SÉNAT DE BELGIQUE
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Session 2012-2013
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19 décembre 2012
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SÉNAT Question écrite n° 5-7624

de Bert Anciaux (sp.a)

à la ministre de la Justice
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La relaxe d'un dealer de drogue pour cause d'absence d'interprète
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profession de l'information
trafic de stupéfiants
interprétation
procédure pénale
impunité
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19/12/2012Envoi question
18/2/2013Réponse
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Requalification de : demande d'explications 5-2664
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SÉNAT Question écrite n° 5-7624 du 19 décembre 2012 : (Question posée en néerlandais)

Dernièrement, un trafiquant de drogue a été interpellé à l'aéroport de Zaventem alors qu'il tentait de faire entrer quatre kilos de cocaïne. Peu après, le samedi 3 novembre, il a été présenté devant le juge d'instruction de Bruxelles. Dans pareil cas, le prévenu, qui est Brésilien, a droit à un interprète. Il s'agissait en l'occurrence d'un interprète portugais-néerlandais. Il s'est toutefois avéré impossible de trouver un tel interprète le samedi 3 novembre. Le juge d'instruction a ensuite tenté de travailler en deux étapes et a cherché un interprète portugais-français puis un interprète français-néerlandais mais en vain. Les interprètes étaient introuvables.

Le résultat de cette vaine quête paraît et est réellement inacceptable : le juge d'instruction a dû libérer l'accusé. Celui-ci a immédiatement pris un vol de retour vers le Brésil. Il s'est littéralement volatilisé.

La ministre reconnaîtra sans nul doute que le portugais n'est pas à proprement parler une langue inconnue et particulièrement exotique. Il s'agit non seulement de la langue d'un État membre de l'Union européenne mais aussi de celle d'une importante puissance économique émergente, le Brésil.

L'impossibilité de trouver un interprète dans ce cas doit sans doute avoir d'autres causes. Et ces causes ont en effet rapidement été trouvées, entre autres par la voix d'un représentant des interprètes. Il apparaît que la justice a une façon très particulière - et l'expression est faible - de traiter ses interprètes. Elle ne disposerait pas de liste précise d'interprètes, les rémunérations sont extrêmement faibles et sont versées avec un retard considérable. Les interprètes n'ont aucun statut et ne bénéficient pas d'un encadrement convenable.

Dans un tel contexte et dans de telles conditions, on comprend aisément qu'aucun interprète n'ait pu être trouvé. Les interprètes n'acceptent plus un tel manque de respect.

La ministre confirme-t-elle qu'il a été impossible de trouver un interprète portugais-néerlandais ou portugais-français, ce qui a entraîné la remise en liberté d'un trafiquant de drogue qui a d'emblée pris la poudre d'escampette ? Comment explique-t-elle ce problème ? Admet-elle que ces situations inacceptables s'expliquent par la manière dont la Justice traite les interprètes ? Est-il vrai que la Justice ne dispose même pas d'une liste précise d'interprètes, que la rémunération des interprètes est très faible et, en outre, est versée avec beaucoup de retard ? Comment la ministre justifie-t-elle l'absence de statut et d'encadrement optimal des interprètes ? Comment se fait-il que ce maillon sensible et même crucial de la chaîne soit traité aussi mal ?

Comment la ministre garantira-t-elle que de telles situations ne se reproduisent plus ? Prendra-t-elle à court terme des mesures énergiques pour diminuer le risque que la Justice commette à nouveau - comme dans le cas présent - une bévue ridicule et dramatique ?

Réponse reçue le 18 février 2013 :

Tout d'abord, il convient de souligner ce qui suit en ce qui concerne le cas individuel qui a été évoqué :

  • bien que l'ordonnance contraire du juge d'instruction indique effectivement l'impossibilité de procéder à l'audition du suspect vu qu'à ce moment-là, aucun interprète n'était disponible, cette décision a été motivée d'une autre manière, à savoir par l'absence d'absolue nécessité pour la sécurité publique de délivrer un mandat d'arrêt ;

  • sur la base des éléments recueillis par les enquêteurs, le juge d'instruction était dès lors parfaitement en mesure d'en décider ainsi, bien qu'il n'ait pas entendu la personne qui avait été privée de sa liberté.

D'une manière générale, toutefois, il est parfois difficile de trouver des interprètes disponibles, essentiellement en raison :

  • du bref délai d'arrestation qui précède l'éventuelle détention préventive ;

  • du fait que ce problème se pose de façon encore plus aiguë le week-end, surtout lorsqu'il s'agit d'un week-end prolongé, comme c'était le cas en l'occurrence ;

  • et du fait que le problème se pose principalement pour des langues moins courantes plutôt que pour des langues rencontrées fréquemment (comme le portugais).

Des mesures ont toutefois déjà été prises ou sont en cours d'élaboration :

  • le ministère public a, entre-temps, créé sur son site Internet une liste de traducteurs-interprètes qui peut être consultée par le siège, le parquet et la police ;

  • oui, le statut de traducteur juré, interprète juré ou traducteur-interprète juré est requis. Afin de garantir la qualité, les interprètes devront à l'avenir disposer d'un diplôme reconnu.

Au sein de mon administration, un groupe de travail prépare actuellement un nouveau texte à partir d'un document de base proposé par ma cellule stratégique dans le cadre de la directive européenne 2010/064 du 20 octobre 2010, qui intègre également ce critère de qualité.

Il s’agit d'une première étape dans le cadre de la directive européenne, qui, à terme, donnera également lieu à la création d'un registre national électronique pour les services judiciaires, si bien que ceux-ci pourront trouver plus rapidement des traducteurs/interprètes potentiels sur l'ensemble du territoire belge.

Les frais de justice urgents (par exemple interprètes judiciaires) sont payés par le greffe par le biais de provisions données par le Service public fédéral (SPF) Justice – service des Frais de justice.

Il n'existe aucun arriéré au niveau du paiement de ces provisions si bien qu'il est en principe possible de payer les frais de justice urgents.