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Sénat de Belgique

Belgische Senaat

Annales des réunions publiques de commission

Handelingen van de openbare commissievergaderingen

COMMISSION DE LA JUSTICE

COMMISSIE VOOR DE JUSTITIE

SÉANCE DU MARDI 9 JUILLET 1996

VERGADERING VAN DINSDAG 9 JULI 1996

(Vervolg-Suite)

DEMANDE D'EXPLICATIONS DE MME WILLAME-BOONEN AU MINISTRE DE LA JUSTICE SUR « LA PROBLÉMATIQUE DE LA REPROGRAPHIE »

VRAAG OM UITLEG VAN MEVROUW WILLAME-BOONEN AAN DE MINISTER VAN JUSTITIE OVER « DE PROBLEMEN NAAR AANLEIDING VAN DE REPROGRAFIE »

M. le Président. ­ L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Willame au ministre de la Justice sur « la problématique de la reprographie ».

La parole est à Mme Willame.

Mme Willame-Boonen (PSC). ­ Monsieur le Président, depuis quelques années, la création subit les effets de la crise économique. Le monde de l'édition souffre également, surtout les petites maisons d'édition. Or, ce sont justement celles-ci qui permettent à des écrivains inconnus de se faire connaître. Il devient donc de plus en plus difficile pour ceux-ci de percer. En empêchant toute cette création d'éclore, nous assistons à un appauvrissement de notre culture. Nous ne pouvons accepter un tel délabrement qui risque, tôt ou tard, d'aboutir à une société dans laquelle l'être humain sera avili et ne pensera plus. C'est pourquoi nous pensons que toute mesure pouvant aider à la création, aussi minime soit-elle, doit être exploitée.

Trouvez-vous normal, monsieur le ministre, qu'un soir de Foire du Livre, Pierre Mertens, alors qu'il dédicace son nouvel ouvrage, voit arriver une dame lui disant combien elle admire son écriture et lui demandant de dédicacer... une photocopie intégrale de ce livre ? Trouvez-vous normal que les gendarmes jouent aux voleurs dans la mesure où, afin de diffuser en son sein l'impact de ses campagnes de sécurité, la gendarmerie multiplie les revues de presse en violation de la loi du 30 juin 1994 ?

Or, les articles 59 et 60 de la loi du 30 juin 1994, dite « loi Lallemand », relative au droit d'auteur et aux droits voisins prévoient une rémunération pour les auteurs et éditeurs d'oeuvres fixées sur un support graphique ou analogue. Le montant de cette rémunération doit cependant être établi par le Roi, sur la base d'un arrêté délibéré en Conseil des ministres. La loi règle le problème de la reproduction à condition que les auteurs et les éditeurs puissent bénéficier d'une rémunération adéquate, la rémunération devant être constituée, d'une part, d'une redevance sur les appareils permettant la copie ­ il s'agit de l'article 59 ­ et, d'autre part, d'une redevance, modulable selon les secteurs, liée aux volumes de copies d'oeuvres protégées réalisées ­ il s'agit ici de l'article 60.

À ce jour, aucun arrêté n'a été pris en ce sens. Ainsi, chaque année, on estime à 15,5 milliards le nombre de photocopies effectuées dans notre pays, dont un milliard de copies d'oeuvres protégées, soit 525 millions par le secteur privé, 250 par l'administration, le reste dans l'enseignement. Si l'on considère le prix d'une photocopie à 1,2 franc ­ prix très démocratique ­, le préjudice causé aux auteurs et éditeurs s'élève à 1,2 milliard de francs par an.

Ce nombre élevé de photocopies prouve la faim d'apprendre du citoyen. Cependant, en tuant cette faim par la reprographie, le citoyen ne pense pas qu'à terme, l'appauvrissement du terreau culturel risque d'être tel que bon nombre de talents ne pourront plus éclore et qu'ainsi le choix pour le lecteur diminuera. Il faut donc protéger le lecteur contre lui-même et ainsi promouvoir l'apparition de nouveaux talents.

Si la Belgique souhaite demeurer un pays producteur d'informations et d'oeuvres dans la Société de l'Information, il est indispensable de rétablir l'équilibre entre le besoin légitime de copier des utilisateurs, d'une part, et le droit tout aussi légitime des auteurs à être rémunérés et des éditeurs à amortir leurs investissements, d'autre part.

Nous pensons dès lors qu'un arrêté d'application des articles 59 et 60 de la loi du 30 juin 1994 devrait être pris dans les plus brefs délais, afin de fixer des rémunérations valables sous forme de droits d'auteur. Nous nous interrogeons d'ailleurs sur l'absence d'un tel arrêté à ce jour. En effet, la Belgique est la lanterne rouge de l'Europe en la matière : la Finlande, la Norvège, la Suède, le Danemark, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Irlande, la France, la Suisse et l'Espagne ont un tel système de rémunération.

Le ministre peut-il nous donner les raisons de l'absence d'un arrêté dans ce domaine ? A-t-il prévu un calendrier pour la prise de cet arrêté ? Une concertation avec les auteurs et éditeurs a-t-elle déjà eu lieu ou est-elle prévue ? Quand peut-on espérer voir paraître un tel arrêté ? Peut-on se référer aux tarifs pratiqués en la matière chez nos voisins, tarifs qui s'établissent en moyenne à 1,84 franc par copie ? Ou devrait-on plutôt s'aligner sur les tarifs de nos voisins les plus proches, à savoir 94 centimes par copie, hors appareil, en Allemagne; 82 centimes par copie en France et 1,09 franc aux Pays-Bas ? Chez nous, une société qui centraliserait ces perceptions propose un prix de 85 centimes par copie. Les universités francophones du pays ont d'ailleurs déjà donné leur accord sur un tarif de 60 centimes. Ne peut-on instaurer un tarif de 90 centimes dans les administrations et de 1,2 franc dans le secteur privé ?

En ce qui concerne les appareils vendus en Belgique, la redevance proposée par la même société se situe au même niveau, voire en-dessous des redevances pratiquées chez nos voisins.

Ne pourrait-on aussi s'inspirer de l'expérience finlandaise ? En effet, on pourrait instaurer un système de vignettes correspondant chacune à un certain nombre de copies d'oeuvres protégées qui seraient donc « autorisées » et rémunérées ? Les utilisateurs ne seraient ainsi pas « taxés » mais achèteraient les vignettes nécessaires pour couvrir leurs besoins de copies.

Le ministre doit être conscient que chaque jour qui passe ne peut être que préjudiciable à la création. Nous pensons qu'un arrêté doit intervenir rapidement, afin de protéger les 32 000 personnes employées dans l'industrie graphique en Belgique.

En conclusion, je voudrais réinsister sur l'importance de cette contrepartie légitime pour le développement du secteur de l'édition, mais aussi pour celui de la presse. N'oublions pas également qu'en l'absence des arrêtés nécessaires, la copie d'oeuvres protégées demeure illégale. Deux ans après le vote de la loi sur le droit d'auteur, il est urgent à présent de mettre en oeuvre le dispositif prévu en matière de reprographie.

M. le Président. ­ Je me réjouis de la demande d'explications de Mme Willame dont je partage assez largement le point de vue. En effet, je suis de ceux qui ont proposé une loi qui visait à assurer une rémunération aux créateurs et aux éditeurs. J'espère que le ministre pourra nous donner des réponses déterminantes.

La parole est à M. De Clerck, ministre.

M. De Clerck, ministre de la Justice. ­ Monsieur le Président, comme vous le savez, j'ai moi aussi oeuvré à cette législation que j'appelle loi Lallemand car je respecte les droits d'auteur.

Mme Willame relaie les préoccupations qui ont animé le législateur belge de 1994, préoccupations que je partage encore aujourd'hui.

Le Roi et le ministre de la Justice sont chargés de l'exécution de cette loi. Vous avez mentionné, madame, les articles 59, 60 et 61 sur la copie, à usage personnel ou à usage interne, des oeuvres fixées sur un support graphique ou analogue. Il s'agit là de la base légale.

Dès les premières semaines de mon mandat, je me suis attelé à cette tâche. J'ai ainsi été amené à agréer de nombreuses sociétés de gestion, dont les sociétés Auvibel et Reprobel qui présentent la particularité d'être, pour l'une déjà et pour l'autre bientôt, investies du monopole de la perception et de la répartition des droits en matière de copie privée audiovisuelle et sonore pour l'une et graphique pour la seconde.

En matière de copie privée audiovisuelle et sonore, un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres est entré en vigueur. Il fixe les tarifs et les modalités de perception, la répartition et le contrôle des droits. L'élaboration de cet arrêté royal a présenté moins de difficultés que celui relatif à la reprographie qui est toujours en cours. En effet, les technologies visées tant en termes d'appareils que de supports sont plus facilement identifiables. Les catégories de redevables sont beaucoup moins nombreuses. Malgré cette différence, je pense qu'un arrêté d'exécution des articles 59, 60 et 61 de la loi du 30 juin 1994 devrait être pris dans les plus brefs délais, à l'instar de celui que j'ai proposé au Conseil des ministres en matière de copie privée audiovisuelle et sonore. Je m'y emploie d'ailleurs avec énergie.

Depuis de nombreux mois, une concertation est menée avec les représentants des auteurs et des éditeurs au sein de Reprobel ­ la société de gestion pressentie pour la collection des droits de reprographie ­ ainsi qu'avec les représentants de l'industrie. Cette concertation a permis de réunir les éléments d'information nécessaires à l'exécution de la loi en cette matière particulièrement complexe quant aux technologies concernées, à la diversité des débiteurs et au contexte international particulièrement éclaté.

Lors de ces contacts, j'ai été particulièrement attentif à la réalisation pratique des objectifs de la loi, sachant qu'en ce qui concerne la rémunération proportionnelle au nombre de copies, il ne sert pas à grand chose d'édicter un tarif sans prendre en compte les difficultés de perception et de contrôle. Il convient également de tenir compte de la situation des redevables et de leur éviter des formalités administratives et de contrôle excessives qui ont déjà tendance aujourd'hui à se multiplier dans les domaines les plus divers. Cette préoccupation est d'autant plus importante que la réglementation en question est assortie de sanctions pénales. Il importe donc d'éviter de galvauder la sanction pénale par son utilisation à l'égard d'obligations peu réalistes.

Grâce à cette concertation, de nombreuses idées ont vu le jour mais doivent encore être affinées.

Les contacts sont actuellement poursuivis avec le secteur public et celui de l'enseignement, eu égard à l'article 7 de la loi du 3 avril 1995 modifiant la loi du 30 juin 1994. Selon cet article, la rémunération proportionnelle déterminée en fonction du nombre de copies d'oeuvres réalisées peut être modulée en fonction des secteurs concernés. Cette modulation doit permettre de favoriser le secteur de l'enseignement. La sujétion de principe du secteur public et du secteur de l'enseignement introduit une composante budgétaire importante dans l'exécution de cette loi particulièrement complexe en raison du nombre d'interlocuteurs concernés : État, Communautés, Régions, provinces, communes, différents pouvoirs organisateurs, universités, etc. Sous réserve de l'évolution de cette dernière concertation, j'espère être en mesure de proposer un texte à l'approbation du Conseil des ministres avant les vacances. Nous devons établir une liste des appareils et des secteurs concernés par cette législation.

Vous avez parlé de 15 milliards de copies par an. Mais, en ce qui nous concerne, nous avons pris une moyenne de 12,5 milliards de copies par an. D'après les études en cours actuellement, environ 15 p.c. de ces copies sont réalisées dans l'enseignement ­ universités comprises ­ et 25 p.c. dans l'administration.

Le pourcentage de copies d'oeuvres protégées serait d'environ 22 p.c. Tous ces chiffres sont évidemment encore susceptibles d'être discutés.

L'enseignement et l'administration sont les deux plus grands consommateurs de copies protégées. Il est donc essentiel que le Gouvernement connaisse leur position. Des discussions sont d'ailleurs engagées à ce sujet. Elles ne sont pas encore terminées, mais le schéma des mesures à prendre est prêt.

M. le Président. ­ La parole est à Mme Willame.

Mme Willame-Boonen (PSC). ­ Monsieur le Président, je remercie le ministre pour sa réponse.

J'ai conscience de la complexité du problème. Je me réjouis donc du fait que le Gouvernement ait pu inscrire ce point à l'ordre des travaux du mois d'août. J'espère seulement que les nombreuses tâches auxquelles il aura à faire face ne l'empêcheront pas de se pencher sur ce problème.

J'aimerais enfin poser la question suivante au ministre : comment le contrôle sera-t-il exercé ?

M. le Président. ­ La parole est à M. de Clerck, ministre.

M. De Clerck, ministre de la Justice. ­ Nous exercerons le contrôle prévu par la loi. Reprobel sera chargé de la collecte et de la distribution de l'argent. Outre le contrôle général, la loi prévoit l'intervention d'un délégué du ministre au sein des secteurs Auvibel et Reprobel.

Je pense que le système prévu dans la législation est digne de confiance. Il est toutefois bien évident que la loi finalisée en 1994 est confrontée à l'évolution galopante de la technologie. Il faut donc s'adapter et suivre cette évolution. Je pense notamment au domaine des ordinateurs qui soulève de nombreuses questions. Le PC est-il, par exemple, un appareil destiné à faire des copies ? Qu'en est-il du CD-ROM ? Des taxes doivent-elles être prévues ? L'évolution rapide d'un tel secteur ne facilite évidemment pas les choses.

M. le Président. ­ Il est effectivement important d'apporter les modulations que le législateur a voulues. Je pense notamment au domaine de l'enseignement et aux médiathèques. Certains organismes doivent être préservés en tout ou en partie du droit d'auteur pour des raisons qui sont tout à fait légitimes. L'arbitrage est dès lors une démarche délicate. À cet égard, j'ai noté avec plaisir que vous serez à même de tirer des conclusions dans les tout prochains mois.

L'incident est clos.

Het incident is gesloten.

Mesdames, messieurs, l'ordre du jour de la séance publique de la commission de la Justice est ainsi épuisé.

De agenda van de openbare vergadering van de commissie voor de Justitie is afgewerkt.

La séance est levée.

De vergadering is gesloten.

(La séance est levée à 14 h 55 m.)

(De vergadering wordt gesloten om 14 h 55 m.)