5-245/1 | 5-245/1 |
7 OCTOBRE 2010
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 13 janvier 2009 (doc. Sénat, nº 4-1113/1 – 2008/2009).
C'est au début des années 1990 que les autorités belges se préoccupent du problème de la traite des êtres humain et ont décidé de mettre en place un système de protection des victimes. Le système belge de lutte contre la traite des êtres humains repose sur un difficile compromis entre, d'une part, la volonté de protéger les victimes et de leur offrir des perspectives d'avenir, et d'autre part, la nécessité d'une lutte efficace contre les réseaux organisés responsables de la situation d'exploitation dans laquelle se trouvent ces victimes.
La législation belge prévoit ainsi que les victimes de la traite ou de trafic des êtres humains (1) qui acceptent de collaborer avec les autorités judiciaires et d'être accompagnées par un centre d'accueil spécifique (2) peuvent bénéficier du statut de victime et de l'octroi d'un titre de séjour
En ce qui concerne plus particulièrement le statut du séjour, l'Europe, via la directive 2004/81/CE du Conseil de l'Union européenne du 29 avril 2004, a fixé des normes minimales, liées à la durée des procédures nationales correspondantes des États membres, pour l'octroi de titres de séjour à durée déterminée aux ressortissants de pays tiers qui apportent leur collaboration dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains. Le régime est justifié de la manière suivante: en raison de leur situation administrative précaire ou même illégale, ces victimes n'osent le plus souvent pas s'adresser aux autorités du pays dans lequel elles se trouvent, par crainte d'être immédiatement renvoyées dans leur pays d'origine en raison de leur situation de séjour, et par crainte des mesures de représailles de la part des auteurs de l'infraction. D'autre part, les autorités des États membres cherchent à lutter contre ce phénomène et à démanteler les réseaux. Dans ce cadre, les éléments d'information fournis par les victimes peuvent s'avérer très utiles à l'enquête. C'est la raison pour laquelle ce système d'incitation à coopérer avec les autorités judiciaires est proposé, système qui existait déjà dans plusieurs pays européens dont la Belgique.
Comme notre système juridique comprenait déjà des mesures en faveur des victimes, le but était de maintenir le régime en vigueur qui était plus favorable que le contenu de la directive européenne. Les nouvelles dispositions de la loi du 15 décembre 1980 et plus exactement les articles 61/2 à 61/5 visent donc essentiellement à mettre notre législation en conformité avec la directive.
Bien que la législation belge contre la traite d'êtres humains soit considérée comme un des systèmes les plus développés au sein de l'Union européenne, elle présente néanmoins toujours certaines lacunes comme la question du règlement du séjour des victimes.
L'octroi d'une protection et d'une assistance aux victimes de la traite ou d'une forme aggravée de trafic d'êtres humains est lié à la collaboration avec la justice, ce qui implique que pour recevoir ce statut de « victime de la traite », la victime doit satisfaire à trois conditions: rompre les contacts avec les auteurs présumés de leur exploitation, être accompagnée par un centre spécialisé et, endéans le délai éventuel de quarante-cinq jours, faire des déclarations ou porter plainte contre son exploiteur.
La procédure visée aux articles 61/2 à 61/5 de la loi sur les étrangers se déroule ainsi en quatre grandes phases.
Tout d'abord, une période de réflexion de quarante-cinq jours est offerte à la victime potentielle qui a quitté les personnes qui l'ont fait entrer dans la traite et qui s'adresse à un centre d'accueil spécialisé. Cette période doit permettre à la victime de retrouver un état serein et de décider ensuite si elle souhaite ou non faire des déclarations contre les personnes qui l'ont exploitées ou si elle souhaite se préparer à un retour dans son pays d'origine.
Ensuite, lorsque la victime a fait des déclarations ou a porté plainte la deuxième phase débute. La victime peut alors bénéficier d'un document de séjour de trois mois, à condition toutefois d'être accompagnée par un centre d'accueil spécialisé et de ne pas reprendre contact avec les auteurs présumés. Cette personne pourra aussi avoir accès aux possibilités de formation et d'emploi.
Le séjour sera prolongé en fonction de l'évolution de l'enquête et à certaines conditions, ce qui permet, le cas échéant, à la victime de bénéficier d'un titre de séjour de six mois (CIRE) qui est renouvelé jusqu'à la fin de la procédure judiciaire.
Enfin, si le dossier aboutit au tribunal, la victime a la possibilité d'obtenir un titre de séjour à durée indéterminée. Il faut pour cela qu'il y ait eu soit une condamnation sur la base de la loi sur la traite des êtres humains, soit que le parquet ou l'auditorat du travail ait retenu l'élément de traite des êtres humains dans son réquisitoire.
On ne peut que constater que dans un souci de transposer fidèlement la directive européenne 2004/81/CE, les conditions de délivrance des titres de séjour temporaires qui sont délivrés pendant toute la durée de la procédure devant les juridictions ont été alourdies. En ce qui concerne la dernière phase, c'est la possibilité de régularisation définitive qui a été retenue, à l'instar des anciennes dispositions réglementaires en la matière. La directive européenne mentionne à cet effet qu'à l'issue du permis de séjour temporaire, c'est le droit commun des étrangers qui s'applique.
Afin d'offrir plus de sécurité juridique à la victime, l'auteur souhaite instaurer une régularisation définitive automatique qui nous paraît indispensable, car sans elle, il est difficile d'inciter les victimes, qui ont parfois pris des risques importants en faisant des déclarations, à collaborer dans le cadre d'enquêtes judiciaires. Comment peut-on en effet motiver des victimes à collaborer si elles savent qu'à l'échéance l'octroi d'un permis de séjour n'est pas certain et qu'elles seront tenues de rentrer chez elles ou d'introduire une demande de régularisation sur d'autres bases ?
Il est dès lors proposé d'instaurer une régularisation définitive et automatique dans les deux cas suivants: lorsque la déclaration ou la plainte de la victime a abouti à une condamnation et lorsque le procureur du Roi ou l'auditeur du travail a retenu dans ses réquisitions la prévention de traite des êtres humains ou les formes aggravées concernées de trafic des êtres humains.
Par contre, en ce qui concerne les cas où l'affaire est classée sans suite ou lorsque les auteurs ne sont pas retrouvés, les victimes perdent officiellement le statut de victimes de la traite des êtres humains et ne peuvent prétendre à un permis de séjour que par le biais de pratiques officieuses alternatives comme la procédure « STOP ». Cette procédure permet de régulariser la victime sur la base du degré d'intégration et pour autant qu'elle ait suivi pendant au moins deux ans la procédure traite des êtres humains (telle que décrite ci-dessus). Pour pouvoir en bénéficier, la victime doit donc avoir fait l'objet d'un encadrement pendant cette période par un des trois centres d'accueil spécialisés.
Cette procédure comme le souligne le Centre pour l'égalité des chances et de lutte contre le racisme n'est pas remise en question par les personnes-clés (principalement les centres d'accueil nationaux responsables de l'aide et de l'accompagnement des victimes) et bien au contraire, celles-ci sont partisanes d'une reconnaissance officielle de cette procédure et pour son inscription dans la législation (3) .
C'est pourquoi, afin de garantir davantage de sécurité juridique aux victimes qui n'ont pas vu la procédure aboutir favorablement, c'est-à-dire lorsque la déclaration ou la plainte de la victime n'a pas abouti à une condamnation ou lorsque le procureur du Roi ou l'auditeur du travail n'a pas retenu dans ses réquisitions la prévention de traite des êtres humains ou les formes aggravées concernées de trafic des êtres humains, il convient d'inscrire la procédure « STOP » dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Philippe MAHOUX. Hassan BOUSETTA. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
À l'article 61/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, inséré par la loi du 15 septembre 2006, les modifications suivantes sont apportées:
1º les mots « Le ministre ou son délégué peut autoriser » sont remplacés par les mots « Est de plein droit admis »;
2º l'article est complété par un alinéa 2 rédigé comme suit:
« Le ministre ou son délégué peut autoriser au séjour pour une durée illimitée l'étranger visé à l'alinéa 1er lorsque l'affaire est classée sans suite ou lorsque l'auteur n'est pas retrouvé, pour autant que l'étranger ait suivi pendant au moins deux ans la procédure visée aux articles 61/2 à 61/4. ».
20 juillet 2010.
Philippe MAHOUX. Hassan BOUSETTA. |
(1) Peuvent ainsi bénéficier du statut de victime tant les victimes de la traite des êtres humains au sens de l'article 433quinquies du Code pénal que certaines victimes du trafic d'êtres humains, à savoir celles dont les conditions de transport ou de traitement s'apparentent à des victimes de la traite et qui subissent donc elles aussi des atteintes à leurs droits fondamentaux. Il s'agit des victimes des formes aggravées de trafic visées à l'article 77quater, 1o à 5o, de la loi du 15 décembre 1980 (minorité de la victime (1o); abus de la situation vulnérable de la victime (2o); usage de manœuvres frauduleuses, violence, menaces ou contrainte (3o); mise en danger de la vie de la victime (4o); incapacité permanente physique ou psychologique de la victime suite à l'infraction commise (5o)).
(2) Il s'agit de l'ASBL Sürya pour la Wallonie, l'ASBL Pag-Asa pour la région de Bruxelles-Capitale et l'ASBL Payoke pour la Flandre.
(3) Centre pour l'égalité des chances et de lutte contre le racisme, Rapport Traite des êtres humains, 2006 « Les victimes sous les projecteurs », p. 87, une analyse qualitative et quantitative de la base de données victimes de la traite des êtres humains, recherche réalisée par le prof. Dr. Gert Vermeulen.