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Sénat de Belgique

Belgische Senaat

Annales parlementaires

Parlementaire handelingen

SÉANCES DU JEUDI 10 JUILLET 1997

VERGADERINGEN VAN DONDERDAG 10 JULI 1997

(Vervolg-Suite)

DEMANDE D'EXPLICATIONS DE MME LIZIN AU MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE ET AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR « LA SITUATION AU CONGO »

VRAAG OM UITLEG VAN MEVROUW LIZIN AAN DE MINISTER VAN LANDSVERDEDIGING EN AAN DE MINISTER VAN BUITENLANDSE ZAKEN OVER « DE SITUATIE IN CONGO »

M. le président. ­ L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Lizin au ministre des Affaires étrangères.

La parole est à Mme Lizin.

Mme Lizin (PS). ­ Monsieur le président, notre objectif de ce jour est d'entamer avec le ministre, à l'occasion de cette demande d'explications, un dialogue sur son appréciation de la situation actuelle au Congo. Nous aimerions aborder les thèmes de la reconnaissance par la Belgique et du fonctionnement de notre ambassade après les événements.

J'aimerais savoir si le ministre considère que la situation est redevenue normale et que la sécurité est assurée. Le ministre est-il inquiet à propos des événements dont la presse s'est fait l'écho récemment ? Ces événements concernent-ils des expatriés ou le ministre estime-t-il que ces derniers ne sont pas visés ? Un certain nombre de meurtres ont en effet été perpétrés dans la ville et l'on peut les considérer comme des règlements de compte comme on peut aussi les soumettre à une analyse plus inquiétante.

Le ministre peut-il nous donner son appréciation sur la situation globale du Congo aujourd'hui et plus particulièrement, en matière de droits de l'homme ? Que pense-t-il des propositions émises par M. Zaklin à Genève ? Est-il possible à ses yeux de mener, à l'heure actuelle, une requête objective sur le territoire du Congo ?

Le ministre peut-il nous donner un état des contacts bilatéraux entre les gouvernements ou, du moins, au niveau des fonctionnaires concernés ? Dans ce pays, beaucoup de personnes ont des amis au Congo; elles en ont aussi au sein du gouvernement. Je pense en particulier à une femme ministre, Mme Kasavubu, responsable de la fonction publique et dont le travail est gigantesque : recréer une fonction publique, peut-être parmi les plus délabrées d'Afrique, constitue en effet une tâche énorme. Mme Kasavubu l'a acceptée avec beaucoup de sens des responsabilités mais, malheureusement aussi, avec un budget pratiquement inexistant.

On peut espérer, je suppose, que nos contacts bilatéraux soient à nouveau envisagés de manière positive aujourd'hui, et je voudrais demander au ministre si l'on pourrait imaginer que l'aide que nous apportons soit orientée vers le ministère de Mme Kasavubu, vers la fonction publique.

Par ailleurs, une demande très précise a été formulée en ce qui concerne la gendarmerie, elle a été examinée favorablement par les différentes structures de celle-ci, et je crois qu'il serait heureux que cette orientation positive aille de pair avec une attitude diplomatique prise dans le même sens. Le Congo a besoin de recréer une sécurité interne et cela nécessite du matériel et, surtout, des personnes aptes à continuer une démarche entamée voici quelques années puis abandonnée. Les différents échelons de la gendarmerie, dont M. Berckmoes et le lieutenant-général De Ridder, ont, je le répète, examiné positivement cette demande, mais nous ne savons pas quelle réponse politique y a été donnée.

Bien que le ministre de la Défense nationale, M. Poncelet, soit absent, j'aimerais aborder le sujet de la coopération militaire, laquelle constitue de toute manière aussi un acte politique et diplomatique important. Nous orientons-nous vers une reprise de cette coopération ? Dans l'affirmative, est-il pensable que nos écoles militaires reprennent une partie, si pas l'ensemble, de leurs activités en ce domaine ?

Comme l'a publié hier avec beaucoup de brio le Washington Post, relayé aujourd'hui par la presse belge et européenne, on assiste maintenant à une reconnaissance officielle du rôle rwandais et ougandais dans la préparation de prise du pouvoir à l'intérieur du Congo. Après la prise de pouvoir au Rwanda, on a pu observer de la part des O.N.G. une attitude extrêmement correcte et respectueuse à l'égard de l'autorité installée et non plus une mainmise systématique et sans contrôle.

Monsieur le ministre, je voudrais savoir ce que vous pensez de la manière dont les choses peuvent s'organiser aujourd'hui au Congo. La Belgique peut-elle accepter un comportement et des conditions de cette nature ?

J'aimerais aussi que vous nous disiez ­ si pas officiellement, du moins en utilisant un langage prudent ­ si la Belgique continue à essayer d'obtenir du président Kabila une modification de la composition de son gouvernement, de manière à l'ouvrir à d'autres forces d'une opposition congolaise bien réelle à l'époque du précédent gouvernement, celui du président Mobutu. Avons-nous encore à jouer un rôle diplomatique à cet égard, sous quelle forme et dans quelle mesure la Belgique l'assume-t-elle actuellement ?

M. le président. ­ La parole est à M. Mahoux.

M. Mahoux (PS). ­ Monsieur le président, Mme Lizin a posé toute une série de questions importantes. Je me suis rendu au Congo il y a une semaine et j'y ai rencontré différents interlocuteurs. J'ai ainsi pu me faire une idée de la situation qu'il importe d'apprécier à sa juste valeur, en tenant compte des aspects positifs, mais aussi des risques liés à l'installation d'un nouveau pouvoir.

J'ai été frappé par le fait que l'ensemble des interlocuteurs, ceux appartenant à l'Alliance, ceux du gouvernement et ceux de l'opposition démocratique, manifestent une volonté de reconstruction. Peut-être entend-on pour la première fois depuis longtemps au Congo des interlocuteurs affirmer que s'ils veulent reconstruire, c'est pour améliorer le sort de la population, et ce en observant des règles d'éthique pour ce qui est de l'utilisation des fonds publics, qu'ils soient d'origine intérieure ou extérieure.

Il existe, bien sûr, des divergences entre le pouvoir et l'opposition démocratique, mais j'ai été frappé qu'au-delà, une volonté de négociation se manifeste.

Ces divergences les plus importantes surgissent à propos du rôle à assigner à la Conférence nationale souveraine et du fait que l'on tienne compte de deux éléments nouveaux : d'une part, Mobutu est parti; d'autre part, le pouvoir a été pris par les armes. Cependant, une volonté se manifeste de part et d'autre de reconnaître le travail accompli par tout un chacun.

Le Congo est un pays exsangue, non seulement parce que ses caisses sont vides, mais aussi parce que la population se trouve dans un état absolument déplorable. Mme Lizin a évoqué les départements d'autorité qui sont évidemment très importants dans des situations nouvelles, mais je voudrais, pour ma part, m'attacher aux secteurs de l'enseignement, de la santé et de la fonction publique, même s'il en est d'autres que le gouvernement congolais définit comme étant prioritaires.

Nous avons peut-être la chance, monsieur le ministre, à l'échelon des départements ministériels, d'avoir des interlocuteurs qui, aussi bien en termes d'efficacité, de compétence que de défense des droits de l'homme, ont montré dans leur histoire personnelle que nous pouvions leur faire confiance.

Un sentiment d'insécurité continue toutefois à exister et nous ne pouvons affirmer que la démocratie soit parfaite, que ce soit sur le plan formel, en termes de calendrier futur des élections, ou concret, en termes de respect des droits de l'homme sur le plan individuel. Nous sommes en effet de temps à autre informés de ce que d'aucuns qualifient de bavures, sans qu'il soit toujours possible de déterminer les responsabilités.

Si votre intention était, monsieur le ministre ­ ce que je souhaite ­ d'intensifier les contacts de gouvernement à gouvernement entre Bruxelles et Kinshasa, cet élément de respect des droits de l'homme devrait être mis en exergue.

Par ailleurs, j'insiste sur le rôle indispensable de la commission d'enquête internationale instaurée par l'O.N.U. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur cette commission. Quelle est la position de notre pays dans le cadre des Nations unies, sachant que des conditions nouvelles sont imposées par le pouvoir à Kinshasa ? L'une d'entre elles peut être considérée comme légitime puisqu'elle concerne la période au sujet de laquelle la commission serait compétente. Certains responsables congolais affirment que si l'on veut analyser la problématique des réfugiés dans l'Est du Congo et déterminer les responsabilités sur les massacres qui y auraient été commis, il faut accepter que cette commission d'enquête des Nations unies puisse faire porter son travail sur la période allant de fin 1993 jusqu'à maintenant.

Nous sommes bien placés au Sénat pour savoir que le rôle d'une commission d'enquête est d'analyser l'ensemble des responsabilités, sans a priori. Cette condition imposée par le pouvoir à Kinshasa ­ l'autre portant sur la composition de la commission ­ mérite d'être retenue et soutenue.

Pour la première fois, les Nations unies accepteraient de revoir le mandat initial de cette commission d'enquête, afin de rencontrer le souhait tout à fait légitime du Gouvernement congolais. Il me semble qu'au plan international, il serait souhaitable de soutenir cette modification du mandat et de la mission de la commission d'enquête, afin de lui permettre d'accomplir valablement son travail qui est tout à fait indispensable.

Les informations que vous avez pu recueillir, de façon formelle ou informelle, vont-elles dans ce sens ? Les interlocuteurs que j'ai pu rencontrer et que j'ai interrogés à cet égard, n'ont pas émis d'objection fondamentale, si ce n'est la réserve portant sur la période à prendre en compte par la commission d'enquête.

Monsieur le ministre, je voudrais vous demander quelle est la position du gouvernement concernant une reprise ou une intensification concrète des contacts, à mes yeux souhaitables, avec le gouvernement congolais, avec des interlocuteurs qui seront, peut-être, des interlocuteurs spécifiques. Certains départements, la santé, la fonction publique, l'enseignement ou le ministère de la reconstruction sont occupés par des hommes et des femmes manifestant la volonté de reconstruire leur pays dans le respect des règles éthiques.

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais encore demander si vous disposez d'informations quant à la mise sous séquestre ou à l'inventaire des biens de Mobutu et de son entourage en Belgique. Les informations parues à cet égard dans la presse sont satisfaisantes. À plusieurs reprises, j'ai déclaré que si nous voulions que justice se fasse et que le gouvernement congolais, dont les caisses sont vides, puisse entamer la reconstruction, nous devrions effectuer des démarches en vue de restituer les biens spoliés par Mobutu et le système mobutiste. Nous devrions aussi réamorcer des contacts en vue de favoriser la reprise de l'aide internationale aux conditions générales fixées depuis un certain temps par la Belgique. Je fais allusion à un système de collaboration centré sur les départements de la santé, de l'enseignement, de la fonction publique et de la justice.

Comme l'a dit Mme Lizin, la maîtrise des départements d'autorité par le pouvoir mis en place à Kinshasa, est un point crucial en termes de stabilité et d'assurance future du respect des droits de l'homme. (Applaudissements.)

M. le président. ­ La parole est à Mme Willame.

Mme Willame-Boonen (PSC). ­ Monsieur le président, voici quelque temps, le ministre des Affaires étrangères nous a présenté une grille d'analyse de la situation congolaise, articulée sur trois points. Il s'agit, tout d'abord, de l'élargissement de l'autorité politique de transition à d'autres mouvements que l'Alliance; ensuite, de l'engagement dans un processus démocratique et l'obtention de résultats dans un délai raisonnable, notamment par la perspective d'élections démocratiques; enfin, de la mise en oeuvre d'une solution humaine et rapide au problème des réfugiés et des déplacés, ainsi que du respect des droits de l'homme.

Il apparaît que l'objectif de l'élargissement à d'autres forces politiques est assez loin d'être rencontré jusqu'à présent, ainsi qu'en témoignent les différentes péripéties vécues par M. Tshisekedi. Le gouvernement actuel est un gouvernement de l'Alliance, pour l'Alliance, dans un contexte de vide constitutionnel.

Le pouvoir congolais ne commet-il pas l'erreur, à travers le rejet de toutes les forces d'opposition démocratique au mobutisme, de se couper du peuple congolais qui n'admettra pas de voir une « dictature » en remplacer une autre ? Car, en effet, sur quoi repose le régime actuel, sinon sur une présence militaire souvent perçue comme étrangère par la population ? La question fondamentale qui se pose est de connaître la marge de manoeuvre dont dispose le président congolais pour contrebalancer un pouvoir militaire dont il ne semble pas être le seul à tirer les ficelles. Quelle est l'opinion de M. le ministre à ce sujet ? Et comment évalue-t-il la bonne volonté du président congolais ou sa marge de manoeuvre par rapport à ceux qui prennent peut-être réellement les décisions ?

J'en viens au second élément, à savoir le processus démocratique.

Le pouvoir congolais repose sur des bases très fragiles. Il n'y a pas de constitution en vigueur, pas de représentants légitimement élus. Les activités politiques sont suspendues. Les leaders de l'opposition sont inquiétés par le pouvoir. Quelles sont les étapes ou les résultats que M. le ministre considérerait comme positifs dans son évaluation des efforts menés par le gouvernement congolais afin de remplir ce critère démocratique ?

Le troisième élément porte sur la question des réfugiés et du respect des droits de l'homme dans l'Est du Congo, que vient d'évoquer M. Mahoux.

Pourquoi le Gouvernement de Laurent-Désiré Kabila refuse-t-il obstinément la mission d'enquête telle que prévue actuellement ? Pourquoi les Nations du monde doivent-elles chercher des « mécanismes parallèles », afin d'examiner la situation des droits de l'homme au Congo et de vérifier les allégations de massacres de civils non armés ? Ces manoeuvres semblent être une présomption de culpabilité. Les rapports que M. Garreton a rédigés, concluent au massacre de milliers de réfugiés rwandais. Certaines sources ­ mais j'ai pu constater, dans le cadre de la commission Rwanda, qu'elles ne sont pas toutes fiables ­ évoquent le meurtre de 200 000 réfugiés. La communauté internationale ne peut accepter de se laisser manipuler en la matière.

On a pu et on pourra encore, à juste titre, dénoncer la passivité du Parlement belge lors des événements du Rwanda en 1993-1994. Le Parlement ne doit pas à nouveau tomber dans le même travers, par négligence ou par manque d'intérêt. Nous devons exiger que toute la vérité soit faite sur les massacres présumés de réfugiés rwandais dans l'Est du Congo.

En conclusion, monsieur le ministre, les messages que nous recevons du Congo ne semblant guère encourageants. J'aimerais connaître votre analyse de la situation du Congo et savoir quelles démarches vous comptez entreprendre.

Une réflexion pour achever cette intervention : la question fondamentale par rapport au Congo est celle de la définition de notre stratégie vis-à-vis de ce pays. L'attentisme qui semble caractériser la ligne actuelle du gouvernement peut-il suffire ou devons-nous imaginer une autre politique, plus volontariste, dont le fil conducteur serait de ne plus lier, de manière aussi conditionnelle, la relance de notre aide à la réponse que le gouvernement congolais apporterait à une série de critères, critères pour lesquels il a, précisément, besoin d'assistance ? Mais cette suggestion n'a de valeur que sous bénéfice d'inventaire des exactions de l'Alliance dans l'Est du Congo.

M. le président. ­ La parole est à M. Derycke, ministre.

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Monsieur le président, je suis surpris de constater que les réactions concernant la situation actuelle au Congo soient uniquement le fait des francophones. Une enquête récente met d'ailleurs clairement en évidence un intérêt davantage marqué du côté francophone que du côté néerlandophone pour cette question. J'ignore si l'on doit en tirer des conclusions.

Mme Willame-Boonen (PSC). ­ Parlez-vous pour l'Afrique en général, monsieur le ministre ?

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Je parle effectivement de l'Afrique en général.

Mme Mayence-Goossens (PRL-FDF). ­ En ce qui concerne l'ex-Zaïre, cela a toujours été le cas.

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Pour ma part, cela ne pose pas de problème, il s'agit d'un simple constat.

À mes yeux, il n'existe pas 36 façons d'aborder le problème du Congo. Tout d'abord, je ferai part de l'analyse faite par le département des Affaires étrangères; ce point de vue n'est certes pas parfait étant donné que la situation évolue tous les jours, mais pas nécessairement dans le sens souhaité par la Belgique.

Le moins que l'on puisse dire est que nous avons affaire à un autre Congo et que la Belgique n'aura plus un rôle prépondérant à jouer dans le cours de l'histoire de ce pays. À partir de maintenant, ce sont les responsables de ce dernier qui décident, et je crois qu'ils sont encore assez loin d'une estimation finale de leur propre avenir et de leurs projets. Cette appréciation sera très difficile à établir, j'en conviens, puisque l'économie zaïroise était tout à fait délabrée; en fait, le Zaïre n'existait pratiquement plus. Ce pays doit donc être approché d'une autre façon et avec une autre mentalité.

Trois facteurs ont été définis pour améliorer la situation : il s'agit de l'élargissement du gouvernement, de la mise en oeuvre du processus de démocratisation et d'une solution au problème des réfugiés. Une attitude trop sévère briserait ce pays. En effet, si les Congolais peuvent encore accepter nos conseils, en cas de menaces, ils nous chasseront purement et simplement.

Les limites de notre action sont très restreintes; elles doivent tenir compte de la position de l'opinion internationale et des principes qui ont été émis par la Chambre et le Sénat quant à la démocratisation et au respect des droits de l'homme. De même que la Belgique, tous les autres pays ressentent cette évolution.

Je ferai une petite remarque à propos des O.N.G. nordiques. Après la libération, ces dernières ont littéralement submergé le Congo. Aujourd'hui, elles quittent ce pays car les Congolais n'acceptent pas que l'on travaille sans eux et que l'on entreprenne des actions allant à l'encontre de leur politique. On constatera donc encore de nombreuses fluctuations dans la façon dont les Congolais verront leur propre destin.

J'en viens à la reconnaissance du Congo par la Belgique. À cet égard, nous sommes pour la continuité. Nous travaillons avec le Congo comme nous l'avons fait avec le Zaïre. Nous avons reconnu de facto le nouveau régime de Laurent-Désiré Kabila.

Dans le cadre de notre politique à l'égard de l'Afrique, et en particulier de l'Afrique centrale, il est important que ce changement politique offre à la population une perspective politique et économique à la hauteur de ses espoirs.

Notre ambassade à Kinshasa tourne à plein rendement et nous avons déjà envoyé un diplomate à Lumbumbashi qui a recréé le noyau d'un consulat général.

En ce qui concerne la stabilité intérieure, le respect des droits de l'homme ­ qui va de pair avec le problème des réfugiés ­ est de loin la question la plus importante. Un autre problème, lié à la démocratisation, est l'élargissement du gouvernement à d'autres forces politiques. Pour être tout à fait sincère, une marge de manoeuvres existe et il faut leur donner le temps nécessaire. Selon mes informations, il n'y a pas de cassure totale avec M. Tshisekedi et peut-être sont-ils déjà beaucoup plus avancés que nous le pensons ? Nous devons constater que ce gouvernement a plus tendance à s'orienter vers un système à la Museveni que vers d'autres systèmes démocratiques qui ont souvent échoué en Afrique. Évidemment, la démocratisation finale, avec l'organisation d'élections dans deux ans, comme l'a proposé M. Kabila, me semble être une façon honorable de résoudre ce problème.

Beaucoup de travail doit encore être réalisé au niveau des O.N.G., notamment pour préparer convenablement la population à ces élections. Celles-ci devraient être organisées comme elles l'ont été en Afrique du Sud, en prenant le temps de préparer véritablement la population. Je ne suis pas totalement opposé à ce système parce que je crois que la période de transition a fortement changé l'esprit quasi démocratique de la population congolaise.

Sur le plan de la stabilité intérieure et des droits de l'homme, la situation n'est pas totalement normalisée. Certaines poches de violence subsistent à Kinshasa et dans d'autres parties du pays, qui prouvent que les troupes de Kabila ne contrôlent pas encore entièrement ce grands pays. C'est difficile à juger mais, à la lecture des journaux et des rapports de notre ambassade, il y a énormément de violence envers les civils, parfois de la part de militaires du A.F.D.L., des ex-F.A.R. ou des ex-F.A.Z. qui, comme ils l'ont fait pendant 20 ou 25 ans, continuent à pratiquer ce qui leur semble permis. Cela durera encore un certain temps, à la limite jusqu'à ce que Kabila ait réorganisé la gendarmerie et peut-être l'armée.

Mme Lizin et M. Mahoux ont fait allusion à ces problèmes importants que je ne rejette pas totalement. Le projet est honorable mais si la Belgique doit collaborer à ces tâches, le problème prend une autre dimension. Je tiens à ce qu'un débat ait lieu dans les deux assemblées car le thème est lourd de conséquences. D'ailleurs, les Congolais ne l'ont pas encore proposé. Je tiens à souligner que la philosophie a entièrement changé. L'initiative ne nous revient plus. Il appartient à notre Parlement de considérer la demande et d'évaluer nos possibilités d'accomplir un travail utile. Je ne suis pas totalement opposé à cette coopération mais elle n'a pas encore fait l'objet d'un débat tant au Gouvernement qu'au Parlement. Ce point n'est donc pas à l'ordre du jour.

Le fait de considérer que Kabila a hérité d'une situation économique et sociale désastreuse est une porte ouverte. Les attentes de la population sont immenses. Tout est à refaire. Il est très important pour le régime actuel de démontrer que la situation économique progresse. De cette façon, il gagnera en crédibilité aux yeux de la population, crédibilité qui est actuellement fondée sur deux thèmes : le renouveau et l'ordre. Ce pays a connu le désordre depuis dix ans. La population semble manifester une volonté positive à l'égard du pouvoir en place mais il convient que la situation économique progresse rapidement. Sinon, les dérives sont possibles, et ce n'est pas souhaitable.

J'en viens aux réfugiés. Ce problème est insoluble. Curieusement, je constate une sorte de fatigue sur le plan international. Mme Ogata et les O.N.G. ne se manifestent plus guère. De temps en temps, Mme Bonino fait encore beaucoup de bruit. Lors du dernier entretien que j'ai eu avec Mme Ogata à Hong Kong, elle m'a signalé que le travail promis était poursuivi, à savoir raccompagner dans leur pays les 70 000 Rwandais. Par contre, aucune solution n'a été trouvée en ce qui concerne les 150 000 réfugiés, même pas au niveau multilatéral, du U.N.H.C.R., des Nations unies.

En ce qui concerne la fameuse commission, la résolution numéro 58 qui avait été introduite par l'Union européenne sur proposition de la Belgique n'a guère rencontré de succès.Le régime n'est disposé à l'accepter qu'à certaines conditions, celles-ci devant être élargies. L'ensemble de la période doit être prise en considération. De plus, ils veulent rencontrer un autre commissaire. En effet, selon les Congolais, Garreton aurait fait preuve d'une certaine subjectivité dans son « prérapport ».

Kofi Annan a, me semble-t-il, compris la situation. Le 8 juillet, il a indiqué, devant le Conseil de sécurité, qu'il allait prendre ses responsabilités et recomposer la commission. Il va donc désigner d'autres spécialistes, en coopération avec les Congolais. J'ignore s'il a abordé, devant le Conseil de sécurité, la question qui a fait l'objet de discussions entre le régime et Sanoun. En d'autres termes, je ne sais pas s'il a demandé au Conseil de sécurité son accord pour que l'on remonte jusqu'au 20 mars 1993, c'est-à-dire jusqu'au moment où le Zaïre est devenu le Congo et où le régime, considérant qu'il s'agissait d'une cassure totale dans la forme de l'État, n'a plus voulu se préoccuper de la situation au Kivu.

Kofi Annan va tenter de lever ce blocage et de parvenir à un accord avec le régime concernant la période d'investigation, les qualifications des experts, la présence d'une équipe nationale à côté des enquêteurs, le refus d'accorder au personnel local de la mission les garanties comprises dans la Convention des privilèges et des immunités des Nations unies et, enfin, concernant la question des difficultés d'accès et de la sécurité non assurée.

Ce problème est important pour la Belgique qui, le 22 mai, a encore proposé à l'Union une nouvelle résolution, acceptée à l'unanimité.

Je pourrais résumer notre position en ce qui concerne les droits de l'homme en deux principes.

Tout d'abord, nous déplorons l'attitude du gouvernement congolais. En effet, on s'est écarté d'une résolution qui avait été acceptée par tous. Par ailleurs, nous devons faire preuve de pragmatisme. L'essentiel est de connaître la vérité, même si, pour cela, la commission doit prendre une forme différente. Personnellement, je ne suis pas opposé à une certaine ouverture ni au fait de remonter jusqu'en mars 1993, ce qui pourrait peut-être donner une vision plus claire de la situation.

Nous rappelons donc à l'Alliance que ce problème est important pour la Belgique et pour le Parlement. D'après les propos que j'ai entendus, au Sénat comme à la Chambre, la Belgique tient à cette commission comme élément d'évaluation pour le futur. M. Yves Haesendonck, notre ancien ambassadeur spécial pour l'Afrique centrale ­ remplacé maintenant par M. Nijskens, notre ambassadeur à Nairobi ­ a rencontré M. Museveni la semaine dernière et est revenu, à cette occasion, sur cette question très importante.

J'en viens maintenant à la problématique des contacts bilatéraux. Comme vous le savez, notre chef de cabinet s'est rendu à Kinshasa. Il y a eu de nombreux contacts fort intéressants et nous avons ensuite essayé de préparer le voyage de M. Moreels. Pour des raisons que nous ne connaissons pas, ce voyage s'est avéré difficile à envisager dans l'immédiat. Il semble que certains problèmes de communication aient surgi au sein même du gouvernement congolais. M. Karaha a encore confirmé la semaine passée qu'il aimerait recevoir la visite de M. Moreels mais par ailleurs, M. Kanza, en charge de l'aide au développement, n'avait pas encore mis sa programmation tout à fait au point. La visite est prévue pour la fin de ce mois et, lorsque M. Karaha reviendra de New York, je lui ferai savoir qu'il est important pour la Belgique que cette visite ait lieu afin d'entamer des pourparlers officiels entre le ministre congolais et notre secrétaire d'État.

En effet, notre secrétaire d'État se rend au Congo pour ainsi dire en « éclaireur » afin de déterminer quels sont les besoins sur place et d'évaluer les demandes. Le secrétaire d'État et moi-même songeons à certains programmes de coopération bien précis qui ont déjà fait leurs preuves dans les domaines de l'enseignement, des soins de santé et de la démocratisation. Mais nous ne pouvons bien entendu prendre aucune décision sans savoir exactement ce qu'ils attendent de nous.

Nos deux assemblées semblent favorables à une politique de coopération « bilatérale indirecte », c'est possible mais il faut évidemment faire cadrer cette politique dans leur programme de gouvernement.

J'ai la conviction, par ailleurs, que si nos O.N.G. retournent aujourd'hui dans ce pays avec la même mentalité, le même état d'esprit qu'avant les événements, elles rencontreront des problèmes. Elle devront s'adapter à la nouvelle situation et respecter leurs partenaires congolais si elles veulent mener une action efficace. Les différents enjeux que je viens d'évoquer me paraissent essentiels et justifient l'importance de cette visite officielle sur place. Si nous essuyons un refus, il est certain que nos assemblées se poseront des questions : souhaite-t-on encore une coopération de la part de la Belgique ? Pour ma part, je pense que le climat des relations est bon et que les Congolais souhaitent une collaboration avec notre pays à des conditions bien spécifiques. Les délégations officielles devront déterminer quels types de coopération sont les plus utiles. Il est évident que le respect mutuel constituera la base même de cette collaboration.

En ce qui concerne la problématique des biens mal acquis, je peux vous confirmer que M. Yves Hasendonck a reçu un pli du ministère des Affaires étrangères demandant une intervention juridique au niveau belge qui ne se limite pas aux biens de M. Mobutu mais qui porte sur la globalité des biens mal acquis.

J'ai donc envoyé cette requête au ministre de la Justice qui, comme promis, a transmis l'affaire au juge d'instruction qui a procédé à des saisies et qui poursuivra la procédure. Dès ce moment, le dossier n'est plus de ma compétence. Je pense qu'en procédant ainsi, nous manifestons notre respect.

Voilà les éléments que je suis en mesure de communiquer. La situation évolue tous les jours et j'estime qu'il est utile d'en faire le point de temps à l'autre, de manière à pouvoir suivre l'évolution d'une aventure qui ne fait que commencer.

M. le président. ­ La parole est à Mme Lizin.

Mme Lizin (PS). ­ Monsieur le président, je remercie le ministre pour le volet très positif de sa réponse.

Vous avez raison, monsieur le ministre, de parler d'une aventure qui ne fait que commencer. Il importe que nous l'abordions positivement. Je voudrais ajouter que nous n'éprouverions aucune crainte à l'égard d'une proposition de reprise de l'aide bilatérale directe, en tout cas pour les volets cités par M. Mahoux, c'est-à-dire l'éducation, la santé, ainsi que la fonction publique relevant de Mme Kasavubu.

Pour ce qui est des contacts, nous ne pouvons que vous conseiller de rencontrer le ministre lui-même, à l'occasion d'un de ses passages. J'ajoute qu'il nous paraît préférable que vous vous rendiez sur place plutôt que d'organiser un grand nombre de visites préalables. En effet, comme nous le répétons régulièrement, nous souhaitons que vous connaissiez l'Afrique de l'intérieur.

M. le président. ­ L'incident est clos.

Het incident is gesloten.