1-612/6

1-612/6

Sénat de Belgique

SESSION DE 1996-1997

22 MAI 1997


Projet de loi portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne, et la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions

(Article 3, 4º)


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES PAR MME MAYENCE-GOOSSENS


La commission a discuté l'article 3, 4º, du projet de loi au cours de ses réunions des 14 et 22 mai 1997. Les explications relatives à cette partie du projet de loi ont été données par le vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Les réponses aux questions posées en commission ont été données par le ministre des Affaires étrangères.

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES FINANCES ET DU COMMERCE EXTÉRIEUR

L'arrêté royal, qui est soumis pour confirmation, vise principalement à permettre la liquidation des indemnités dues par l'État zaïrois aux Belges dont il a nationalisé, c'est-à-dire « zaïrianisé », les entreprises.

Les modalités de cette indemnisation par le Zaïre avaient été réglées par un Protocole entre la Belgique et le Zaïre le 28 mars 1976, ratifié par la loi du 16 juillet 1976. Selon l'esprit des accords de l'époque, le rôle de l'État belge aurait dû se limiter à un préfinancement les dix premières années pour compte du Zaïre de ces interventions étalées sur vingt ans et dès lors, l'opération aurait dû être blanche. En dépit du fait que, sans l'intervention de l'État belge dans cette négociation, aucune indemnisation n'aurait été possible, certains Belges zaïrianisés ont assigné l'État belge devant les cours et tribunaux en vue d'obtenir qu'il se substitue à l'État zaïrois pour les paiements où celui-ci a fait défaut et qu'il complète de surcroît les paiements prévus à concurrence des pertes de change occasionnées par la dépréciation de la monnaie zaïroise entre 1973 et 1976.

Au terme d'une longue procédure, la Cour de cassation a donné raison à ces prétentions et tant la Cour des comptes dans un rapport spécial adressé aux Chambres en 1994 que le Conseil d'État le 23 septembre 1994 ont conclu à l'impossibilité juridique pour le Gouvernement de se soustraire aux arrêts de la Cour de cassation.

Il appartenait dès lors au Gouvernement de trouver une solution qui permette de régler ces indemnisations tout en tenant compte des deux difficultés suivantes :

1º l'ampleur et les dates d'exigibilité de ces indemnisations ne sont pas connues avec certitude, tout comme les intérêts de retard qui sont à prévoir;

2º l'État belge ne se reconnaît pas directement débiteur de ces sommes et son intervention ne peut en aucun cas constituer une présomption qu'il renonce au droit de les récupérer auprès du Zaïre.

La solution à trouver requérait donc à la fois souplesse et garanties juridiques. Un problème du même type s'était déjà posé précédemment, lors de l'indemnisation des Belges qui avaient été lésés lors de l'indépendance du Congo en 1969 pour la perte de valeur de leur épargne placée en titres congolais ou pour les dommages causés à des biens privés à cette occasion et lors d'autres troubles par la suite dans le début des années septante. La solution apportée avait été la création en 1965 par le Congo et la Belgique d'un organisme international, dénommé Fonds belgo-congolais d'amortissement et de gestion, qui a été chargé par les lois du 23 avril 1965 et du 5 janvier 1977 d'émettre des emprunts en vue de couvrir le financement de ces indemnisations.

L'arrêté royal à confirmer confère au Fonds belgo-congolais une nouvelle mission et une nouvelle faculté d'emprunt dans le cadre de l'indemnisation des zaïrianisés. Cette faculté, réglée à l'article 5, est limitée à 0,5 milliard de francs, mais le pouvoir est donné au Roi de la relever si nécessaire après délibération en Conseil des ministres : il faut en effet tenir compte de ce que le montant prévu des indemnisations est estimé pour les dossiers agréés par les autorités zaïroises à 178,6 millions de francs si les cours et les tribunaux reconnaissent le principe de la prescription décennale, et à 1 760,8 millions de francs dans le cas contraire. Si l'on tient compte des dossiers non agréés mais susceptibles de l'être, ces montants passent respectivement à 438,1 et 1 968,6 millions de francs.

L'arrêté à confirmer permet aussi la suspension en 1997 comme en 1996 des versements prévus des dotations de 510 et 55 millions de francs inscrites au budget de la Dette publique au profit du Fonds belgo-congolais pour lui permettre d'assurer le service financier des deux tranches de l'emprunt de 1965, eu égard à l'importance des réserves dont dispose encore le Fonds pour cet usage, à savoir 1 133 millions de francs au 31 janvier 1997. L'encours résiduel en circulation de cet emprunt n'est plus que de 1 856 millions de francs à cette même date.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

Un commissaire fait observer que les moyens dont dispose le Fonds belgo-congolais diminuent progressivement. Il ajoute que les informations du ministre sont incomplètes : il n'y a pas que le problème de l'indemnisation des victimes de la « zaïrianisation »; la principale question est de savoir à quels taux de change ces victimes seront indemnisées. C'est précisément sur ce point que sont apparues les principales controverses : en effet, alors que la Sabena s'est vue indemnisée à raison de 80 francs pour un zaïre, une proportion de 40 francs seulement pour un zaïre ­ soit la moitié ­ a été prévue pour les Zaïrianisés.

L'intervenant désire apprendre formellement du ministre à quel taux de change les Zaïrianisés seront indemnisés. Il souhaite également savoir si le gouvernement fédéral a franchement l'intention de régler une fois pour toutes ce dossier ­ dont l'examen traîne depuis longtemps ­ ou s'il sera finalement reporté à un prochain gouvernement. Si l'on veut aboutir à un règlement satisfaisant, il faudra veiller à ce que plus aucune action judiciaire ne soit nécessaire devant les cours et tribunaux, le Conseil d'État ou la Cour d'arbitrage. En effet, pour l'instant, la jurisprudence est divisée en ce qui concerne le taux de change à appliquer. Le même membre demande dès lors si l'on a l'intention de dédommager une fois pour toutes les victimes de la zaïrianisation ou si l'on compte les indemniser à un taux de change trop bas, ce qui les contraindrait à entamer et à poursuivre des procédures judiciaires de longue durée.

Il souligne enfin que le gouvernement fédéral ne doit pas donner l'impression que l'État belge pourrait encore récupérer l'une ou l'autre chose auprès du Zaïre. Personne n'y croit. L'intervenant reconnaît toutefois que dans le passé, l'État belge a effectivement décidé de ne se substituer que provisoirement à l'État zaïrois.

Le ministre des Affaires étrangères donne les réponses suivantes aux questions posées :

Le Fonds belgo-congolais d'amortissement et de gestion est appelé à intervenir dans le cadre de l'indemnisation complémentaire des personnes ayant été frappées par les mesures de zaïrianisation prises par le gouvernement zaïrois en 1973-1974, indemnisation complémentaire à laquelle l'État belge est condamné par décision des cours et tribunaux en vertu de l'interprétation faite par la Cour de cassation des dispositions du protocole d'indemnisation des zaïrianisés du 28 mars 1976.

L'évolution du contentieux en la matière, dont vous trouvez ci-dessous un aperçu, détermine donc les cas où ce fonds doit intervenir.

1. Cas similaires à l'affaire Thonon (arrêt cassation du 25 février 1993)

Quatre jugements ont été prononcés respectivement les 8 octobre 1993, 27 mai 1994, 7 mars 1996 et 24 mai 1996, transposant purement et simplement l'arrêt Thonon.

Ces requérants ont cité l'État devant les tribunaux à une date antérieure à l'écoulement du délai de prescription prévu par l'article 1er de la loi du 6 février 1970.

Par conséquent, cette loi ne leur est pas applicable et l'État a été condamné au paiement intégral du complément d'indemnité dû en vertu du taux de change à plus ou moins 80 francs pour un zaïre et aux intérêts moratoires.

L'État a réglé partiellement ces créances. Par ailleurs, neuf autres affaires de ce type sont encore pendantes devant les tribunaux.

2. Application de la loi de 1970 sur la prescription

Deux séries de jugements ont été prononcées par la quatrième chambre du tribunal de première instance de Bruxelles par deux juges différents :

Première série : sept jugements du 24 mai 1996 défavorables pour l'État, exécutoires nonobstant appel (contre lesquels celui-ci a interjeté appel).

En résumé le juge :

­ applique la loi de 1970 et la prescription décénnale, mais

­ fait courir le délai de prescription à compter de la date d'agréation effective du dossier par les autorités zaïroises;

­ considère les paiements des indemnités annuelles intervenus comme une reconnaissance de dette;

­ prononce la faute de l'État belge;

­ donne droit à des intérêts compensatoires sur la partie complémentaire de l'indemnisation à compter de la date à laquelle la faute est censée être commise;

­ rejette la demande d'intérêts sur annuités payées en retard et les dommages-intérêts pour défense abusive.

Deuxième série : six jugements du 11 octobre 1996 (21 novembre 1996, 17 avril 1997) favorables à l'État et contre lesquels les parties adverses ont interjeté appel.

En résumé, le juge :

­ applique la loi de 1970 et la prescription décennale;

­ fait courir le délai de prescription à compter de la date d'agréation effective du dossier;

­ écarte l'argument de la reconnaissance de dette par l'État belge;

­ écarte la faute;

­ déboute en conséquence les demandeurs quant au complément d'indemnisation et quant aux intérêts compensatoires dans la mesure où la citation est postérieure de dix ans à l'agréation du dossier.

À ce stade, deux suppositions peuvent être objectivement proposées :

­ soit la cour d'appel suit les arguments du premier juge (décision du 24 mai 1996), et dans ce cas les dossiers auxquels la loi de 1970 sur la prescription est applicable feront l'objet d'un règlement sur base d'un complément d'indemnité augmenté des intérêts compensatoires calculés sur ce complément à compter de la date d'agréation du dossier jusqu'à celle du parfait paiement;

­ soit la cour d'appel suit les arguments du deuxième juge (décision du 11 octobre 1996 et suivantes) et déboute les demandeurs pour toutes leurs prétentions ­ ceci pour tous les dossiers dont la citation devant les tribunaux est au moins postérieure de dix ans à la date d'agréation du dossier par les autorités zaïroises.

3. Dossiers de zaïrianisation non encore agréés par les autorités zaïroises

À ce jour, il reste une vingtaine de dossiers d'indemnisation qui ont été transmis pour examen aux autorités zaïroises, en vue d'une possible agréation sur base du Protocole belgo-zaïrois d'indemnisation. Ces dossiers ont été contestés, voire exclus, par ces autorités jusqu'à présent, mais n'ont pas été officiellement clôturés.

Ce bref récapitulatif démontre bien que le fonds n'indemnise pas tous les zaïrianisés mais seulement ceux pour lesquels des décisions des cours et tribunaux ont ordonné ou ordonneront le paiement d'indemnités complémentaires.

L'État belge considère en effet qu'en vertu du caractère limitatif de la chose jugée, il appartient aux zaïrianisés de faire valoir en justice leur droit à obtenir une indemnisation complémentaire, l'État belge se réservant le droit, pour sa part, de faire valoir tout moyen de défense, notamment par la prescription.

Une deuxième membre préfère ­ à l'instar du gouvernement fédéral ­ ne pas régler la situation des zaïrianisés avant que les procédures en justice ne soient terminées.

Dès que ces voies de recours seront épuisées, l'intervenante escompte que le gouvernement fédéral s'acquittera le plus rapidement possible de ses obligations.

Elle fait également part de son étonnement face aux jugements contradictoires de la quatrième chambre du tribunal de première instance de Bruxelles.

III. DISCUSSION DE L'ARTICLE 3, 4º

MM. Hatry et Coene déposent un amendement (nº 20), visant à supprimer l'article 3, 4º. Ils le justifient comme suit :

­ le Conseil d'État a fait observer que la réglementation proposée équivaut à une forme de débudgétisation pure et simple et est donc contraire aux principes budgétaires généraux de l'annalité et de l'universalité;

­ une débudgétisation des moyens prive les Chambres fédérales de la possibilité d'exercer un contrôle adéquat sur l'observation correcte de ce que la Cour de cassation a décidé par arrêt en l'espèce.

L'amendement de MM. Hatry et Coene est rejeté par 6 voix et 3 abstentions.

IV. VOTE FINAL

La partie du projet de loi examinée par la commission a été adoptée sans modification par 6 voix et 3 abstentions.

Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.

La rapporteuse,
Jacqueline MAYENCE-GOOSSENS.
Le président,
Valère VAUTMANS.