matière criminelle et correctionnelle :
lorsque la peine prévue par la loi pour le fait est une peine privative de liberté et une amende ou l'une de ces peines, une amende dont le minimum sera d'autant de fois 500 francs que le nombre de mois du minimum de la peine privative de liberté, sans pouvoir être inférieur au minimum de l'amende prévu par la loi pour le fait, et dont le maximum sera d'autant de fois 2000 francs que le nombre de mois du maximum de la peine privative de liberté, celui-ci ne pouvant toutefois être inférieur au double du maximum de l'amende prévu par la loi pour le fait;
lorsque la peine prévue par la loi pour le fait est une peine privative de liberté à perpétuité, une amende de 240 000 à 720 000 francs;
lorsque la peine prévue par la loi pour le fait est seulement l'amende, une amende dont le minimum et le maximum sont ceux prévus par la loi pour le fait.
En matière de police :
une amende de 25 à 250 francs.
§ 2. Pour la détermination de la peine en vertu de dispositions du livre Ier de ce Code, la disposition du § 1er de cet article est applicable. »
Article 9
Il est inséré dans la section VI, livre 1er , chapitre II, du même code, une sous-section III, comprenant les articles 42 à 43ter , intitulée comme suit :
« Sous-section III De la confiscation spéciale »
Article 10
L'article 86 du même Code est complété comme suit :
« La perte de la personnalité juridique de la personne morale condamnée n'éteint pas la peine. »
Article 11
Il est inséré un article 2bis , rédigé comme suit, dans le titre préliminaire du Code d'instruction criminelle :
Art. 2bis. Pour l'exercice de l'action publique à l'encontre d'une personne morale, lorsque des poursuites pour les mêmes faits ou pour des faits connexes sont engagées à l'encontre de la personne appelée à représenter la personne morale, le tribunal désigne un mandataire de justice pour représenter la personne morale. »
Article 12
Dans l'article 20 du titre préliminaire du même Code, la première phrase est remplacée par deux phrases formant un premier alinéa, rédigé comme suit :
« L'action publique s'éteint par la mort de l'inculpé ou par la clôture de la liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation lorsqu'il s'agit d'une personne morale. L'action publique pourra encore être exercée ultérieurement, si la mise en liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation a eu pour but d'échapper aux poursuites ou si la personne morale a été inculpée par le juge d'instruction conformément à l'article 61bis avant la perte de la personnalité juridique. »
Article 13
Aux articles 23, 24, 62bis et 139 du Code d'instruction criminelle, les mots « celui du siège social de la personne morale, celui du siège d'exploitation de la personne morale » sont insérés après les mots « celui de la résidence de l'inculpé ».
Article 14
À l'article 69 du même Code, les mots « ni celui du siège social de la personne morale, ni celui du siège d'exploitation de la personne morale » sont insérés après les mots « ni celui du lieu où il pourra être trouvé ».
Article 15
Il est inséré, à la place du chapitre VII, livre premier, du même Code, contenant un article 91, qui devient le chapitre VIIbis , contenant un article 92, un chapitre VII nouveau, contenant un article 91 nouveau, libellé comme suit :
« Chapitre VII Des mesures provisoires à l'égard des personnes morales
Article 91
Lorsqu'au cours de l'instruction, le juge d'instruction constate des indices sérieux de culpabilité chez une personne morale, il peut, si des circonstances particulières le requièrent, ordonner :
1º la suspension de toute procédure de dissolution ou de liquidation de la personne morale;
2º l'interdiction de transactions patrimoniales spécifiques susceptibles d'entraîner l'insolvabilité de la personne morale;
3º le dépôt d'un cautionnement, dont il fixe le montant et qui est destiné à garantir le respect des mesures qu'il ordonne. »
Article 16
L'article 600 du même Code est complété par l'alinéa suivant :
« Le registre contiendra en outre la raison sociale ou la dénomination de la personne morale, son siège et, le cas échéant, le numéro de registre de commerce. »
Article 17
L'article 601 du même Code est complété par l'alinéa suivant :
« Lorsque la condamnation concerne une personne morale, les greffiers enverront copie de ces registres au greffe de la juridiction où les statuts de celle-ci ont été déposés.
Si la personne morale n'a pas déposé de statuts en Belgique ou s'il s'agit d'une personne morale de droit public, cet envoi se fera au greffe du tribunal de première instance de Bruxelles. »
Hugo VANDENBERGHE. Roger LALLEMAND. Fred ERDMAN. |