4-351/2

4-351/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

27 JUIN 2008


Proposition de loi visant à appliquer la séparation de l'État et des organisations et communautés religieuses et philosophiques non confessionnelles


AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT Nº 44.521/AG DU 20 MAI 2008


Le Conseil d'État, assemblée générale de la section de législation, saisi par le Président du Sénat, le 9 mai 2008, d'une demande d'avis, dans un délai de trente jours prorogé à quarante-cinq jours (1) , sur une proposition de loi « visant à appliquer la séparation de l'État et des organisations et communautés religieuses et philosophiques non confessionnelles » (doc. Sénat, 2007-2008, nº 4-351/1),

a donné l'avis suivant:

Comme la demande d'avis est introduite sur la base de l'article 84, § 1er, alinéa 1er, 1º, des lois coordonnées sur le Conseil d'État, tel qu'il est remplacé par la loi du 2 avril 2003, la section de législation limite son examen au fondement juridique de la proposition, à la compétence de l'auteur de l'acte ainsi qu'à l'accomplissement des formalités préalables, conformément à l'article 84, § 3, des lois coordonnées précitées.

Sur ces trois points, la proposition appelle les observations ci-après.

La portée de la proposition de loi

La proposition de loi qui, selon ses développements, se présente comme « vis[ant] à expliciter les principes généraux énoncés par les articles 19, 20 et 21 de la Constitution », a pour objet d'énoncer une série de règles en vue d'assurer la neutralité de l'État au sens large, de ses organes et de son personnel à l'égard des communautés religieuses et philosophiques et de leurs conceptions.

L'objet plus précis de ces dispositions sera exposé à l'occasion de l'examen des observations particulières sur la proposition.

Observation générale: la compétence de l'autorité fédérale

1. La proposition de loi tend à s'appliquer à l'ensemble des services publics, à tous leurs organes et membres du personnel, ainsi qu'à tous les biens gérés par eux.

Comme il ressort des développements de la proposition de loi, celle-ci a pour objet de concrétiser les libertés prévues par les articles 19 à 21 de la Constitution et à assurer le respect des principes d'égalité et de non-discrimination consacrés notamment par les articles 10 et 11 de la Constitution (2) et, plus spécialement en matière de convictions religieuses ou non-confessionnelles, par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, outre d'autres instruments internationaux.

Certaines des règles envisagées par la proposition peuvent avoir pour effet de restreindre la liberté d'opinion, la liberté des cultes et la liberté de conscience et de religion garanties notamment par les dispositions précitées.

2. Or, tant la Cour constitutionnelle que la section de législation du Conseil d'État ont jugé qu'il appartenait à chaque législateur, dans la limite de ses compétences, de concrétiser les droits fondamentaux définis par des normes supérieures ou d'y apporter les limitations admissibles (3) .

Il s'ensuit que l'autorité fédérale ne peut restreindre la liberté de religion et la liberté d'expression que dans les matières qui relèvent de sa compétence et ne peut, par conséquent, sous la réserve des observations particulières exposées ci-après, adopter la proposition qu'en la circonscrivant à ces matières.

3. Il revient dès lors en principe aux communautés et aux régions de fixer de telles règles dans les matières qui ressortissent à leurs compétences (4) .

Cela vaut notamment pour le personnel des entités fédérées (5) , le personnel enseignant (6) et le personnel des organismes d'intérêt public qui relèvent de la compétence des entités fédérées (7) (8) , ainsi que pour les biens gérés les entités fédérées (9) .

En outre, pour ce qui concerne le personnel qui relève des pouvoirs locaux et les biens gérés par eux, ce sont les régions qui sont, en principe, compétentes (10) .

Il en résulte que le champ d'application de la proposition de loi doit être revu de manière à ne pas méconnaître la répartition des compétences entre l'autorité fédérale et les entités fédérées.

Ainsi, par exemple, à l'article 6, alinéa 2, les mots « ou intégrés à des monuments et sites classés » doivent être omis parce que les régions sont compétentes en matière de monuments et sites (11) . En ce qui concerne les musées dont il est question à cette même disposition, l'autorité fédérale exerce ses compétences uniquement sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale dans les matières biculturelles (12) . Par ailleurs, contrairement à ce que laissent entendre les développements de la proposition de loi, celle-ci ne pourrait pas s'appliquer aux cimetières car les régions sont seules compétentes pour les funérailles et sépultures (13) .

4. C'est sous ces réserves que le présent avis est donné.

Observations particulières

Article 2

1. L'article 2 de la proposition énonce ce qui suit:

« Les prescriptions religieuses ne peuvent faire obstacle à la pleine jouissance et au plein exercice des droits civils et politiques. Elles ne peuvent davantage dispenser du respect de ces droits.

Aucune prescription religieuse ne peut être retenue comme cause de justification ou cause d'excuse d'une infraction pénale. »

2. Il ressort du commentaire de cette disposition que les auteurs entendent exclusivement indiquer qu'en cas de conflit entre les règles juridiques et les prescriptions religieuses, ce sont les règles étatiques qui priment. Interprétée en ce sens, on peut se rallier à l'intention des auteurs de la proposition. Toute personne physique ou morale est en effet tenue de respecter les lois impératives. Elle ne peut, en principe, s'y soustraire pour des motifs purement religieux.

En soi, ainsi examinée, la disposition à l'examen est admissible.

La portée très générale que semble avoir le texte proposé soulève néanmoins quelques questions.

3. En premier lieu, il convient de rappeler que tant l'ordre juridique international que national laissent une certaine latitude à la manifestation de la liberté de religion (14) . En d'autres termes, dans la mesure où le respect des « prescriptions religieuses » s'inscrit dans la sphère de protection de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article 19 de la Constitution (15) , il ne s'agit pas seulement d'un conflit entre simplement des prescriptions religieuses et des règles juridiques, mais également du rapport entre la loi, d'une part, et la Constitution et le droit international, d'autre part. S'il devait advenir qu'une législation limite la liberté d'opinion, de pensée, de conscience et de religion de manière incompatible avec l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 19 de la Constitution, la disposition à l'examen ne saurait être interprétée comme autorisant pareille législation à s'appliquer.

4. Par ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure les auteurs de la proposition entendent modifier le champ d'application de l'article 71 du Code pénal. Cet article dispose qu'« il n'y a pas d'infraction, lorsque l'accusé ou le prévenu était en état de démence au moment du fait, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». Actuellement, cet article laisse au juge pénal le soin d'apprécier, compte tenu de toutes les circonstances concrètes de l'affaire, s'il est question d'« une force à laquelle l'auteur de l'infraction n'a pu résister » (16) , sans qu'il soit a priori exclu à cet égard que des motifs religieux soient eux aussi un jour pris en compte. Si l'intention est de limiter le champ d'application de l'article 71 du Code pénal, se pose la question de la justification de cette restriction au regard de l'interdiction de discrimination, étant donné que seul est exclu le recours à des motifs religieux et non par exemple le recours à des motifs philosophiques ou culturels.

5. Enfin se pose la question de l'articulation de l'article 2 de la proposition de loi avec l'article 350, alinéa 2, 6º, alinéa 1er, du Code pénal, qui dispose qu'aucun médecin, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse, l'article 14, alinéas 2 et 3, de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, qui énonce qu'aucun médecin n'est tenu de pratiquer une euthanasie et qu'aucune autre personne n'est tenue de participer à une euthanasie, ainsi que d'autres dispositions similaires visant à garantir la liberté de conscience, par exemple, du personnel médical, infirmier et paramédical. Bien que les développements de la proposition n'indiquent pas qu'il s'agit de modifier implicitement ces dispositions, il est nécessaire, vu la formulation générale de l'article 2, de faire la clarté sur ce point afin de préserver la liberté de conscience des intéressés.

Article 3

1. L'article 3 dispose:

« Les personnes morales de droit public ne peuvent, directement ou indirectement, organiser ou participer à des cérémonies officielles qui font référence, notamment par des circonstances de temps ou de lieu, à une conception philosophique confessionnelle ou non confessionnelle. »

Rédigée de manière générale, la disposition s'applique à l'ensemble des cérémonies susceptibles d'être organisées par des autorités tombant dans le champ d'application de la compétence fédérale.

2. Les mots « directement ou indirectement » ne permettent pas de déterminer à qui l'interdiction d'organiser les cérémonies dont il est question s'applique précisément. Si l'intention des auteurs de la proposition de loi est d'étendre le champ d'application de cette interdiction aux organisations et aux personnes de droit privé dont les personnes morales de droit public ont le contrôle, comme l'expliquent les développements de la proposition de loi, il convient d'apporter cette précision dans le texte.

En outre, il importe de préciser la portée de la notion « organiser ou participer à des cérémonies officielles ». La question se pose par exemple de savoir si une cérémonie religieuse organisée avec la seule assistance des pouvoirs publics, à l'occasion par exemple de la naissance, du mariage ou de l'enterrement d'un membre de la famille royale, relève du champ d'application de l'article 3.

3. Les personnes morales de droit public sont des fictions juridiques et ne sauraient donc participer à des cérémonies officielles.

Les auteurs de la proposition n'ont pu viser ici que les personnes physiques qui représentent ces personnes morales, c'est-à-dire leurs organes.

La question se pose toutefois de savoir quelles seraient les règles applicables aux personnes exerçant des fonctions en qualité d'organes de ces personnes morales mais participant à titre strictement privé aux cérémonies dont il est question dans la disposition à l'examen.

D'une part, la liberté de religion de ces personnes implique leur droit d'assister à une cérémonie religieuse; d'autre part, il pourrait paraître artificiel d'opérer une distinction en la matière selon que les personnes assistant à pareilles cérémonies, organisées par des autorités publiques et faisant référence à une conception philosophique confessionnelle ou non-confessionnelle, le feraient en qualité officielle ou à titre privé, dès lors que ces cérémonies seraient en toute hypothèse désormais illicites, même si cette illicéité ne revêt pas un caractère pénal.

Le législateur devrait plus clairement exprimer si son intention serait d'interdire aussi la participation à titre strictement privé des personnes exerçant des fonctions publiques. Si tel est le cas, il devrait justifier cette restriction à leur liberté de religion.

4. Plus fondamentalement, l'attention doit être attirée sur le fait que, telle qu'elle est rédigée, la disposition à l'examen empêcherait les organes de l'État belge d'assister à des cérémonies officielles organisées par des États étrangers ou par des organes de ces États, quels qu'en soit le niveau (fédéré, régional, provincial, communal, etc.), qui feraient « référence, notamment par des circonstances de temps ou de lieu, à une conception philosophique confessionnelle ou non confessionnelle », comme tel est assez fréquemment le cas, spécialement dans les États ne connaissant pas le système de séparation de l'État et des conceptions religieuses et non-confessionnelles dont la proposition se fait l'écho. Ceci concernerait tant les cérémonies officielles organisées à l'étranger que, le cas échéant, en Belgique même (17) .

Si tel était le cas, ceci ne manquerait pas de placer les autorités du pays dans de grandes difficultés au regard de la nécessité, prévue notamment par l'article 167, d'assurer les relations internationales du Royaume avec d'autres États. Comme telle ne saurait être l'intention, le texte devrait être revu afin de se limiter à l'interdiction d'assister aux cérémonies organisées par des autorités belges.

Article 4

1. L'article 4 dispose:

« Les protocoles des pouvoirs publics et les réglementations qui en découlent donnent, de plein droit, la préséance aux corps constitués et aux autorités civiles. S'il y a lieu, ils attribuent aux représentants des organisations et communautés philosophiques ou religieuses un même rang protocolaire. Le titre de doyen du corps diplomatique est reconnu au diplomate, chef de corps accrédité auprès du Roi, le plus ancien dans la fonction. 

2. En vertu de l'article 167, § 1er, alinéa 1er, de la Constitution, le Roi dirige les relations internationales. Il en découle qu'il Lui appartient de décider de reconnaître les États étrangers et d'entretenir des relations diplomatiques avec eux. Il Lui revient donc également de déterminer l'ordre de préséance des chefs des missions diplomatiques.

La troisième phrase de la disposition à l'examen, qui concerne la reconnaissance du titre de doyen du corps diplomatique, chef de corps accrédité auprès du Roi, empiète sur une prérogative du Chef de l'État et doit donc être omise.

Article 5

1. L'article 5 de la proposition dispose ce qui suit:

« Les agents des pouvoirs publics s'abstiennent, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une quelconque manifestation extérieure de toute forme d'expression philosophique, religieuse, communautaire ou partisane. 

2. Il ressort des développements que les auteurs de la proposition entendent ainsi confirmer le principe de neutralité en ce qu'il s'applique aux agents et préposés des pouvoirs publics (18) .

En effet, la neutralité des pouvoirs publics est un principe constitutionnel qui, s'il n'est pas inscrit comme tel dans la Constitution même, est cependant intimement lié à l'interdiction de discrimination en général et au principe d'égalité des usagers du service public en particulier. Dans un État de droit démocratique, l'autorité se doit d'être neutre (19) , parce qu'elle est l'autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu'elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l'exercice de leurs fonctions, ils observent strictement eux aussi, à l'égard des citoyens, les principes de neutralité et d'égalité des usagers (20) .

3. Toutefois, la proposition vise à imposer non seulement la neutralité dans l'exercice des fonctions mêmes mais également la neutralité à l'égard des  manifestations extérieures  des agents publics concernés. Sans doute entend-on par là, principalement, que les agents publics concernés ne peuvent porter de vêtements ou arborer de signes faisant connaître leur préférence pour une conviction religieuse ou non confessionnelle ou pour une communauté ou un parti. La proposition a pour effet de restreindre, pour les agents des pouvoir publics, la liberté d'exprimer leur préférence  par des manifestations extérieures .

Il y a dès lors lieu de vérifier s'il est satisfait aux conditions auxquelles la Constitution et les conventions internationales admettent la limitation de la liberté d'expression d'une part et de la liberté religieuse et philosophique d'autre part. Ces conditions sont énoncées à l'article 19 de la Constitution, aux articles 9, paragraphes 2 et 10, et 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme et aux articles 18, paragraphe 3, et 19, paragraphe 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ces dispositions imposent que les restrictions à la liberté religieuse et philosophique et à la liberté d'expression soient prévues par la loi, soient nécessaires dans une société démocratique et soient adoptées dans l'intérêt d'une des valeurs juridiques qu'elles citent expressément (21) .

Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que celle-ci souligne l'importance du pluralisme religieux et philosophique dans une société démocratique. La liberté religieuse et philosophique garantie par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme implique également le droit de manifester cette religion ou cette philosophie. La Cour expose:

« Si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de manifester sa religion. Le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l'existence de convictions religieuses (22) .

La Cour estime dès lors qu'il faut toujours examiner si, effectivement, « un besoin social impérieux  justifie une restriction et également si le principe de proportionnalité est respecté à cet égard.

Dans sa jurisprudence sur l'interdiction du port du voile, la Cour a chaque fois apprécié in concreto, d'une part, l'objectif que cette interdiction tendait à poursuivre et, d'autre part, son incidence sur la liberté religieuse.

C'est ainsi que, dans sa décision du 15 février 2001, dans l'affaire Dahlab c. Suisse, la Cour a dû connaître d'une interdiction imposée à une institutrice de l'enseignement fondamental de porter le voile à l'école. En instaurant cette interdiction, l'autorité entendait maintenir la neutralité philosophique de l'école, ainsi que les droits des enfants et de leurs parents. La Cour a estimé que l'interdiction pouvait être justifiée et a notamment tenu compte du bas âge (de 4 à 8 ans) des enfants. La Cour a exposé:

« Partant, mettant en balance le droit de l'instituteur de manifester sa religion et la protection de l'élève à travers la sauvegarde de la paix religieuse, la Cour estime que dans les circonstances données et vu surtout le bas âge des enfants dont la requérante avait la charge en tant que représentante de l'État, les autorités genevoises n'ont pas outrepassé leur marge d'appréciation et que donc la mesure qu'elles ont prise n'était pas déraisonnable. 

Autrement dit, c'est au regard des circonstances particulières que la Cour a jugé que l'autorité suisse avait pu estimer que l'interdiction du port du voile et le licenciement de l'enseignante subséquent étaient nécessaires à la protection des « droits d'autrui , à  la sécurité publique  et à  l'ordre public .

Les arrêts de la Cour du 29 juin 2004 et de la Grande Chambre de la Cour du 10 novembre 2005 dans l'affaire Sahin c. Turquie, relative à l'interdiction faite aux étudiantes de porter le voile à l'université mettent également en balance, d'une manière analogue, les droits, intérêts et valeurs en conflit, en accordant une importance déterminante au contexte politique et religieux spécifique de la Turquie (23) . La Cour a notamment considéré que la neutralité de l'État turc était récente et qu'il existait en Turquie des mouvements politiques extrémistes qui s'efforcent d'imposer à la société toute entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses. La Cour a admis que, dans ces circonstances, l'État pouvait juger qu'il y avait lieu d'interdire le port du voile pour éviter que des fondamentalistes religieux fassent pression sur les étudiants pratiquant d'autres religions, ou n'en pratiquant pas, ou sur des étudiantes islamistes ne souhaitant pas porter le voile (24) .

Enfin, dans sa décision du 24 janvier 2006 dans l'affaire Kurtulmus c. Turquie (25) , la Cour avait à statuer sur l'interdiction faite aux enseignants de l'enseignement universitaire officiel et neutre de porter le voile. La Cour a considéré d'une part que l'État peut légitimement soumettre les membres de la fonction publique à une obligation de discrétion de leurs convictions religieuses, tout en ajoutant d'autre part que ces personnes bénéficiaient aussi de la protection de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi que la Cour l'expose, il y a donc lieu de  rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l'individu à la liberté de religion et l'intérêt légitime d'un État démocratique à veiller à ce que sa fonction publique œuvre aux fins énoncées à l'article 9 § 2 [de la Convention] (26) . La Cour considère aussi dans cette décision, comme elle l'avait d'ailleurs fait déjà dans son arrêt Leyla Sahin précité (27) , que,  lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l'État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d'accorder une importance particulière au rôle du décideur national . Ceci ne signifie toutefois pas que celui-ci, fût-il le législateur, dispose d'une marge d'appréciation complète en la matière. De cet arrêt, il résulte en effet que, pour justifier son intervention, celui-ci doit faire état de  profondes divergences [pouvant] raisonnablement exister dans une société démocratique   sur les rapports entre l'État et les religions , mais qu'en outre, dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour exposée dans les affaires susmentionnées Dahlab c. Suisse et Leyla Sahin c. Turquie, la recherche de l'équilibre entre le droit de l'individu et l'intérêt de l'État doit tenir compte des circonstances de chaque affaire. Comme dans son arrêt Leyla Sahin, la Cour a à nouveau mis l'accent dans sa décision Kurtulmus sur le rôle que joue le principe de laïcité comme  principe fondateur  de l'État turc. La Cour s'y réfère également à la loyauté aux principes de base de l'État qui peut être attendue des fonctionnaires et y met l'accent plus particulièrement sur l'importance de la neutralité de l'enseignement public. Dans sa décision, la Cour poursuit en attirant l'attention sur le fait que les États peuvent connaître différentes réglementations en matière de port du voile et que ces dernières relèvent de la marge nationale d'appréciation (28) .

En d'autres mots, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, même si un certain rôle est reconnu au « décideur national  en la matière, il ne s'agit pas d'une appréciation in abstracto, mais bien d'une appréciation in concreto, à l'occasion de laquelle il faut tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles l'interdiction du port du voile a été édictée, telles par exemple, la fonction à laquelle s'applique l'interdiction et le contexte constitutionnel, politique et religieux de la société dans laquelle elle est mise en œuvre.

Cette approche nécessairement concrète d'une juridiction comme la Cour européenne des droits de l'homme ne signifie pas qu'il serait interdit au législateur d'intervenir dans ces matières, mais, afin de pouvoir résister au contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité, les règles qu'il édicterait en la matière doivent pouvoir faire l'objet d'une motivation tenant compte des principes qui viennent d'être rappelés. Il paraît résulter en outre de la jurisprudence de la Cour européenne (29) qu'une législation en la matière ne peut régler l'équilibre à assurer entre la liberté de religion et les impératifs liés aux motifs légitimes d'ingérence de l'État, tels qu'ils sont envisagés par les paragraphes 2 des articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, que dans l'hypothèse où se trouvent en jeu, de manière non pas éventuelle mais réelle et convaincante, des difficultés liées par exemple à une mise en danger de la neutralité de l'État au sens large et de ses organes (30) .

4. C'est dans cette optique qu'il convient d'examiner la justification, figurant dans les développements de la proposition de loi, de l'obligation faite aux agents des pouvoirs publics de s'abstenir, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une quelconque manifestation extérieure de toute forme d'expression philosophique ou religieuse, communautaire ou partisane.

Ces développements mentionnent:

« Cette disposition a pour objet d'affirmer une fois pour toutes le principe de neutralité en ce qu'il s'applique aux agents et préposés des pouvoirs publics. Il en résulte que dans l'exercice de leurs fonctions, ces derniers ne peuvent manifester, de quelque manière que ce soit, leurs convictions religieuses et philosophiques. 

En imposant que non seulement les agents des pouvoirs publics exercent leur fonction d'une manière neutre, mais également que « leur apparence extérieure  respecte cette neutralité, les auteurs de la proposition entendent de toute évidence renforcer la confiance des citoyens dans la neutralité de la fonction publique, considérant qu'un agent de l'autorité qui n'est pas vêtu d'une manière neutre pourrait aussi susciter le sentiment qu'il n'exercera pas sa fonction d'une manière impartiale. Ceci vaut aussi pour toute autre forme extérieure d'appartenance philosophique, religieuse, communautaire ou partisane.

L'article 5 de la proposition de loi ayant un champ d'application général, il s'appliquera à tous les  agents des pouvoirs publics , ce compris à ceux qui n'exercent pas de fonctions susceptibles de mettre en cause la neutralité de l'autorité ou de donner lieu à une perception erronée à cet égard. C'est ainsi que l'article 5 s'appliquera tant, par exemple, aux fonctions dirigeantes de l'autorité qu'aux fonctions qui concernent des tâches purement d'exécution. Il s'appliquera en outre tant aux fonctions dans lesquelles les agents des pouvoirs publics sont en contact avec le public qu'à celles dans lesquelles un tel contact est inexistant.

Exclusivement à l'égard de ces dernières, les développements de la proposition tentent d'apporter une justification complémentaire, en ces termes:

« Cette obligation de neutralité doit tout d'abord s'exercer à l'égard du public. La question a été posée de savoir si cette obligation s'imposait dès lors également aux agents qui ne sont pas en contact avec ce public. Une réponse négative est souvent donnée au motif, en lui-même pertinent, que, s'agissant d'une restriction à la liberté d'expression, elle n'est justifiée que restrictivement dans la mesure où elle est nécessaire pour atteindre l'objectif légitime poursuivi. Sans doute, mais il faut également considérer que les rapports entre agents ne sont pas nécessairement égalitaires et que ce qui est vrai entre agents et citoyens l'est également entre agents de niveaux hiérarchiques différents. L'obligation de neutralité s'impose non seulement aux agents vis-à-vis du public, mais également aux supérieurs hiérarchiques vis-à-vis de leurs subordonnés. Il n'y a pas lieu, dès lors, de distinguer les situations en fonction du contact avec le public. 

Compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme rappelée ci-dessus, dont il ressort qu'une évaluation in concreto est requise pour pouvoir apprécier s'il existe un  besoin social impérieux , d'une part, et si la restriction est  proportionnée  au but poursuivi, d'autre part, il apparaît au Conseil d'État que les auteurs de la proposition ne justifient pas suffisamment le champ d'application très général de l'article 5. Notamment, les développements ne contiennent pas de justification suffisante de l'obligation qui est faite à tout agent des pouvoirs publics d'observer une même neutralité stricte dans son apparence extérieure, quelle que soit la nature de sa fonction et indépendamment de la circonstance que cette fonction soit exercée en contact ou non avec le public. Compte tenu du principe de proportionnalité, cette justification s'impose d'autant plus que l'obligation inscrite à l'article 5 peut conduire à l'exclusion de citoyens de la fonction publique pour le seul motif qu'ils exercent un droit fondamental, sans qu'il ne soit démontré adéquatement que cet exercice représente un danger pour  la sécurité publique, [...] la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou [...] la protection des droits et libertés d'autrui  (article 9, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme) ou pour  la sécurité nationale, [...] la sûreté publique, [...] la défense de l'ordre et [...] la prévention du crime, [...] la protection de la santé ou de la morale, [...] la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire  (article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme) (31) .

La justification doit également répondre aux exigences résultant du principe d'égalité et de non-discrimination (32) .

Article 6

1. L'article 6 dispose:

« Aucun bien meuble ou immeuble affecté à un service public ne peut contenir ou être orné de signes ou d'objets quelconques caractéristiques d'une conception religieuse ou philosophique.

Cette disposition ne concerne pas les signes ou objets exposés dans les musées ou expositions ou intégrés à des monuments et sites classés. 

2. Il ressort des développements que cet article 6 est applicable non seulement au service public dans le sens organique, mais également au service public dans le sens fonctionnel. Il est effectivement précisé:

« L'article [6] de la présente proposition de loi vise tant le service public organique que le service public matériel. Il s'ensuit que même les institutions de droit privé sont tenues au prescrit de l'article [6], pour autant et dans la mesure où elles exécutent une mission de service public. Il faut toutefois exclure de l'application de l'article [6] les services publics qui, par nature, sont religieux ou philosophiques. Ainsi en est-il précisément des cultes, par exemple. 

On n'aperçoit pas ce que les auteurs de la proposition entendent par les termes « par nature, sont religieux ou philosophiques . Il est à noter à ce propos que, par exemple, des établissements d'enseignement, hospitaliers et d'aide sociale peuvent avoir un fondement religieux ou philosophique. La circonstance que certains d'entre eux se fondent sur un engagement religieux ou philosophique n'a jamais été considérée comme contraire à la Constitution belge, laquelle doit au contraire être interprétée comme autorisant pareilles initiatives; dans certains cas, comme en matière d'enseignement, la Constitution le consacre même de manière expresse (33) . Dans la mesure où la disposition à l'examen aurait à s'appliquer à pareilles institutions de droit privé, elle ne serait pas compatible avec les principes constitutionnels qui gouvernent l'équilibre à observer entre la neutralité de l'État et la liberté d'opinion et de religion.

Article 7

1. L'article 7 tend à abroger les articles 142 à 146 du Code pénal (34) .

2. Comme l'indiquent les intitulés du livre II, titre II, et de son chapitre Ier, dans le Code pénal, comprenant les articles 142 à 146, ces dispositions ont trait aux  crimes et délits qui portent atteinte aux droits garantis par la Constitution , et plus précisément aux  délits relatifs au libre exercice des cultes .

Les articles 142 à 146 du Code pénal érigent en infractions pénales des faits qui tendent à porter atteinte au libre exercice d'un culte et à l'organisation des cérémonies d'un culte, garantis par les articles 19 et 20 de la Constitution.

Selon les développements de la proposition de loi,

« Nous proposons l'abrogation de ces articles, considérant que les dispositions générales du Code pénal permettent de réprimer les comportements tels que les outrages par faits, gestes, menaces ou encore les désordres, troubles ou violences qui portent atteinte à l'ordre public et sont à ce titre socialement nuisibles.

Cette position se justifie par le souhait de ne plus réserver de traitement particulier aux cultes et à leurs ministres, tout en maintenant l'exigence de sanctionner de tels comportements. 

Or, l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme comporte pour les États une obligation positive d'assurer l'effectivité de la liberté de pensée, de conscience et de religion (35) , ce qui peut impliquer des mesures destinées  à assurer l'ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique (36) . On ne peut exclure que ces mesures soient de nature pénale (37) , un  juste équilibre  devant toutefois être  ménag[é] entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu (38) (39) . Dans cette appréciation, il convient de tenir compte du fait que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,

« telle que la protège l'article 9 [de la Convention], la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une  société démocratique  au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme — chèrement conquis au cours des siècles — qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d'adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (40) .

Il ne suffit dès lors pas de constater que le Code pénal contient des dispositions générales qui permettent de réprimer certains comportements « socialement nuisibles . Au contraire, il convient de démontrer concrètement que ces dispositions générales du Code pénal suffisent, au regard des principes qui viennent d'être rappelés, pour respecter de manière adéquate et effective les obligations positives qui pèsent sur l'État d'empêcher qu'il soit porté atteinte au libre exercice du culte et à l'organisation des cérémonies d'un culte.

Article 8

1. L'article 8 tend à abroger le décret impérial du 24 messidor An XII (13 juillet 1804) relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires.

2. S'il peut être admis, en soi, qu'il soit procédé à l'abrogation du décret impérial précité, il conviendrait de le remplacer par un dispositif réglant les matières qui en sont l'objet, notamment l'organisation des préséances aux cérémonies publiques.

Il appartient au législateur soit d'y procéder lui-même soit d'y habiliter le Roi en déterminant les principes de base qu'il estime devoir appliquer, les modalités de leur mise en œuvre pouvant être laissées au pouvoir exécutif.

L'assemblée générale de la section de législation était composée de

M. R. ANDERSEN, premier président du Conseil d'État,

MM. M. VAN DAMME, Y. KREINS, présidents de chambre,

MM. J. BAERT, J. SMETS, P. VANDERNOOT, J. JAUMOTTE et Mme M. BAGUET et MM. B. SEUTIN et W. VAN VAERENBERGH, conseillers d'État,

MM. H. COUSY, J.VELAERS, M. RIGAUX, H. BOSLY, G. KEUTGEN et G. de LEVAL, assesseurs de la section de législation,

Mme D. LANGBEEN, greffier en chef,

M. M. FAUCONIER, greffier assumé.

Les rapports ont été rédigés par MM. R. WIMMER et B. STEEN, auditeurs.

La concordance entre la version française et la version néerlandaise a été vérifiée sous le contrôle de M. P. VANDERNOOT.

Le greffier, Le premier président,
D. LANGBEEN. R. ANDERSEN.

(1) Cette prorogation résulte de l'article 84, § 1er, alinéa 1er, 1o, des lois coordonnées sur le Conseil d'État qui dispose que le délai de trente jours est prorogé à quarante-cinq jours dans le cas où l'avis est donné par l'assemblée générale en application de l'article 85.

(2) Sur l'incidence de ces dispositions et d'autres dispositions constitutionnelles, principalement les articles 10, 11 et 181 de la Constitution, sur le régime applicable en Belgique en ce qui concerne les relations entre l'État et les communautés religieuses et philosophiques et les conceptions de ces dernières (notamment sur la différence de régime entre ceux en vigueur en Belgique et en France sur ces questions), voir M. Leroy, « L'État belge, État laïc », En hommage à Francis Delpérée — Itinéraires d'un constitutionnaliste, Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 2007, pp. 833 à 845; R. Torfs, « Church and State in France, Belgium and the Netherlands: Unexpected Similarities and Hidden Differences », Buy L. Rev., 1996, p. 946.

(3) C.C., no 54/96, 3 octobre 1996, B.9; no 124/99, 25 novembre 1999, B.4.4; no 124/2000, 29 novembre 2000, B.4.2; Conseil d'État, avis 25.131/VR des 18 novembre et 13 mai 1997 sur une proposition devenue le décret du 17 mars 1998 réglant le droit à la liberté d'information et la diffusion d'informations brèves par les radiodiffuseurs (Doc. parl., Parl. fl., 1995, no 82/2); avis 28.197/1 donné le 16 février 1999 sur un avant-projet devenu la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, nos 2057/1 et 2058/1); avis 30.462/2, donné le 16 novembre 2000 sur l'avant-projet devenu la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (doc. Sénat, 1998-1999, no 1341/1); avis 38.278/AG donné le 16 mai 2006 sur une proposition de décret « houdende wijziging en aanvulling van het decreet van 28 februari 2003 betreffende het Vlaamse inburgeringsbeleid met een hoofdstuk VIII houdende het verbieden van het dragen van gelaatsverhullende gewaden, doorgaans aangeduid als « boerka » » (Doc. parl., Parl. fl., 2004-2005, no 159/2, pp. 5 à 13); avis 40.469/VR donné le 22 juin 2006 sur un avant-projet de loi visant à autoriser l'accès des chiens d'assistance aux lieux ouverts au public et sur un accord de coopération entre l'État fédéral, la Communauté flamande, la Région wallonne, la Communauté française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire commune, la Commission communautaire française concernant l'accès des chiens d'assistance aux lieux ouverts au public; avis 40.620/VR et 40.621/VR donné à la même date sur un avant-projet devenu le décret de la Région wallonne du 23 novembre 2006 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées accompagnées de chiens d'assistance des établissements et installations destinés au public (Doc. parl., Parl. wall., 2005-2006 no 441/1) et un avant-projet de décret relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées accompagnées de chiens d'assistance des établissements et installations destinés au public dans les matières réglées en vertu de l'article 138 de la Constitution; avis 40.689/AG, 40.690/AG et 40.691/AG donné le 11 juillet 2006 sur des projets devenus les lois du 10 mai 2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie (Doc. parl, Chambre, 2006-2007, no 2720/1, pp. 79 à 108), du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, no 2721/1, pp. 84 à 113) et du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, no 2722/1, pp. 97 à 126).

(4) Lorsque, dans le présent avis, il est question des communautés et des régions, la Commission communautaire française et la Commission communautaire commune peuvent également être considérées comme concernées en fonction des attributions de compétence résultant des articles 135 et 138 de la Constitution et des textes législatifs et décrétaux adoptés sur la base de ces dispositions, soit principalement les articles 60, alinéa 4, et 63 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, ainsi que l'article 3 commun au décret de la Communauté française n( II du 19 juillet 1993 attribuant l'exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la Commission communautaire française et au décret de la Commission communautaire française no III du 22 juillet 1993 portant le même intitulé. De même, lorsque seront mentionnées les dispositions attributives de compétence aux communautés et aux régions figurant principalement dans la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, seront également visées, dans les limites des articles 127, § 2, et 128, § 2, de la Constitution, les dispositions énoncées ci-avant de la loi spéciale précitée du 12 janvier 1989 et des décrets précités des 19 et 22 juillet 1993, ainsi que, en ce qui concerne la région de langue française, l'article 3 du décret de la Région wallonne no II du 22 juillet 1993 attribuant l'exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la Commission communautaire française, et, en ce qui concerne la région de langue allemande, les décrets de transfert de compétence de la Région wallonne à la Communauté germanophone pris sur la base de l'article 139 de la Constitution.

(5) Article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

(6) Articles 127, § 1er, alinéa 1er, 2o, et 130, § 1er, alinéa 1er, 3o, de la Constitution.

(7) Article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980, précitée.

(8) Il convient toutefois de tenir compte de ce que, dans le cadre de ses compétences en matière de droit de la fonction publique et au titre des « principes généraux du statut administratif et pécuniaire du personnel de l'État qui seront applicables de plein droit, au personnel des communautés et des régions, ainsi qu'à celui des personnes morales de droit public qui dépendent des communautés et des régions, à l'exception du personnel visé à l'article 17 de la Constitution », principes qu'Il est habilité à désigner sur la base de l'article 87, § 4, de la loi spéciale précitée du 8 août 1980, le Roi peut fixer des règles portant sur les droits et devoirs des agents concernés; ces règles peuvent comporter, comme aux articles 3 à 8 de l'arrêté royal du 22 décembre 2000 fixant les principes généraux, un dispositif limitant de manière admissible des droits et les libertés de ces personnes ou les concrétisant. Les arrêtés pris par les Gouvernements des communautés et des régions en matière de statut de la fonction publique doivent respecter ce cadre juridique.

(9) Article 12 de la loi spéciale du 8 août 1980, précitée.

(10) Article 6, § 1er, VIII, 1o, de la loi spéciale du 8 août 1980, précitée.

(11) Article 6, § 1er, I, 7o, de la loi spéciale du 8 août 1980, précitée.

(12) Article 127, § 2, de la Constitution.

(13) Article 6, § 1er, VIII, 7o, de la loi spéciale du 8 août 1980, précitée.

(14) Ainsi, l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique notamment le droit de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Cette liberté n'est pas absolue. Elle peut faire l'objet de restrictions pour autant que celles-ci soient prévues par la loi et constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. L'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques comporte une disposition analogue. De même, l'article 19 de la Constitution consacre la  liberté des cultes et celle de leur exercice public   sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés . Il résulte de l'arrêt de la Cour constitutionnelle no 31/2000, du 21 mars 2000, que l'article 19 de la Constitution doit être combiné avec l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme (C.C., no 31/2000, 21 mars 2000, B.2.9).

(15) La jurisprudence de la Commission et de la Cour européennes des droits de l'homme fait une distinction entre des actes constituant la « manifestation reconnue  d'une religion ou d'une conviction et ceux qui ne sont que  motivés ou inspirés  par ceux-ci (Comm. eur. D. H., no 7050/75, Arrowsmith, c. Royaume-Uni, 12 octobre 1978, D.R., 19, p. 49, § 71, sur la distribution par un pacifiste de pamphlets contre la présence militaire du Royaume-Uni en Irlande du Nord; Cour eur. D. H., Bruno c. Suède, 28 août 2001; Lundberg c. Suède, 28 août 2001, dans lequel la Cour considéra que le paiement d'un impôt ne peut être regardé comme la  manifestation  d'une religion; Pichon et Sajous c. France, 2 octobre 2001, sur le refus de deux pharmaciennes de vendre des pilules contraceptives qui certes était inspiré par les convictions religieuses mais n'en constitue pas la manifestation directe).

(16) Voir C. Van den Wijngaert, Strafrecht, strafprocesrecht & Internationaal strafrecht, in hoofdlijnen, cinquième édition révisée, 2003, Maklu, pp. 280 et s.

(17) Tel pourrait être le cas par exemple si l'ambassade d'un État étranger régi par une religion officielle venait à organiser un service religieux en Belgique à l'occasion du décès du Chef de cet État.

(18) Les mêmes développements ajoutent:  Par agent ou préposé des pouvoirs publics, il faut entendre, bien entendu, quiconque est au service d'un pouvoir public tant au sens organique qu'au sens fonctionnel, en vertu d'un lien statutaire ou contractuel, mais aussi quiconque exerce de fait ou de droit une mission de service public ou est dépositaire d'une quelconque parcelle de la puissance publique. . Cette dernière précision ne figure pas dans le dispositif, où il n'est question que des  agents des pouvoirs publics . La disposition ne pourrait donc, dans sa formulation actuelle, s'appliquer, sous la réserve des observations qui suivent, qu'aux autorités publiques au sens organique du terme. Si elle devait être modifiée pour s'appliquer également aux institutions de droit privé, elle appellerait une observation analogue à celle qui est faite plus bas au sujet de l'article 6 de la proposition, sous le no 2.

(19) Voir en ce sens l'avis 44.351/1/2/3/4, rendu le 21 avril 2008 sur un avant-projet de loi portant des dispositions diverses (I), l'observation à propos de l'article 40 de l'avant-projet (Doc. parl., Chambre, 2007-2008, no 52-1200/1, p. 249).

(20) Sur la prise en compte du principe de neutralité dans les fonctions assurées par l'État, voir la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, notamment: Cour eur. D.H., Dahlab c. Suisse (déc.), 15 février 2001; Gde Ch., Folgero e.a. c. Norvège, 29 juin 2007, § 84; Kurtulmus (déc.), 24 janvier 2006. Dans l'arrêt Folgero e.a. c. Norvège, rendu dans une affaire portant sur l'obligation de respecter les convictions religieuses et philosophiques dans le cadre du droit à l'instruction garanti par l'article 2 du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour confirme que le devoir de l'État  de respecter les convictions, tant religieuses que philosophiques, des parents [...] est d'application large car il vaut [...] aussi dans l'exercice de l'ensemble des  fonctions  assumées par l'État  (Cour eur. D.H., Folgero e.a. c. Norvège, 29 juin 2007, § 84).

(21) En ce qui concerne la liberté religieuse et philosophique, il s'agit de « la sécurité publique, [de] la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou [de] la protection des droits et libertés d'autrui  (article 9, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme). En ce qui concerne la liberté d'expression, sont formellement citées:  la sécurité nationale, [...] la sûreté publique [...] la défense de l'ordre et [...] la prévention du crime, [...] la protection de la santé ou de la morale, [...] la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire  (article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme).

(22) Cour eur. D.H., Dahlab c. Suisse (déc.), 15 février 2001, no 42393/98.

(23) Vu le contexte décrit ci-dessus, c'est le principe de laïcité, tel qu'interprété par la Cour Constitutionnelle qui est la considération primordiale ayant motivé l'interdiction du port d'insignes religieux dans les universités. Dans un tel contexte, où les valeurs de pluralisme, de respect des droits d'autrui et, en particulier, d'égalité des hommes et des femmes devant la loi sont enseignées et appliquées dans la pratique, on peut comprendre que les autorités compétentes considèrent comme contraire à ces valeurs d'accepter le port d'insignes religieux y compris, comme en l'espèce, que les étudiantes se couvrent la tête d'un foulard islamique dans les locaux universitaires  (§ 110) (non souligné dans le texte). Voir le même passage dans Cour. eur. D.H., Grande Chambre, Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, § 116.

(24) Cour eur. D.H., Leyla Sahin c.(Turquie, 29 juin 2004; Cour eur. D.H., Grande Chambre, Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005; voir également déjà Comm. eur. D.H., no 16.278/90, Karaduman c. Turquie, 3 mai 1993.

(25) Cour eur. D.H., Kurtulmus c. Turquie, 24 janvier 2006 (déc.). Voir aussi, plus récemment, les décisions de la Cour européenne du 3 avril 2007 dans les affaires Karaduman c. Turquie, Tandogan c. Turquie, Caglayan c. Turquie et Yilmaz c. Turquie, chaque fois sur l'interdiction du port du voile dans l'enseignement officiel, dans lesquelles, d'une part, la Cour a mis l'accent sur l'importance du respect de la neutralité dans cet enseignement et, d'autre part, elle a fait état de la marge d'appréciation laissée aux États en la matière.

(26) Cour eur. D.H., Kurtulmus c. Turquie, 24 janvier 2006.

(27) Cour eur. D.H., Gde Ch., Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, § 109.

(28) Voir au sujet de cette marge d'appréciation et des différences de réglementations en matière de port du voile dans les différents États: A. Nieuwenhuis,  European Court of Human Rights: State and Religion, Schools and Scarves. An Analysis of the Margin of Appreciation as Used in the Case of Leyla Sahin v.(Turkey , Eur. Const. L. Rev., 2005, 495. Il importe d'insister sur le fait que la marge d'appréciation que la Cour européenne des droits de l'homme paraît reconnaître aux États en matière de relation entre l'État et les religions et les conceptions philosophiques doit être appréhendée dans le contexte du contrôle subsidiaire qu'exerce cette juridiction européenne par rapport à des pratiques internes et qu'elle ne signifie donc pas nécessairement en droit interne que, dans le cadre du contrôle préventif exercé par la section de législation du Conseil d'État et celui exercé éventuellement a posteriori par la Cour constitutionnelle, une exigence plus stricte quant au respect des principes constitutionnels attachés à la liberté de pensée, d'expression et de religion ne soit pas mise en œuvre. De même, le principe de neutralité de l'État apparaît principalement dans la jurisprudence de la Cour européenne en matière de droit à l'instruction et il n'est pas certain qu'il revête la même signification pour les autres fonctions de l'État, et ce d'autant moins que ce principe, comme exposé ci-avant, doit se concilier avec les exigences de la liberté religieuse et de la liberté de conscience.

(29) Voir spécialement Cour eur. D.H., Gde Ch., Leyla Sahin c.(Turquie, 10 novembre 2005, § 109, en ce qui concerne une prescription générale prise par l'autorité universitaire relative au port d'un vêtement ou d'un attribut physique à connotation religieuse.

(30) Tel serait le cas par exemple si, dans certains secteurs de la société, devait se développer une tendance au prosélytisme religieux mettant en danger cette neutralité. Il convient d'insister toutefois sur le fait que ces éléments doivent être établis de manière effective et non résulter de simples conjectures.

(31) La justification donnée dans les développements soulève au demeurant la question de la portée du segment de phrase « et que ce qui est vrai entre agents et citoyens l'est également entre agents de niveaux hiérarchiques différents . Les auteurs de la proposition entendent-ils exclure un  effet prosélytique  éventuel entre fonctionnaires ? Dans ce cas, force est de se demander si, dans la société belge, on peut postuler in abstracto cet effet prosélytique; il a déjà été constaté concrètement par le juge que, dans certaines circonstances, le fait de porter un voile peut avoir un effet prosélytique (voir, par exemple, Anvers, 14 juin 2005, R.W., 2006-2007, p. 136; C.D.P.K. 2006, p. 438; N.j.W., 2006, p. 169; T. Vreemd., 2006, p. 12074; T.O.R.B., 2005-2006, p. 225). Ou les auteurs de la proposition entendent-ils de nouveau faire obstacle à la perception d'un manque de neutralité ? Dans ce cas, il faut rappeler les objections formulées ci-dessus selon lesquelles une mise en balance in abstracto n'est pas suffisante, mais qu'une évaluation in concreto, qui tient compte des circonstances spécifiques, est requise. En tout état de cause, la justification donnée ne concerne que le rapport entre les supérieurs hiérarchiques et leur subordonnés, tandis que l'article 5 a une portée générale.

(32) Dans la mesure où le critère apparemment neutre de « manifestation extérieure de toute forme d'expression philosophique, religieuse, communautaire ou partisane  a un effet particulièrement préjudiciable pour un groupe donné de croyants, la question doit être examinée sous l'angle de l'interdiction de la discrimination indirecte.

(33) Article 24, § 1er, de la Constitution.

(34) Il est inutile sur le plan légistique d'écrire que ce sont les articles 142 à 146  du chapitre II du titre II  du Code pénal qui font l'objet de cette abrogation. Cette mention est en outre erronée, le chapitre II ayant été renuméroté en un chapitre Ier par l'article 11 de la loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes.

(35) Cour eur. D.H., notamment, Gde Ch., Cha'are Shalom ve Tsedek c. France, 27 juin 2000, § 76; Gde Ch., Layla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, §§ 106 et 107; 97 membres de la congrégation des témoins de Jehovah de Gldani et 4 autres c. Géorgie, 3 mai 2007, §§ 132 et 133. Voir aussi, en matière de droit à l'instruction et d'obligation pour l'État de respecter le droit des parents d'assurer l'éducation et l'enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, Cour eur. D.H., Gde Ch., Folgero e.a. c. Norvège, 29 juin 2007, § 84; Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, 9 octobre 2007, § 49.

(36) Cour eur. D.H., Refah Partisi e.a. c. Turquie, 13 février 2003, § 91; 97 membres de la congrégation des témoins de Jehovah de Gldani et 4 autres c. Géorgie, 3 mai 2007, § 132.

(37) Voir par exemple, en matière d'obligations positives tendant à garantir le respect de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, Cour eur. D.H., X. et Y. c. Pays-Bas, 26 mars 1985, §§ 24 à 27; s'agissant de l'article 9 de la Convention, Cour eur. D.H., Öllinger c. Autriche, 29 juin 2006, §§ 32 et s.

(38) Jurisprudence constante depuis l'arrêt Rees c. Royaume-Uni, du 17 octobre 1986, de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a introduit la notion de proportionnalité dans le contrôle du respect par les États de leurs obligations positives (F. Sudre,  Les  obligations positives  dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme , Rev. trim. dr. h., 1995, p. 318, no 29); voir récemment Cour eur. D.H., Öllinger c. Autriche, 29 juin 2006, notamment les §§ 34 et 42, s'agissant de droits fondamentaux en concurrence, en ce compris l'article 9 de la Convention.

(39) Sur ces questions, voir notamment J. Ringelheim, Diversité culturelle et droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 416 à 418.

(40) Cour eur. D.H., notamment, Gde Ch., Layla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, § 104; Kurtulmus (déc.), 24 janvier 2006; Agga c. Grèce (no 3), 13 juillet 2006, § 26; Agga c. Grèce (no 4), 13 juillet 2006, § 26.