1-704/7

1-704/7

Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

28 JANVIER 1998


Projet de loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction


Procédure d'évocation


RAPPORT COMPLÉMENTAIRE

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MM. ERDMAN ET DESMEDT


Après renvoi par la séance plénière du 27 janvier, la commission procède, lors de sa réunion du 28 janvier 1998, à l'examen de l'amendement nº 178 (doc. Sénat, 1-704/6) de MM. Desmedt et Foret, libellé comme suit :

« Les victimes, constituées parties civiles, d'une infraction visée au titre VIbis du Code pénal, aux chapitres IV et V du titre VII du même Code ou au chapitre Ier du titre VIII du même Code, ainsi que les personnes inculpées des mêmes infractions, ont le droit d'être entendues au moins une fois par le magistrat en charge du dossier d'instruction. »

Un de auteurs de l'amendement répond à une objection formulée par M. Vandenberghe en séance plénière. Ce membre s'opposait au renvoi en commission de cet amendement, vu que le contenu de ce dernier avait déjà fait l'objet d'une longue discussion et d'un rejet par la commission (cf. amendement nº 152 de Mme Delcourt-Pêtre et le sous-amendement nº 170 de MM. Desmedt et Foret, doc. Sénat, 1-704/4, pp. 331-337).

L'intervenant précise que le texte de l'amendement nº 178 n'est pas totalement identique à celui des amendements nºs 152 et 170. En outre, l'intervenant souligne que le délai d'évocation expire le 29 janvier 1998. Le renvoi en commission constituait donc la seule façon de procéder à une discussion de l'amendement nº 178. Il rappelle qu'en cas de rejet, les auteurs se sont engagés à ne pas représenter l'amendement en séance plénière du 29 janvier 1998.

Il est précisé que l'amendement nº 178 vise à donner le droit aux parties civiles et aux inculpés d'être entendus au moins une fois par le magistrat en charge du dossier d'instruction, pour certains types d'infraction. Cet amendement diffère des autres amendements (voir ci-dessus), qui ont été rejetés par la commission par 3 voix contre 3 et 5 abstentions, pour les raisons suivantes.

En premier lieu, cet amendement consacre le droit d'être entendu, alors que l'amendement de Mme Delcourt-Pêtre prévoit la possibilité de demander à être entendu. D'autre part, l'amendement nº 178 remplace les termes « la victime », qui sont assez vagues, par « les victimes, constituées parties civiles ».

En réponse à l'objection selon laquelle l'article proposé par l'amendement nº 178 ne constitue qu'une déclaration d'intention, l'auteur de cet amendement répond que l'article 46 du projet n'a pas d'autre portée. L'article proposé donne aux parties un droit légitime, abondant dans le sens de la protection du droit des victimes, qui est à la base de ce projet.

Une autre membre confirme les nuances entre l'amendement et l'amendement nº 178. Elle rappelle que ces amendements s'inscrivent dans la philosophie du projet, imposant un devoir de compréhension et une attitude de respect vis-à-vis des victimes. Les infractions visées par l'amendement nº 178 sont les mêmes que celles qui figurent dans l'amendement nº 152. Seules des infractions graves font l'objet de cette demande de rencontrer le juge d'instruction au moins une fois.

Un autre membre relève que l'on institue un droit. Quelle est la sanction en cas de non-respect de ce droit ? La procédure est-elle entachée de nullité ou l'affaire n'est-elle pas en état si la condition n'est pas remplie ?

De plus, on limite le droit d'être entendu, notamment pour l'inculpé. Or, il existe quantité d'arrêts de la Cour de cassation traitant de la question de l'audition préalable par le juge d'instruction du prévenu qui comparaît devant la chambre du conseil dans le cadre du règlement de la procédure. Selon la Cour de cassation, la bonne administration de la justice commande que cette audition intervienne pour la mise en état du dossier répressif.

Il y a par ailleurs l'approche générale de la procédure devant la cour d'assises, dans laquelle le juge d'instruction entend en tout cas chaque partie. L'amendement énumère une série d'infractions. La question est dès lors de savoir comment concilier le droit général et le droit particulier, compte tenu de la procédure devant la cour d'assises.

L'intervenant fait ensuite référence aux mots « le magistrat en charge du dossier d'instruction » de l'article 3ter proposé. Selon lui, cette règle ne saurait s'appliquer au ministère public dans le cadre d'une information; l'amendement peut créer une certaine ambiguïté selon l'endroit où il sera inséré.

Il termine par une dernière observation inspirée par la pratique. L'intervenant dit en effet avoir des craintes concernant deux éléments : d'abord, on pourrait déduire a contrario de la disposition proposée que le droit d'être entendu n'est plus applicable dans le cas d'infractions qui ne sont pas énumérées expressément, contrairement à la jurisprudence. Ensuite, on ne précise pas les modalités de l'audition. Dans certains cas, les personnes sont soi-disant entendues alors que dans la réalité, l'entrevue se résume à leur demander de confirmer en une seule phrase leurs déclarations antérieures. Peut-on considérer cette pratique comme une audition ?

L'intervenant juge plus indiqué de faire une comparaison avec le texte de la loi sur la détention préventive et de prévoir la possibilité de demander un interrogatoire récapitulatif en fin d'instruction.

Il convient donc, selon lui, de se demander s'il ne vaudrait pas mieux clôturer l'instruction en donnant à chacune des parties la faculté de demander un interrogatoire récapitulatif, en soulignant qu'il ne doit pas s'agir d'un interrogatoire stéréotypé ramassé en une seule phrase, mais d'une approche volontariste.

Le ministre renvoie aux objections formulées par le ministre en séance plénière et aux arguments avancés lors de la discussion de l'amendement nº 152.

Le ministre est d'avis que l'amendement introduit une discrimination entre différentes victimes ou différents inculpés. En limitant à certaines infractions le droit d'être entendu, l'article proposé crée une discrimination non objectivement justifiée et pourrait donc faire l'objet d'une annulation par la Cour d'arbitrage sur base des articles 10 et 11 de la Constitution. Pourquoi ne pas étendre le droit d'être entendu à la victime d'un incendie volontaire ? Les victimes lui semblent devoir être traitées de façon égale.

De plus, l'instauration du droit d'être entendu au moins une fois ne lui semble pas satisfaire aux exigences des victimes. Ces dernières souhaitent en effet le droit d'avoir un véritable contact répété avec les magistrats chargés du dossier et une écoute réelle dans le cadre de toute l'instruction (voir la formation des magistrats instructeurs ou du parquet à l'accueil des victimes). En l'occurrence, le risque d'une audition purement formelle existe.

En troisième lieu, le ministre souligne que les infractions mentionnées sont toutes des infractions graves. Dans ce cas, l'inculpé sera de toute façon entendu dans le cadre du mandat d'arrêt et de manière obligatoire. Il se rallie aux propos d'un précédent intervenant concernant l'interrogatoire récapitulatif.

Enfin, il attire l'attention sur le fait que la constitution de partie civile a lieu dans les mains du juge d'instruction et que la victime est donc entendue à ce moment.

Au moment même de la constitution de partie civile, il y a donc une possibilité d'audition, qui existe déjà dans la loi actuelle.

Un membre renvoie à la discussion antérieure, qui figure dans le rapport (doc. Sénat, nº 1-704/4).

Outre l'élément de discrimination, il souligne également l'intervention de M. Traest, qui qualifiait la disposition proposée de superflue. L'audition par le juge d'instruction peut en effet être considérée comme un acte d'instruction complémentaire et, conformément à l'article 61quinquies , la partie civile peut demander au juge d'instruction à être entendue en guise d'acte d'instruction complémentaire.

L'intervenant rappelle enfin l'intervention du professeur Franchimont, qui a dit clairement que les dispositions proposées semblent limitées et que le deuxième projet étendrait le droit d'être entendu par le juge d'instruction. Ce projet prévoit, de surcroît, un interrogatoire récapitulatif au terme de l'instruction.

L'intervenant affirme en conclusion que cette problématique a déjà fait l'objet d'une discussion détaillée et que le moment n'est pas encore venu de s'écarter de la position adoptée.

Un autre commissaire répond aux objections soulevées. Il est vrai qu'aucune sanction n'est prévue. L'intervenant est cependant d'avis qu'il faut faire confiance aux juges d'instruction, qui essayeront de respecter la loi et ne prendront pas le risque d'une mise en cause de la procédure, même s'ils sont surchargés.

En ce qui concerne l'objection selon laquelle l'audition risque d'être purement formelle et de ne consister qu'en la confirmation des déclarations antérieures, l'intervenant répond que le texte du projet prévoit que l'inculpé a le droit, dès le moment où il se trouve dans le bureau du juge d'instruction, de déclarer ce qu'il veut et de faire acter ses déclarations.

Il ne faut pas perdre de vue le but de la disposition, qui vise à démontrer aux parties que leur affaire n'est pas négligée.

Quant à la proposition d'insérer l'interrogatoire récapitulatif de l'instruction dans la réforme globale, l'on souligne que celui-ci n'a pas le même objet.

Par ailleurs, selon l'intervenant, l'argument de discrimination ne peut être retenu, étant donné que les infractions mentionnées concernent des faits qui portent atteinte à l'intégrité physique.

En outre, si la disposition proposée par l'amendement n'est pas suffisante, elle constitue un premier pas nécessaire. Il est indispensable que le juge d'instruction entende les parties au moins une fois.

En ce qui concerne la comparaison avec le détenu, un membre rappelle que la référence à l'inculpé a été introduite en vue de maintenir l'équilibre des droits de la victime et de droits de l'inculpé non détenu.

L'intervenant précise enfin qu'en pratique, la constitution de partie civile ne se fait pas toujours dans les mains du juge d'instruction chargé du dossier. Il se peut qu'un texte soit simplement remis au greffier.

En conclusion, la disposition constitue une affirmation des principes en faveur des victimes, qui s'inscrit dans les lignes générales du projet.

Il est expressément précisé que « le magistrat chargé de l'instruction » vise le juge d'instruction, et non le ministère public. C'est la raison pour laquelle une correction de texte est proposée par le rapporteur, à savoir l'insertion de la disposition proposée à l'article 61bis in fine .

Une autre membre souligne l'objectif de l'amendement, notamment l'élément d'humanisation, de rencontre et de compréhension de la part du juge d'instruction vis-à-vis des victimes lorsqu'elles font l'objet d'infractions graves; le texte encouragera le juge d'instruction à faire la démarche de prendre contact avec les victimes.

Ensuite, il lui semble qu'il appartient au juge d'instruction de juger de l'opportunité du moment d'entendre la partie civile, au début ou à la fin de l'instruction.

Enfin, elle ne voit aucune objection à insérer déjà ce droit d'être entendu, même si le professeur Franchimont déclare que le droit sera repris, de façon plus étendue, dans le projet ultérieur.

Selon un membre, dans le cadre de l'humanisation, on pourrait prévoir également que la partie lésée doit elle aussi être entendue. On aurait ainsi un contexte formalisant de l'humanisation générale. Selon lui, le risque que la règle prescrite soit respectée au pied de la lettre, sans plus, est réel.

À ce stade, aucune règle ne régit l'interrogatoire du suspect renvoyé devant la chambre du conseil en vue du règlement de la procédure; la jurisprudence apporte toutefois des correctifs à cette situation.

Il se range par ailleurs à l'avis de ceux qui envisagent la demande d'être entendu comme un acte d'instruction complémentaire.

L'orateur reste d'avis qu'il serait plus logique de régler ultérieurement l'interrogatoire récapitulatif, de concert avec les autres règles de l'instruction judiciaire en général.

Un membre estime que l'amendement mérite d'être soutenu. Il se rallie aux arguments invoqués. Il insiste ensuite sur la limitation des infractions et sur le fait qu'il doit s'agir d'un véritable interrogatoire (une petite phrase ne lui paraît pas suffisante). L'amendement lui paraît offrir une garantie à la victime, partie civile.

Il estime enfin que la demande d'être entendu ne peut être considérée comme un acte d'instruction complémentaire. Le fait de se porter partie civile n'emporte pas forcément le droit d'être entendu. Cet amendement constituerait un signal important à l'attention de l'opinion publique, indiquant que les parties seront entendues au moins une fois. L'intervenant ne voit aucune objection à insérer la disposition proposée dans la loi.

L'amendement nº 178 est adopté par 10 voix contre 3 et 1 abstention.

Enfin, on propose de corriger comme suit le texte néerlandais adopté : au troisième alinéa de l'article 61bis (article 12 du texte adopté), les mots « en de personen die van dezelfde misdrijven worden verdacht » sont remplacés par les mots « en de personen die wegens dezelfde misdrijven in verdenking worden gesteld ».

Cette correction est apportée afin d'éviter tout malentendu, dès lors que l'on se trouve, en l'occurrence, dans le cadre de l'instruction judiciaire.

Confiance a été faite aux rapporteurs.

Les rapporteurs,
Fred ERDMAN.
Claude DESMEDT.
Le président,
Roger LALLEMAND.