1-1137/1

1-1137/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1998-1999

3 NOVEMBRE 1998


Proposition de loi modifiant la loi du 28 juin 1984 relative à certains aspects de la condition des étrangers et instituant le Code de la nationalité belge

(Déposée par Mme Willame-Boonen)


DÉVELOPPEMENTS


L'article 22, § 1er , du Code de la nationalité belge impose la perte automatique de la nationalité belge aux Belges majeurs qui acquièrent volontairement une nationalité étrangère. Il s'agit comme le dit le professeur M. Verwilghen d'une perte de la nationalité par abdication tacite(1).

L'origine de cette règle qui est fort ancienne et remonte au Code Napoléon traduit une hostilité à l'égard de la double nationalité.

Le droit de la nationalité a été longtemps dominé par le principe d'unicité de la nationalité selon lequel un individu ne pouvait être le ressortissant que d'un seul État.

Ce principe d'unicité se justifiait par le fait que la bipatridie ou multipatridie était source de difficultés notamment au niveau du service militaire.

Aujourd'hui cette interdiction n'est plus d'actualité. La loi du 13 juin 1991 attribue d'ailleurs iure soli la nationalité belge à des dizaines de milliers d'enfants qui ont aussi iuri sanguinis celle de leurs parents et permet plus facilement son acquisition par de jeunes étrangers dont beaucoup conservent leur nationalité d'origine. Par ailleurs, la preuve de la perte de la nationalité étrangère n'est plus une condition à l'acquisition de la nationalité belge par naturalisation.

Si le Code de la nationalité a des lors renforcé le ius soli qui doit avoir pour conséquence d'accroître le nombre de belges bi- ou pluripatrides, la loi du 22 mai 1991 constitue un pas en sens inverse, puisqu'elle approuve la Convention de Strasbourg de 1963 (Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités) et ses protocoles afin de réduire les cas de pluralité de nationalités. L'article 1.1, de cette Convention dispose en effet que les ressortissants majeurs des parties contractantes qui acquièrent volontairement la nationalité d'une autre patrie perdent leur nationalité antérieure et ne peuvent être autorisés à la conserver.

Cependant, être et rester Belge, même pour celui qui va vivre à l'étranger n'est pas sans importance juridique. La nationalité belge confère, en effet, la jouissance des droits politiques, l'accès à ceux des emplois de la fonction publique encore réservés aux Belges, l'application du droit belge en matière d'état et de capacité des personnes, la protection diplomatique mais aussi un passeport pour l'Europe donnant le droit de circuler, de s'établir et de travailler sur le territoire des quatorze autres États de l'Union européenne et d'y être traité sans discrimination.

À côté de ces arguments juridiques, il y a aussi des arguments affectifs. Ceux qui sont partis travailler à l'étranger ont souvent gardé des liens affectifs avec leur pays. S'ils ont émigré, c'est dans la plupart des cas pour travailler à l'étranger. Ils ont généralement dû acquérir la nationalité du pays dans lequel ils travaillent pour avoir un meilleur emploi sur place. Pourquoi dès lors les sanctionner et les obliger à renoncer à la nationalité belge, et ce d'autant plus qu'un certain nombre d'entre eux reviennent un jour dans notre pays. Il faut encore souligner que l'application de la perte automatique de la nationalité belge suscite des difficultés et introduit l'insécurité juridique. En effet, l'État belge n'est pas informé systématiquement de l'acquisition volontaire par un Belge d'une nationalité étrangère. Il n'existe pas d'obligation internationale des États dans ce domaine (sauf Conventions internationales, exemple : la Convention de Paris du 10 septembre 1964 concernant l'échange d'informations en matière d'acquisition de la nationalité, qui lie certains pays européens). Cette situation crée une insécurité juridique pour les intéressés qui ignorent le plus souvent qu'ils ont perdu la nationalité belge et pour l'État belge qui ignore souvent aussi l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère par un Belge.

La loi française du 9 janvier 1973 a pris acte des insuffisances du système de la perte automatique de la nationalité française par acquisition volontaire d'une nationalité étrangère. L'article 87 du Code français de la nationalité a été modifié. Cet article qui était libellé de la même manière que notre article 22, § 1er , 1º, de la loi du 28 juin 1984 prévoit aujourd'hui que « toute personne majeure de nationalité française résidant habituellement à l'étranger qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants du présent Titre ». Cette disposition substitue donc à la perte automatique de la nationalité, une perte de celle-ci par déclaration. La perte de la nationalité française est devenue un droit pour l'intéressé. Ce droit est d'ailleurs subordonné à plusieurs conditions : être majeur, résider habituellement à l'étranger et acquérir une nationalité étrangère. Il faut cependant souligner que la France a, comme la Belgique, ratifié la Convention de Strasbourg dont l'article 1er impose la perte de la nationalité en cas d'acquisition d'une nationalité étrangère. Toutefois cette convention lie surtout des États membres de la Communauté européenne de sorte que les Français qui perdent ainsi leur nationalité conservent le plus souvent, même en France, leur droit de citoyen européen. La même solution pourrait être retenue en Belgique. La présente proposition de loi est rédigée en ce sens. Elle vise d'abord à supprimer le 1º du § 1er de l'article 22 qui impose la perte automatique de la nationalité belge au Belge majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère. Il n'est pas nécessaire d'y substituer une perte de la nationalité par déclaration, celle-ci étant déjà prévue par l'article 22 § 1er , 2º. La proposition prévoit également une disposition relative aux Belges qui ont déjà perdu leur nationalité en vertu de l'article 22, § 1er , 1º, de la loi de 1984. Le Belge d'origine qui a ainsi perdu sa nationalité belge en raison de l'acquisition par mesure individuelle d'une nationalité étrangère peut recouvrer la nationalité belge par simple déclaration souscrite en Belgique ou à l'étranger.

Magdeleine WILLAME-BOONEN.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 22, § 1er , de la loi du 28 juin 1984, relative à certains aspects de la condition des étrangers et insérant le Code de la nationalité belge, sont apportées les modifications suivantes :

1º le 1º est supprimé;

2º au 3º, les mots « par l'effet du 1º ou du 2º » sont remplacés par les mots « par l'effet du 2º ».

Art. 3

L'article 24 de la même loi est complété par l'alinéa suivant :

« Toute personne qui, avant l'entrée en vigueur de la présente loi, a perdu la nationalité belge en raison de l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère peut recouvrer la nationalité belge par déclaration faite devant l'officier de l'état civil de la résidence principale du déclarant et, à l'étranger, devant le chef d'une mission diplomatique ou d'un poste consulaire belge selon les modalités fixées par l'article 22, § 4. »

Magdeleine WILLAME-BOONEN.

(1) M. Verwilghen, Le Code de la nationalité belge, Bruxelles, Bruylant, 1985, p. 243 et suivants.