(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
La reprise des essais nucléaires français (et chinois) a suscité à juste titre auprès de la population un vif émoi à propos de l'armement nucléaire.
Le gouvernement belge s'est distancié de la décision française. Actuellement, on prétend cependant que l'industrie belge aurait sa part de responsabilité en ce qui concerne les essais nucléaires français à Mururoa.
L'honorable ministre peut-il me dire s'il est au courant du retraitement d'uranium et/ou de plutonium en Belgique ? À quels endroits ce retraitement se fait-il ? Quelles firmes disposent d'une autorisation pour ce faire ? L'industrie belge affecte-t-elle de l'uranium et/ou du plutonium enrichis à des fins militaires ? À quoi sert cet uranium et/ou ce plutonium dans l'industrie belge ? Des firmes belges achètent-elles de l'uranium et/ou du plutonium enrichis à l'étranger ? De quels mécanismes les pouvoirs fédéraux disposent-ils pour contrôler l'énergie nucléaire ? Quelle garantie a-t-on que l'uranium et/ou le plutonium enrichis ne seront pas utilisés à des fins non pacifiques ? Y a-t-il des accords avec d'autres pays en ce qui concerne la collaboration nucléaire ? Avec quels pays existe-t-il une collaboration ? Des firmes belges vendent-elles ou font-elles transiter de l'uranium et/ou du plutonium enrichis à l'étranger ? Quels sont les mécanismes de contrôle existants ? De l'uranium et/ou du plutonium enrichis peuvent-ils être vendus à des firmes privées situées à l'étranger ? Peuvent-ils être vendus à des fins militaires ? Y a-t-il des obligations à collaborer sur le plan nucléaire dans le cadre d'organisations de collaboration militaire internationales ou européennes ? Une firme belge a-t-elle au su ou à l'insu des pouvoirs publics vendu de l'uranium et/ou du plutonium enrichis aux autorités françaises ou les a-t-elle mis à leur disposition ? Cet uranium et/ou ce plutonium ont-ils été utilisés dans le cadre des essais nucléaires à Mururoa ? Une enquête scientifique ou une enquête à la demande du Parlement belge ou du gouvernement fédéral peuvent-elles confirmer cette vente ?
Quelles mesures l'honorable ministre prendra-t-il pour améliorer le contrôle et la transparence du trafic de matériaux nucléaires et, si nécessaire, pour mettre fin à ce commerce ?
Réponse : D'entrée de jeu, je veux affirmer clairement qu'aucune matière fissile d'origine belge n'a été employée pour les essais militaires français dans le Pacifique.
Avant de répondre en détail aux questions de l'honorable membre, je crois aussi utile de donner quelques explications sur le nucléaire en général.
1º Le cycle du combustible nucléaire comporte les phases suivantes :
Exploitation du minerai d'uranium, lors de laquelle l'uranium est séparé de la roche dans laquelle il se trouve. De l'uranium naturel pur est alors produit (appelé « yellow cake »);
Conversion de l'uranium naturel (0,71 p.c. U235 et 99,29 p.c. U238) en hexafluorure d'uranium;
Pour l'utilisation dans les centrales nucléaires, l'uranium naturel est enrichi en isotopes U235, jusqu'à 3 à 5 p.c. L'uranium ainsi légèrement enrichi ne convient pas pour des applications militaires;
Conversion de l'uranium légèrement enrichi en dioxide d'uranium;
Fabrication des assemblages de combustible qui sont chargés dans le réacteur nucléaire (frittage du dioxide d'uranium en pastilles et introduction dans des petits tubes qui sont assemblés en faisceaux);
Trois à quatre ans de séjour dans le réacteur, période au cours de laquelle l'électricité est produite. Après utilisation, le combustible irradié est déchargé.
Ce combustible irradié contient encore de l'uranium recyclable (95 p.c. du total), du plutonium recyclable (1 p.c.) et des déchets (4 p.c.). Le plutonium, produit à partir du combustible au taux de combustion actuellement appliqué et après un long temps de séjour dans le réacteur, ne possède pas la pureté ni la qualité du plutonium utilisé en France pour les explosions expérimentales militaires;
Après déchargement du réacteur deux voies peuvent être suivies, à savoir :
· Entreposage (pendant une longue période), conditionnement et évacuation;
· Entreposage (pendant une période relativement courte), retraitement lors duquel le combustible irradié est divisé en uranium résiduel (encore très légèrement enrichi, jusqu'à environ 0,8 p.c.), plutonium dérivé, de qualité civile, et déchets. Les déchets sont conditionnés, entreposés et évacués. L'uranium est recyclé sous forme d'assemblages de combustible du type décrit ci-avant. Le plutonium est recyclé sous forme d'assemblages de combustible MOX (mélange d'uranium naturel ou appauvri et de plutonium).
2º La gestion du cycle du combustible nucléaire pour les centrales de puissance belges Doel et Tihange est assurée par la SA Synatom. Synatom achète de l'uranium naturel à l'étranger. Elle fait enrichir une grande partie de cet uranium par Eurodif en France, dont elle possède 11 p.c. des actions. Le reste est enrichi ailleurs, principalement aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Russie. L'uranium légèrement enrichi est loué aux centrales nucléaires qui en font faire des assemblages de combustible dans des usines situées dans plusieurs pays européens, y compris la Belgique (usine de FBFC à Dessel).
Après irradiation dans le réacteur, les assemblages sont entreposés dans l'attente d'un retraitement ou d'un conditionnement. Jusqu'à présent, le gouvernement a donné son approbation à Synatom pour le retraitement de 670 tonnes de combustible irradié, suite au débat parlementaire de 1993 sur ce sujet.
Le combustible irradié correspondant aux trois premiers contrats (140 tonnes) a été retraité de 1977 à 1985. Le retraitement du combustible irradié correspondant au quatrième contrat (530 tonnes) s'étale de 1990 à 2000. L'uranium issu du retraitement refait le même circuit que l'uranium naturel. Le plutonium est transformé en combustible MOX dans l'usine de Belgonucléaire à Dessel.
Comme complément à ce point, je veux encore dire qu'on ne procède en Belgique ni à l'enrichissement de l'uranium, ni au retraitement du combustible nucléaire.
Ces opérations ont lieu dans des installations à l'étranger. L'industrie belge ne traite ni d'uranium enrichi ni de plutonium à des fins militaires.
3º En dehors de l'uranium et du plutonium de l'industrie, on utilise aussi en Belgique de l'uranium hautement enrichi (enrichissement jusqu'à 93 p.c.). C'est le cas au CEN/SCK pour le fonctionnement du réacteur d'essai BR2 et à l'IRE, après irradiation dans un réacteur d'essai, pour la production de radio-isotopes destinés à la médecine nucléaire.
Contrairement à l'uranium légèrement enrichi, l'uranium hautement enrichi ne produit pratiquement pas de plutonium lors de l'irradiation dans un réacteur.
Après utilisation, l'uranium hautement enrichi peut être renvoyé aux États-Unis (solution actuellement très aléatoire) ou retraité en Europe (Grande-Bretagne ou France). Le retraitement produit des déchets et de l'uranium recyclable enrichi jusqu'à environ 74 p.c.
4º La Belgique a signé le Traité de non-prolifération le 20 août 1968 et l'a ratifié par la loi du 14 mars 1975. Elle s'est ainsi engagée à s'abstenir de toute application militaire de la technologie nucléaire et à n'aider aucun autre pays à développer de telles applications. Par son adhésion au traité, la Belgique est aussi soumise au système de garantie de l'Agence internationale de l'énergie atomique, par lequel elle soumet toutes ses matières nucléaires au contrôle de l'agence.
À cet effet, elle a conclu, le 5 avril 1973, une convention avec l'agence (INFCIRC 193), à laquelle Euratom et les autres pays européens non dotés d'armes nucléaires sont aussi parties. Dans le cadre du traité Euratom, la Belgique soumet aussi ses matières nucléaires, ainsi que les installations qui les contiennent, au contrôle de sécurité d'Euratom. Les contrôles de garantie concernent donc la totalité des matières nucléaires et sont menés à la fois par Euratom-Luxembourg et par l'AIEA. L'objectif des contrôles (cf. INFCIRC 193) est d'établir « that there has been no diversion of nuclear material from peaceful uses to nuclear weapons or other nuclear explosive devices ».
Les mesures nécessaires de protection physique (gardiennage, prévention de vol, protection contre les attentats,...) s'appliquent aux matières et installations belges. La Belgique est signataire de la Convention sur la protection physique des matières nucléaires du 3 mars 1980 et l'a ratifiée le 6 septembre 1991. C'est le Service de la sécurité nucléaire du ministère de la Justice qui est chargé d'organiser et de veiller à la bonne exécution de ces mesures de protection physique.
La Belgique est également membre du « Nuclear Suppliers Group », qui édicte des directives en matière d'exportation de matières, marchandises et technologies nucléaires. Le transfert d'uranium hautement enrichi (au-delà de 20 p.c.) et de plutonium vers un autre État membre n'est autorisé que sur la base d'une attestation de la firme ou de l'institution destinataire mentionnant les caractéristiques de la matière concernée et l'usage pacifique qui en sera fait. Cette attestation doit être validée par l'autorité du pays membre récepteur.
Les engagements dans le cadre du Traité de non-prolifération et du « Nuclear Suppliers Group » ont été traduits dans la loi du 9 février 1981 relative aux conditions d'exportation des matières et équipements nucléaires, ainsi que des données technologiques nucléaires et dans son arrêté royal d'exécution du 12 mai 1989, modifié par l'arrêté royal du 16 juillet 1993.
Je voudrais conclure sur ce point en affirmant que la Belgique attache une grande importance au respect de ses engagements internationaux et a mis en place les instruments nationaux nécessaires à cet effet.
Je souhaiterais maintenant reprendre dans l'ordre les questions de l'honorable membre.
Dans la mesure où les questions 1, 2 et 3 portent sur le retraitement de combustible irradié, la réponse est négative : il n'y a pas d'usine de retraitement en activité en Belgique.
Quatrième question
Les engagements internationaux de la Belgique empêchent toute utilisation de matières fissiles dans les armes nucléaires et dispositifs explosifs. L'uranium enrichi et le plutonium belges sont sous le contrôle permanent et conjoint de l'AIEA et d'Euratom, ce qui exclut une diversion à des fins non pacifiques. Ces contrôles se font en présence de représentants du Service de la sécurité nucléaire du ministère de la Justice. Des contrôles similaires ont également lieu dans l'usine de retraitement de La Hague (France), où le retraitement du combustible irradié étranger, et donc aussi belge, est complètement séparé des activités militaires françaises.
Cinquième question
Synatom utilise, pour l'alimentation en combustible des centrales de Doel et Tihange, de l'uranium faiblement enrichi et du plutonium de qualité civile provenant du retraitement de combustible belge irradié. Belgonucléaire et FBFC fabriquent, à partir d'uranium faiblement enrichi et/ou de plutonium de qualité civile fournis par leurs clients, du combustible nucléaire destiné aux réacteurs exploités par ces clients, et ce uniquement à des fins civiles.
Le CEN/SCK utilise de l'uranium hautement enrichi exclusivement pour le fonctionnement du réacteur expérimental BR2 et l'IRE exclusivement pour la production de radio-isotopes pour la médecine nucléaire.
Sixième question
Synatom achète de l'uranium naturel à l'étranger et le fait enrichir. Il lui est arrivé dans le passé d'acheter de l'uranium faiblement enrichi sur le marché « spot ». Synatom n'a jamais acheté de plutonium, ses approvisionnements provenant exclusivement de ses propres combustibles. Quant à Belgonucléaire, elle a par le passé acheté à Synatom et à d'autres sociétés en Europe de l'uranium légèrement enrichi et du plutonium pour la fabrication de combustibles expérimentaux dans le cadre des activités de R & D sur les réacteurs à neutrons rapides, ainsi que pour la réalisation de contrats de fabrication de combustible MOX.
L'uranium hautement enrichi utilisé par le CEN/SCK et l'IRE a été acheté exclusivement aux États-Unis, qui mènent une politique stricte de non-prolifération. Par le passé, l'État belge a acheté du plutonium en Grande-Bretagne pour la fabrication de combustible destiné au réacteur à neutrons rapides à Kalkar (Allemagne). Toutes les transactions mentionnées ci-dessus ont reçu l'approbation d'Euratom.
Septième question
Outre que les caractéristiques techniques de l'uranium faiblement enrichi et du plutonium de qualité civile, gérés par l'industrie belge, ne se prêtent pas à des usages militaires, la non-diversion à des fins militaires est garantie par les contrôles cumulatifs d'Euratom et de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Ces contrôles s'appliquent strictement, depuis les débuts du nucléaire en Belgique, à toutes les matières et installations belges. Ces contrôles sont extrêmement sévères, en particulier dans les centrales nucléaires et dans les usines de Belgonucléaire et de FBFC. Ceci vaut aussi pour les matériaux et installations du CEN/SCK et de l'IRE.
Huitième et neuvième questions
Cette matière s'adresse plutôt à mon collègue des Affaires étrangères, mais je puis confirmer à l'honorable membre que de nombreux accords de coopération scientifique et technique, y compris sur l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, ont été signés par la Belgique avec d'autres États, auxquels s'ajoutent des accords conclus par Euratom. Je peux citer parmi les États en question les États-Unis, l'Australie, le Canada, la Russie, la Chine, la Hongrie, la Corée du Sud, l'Égypte, etc.
Dixième question
Par le passé (1981-1985), Synatom a vendu de l'uranium faiblement enrichi qui excédait les besoins des centrales de Doel et Tihange. Ces ventes ont été faites en Europe à des sociétés américaines et européennes, avec l'approbation d'Euratom. Synatom a également livré à des tiers du plutonium provenant du retraitement des combustibles belges. Le détail en a été exposé lors du débat parlementaire de 1993 que j'ai mentionné ci-dessus et auquel j'invite l'honorable membre à se référer. Quant à Belgonucléaire, elle a vendu à ses clients le plutonium nécessaire à la fabrication de combustible MOX. Toutes ces transactions de Synatom et de Belgonucléaire, ont reçu l'approbation d'Euratom.
Onzième question
Je peux communiquer que l'Agence d'approvisionnement d'Euratom doit approuver toutes les transactions. Euratom (Division de « Garanties » de Luxembourg) et l'Agence internationale de l'énergie atomique vérifient par des contrôles extrêmement stricts la matérialité des faits. Dans le cas du plutonium, ces contrôles sont permanents et se font en présence de représentants du Service de la sécurité nucléaire du ministère de la Justice. En outre, l'importation, l'exportation et le transport sont contrôlés par les administrations fédérales.
Douzième question
Dans le respect des réglementations rappelées ci-dessus et pour autant qu'Euratom approuve la transaction, de l'uranium enrichi ou du plutonium peuvent être vendus à des entreprises étrangères.
Treizième question
Les engagements internationaux de la Belgique s'opposent formellement à ce que de telles ventes soient faites à des fins militaires.
Quatorzième question
J'invite l'honorable membre à s'adresser au ministre de la Défense nationale, qui est compétent dans ce domaine.
Questions 15, 16 et 17
Je veux répéter encore une fois clairement qu'aucune matière fissile d'origine belge n'a été employée pour les essais militaires français dans le Pacifique.
En ce qui concerne la dix-huitième question, je vois mal comment le dispositif existant pourrait être complété pour renforcer le contrôle et la transparence des transactions sur les matières nucléaires, en tout cas dans nos États déjà soumis aux deux systèmes de contrôles internationaux d'Euratom et de l'AIEA.
Une aide active est fournie aux États dont les systèmes de contrôle et de comptabilité présentent une moindre fiabilité. Cette aide est fournie sous les auspices de l'AIEA et d'Euratom.
Un remplacement des systèmes de contrôle dans ces États ainsi que des mesures de protection physique adéquates permettra de diminuer drastiquement les risques de diversion de matériaux nucléaires.