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SÉANCE DU JEUDI 9 NOVEMBRE 1995 |
VERGADERING VAN DONDERDAG 9 NOVEMBER 1995 |
M. le Président. L'ordre du jour appelle la question orale de M. Desmedt au ministre de la Justice sur « l'utilité du maintien des juridictions militaires ».
La parole est à M. Desmedt.
M. Desmedt (PRL-FDF). Monsieur le Président, la chambre francophone du Conseil de guerre de Bruxelles vient de rendre un jugement d'une très grande indulgence à l'égard de seize militaires poursuivis pour des faits délictueux commis notamment à l'égard d'enfants, dans le cadre de l'opération des Nations unies en Somalie en 1993.
Les faits étaient nombreux et graves. Dans son réquisitoire, l'auditeur militaire avait parlé d'une « épouvantable dérive » et s'était posé la question de savoir comment se comporteraient ces militaires face à une véritable situation de guerre.
Sur les seize prévenus, neuf, dont le commandant du détachement, ont été acquittés, six ont bénéficié de la suspension du prononcé et seul un lieutenant a été condamné à huit jours de prison avec sursis. La presse a souligné l'extrême clémence de ce jugement.
Je n'entends pas, monsieur le ministre, vous interroger à propos de cette affaire précise, qui n'est d'ailleurs peut-être pas terminée puisqu'il y a possibilité d'appel. Il n'en reste pas moins que l'on peut considérer pareil jugement comme choquant en présence de comportements témoignant d'un manque total de respect pour la personne humaine.
On peut penser qu'une telle indulgence résulte du caractère particulier de la juridiction appelée à statuer.
Depuis la suppression du service militaire, les conseils de guerre ne sont plus appelés qu'à juger des militaires de carrière. Ce sont donc des militaires de profession, non juristes, qui jugent d'autres militaires de profession.
Connaissant l'esprit de corps du monde militaire, il est à craindre que des dérives comme celle que j'ai évoquée ne soient appelées à se multiplier au détriment de l'exercice d'une bonne justice.
Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que l'existence d'une juridiction militaire spéciale pour les militaires représente aujourd'hui un anachronisme auquel il y aurait lieu de mettre fin en supprimant ces juridictions d'exception ?
M. le Président. La parole est à M. De Clerck, ministre.
M. De Clerck, ministre de la Justice. Monsieur le Président, j'ai l'honneur de signaler à M. le sénateur qu'un projet de loi contenant la réforme des tribunaux militaires a été soumis pour avis au Conseil d'État en date du 24 avril 1995, ce qui répond en grande partie à sa question. Un certain nombre d'éléments figurant dans ce projet de loi prouvent que nous essayons de changer le fonctionnement et la composition de ce tribunal dans le sens souhaité.
En effet, ce projet supprime les juridictions militaires actuelles et crée une juridiction militaire unique : un tribunal auprès des forces armées auquel est rattaché un auditorat et, en degré d'appel, une cour d'appel auprès des forces armées à laquelle est rattaché un auditorat général.
Le but du projet est de se référer à l'organisation et à la procédure de droit commun dans toute la mesure du possible.
La réforme vise donc à ne soustraire un militaire ou une personne assimilée à la compétence de la juridiction ordinaire qu'en présence d'une infraction ayant une répercussion directe sur le fonctionnement adéquat des forces armées.
De ce fait, les compétences des juridictions militaires sont fortement réduites.
Il faut cependant noter qu'il existe des infractions spécifiques au milieu militaire, notamment la trahison, l'espionnage, l'insubordination, la révolte, les violences et outrages envers un autre militaire ainsi que la désertion.
L'existence même de l'armée, son organisation particulière, les missions en temps de guerre ou à l'étranger justifient le maintien de ces infractions spécifiques et, par conséquent, d'une juridiction d'exception.
Je voudrais rappeler à l'honorable membre qu'à l'heure actuelle, un magistrat civil siège comme assesseur dans chaque conseil de guerre et un magistrat civil préside la cour militaire et chacune de ses chambres.
Dans le nouveau projet, en principe, un juge civil présidera chaque chambre du tribunal et les militaires seront seulement des assesseurs.
Leur présence permet de prendre en compte la spécificité du droit pénal militaire et de la délinquance de droit commun commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des activités militaires.
En outre, les magistrats de l'auditorat et de l'auditorat général militaire sont des magistrats du ministère public nommés par le Roi aux mêmes conditions que ceux des juridictions ordinaires. Il ne s'agit donc pas de militaires.
Il est par conséquent erroné d'affirmer que ce sont des militaires de profession qui jugent des militaires de profession. Je pense que le projet confirmera ces éléments.
M. le Président. La parole est à M. Desmedt pour une réplique.
M. Desmedt (PRL-FDF). Monsieur le Président, je remercie le ministre pour sa réponse.
Je pense que le projet de loi qu'il prépare actuellement sera en effet excellent. Je tiens néanmoins à préciser que, contrairement à ce que dit le ministre, les militaires sont actuellement jugés par des militaires puisqu'un Conseil de guerre composé de cinq membres comprend quatre militaires. J'espère donc que le projet de loi qui est en préparation modifiera la situation.
M. De Clerck, ministre de la Justice. Ce que vous dites est exact.
M. le Président. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.