(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Une des critiques les plus préoccupantes du système judiciaire belge est le reproche que lui adresse l'opinion publique à propos de sa lenteur exaspérante. Les affaires traînent de report à report et prescription. Les avocats et les magistrats perdent énormément de temps à régler les procédures. Des clients, des accusés et des justiciables sont retenus de longues heures durant pour s'entendre dire que l'affaire a été différée une fois de plus. Après le calvaire de l'enquête vient celui de la procédure devant la juridiction. Certains juges sont des spécialistes du report et lorsqu'il arrive qu'un rare jugement soit prononcé, il s'agit souvent d'une réouverture de débats...
L'honorable ministre pourrait-il me communiquer le nombre de jugements qui ont été prononcés au cours de la deuxième année judiciaire ?
Combien de jugements concernaient une réouverture de débats ?
Combien de reports d'examen ont été prononcés ?
Combien de causes, en moyenne, figuraient au rôle d'un tribunal et combien de causes, en moyenne, ont été traitées au fond ?
Peut-on encore parler, d'après l'honorable ministre, d'un État de droit ?
Ne faut-il pas admettre que l'on pratique systématiquement du déni de justice ?
Les juges font-ils l'objet d'une évaluation annuelle ?
Inflige-t-on des sanctions disciplinaires à l'encontre de ceux dont l'on sait qu'en fait, ils fuient en permanence leurs responsabilités ?
Quelles initiatives l'honorable ministre prendra-t-il afin de mettre fin à ces situations inacceptables ?
Réponse : En ce qui concerne les points 1 et 4 de la question de l'honorable membre, je renvoie aux informations fournies par l'Institut national de la statistique. Il n'y a pas de statistiques disponibles pour les points 2 et 3.
Les juges ne sont pas soumis à une évaluation annuelle. Les magistrats qui manquent aux dévoirs de leur charge font l'objet de sanctions disciplinaires, conformément aux articles 405 et suivants du Code judiciaire. D'ailleurs, en ce qui concerne les juges, ce code indique explicitement quelle est l'autorité de tutelle et quelle est l'autorité disciplinaire.
La notion d'« État de droit » signifie que les citoyens ne sont pas soumis à des règles arbitraires, mais qu'il existe des règles de droit fixes, générales, impersonnelles dont l'application est prévisible; elles doivent être respectées tant par les sujets de droit que par les dirigeants (A. Alen, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Kluwer, 1995, p. 12, nº 12).
Affirmer que l'État de droit n'existe plus revient à prétendre que le pouvoir judiciaire se soustrait sciemment à la Constitution et à la loi. Il faut plutôt se demander si la communauté est prête à fournir au pouvoir judiciaire suffisamment de moyens par rapport au nombre croissant de litiges qu'elle soumet pour jugement à ce pouvoir constitutionnel. Ces dernières décennies, le nombre des litiges a augmenté beaucoup plus fortement que les moyens. L'une des causes principales, parmi de nombreuses autres, est l'esprit de contestation caractéristique de la société contemporaine (E. Krings, État de l'arriéré judiciaire en Belgique, Actes du Colloque « L'arriéré judiciaire », tenu au Sénat le 26 mai 1989, publication du Sénat, p. 32, nº 31). La justice n'est-elle pas plutôt victime d'un grand nombre de litiges qui ne devraient en fait pas exister ?
En matière de procédure, le Parlement a mis au point de bonnes règles pour armer la partie la plus diligente contre la partie récalcitrante (entre autres, les art. 747, § 2, et 750, § 2, du Code judiciaire; les lois des 3 août 1992 et 23 mars 1995). La commission de la Justice du Sénat y a collaboré de façon active.
Il est vrai que le règlement de la procédure, en particulier la fixation des délais de conclusion, demande du temps, même si le législateur a organisé une procédure simple et rapide à cet effet (art. 747, § 2, du Code judiciaire). Il ne faut cependant pas oublier que les règles susvisées ne sont nécessaires qu'en cas de méconnaissance des délais légalement prescrits ou des délais fixés amiablement par les parties (art. 747, § 1er , du Code judiciaire). L'attitude récalcitrante ou négligente des parties litigeantes entraîne dès lors une très grande charge pour la justice. Un autre exemple est l'abus qui est fait parfois de l'article 751 du Code judiciaire, de sorte que cette disposition, qui a pour but d'imposer une sanction à la partie récalcitrante, produit dans beaucoup de cas l'effet inverse.
Le nombre considérable de causes soumises aux juges après que les parties ont mis l'affaire en état, a pour effet que les rôles sont surchargés et qu'il faut, dans beaucoup de cas, attendre longtemps la fixation.
Je renvoie en outre à l'article 770 du Code judiciaire complété par la loi du 3 août 1992. Cet article dispose que le juge qui tient la cause en délibéré pour prononcer le jugement, fixe le jour de cette prononciation, qui doit avoir lieu dans le mois, à partir de la clôture des débats. Si la prononciation ne peut avoir lieu dans ce délai, il est fait mention à la feuille d'audience de la cause du retard. Si le juge prolonge son délibéré au-delà de trois mois, il doit en aviser le premier président de la cour d'appel ou de la cour de travail. Le premier président peut alors prendre des mesures d'ordre interne. Si le délibéré dure plus de six mois, il sera loisible au premier président d'en référer au procureur général près la cour d'appel afin que celui-ci requière le dessaisissement du juge (Doc. Sénat, 1198-1, 1990-1991, p. 15, renvoyant à l'art. 652 du Code judiciaire). Le procureur général se fait représenter tous les mois les feuilles d'audience, et vérifie notamment s'il a été satisfait aux dispositions de l'article 770 du même code (Doc. Sénat, 301-2, SE 1991-1992, p. 87, renvoyant à l'art. 788 du Code judiciaire).
En ce qui concerne les initiatives prises par le Gouvernement pour combattre l'arriéré judiciaire, je me réfère à la déclaration d'intention commune entre les acteurs de la Justice. Il est notamment envisagé :
D'introduire une sanction pour abus de procédure;
D'augmenter le taux légal;
D'augmenter l'indemnité de procédure, entre autres, en cas de recours;
De stimuler la conciliation;
De poser le principe du caractère exécutoire provisoire des décisions judiciaires;
De procéder à la délégation de greffiers.
Lors de l'introduction de nouvelles mesures, il faut cependant toujours tenir compte des moyens budgétaires limités qui sont mis à la disposition de la Justice. Toutefois, je me réjouis du fait que le 19 juillet 1996, le Conseil des ministres a approuvé l'avant-projet de loi contentant des mesures en vue de résorber l'arriéré judiciaire dans le cours d'appel. L'avant-projet prévoit notamment la création de conseillers suppléants.