4-256/1

4-256/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

9 OCTOBRE 2007


Proposition de résolution sur le Comité de concertation

(Déposée par Mme Isabelle Durant et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de résolution reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 19 octobre 2006 (doc. Sénat, nº 3-1863/1 - 2006/2007).

Le partage des compétences entre les autorités fédérales et fédérées, aussi perfectionné soit-il, ne peut empêcher que des conflits surgissent. Ces conflits portent notamment sur l'étendue exacte des compétences des différentes entités politiques. On parle alors de conflits d'intérêts. Il s'agit d'un concept flou que le législateur n'a jamais essayé de définir.

Des garde-fous et des systèmes de contrôles ont donc du être mis en place conformément à l'article 141 de notre Constitution. Cet article prévoit que: « La loi organise la procédure tendant à prévenir les conflits entre la loi, le décret et les règles visées à l'article 134, ainsi qu'entre les décrets entre eux et entre les règles visées à l'article 134 entre elles ».

Ces contrôles sont d'ordre juridique ou politique, préventif ou répressif. Des organes comme la section de législation du Conseil d'État ou la Cour constitutionnelle sont donc appelés à jouer un rôle non négligeable dans la prévention ou la résolution des conflits de compétence et d'intérêts entre l'État, les communautés et les régions (1) .

En vue d'exécuter l'article 141 de notre Constitution, la loi ordinaire du 9 août 1980 a modifié les articles 2 à 6 des lois coordonnées sur le Conseil d'État et a institué dans son article 31 un Comité de concertation. Ce Comité, dont la composition respecte une double parité: linguistique et institutionnelle, délibère, en principe, dans le respect de la règle du consensus. Mais cette procédure de consensus ne peut être comparée à celle qui régit les délibérations des différents organes exécutifs du pays. Il s'agit, en effet plutôt dans ce cas-ci de décision à l'unanimité, chaque membre du Comité disposant d'un droit de veto sur les décisions du collège (2) .

Celui-ci peut intervenir dans différents cas de figure.

— Les lois coordonnées sur la Conseil d'État prévoient que: « Selon l'avis de la section de législation, un avant-projet de loi, de décret ou d'ordonnance, ainsi qu'un amendement ou un projet d'amendement excède, selon le cas, la compétence de l'État, de la Communauté ou de la Région, cet avant-projet, cette proposition ou cet amendement sont renvoyés au Comité de concertation. (...). Le Comité de concertation donne endéans les quarante jours et suivant la règle du consensus, son avis sur la question de savoir s'il y a excès de compétence; l'avis est motivé. Si le Comité de concertation estime qu'il y a excès de compétence, il demande, selon le cas, au gouvernement fédéral, au gouvernement communautaire ou régional compétent, au Collège de la Commission communautaire française ou au Collège réuni de corriger l'avant-projet ou de déposer devant l'assemblée saisie de l'avant-projet ou de la proposition, les amendements qu'il détermine et qui font cesser cet excès de compétence » (art. 3, §§ 3 et 4).

— À l'occasion de la discussion d'un projet ou d'une proposition de loi, (sauf pour les budgets et les lois qui requièrent une majorité spéciale), une motion motivée, signée par les trois quarts au moins des membres d'un des groupes linguistiques de l'une des assemblées fédérales, peut déclarer que ses dispositions sont de nature à porter gravement atteinte aux relations entre les communautés.

Dans ce cas, la procédure parlementaire est suspendue et la motion est déférée au Conseil des ministres qui, dans les trente jours, donne son avis motivé sur la motion et invite la Chambre saisie à se prononcer soit sur cet avis, soit sur le projet ou la proposition éventuellement amendés.

Cette procédure ne peut être appliquée qu'une seule fois par les membres d'un groupe linguistique à l'égard d'un même projet ou d'une même proposition de loi.

— Si une Chambre législative ou un Parlement estime qu'il peut être gravement lésé par un projet ou une proposition de décret ou d'ordonnance ou par un amendement à ceux-ci, déposé devant un autre Parlement ou devant l'Assemblée réunie visée à l'article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises selon le cas, ou par un projet ou une proposition de loi ou par un amendement à ceux-ci, déposé devant une Chambre législative, la Chambre législative ou le Parlement intéressé selon le cas peut, aux trois quarts des voix, demander que la procédure soit suspendue en vue d'une concertation.

Il faut entendre par Chambre législative: le Sénat et la Chambre des représentants, et par Parlement: le Parlement flamand, le Parlement de la Communauté française, le Parlement de la Communauté germanophone, le Parlement wallon, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ainsi que l'Assemblée de la Commission communautaire française lorsqu'il a été fait application de l'article 138 de la Constitution. (art. 32, § 1er, de la loi du 9 août 1980).

— De même, si l'Assemblée réunie (des groupes linguistiques) visée à l'article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, estime qu'elle peut être gravement lésée par un projet ou une proposition de loi déposé devant une Chambre législative ou par un projet ou une proposition déposé devant un Parlement ou par un amendement à ces projets ou propositions, elle peut, à la majorité des voix de chacun de ses groupes linguistiques, demander que la procédure soit suspendue en vue d'une concertation (art. 32, § 1er, alinéa 2, de la loi du 9 août 1980).

Dans les deux dernier cas, la procédure est suspendue pendant soixante jours. La suspension ne prend cours qu'après le dépôt du rapport et, en tout état de cause, avant le vote final en séance plénière du projet ou de la proposition.

Quand le texte à l'encontre duquel le conflit d'intérêt a été soulevé a été amendé postérieurement à la dénonciation du conflit, la Chambre législative, le Parlement ou l'Assemblée réunie doit confirmer après le dépôt du rapport et, en tout état de cause, avant le vote final en séance plénière du projet ou de la proposition, qu'il estime toujours être gravement lésé.

La procédure est suspendue jusqu'à ce que la Chambre législative, le Parlement ou l'Assemblée réunie se prononce et au maximum pendant quinze jours.

Dans ce cas, la suspension en vue de la concertation prend cours au jour où la Chambre législative, le Parlement ou l'Assemblée réunie confirme être gravement lésé.

Cette procédure ne peut être appliquée qu'une seule fois par une même assemblée à l'égard d'un même projet ou d'une même proposition. Si la proposition ou le projet à l'encontre duquel le conflit d'intérêts a été dénoncé est amendé, un nouveau conflit d'intérêts ne peut être soulevé qu'à l'encontre du ou des amendements (art. 32, § 1erter, de la loi du 9 août 1980).

Si la concertation n'a pas abouti à une solution dans le délai de soixante jours, le Sénat est saisi du litige et rend, dans les trente jours, un avis motivé au Comité de concertation qui rend une décision selon la procédure du consensus dans les trente jours (art. 32, § 1erquater, de la loi du 9 août 1980).

La procédure du Comité de concertation a été conçue par le législateur comme une procédure générale devant être mise en branle chaque fois que le Conseil d'État émet un avis négatif sur une question de compétence. Mais la loi n'est pas respectée et aucune sanction n'est prévue. Le réalisme politique a donc pris le pas sur l'observation d'une règle jugée peu utile par la classe politique

En outre, l'activité du Comité de concertation est très mal connue, car il n'existe pas d'obligation systématique de publier ses décisions, lesquelles sont prises au cours de réunions législatives peu accessibles au public (3) .

Le Comité de concertation a connu ces dernier temps une évolution importante et commence de plus en plus à ressembler à une instance de décision d'ordre confédéral. Celui-ci se penche, en effet, sur tout un éventail de dossiers et prend des décisions politiques qui lient les gouvernements présents au Comité de concertation. Regardons par exemple les ordres du jour de quelques réunions:

— réunion du 1er février 2006: avant-projet de loi relatif aux réseaux de GSM; le maribel social; composition du Conseil supérieur de finances; mesures de soutien suite à la flambée des prix de l'énergie;

— réunion du 8 mars 2006: problématique des fréquences de radio; fonds de sécurité routière; évaluation du marché de l'énergie;

— réunion du 19 avril 2006: avant-projet de loi relatif à la fixation des procédures de vol; campagne d'information sur la grippe aviaire; projets prioritaires dans le cadre du réseau de transport transeuropéen; droits de successions et dons d'ouvrages d'art;

— réunion du 3 mai 2006: accord de coopération entre l'État fédéral et les régions relatif à l'aéroport de Zaventem; la transposition de 23 ( ! !) directives européennes.

— réunion du 7 juin 2006: suivi de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi; dépenses électorales.

Il est clair que la plupart des points à l'ordre du jour des réunions du Comité de concertation ne concernent pas uniquement de dossiers dans le cadre de la procédure de conflit d'intérêts comme prévu dans l'article 31 de la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980, mais des dossiers qui demandent pour l'une ou l'autre raison (juridique, politique, économique ...) une concertation entre les différents niveaux de pouvoir de notre pays. La question ici n'est pas de savoir si cette concertation est à sa place ou pas (il faudrait regarder dossier par dossier), mais bien de savoir si une transparence minimale du fonctionnement du Comité de concertation et un contrôle par les parlements sont assurés. Ce qui ne nous semble pas être le cas.

Ni l'ordre du jour, ni les décisions du Comité de concertation sont publiés d'une façon systématique. Ceci nous semble inacceptable d'un point de vue démocratique. Nous signalons d'ailleurs que les parlementaires du Parlement flamand, eux, reçoivent systématiquement, dans le cadre d'un protocole entre le parlement et le gouvernement, les ordres du jour et les notifications des décisions du gouvernement flamand.

Un autre exemple est celui du calcul des dotations que verse le pouvoir fédéral aux entités fédérées. En juin 2005, le Comité de concertation a décidé de changer l'un des paramètres qui détermine l'évolution de ces dotations: plutôt que de suivre le revenu national brut (RNB), elles seraient liées, à partir de 2006, au produit intérieur brut (PIB), moins précis mais plus stable.

Le choix de ces paramètres est inscrit dans une loi spéciale de financement, telle qu'elle a été revue en 2001 à l'occasion des accords de la Saint-Polycarpe. Toute modification impliquerait donc l'adoption d'une nouvelle loi, à la majorité des deux tiers qui plus est. Or, cela n'a pas été fait.

Les sommes en jeu représentent des milliards d'euros et la moindre variation d'1 % a des conséquences financières très importantes. Le Comité de concertation est l'instance confédérale par excellent, où le fédéral est une entité parmi les autres, alors que la modification de la loi spéciale implique de passer par le fédéral qui est alors au cœur du mécanisme.

Un dernier élément est le fait que le Comité de concertation à décidé de créer le 15 septembre 2004, conformément à l'article 31bis de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, seize Conférences interministérielles. Ces Conférences interministérielles se réunissent souvent et prennent régulièrement des décisions d'une importance politique considérable, mais ses décisions ne sont pas rendues publiques de façon systématique, ce qui pose un problème d'un point de vue démocratique et d'un point de vue du contrôle parlementaire.

Isabelle DURANT
Vera DUA
Marcel CHERON
Freya PIRYNS
Josy DUBIÉ.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. Rappelant que l'article 141 de notre Constitution prévoit que: « La loi organise la procédure tendant à prévenir les conflits entre la loi, le décret et les règles visées à l'article 134, ainsi qu'entre les décrets entre eux et entre les règles visées à l'article 134 entre elles ».

— qu'en vue d'exécuter l'article 141 de notre Constitution, la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles a institué dans son article 31 un Comité de concertation dont la composition respecte une double parité: linguistique et institutionnelle,

— que le Comité de concertation a donc pour mission de prévenir et de résoudre les conflits d'intérêts pouvant résulter du partage de compétences entre l'État fédéral et les entités fédérées.

B. Vu que le Comité de concertation délibère de plus en plus de dossiers en dehors du cadre prévu dans l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles; qu'il s'agit de dossiers politiquement importants et que le Comité de concertation évolue donc de plus en plus vers une instance de type confédérale.

C. Vu que ces décisions ne sont pas rendues publiques de façon systématique, ce qui pose un problème d'un point de vue démocratique et d'un point de vue du contrôle parlementaire.

D. Vu que le Comité de concertation à décidé de créer le 15 septembre 2004, conformément à l'article 31bis de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, 16 Conférences interministérielles.

E. Vu que ces Conférences interministérielles se réunissent souvent et prennent régulièrement des décisions d'une importance politique considérable.

F. Vu que les décisions des Conférences interministérielles ne sont pas rendues publiques de façon systématique ce qui pose un problème d'un point de vue démocratique et d'un point de vue du contrôle parlementaire.

G. Vu que le Sénat doit être tenu au courant systématiquement des travaux des Conférences interministérielles.

Demande au gouvernement,

1. de publier, par analogie à ce qui se fait lors des réunions du Conseil des ministres, les ordres du jour du Comité de concertation et des Conférences interministérielles avant ses réunions et les notifications des décisions après les réunions;

2. d'entamer sans aucun délai des négociations avec le Sénat visant à conclure un protocole de coopération entre le Sénat et le gouvernement fédéral sur l'échange d'informations en ce qui concerne le fonctionnement du Comité de concertation, ceci par analogie à ce qui existe en Région flamande.

16 juin 2007.

Isabelle DURANT
Vera DUA
Marcel CHERON
Freya PIRYNS
Josy DUBIÉ.

(1) Delpérée F., Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles-Paris, Bruylant — L.G.D.J., 2000, pp. 662 à 665.

(2) Uyttendaele M., Précis de droit constitutionnel belge — Regard sur un système paradoxal, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 852 et 853.

(3) Velaers J., De Grondwet en de Raad van State afdeling Wetgeving. Vijftig jaar adviezen aan wetgevende vergaderingen, in het licht van de rechtspraak van het Arbitragehof, Anvers, Maklu, 1990.