1-85/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1995

18 JUILLET 1995


Proposition de loi réprimant les faits d'obstruction à l'application de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse

(Déposée par M. Monfils)


DÉVELOPPEMENTS


Les nouvelles dispositions légales relatives à l'avortement ont été élaborées et votées à la suite d'un cheminement parlementaire particulièrement long. Chacun a pu s'exprimer, de multiples avis ont été sollicités, des groupes concernés ont fait valoir leur point de vue.

Finalement, une majorité de députés et de sénateurs ont approuvé le texte qui est devenu la loi du 3 avril 1990 modifiant fondamentalement le chapitre du Code pénal consacré à l'avortement, dans ses articles 348 à 353.

On sait qu'il n'y a pas d'infraction lorsque la femme enceinte, que son état place en situation de détresse, a demandé à un médecin d'interrompre sa grossesse et que cette interruption est pratiquée dans les conditions prévues à l'article 350, 1º à 6º, du Code pénal.

L'avortement pratiqué dans les conditions prévues par la loi n'est donc plus un délit.

Il appartient à la conscience individuelle d'opérer ses propres choix, dans le respect des dispositions légales.

Or, récemment en France ­ où il existe depuis de nombreuses années une législation comparable à la nôtre ­, des personnes et groupements n'acceptant pas ce qu'on appelle généralement « la libéralisation de l'avortement » ont envahi ou tenté d'envahir des établissements hospitaliers où se pratique ce type d'intervention pour essayer de l'empêcher.

Ce faisant, ces « commandos anti-I.V.G. » s'opposaient à la loi votée par une majorité démocratiquement élue.

Même si le fait de tenter d'entraver une intervention conduisant à l'avortement est réprimée par la loi française, certains tribunaux ont acquitté les prévenus, estimant qu'une autre disposition légale pouvait être invoquée en l'espèce, à savoir celle qui justifie d'éventuelles blessures ou coups par l'état de légitime défense.

Sans s'engager plus en avant dans l'analyse des décisions contradictoires de justice, force est de constater que l'incertitude juridique est totale, certains tribunaux acquittant et d'autres condamnant les commandos « anti-I.V.G. ».

En Belgique, la loi du 3 avril 1990 n'a pas visé le cas de personnes tentant de s'opposer aux avortements en perturbant l'accès aux établissements hospitaliers, voire même en empêchant la pratique de l'intervention.

Ce type de manifestations est pourtant grave pour deux raisons.

D'une part, il remet en cause l'application d'une loi permettant le choix personnel et prétend donc imposer une conception de vie à des personnes qui exercent, dans le cadre légal, leur faculté de choix. C'est donc purement et simplement une manifestation d'intégrisme moral et social qui doit être rejetée.

D'autre part, la soudaineté, le caractére imprévisible, l'action des commandos anti-I.V.G. comme les conditions dans lesquelles ils opèrent, peuvent conduire à de graves perturbations dans les établissements hospitaliers, pouvant même déboucher sur des problèmes de santé chez les patients. De surcroît, la pression morale exercée sur les femmes qui ont fait choix d'un avortement est intolérable et peut d'ailleurs conduire aussi à des séquelles psychologiques.


Pour toutes ces raisons, il est indiqué de remédier à une lacune de la loi belge en prévoyant des sanctions pour ceux qui perturberaient l'accès aux établissements où se pratiquent des interruptions de grossesse, ou la libre circulation à l'intérieur de ces établissements.

Le barème des sanctions a été fixé par référence à celui prévu par l'article 351 du Code pénal lequel punit la femme qui se fait avorter en dehors des conditions prévues à l'article 350. Un parallèle est donc fait, au niveau des sanctions, entre le fait de se faire illégalement avorter et le fait d'empêcher un avortement légal.

C'est l'objet de l'article 2 de la présente proposition de loi.

Par ailleurs, il est utile de tirer les conséquences de la situation jurisprudentielle française en évitant que deux dispositions légales entrent en conflit.

C'est la raison pour laquelle l'article 3 de la proposition prescrit que l'auteur de l'infraction ne pourra invoquer, ni comme cause d'excuse, ni comme cause de justification, la nécessité d'agir basée sur les articles 416 (« Il n'y a ni crime ni délit lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui ») ou 422bis (« sera puni... celui qui s'abstient de venir en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave, soit qu'il ait constaté par lui-même la situation de cette personne, soit que cette situation lui soit décrite par ceux qui sollicitent son intervention... »).


Ainsi, toute tentative d'empêcher par le désordre et la force, l'application de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse trouvera son épilogue normal devant les tribunaux, qui devront condamner de tels actes.

Il ne serait pas acceptable en régime démocratique qu'une minorité impose ses propres convictions en empêchant le libre choix de s'exercer, libre choix permis et organisé par la loi.

Philippe MONFILS.


PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est inséré dans le Code pénal un article 350bis rédigé comme suit :

« Art. 350 bis. ­ Sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 50 francs à 200 francs celui qui aura, par voie de fait, empêché ou tenté d'empêcher l'acte médical visé à l'article 350, 1º, b, ou ses actes préparatoires, en perturbant l'accès aux établissements où se pratiquent les interruptions de grossesse, ou la libre circulation intérieure de ces établissements. »

Art. 3

L'auteur de l'infraction ne pourra invoquer, ni comme cause d'excuse, ni comme cause de justification, la nécessité d'agir basée sur les articles 416 ou 422bis du Code pénal.

Philippe MONFILS.