SÉNAT DE BELGIQUE
________
Session 2014-2015
________
3 novembre 2014
________
SÉNAT Question écrite n° 6-204

de Bert Anciaux (sp.a)

au vice-premier ministre et ministre de l'Emploi, de l'Economie et des Consommateurs, chargé du Commerce extérieur
________
Saut d'index - Concertation avec les Régions et les Communautés
________
relation État-région
indexation des salaires
________
3/11/2014Envoi question
26/6/2015Réponse
________
________
SÉNAT Question écrite n° 6-204 du 3 novembre 2014 : (Question posée en néerlandais)

Le gouvernement a décidé d'appliquer un saut d'index de 2 % pour tous les travailleurs de notre pays. Pour beaucoup, cela se produira dans les premiers mois de 2015. Il est également prévu d'instaurer une modération salariale durant plusieurs années.

La décision du gouvernement fédéral a naturellement des répercussions sur les Régions et les Communautés et sur la politique des gouvernements respectifs.

1) Comment le ministre pourra-t-il imposer cette mesure drastique ? Quand se concertera-t-il à ce sujet avec les partenaires sociaux ? Quand se concertera-t-il à ce sujet avec les gouvernements de Communauté et de Région dans notre pays ? Le gouvernement fédéral peut-il imposer la mesure à toutes les entités ? Il n'existe pas de hiérarchie des normes de droit entre une loi et un décret. Comment le gouvernement fédéral obligera-t-il les entités fédérées à adhérer à ce saut d'index ?

2) Si les entités fédérées décident de façon autonome d'instaurer pour leurs fonctionnaires, en même temps que le saut d'index prévu, une augmentation de salaire de 2 %, ce qui ramènerait à zéro les conséquences du saut d'index, de quels moyens le gouvernement fédéral dispose-t-il pour annuler les décisions des gouvernements des entités fédérées ?

3) De quels moyens de droit le gouvernement fédéral dispose-t-il pour refuser à des pouvoirs locaux ou provinciaux le droit d'instaurer, parallèlement au saut d'index décidé par le fédéral, une augmentation de salaire pour les fonctionnaires locaux ou provinciaux ? Les pouvoirs locaux et provinciaux relèvent d'ailleurs de la compétence des Régions. Comment le gouvernement fédéral peut-il éviter cela ?

4) Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il expressément parlé d'un saut d'index en 2015, sans qu'une concertation approfondie ait été organisée au préalable, voire un accord conclu, avec les partenaires sociaux et les gouvernements des entités fédérées ?

5) Un saut d'index décidé par le gouvernement fédéral ne peut-il pas, dans la pratique, être annulé par tout employeur qui procéderait simultanément à une augmentation du salaire. L'employeur, qu'il soit une personne privée, une entreprise ou une administration, n'a-t-il pas le droit d'annuler ainsi l'effet du saut d'index ? Cela ne fait-il pas, d'un sujet d'une importance énorme et qui devrait faire l'objet d'une décision collective des partenaires sociaux, une compétence exclusive des employeurs ?

6) Quand le ministre prévoit-il cette concertation urgente avec les Régions et Communautés ?

Réponse reçue le 26 juin 2015 :

Je peux communique à l’honorable membre ce qui suit.

Dans l’accord du gouvernement du 9 octobre 2014 il a été convenu entre les parties du gouvernement, comme vous l’avez peut-être lu, ce qui suit :

« Le gouvernement s’engage à résorber complètement, avant la fin de la législature, au moins le handicap salarial mesuré depuis 1996 avec les pays voisins. Ceci sera concrètement possible en 2015 et 2016 entre autres via :

– un saut d’index en 2015 ;

– l’avancement de la réduction des charges prévue dans le pacte de compétitivité ;

– une période supplémentaire de modération salariale en 2015-2016 (ou tant que la compétitivité n’est pas restaurée).

Le mécanisme de l’indexation automatique des salaires n’est pas remis en cause. Ce mécanisme pourra éventuellement être davantage réformé. »

Partant de cet accord du gouvernement je peux alors vous fournir les réponses suivantes sur les questions posées :

1) L’exécution du saut d’index est une mesure pour laquelle, seul le législateur fédéral est compétent en vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, remplacé par l’article 18, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la sixième réforme de l’État. Cette disposition prévoit que « l’autorité fédérale est seule compétente pour « la politique des prix et des revenus, à l’exception de la réglementation des prix dans les matières qui relèvent de la compétence des Régions et des Communautés, sous réserve de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, d), concernant les tarifs énergétiques. » »

Le Conseil d’État a rendu très récemment un avis sur ce sujet dans le cadre du projet de loi relatif à la promotion de l’emploi – qui entre temps est devenu une (loi du 23 avril 2015) – qui dit ce qui suit : « Le pouvoir de lier l’évolution et l’adaptation de montants à un index déterminé revient en principe à l’autorité qui est matériellement compétente pour réglementer ces montants. La Cour constitutionnelle a confirmé qu’« un mécanisme d’indexation ne peut (etc.) être considéré comme une matière en soi mais bien comme un instrument que le législateur fédéral et le législateur décrétal peuvent utiliser, chacun pour ce qui le concerne, pour autant qu’ils agissent dans les limites de leurs compétences respectives » Et ensuite : « L’autorité fédérale dispose sur cette base d’un pouvoir général pour régler de manière générale et uniforme la « politique des prix et des revenus ». Sans régler d’une manière spécifique les prix et revenus dans certains domaines relevant de la compétence des Communautés ou des Régions, l’autorité fédérale peut imposer pour tous les revenus et prix, liés à un indice des prix, la liaison à l’indice santé qu’elle définit. L’exercice de ce pouvoir général suppose un objectif justifiant la nécessité d’un régime générale et uniforme. » Et enfin : « L’autorité fédérale dispose sur cette base d’un pouvoir général pour régler de manière générale et uniforme la « politique des prix et des revenus ». Sans régler d’une manière spécifique les prix et revenus dans certains domaines relevant de la compétence des Communautés ou des Régions, l’autorité fédérale peut imposer pour tous les revenus et prix, liés à un indice des prix, la liaison à l’indice santé qu’elle définit. L’exercice de ce pouvoir général suppose un objectif justifiant la nécessité d’un régime générale et uniforme. »

Une concertation avec les différents gouvernements régionaux et communautaires du pays n’est, par conséquent, pas nécessaire pour une compétence, notamment en matière de la politique des revenus, pour laquelle l’autorité fédérale est exclusivement compétente sur base de la disposition de la loi spéciale mentionnée ci-dessus. Quand l’autorité fédérale exécute une compétence pour laquelle elle est exclusivement compétente, ladite « hiérarchie des normes » ne joue pas, puisque les différents gouvernements régionaux et communautaires ne peuvent tout simplement pas prendre un décret ou un arrêté en la matière. Il ne peut normalement pas être question d’un conflit de normes.

2) En ce qui concerne l’application d’un saut d’index aux fonctionnaires qui relèvent de l’autorité des gouvernements régionaux et communautaires, je peux vous préciser ce qui suit. La Cour constitutionnelle a décidé, sur base de la compétence relative à la politique des revenus mentionnée ci-dessus, dans un arrêt du 2 mars 1995 ce qui suit :

(…) « B.7. Selon l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, modifiée par la loi spéciale du 8 août 1988, l'autorité fédérale est seule compétente pour la politique des prix et des revenus. En confirmant des mesures qui consistent, d'une part, à réglementer la liaison des rémunérations à l'indice des prix à la consommation (articles 2 et 3 de l'arrêté royal du 24 décembre 1993) et, d'autre part, à modérer les rémunérations (articles 4 à 6 du même arrêté royal), le législateur fédéral a exercé la compétence que lui attribue la disposition précitée de l'article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980. Ce serait ajouter à cette disposition une restriction qui n'y figure point que d'exclure de la notion de revenus les traitements payés au personnel de l'enseignement organisé ou subventionné par une Communauté. Ce serait, en outre, introduire dans la politique des prix et des revenus des risques d'inégalités et d'incohérence que le législateur spécial a précisément voulu empêcher en confiant la matière à l'autorité fédérale. (...)

B.9. Ladite compétence des Communautés ne peut empêcher l'État fédéral de prendre des mesures de modération, même si elles limitent les rémunérations du personnel de l'enseignement, dès lors que cette autorité a pu, dans l'exercice de ses compétences, juger qu'il était indispensable à la réalisation d'une politique cohérente des prix et des revenus que ces mesures fussent générales. »

Il ressort de cet arrêt que l’autorité fédérale dispose des compétences très larges afin de mener une politique de revenus. La réalisation d’un saut d’index doit être cataloguée dans la politique des revenus.

Le Conseil d’État a également affirmé dans le même avis cité ci-avant que « À ce propos, il faut cependant constater que, dans leur législation, les Communautés et les Régions lient souvent l’évolution d’un montant à l’indice des prix qui est calculé en vue de l’application de l’article 2 de l’arrêté royal du 24 décembre 1993 portant exécution de la loi du 6 janvier 1989 de sauvegarde de la compétitivité du pays. Dans le cadre de leur compétence propre et à l’égard de leur propre législation, elles font ainsi usage d’« une référence dynamique » à l’indice des prix réglementé sur le plan fédéral. Cette « référence dynamique » implique que, lorsque la réglementation fédérale est modifiée en la matière (comme le prévoit l’article 2 du projet), les modalités d’indexation fixées par la réglementation communautaire et régionale se trouvent également modifiées. Eu égard à leur compétence matérielle propre et à la possibilité d’utiliser l’instrument de l’indexation, elles peuvent toutefois cesser de faire référence au mécanisme fédéral d’indexation (modifié) ».

La réalisation d’une augmentation salariale de 2 % par les gouvernements régionaux et communautaires afin de neutraliser le saut d’index dépend effectivement de la compétence exclusive de ces autorités. En ces temps de prudence budgétaire il est également de la responsabilité des Régions concernées ou des Communautés concernées de gérer leurs dépenses publiques. Cette responsabilité ne cadre pas seulement en premier lieu avec le principe de ladite « loyauté fédérale » ancrée dans l’article 143 de la Constitution. Ce principe peut être décrit comme une obligation pour l’autorité fédérale et les entités fédérées de ne pas mettre à mal, à l’occasion de l’exercice de leurs compétences, l’équilibre de la construction fédérale. Concrètement l’on ne peut porter atteinte à l’union économique et monétaire et l’on doit tenir compte des autres entités. En deuxième lieu, les différentes entités de ce pays doivent honorer ensemble les accords budgétaires contraignants conclus avec l’Union européenne et finalement y travailler ensemble.

3) En ce qui concerne cette question, je réfère l’honorable membre à la réponse sur la deuxième question.

4) La mesure du saut d’index fait partie de l’accord du gouvernement fédéral. Dans cet accord, les partis politiques qui forment ensemble une majorité parlementaire et un gouvernement, ont pris des engagements. Ces engagements sont, comme toujours, le résultat des multiples contacts préalables qu’ont les informateurs et les formateurs.

En outre, l’autorité fédérale a une très large compétence concernant la politique des revenus. Une concertation avec les gouvernements régionaux concernant une compétence propre à l’autorité fédérale allait en contradiction avec la logique de la structure de l’État fédérale belge.

Enfin, il est logique que des fonctionnaires, tant qu’ils ressortissent du niveau fédéral, régional ou local soient soumis, d’une manière équivalente, à cette mesure de politique des revenus, notamment le saut d’index.

5) Comme vous le savez, la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, mieux connue sous la dénomination de la « loi Norme salariale », autorise que les partenaires sociaux négocient une norme salariale. Ce n’est qu’en cas d’absence d’un accord entre les partenaires sociaux sur la norme salariale que le gouvernement fédéral peut imposer une norme salariale, par arrêté royal. Quand le gouvernement fédéral impose une norme salariale, une amende administrative est, en cas d’infraction à cette norme, possible à l’égard d’un employeur individuel.

Les partenaires sociaux interprofessionnels, réunis au sein du Groupe des dix, ne sont pas arrivés à un accord unanime, et par conséquent pas à un « accord interprofessionnel » dans le sens normal de ce terme. Seulement cinq des six parties ont atteint un accord. Le gouvernement fédéral s’est toutefois engagé à exécuter cet accord. Elle prendra maintenant les mesures nécessaires afin d’imposer la norme salariale 2015-2016.

6) Je dois enfin répéter que la réalisation d’un saut d’index cadre avec la compétence exclusive concernant la politique des revenus de l’autorité fédérale et qu’une concertation ou collaboration avec les gouvernements régionaux et communautaires n’est pas nécessaire sur ce point.