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Sénat de Belgique

SESSION DE 1998-1999

3 DÉCEMBRE 1998


Projet de loi modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la Justice, la nomination et la désignation de magistrats et instaurant un système d'évaluation pour les magistrats


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR M. DESMEDT


I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU PREMIER MINISTRE

Le premier ministre explique que la loi en projet exécute le nouvel article 151 de la Constitution, qui a été récemment approuvé par le Sénat. Ce projet de loi a été élaboré selon une méthode assez originale, mais tout à fait adaptée à cette problématique :le gouvernement a d'abord déposé une note à la suite de laquelle des auditions devaient avoir lieu; sur base de ces auditions, le gouvernement a élaboré un projet de loi; les discussions en commission étaient déjà à un stade assez avancé lorsque les négociations « Octopus » ont eu lieu, négociations qui ont permis de finaliser le projet.

Ce projet de loi est fondamental. Il peut être considéré comme un des trois piliers des grandes réformes de base, telles qu'elles sont prévues dans le projet « Octopus », à savoir la police, le parquet et le Conseil supérieur de la Justice.

Ce projet de loi situe le Conseil supérieur dans l'organisation judiciaire fixée par le Code judiciaire. Des articles ont donc été modifiés et de nouveaux chapitres ont été insérés, qui ont trait à la création du Conseil supérieur de la Justice, les nouvelles procédures de nomination et désignation, le système des mandats et l'évaluation des magistrats. Les tâches de l'assemblée générale ont été redéfinies et des assemblées de corps ont été instituées. Le projet modifie enfin plusieurs lois particulières et prévoit des dispositions transitoires. En commission de la Justice de la Chambre des représentants, le projet a été adapté en fonction de l'avis du Conseil d'État. Des modifications ont également été apportées pour tenir compte de la proposition de loi sur l'intégration verticale du ministère public, le parquet fédéral et le Conseil des procureurs du Roi (doc. Sénat, nº 1-1066). Enfin, un volet a été ajouté à la fin des discussions, conformément à l'accord « Octopus », concernant la création d'un Conseil consultatif de la magistrature, réglant une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Lors des discussions menées à la Chambre, divers points ont été précisés, notamment au sujet de la composition du Conseil supérieur de la Justice et du mode d'élection ou nomination par le Sénat, des compétences du Conseil supérieur, du rapport entre le Conseil supérieur et le Roi concernant les nominations et désignations et des possibilités de recours au Conseil d'État. Le premier ministre renvoie au rapport de la Chambre des représentants (doc. Chambre, nº 1677-8, 97/98), qui donne de tout cela un bon aperçu.

Le premier ministre souligne que le Conseil supérieur de la Justice est un organe sui generis qui ne peut être rattaché à aucun des trois pouvoirs. Le Conseil supérieur doit être considéré comme une instance autonome, à la fois organe interne et externe, et qui, dans l'exercice de ses compétences, doit veiller au bon fonctionnement du pouvoir judiciaire tout en respectant l'indépendance de ce dernier. Le Conseil supérieur peut notamment jeter une passerelle entre, d'une part, le pouvoir judiciaire, et, d'autre part, les pouvoirs exécutif et législatif. Toutefois, ni le législateur, ni le gouvernement ne peuvent se cacher derrière l'existence du Conseil supérieur de la Justice pour échapper à leurs responsabilités en matière de politique judiciaire. Par contre, ils peuvent utiliser les signaux émis par le Conseil supérieur pour mieux orienter leur politique.

La composition du Conseil supérieur de la Justice est une donnée essentielle car elle a été définie en fonction des missions du Conseil supérieur et dans le but que le Conseil puisse vraiment jouer son rôle. La responsabilité de cette composition incombe à la magistrature qui élira directement vingt-deux membres, mais également au Sénat qui désignera les vingt-deux autres membres à la majorité des deux tiers sur la base ou non de présentations.

Le groupe de non-magistrats compte, par collège, au moins quatre avocats comptant une expérience professionnelle d'au moins dix ans de barreau, trois professeurs et quatre membres disposant d'une expérience professionnelle pertinente pour la mission du Conseil supérieur d'au moins dix ans dans le domaine juridique, économique, administratif, social ou scientifique. En plus des candidatures individuelles, des candidats peuvent être présentés par les ordres des avocats, les universités et les écoles supérieures. Le Sénat doit nommer, par collège, cinq membres parmi les candidats présentés. Les six autres membres peuvent être choisis parmi les candidats présentés ou parmi les candidatures introduites individuellement. Le projet de loi offre donc une possibilité structurelle de choisir des personnes éminemment qualifiées pour le Conseil supérieur de la Justice.

Le premier ministre passe brièvement en revue les autres caractéristiques de la composition du Conseil supérieur.

Le Conseil supérieur se compose d'un collège néerlandophone et francophone. Chaque collège est composé paritairement de magistrats et de non-magistrats. Les membres magistrats sont directement élus parmi et par les magistrats du siège et les membres du ministère public. À cet effet, un collège électoral néerlandophone et un collège électoral francophone seront installés. Chaque magistrat dispose de trois voix. L'une est exprimée pour un candidat du siège, une autre pour un candidat du ministère public, et au moins une doit être émise pour un candidat de chaque sexe. Une série de clés de répartition ont, en outre, été prévues.

Les membres du Conseil supérieur siègent pour une période de quatre ans renouvelable. Toutefois, au terme du premier mandat, la moitié des membres seulement pourront à nouveau présenter leur candidature, ceci afin de garantir une certaine rotation. Il existe, en outre, une série d'incompatibilités. Chaque collège du Conseil supérieur est encore subdivisé en une commission de nomination et de désignation, composée de quatorze membres, et une commission d'avis et d'enquête, composée de huit membres. La règle de la parité s'applique également à ces commissions. Les commissions de nomination et de désignation néerlandophone et francophone forment ensemble la commission de nomination et de désignation réunie. De même, les commissions d'avis et d'enquête francophone et néerlandophone forment ensemble la commission d'avis et d'enquête réunie. Les quarante-quatre membres forment l'assemblée générale.

En ce qui concerne le fonctionnement du Conseil supérieur, les points suivants doivent être soulignés.

À l'exception des membres du Bureau, tous les membres siègent en principe à temps partiel. La règle de la double parité s'applique aussi à la composition du Bureau. Le Roi peut augmenter le nombre de membres composant le Bureau si les besoins du service l'exigent.

Les compétences du Conseil supérieur sont expressément énumérées dans le nouvel article 151 de la Constitution. Ces compétences sont de deux types. Les premières ont trait à la nomination, la promotion, l'accès à la fonction et la formation de la magistrature. Les secondes visent le contrôle du fonctionnement de l'organisation judiciaire. Pour plus de détails, le premier ministre renvoie à l'exposé des motifs du nouvel article 151 de la Constitution (doc. Chambre, nº 1675-1, 97/98).

Les compétences du premier type sont principalement exercées par les commissions distinctes de nomination et de désignation. Dans certains cas, ces commissions doivent se réunir conjointement pour des raisons linguistiques ­ on pense notamment à l'arrondissement judiciaire de Bruxelles ­, ou pour des exigences d'uniformité, par exemple pour la confection des programmes d'examens.

Chaque commission ne peut se réunir valablement que si au moins dix membres sont présents. Outre la présentation de candidats en vue de nomination ou désignation dans la magistrature, les commissions des nominations reprennent aussi les tâches de l'actuel Collège de recrutement des magistrats en matière d'examens et de formation. Chaque commission peut, en respectant la parité exigée, instituer une sous-commission en son sein.

La majorité des compétences du deuxième type, à l'exception de la réception et du suivi des plaintes, ainsi que la rédaction du rapport sur le suivi des plaintes, sont confiées aux commissions d'avis et d'enquête réunies. Pour que la commission réunie puisse se réunir valablement, au moins six membres de chacune des commissions doivent être présents.

Les compétences de la commission d'avis et d'enquête réunie consistent, en premier lieu, à préparer des avis et propositions concernant le fonctionnement général de l'organisation judiciaire, et concernant les propositions et projets de loi en la matière. Deuxièmement, la commission prépare les profils généraux des chefs de corps, ceci par catégorie de collèges juridiques. Troisièmement, la commission est responsable de la surveillance générale et de la promotion de l'utilisation des mécanismes de contrôle interne. Quatrièmement, la commission peut engager une enquête particulière sur des dysfonctionnements déterminés au sein de l'organisation judiciaire, mais sans avoir, cependant, de compétences d'ordre disciplinaire ou pénal.

Les compétences des commissions impliquent également un droit de réaliser un audit du fonctionnement de l'organisation judiciaire, dans le respect de l'indépendance des tribunaux judiciaires. Bien que le Conseil supérieur n'ait de compétences ni disciplinaires, ni pénales, il peut, s'il constate dans l'exercice de ses compétences, que la responsabilité disciplinaire d'un membre de l'ordre judiciaire pourrait être mise en cause, transmettre ces données aux autorités disciplinaires compétentes. Celles-ci décident en toute autonomie des suites à réserver à cette transmission de données, néanmoins, elles doivent informer le Conseil supérieur de leur décision, de façon motivée.

L'assemblée générale du Conseil supérieur reçoit les rapports des tribunaux et approuve les rapports rédigés par les commissions. En même temps, l'assemblée générale communique les rapports finaux aux responsables des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

En ce qui concerne la procédure de nomination et de désignation, il convient d'opérer une distinction entre les nominations à vie à certaines fonctions, conformément à l'article 152 de la Constitution, et les désignations à une fonction déterminée, qui présentent un caractère temporaire. L'instauration du système des mandats est l'une des clés de voûte de la réforme. L'on entend ainsi introduire certaines techniques de « management » et revaloriser la fonction de chef de corps en lui conférant un contenu spécifique. Pour plus de détails, le premier ministre renvoie à l'exposé fait à propos de l'article 151 de la Constitution (doc. Chambre, nº 1675-1, 97/98 et doc. Sénat, nº 1-1121/3).

Le premier ministre tient cependant à souligner que le principe de la nomination par le Roi est confirmé, mais que cette nomination ne peut se faire que sur présentation motivée de la commission de nomination et de désignation compétente et après évaluation des compétences et de l'aptitude des candidats. La procédure de nomination s'étendra sur une période d'environ six mois. En ce qui concerne plus précisément les différents délais, on se référera à l'exposé des motifs de la proposition de loi à la Chambre des représentants (doc. Chambre, nº 1677-1, 97/98).

Une distinction doit être opérée entre les mandats qui sont directement accessibles aux non magistrats et ceux qui sont exclusivement réservés aux magistrats.

Le premier groupe vise les nominations dites « de base » parmi lesquelles juge de paix, juge au tribunal de première instance, juge au tribunal de commerce, juge au tribunal de travail, substitut du procureur du Roi. Ces fonctions sont accessibles, moyennant la réussite, soit d'un examen d'aptitude professionnelle, soit d'un concours donnant accès au stage judiciaire.

Le second groupe comprend les nominations « promotion » : conseiller, avocat général, substitut du procureur général près la cour d'appel, substitut général près la cour du travail, substitut auditeur général près la cour militaire. Il faut être magistrat pour entrer en ligne de compte. Une exception est prévue au niveau des cours d'appel et des parquets généraux : ces fonctions sont également accessibles aux lauréats d'un examen d'aptitude professionnelle qui possèdent une expérience ininterrompue de quinze ans au barreau.

Outre les mandats de chef de corps conférés pour un délai de sept ans, renouvelable mais de façon non consécutive, il existe des mandats adjoints auxquels on est désigné pour trois ans et pour lesquels une désignation définitive peut intervenir après un troisième renouvellement, ainsi que pour les mandats spécifiques qui relèvent des règles particulières.

Le projet de loi règle, en outre, le régime de réintégration à l'expiration du mandat. En principe, l'intéressé réintègre la dernière fonction à laquelle il avait été, selon le cas, nommé ou désigné à titre définitif. L'application de ce principe varie selon que le chef de corps vient de la juridiction en question ou en dehors de celle-ci.

Enfin, le projet de loi instaure un système d'évaluation. À cet égard, il convient d'opérer une distinction entre l'évaluation périodique à laquelle est soumis tout magistrat professionnel et l'évaluation des mandats adjoints et des mandats spécifiques, qui s'inscrit plus particulièrement dans le cadre du renouvellement du mandat. Le magistrat qui obtient une mention « insuffisant » lors de l'évaluation se voit infliger une sanction financière en ce sens que l'évolution de la carrière pécuniaire est ralentie de six mois.

Le projet de loi prévoit une série de dispositions transitoires visant essentiellement les chefs de corps en fonction.

Avec le Conseil supérieur de la Justice est créé un organe qui, d'une part, porte l'énorme responsabilité d'assurer la qualité du pouvoir judiciaire, et qui d'autre part, peut, par ses compétences d'avis et d'enquête, soumettre ce même pouvoir judiciaire à des formes de contrôle interne et externe. La concentration de compétences au sein d'un organe moyennant les garanties nécessaires pour éviter le mélange entre les deux missions principales, doit permettre au Conseil supérieur d'avoir une image globale du fonctionnement de l'organisation judiciaire. De la sorte, le Conseil supérieur peut, directement et indirectement, contribuer activement à une magistrature de qualité. Il faudra sans doute du temps avant que cette réforme soit ressentie sur le terrain par les citoyens. Dans un premier temps, il devrait y avoir un changement de mentalité chez certains magistrats eux-mêmes. Il est évident aussi que cette réforme ne prendra toute sa dimension que lorsqu'un nombre suffisant de magistrats auront été nommés selon ces nouvelles procédures.

Le premier ministre est convaincu que cette réforme constitue la pierre d'angle d'une justice moderne, efficiente, transparente et noble. Il espère donc que le projet pourra être adopté rapidement et rapidement mis à exécution.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

Un membre souhaite mettre l'accent sur quelques points, auxquels il pourrait être répondu ou du moins apporté quelque clarification dans le rapport. Comme le premier ministre, il pense qu'il s'agit ici d'une réforme fondamentale et approuve l'approche choisie tant pour la composition que pour le fonctionnement du Conseil supérieur de la Justice. Le pouvoir exécutif transfère en grande partie la compétence qu'il détient dans la procédure de nomination au Conseil supérieur.

Le membre en vient alors à des questions ponctuelles.

En premier lieu, le membre souhaite savoir dans quelle mesure une coordination sera assurée entre cette législation et celle relative à l'intégration verticale du ministère public. Il constate, entre autres, qu'à l'article 2, 2º, il est question de l'« auditeur ». Les articles 6, 19 et 28 doivent être adaptés en ce sens, à moins, si les deux lois sont promulguées en parallèle, qu'on ne fasse aussitôt une proposition de coordination. En effet, dans l'article 19, par exemple, on prévoit encore des substituts distincts pour les matières commerciales et fiscales.

L'article 30 contient une règle spécifique pour les vice-présidents au tribunal de première instance de Bruxelles. Il règle la composition de ce corps, en tenant compte du régime linguistique du président. Mais dans la loi relative à l'intégration verticale du ministère public, du parquet fédéral et du conseil des procureurs du Roi, il a été prévu qu'en ce qui concerne le président, il y aurait une alternance après sept ans. Là aussi, une coordination s'impose pour rendre l'ensemble homogène.

La deuxième remarque a trait à la composition du Conseil supérieur. L'article 259bis -1, § 2, 1º, en projet réserve un siège à un représentant de la magistrature assise des cours. Vise-t-on là cours d'appel et Cour de cassation, et la même chose pour le membre du ministère public dans le cadre de la composition ? La question se pose, en effet, car les cours d'appels sont visées séparément au 4º.

Plus fondamentalement, en ce qui concerne les élections chez les magistrats, le membre suppose que les magistrats qui posent leur candidature ont aussi la possibilité de défendre leur candidature, et éventuellement d'aller se présenter dans d'autres ressorts, que ce soit par écrit ou oralement. Il doivent donc pouvoir présenter leur candidature et définir leur approche du Conseil supérieur. Le membre voudrait avoir l'assurance que le point de vue défendu dans l'acte de candidature ne puisse pas faire l'objet de mesures disciplinaires. Sinon, la liberté de poser sa candidature serait considérablement compromise. Il faut, d'une manière ou d'une autre, garantir que ces candidatures puissent être posées librement et que leur conception des missions du Conseil supérieur puisse aussi être libre, en ne pas être sanctionnée sur le plan disciplinaire dans le cadre de leurs corps. Sinon, l'impact de la hiérarchie risque de se faire sentir sur la présentation des candidatures.

Enfin, le membre s'interroge sur le rapport relatif aux plaintes reçues par le Conseil supérieur, qu'il transmet, et pour lesquelles il ne dispose d'aucune compétence disciplinaire mais dont il doit assurer le suivi. Le Conseil peut-il annuellement faire l'état de la situation sur les plaintes qu'il a reçues, et dans le rapport faire mention du suivi, ou ne peut-il faire cela qu'une fois que la plainte transmise a atteint sa phase finale ? Il y a évidemment une différence entre faire annuellement le compte des plaintes reçues et transmises et devoir attendre le résultat du traitement de ces plaintes.

Le membre estime nécessaire d'insérer toutes ces précisions dans le rapport au vu de certaines réactions qui ont déjà été enregistrées sur le terrain.

Le premier ministre reconnaît que la remarque du membre relative à la coordination entre les législations est correcte. Il ne pense pas qu'il faille déposer une proposition de loi particulière, mais qu'il est préférable, en s'accordant bien sur le « timing », que le Roi fasse usage de la disposition générale de coordination (article 108 du projet de loi) et que l'on fasse appel pour cela au Conseil d'État.

Les « cours » visées à l'article 259bis du Code judiciaire en projet se rapportent à l'ensemble des cours.

Les questions des plaintes et des candidatures qui pourraient donner lieu à mesures disciplinaires sont des éléments qui devront être réglés dans les arrêtés d'exécution. Pour ce qui est du rapport annuel sur le suivi des plaintes, le premier ministre pense qu'on peut laisser une grande latitude au Conseil supérieur pour juger lui-même, sur base de son fonctionnement, de quelle manière son rapport doit être fait là-dessus. Cela lui semble le plus facile.

Un membre souligne que le projet ayant déjà été longuement débattu en d'autres lieux et discuté à la Chambre, il est logique que la discussion présente soit assez limitée. C'est pourquoi il souhaiterait uniquement intervenir sur un point précis. L'article 39 établit une sorte de parité linguistique au niveau de la cour d'appel de Bruxelles : il prévoit la parité entre les présidents de chambre de chaque groupe linguistique et vingt-neuf conseillers francophones pour vingt-sept conseillers néerlandophones. La disposition selon laquelle un magistrat ne peut siéger dans sa langue s'applique-t-elle également à la cour d'appel ? Or, actuellement, la proportion n'est pas tout à fait celle requise : il y a une différence de trois ou quatre conseillers entre les rôles francophone et néerlandophone, ceci en tenant compte du volume des affaires. Le membre se demande dès lors si cette disposition ne risque pas d'être paralysante et d'alourdir, comme au niveau du tribunal, le travail des magistrats francophones, car le volume des affaires est plus important du côté francophone que néerlandophone. Le membre souhaiterait donc savoir si la disposition correspond à la situation actuelle, si elle prévoit une répartition équitable en fonction des services.

Le premier ministre répond que, d'un point de vue juridique, la disposition de l'article 39 du projet de loi est identique au texte de loi en vigueur actuellement.

Le membre fait remarquer qu'on ne peut pas déroger au texte. Si les cadres sont remplis, ils doivent correspondre à ce qui est prévu dans la loi.

Le premier ministre admet qu'en fait, les cadres ne sont pas remplis de la même façon du côté francophone et du côté néerlandophone. Mais du point de vue de la règle juridique, il répète que l'article 39 du projet de loi ne fait que reprendre le texte existant.

Un sénateur annonce qu'il sera très bref vu que le projet de loi est pour l'essentiel la mise en oeuvre de l'article 151 nouveau de la Constitution et que le débat principal a déjà été mené à l'occasion de l'adoption de cet article 151. Il avait déjà à ce moment émis des critiques ou observations selon lesquelles on s'orientait trop vers une fusion du ministère public et du pouvoir judiciaire. Cela se traduit ici dans les collèges électoraux du Conseil supérieur de la Justice. Le sénateur rappelle qu'il avait déposé un amendement à ce sujet. Le premier ministre avait répondu que le choix n'étant pas inscrit dans la Constitution, c'est au législateur qu'il appartenait de décider. Le sénateur constate qu'on a fait le choix de traiter ces collèges électoraux comme un seul. Il estime que ce n'est pas une bonne option, car elle introduit un élément d'appréciation des juges, qui doivent être indépendants, par des magistrats du ministère public, qui sont aussi fonctionnellement indépendants dans l'appréciation d'affaires individuelles, mais qui, en tout cas, exécutent une politique définie par le gouvernement. Le sénateur trouve donc que ce n'est pas une conception saine.

Le premier ministre demande si le sénateur entend par là qu'il faudrait instituer deux collèges électoraux ou deux conseils supérieurs de la justice.

Le sénateur explique qu'il ne remet pas en cause le Conseil supérieur, mais qu'il aurait trouvé plus indiquée d'instituer deux collèges électoraux. Dans le projet de loi, il est expressément opté pour un seul collège électoral composé à la fois de juges et de membres du ministère public. Ils sont d'ailleurs obligés de voter pour des juges et pour des membres du ministère public. Le sénateur pense qu'on aurait dû opter pour la séparation des deux corps et que chacun ne puisse voter que pour des membres appartenant au corps dont il ferait partie, soit pouvoir judiciaire, soit ministère public.

Le premier ministre répond qu'il n'aurait pas été d'accord avec une proposition de créer des conseils supérieurs distincts, mais qu'il aurait pu comprendre la logique d'une telle proposition. Par contre, il a beaucoup plus de difficulté à envisager des collèges électoraux distincts.

Le sénateur souligne à nouveau qu'avec cette option, on donne aux magistrats du ministère public la compétence d'influencer la composition du Conseil supérieur de la Justice relativement au pouvoir judiciaire, alors que leur tâche consiste notamment à mettre en oeuvre la politique du gouvernement en matière pénale. La compétence d'évaluer les juges n'est donc pas à sa place dans leurs attributions.

Le sénateur demande ensuite une précision au sujet de l'article 259decies du Code judiciaire, en projet, relatif à l'évaluation périodique. L'article 259decies , § 2, du Code judiciaire, en projet, dispose que « L'évaluation est effectuée à la majorité absolue des suffrages par le chef de corps et deux magistrats désignés par l'assemblée générale ou par l'assemblée du corps (...) ».

Cependant, dans les alinéas suivants, il est question du chef de corps et de l'assemblée générale de la juridiction pour évaluer les juges et ensuite de l'assemblée générale et du chef de corps du parquet pour évaluer le membre du parquet.

Le premier ministre confirme que l'évaluation est faite par le chef du corps auquel on appartient.

Un membre pose une question au sujet de la parité au sein des collèges en ce qui concerne les magistrats. Chaque collège comporte onze magistrats, qui sont aussi bien des magistrats du siège que des magistrats du ministère public. L'article 259bis -1 du Code judiciaire, en projet, garantit au moins un représentant par groupe et l'article 259bis -2 du Code judiciaire, en projet, prévoit que chaque électeur doit voter pour au moins un représentant de chaque groupe. Le membre se demande toutefois si ces dispositions offrent assez de garanties qu'il y ait suffisamment de membres du ministère public d'une part, et de la magistrature assise, d'autre part. En effet, si l'on peut exprimer trois voix, il est logique qu'on donne la préférence à son groupe et il est possible qu'en fin de compte, un groupe se détache, par exemple, les magistrats du parquet, et que la magistrature assise n'obtienne finalement qu'un siège. Les garanties prévues par le texte sont-elles donc suffisantes pour éviter cela »?

Le premier ministre répond que ce type de danger vaudrait de toute manière dans les deux sens. Il est tout aussi possible que les juges assis obtiennent plus de sièges que les membres du ministère public. C'est la raison pour laquelle, il a été prévu dans le chef de chaque magistrat, non pas une, mais trois voix, avec l'obligation d'effectuer une certaine répartition de celles-ci. De cette façon aussi, les voix obtenues par un candidat sont d'origines diverses. Quant à la troisième voix, il est exact qu'elle ira peut-être à un candidat du groupe auquel on appartient. Mais il faut tenir compte aussi des exigences minimales de présence qui ont été prévues. Par ailleurs, la répartition des voix offre la garantie que ceux qui font partie du groupe minoritaire ne seront pas nécessairement élus avec le moins de voix et bénéficieront aussi d'une large représentativité.

Le membre s'interroge encore au sujet de la place du Conseil supérieur de la Justice par rapport aux trois pouvoirs.

Le premier ministre répond que le Conseil supérieur est un organe sui generis . On ne peut le ranger dans aucun des trois pouvoirs.

Un sénateur demande comment la question de l'harmonisation de la terminologie avec celle de la loi relative à l'intégration verticale du ministère public, du parquet fédéral et du conseil des procureurs du Roi sera finalement résolue.

Le premier ministre répond qu'une coordination sera réalisée par le Roi sur base des pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 108 du projet de loi.

III. DISCUSSION DES ARTICLES ET VOTES

Articles 1er à 44

Les articles 1er à 44 du projet de loi ne donnent lieu à aucune observation. Ils sont adoptés à l'unanimité des huit membres présents

Article 45

Un membre soulève une discordance entre le texte français et le texte néerlandais de l'article 259bis -1 du Code judiciaire en projet. Le paragraphe 3 de cet article en projet dispose que le groupe des non-magistrats compte par collège au moins « quatre membres de chaque sexe ». Dans la version néerlandaise du texte, il est prévu« vier leden van het andere geslacht ». La terminologie néerlandaise est inadéquate.

Un membre fait remarquer que l'intention claire est d'avoir des représentants de chacun des deux sexes.

Le premier ministre constate que, dans le texte néerlandais de l'article 2, § 2, du projet de loi instaurant un Conseil consultatif de la magistrature, les mots « elk geslacht » sont utilisés.

La commission décide, avec l'accord de la Chambre des représentants, d'apporter au texte la correction suivante : dans le texte néerlandais de l'article 259bis -1, § 3, du Code judiciaire en projet, les mots « van het andere geslacht » sont remplacés par les mots « van elk geslacht ».

Un membre met en évidence l'abscence de concordance entre le texte néerlandais et le texte français de l'article 259bis -2 du Code judiciaire en projet. Le paragraphe 1er , troisième alinéa, dispose que « Sous peine de nullité du bulletin de vote, chaque électeur doit émettre trois suffrages dont un pour au moins un candidat du siège, un pour un candidat du ministère public et au moins un pour un candidat de chaque sexe ». Dans le texte néerlandais, les mots « ten minste » n'apparaissent qu'en ce qui concerne l'obligation de voter pour un candidat de chaque sexe.

Un membre fait remarquer que, en outre, dans le texte français, les mots « au moins » sont mal placés. Il conviendrait d'écrire « trois suffrages dont un au moins pour un candidat du siège, un au moins pour un candidat du ministère public et un au moins pour un candidat de chaque sexe ».

Le premier ministre explique que, des trois suffrages, l'un doit être exprimé pour un candidat du siège et l'un pour un candidat du ministère public.

Cela signifie qu'une des voix est libre, elle peut aller au siège comme au ministère public. Ensuite, l'article 259bis -2, § 1er , en projet, impose que parmi ces trois voix, l'une au moins soit donnée à des candidats de l'autre sexe. Selon lui, la place des mots « au moins » dans le texte français est correcte : ils visent à la fois le candidat du siège et le candidat du ministère public. Éventuellement, le premier ministre propose d'ajouter les mots « d'une part » et « d'autre part ».

Un membre fait remarquer que l'on pourrait aussi supprimer purement et simplement les mots « au moins ».

Un membre répond qu'il est préférable de conserver les mots « au moins » pour la clarté du texte, mais, pour éviter la répétition de ces mots, il propose de les insérer, entre virgules, de manière à ce qu'ils se rapportent aux trois éléments visés. Cette formule est approuvée.

La commission décide, avec l'accord de la Chambre des représentants, d'apporter au texte les corrections suivantes :

­ le texte français de l'article 259bis -2, § 1er , alinéa 3, du Code judiciaire, en projet, est remplacé par le texte suivant : « Sous peine de nullité du bulletin de vote, chaque électeur doit émettre trois suffrages dont, au moins, un pour un candidat du siège, un pour un candidat du ministère public et un pour un candidat de chaque sexe ».

­ dans le texte néerlandais de l'article 259bis -2, § 1er , alinéa 3, du Code judiciaire, en projet, les mots « ten minste » entre le mot « en » et les mots « één » voor een kandidaat van elk geslacht » sont supprimés pour être insérés entre virgules, entre le mot « waarvan » et le mot « één ».

La commission décide, avec l'accord de la Chambre des représentants, de supprimer les mots « van de Hoge Raad » dans le texte néerlandais de l'article 259bis -6, § 2, 1er alinéa, du Code judiciaire, en projet.

L'article 45, ainsi corrigé, est adopté à l'unanimité des huit membres présents.

Articles 46 à 109

Les articles 46 à 109 ne donnent lieu à aucune observation. Ils sont adoptés à l'unanimité des huit membres présents.

IV. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi est adopté à l'unanimité des huit membres présents.

Confiance a été faite au rapporteur pour la rédaction du présent rapport.

Le rapporteur,
Claude DESMEDT.
Le président,
Frank SWAELEN.

TEXTE CORRIGÉ PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES


Voir le doc. nº 1-1169/3