5-227/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010

6 OCTOBRE 2010


Proposition de résolution visant à introduire la clause de l'Européenne la plus favorisée

(Déposée par M. Philippe Mahoux et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de résolution reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 17 juillet 2007 (doc. Sénat, nº 4-100/1 - SE 2007).

L'inégalité entre les hommes et les femmes est un phénomène global touchant tous les pays d'Europe depuis des siècles. Ces dernières décennies ont cependant vu la condition de la femme s'améliorer sensiblement suite aux nombreuses actions menées par les femmes. Ces actions ont conduit chaque citoyen et citoyenne à cette prise de conscience de l'égalité entre les sexes. Au cours du XXe siècle de nombreux progrès ont ainsi été accompli. Les femmes ont obtenu divers droits individuels qui leur étaient jusqu'alors refusés: droit de vote, droit d'exercer une activité professionnelle sans demander l'autorisation du mari, droit d'exercer l'autorité parentale à égalité avec le père, droit d'accès aux études,etc. Le travail est cependant loin d'être achevé et l'on constate, malgré l'existence de nombreux outils juridiques européens et internationaux, de nombreuses disparités toujours existantes entre les femmes et les hommes.

Ces déséquilibres entre les femmes et les hommes continuent de marquer tous les domaines de la vie et il devient de plus en plus clair qu'il faut trouver aujourd'hui de nouvelles approches, de nouvelles stratégies et de nouvelles méthodes pour arriver à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Ainsi confrontées aux inégalités depuis toujours, les femmes subissent de plein fouet les effets des politiques libérales dont les conséquences les frappent davantage et plus durement que les hommes. Pour aller à l'encontre de cette tendance, les auteurs proposent de donner un statut juridique unique à la femme européenne qui soit aligné, dans chaque domaine, sur les clauses les plus favorables existant dans les divers pays de l'Union européenne.

Les femmes en Europe comme en Belgique, représentent un peu plus de la moitié de la population totale, comme du corps électoral. Cette parité démographique et électorale est cependant trompeuse, car la situation des femmes en Europe fait apparaître de nombreuses disparités entre les États membres ainsi qu'à l'intérieur même des États, malgré la lutte des femmes ces dernières décennies en faveur de l'émancipation, la conquête de leurs droits les plus élémentaires et l'égalité professionnelle.

L'égalité entre les femmes et les hommes est loin d'être atteinte au sein des États membres, particulièrement dans le domaine du travail, où les femmes subissent encore de nombreuses discriminations, tant dans l'accès à l'emploi, que dans le niveau des rémunérations, les parcours professionnels, l'accès aux responsabilités et à la prise de décision. Pour beaucoup des 240 millions d'européennes, maintenir un équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle est un combat permanent.

Il arrive cependant encore fréquemment, lorsque l'on souligne ces inégalités qui persistent entre les femmes et les hommes dans notre société, que l'on s'entende répondre que les femmes ont aujourd'hui tout obtenu et qu'on ne voit pas ce qu'elles pourraient encore réclamer ? Mais si cette réponse est vraie en droit, puisque aucune discrimination légale n'est plus autorisée, on est loin du compte quand on observe les faits. Les femmes souffrent toujours d'importantes discriminations.

La pauvreté et la précarité touchent davantage les femmes que les hommes: chômage, emplois sous-payés, risque de surendettement, etc.

Même constat en ce qui concerne la violence, elle atteint davantage les femmes sous ses diverses formes et est encore largement répandue dans tous les pays européens. Une analyse globale montre qu'un cinquième à un quart de toutes les femmes européennes ont subi des violences physiques au moins une fois dans leur vie d'adulte et plus d'un dixième des femmes ont subi des violences sexuelles avec usage de la force (1) .

Le domaine professionnel n'y échappe pas, et tant au niveau de l'embauche, des revenus ou de la carrière, les inégalités sont patentes par rapport aux hommes.

Selon l'Eurobaromètre de mars 2006 (2) , 56,3 % des femmes d'Europe ont une activité professionnelle. Parmi elles, 32,6 % travaillent à temps partiel, alors que seulement 7,3 % des hommes qui travaillent le font à temps partiel. Environ un tiers (32 %) des cadres sont des femmes. En ce qui concerne la répartition des travaux domestiques, on constate que la participation des hommes est en moyenne deux fois moins importante que celle des femmes. Si l'écart en terme d'heures consacrés aux travaux domestiques par jour est le plus étroit dans le couple suédois (3 h 42 pour la femme contre 2 h 29 pour l'homme), il est par contre le plus grand entre l'Italienne qui accomplira 5 h 20 de tâches domestiques par jour et son mari seulement 1 h 35. Ce sont les deux extrêmes, et pourtant, on voit que même dans le meilleur des cas, l'inégalité domine. Quant aux revenus, les données de l'Eurostat parlent d'une différence de rémunération entre les hommes et les femmes de 15 % à 25 % (calculé sur base du salaire horaire brut), ce qui signifie que les femmes gagnent 15 % à 25 % de moins que les hommes.

Les mêmes discriminations ou disparités se retrouvent aussi au niveau politique où la sous-représentation des femmes demeure flagrante dans la vie publique. La moyenne de parlementaires féminins se situe à 21,5 % dans l'Union européenne. Avec 45 % de femmes au Parlement et un gouvernement paritaire depuis 1994, la Suède est le pays le plus proche d'une réelle égalité en politique.

On le voit, il reste encore des écarts significatifs à combler. Les différences entre une Europe du Nord très égalitaire et le reste de l'Europe qui l'est nettement moins.

Il convient cependant de reconnaître que c'est l'Europe qui a, en grande partie, fait évoluer la législation des États membres en posant les bases juridiques du principe d'égalité.

Jacqueline Nonon, fondatrice du bureau pour l'Egalité des chances à la Commission européenne, affirmait: « La cause des femmes passe par l'Europe ». En effet, sans l'Europe, les pays membres ne se seraient pas dotés de législations nationales pour promouvoir l'égalité entre les sexes.

L'Europe offre depuis 1957 dans le Traité de Rome un cadre juridique, notamment dans son article 119, où est posé le principe de l'égalité de rémunération.

Ensuite, le Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, a donné, dans son article 2, pour mission à la Communauté de promouvoir l'égalité. Il précise, dans son article 141, paragraphe 4, qu'il est possible de prendre des mesures dites d'actions positives au bénéfice des hommes ou des femmes sous représentés.

La charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, solennellement proclamée à Nice le 7 décembre 2000, traite de la dimension de l'égalité des sexes dans ses articles 21, 23 et 33. Parmi ses dispositions, l'article 23 consacre le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines en prévoyant la possibilité de mettre en œuvre des actions positives. Cet article élargit considérablement le champ d'intervention de l'égalité car il vise tous les domaines et pas seulement les questions d'emploi, de travail et de rémunération.

En parallèle, les textes normatifs se sont multipliés et de nombreuses directives européennes ont vu le jour (quatorze directives au total) et concernent l'égalité de traitement dans l'accès à l'emploi, la formation, la promotion professionnelle et les conditions de travail.

Au cours des années 1980 la Cour de justice européenne a également joué un véritable rôle précurseur, c'est-à-dire que ses jugements pallient certains des blocages du Conseil, voire qu'ils inspirent le contenu de futures directives. Quand, par exemple, elle rend, en octobre 1989, l'arrêt Danfoss, qui fait un premier pas dans le sens du renversement de la charge de la preuve afin que ce soit à l'employeur de démontrer que sa politique salariale n'est pas discriminatoire, elle va dans le sens d'une proposition de directive de la Commission sur le sujet.

C'est ainsi que l'Europe en marche, la modernité, les nombreuses directives européennes pour l'égalité des femmes et des hommes, leur place reconnue dans le développement et l'avancée des pays sont autant d'impulsions qui ont conduit à une évolution parfois significative de la législation dans certains états membres et non-membres comme la Norvège qui a voté une loi exigeant 40 % de femmes dans les conseils d'administration.

En Espagne, la loi cadre du 28 décembre 2004 relative aux mesures de protection intégrale contre la violence de genre propose une approche multidisciplinaire de la prévention et du traitement de la violence de genre, est une première en Europe. Toujours en Espagne, la loi 34/1988, modifiée en 2004 pour viser la publicité sexiste, considère comme illicite les publicités portant atteinte à la dignité humaine ou violant les droits reconnus aux femmes.

La Suède reconnue par l'Organisation des Nations unies (ONU) en 1995 comme pays « le plus égalitaire du monde » connaît depuis 1974 une politique égalitaire de l'enfance, et cela en remplacement des congés de maternités par des congés parentaux rémunérés et en développant parallèlement le service public de l'enfance qui garantit en pratique une place en crèche pour tous les enfants. Ces mesures ont permis de booster la place de la femme dans les sociétés nordiques en évitant leur exclusion. Le système suédois devrait servir de modèle à de nombreux autres pays européens.

La Belgique dispose elle aussi de législations importantes visant à lutter contre les discriminations à l'égard des femmes. Notamment la loi anti-discrimination qui vise à mettre un terme aux situations où des personnes sont victimes de discriminations liées à leur sexe, ou encore l'article 10 de la Constitution qui pose le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes.

La Belgique est l'un des premiers États dans le monde à avoir pris une législation aussi complète qui fixe dans la loi le principe du « gender mainstreaming », soit l'intégration de l'égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques. La question du genre devra désormais être prise en compte tout au long des processus décisionnel et opérationnel. Chaque mesure, chaque action du gouvernement sera désormais évaluée avant sa mise en œuvre afin d'étudier l'effet qu'elle risque de produire sur l'égalité entre les femmes et les hommes, et ainsi d'éviter ou de corriger d'éventuels effets pervers.

Il est, par contre, inquiétant de constater que la Pologne, l'Irlande, Malte et le Portugal maintiennent la criminalisation de l'avortement. Or rien n'est plus contagieux que le retour en arrière, surtout pour les acquis des femmes. La dignité et la liberté de choisir des Européennes ne seraient-elles réservées qu'à la Belge, l'Espagnole, à la Française ou à certaines autres privilégiées ?

Cette Europe qui est aussi l'Europe des 240 millions de femmes peut-elle reconnaître la dignité des femmes, l'égalité des sexes dans certains de ses pays, et les fouler aux pieds pour d'autres ?

Non, l'Europe doit gommer ces différences en imposant un modèle européen unique qui pourra aussi servir d'exemple pour les femmes des autres continents.

Les auteurs plaident dès lors en faveur d'un statut législatif unique pour toutes les Européennes à partir des lois qui, dans touts les domaines, leur sont les plus favorables dans chaque pays de l'Union européenne. Cette clause de l'Européenne la plus favorisée, synthèse des meilleures lois de chaque pays, cimentera l'Europe des femmes.

Cette clause imaginée et élaborée par Gisèle Halimi et son association, Choisir la cause des femmes, est définie ainsi: « Les termes font sens. Faire choix dans chaque État membre du droit des femmes au niveau le plus élevé et en doter l'Européenne, en un statut unique ».

Celle-ci pense en effet qu'« il nous faudra convaincre. Convaincre qu'un changement qualitatif de l'Europe adviendrait si cette clause devenait la jauge de la justice et de l'égalité entre femmes et hommes. Nous ferons un bouquet juridique de ces avancées pour l'offrir à chaque Européenne. Parce qu'elle est une citoyenne à part entière ».

Unifier, harmoniser par le haut la condition des européennes en les faisant bénéficier, dans tous les domaines, du droit le plus évolué et le plus respectueux de leur liberté pratiqué dans chaque pays d'Europe, c'est l'objectif que se donnent les auteurs du présent texte.

Parce que rien n'est jamais acquis et surtout pas l'égalité homme-femme, le combat des femmes doit continuer.

Philippe MAHOUX
Fabienne WINCKEL
Olga ZRIHEN.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. vu l'article 2 du Traité instituant la Communauté européenne qui précise que la Communauté a pour mission de promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes;

B. constatant que le projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe définit l'égalité entre les femmes et les hommes en tant que valeur de l'Union européenne (art. 1-2) ainsi que comme objectif à atteindre (art. 1-3)

C. vu l'article II-23 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union indiquant que l'égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d'emploi, de travail et de rémunération;

D. vu la politique communautaire en matière d'égalité entre les hommes et les femmes visant à contribuer à éliminer l'inégalité entre les sexes et à promouvoir l'égalité homme-femme dans tous les domaines au sein de l'Union européenne;

E. vu l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950;

F. vu la Convention du 18 décembre 1979 de l'organisation des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et son protocole;

G. vu le programme d'action de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes qui s'est tenue à Beijing en septembre 1995 au travers duquel les gouvernements se sont engagés à veiller à ce que le souci d'équité entre les sexes imprègne toutes les politiques et tous leurs programmes;

H. considérant que malgré les instruments juridiques européens et internationaux, il reste encore de nombreuses inégalités, injustices et sexisme à l'encontre des femmes, dans tous les secteurs de notre société;

I. considérant de surcroît que si la situation des femmes s'est améliorée dans certains États membres de l'Union européenne, d'autres en revanche connaissent actuellement la régression voire la négation des droits fondamentaux des femmes;

J. constatant que sur les deux cent-deux membres de la Convention qui a préparé le projet de traité constitutionnel européen, il n'y a eu que dix-sept femmes, ce qui illustre une forte carence démocratique;

K. considérant que la cause des femmes doit passer par une harmonisation par le haut des législations sur l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que sur les droits particuliers des femmes, notamment en matière de santé reproductive;

L. considérant que chaque avancée des femmes fait avancer la société toute entière,

Demande au gouvernement:

1. de charger l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes de rassembler l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires belges concernant le statut, au sens large, de la femme;

2. par le biais des institutions européennes, de confier à l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes la réalisation d'une étude visant à analyser et à répertorier les dispositions législatives et réglementaires des États membres les plus élevées et les plus progressistes à l'égard des femmes;

3. d'intervenir tant auprès de la Commission européenne que des ministres en charge de l'égalité entre les hommes et les femmes, en faveur de l'introduction de la « clause de l'Européenne la plus favorisée » permettant une harmonisation vers le haut des droits des femmes en un statut unique;

4. de sensibiliser les États membres sur la nécessité d'associer davantage de femmes lors de la prochaine négociation du Traité constitutionnel européen, ainsi que de plaider en faveur d'une révision de l'article III-124, § 2, en supprimant l'interdiction de recourir à une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de lutte contre tous les types de discrimination;

5. d'intervenir auprès de la Commission européenne sur la nécessité de rendre opérationnel le plus rapidement possible l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes;

Encourage le Parlement européen:

6. à adopter une proposition de résolution invitant la Commission européenne à mettre sur pied cette clause de l'Européenne la plus favorisée;

20 juillet 2010.

Philippe MAHOUX
Fabienne WINCKEL.

(1) Combattre la violence à l'égard des femmes, Étude du bilan des mesures et actions prises dans les États membres du Conseil de l'Europe, 2006.

(2) Eurostat: statistiques relatives aux femmes et aux hommes dans l'Union européenne des 25, mars 2006.