1-326/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996

6 MAI 1996


Proposition instituant une commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique

(Déposée par M. Vandenberghe et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


I. Le problème de la criminalité organisée n'est plus le monopole de pays tels que l'Italie et les États-Unis. Diverses organisations criminelles exerceraient désormais leurs activités également en Belgique.

La population s'en inquiète de plus en plus, à juste titre et de manière compréhensible. La criminalité organisée représente, en effet, une menace incontestable pour notre société démocratique. Non seulement les organisations criminelles se rendent systématiquement coupables de graves délits (trafic de drogue, d'êtres humains, d'armes et d'hormones, chantage, vol et recel, travail clandestin, etc.), mais en outre ­ et c'est là surtout ce qui préoccupe ­ elles s'efforcent de conquérir des pouvoirs économiques, financiers et politiques (infiltration de la société légale). Le recours à des méthodes « professionnelles » telles que l'élimination physique, la corruption et le contre-espionnage, dans le but de « se protéger » soi-même, illustre clairement le danger que constituent les organisations criminelles.

II. On ne connaît pas suffisamment la portée réelle du problème de la criminalité organisée en Belgique. Un inventaire approfondi de la criminalité organisée y fait défaut pour l'instant. Un tel inventaire est pourtant indispensable. Une connaissance précise de la criminalité permet, en effet, d'ajuster les méthodes de recherche et de lutte et de s'attaquer ainsi efficacement au problème.

III. Il ressort des dépositions faites devant la Commission sur le banditisme que « dans la lutte qu'ils mènent contre la criminalité organisée, les services de police sont obligés de recourir à des techniques particulières de police, mais que l'absence de lois et de règlements en la matière est source de frustration et de problèmes » (doc. Chambre, 1988, 59/8, p. 231).

Ces techniques particulières de police sont principalement l'observation (par exemple le pistage et l'enregistrement vidéo des activités d'une personne, l'écoute des communications, ...) et l'utilisation d'indicateurs et d'informateurs infiltrés (agents secrets).

À l'exception de ce qui est prévu à l'égard des écoutes, de la prise de connaissance et de l'enregistrement de communications et de télécommunications privées (art. 90ter et suivants du Code d'instruction criminelle), les techniques particulières de police ne sont pas réglementées par la loi. Par rapport à l'État de droit et au respect des droits de l'homme (notamment le droit à la vie privée et le droit à un procès équitable), des questions se posent donc quant à la légitimité de leur utilisation. L'emploi et l'organisation des techniques particulières de police doivent être placés sous l'autorité de la loi. La police et la justice doivent s'en tenir aux règles de l'État de droit, sous peine de se rabaisser elles-mêmes au niveau qu'elles souhaitent combattre.

La constatation que la criminalité organisée ne pourrait sans doute être combattue qu'en faisant appel à des techniques particulières de police ne saurait justifier en rien un recours incontrôlé à de telles méthodes. Il est donc souhaitable de réaliser une enquête sur la nécessité comme sur la régularité des méthodes de recherche et de lutte mises en oeuvre (et à mettre en oeuvre) par la police et la justice.

IV. La question de savoir de quelle manière il est possible de s'attaquer efficacement à la criminalité organisée ne peut toutefois se ramener à cette problématique des techniques particulières de recherche. Divers autres aspects conditionneront l'efficacité de la lutte contre cette forme de criminalité et ils méritent, eux aussi, d'être approfondis

On peut ainsi se demander en premier lieu si l'on ne pourrait pas, dans une certaine mesure, s'attaquer à cette criminalité par la prévention (par exemple, en optimalisant le contrôle des documents à l'importation et à l'exportation pour lutter contre la fraude organisée à la T.V.A. ­ les « carrousels »).

La question pourrait être approfondie également sur le plan des structures et de l'organisation. Dans la lutte contre la criminalité organisée, il paraît en effet souhaitable de professionnaliser (spécialiser) davantage l'appareil judiciaire et les divers services de police. Concrètement, se posent par exemple les questions suivantes : quel(s) service(s) de police faut-il charger spécifiquement de la recherche de la criminalité organisée (la police judiciaire, la B.S.R.) ? Quel est le rôle du ministère public, du Collège des procureurs généraux ?

De même, il conviendrait d'étudier comment améliorer la collaboration internationale, indispensable dans la lutte contre la criminalité organisée, le plus souvent transfrontalière.

Se pose également la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu d'adapter la législation (pénale). Celle-ci semble en effet présenter certaines lacunes quand il s'agit de lutter contre ladite criminalité (on pourrait envisager, notamment, d'ériger la criminalité organisée en incrimination spécifique, de lui donner la qualification de délit continu, de prévoir des sanctions patrimoniales, de retirer éventuellement la personnalité juridique, ...). Le plus important, si la législation était adaptée, serait que l'on puisse circonscrire et saisir plus facilement les produits financiers de la criminalité organisée. C'est là, en effet, la seule manière de dépouiller l'organisation criminelle du pouvoir (économique et financier) qu'elle a conquis. En outre, ce type de sanction est souvent ressentie (par le « criminel organisé ») comme plus sérieuse qu'une peine de prison.

La lutte contre la criminalité organisée ne pourra être couronnée de succès que si ses auteurs réels sont également sanctionnés de manière effective dans un délai raisonnable. En conséquence, il conviendrait, pour terminer, de reconsidérer aussi, notamment, certains aspects de la procédure judiciaire. (Exemples : Pourrait-on accorder des réductions de peine en échange d'un témoignage incriminant une figure de proue de l'organisation criminelle ? Pourrait-on ­ vu sous l'angle des droits de la défense ­ accorder le bénéfice de l'anonymat à un informateur, témoin capital ? Convient-il d'inverser la charge de la preuve en ce qui concerne la provenance de biens suspects ? ...)

V. Un problème tel que celui de la criminalité organisée ne peut être laissé sans solution. Il appartient au Parlement de veiller à ce qu'il soit résolu.

Le droit d'enquête dont chaque Chambre dispose en vertu de l'article 56 de la Constitution permet de recueillir les informations nécessaires pour s'assurer que l'on pourra lutter de manière effective et efficace contre la criminalité organisée.

Le Sénat devrait, dès lors, instituer une commission d'enquête ayant pour missions :

­ d'une part, de dresser la carte du phénomène de la criminalité organisée en Belgique (c'est-à-dire, après avoir défini ce qu'il y a lieu d'entendre exactement par criminalité organisée, déterminer dans quelle mesure il est possible de trouver des indices comme quoi cette forme de criminalité se manifeste bien en Belgique, et jusqu'à quel point);

­ et, d'autre part, sur la base du bilan criminel ainsi établi, d'étudier comment cette criminalité organisée peut être combattue efficacement (et légitimement), en envisageant éventuellement, en outre, d'élaborer des mesures préventives, une législation spécifique, des techniques de recherche appropriées, une coopération internationale optimale et une procédure spécifique).

Hugo VANDENBERGHE.

PROPOSITION


Article premier

Il est institué une commission d'enquête parlementaire ayant pour missions :

­ de réaliser une enquête sur l'étendue, la nature et la gravité de la criminalité organisée en Belgique;

­ de déterminer comment il serait possible de combattre efficacement et légitimement cette criminalité organisée;

­ de formuler éventuellement des propositions en vue d'atteindre cet objectif.

Art. 2

La commission dispose de tous droits et pouvoirs, conformément à l'article 56 de la Constitution et à la loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires.

La commission entend toutes personnes qu'elle juge utile d'appeler à comparaître.

La commission prend les contacts internationaux nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Art. 3

La commission est composée de onze membres effectifs et de onze suppléants, désignés suivant la règle de la représentation proportionnelle des groupes politiques.

Art. 4

La commission fait rapport au Sénat dans les six mois de son installation.

Hugo VANDENBERGHE.
Roger LALLEMAND.
Hugo COVELIERS.
Frederik ERDMAN.
Joëlle MILQUET.
Bert ANCIAUX.
Johan WEYTS.