4-190/3

4-190/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

7 JUILLET 2008


Proposition de loi insérant un § 1erbis dans l'article 7 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, en vue d'instaurer une obligation de notification des mandats d'arrêt internationaux


AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT Nº 44.202/2 DU 11 JUIN 2008


Le Conseil d'État, section de législation, deuxième chambre, saisi par le Président du Sénat, le 28 février 2008, d'une demande d'avis sur une proposition de loi « insérant un § 1erbis dans l'article 7 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, en vue d'instaurer une obligation de notification des mandats d'arrêt internationaux » ainsi que sur des amendements nos 1 et 2 (doc. Sénat, 2007, nos 4-190/1 et 2), a donné l'avis suivant:

Observations générales

1. La proposition vise à modifier l'article 7 du titre préliminaire du Code de procédure pénale en y insérant un paragraphe 1erbis, aux termes duquel, lorsqu'une demande d'extradition concernant un ressortissant belge résidant en Belgique est adressée aux autorités belges et que le juge d'instruction refuse de décerner un mandat d'arrêt provisoire à l'égard de la personne concernée (1) , cette décision et la demande d'extradition sont notifiées à la personne par pli recommandé, dans les vingt-quatre heures de cette décision (2) .

La proposition ne concerne que la procédure d'extradition, telle qu'elle est régie par la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions (3) .

Elle ne peut viser ni la procédure de remise entre les États membres de l'Union européenne telle qu'organisée par la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen (4) ni la procédure de remise à la Cour pénale internationale ou la procédure de transfert aux tribunaux pénaux internationaux telles qu'elles sont organisées par la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux.

En effet, conformément aux dispositions de la décision-cadre du 13 juin 2002 qu'elle transpose, la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen a supprimé le motif de refus général à l'extradition fondé sur la nationalité de la personne concernée. Elle n'en a toutefois pas moins maintenu un régime spécifique applicable aux nationaux belges, qu'elle a étendu aux étrangers résidant en Belgique (5) .

De même, la loi du 29 mars 2004 concernant la coopération avec la Cour pénale internationale et les tribunaux internationaux, a, quant à elle, aboli purement et simplement le motif de refus classique à l'extradition fondée sur la nationalité.

2. En dehors des cas précités, la nationalité constitue une exception traditionnelle ou un motif de refus classique à l'extradition, qui est entre autres expressément prévu par l'article 6, § 1er, de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 (6) , ce qui explique que la loi belge précitée du 15 mars 1874 ne vise que l'extradition d'« étrangers » et pas de ressortissants belges (7) . Toutefois, pareille exception ou pareil motif de refus ne signifie pas que l'État de nationalité peut protéger ses nationaux contre l'exercice de l'action pénale, les aider à se soustraire à la justice et leur garantir l'impunité. Bien au contraire, au fil du temps, le droit international et le droit européen ont consacré, de manière de plus en plus nette et large, le principe illustré par l'adage bien connu « aut dedere aut judicare », qui désigne l'obligation alternative à charge de l'État requis d'extrader ou de poursuivre l'auteur présumé d'une infraction s'il ne l'extrade pas (8) . Ainsi, la possibilité de ne pas extrader ses nationaux trouve bien souvent sa contrepartie dans l'obligation de les poursuivre et de les juger lui-même s'il y a lieu. Ce principe, qui présente des contours variables, est consacré tant dans de nombreux instruments internationaux sectoriels (9) que dans des instruments multilatéraux (10) ou bilatéraux (11) transversaux.

En obligeant à la notification des mandats d'arrêt internationaux délivrés à l'encontre des nationaux belges qui résident en Belgique, la proposition de loi à l'examen est de nature à compromettre gravement la mise en œuvre du principe précité, et, ce faisant, les engagements pris par l'État belge au plan international et européen. Elle est en effet de nature à compromettre les investigations et les éventuelles poursuites entreprises par les autorités judiciaires belges. En effet, mise au courant des faits qui lui sont reprochés par les autorités étrangères mais aussi et surtout, par là même, informée de ce que les autorités belges en ont pris connaissance, la personne concernée risque de se soustraire aux recherches et poursuites menées par les autorités précitées et de faire disparaître d'importants éléments de preuve. Le devoir de notification est également de nature à porter atteinte à d'éventuelles poursuites que souhaiteraient lancer les autorités belges à l'encontre de leur national indépendamment même de tout engagement « aut dedere aut judicare » pesant sur elles. Par ailleurs et de manière plus générale, pareil devoir de notification se révèle problématique au regard du souci grandissant de collaboration en matière pénale entre les États.

3. La proposition de loi examinée ne paraît se fonder que sur un cas particulier, négligeant de nombreuses autres hypothèses, telles que par exemple celle d'une personne de nationalité belge résidant en Belgique à l'encontre de laquelle un mandat d'arrêt international est délivré par un État qui garantit de manière effective les droits fondamentaux. En outre, comme le laissent à penser les développements qui précèdent la proposition à l'examen, celle-ci part de l'idée que les risques sont élevés pour un Belge arrêté à l'étranger sur le fondement d'un mandat d'arrêt international délivré par un État tiers d'être extradé vers celui-ci. À cet égard, il convient de prendre en considération les mécanismes existants qui permettent aux États requis de refuser l'extradition, voire les contraignent au refus. À ce propos, il convient à tout le moins de ne perdre de vue ni les motifs de refus fondés sur la protection des droits fondamentaux ou clauses humanitaires ou de non discrimination qui figurent dans de nombreux accords d'extradition (12) ni les obligations des États membres du Conseil de l'Europe en tant que parties à la Convention européenne des droits de l'homme et tout particulièrement les enseignements de la jurisprudence Soering (13) de la Cour européenne des droits de l'homme.

4. Indépendamment des objections fondamentales qui précèdent, le champ d'application de la proposition pose question quant au respect des articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où elle réserve un traitement différent aux ressortissants belges résidant en Belgique selon qu'ils font l'objet d'un mandat d'arrêt national ou d'un mandat d'arrêt international. En effet, lorsque, en droit interne, le juge d'instruction refuse de faire droit au réquisitoire du ministère public demandant de décerner un mandat d'amener ou un mandat d'arrêt par défaut, aucune règle ne prévoit que cette décision doit être notifiée à la personne concernée. Cette différence de traitement doit être justifiée au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. Pareille justification n'est néanmoins pas formulée dans les développements qui introduisent la proposition.

La question se pose aussi de savoir pourquoi la proposition ne vise que les ressortissants belges et ne s'étend pas aux étrangers résidant en Belgique. Elle se pose avec d'autant plus d'acuité que, comme en témoigne le régime mis en place entre les États membres de l'Union européenne par la loi du 19 décembre 2003, précitée, il y a une tendance à étendre le traitement spécifique prévu pour les nationaux aux résidents étrangers (14) .

5. Compte tenu des observations qui précèdent le texte de la proposition ne sera pas examiné plus avant.

La chambre était composée de

M. Y. Kreins, président de chambre,

M. P. Vandernoot et Mme M. Baguet, conseillers d'État,

M. H. Bosly et Mme A. Weyembergh, assesseurs de la section de législation,

Mme A.-C. Van Geersdaele, greffier.

Le rapport a été présenté par M. A. Lefebvre, premier auditeur.

La concordance entre la version française et la version néerlandaise a été vérifiée sous le contrôle de M. P. Vandernoot.

Le greffier, Le président,
A.-C. VAN GEERSDAELE. Y. KREINS.

(1) Ou que la chambre du conseil décide de ne pas rendre exécutoire le mandat d'arrêt ou l'acte ayant la même force (amendement no 2).

(2) Ou de la décision en appel contre cette décision (amendement no 2).

(3) C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la disposition portée par la proposition étudiée devrait de toute façon être insérée non pas dans l'article 7 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale (qui concerne l'exercice de poursuites en raison d'infractions commises en dehors du territoire belge) mais bien dans la loi du 15 mars 1874 relative à l'extradition elle-même.

(4) La section de législation du Conseil d'État saisit l'occasion pour rappeler que, hormis le régime transitoire mis en place, conformément à l'article 31 de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, le régime que celle-ci organise se substitue, dans les relations entre États membres de l'Union, aux dispositions des instruments extraditionnels préexistants, entre autres au titre III, chapitre 4, de la Convention d'application du 19 juin 1990 de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985. Il n'y a donc plus lieu de mentionner cette dernière Convention en tant que « principal traité en la matière », comme le font les auteurs de la proposition dans leur présentation de celle-ci.

(5) L'article 6, 4o, de cette loi dispose que l'exécution du mandat peut être refusée s'il a été délivré aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté lorsque la personne concernée est belge ou réside en Belgique et que les autorités belges compétentes s'engagent à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à la loi belge. Quant à son article 8, il précise, que lorsque la personne concernée est belge ou réside en Belgique, la remise peut être subordonnée à la condition qu'après avoir été jugée, elle soit renvoyée en Belgique pour y subir la peine ou la mesure de sûreté qui serait prononcée à son encontre dans l'État d'émission.

(6) Voir la loi du 22 avril 1997 portant assentiment à cette convention.

(7) Voir en particulier les articles 1er, § 1er, et 10, de la loi du 15 mars 1874, précitée.

(8) À ce sujet, Voir entre autres M. Plachta, « Aut dedere aut judicare: an Overview of Modes of Implementation and Approaches », Journal of European and Comparative law, Maastricht 1999, vol. 6, no 4, p. 332.

(9) Tels que les conventions relatives au terrorisme (voir par exemple l'article 8 de la Convention des Nations unies du 15 décembre 1997 pour la répression des attentats terroristes à l'explosif ou l'article 10, § 1er, de la Convention internationale du 9 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme), au trafic de stupéfiants (voir l'article 6 de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988), à la torture (voir l'article 5 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) et à la criminalité organisée (voir l'article 16 de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée faite à New-York le 15 novembre 2000).

(10) Voir l'article 6, § 2, de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 aux termes duquel, « Si la Partie requise n'extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l'affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s'il y a lieu (...) ». Conformément au rapport explicatif de cette Convention, en vertu de cette disposition, la Partie requise a l'obligation, au cas où un ressortissant ne serait pas extradé et afin qu'il ne reste pas impuni, de soumettre l'affaire aux autorités judiciaires si la Partie requérante le demande. Les poursuites judiciaires en elles-mêmes ne sont pas obligatoires bien que la Partie requise ait l'obligation de soumettre l'affaire aux autorités judiciaires. Les poursuites auront lieu uniquement si les autorités judiciaires estiment qu'il y a lieu de poursuivre.

(11) Voir notamment l'article 4 de la Convention entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc sur l'extradition du 7 juillet 1997 (loi du 24 février 2005 portant assentiment à la Convention entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc sur l'extradition, signée à Bruxelles le 7 juillet 1997) ou l'article 3, § 2, du Traité d'extradition entre le Royaume de Belgique et l'Australie du 4 septembre 1985.

(12) Voir notamment l'article 3, § 2, de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, précitée, et l'article 3, § 1, de la Convention précitée entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc sur l'extradition du 7 juillet 1997.

(13) Selon cet arrêt, une décision d'extradition peut soulever un problème au regard de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme dans l'État requis « lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le livre à l'État requérant, y courra un risque réel d'être soumis à la torture, ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (Cour eur. dr. h., Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 91; voir aussi, notamment, Cour eur. dr. h., Ryabikin c. Russie, 19 juin 2008, § 110; dans le même sens, s'agissant de l'expulsion d'un étranger, Cour eur. dr. h., N. c. Royaume-Uni, 27 mai 2008, § 30). Le législateur belge a pris en compte cette jurisprudence puisqu'aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 2bis de la loi précitée du 15 mars 1874, insérés par l'article 4 de la loi du 15 mai 2007 modifiant la loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions et la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, « L'extradition ne peut davantage être accordée s'il existe des risques sérieux que la personne, si elle était extradée, serait soumise dans l'État requérant à un déni flagrant de justice, à des faits de torture ou des traitements inhumains et dégradants. Lorsque l'infraction, pour laquelle l'extradition est demandée, est punissable de la peine de mort dans l'État requérant, le gouvernement n'accorde l'extradition que si l'État requérant donne des assurances formelles que la peine de mort ne sera pas exécutée. ».

(14) Voir les articles 6, 4o, et 8 de la loi du 19 décembre 2003, précitée.