1-499/18

1-499/18

Sénat de Belgique

SESSION DE 1996-1997

2 JUILLET 1997


Projet de loi sur les faillites


Procédure d'évocation


RAPPORT COMPLÉMENTAIRE FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MM. HATRY ET VANDENBERGHE


EXAMEN DE L'ARTICLE 142 (ancien article 131, Doc. Sénat, nº 1-499/16)

M. Hatry dépose l'amendement nº 165 (Doc. Sénat, nº 1-499/17) ainsi que 3 amendements subsidiaires (Doc. Sénat, nº 1-499/17, amendements nº 166, 167 et 168). M. Hatry explique que le texte de l'article 142 actuel ne lui donne pas satisfaction.

Au moment où il a rédigé ses amendements, il n'était pas encore en possession du Doc. Sénat, nº 1-499/16. À la lumière de l'article amendé qui figure dans ce document, il retire son premier amendement subsidiaire (nº 166), puisqu'il est devenu sans objet.

Mme Delcourt-Pêtre rappelle que lors de la discussion en séance plénière elle avait soutenu l'amendement nº 161 de MM. Erdman et Lallemand (Doc. Sénat, nº 1-499/13, 1996-1997, p. 2).

Toutefois, dans un souci d'essayer de trouver un consensus, elle dépose l'amendement nº 169 (Doc. Sénat, nº 1-499/17), libellé comme suit :

Cet amendement vise à rencontrer les objections émises à l'encontre du texte initial. Il reprend le concept de fraude, la notion d'enrichissement personnel de manière directe ou indirecte. L'objectif principal de l'amendement est d'arriver à un compromis.

Un membre désire connaître l'appréciation du ministre concernant ces amendements.

Le ministre insiste surtout pour que la réforme du droit des faillites soit finalisée avant les vacances parlementaires, tant à la Chambre qu'au Sénat.

Les travaux ne peuvent échouer pour une discussion sur ce seul point.

Il rappelle ensuite l'historique de la discussion au sujet des biens sociaux.

Il reconnaît ne pas avoir été, à l'origine, partisan de l'insertion dans le droit belge du délit « abus de biens sociaux ».

Il a même, au cours d'une législature précédente alors qu'il était député, déposé un amendement visant à supprimer cette disposition. Il souligne que s'il a présenté cette proposition, c'est parce que son application posait des problèmes en droit français, et non parce qu'il avait une objection à la qualification pénale de la notion.

La Chambre et le groupe de travail ont à nouveau consacré un débat au fond du problème.

L'on peut considérer l'amendement nº 114 de M. Vandenberghe (Doc. Sénat, nº 1-49/7) comme la conclusion des longues discussions qui ont eu lieu au sein du groupe de travail; c'est cet amendement qui est à la base du texte adopté par la Commission de la Justice.

Cette disposition a pourtant été amendée par l'assemblée plénière.

Le ministre est d'avis que le texte de l'article 142, tel qu'il est proposé par l'amendement nº 161 de MM. Erdman et Lallemand (Doc. Sénat, nº 1-499/13), ne diffère pas fondamentalement du texte adopté par la Chambre. Seule la notion d'« intérêt patrimonial » est nouvelle.

Selon le ministre, le texte de l'amendement de M. Vandenberghe comprend quatre points fondamentaux.

1) Tout d'abord, le préjudice doit être significatif.

2) Le dommage effectivement subi ne peut l'avoir été uniquement par la société. Les associés ou les créanciers doivent, eux aussi, avoir été lésés. Le préjudice est donc important et ne concerne pas la seule société in abstracto.

3) L'on ne renvoie plus explicitement au fait que les agissements auraient eu lieu en faveur d'une autre personne morale.

Le ministre pense que cette exigence est moins importante, puisqu'on peut résoudre le problème par le biais de la jurisprudence et par l'interprétation des termes « directement » ou « indirectement ».

4) La seule disposition de l'amendement de M. Vandenberghe qui peut donner lieu à discussion est, selon le ministre, celle qui contient les termes « dans le but de porter préjudice ». Cette disposition signifie qu'il faut qu'il y ait dol spécial.

Aussi le ministre suggère-t-il, pour trouver un compromis, de supprimer cette disposition et de maintenir les trois autres éléments.

Il propose dès lors le texte suivant :

« Sont punis d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de cent francs à cinq cent mille francs, les dirigeants de droit ou de fait des sociétés commerciales et civiles ainsi que des associations sans but lucratif qui frauduleusement et à des fins personnelles, ont fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage qu'ils savaient significativement préjudiciable à celle-ci et à ses créanciers ou associés. »

Un membre fait remarquer que les termes « intérêt patrimonial » sont supprimés dans ce texte.

Un autre membre souligne que l'on a également supprimé les mots « ou entreprise ». Il y aurait lieu de les rétablir.

Il se joint également à l'observation émise par l'intervenant précédent.

L'intérêt patrimonial de la société est mis en cause. L'intérêt ne peut être simplement morale.

Un commissaire pourrait adopter la proposition du gouvernement. Il déplore cependant que la notion d'intérêt personnel « indirect » n'ait pas été réintroduite.

Un autre membre demande la signification exacte du terme « significativement ». Ne serait-il pas souhaitable de remplacer ce mot par « gravement » ?

Un membre signale que le groupe de travail avait expressément retenu les mots « dans le but de porter préjudice ». En effet, cette disposition relève du droit pénal; il s'ensuit que l'intervenant ne peut approuver la criminalisation de l'action paulienne.

L'usage frauduleux des biens est déjà sanctionné dans le Code civil (article 1167).

Il se réfère au délit du faux en écriture pour lequel le dol spécial est également requis. Les délits commis par imprudence ne sont pas passibles de peines.

Un membre fait référence à la condition de « l'intention frauduleuse à dessein d'enrichissement personnel ».

Le ministre répond à une question relative à la portée de l'expression « significativement » en indiquant que cette insertion est utile et qu'elle vise à introduire un élément d'appréciation pour le juge du fond. Il faut éviter de déclencher une chasse aux sorcières sur des points de détail.

En ce qui concerne la remarque d'un intervenant précédent relative à la suppression des mots « directement ou indirectement », le ministre répond que l'expression « à des fins personnelles » couvre à la fois l'intérêt direct et l'intérêt indirect.

Il ne s'agit pas uniquement de l'intérêt personnel de l'individu mais des élements d'une autre société peuvent également intervenir.

Le ministre conclut donc que l'on conserve, dans la qualification du délit, l'aspect cumulatif, comme les expressions « frauduleusement » et « significativement ».

Seule l'intention de nuire à la personne morale est supprimée.

Un membre propose de remplacer le mot « frauduleusement » par les mots « dans une intention frauduleuse ». Dans le contexte d'une action paulienne, le terme « frauduleux » renvoie à l'expression « porter préjudice », alors qu'il est clair que dans ce contexte le dol spécial est requis.

Un membre n'est pas d'accord avec la formulation de l'amendement nº 169 de Mme Delcourt en ce qui concerne l'enrichissement personnel « par le biais d'une autre personne morale ».

Il se réfère à l'absence du « droit des groupes » dans notre droit belge et le risque d'une mauvaise interprétation par les juges. Il opte plutôt pour les mots « direct ou indirect ». Il ne faut pas introduire un droit des groupes par petites touches.

L'auteur de l'amendement renvoie au texte proposé par l'amendement nº 161 de MM. Erdman et Lallemand, « à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise ... ».

Un membre revient sur le terme « significativement », qui lui semble inadéquat dans le cadre du droit pénal.

À propos de la suggestion d'un membre de remplacer le mot « frauduleusement » par les mots « avec une intention frauduleuse », un autre membre pense que, si l'on insère cette dernière notion dans le texte, l'on ne doit plus parler de « fins personnelles ». Il est inutile de cumuler ces conditions, ce qui pourrait d'ailleurs prêter à confusion. Le bénéficiaire peut aussi être un tiers.

Le même intervenant propose de remplacer, à la fin du premier alinéa du texte proposé, le mot « et » par le mot « ou », de façon à ce que le texte soit rédigé comme suit : « ... préjudiciable aux intérêts patrimoniaux de celle-ci ou à ceux de ses créanciers ou associés ».

Selon un autre membre, si l'on réintroduit, comme le souhaitent certains commissaires, les termes « directement ou indirectement » dans le texte proposé par le ministre, cela ne peut se concevoir que si l'on maintient la notion « à des fins personnelles ». Il faut qu'il y ait une finalité personnelle, qui doit être recherchée directement ou indirectement. Cela correspond à l'amendement nº 169 de Mme Delcourt-Pêtre (Doc. Sénat, nº 1-499/17).

Plusieurs membres se rallient à cette observation.

Un membre estime que la notion « à des fins personnelles » implique qu'en temps normal, une société doit être dirigée dans l'intérêt de la société même. Dans le cas contraire, la disposition proposée serait applicable.

Si l'on inscrit dans la loi qu'il y a intention frauduleuse spéciale, cela signifie que l'on agit à des fins qui sont contraires aux intérêts de la société.

Un autre intervenant renvoie à l'interprétation que la Cour de cassation donne de la notion « frauduleusement », à savoir que celle-ci suppose un dol spécial.

Le ministre constate que l'on n'a encore avancé aucun argument valable pour justifier la suppression des mots « à des fins personnelles » et « directement ou indirectement ». Il plaide dès lors pour qu'ils soient maintenus.

En ce qui concerne le mot « significativement » (« op betekenisvolle wijze » en néerlandais), un membre rappelle que l'on a suggéré d'utiliser, dans le texte français, le mot « gravement ». Celui-ci pourrait se traduire en néerlandais par le mot « ernstig ».

Un membre est d'avis que le terme « significativement » comporte un élément relatif, alors que le mot « gravement » suppose que l'acte en lui-même doit être grave.

Si l'on utilise ce terme un problème d'interprétation de cette dernière notion risque de se poser pour les sociétés dont le capital est peu élevé.

Un autre commissaire renvoie à la discussion qui a eu lieu au sein du groupe de travail. Celui-ci a opté pour la notion « significativement », ce qui illustre le rapport entre l'abus et le résultat de cet abus. L'on a voulu éviter que de petits faits relèvent du droit pénal.

La commission a ensuite amplement débattu de la différence de sens entre les termes français « significativement » et « gravement ».

Un membre fait référence à la définition donnée par le dictionnaire aux deux termes en question.
Significatif :
« 1º Qui signifie nettement, exprime clairement quelque chose (v. éloquent, expressif) (...) Chiffres significatifs, indispensables à la représentation d'une grandeur numérique (...) ­ Dont on peut donner une interprétation (...)
2º Qui renseigne sur quelque chose ou confirme une opinion (v. révélateur) (...) »
Gravement :
« 1º Avec gravité (v. dignement) (...)
2º D'une manière importante, dangereuse (...) »
L'intervenant donne donc la préférence à la notion « gravement », qui signifie « de manière importante ».

Un autre commissaire souligne que la notion « significativement » est moins lourde que la notion « gravement ». Il existe une gradation entre ces deux termes.

Le ministre est aussi d'avis que la proposition avancée par un membre de remplacer, in fine du premier alinéa du texte proposé par le gouvernement, le mot « et » par le mot « ou », pose problème. Cette modification impliquerait une extension trop importante du champ d'application de la loi.

Un membre déclare qu'on peut imaginer une situation dans laquelle une société filiale se verrait retirer tous ses stocks au bénéfice de la société-mère.

Cette manière d'agir n'est pas nécessairement contraire aux intérêts de la filiale, mais elle nuit aux intérêts des associés.

L'intervenant cite l'exemple de Renault-Vilvorde. Si l'on devait retirer de cette usine le stock de voitures finies, cela pourrait porter préjudice aux travailleurs (en leur qualité de créanciers).

Une telle opération ne porterait cependant pas préjudice à l'ensemble de la société Renault, puisque le produit de la vente des voitures serait sans doute utilisé pour rembourser d'autres dettes. Cet exemple montre qu'il faut malgré tout employer le mot « ou ».

Le ministre pense que la société subira un préjudice en tout état de cause.

À propos du terme « frauduleusement », un membre souligne que l'incrimination implique l'intention frauduleuse à des fins personnelles, ce qui est par définition contraire aux intérêts de la société.

Un autre commissaire donne l'exemple d'un administrateur qui fait perdre une somme importante à sa société sans pour autant mettre en péril la solvabilité de cette dernière. Les créanciers ne subissent donc pas de préjudice. Si l'on opte pour le terme « et » (et non « ou ») il n'y a donc pas infraction. Cela correspond-il bien au but de la disposition proposée ?

Un membre estime que, dans un contexte de faillite, il y a lieu de sanctionner les actes frauduleux, même si ceux-ci ne portent pas préjudice aux créanciers. L'intervenant estime donc préférable d'utiliser le terme « ou ».

À la demande d'un membre, il est précisé que les travailleurs d'une entreprise sont bien des « créanciers » au sens de l'article en discussion.

Un autre membre s'oppose à l'insertion proposée, dans le Code pénal, d'un article 492bis qui réglerait l'abus de biens sociaux. Il serait préférable d'opérer cette modification en adaptant le droit commercial ou le Code civil. On cherche une fois de plus à répondre à une nécessité ponctuelle en insérant une disposition particulière dans le droit pénal. On retrouve cette manière d'agir dans toutes sortes de législations spécifiques. Les personnes qui commettent des délits doivent tout simplement être poursuivies.

L'intervenant s'oppose à pareille manière de légiférer qui, à son avis, affaiblit le droit pénal et le rend totalement inutilisable. Certes, le droit pénal remplit une fonction importante dans la société, mais cette fonction n'a pas un caractère éthique. Il ne faut pas en attendre autre chose qu'une fonction répressive.

Un autre commissaire estime toutefois que la disposition à l'étude n'a pas seulement une fonction éthique. Il s'agit de pratiques qui portent directement atteinte à l'intérêt de la société et lui causent un préjudice matériel direct.

Le préopinant revient au point de vue qu'il a déjà exprimé. Le texte proposé évoque par exemple l'usage frauduleux du crédit de la personne morale. Or, on peut déjà poursuivre de tels délits sur la base des dispositions générales du Code pénal. Il s'agit soit de faux en écriture, soit d'escroqueries, soit d'abus de confiance. En insérant dans le Code pénal la disposition particulière proposée, on affaiblira le droit pénal.

Un autre membre ne partage pas l'avis selon lequel la disposition proposée constituerait une redondance par rapport au droit pénal existant. Un élément nouveau est ici ajouté.

VOTES

Au terme de cette discussion, l'amendement principal nº 165 de M. Hatry (doc. Sénat, 1-499/17), qui propose la suppression de l'article, est rejeté par 9 voix contre 2 et 1 abstention.

Le texte proposé par le ministre est ensuite mis au vote.

Deux termes font l'objet d'un vote distinct. Le terme « significativement » est adopté par 7 voix et 4 abstentions, de préférence au terme « gravement ».

Plusieurs membres souhaitent motiver leur abstention. L'un d'eux répète son opinion selon laquelle une telle notion est inapplicable en droit pénal, ce que conteste le ministre. Un autre se base sur la définition que donne le dictionnaire des notions « significativement » et « gravement », pour justifier sa préférence pour ce dernier terme.

Sur le point de savoir si, in fine de l'alinéa premier, il y a lieu de remplacer le mot « et » par le mot « ou », 5 membres se prononcent pour ce dernier terme, et 5 membres votent contre, tandis que 2 membres s'abstiennent.

Par conséquent, le mot « et » est maintenu.

L'ensemble du texte proposé par le ministre, modifié comme indiqué ci-avant, et repris dans l'amendement nº 172 du Gouvernement (doc. Sénat, 1-499/17), est adopté par 10 voix contre 1.

Par conséquent, les amendements nºs 167, 168, 170 et 171 de M. Hatry (doc. Sénat, 1-499/17) et l'amendement nº 169 de Mme Delcourt-Pêtre (doc. Sénat, 1-499/17) deviennent sans objet.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Les Rapporteurs,
Paul HATRY.
Hugo VANDENBERGHE.
Le Président,
Roger LALLEMAND.
Article amendé en séance plénière Article amendé par la Commission
après renvoi par la séance plénière
[...] [...]
Art. 142 Art. 142
Un article 492bis, rédigé comme suit, est inséré dans le même Code : Un article 492bis, rédigé comme suit, est inséré dans le même Code :
« Art. 492 bis. ­ Sont punis d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de cent francs à cinq cent mille francs, les dirigeants de droit ou de fait des sociétés commerciales et civiles ainsi que des associations sans but lucratif qui, frauduleusement, ont fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt patrimonial de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement. « Art. 492 bis. ­ Sont punis d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de cent francs à cinq cent mille francs, les dirigeants de droit ou de fait des sociétés commerciales et civiles ainsi que des associations sans but lucratif qui, avec une intention frauduleuse et à des fins personnelles, directement ou indirectement, ont fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage qu'ils savaient significativement préjudiciable aux intérêts patrimoniaux de celle-ci et à ceux de ses créanciers ou associés.
Les coupables peuvent, de plus, être condamnés à l'interdiction, conformément à l'article 33. » Les coupables peuvent, de plus, être condamnés à l'interdiction, conformément à l'article 33. »
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