1-419/2

1-419/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 1996-1997

21 JANVIER 1997


Proposition de loi sur le jeu


AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT


Le CONSEIL D'ÉTAT, section de législation, deuxième chambre, saisi par le président du Sénat, le 18 novembre 1996, d'une demande d'avis, dans un délai ne dépassant pas un mois, sur une proposition de loi sur le jeu [doc. Sénat, (1995-1996), nº 1-419/1], a donné le 15 janvier 1997 l'avis suivant :

EXAMEN DU PROJET

Intitulé

L'intitulé de la proposition de loi est rédigé en des termes trop généraux. Tel qu'il est formulé, il donne, en effet, à penser que la proposition de loi considérée a pour objet de réglementer indistinctement l'ensemble des activités relatives au jeu quelconque alors que la proposition examinée ne poursuit, en réalité, pas d'autre objectif que celui de réglementer expressément les activités d'exploitation qui sont en rapport avec les jeux de hasard.

Sa rédaction doit être revue en conséquence.

Dispositif

Article 1er

1. Dans ses avis L. 24.111/2/V et L. 24.594/2/V du 10 octobre 1995 sur deux avant-projets de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, l'assemblée générale de la section de législation a exposé les arguments qui plaident en faveur et en la défaveur du maintien, dans le corps d'un même texte de projet ou de proposition de loi, de dispositions réglant des matières visées à la fois à l'article 77 et à l'article 78 de la Constitution.

À cette occasion, l'assemblée générale de la section de législation a fait notamment observer que :

« Cette solution (c'est-à-dire celle qui consiste à diviser le texte d'un projet de loi en deux instruments législatifs distincts, soumis chacun à la procédure d'adoption qui lui est propre), inspirée de l'article 62 du règlement de la Chambre, risque, dans la plupart des cas, de nuire à la cohérence formelle de la présentation de la loi, à celle de son examen par les chambres législatives et à celle de sa compréhension par les destinataires de la loi.

En effet, la division d'un ensemble cohérent en deux textes, qui sont ensuite soumis chacun à une procédure législative propre, peut donner lieu à d'importantes difficultés et compromettre ainsi la sécurité juridique : le risque existe qu'un des textes ne soit plus en harmonie avec l'autre ou même qu'un des textes soit adopté et l'autre non.

D'une manière générale, il faut donc assurément préférer de continuer de traiter comme un seul texte le texte qui, intrinsèquement, constitue un ensemble. »

La section de législation du Conseil d'État est pour ces mêmes raisons d'avis, qu'en l'espèce, la division de la proposition de loi en deux textes distincts ne s'impose pas.

Dans la mesure où ils ont trait à l'organisation et aux compétences mêmes de la Commission générale du jeu auquel le texte proposé reconnaît la nature d'une juridiction, les articles 15 et 16 de la proposition règlent également une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

La rédaction de la disposition proposée sera complétée en conséquence.

Art. 8

Telle qu'elle est formulée, la définition du jeu de hasard donnée par cette disposition comprend également les loteries. Celles-ci font cependant l'objet d'autres dispositions légales (1) que la présente proposition ne tend pas à modifier ou à abroger.

Il y a lieu de compléter dans ce sens la disposition proposée.

Art. 11

En vertu des articles 37 et 107, alinéa 2, de la Constitution, l'organisation et l'aménagement des départements ministériels est une compétence exclusive du Roi. Il n'appartient, dès lors, pas au législateur d'instituer un service particulier au sein d'un département déterminé ni de prévoir que cette administration serait dirigée par des personnes qui ne seraient pas désignées par le Roi.

Art. 12

Alinéa 1er . 1. Le texte proposé est ambigu dans la mesure où il laisse entendre, qu'outre ses attributions d'ordre administratif, le collège est appelé à jouer un rôle juridictionnel.

Si le collège est une autorité administrative ou l'organe dirigeant d'une administration, la disposition proposée méconnaît l'article 107, alinéa 2, de la Constitution selon lequel il appartient au Roi d'organiser son administration.

Si l'auteur de la proposition entend faire du collège un organe juridictionnel (2), il est impératif que le texte indique expressément les cas dans lesquels le collège siège comme juridiction et les règles de procédure applicables, celles-ci devant être conçues en s'inspirant des principes généraux en la matière.

Il convient que l'auteur de la proposition précise clairement ses intentions et adapte le texte en conséquence.

2. Les mots « magistrat siégeant près la Cour de cassation » ne permettent pas de savoir s'il s'agit d'un membre du siège, d'un membre du parquet général, ou les deux indistinctement.

Alinéa 2. L'alinéa 2 précise que les « membres sont nommés après approbation des chambres législatives ». Il n'appartient pas à la loi d'organiser un système d'approbation des nominations des membres du collège exécutif, surtout si celui-ci constitue une juridiction.

Art. 13 et 14

Il convient de se référer aux observations formulées à propos des articles 11 et 12.

Art. 15

Cette disposition se concilie mal avec le principe de la séparation des pouvoirs. En effet, la Commission générale du jeu, composée de membres du pouvoir législatif, est appelée à exercer des fonctions à la fois administratives et juridictionnelles.

Dans la mesure où les auteurs de la proposition entendent confier à cette commission une compétence juridictionnelle, il n'est pas admissible de la composer de telle manière que les différentes assemblées parlementaires choisiraient leurs membres pour en faire partie. Un tel procédé est contraire à la tradition constitutionnelle de la séparation des pouvoirs. Par ailleurs, le principe d'impartialité consacré par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'oppose à ce que fassent partie de cette commission les membres du collège dont les décisions peuvent être censurées. L'exclusion du droit de vote des membres du collège prévue à l'article 17 n'est pas de nature à rencontrer cette objection.

Dans la mesure où la commission est un organe administratif, il convient d'observer que l'alinéa 2 de l'article examiné conçoit l'intervention des assemblées régionales et communautaire concernées dans la composition de la Commission générale du jeu non comme une simple faculté laissée à l'appréciation de chacune des régions ou de la communauté intéressées, mais bien plutôt comme une obligation unilatéralement imposée. L'instauration d'une telle contrainte à charge des assemblées législatives considérées est contraire à l'article 92ter, alinéa 1er , de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, lequel réserve au Roi et non au législateur ordinaire le pouvoir de régler, « par arrêté délibéré en Conseil des ministres, pris de l'accord des gouvernements compétents, la représentation des communautés et des régions, selon le cas, dans les organes de gestion ou de décision des institutions et organismes nationaux, notamment consultatifs et de contrôle qu'il désigne.

La rédaction de l'article proposé doit être fondamentalement revue.

Art. 16

L'alinéa 2, qui prévoit que toute « décision » (lire proposition) de la Commission générale du jeu qui « implique » une modification de la loi, est soumise au gouvernement fédéral, lequel est tenu de déposer un projet de loi dans les délais prévus, est contraire à l'article 36 (« Le pouvoir législatif fédéral s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat ») et à l'article 75 (« Le droit d'initiative appartient à chacune des branches du pouvoir législatif fédéral ») de la Constitution.

Art. 17

Le texte proposé doit préciser les règles fondamentales de procédure que la Commission générale du jeu doit observer lors de l'instruction des recours.

Art. 19

L'alinéa 2 de l'article en projet dispose qu'

« une autorisation spéciale est délivrée par type de table de jeu et par table de jeu, d'une part, et par type d'appareil et par appareil, d'autre part ».

Ainsi formulée, la disposition examinée s'écarte des termes du commentaire qui lui est réservé par l'auteur de la proposition, lequel précise qu'

« une autorisation générale sera délivrée lors de la reconnaissance d'un type de table de jeu ou d'appareil de jeu et une autorisation individuelle pour chaque table ou appareil de jeu réellement exploité ».

La rédaction de l'alinéa proposé doit être revue de manière à traduire adéquatement l'intention formulée par l'auteur de la proposition.

Art. 30

Les développements doivent préciser les critères objectifs pris en considération pour limiter le nombre de casinos à un seul établissement pour chaque commune indiquée dans la proposition, en excluant toute autre commune.

Art. 35

Il convient de respecter la directive du Conseil 83/189/C.E.E. du 28 mars 1983 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, modifiée par les directives 88/182/C.E.E. et 94/10/C.E.

Art. 50

Le paragraphe 2 de l'article examiné subordonne au paiement d'une redevance la délivrance des autorisations nécessaires à la mise en exploitation du matériel de jeu ainsi que la délivrance des fiches destinées à permettre l'identification des membres du personnel des casinos (3).

Le montant de la redevance dont le paiement est ainsi exigé varie selon que la rétribution est établie par table ou par appareil de jeu ou par modèle de table ou d'appareil de jeu ou encore, s'agissant plus spécialement des casinos, par période de validité des fiches d'identification du personnel de tels établissements.

La question se pose ici si, nonobstant la qualification qui leur est donnée, les différentes sommes dont le paiement est ainsi réclamé aux exploitants des établissements de jeux visés par la proposition de loi revêtent bien la nature juridique d'une redevance et ne doivent pas plutôt être considérées comme constituant un véritable impôt.

Traditionnellement, la doctrine et la jurisprudence s'accordent pour conclure à l'existence d'une redevance lorsqu'il est satisfait aux trois conditions suivantes :

1º la redevance doit être la contrepartie immédiate d'un service et être proportionnée au coût de celui-ci;

2º la redevance doit constituer la contrepartie d'un service spécialement fourni au redevable et non à la collectivité;

3º la redevance doit, enfin, être la contrepartie d'un service auquel il a été recouru volontairement.

L'on n'aperçoit pas, en l'espèce, le service dont les exploitants des établissements de jeux soumis au paiement de la redevance sont concrètement appelés à être les bénéficiaires. Il semble, à cet égard, difficile de soutenir que la prestation de l'administration qui consiste spécialement à procéder à l'examen des demandes d'autorisations et à la délivrance des autorisations et des fiches d'identification requises revêt, à proprement parler, la nature d'un véritable service (4). Bien plus, du commentaire général réservé au texte de la proposition de loi, il ressort qu'en réalité, la redevance établie par la disposition examinée n'a pas d'autre objet que de permettre la prise en charge des frais de fonctionnement de l'Administration générale du jeu. Cela étant, la redevance incriminée s'avère manifestement étrangère à toute notion de service.

À supposer même qu'elle puisse être qualifiée de service, la prestation de l'administration à l'origine de la redevance établie par la disposition proposée ne pourrait, en tout état de cause, être tenue pour avoir été accomplie au profit exclusif des exploitants des établissements de jeux concernés. L'on ne manquera pas d'observer à cet égard que le système complexe de licences, d'autorisations et d'agréments mis en place par la proposition de loi tend moins à assurer la protection des intérêts professionnels des exploitants des établissements de jeux intéressés qu'à garantir aux joueurs une protection sociale minimale et à préserver l'ensemble de la collectivité contre les effets préjudiciables d'une dérégulation du marché du jeu tout comme contre les pratiques illicites auxquelles ce même marché peut donner lieu (5).

Il importe enfin de souligner que les exploitants des établissements de jeux concernés ont l'obligation, sous peine de conférer à leur exploitation un caractère illicite, de solliciter auprès de l'Administration générale du jeu l'octroi des autorisations requises. Le recours aux services de l'administration chargée de procéder à l'examen des demandes d'autorisations ne peut, eu égard à cet élément, être tenu pour volontaire.

De l'ensemble des observations qui précèdent, il ressort que la rétribution établie par la disposition proposée ne satisfait à aucune des trois conditions précitées. Il s'agit, en réalité, d'une taxe visée à l'article 3 de la loi spéciale de financement.

La substitution de qualification ainsi opérée conduit naturellement à s'interroger sur l'objet et l'étendue mêmes des pouvoirs fiscaux que l'État est habilité à mettre en oeuvre en matière d'établissements de jeux. S'il est hors de doute que l'État peut soumettre à la taxation les tables de jeu ainsi que la délivrance des fiches d'identification des membres du personnel des casinos, la question se pose, par contre, si le législateur fédéral dispose encore, aujourd'hui, d'une quelconque compétence fiscale en ce qui concerne les appareils automatiques de jeu dont la proposition de loi autorise, sous certaines conditions et en certains lieux, l'installation et l'exploitation.

Une réponse négative s'impose à cet égard.

Pour autant qu'il soit placé sur la voie publique, dans les endroits accessibles au public ou dans les cercles privés (il importe peu à cet égard que le droit d'accès à ces cercles soit subordonné ou non à l'accomplissement de certaines formalités), tout appareil automatique (6) servant au divertissement donne lieu, en application de l'article 76, § 1er , du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus, à la perception d'une taxe forfaitaire annuelle dont le montant varie selon la catégorie à laquelle appartient l'appareil soumis à taxation (7).

Cette taxe, dénommée taxe sur les appareils automatiques de divertissement, revêt, depuis le 1er janvier 1989 (8), en vertu de l'article 3 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions (9), la nature d'une taxe régionale dont le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations d'impôt ne peuvent, en vertu de l'article 4, paragraphe 1er , de la même loi (10), être modifié que par les seules autorités régionales compétentes.

L'alinéa 1er du paragraphe 2 de la disposition proposée méconnaît, de la sorte, les règles relatives à la répartition des compétences entre l'État et les régions en matière fiscale établies en exécution de l'article 177, alinéa 1er , de la Constitution. Sa rédaction doit être revue en conséquence de manière à exclure de son champ d'application matériel les appareils automatiques de jeu.

OBSERVATION FINALE

1. Selon la proposition de loi, l'autorisation d'exploitation d'un établissement de jeux est délivrée par le Collège exécutif du jeu. Elle n'a pas pour effet d'atteindre à l'autonomie communale, dès l'instant où le législateur entend assumer lui-même, en cette matière, une police des activités des jeux de hasards. Cette législation ne porte pas préjudice au pouvoir des autorités communales, par exemple celui en matière de police générale et d'urbanisme.

2. Le texte néerlandais de la proposition laisse beaucoup à désirer. À titre d'exemple, certaines propositions à ce sujet sont faites dans la version néerlandaise du présent avis, sous réserve, toutefois, des observations formulées sur certaines dispositions de la proposition.

La chambre était composée de :

M. J.-J. STRYCKMANS, président;

MM. Y. KREINS et P. LIENARDY, conseillers d'Etat;

MM. F. DELPEREE et J. van COMPERNOLLE, assesseurs de la section de législation;

Mme J. GIELISSEN, greffier.

Le rapport a été présenté par M. M. PAUL, auditeur adjoint. La note du Bureau de coordination a été rédigée et exposée par M. L. DETROUX, référendaire adjoint.

La concordance entre la version française et la version néerlandaise a été vérifiée sous le contrôle de M. J.-J. STRYCKMANS.

Le greffier, Le président,
J. GIELISSEN. J.-J. STRYCKMANS.

(1) Loi du 31 décembre 1851 sur les loteries et loi du 22 juillet 1991 relative à la Loterie nationale.

(2) Ce que pourraient donner à penser la présence d'un « magistrat près la Cour de cassation » (art. 12, alinéa 1er ) et l'utilisation du terme « appel » à l'article 17.

(3) Le commentaire réservé à l'article examiné se limite à indiquer, sans fournir davantage de précisions à cet égard, que le paragraphe 2 de la disposition en projet a pour objet de fixer « le montant de la redevance à payer pour obtenir une licence relative à l'agrément d'appareils ou de tables de jeu ».

(4) Quand bien même la prestation de l'administration ainsi délimitée pourrait-elle être considérée comme un service spécialement rendu aux exploitants des établissements de jeux concernés, le coût de cette même prestation ne pourrait, tout au moins en ce qui concerne les modèles de tables de jeu et d'appareils de jeu, qu'être tenu pour disproportionné au regard de l'importance de la prestation accomplie.

(5) Dans le commentaire général qu'il réserve au texte en projet, l'auteur de la proposition de loi précise notamment que « Personne n'ignore que le monde des casinos peut être pour certains ­ au su comme à l'insu des exploitants ­ un lieu de prédilection pour développer des pratiques obscures comme celles qui consistent à blanchir de l'argent « sale ». Les législations et réglementations les plus progressistes visent principalement à bannir la criminalité organisée des lieux de jeu. »

(6) Doit être considéré comme automatique, en vertu de l'article 76, § 2, du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus, tout appareil qui contient une partie mécanique, électrique ou électronique servant à la mise en marche, à son fonctionnement ou à son utilisation et dont le déclenchement est provoqué par l'introduction d'une pièce de monnaie, d'un jeton ou par tout autre moyen qui lui serait substitué.

(7) Les appareils taxables sont, en vertu de l'article 79, § 1er , du Code des taxes assimilées aux impôts sur le revenu, répartis, selon leur type, en cinq catégories, désignées respectivement par les symboles A, B, C, D et E.

(8) Cette date correspond à la date d'entrée en vigueur de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions.

(9) Cet article fournit la liste des différents impôts auxquels le législateur spécial reconnaît la qualité d'impôts régionaux.

(10) Cette disposition stipule que « Les régions peuvent modifier le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations des impôts visés à l'article 3, alinéa 1er , 1º à 3º inclus ». La taxe sur les appareils automatiques de divertissement figure au nombre de ces impôts.