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27 JUIN 1995
Dans la triste litanie des crimes et délits dont hélas trop de femmes et d'hommes se rendent coupables, il en est qui sont, aux yeux de l'opinion publique, particulièrement odieux.
Il s'agit des agressions contre des personnes, par définition sans défense, comme les enfants et les personnes âgées.
Il suffit de feuilleter la presse pour se convaincre de l'accélération de la fréquence de ces agressions :
Christophe, 4 ans 1/2, est battu à mort par le concubin de sa mère : faits commis le 25 juin 1984;
massacre d'une octogénaire pour lui voler ses économies (2 000 francs) : faits commis en août 1987;
Jessica, 5 ans, battue à mort par le concubin de sa mère : faits commis le 4 octobre 1988;
Jonathan, 8 mois, est battu par son père à Jumet (information de presse du 1er octobre 1988);
viol d'une fillette de 11 ans (information dans la presse des 15 et 16 octobre 1988);
Stéphanie, 2 ans, est tuée à Châtelet par l'amant de sa mère : faits commis le 18 octobre 1988;
Miguel, 2 mois, meurt le crâne fracturé par son père : faits commis le 20 octobre 1988;
séquestration d'un jeune handicapé de 16 ans (information dans la presse des 22 et 23 octobre 1988);
à Berchem, une fillette est brûlée et blessée (information de presse du 25 octobre 1988);
un nouveau-né est tué à coups de marteau (information de presse du 8 novembre 1988).
Certes, renforcer les peines ne constitue jamais une garantie de diminution des infractions. Mais il faut reconnaître que les systèmes de prévention mis au point, si développés soient-ils, n'ont pas permis à seuls de réduire cette criminalité.
De surcroît, on peut à juste titre s'interroger sur le point de savoir si les systèmes d'adoucissement des sanctions, prévus par notre législation, doivent s'appliquer aux agressions volontaires commises sur des enfants ou des personnes âgées.
Quel argument peut conduire à refuser à ces actes le caractère de crime pour les banaliser en simple infraction correctionnelle ?
Comment un viol de mineur, l'organisation de débauche d'enfants, l'agression violente commise contre une personne âgée pour la voler, comment ces faits pourraient-ils être considérés comme des actes dont l'appréciation et la sanction échapperaient à un jury d'assises ?
Comment admettre que les auteurs de crimes particulièrement odieux parce que commis sur des jeunes ou des personnes âgées se retrouvent libres très rapidement, par application des dispositions de la loi relative à la libération conditionnelle ?
Dans les sociétés aussi évoluées que les nôtres, il convient de garder l'équilibre dans le jugement que l'on porte sur un acte criminel. Mais l'équilibre, c'est notamment de se rappeler que si le coupable doit faire l'objet d'un examen précis de ses motivations et des conditions dans lesquelles il a posé son acte criminel, la victime, elle, a perdu son intégrité physique ou morale, ou même sa vie, et qu'il existe des cas où cette agression contre l'intégrité physique ou morale est particulièrement monstrueuse.
L'objet de la présente proposition de loi est précisément de réprimer davantage que ce ne l'est actuellement les actes criminels commis contre les jeunes et les personnes âgées.
Elle n'augmente pas le tarif des peines mais supprime, pour certaines catégories de crimes, les possibilités laissées par les lois pénales, adoucissement des peines prévues, par le biais de la correctionnalisation, ou de la libération conditionnelle.
Le législateur a voulu que les crimes les plus graves soient jugés par la Cour d'assises. La présente proposition a pour objectif qu'il en soit effectivement ainsi. La loi sur les circonstances atténuantes l'a déjà fait pour certains crimes qu'il n'est pas possible de correctionnaliser au niveau d'une juridiction d'instruction, comme par exemple certains faits de terrorisme.
Il s'agit ici de compléter cette liste d'infractions graves. Il n'est pas question d'exprimer la moindre méfiance à l'égard des juridictions d'instruction, mais, conformément à l'esprit de la loi, de réserver effectivement au jury populaire le soin de statuer dans des affaires qui heurtent profondément l'opinion.
Il n'est pas question non plus d'empêcher la Cour d'assises d'estimer souverainement que dans une affaire il existe bel et bien des circonstances atténuantes ou des raisons de prononcer une mesure d'internement.
La présente proposition prévoit également de modifier la loi de défense sociale aux termes de laquelle une simple commission composée de trois membres, un magistrat effectif ou honoraire, un avocat et un médecin, permet de considérer que l'état mental d'un interné est suffisamment amélioré et que, par conséquent, il doit être remis en liberté.
Il s'agit d'une mesure générale. En effet, ceux qui sont soumis à une mesure d'internement le sont en raison soit d'un état de démence, soit d'un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions. Ils présentent donc du point de vue de la sécurité publique un danger tout particulier en raison de leur irresponsabilité. La médecine psychiatrique et psychologique ne permettant pas dans l'état actuel du développement de la science de poser un diagnostic exempt de tout risque d'erreur, une prudence toute particulière s'impose. L'expérience a d'ailleurs malheureusement prouvé que des erreurs d'appréciation étaient commises, entraînant des récidives avec mort d'hommes et justifiant de nouveaux internements. En la matière, il n'est d'ailleurs pas rare que des experts se contredisent au moment de l'instruction de la demande de remise en liberté, comme ils se contredisent parfois au moment de l'examen de la demande d'internement.
Le comportement de ceux qui ont été internés est d'autant plus dangereux socialement que, par définition, il est irrationnel et imprévisible. Ceux-là peuvent tuer, violer, agresser, en général commettre des actes délictueux sans raison, simplement parce qu'ils sont incapables du contrôle de leurs actions. Internés parce qu'ils ont agi ainsi, il n'est pas raisonnable de les remettre en liberté en prenant le risque de la récidive, sans prendre des précautions toutes particulières. Ceci est vrai, quelle que soit la nature de l'infraction mais, bien sûr, cela se justifie encore plus pour les crimes les plus odieux, qui risquent de se répéter.
Il s'impose donc de s'entourer, pour l'examen des demandes de mise en liberté, d'un maximum de garanties et en tout cas de garanties que lors de l'examen judiciaire d'affaires graves. C'est pourquoi nous proposons de modifier la composition des commissions de défense sociale en prévoyant, outre un avocat et un médecin, trois magistrats effectifs au lieu d'un magistrat effectif ou honoraire comme actuellement.
Il convient certes d'être attentif aux droits de « l'inculpé » mais aussi aux exigences de la sécurité publique. Les magistrats professionnels sont les mieux placés pour atteindre cet équilibre en raison de leur formation et de leur expérience quotidienne de l'instruction d'une affaire et du débat contradictoire. Il est donc tout à fait justifié de renforcer leur influence dans les commissions de défense sociale, tant en première instance qu'en appel.
Pour les crimes particulièrement odieux, visés à l'article 2 de la présente proposition, il est prévu de supprimer la possibilité actuellement offerte par l'article 7 de la loi de défense sociale du 1er juillet 1964 aux juridictions d'instruction de prononcer une mesure d'internement dans de tels cas.
En effet, en raison de la gravité de ce type d'affaires, il s'indique qu'elles soient examinées dans leur globalité par la cour d'assises et qu'il soit réservé au jury populaire le soin de dire si l'accusé se trouve dans un des cas d'irresponsabilité justifiant une mesure d'internement. C'est justement dans ce type d'affaires qu'on invoque le plus volontiers la folie, tant les faits sont monstrueux. Par ailleurs, en raison de la gravité des faits, il s'impose du point de vue de la sécurité publique de bien apprécier la portée d'une mesure d'internement par nature révocable à tout instant avec tous les risques inhérents à une telle décision. Dans ces conditions, un débat public sur cette question se justifie pleinement avec toutes les précautions prises dans le débat contradictoire qui se déroule devant une cour d'assises et en laissant le dernier mot au jury populaire qui apprécie en son âme et conscience.
La présente proposition de loi s'articule donc autour de trois axes.
1. Le premier est relatif à la modification de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes.
Cette loi permet à la juridiction d'instruction, le renvoi de l'inculpé devant le tribunal correctionnel au lieu de la cour d'assises, dans tous les cas qui sont prévus à l'article 2 de cette loi.
Il nous paraît que la liste de cas où il ne peut y avoir correctionnalisation doit être étendue à des crimes commis contre les jeunes et les personnes âgées et qui sont :
l'enlèvement de mineurs de moins de 16 ans;
l'attentat à la pudeur ou le viol sur un mineur de moins de 16 ans;
la corruption et la débauche d'un mineur de moins de 16 ans;
les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans ou de plus de 65 ans;
les coups et blessures volontaires commis avec préméditation et ayant entraîné soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente de travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans ou de plus de 65 ans;
les infractions commises à l'égard des jeunes de moins de 16 ans dans le cadre des dispositions légales relatives au trafic de drogue;
les prises d'otage, même lorsque celles-ci n'ont causé aux otages que l'incapacité permanente physique ou psychique, lorsque sont en question des jeunes de moins de 16 ans ou des personnes âgées de plus de 65 ans;
les vols commis à l'aide de violences ou menaces, même si les violences ou les menaces n'ont eu pour la victime d'autres suites que l'incapacité permanente physique ou psychique, lorsque la victime est une personne âgée de plus de 65 ans.
2. Le deuxième axe est la modification de la loi du 31 mai 1888 sur la libération conditionnelle.
Il ne paraît pas souhaitable que les auteurs de crimes particulièrement monstrueux, qui sont énumérés dans la présente proposition de loi, puissent sortir de prison en ayant purgé seulement un tiers de leur peine, comme le prévoit actuellement la loi sur la libération conditionnelle.
La présente proposition ne permet la libération conditionnelle pour les crimes visés à son article 2 et indiqués ci-dessus, qu'après qu'ont été purgés les deux tiers de la peine, ou les trois quarts s'il y a récidive.
En ce qui concerne les condamnés à perpétuité qui, aux termes de la loi sur la libération conditionnelle, peuvent être remis en liberté après 10 ans, la proposition de loi propose de fixer le délai à 20 ans pour les crimes qui sont l'objet de cette proposition ou à 25 ans s'il y a récidive.
3. Le troisième axe de la présente proposition est la modification de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux et des délinquants d'habitude.
Aux termes des dispositions actuelles de la loi, les accusés internés pour déséquilibre mental ou débilité mentale peuvent être mis en liberté en tout temps par simple décision d'une commission composée de 3 membres : un magistrat effectif ou honoraire, un avocat et un médecin.
Il nous paraît que, dans tous les cas, cette commission, qui joue un rôle essentiel, devrait être renforcée par une présence plus importante de magistrats effectifs.
La libération d'un interné accusé de crime est chose trop sérieuse pour que la décision ne soit pas prise sur des éléments dont l'appréciation pourrait, compte tenu de la composition actuelle de la commission, être trop hâtive ou insuffisamment approfondie ou sans tenir compte suffisamment des exigences de la sécurité publique. Un délinquant interné et libéré avant guérison peut constituer on l'a vu parfois hélas un grand danger pour la société.
C'est la raison pour laquelle nous proposons que la commission soit composée de 5 membres dont 3 magistrats effectifs.
La commission supérieure de défense sociale est renforcée de la même manière.
Enfin, il faut éviter les demandes de mise en liberté « à répétition ».
La loi actuelle prévoit que la demande peut être réintroduite tous les six mois.
Les conditions qui ont amené les juridictions à déclarer qu'un accusé était en état de démence et de déséquilibre mental au moment du crime ou du délit qu'il a commis, peuvent-elles changer tous les six mois ?
Il est plutôt permis de croire que les demandes répétées n'ont d'autre but que de lasser la commission et d'obtenir peut-être une libération qui n'est pas vraiment motivée par l'amélioration de l'état mental de l'interné.
Agression physique sur les jeunes ou les personnes âgées, viol, corruption, incitation à la prise de drogue, tout cela révolte l'opinion.
Il faut, certes, poursuivre les efforts de formation et d'éducation. Mais il faut être sans pitié pour ceux qui ajoutent, à l'horreur du crime, la lâcheté de s'attaquer à des êtres sans défense.
Ph. MONFILS |
Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Il est inséré dans la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes, un article 2bis, rédigé comme suit :
« Article 2 bis. § 1er . Par dérogation à l'article 2, alinéa 2, 2º et 3º, le renvoi de l'inculpé devant le tribunal correctionnel ne peut être ordonné lorsque la victime de l'incapacité permanente physique ou psychique est âgée de moins de 16 ans accomplis ou de plus de 65 ans.
§ 2. Par dérogation à l'article 2, alinéa 2, 1º, le renvoi de l'inculpé devant le tribunal correctionnel ne peut être ordonné en cas d'enlèvement de mineur de moins de 16 ans, d'attentat à la pudeur ou de viol sur la personne d'un mineur de moins de 16 ans, de corruption ou de débauche d'un mineur de moins de 16 ans, de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans ou de plus de 65 ans, ainsi qu'en cas de coups et blessures volontaires commis avec préméditation et ayant entraîné soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente de travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave, lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans ou de plus de 65 ans.
§ 3. Par dérogation à l'article 2, alinéa 1, 1º, le renvoi de l'inculpé devant le tribunal correctionnel ne peut être ordonné en cas d'infractions visées à l'article 2bis, §§ 3 et 4, de la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. »
Art. 3
L'article 1er de la loi du 31 mai 1888 établissant la libération conditionnelle dans le système pénal est complété par l'alinéa suivant :
« Par dérogation à l'alinéa 1er , la libération conditionnelle ne pourra intervenir que lorsque les condamnés auront accompli les deux tiers de leur peine si la condamnation a été prononcée du chef d'une des infractions visées à l'article 2bis de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes, ou les trois quarts s'il y a récidive. Les condamnés à perpétuité du chef de l'une de ces infractions ne pourront être mis en liberté que lorsque la durée de l'incarcération déjà subie par eux dépassera vingt ans ou, s'il y a récidive légale, vingt-cinq ans. »
Art. 4
Dans l'article 7, alinéa 1er , de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l'égard des anormaux et des délinquants d'habitude, telle que remplacée par l'article 1er de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux et des délinquants d'habitude, les mots « ou encore d'une des infractions visées à l'article 2bis de la loi du 4 octobre 1867 portant attribution aux cours et tribunaux de l'appréciation des circonstances atténuantes » sont insérés entre les mots « de presse » et les mots « et les juridictions ».
Art. 5
À l'article 12 de la même loi sont apportées les modifications suivantes :
1º L'alinéa 2 est remplacé comme suit :
« Les commissions de défense sociale sont composées de cinq membres : trois magistrats effectifs dont l'un fait fonction de président de la commission, un avocat et un médecin »;
2º La première phrase de l'alinéa 4 est remplacée comme suit :
« Le président et les autres magistrats membres de la commission, ainsi que leurs suppléants, sont désignés par le premier président de la cour d'appel. »
Art. 6
À l'article 13 de la même loi sont apportées les modifications suivantes :
1º L'alinéa 1er est remplacé comme suit :
« Il est institué également une commission supérieure de défense sociale composée de cinq membres : trois magistrats effectifs de la cour de cassation ou d'une cour d'appel, dont l'un fait fonction de président, un avocat et le médecin directeur du service d'anthropologie pénitentiaire. »
2º La première phrase de l'alinéa 3 est remplacée comme suit :
« Le président et les autres magistrats, ainsi que leurs suppléants, sont désignés par le premier président de la cour de cassation. »
Art. 7
Dans l'article 16, alinéa 7, de la même loi, le mot « trois » est remplacé par le mot « cinq ».
Art. 8
À l'article 18 de la même loi sont apportées les modifications suivantes :
1º À l'alinéa 1er , les mots « délai de six mois » sont remplacés par les mots « délai d'une année ».
2º L'alinéa 2 est abrogé.
Art. 9
À l'article 19 de la même loi sont apportées les modifications suivantes :
1º L'alinéa 1er est remplacé comme suit :
« La décision de mise en liberté ne devient exécutoire qu'après trente jours à dater du prononcé. »
2º À l'alinéa 2, les mots « celui-ci » sont remplacés par les mots « le procureur du Roi ».
Philippe MONFILS. |