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17 NOVEMBRE 2006
I. L'évolution des institutions de Bretton Woods
Depuis leur création en 1944 suite à l'accord de Bretton Woods, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont vu leur rôle et activités respectives fortement évoluer en réponse aux changements qui ont affecté l'économie mondiale et la pensée économique.
À l'origine, le système de Bretton Woods reposait sur les principes suivants: un système de taux de change fixes, où le dollar, seule monnaie convertible en or, constituait l'étalon de référence, et l'existence généralisée de contrôles sur les mouvements de capitaux.
Afin d'assurer la stabilité de ce nouveau cadre monétaire international, le FMI fut créé et doté de ressources financières et de pouvoirs de surveillance. Plus spécifiquement, il incomba au Fonds de veiller au bon fonctionnement du système de taux de change fixes et de convenir des modalités de leur ajustement en cas de « déséquilibres fondamentaux ». Le FMI avait également pour tâche de fournir de la liquidité internationale aux pays faisant face à un déficit temporaire de leur balance des paiements, afin de permettre les ajustements nécessaires sans pour autant que ces derniers n'aient recours à des politiques déflationnistes excessives ou à des restrictions sur les importations. Cet arrangement monétaire et financier devait constituer la base pour un système commercial libéral. L'Organisation internationale du commerce (OIC) qui fut un temps envisagée pour réguler le commerce international des marchandises, ne vit jamais le jour et fut remplacée par l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) signé en octobre 1947.
La Banque mondiale (1) , quant à elle, après avoir aidé à la reconstruction de l'Europe et du Japon à la fin de la seconde guerre mondiale, s'est vu rapidement assignée la tâche d'allouer des fonds de long terme pour le financement de projets de développement. Autrement dit, sa mission première consista en l'octroi de prêts concessionnels à des pays ayant un accès limité aux marchés des capitaux ou ne pouvant emprunter qu'à des taux d'intérêts considérablement élevés.
Il y avait donc une division du travail claire entre les institutions de Bretton Woods, avec, d'une part, le FMI se focalisant sur les facteurs macroéconomiques de court terme (stabilisation de l'inflation, des déficits budgétaires et de la balance des paiements), et, d'autre part, la Banque mondiale se concentrant sur les facteurs microéconomiques de long terme (financement de projets d'infrastructure).
Avec le passage à un système de taux de change flottant, la croissance des marchés des capitaux et la crise de la dette, les institutions financières internationales (IFI) vont progressivement se constituer en agents de réforme structurelle pour les pays en développement endettés. Délaissant sa tâche originelle qui consistait à résoudre les crises de liquidités à court terme, le Fonds s'est tourné vers le financement de long terme du développement, la lutte contre la pauvreté, la gestion et la résolution des crises financières des économies émergentes ainsi que l'assistance pour les pays pauvres hautement endettés. Parallèlement, les facilités de crédits accordées par le FMI ont été conditionnées à l'application d'ajustements structurels couvrant aujourd'hui presque tous les aspects de la politique socioéconomique. La Banque mondiale, quant à elle, a réorienté progressivement sa politique de prêts vers la résolution des déficits de la balance des paiements des pays en développement qui ont commencé à faire face à des déséquilibres macroéconomiques sévères et à l'accroissement de leur dette extérieure dans les années 70 et 80. La Banque a par conséquent accordé moins d'attention au financement de grands projets d'infrastructure. De surcroît, les prêts de cette dernière ont été associés à des conditionnalités de plus en plus explicites et détaillées impliquant la mise en œuvre de réformes structurelles touchant également l'ensemble de la politique socioéconomique des pays récipiendaires.
Les activités et approches des deux institutions financières ont dès lors convergé fortement, produisant ce que l'économiste John Williamson a décrit en 1990 comme le « Consensus de Washington ». Ce modèle d'action politique constitue la synthèse de l'agenda anti-inflationniste du FMI et des prescriptions de dérégulation, privatisation et libéralisation de la Banque mondiale. Plus précisément, le Consensus recouvre les éléments suivants: austérité budgétaire, réduction des subventions, taux de change compétitifs (dévaluation de la monnaie), politiques monétaires restrictives (taux d'intérêts élevés), réduction des barrières tarifaires commerciales, libéralisation des comptes de capital, déréglementation, privatisation, compétitivité (égalité de droits entre les investissements domestiques et les investissements directs étrangers — IDE), réforme fiscale (élargissement de la base fiscale, TVA élevée, diminution de la fiscalité sur les hauts revenus), consolidation des droits de propriété, flexibilisation du marché du travail, et filets de sécurité (transferts publics sélectifs pour les plus démunis). Ces dernières années, les conditionnalités des IFI se sont considérablement élargies: elles ne portent plus seulement sur les indicateurs macroéconomiques et les réformes sectorielles mais elles ont aussi inclus des prescriptions en matière de gouvernance, de lutte contre la corruption et de réforme du système judiciaire.
Les politiques contenues dans le Consensus de Washington avaient pour objectif de conduire à une réduction des déficits publics des États (via l'austérité budgétaire, la réduction des subventions, les privatisations et la réforme fiscale), un accroissement des revenus d'exportation (via la dévaluation et la libéralisation commerciale) et une augmentation des investissements privés internationaux (via les taux d'intérêts élevés, la libéralisation financière, la déréglementation, la compétitivité et les droits de propriété). En intégrant les pays en développement dans l'économie mondiale, le Consensus de Washington était censé amener au désendettement des pays en crise et au développement des échanges internationaux et de la croissance mondiale.
II. La crise de légitimité des IFI
2.1. Bilan des deux dernières décennies pour les pays en développement
Le bilan de la période 1980-2000 — au cours de laquelle les prescriptions du « Consensus de Washington » ont été appliquées — s'est avéré négatif pour la plupart des pays en développement. Tout d'abord, les réformes structurelles et les mesures de libéralisation promues par le FMI et la Banque mondiale n'ont pas su empêcher un déclin général de la croissance dans les économies du Sud. En Amérique latine, par exemple, le PIB par habitant, après avoir connu une croissance de 75 % durant la période 1960-80, a seulement augmenté de 7 % entre 1980 et 2000. Les données concernant les pays d'Afrique subsaharienne sont encore plus significatives: le PIB par habitant, qui avait cru de près de 34 % entre 1960-80, a diminué de 15 % pendant la période 1980-2000. Autrement dit, comme l'observait le PNUD en 1997: « Au cours des quinze à vingt dernières années, plus de cent pays du Tiers-Monde ou de l'ex-bloc de l'Est ont souffert d'un effondrement de la croissance et de baisses de niveau de vie plus importantes et plus durables que tout ce qu'ont pu connaître les pays industrialisés lors de la grande crise des années 1930 ».
La pauvreté a également augmenté dans de nombreuses régions du monde. Ainsi, la Banque mondiale (2) reconnaît que, entre 1990 et 1999, le nombre de pauvres « absolus » (ceux qui survivent avec moins d'un dollar par jour — en parité de pouvoir d'achat) a augmenté en Afrique subsaharienne (74 millions d'indigents supplémentaires), en Amérique latine (9 millions supplémentaires) et dans l'ex-bloc soviétique (20 millions supplémentaires). La Banque précise cependant que le nombre de pauvres « absolus » a baissé sur le plan mondial d'environ 100 millions à la fin des années 90. Pour étayer ces affirmations, la Banque se fonde sur les données fournies par les autorités chinoises selon lesquelles le nombre de Chinois vivant sous le seuil de pauvreté absolue aurait baissé d'environ 200 millions. Elle affirme également que le nombre d'indigents a diminué en Inde.
Le premier constat suivant peut être tiré des données publiées par la Banque mondiale: toutes les régions du monde qui ont rigoureusement appliqué les politiques d'ajustement préconisées par les IFI ont enregistré une augmentation de la pauvreté absolue. Il s'agit de l'Amérique latine et Caraïbe, de l'Afrique subsaharienne et de l'ex-bloc soviétique.
Par contre, la Chine et l'Inde, qui ont connu une réduction significative du nombre d'indigents, n'ont pas signé d'accord avec la Banque mondiale et le FMI en terme d'ajustement structurel. Il est d'ailleurs clairement établi aujourd'hui que les deux pays les plus peuplés de la planète ont appliqué des politiques économiques sensiblement différentes du « Consensus de Washington ». Ainsi, la Chine restreint la convertibilité de sa monnaie (elle n'est convertible que pour la balance des opérations courantes), contrôle les investissements directs étrangers (IDE) et les mouvements de capitaux, refuse de s'engager dans un vaste processus de privatisation, et maintient une politique protectionniste. L'Inde, bien qu'elle n'ait pas aussi clairement que la Chine poursuivi une stratégie d'intégration sélective dans la mondialisation, a néanmoins maintenu un niveau élevé de protection et des contrôles sur les mouvements de capitaux, ce qui lui a permis d'échapper à la crise asiatique de 1997.
Au-delà de cette première observation, il convient également de rappeler les doutes émis par le PNUD et la CNUCED quant aux critères de la Banque mondiale en matière d'évaluation de la pauvreté dans le monde. En cause, notamment: la fixation par la Banque du seuil de pauvreté absolue à un dollar. Par exemple, selon une étude de la CNUCED publié en 2002, la pauvreté a doublé dans les pays les moins avancés (PMA) au cours des trente dernières années. Elle indique que si on prend comme seuil de pauvreté la somme de deux dollars par jour, 87,5 % des habitants des PMA africains vivent en dessous de ce seuil (3) . De même, en ce qui concerne l'ex-bloc soviétique, le PNUD estime qu'il est plus adéquat de se baser sur le critère 2 dollars par jour pour rendre compte de l'état de la pauvreté absolue dans cette région. Ainsi, selon l'institution onusienne, le nombre d'indigents est passé de 31 millions à 97 millions dans l'ex-bloc soviétique entre 1990 et 1999: cela fait une différence de 71 millions en 1999 par rapport aux données présentées par la Banque mondiale (4) . Au total, selon le PNUD (5) , 2,8 milliards d'individus vivraient avec moins de 2 dollars par jour, tandis que 1,2 milliards de personnes vivraient avec moins de 1 dollar par jour.
Ce bilan général et plutôt préoccupant en matière de croissance et de réduction de la pauvreté est en grande partie à l'origine de la crise de légitimité qui affecte aujourd'hui les institutions de Bretton Woods. En outre, les IFI, et en particulier le FMI, ont été fortement décriés pour le rôle qu'elles ont joué dans l'émergence des nouvelles crises financières qui ont déferlé durant les années 90 — Mexique en 1994, Asie de l'Est en 1997, Russie en 1998, Brésil en 1999, Argentine en 2000. En promouvant la libéralisation précoce de la balance des capitaux de nombreuses économies émergentes, le Fonds a en effet rendu ces dernières très vulnérables aux cycles d'expansion et de récession des flux de capitaux. De surcroît, le FMI s'est souvent montré incapable de gérer et résoudre de façon adéquate les crises financières dont il a lui-même favoriser l'émergence.
2.2. Critiques formulées à l'encontre des IFI
2.2.1. La structure de gouvernance des IFI
Le problème d'iniquité de gouvernance des ces institutions est généralement analysé à l'aune des sept points suivants:
— Les droits de vote: la caractéristique principale de la gouvernance des IFI est que les actionnaires les plus importants, les pays industrialisés, contrôlent le processus décisionnel. Cette position dominante des pays riches est rendue possible grâce au système de vote fondé sur les « quotas ». Les quotas attribués à chaque pays sont déterminés par l'importance de leur contribution financière aux IFI et, au final, sont calculés selon une formule.
Certes, afin de maintenir leur identité d'organisations publiques et universelles, les institutions de Bretton Woods ont également attribué à chaque État membre un même nombre de « droits de vote de base ». Cependant, ces droits de base n'ont jamais menacé le contrôle des grands actionnaires et leur proportion n'a cessé de décliner au fil du temps, au profit d'un accroissement de l'importance des quotas. De fait, s'ils représentaient à l'origine plus de 11 % du total des droits de vote, les droits de base n'en représentent plus aujourd'hui qu'à peine 2,1 %. Le biais en faveur des pays riches est encore accentué par le fait que la formule de calcul utilisée pour les quotas est restée essentiellement la même que celle développée à la fondation des institutions. En effet, dans la mesure où l'économie mondiale a changé, les quotas d'alors n'ont aujourd'hui plus de lien avec l'importance économique relative des pays membres. Il convient par ailleurs de souligner qu'au sein du FMI, le même quota est utilisé pour non seulement déterminer les droits de vote d'un pays, mais aussi son niveau d'accès aux ressources et son obligation de fournir contribution à l'institution.
En vue de répondre à ces critiques, le FMI a entrepris dernièrement une réforme en deux temps de son système de gouvernance. La première phase a été lancée en septembre dernier, à Singapour, lors de l'assemblée annuelle du Conseil des gouverneurs de cette institution. Les États membres du FMI y ont en effet décidé de donner davantage de poids aux pays émergents suivants: la Chine, le Mexique, la Corée du Sud et la Turquie. Les droits de vote de ces derniers ont ainsi été augmenté respectivement de 2,94 % à 3,65 %, de 1,20 % à 1,43 %, de 0,76 % à 1,33 % et de 0,45 % à 0,55 %.
La deuxième étape devrait quant à elle commencer en 2008. Elle consistera à mettre au point une nouvelle formule de répartition du capital (les « quotes-parts »). Pour l'instant, néanmoins, des divergences importantes existent quant aux critères à prendre en compte pour redéfinir cette formule. Certains pays veulent mettre l'accent sur le produit intérieur brut (PIB), d'autres insistent sur l'ouverture des marchés, ou encore sur les réserves de change de chaque nation.
Si les efforts effectués par le FMI pour restructurer son système de gouvernance sont à saluer, de nombreuses critiques ont cependant souligné que ces réformes ne mettent pas en péril la mainmise des pays riches sur cette institution, en particulier des États-Unis, dont la quote-part de 17 % permet de bloquer tout projet de réforme leur déplaisant.
— La composition des conseils d'administration: les déséquilibres engendrés par le système de droits de vote sont exacerbés par la répartition inégale des postes d'administrateurs au sein des conseils d'administration des IFI. En effet, tant au sein du FMI que de la Banque mondiale, il n'y a que 24 administrateurs pour représenter les 184 pays membres et suivre le travail quotidien des institutions. Alors que les 42 pays d'Afrique subsaharienne sont représentés par 2 administrateurs, les États membres les plus importants (États-Unis, Allemagne, France, Japon, Angleterre, Arabie saoudite, Russie et Chine) sont directement représentés par leur propre administrateur. En fait, la moitié, sinon plus, du nombre total d'administrateurs provient des pays industrialisés.
Les circonscriptions mixtes (circonscriptions incluant à la fois des pays développés et des pays en développement) sont quasi toutes représentées par un pays développé. Le fait que les statuts n'autorisent pas le fractionnement des votes aggrave la situation de sous-représentation des membres des pays en développement dans la circonscription.
— Le système de « consensus »: Les conseils d'administration des IFI procèdent rarement à un vote formel et préfèrent adopter la plupart de leurs décisions par voie de consensus et à l'unanimité. Cela étant, ça ne signifie pas que le pouvoir de vote de chaque membre n'a pas d'influence sur l'issue des décisions prises en conseil. En effet, durant les débats des conseils du FMI et de la Banque mondiale, le secrétaire note les votes relatifs à des points particuliers, ce qui permet au président de formuler le « sens de la réunion ». Ce « sens de la réunion » reflète tout simplement les droits de vote respectifs de ceux qui sont pour ou contre une question particulière. Ceci explique pourquoi certaines questions ne sont jamais mises à l'agenda, car il est fort probable qu'elles ne seront pas soutenues par les principaux actionnaires.
— Les majorités de vote: le recours à la majorité spéciale au sein des IFI est aussi sujet à un certain nombre de critiques. Les statuts originels du FMI et de la Banque spécifiaient seulement un nombre limité de décisions à prendre à la majorité spéciale. En ce qui concerne le FMI, la quote-part de 17,1 % des États-Unis signifiait que, pour un certain nombre de ces décisions à prendre à cette majorité spéciale (85 %), ceux-ci disposaient effectivement d'un droit de veto. Au fil des ans, cependant, les catégories de décisions requérant la majorité spéciale n'ont cessé d'augmenter de même que parallèlement les décisions sujettes au veto des États-Unis.
— Le staff des IFI: les gouverneurs qui représentent les pays membres n'ont pas le personnel suffisant ni le temps pour comprendre de façon adéquate les activités opérationnelles des IFI. Ils n'ont pas non plus la capacité de jouer un rôle actif dans l'élaboration des politiques promues par ces institutions. Ceci explique pourquoi les débats qui servent à préparer les décisions du FMI et de la Banque mondiale restent souvent cantonnés à un cercle restreint d'experts, issus notamment du staff des IFI, des ministères des Finances et des banques centrales. Ces derniers partagent d'ailleurs souvent le même type de formation et d'expérience, ce qui perpétue l'application par ces institutions d'une approche uniforme du développement qui ne tient pas compte des réalités propres des pays en développement. En outre, il convient de souligner la prédominance des nationaux des pays développés parmi le staff et la direction des IFI.
— Direction et processus de sélection: sur base d'une règle « non écrite » ou d'une convention verbale, les membres les plus riches désignent les responsables des IFI, les États-Unis nommant le président de la Banque mondiale et l'Europe le directeur général du FMI.
— La transparence du conseil: les IFI ne publient pas de comptes rendus des discussions, délibérations, votes et positions prises par les différents membres du conseil. Ces documents ne peuvent être consultés qu'après une période de 10 ans. Cela pose évidemment un grand problème pour les parlements nationaux dans leur exercice de contrôle parlementaire ainsi que pour tout citoyen désireux de connaître les positions politiques défendues par ses représentants auprès du Fonds et de la Banque.
2.2.2. La nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté
Face aux critiques dirigées contre le caractère standardisé de leurs politiques d'ajustement structurel, le FMI et la Banque mondiale ont adopté en septembre 1999 une nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté. Avec cette nouvelle stratégie, un tournant a été opéré. Les noms des conditionnalités et des prêts de ces deux institutions, devenus trop impopulaires, ont été modifiés. On est passé des programmes d'ajustement structurel aux documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP) et des facilités d'ajustement structurel renforcé aux facilités pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC).
L'originalité des DSRP — dont l'élaboration est exigée pour pouvoir bénéficier de prêts concessionnels ou d'un allégement de dette — est qu'ils doivent être rédigés non plus par les experts du Fonds et de la Banque, mais par les gouvernements des pays pauvres en collaboration avec leur « société civile », à charge pour les experts de Washington d'ensuite donner leur aval. Selon les IFI, un tel processus de participation doit ainsi déboucher sur une « appropriation » (« ownership ») des DSRP par les pays concernés.
Cependant, de sérieux doutes ont été émis quant à l'application effective du principe d'« appropriation » sur lequel se fonde la nouvelle stratégie. Les principales critiques se sont centrées sur les deux points suivants:
— Tout d'abord, la nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté reste fortement inspirée des anciennes politiques d'ajustement structurel. De fait, les DSRP continuent à insister sur:
a) la libéralisation commerciale à travers la réduction des barrières tarifaires et non-tarifaires;
b) la suppression ou la réduction des contrôles sur les prix des biens et services tels que le gaz, le coton, le pétrole, les transports, l'électricité, l'eau, les télécommunications, les semences etc.;
c) le recours croissant au secteur privé pour la prestation de services dans les domaines de la santé et de la distribution de l'eau;
d) la privatisation des industries et entreprises publiques;
e) l'austérité budgétaire pour atteindre la stabilité macro-économique;
f) la libéralisation des mouvements de capitaux.
Bref, toutes les politiques qui ont été identifiées au début des années 90 comme faisant partie du « Consensus de Washington ». Or, si les DSRP impliquaient véritablement dans leur conception un contrôle et une participation active des États et de la société civile, leur contenu et stratégies divergeraient sensiblement d'un pays à l'autre mais également de l'approche uniforme qui avait été précédemment privilégiée par les programmes d'ajustement structurels. Ce n'est manifestement pas le cas.
La CNUCED partage cette analyse. Elle a en effet souligné qu': « Un examen détaillé des mesures macroéconomiques et d'ajustement structurel dans les DRSP permet de constater qu'il n'y a pas de remise en cause fondamentale des conseils formulés dans le cadre de ce qu'on appelle le « Consensus de Washington » ».
Des évaluations récentes publiées par le Bureau indépendant d'évaluation (BIE) du FMI et le Département d'évaluation des opérations (DEO) de la Banque mondiale (6) ont confirmé les critiques portées à l'encontre des DSRP. De fait, ces deux évaluations ont notamment observé que les IFI ne sont parvenues ni à faciliter des discussions significatives sur les choix de politiques alternatives, ni à mettre en œuvre de manière appropriée des études d'impact sur la pauvreté et le social, en particulier dans les domaines de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté.
— Deuxièmement, si les DSRP reconnaissent officiellement les principes de participation et d'appropriation, les autres instruments de prêts des IFI sont, quant à eux, exempts de débat public. C'est le cas notamment des programmes de Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC) et des crédits d'appui à la Réduction de la Pauvreté (PRSCs).
Si les FRPC — mis en œuvre par le FMI depuis 1999 — sont officiellement basés sur les DSRP, ils ne comptent pas les principes de participation et d'appropriation parmi leurs conditions. De fait, ces facilités de crédits ne diffèrent pas des précédents programmes de Facilités d'Ajustement Structurel Renforcé (FASR) que ce soit sur le plan de leur rédaction (non transparente et confiée à un petit groupe d'experts) ou au niveau de leur contenu. De surcroît, il s'avère que la plupart des pays en développement ont en fait négocié leur FRPC avant de formuler un DSRP, et dans de nombreux cas, l'adoption du programme DSRP a été retardée, car les pays concernés n'avaient atteint les objectifs fixés par le FMI dans le programme FRPC. Donc, plutôt que de constituer un appui aux programmes DSRP, les FRPC semblent jouer un rôle prépondérant dans de nombreux cas. Autrement dit, ce sont les impératifs macroéconomiques qui influencent les objectifs de réduction de la pauvreté plutôt que le contraire. Enfin, s'il est vrai que les conditionnalités incluses dans les FRPC semblent diminuer, elles ont tendance à réapparaître dans les facilités de crédits de la Banque mondiale, celle-ci renforçant ses conditionnalités en matière de privatisation, de réforme du système de santé et du secteur public.
2.2.3. La politique commerciale
La libéralisation commerciale est une composante importante des programmes d'ajustement structurel des IFI. La CNUCED (7) a d'ailleurs souligné que les principaux moteurs de la libéralisation commerciale dans les pays en développement ont été les conditions attachées aux prêts de la Banque et du Fonds. Par exemple, entre 1981 et 1994, la Banque a octroyé 238 prêts qui impliquaient une libéralisation du commerce ou du taux de change de 75 pays. Entre 1995 et 1999, 54 opérations d'ajustement de la Banque ont appuyé des réformes en matière de politique commerciale et de taux de change.
En poussant les pays en développement à s'engager dans une libéralisation commerciale unilatérale, les IFI ont dès lors placé ces derniers dans une position assez désavantageuse dans les négociations commerciales multilatérales à l'OMC.
Par ailleurs, l'expérience de développement des pays d'Asie de l'Est et, plus récemment de la Chine, a mis à mal l'approche des IFI en matière d'ouverture au commerce international. De fait, ces pays ont atteint de très hauts niveaux de croissance en ayant largement recours aux tarifs douaniers et subsides à l'exportation pour promouvoir leurs industries naissantes. Enfin, dans un rapport publié le 22 mars 2006 (8) , le département d'évaluation des opérations de la Banque mondiale a dressé un bilan négatif des réformes menées de 1987 à 2004 pour ouvrir le commerce des pays pauvres. Présentant les résultats du rapport au journal Le Monde (11 avril 2006), le directeur général du département d'évaluation, Vinod Thomas, a notamment déclaré qu'une « lecture étroite de la théorie sur les échanges a été privilégiée [par la Banque mondiale] en ne retenant que l'hypothèse selon laquelle la suppression des barrières au commerce dans les pays en développement stimulerait la demande extérieure pour leur main-d'œuvre peu qualifiée, ce qui accroîtrait l'emploi et les revenus ». Il a également ajouté que « des réformes profondes ont été menées, mais, pour quelques succès éclatants, beaucoup d'expériences se sont soldées par des échecs ».
2.2.4. Les politiques macroéconomiques
Une des principales critiques adressées aux IFI concerne l'extrême rigidité des politiques macroéconomiques inclues dans leurs conditions de prêts.
a) La politique monétaire
En matière de politique monétaire, le FMI contraint généralement les pays débiteurs à mettre sur pied:
— une convertibilité monétaire sans restrictions,
— un système de taux de changes flottants,
— un directoire monétaire (9) (currency board), dans le cas où l'économie en question est trop fragile pour supporter les fluctuations monétaires associées aux taux de changes flottants,
— une politique anti-inflationniste.
De telles prescriptions ont été critiquées pour les raisons suivantes:
— une convertibilité monétaire sans restrictions crée souvent dans les pays émergents et moins avancés les conditions pour une dépréciation monétaire et un éventuel effondrement de la monnaie, une fuite des capitaux et l'instabilité financière,
— dans les pays en développement qui maintiennent un système de taux de change flottants et une convertibilité monétaire totale, une sortie soudaine et conséquente de capitaux (suite à la vente massive d'actifs libellés en monnaie locale par les investisseurs étrangers) entraîne un cercle vicieux de dépréciation monétaire et fuite des capitaux. Une dépréciation monétaire augmente également les coûts liés, d'une part, au service de la dette extérieure et, d'autre part, aux importations.
Il est également important de noter qu'un afflux important de capitaux peut entraîner des conséquences tout aussi négatives que le reflux massif de capitaux dans le contexte d'un système de taux de change flottants (par exemple: baisse des exportations en raison de l'appréciation du taux de change),
— les directoires monétaires ne constituent pas une alternative crédible au système de taux de change flottants pour plusieurs raisons: (a) les règles sur lesquelles se fondent les directoires monétaires ne permettent pas l'application de politiques budgétaires et/ou monétaires expansionnistes, lorsque des conditions économiques difficiles rendent de telles actions nécessaires (par ex. lorsque le chômage augmente ou lorsque l'activité économique diminue); (b) les pays qui ont recours aux directoires monétaires doivent souvent importer la politique monétaire du pays auquel leur monnaie est arrimée, avec toutes les complications que cela peut entraîner. Il est en effet difficile d'imaginer que la politique monétaire d'un pays industrialisé, tel que les États-Unis, soit appropriée aux conditions économiques d'un pays en développement. De plus, il se peut que les États-Unis soient obligés de mener une politique monétaire restrictive à un moment où un pays en développement a besoin d'une politique expansionniste, compte tenu des conditions macroéconomiques divergentes entre les deux pays; (c) les règles opérantes des directoires monétaires stipulent que l'accroissement de l'offre de monnaie locale doit nécessairement s'accompagner d'une augmentation des dépôts en devises étrangères. Autrement dit, l'augmentation de l'offre de monnaie dépend de la capacité d'un pays à accroître ses exportations, libéraliser les mouvements de capitaux et renforcer la confiance des investisseurs; (d) les directoires monétaires promeuvent l'austérité budgétaire en conditionnant l'impression de nouvelle monnaie à l'acquisition de devises étrangères; (e) les pays ayant établi un directoire monétaire font fréquemment l'expérience de récessions économiques et sociales sévères, comme en témoigne le cas de l'Argentine; (f) les directoires monétaires lient étroitement la politique commerciale locale à la valeur de la monnaie étrangère de réserve. Cela provient du fait que la valeur de la monnaie locale est arrimée à celle de la monnaie étrangère de réserve. Ainsi, la performance commerciale de l'Argentine fut fortement compromise par la force exceptionnelle du dollar auquel sa monnaie était attachée; (g) la délégation de la gestion des taux de change à une institution indépendante du politique compromet sérieusement les principes démocratiques. De fait, les politiques de change ont des effets distributionnels substantiels. Dès lors, les institutions en charge de la gestion des taux de changes devraient être responsables devant les représentants du gouvernement élu; (h) enfin, les directoires monétaires n'empêchent pas la spéculation contre la monnaie nationale,
— les coûts liés à une surveillance stricte de l'inflation sont élevés. L'obsession de l'inflation justifie une politique monétaire restrictive — taux d'intérêts élevés, appréciation de la monnaie nationale — qui a un impact négatif sur les niveaux de vie et la performance économique (en ce qui concerne l'activité industrielle, l'emploi et la croissance). De plus, de nombreuses études montrent que des niveaux modérés d'inflation (qui, suivant les études, vont de 10 % à 40 %) présentent peu ou pas de coûts en terme de croissance économique. Par exemple, une étude de la Banque mondiale (10) portant sur le lien entre inflation et croissance économique dans 127 pays entre 1960 et 1992, conclut que des taux d'inflation en dessous de 20 % ne constituent pas une contrainte pour la croissance sur le long terme. Il est également utile de rappeler que le Japon et la Corée du Sud se sont développés rapidement durant les années 60 et 70, malgré une inflation assez élevée (plus ou moins 20 %),
— le secteur de l'industrie ainsi que les exportateurs ne partagent pas avec la communauté financière l'obsession pour le contrôle de l'inflation qui suppose la mise en œuvre d'une politique monétaire restrictive. Les industriels sont souvent affectés par l'augmentation du coût de l'emprunt qui résulte de l'accroissement des taux d'intérêts. De même, les exportateurs sont souvent touchés par l'appréciation de la monnaie locale qui procède de l'augmentation des taux d'intérêts.
b) La politique budgétaire
En ce qui concerne la politique budgétaire, les IFI contraignent les pays débiteurs à:
— éviter les dépenses publiques excessives et mener une politique budgétaire restrictive,
— élargir leur base fiscale.
Ces mesures sont contestées pour les raisons suivantes:
— les mesures de réduction des dépenses publiques exigées par le FMI dans les pays en développement en matière de sécurité sociale, de développement industriel et agricole et d'infrastructures (énergie, transport et communications) ont eu des effets désastreux sur les conditions de vie des pauvres et des classes moyennes et ont mis en péril la performance économique de ces pays sur le long terme, comme en témoignent les conséquences des politiques d'ajustement imposées par le Fonds aux économies asiatiques, suite à la crise financière de 1998,
— certaines politiques promues par les IFI ont contribué de façon substantielle à l'approfondissement des déficits budgétaires. Par exemple, la libéralisation commerciale a fortement diminué les revenus douaniers, qui sont particulièrement importants pour les pays pauvres. Les réformes financières promues par ces institutions ont également entraîné des déséquilibres budgétaires dans les pays en développement. Ces réformes ont contribué à la fois à l'augmentation des taux d'intérêts sur les prêts extérieurs et au suremprunt des (et surprêt aux) entreprises et gouvernements des pays en développement, dans la mesure où les banques commerciales ont remplacé les gouvernements et agences multilatérales comme premiers prêteurs. Les dépréciations monétaires, qui sont devenues assez courantes dans l'ère des taux de change flexibles, ont aussi augmenté les coûts liés au service de la dette extérieure, ce qui a contribué à l'accroissement des déficits budgétaires,
— la priorité donnée à l'équilibre budgétaire n'est pas toujours justifiée. Les déficits budgétaires seuls ne minent pas la confiance des investisseurs, ne découragent pas l'investissement privé et ne causent pas nécessairement d'inflation. L'expérience montre que les investisseurs étrangers et nationaux ne fuient pas les pays qui ont un très haut déficit, si les perspectives de croissance sont solides et/ou si des opportunités d'investissements attractives sont présentes,
— dans une perspective plus historique, il est important de noter que les périodes de croissance économique rapide en Europe continentale, aux USA et au Japon ont été associées à d'importants programmes de dépenses publiques et même à des déficits publics conséquents. Plus récemment, l'expérience de développement des pays d'Asie de l'Est (en particulier Taiwan et la Corée du Sud) met en lumière l'importance des dépenses gouvernementales dans les domaines de l'industrie, l'agriculture, l'éducation, la santé et les infrastructures,
— en dépit des prédications de la Banque et du Fonds quant aux vertus de l'austérité budgétaire et des budgets équilibrés, les pays industrialisés maintiennent encore de très hauts niveaux de dépenses publiques et enregistrent souvent des déficits budgétaires relativement élevés,
— les investissements publics dans l'éducation, la santé, les infrastructures, les technologies et les communications encouragent clairement l'investissement privé,
— le FMI et les gouvernements nationaux consacrent peu de temps et de ressources en matière d'accroissement des prélèvements fiscaux et de réduction des opportunités liées à l'évasion fiscale.
2.2.5. Politiques de privatisation
Les IFI incluent souvent des exigences en matière de privatisation dans leurs conditionnalités de prêts. Selon ces institutions, la privatisation est censée, d'une part, contribuer au développement du secteur privé et, d'autre part, améliorer la position budgétaire des gouvernements grâce aux revenus supplémentaires découlant de la vente des entreprises parastatales, des taxes prélevées sur les profits des entreprises privatisées et de l'arrêt du soutien public apporté aux entreprises déficitaires.
Dans l'approche défendue par les IFI, l'État doit se limiter à ses fonctions régaliennes et se retirer des secteurs où un profit peut être enregistré (eau, télécommunications, transports, santé, éducation, etc.).
Les orientations de la Banque et du Fonds en matière de privatisation ont été contestées notamment pour les raisons suivantes:
— Le processus de privatisation n'engendre pas nécessairement une augmentation des revenus des gouvernements. Tout d'abord, l'expérience montre que les investisseurs sont souvent peu enclins à reprendre des entreprises déficitaires. Les gouvernements ont par conséquent tendance à vendre les entreprises rentables. Ce constat est confirmé par une étude financée par la Banque mondiale et portant sur les entreprises privatisées en Afrique jusque 1995 (11) . Sur le long terme, la politique de privatisation peut dès lors avoir des implications budgétaires négatives dans la mesure où les gouvernements perdent les revenus provenant d'entreprises rentables, tout en étant contraints de garder des firmes déficitaires et invendables. Deuxièmement, il n'est pas rare que les autorités publiques investissent de façon substantielle dans des entreprises publiques afin de les rendre plus attractives pour le secteur privé, ce qui accroît les coûts liés au processus de privatisation. Enfin, il arrive fréquemment que les entreprises publiques soient vendues à un prix très bas aux investisseurs étrangers ou nationaux.
— La privatisation ne conduit pas nécessairement à l'émergence et au développement spontané du secteur privé. En effet, beaucoup de pays en développement, particulièrement en Afrique, ne parviennent pas à attirer des investissements privés pour des raisons d'instabilité politique et/ou économique ou parce que les marchés intérieurs sont limités. Dans ce contexte, le processus de privatisation s'accompagne généralement des effets suivants: les efforts visant à stimuler la concurrence sont souvent vains en raison du manque d'investisseurs privés; de large concessions doivent souvent être offertes; des tarifs élevés sont parfois imposés afin d'assurer un retour sur investissement, aucun de ces éléments n'étant favorables au développement du secteur privé lui-même.
— Dans la mesure où les entreprises privées recherchent le profit, leurs objectifs peuvent diverger de l'intérêt public. Un certain nombre de ressources et services devraient dès lors toujours demeurer dans le domaine public et sous contrôle national. C'est le cas des services d'intérêt général (eau, santé, éducation) et des ressources naturelles stratégiques. L'expérience démontre également que les entreprises publiques sont souvent les mieux à même de gérer ce qu'on appel les monopoles naturels (tel que la distribution d'électricité, chemins de fer etc.).
— Les processus de privatisation ont souvent été associés dans les pays en développement à des restructurations et licenciements en masse, ce qui est contraire aux objectifs de lutte contre la pauvreté de la Banque mondiale.
— Les évidences empiriques mettent en cause le postulat selon lequel la présence d'un large secteur d'entreprises publiques nuit à la croissance économique. En effet, un grand nombre de pays ayant un secteur d'entreprises publiques important ont fait l'expérience d'un développement économique sans précédent durant l'après-guerre. C'est le cas de la France, l'Autriche, la Finlande, la Norvège et l'Italie où un secteur dynamique d'entreprises détenues par l'État a joué un rôle-clé dans le développement industriel. De même, la plupart des économies performantes d'Asie de l'Est, telles que Taiwan, Singapour ou la Corée du Sud, ont eu un secteur d'entreprises publiques très développé.
2.2.6. Réformes du marché du travail
Les réformes du marché du travail ont constitué un élément central des politiques d'ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI. Elles obéissent à la volonté d'éliminer toute entrave au libre marché en réduisant le coût du travail et ont impliqué généralement la mise en œuvre des mesures suivantes:
— Assouplissement des conditions de licenciement;
— Introduction de contrats flexibles pour les jeunes travailleurs;
— Assouplissement des réglementations en matière de temps de travail;
— Limitation du droit de grève (délais et conditions pour déclarer une grève, procédures d'arbitrage en cas de grève, etc.);
— Augmentation du nombre minimum de travailleurs nécessaire pour créer légalement un syndicat;
— Assouplissement du cadre légal en matière d'embauche (contrats à court terme plutôt qu'à long terme);
— Allégement des mécanismes de fixation des salaires;
— Réduction du salaire minimum;
— Augmentation de l'âge de la retraite et privatisation des systèmes de pensions;
— Augmentation du nombre d'années de contribution nécessaires pour accéder au système public de pension;
— Diminution de la portée de la négociation collective en la limitant au niveau des entreprises, et affaiblissement des bases du système de négociation collective, par secteur.
Parmi les critiques généralement adressées aux politiques de déréglementation du marché du travail impulsées par les IFI, on notera le fait que:
— ces réformes engendrent une course au seuil minimum à l'échelle mondiale (« race to the bottom »), ce qui contredit l'esprit de la Constitution de l'OIT et de la Déclaration de Philadelphie (12) ;
— ces politiques, justifiées sur base de la nécessité de rendre les économies plus attractives pour les investisseurs privés, n'ont pas contribué à générer une croissance durable et inclusive. Elles ne se sont souvent pas traduites par la génération d'emplois décents et ont ainsi contribué à aggraver profondément la précarité, la pauvreté et les disparités sociales. En outre, elles ont fait peser les coûts et risques sociaux principalement sur les travailleurs. L'accélération du nombre de travailleurs occupés dans l'économie informelle en est le symptôme le plus illustratif. Dans de nombreux pays du monde, plus de 8 emplois nouveaux sur 10 sont générés par l'économie informelle, qui est essentiellement une économie de survie caractérisée par la précarité, le manque de sécurité au travail et le non-respect généralisé de droits essentiels;
— ces mesures n'ont pas permis de résoudre le problème de l'endettement des pays concernés;
— ces réformes ne se fondent nullement sur une approche centrée sur les droits humains. Elles violent les Conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT), notamment les Conventions 87 et 98 portant respectivement sur la liberté syndicale et la négociation collective;
— ces politiques ont contribué à l'affaiblissement des institutions garantes de l'application des droits des travailleurs (ministères du Travail, en ce y compris les tribunaux du travail et les services d'inspection du travail) en privilégiant des formes privées de gestion du monde du travail sous la forme de « responsabilité sociale des entreprises », « codes de conduite » et autres mécanismes non contraignants échappant aux institutions qui sont le pilier d'un État de droit;
— ces mesures ont souvent été appliquées en l'absence de dialogue social. Dans plusieurs pays, des syndicalistes ont été réprimés, arrêtés ou assassinés parce qu'ils s'opposaient aux préceptes de ces politiques de réforme du marché du travail;
— la privatisation totale ou partielle des régimes de retraites publics promue par les IFI s'est traduite par des pensions réduites et très inégales (notamment à cause des coûts d'administration exorbitants des fonds privés), n'a pas amélioré la couverture et a pesé sur les finances publiques (étant donné que les cotisations aux régimes publics ont été détournées vers les fonds privés). En outre, dans la plupart des pays concernés, la situation des femmes a eu tendance à se dégrader après que la privatisation des retraites appuyée par la Banque ait été introduite.
2.2.7. La gestion et résolution des crises financières
L'intervention du Fonds dans les crises financières qui ont affecté les économies émergentes a généralement consisté dans des opérations financières ad hoc dite de « bailout » (13) qui ont pour but (i) de permettre aux pays concernés de poursuivre le paiement de la dette qu'ils ont contractée auprès des créanciers privés, (ii) de maintenir la convertibilité de leur balance des capitaux, (iii) d'empêcher que ces derniers tombent dans une situation de faillite.
En assurant le remboursement de la dette contractée auprès des créanciers privés extérieurs, les opérations de « bailout » ont dès lors pour effet d'aider les investisseurs et prêteurs internationaux imprudents — une tâche qui incombe normalement aux autorités nationales des pays créditeurs.
En outre, les prêts octroyés par le FMI pour faire face à ces crises ont été conditionnés à la mise en œuvre de l'austérité budgétaire et monétaire afin de restaurer la confiance des investisseurs. Cependant, de telles mesures n'ont souvent pas pu empêcher des dépréciations monétaires importantes et une hausse des taux d'intérêts, aggravant dès lors la contraction des économies affectées par la crise financière.
2.2.8. La prévention des crises financières
Malgré son contrôle bilatéral intensif des politiques des pays en développement, le Fonds s'est montré incapable de prévenir les crises financières principalement parce qu'il n'a pas réussit à diagnostiquer et agir sur les racines du problème. À ce sujet, il convient d'observer que:
— le FMI a contribué à accroître la vulnérabilité des économies des pays émergents en encourageant la libéralisation de leur balance des capitaux;
— parallèlement, le Fonds s'est toujours montré opposé à l'établissement de mesures de contrôle temporaires sur les flux de capitaux même lorsqu'il apparaissait clairement que l'entrée massive et soudaine de capitaux de court terme conduisait à des appréciations continues de la monnaie et à des déficits commerciaux de plus en plus conséquents. Le FMI s'est plutôt montré en faveur de l'austérité fiscale et d'une plus grande flexibilité du taux de change;
— le régime de taux de change flottant, qui a été promu par le FMI dans les marchés émergents, n'a pas empêché l'entrée soudaine et excessive de capitaux, l'émergence de déficits commerciaux insoutenables ou de déséquilibres affectant les taux de change;
— les régulations prudentielles proposées par le Fonds, même si elles peuvent aider à contenir les dommages causés par une sortie rapide de capitaux, ne sont pas toujours efficaces pour anticiper l'émergence de fragilités externes;
— le Fonds a montré peu d'attention au rôle qu'ont joué les politiques et institutions des pays industrialisés dans le déclenchement des crises financières internationales. De fait, les cycles d'expansion-contraction des flux de capitaux vers les pays en développement et les crises financières internationales majeures sont généralement associées à des changements importants affectant les conditions macro-économiques et financières des pays industrialisés.
III. La Belgique et l'UE au sein des IFI
Comme l'ensemble des 184 membres du FMI et de la Banque mondiale, la Belgique est représentée dans les organes de décisions respectifs de ces institutions par un gouverneur et son suppléant, qui, avec les autres gouverneurs, détiennent le pouvoir de décision final.
M. D. Reynders, ministre des Finances, est gouverneur à la Banque mondiale pour la Belgique et M. Guy Quaden, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, est son suppléant. Au FMI, M. Guy Quaden siège comme gouverneur pour la Belgique et M. Grégoire Brouhns est son suppléant.
Les gouverneurs ne pouvant se réunir qu'une fois par an pour décider d'actions spécifiques (admission de nouveaux membres, préparation du budget, etc.), la gestion des activités quotidiennes du Fonds et de la Banque est assurée par leurs Conseils d'administration respectifs composés chacun de 24 administrateurs. Chacun des 8 pays suivants a le privilège de pouvoir nommer un administrateur: les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Arabie saoudite, la Chine et la Russie. Les seize autres sont nommés par des groupes de pays. Les seize autres administrateurs représentent des groupes de pays.
Au sein du Conseil d'administration de la Banque, la Belgique fait partie du groupe formé par l'Autriche, la Biélorussie, la République tchèque, la Hongrie, le Kazakhstan, le Luxembourg, la République slovaque, la Slovénie et la Turquie. Cette circonscription de dix pays possède actuellement 4,82 % des droits de vote, dont 1,81 % sont détenus par notre pays. En ce qui concerne le Conseil d'administration du FMI, la Belgique est intégrée dans une circonscription qui regroupe les mêmes pays qu'à la Banque mondiale et dont la part des droits de vote atteint 5,13 %. Le poste de tête de ces circonscriptions est tournant.
L'Union européenne (UE) n'a pas de statut formel au sein des IFI. Si elle était considérée comme un membre à part entière, l'UE des 25, avec respectivement 31,92 % et 27,98 % des voix au FMI et à la Banque mondiale, dépasserait largement les 17,11 % des voix détenus par les États-Unis et partagerait dès lors le droit de veto. Dans les faits, cependant, l'UE est fragmentée entre plusieurs circonscriptions et contournée par d'autres lieux de médiation (G7 notamment).
Ce n'est que très récemment que des efforts de coordination de l'action européenne au sein des IFI ont été entrepris. Ce processus demeure néanmoins à l'état embryonnaire dans les deux institutions où les intérêts nationaux prévalent encore souvent.
En ce qui concerne le FMI, la coordination se fait à la fois à Bruxelles, à travers le sous-comité du Conseil « ECOFIN » chargé des questions liées au FMI (SCIMF), et à Washington, dans un organe informel appelé EURIMF, composé des administrateurs et autres représentants des États membres de l'UE. Le SCIMF se charge de dégager les grandes orientations communes et de long terme, tandis que la coordination quotidienne se fait à Washington. Cela étant, jusqu'à présent, la coordination au sein de l'EURIMF a principalement pris la forme d'échanges de vues.
La coordination européenne au sein de la Banque se fait seulement à Washington entre les administrateurs et autres représentants des États membres de l'UE. Elle semble plus effective que celle pour le FMI dans la mesure où elle a déjà donné lieu à plusieurs déclarations conjointes. Néanmoins, il s'avère que, sur les points cruciaux, les intérêts nationaux prennent souvent le dessus.
Pierre GALAND Olga ZRIHEN. |
LE SÉNAT,
A. considérant l'extension significative des missions originellement imparties aux IFI, et le chevauchement consécutif des activités de ces institutions,
B. considérant les déficiences importantes de la structure de gouvernance des IFI, notamment en ce qui concerne la proportion des droits de vote de base, le calcul et la répartition des quotas, la composition des conseils d'administration, le processus de sélection du président de la Banque et du directeur du Fonds, l'origine et la formation des staff, ainsi que le manque de transparence des activités de ces institutions,
C. considérant la nécessité de renforcer la transparence des flux financiers entre les institutions financières internationales et les pays membres,
D. considérant le monopole du ministère des Finances et du SPF Finances en ce qui concerne la nomination des représentants belges aux Conseils des administrateurs de la Banque et du Fonds; considérant qu'une meilleure information du Conseil des ministres et du Parlement sur les activités des institutions financières et les positions prises par la Belgique au sein du FMI et de la Banque mondiale est un impératif démocratique,
E. considérant que les politiques d'ajustement structurel et de stabilisation prescrites par les IFI n'ont pas atteint les objectifs escomptés en terme de croissance et de réduction de la pauvreté et ont souvent même aggravé les conditions socioéconomiques des pays en développement,
F. considérant que les DSRP et les FRPC continuent de privilégier une approche standardisée de la gestion des problèmes économiques des pays en développement, sans tenir compte de leurs réalités propres; considérant les observations des Nations unies selon lesquelles les politiques d'ajustement contenues dans les DSRP: « ne peuvent pas réussir à produire une croissance économique durable suffisamment forte pour réduire de manière significative la pauvreté »,
G. considérant que les choix de politiques économiques et sociales par les pays récipiendaires sont de plus en plus restreints par la multiplication des conditionnalités associées aux prêts concessionnels ou mesures d'allègement de dette des IFI; considérant que cette situation entre en contradiction avec le principe d'appropriation nationale (« ownership ») sur lequel se fondent les stratégies de réduction de la pauvreté,
H. considérant que la rigidité des politiques monétaires et budgétaires des IFI est inappropriée au regard de la diversité des conditions macroéconomiques entre les pays en développement,
I. considérant la nécessité pour les IFI d'adopter une approche moins dogmatique en matière de privatisation,
J. considérant qu'en promouvant une libéralisation commerciale unilatérale dans les pays en développement, les IFI ont placé ces derniers dans une position désavantageuse dans les négociations commerciales multilatérales à l'OMC,
K. considérant que la plupart des pays industriels avancés — de la Grande-Bretagne aux États-Unis et du Japon à la Corée du Sud — se sont développés en protégeant judicieusement et sélectivement certaines segments de leurs économies, jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour faire face la concurrence étrangère; considérant que la Chine, durant ces quinze dernières années, a atteint de très hauts niveaux de croissance et de réduction de la pauvreté en procédant à une intégration sélective dans l'économie mondiale,
L. considérant que les réformes du marché du travail promues par les IFI engendrent un nivellement par le bas des normes sociales à l'échelle mondiale et, de ce fait, contredisent l'esprit de la Constitution de l'OIT et de la Déclaration de Philadelphie; considérant que les mécanismes volontaires de protection ainsi que d'autres concepts mis en avant par la Banque mondiale et le FMI (tels que les « codes de conduite », la « responsabilité sociale des entreprises » ou « la citoyenneté dans l'entreprise ») ne peuvent remplacer le droit à la négociation collective et d'autres droits des travailleurs (en particulier les services d'inspection du travail); considérant que la privatisation totale ou partielle des régimes de retraites publics promue par les IFI s'est traduite par des pensions réduites et très inégales, n'a pas amélioré la couverture et a pesé sur les finances publiques,
M. considérant les conclusions du rapport commun présenté à la Commission des droits de l'homme de l'ONU par le rapporteur spécial et l'expert indépendant selon lesquelles: « Les programmes d'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale [...] ont eu un coût social et écologique considérable et dans beaucoup de pays l'indice du développement humain a dramatiquement baissé » (14) ,
N. considérant qu'il demeure essentiel que le Fonds continue à jouer un rôle dans l'approvisionnement de liquidité pour les pays en développement en raison du comportement procyclique des marchés financiers et de la volatilité croissante de l'environnement économique global,
O. considérant que les opérations financières dites de « bailout » — principal instrument d'intervention du FMI dans les crises financières — ainsi que les conditionnalités associées à ces prêts, ont souvent aggravé plutôt que corrigé les déficiences du marché,
P. considérant que le FMI n'est non seulement pas parvenu à empêcher la réémergence et la contagion des crises financières mais a souvent contribué à leur réapparition en encourageant la libéralisation prématurée de la balance des capitaux de nombreux pays émergeants; considérant le manque de prise en compte par le Fonds des impulsions déstabilisatrices provenant des déséquilibres commerciaux et de la volatilité des taux de change des principaux pays industrialisés,
DEMANDE AU GOUVERNEMENT:
En ce qui concerne le fonctionnement et l'organisation interne de la Banque mondiale et du FMI
1. de plaider pour une révision en profondeur du système de droits de vote impliquant:
— un accroissement du nombre et du poids des votes de base, de telle sorte que le ratio de ces droits de base par rapport au total des droits de vote soit, au moins, égal à celui fixé au moment de la création des institutions;
— une révision de la formule de calcul des quotas de sorte que le poids respectif des économies des pays membres soit mesuré de façon objective. Dans le cas spécifique de la Banque mondiale où les rentrées — y compris les paiements d'intérêts par les pays emprunteurs — sont régulièrement capitalisés, la contribution d'un pays en développement au capital de l'institution devrait être pondérée dans la formule. En outre, la création d'un fonds fiduciaire destiné à financer la participation des États les plus pauvres au sein des IFI devrait être également envisagée;
— l'adoption et la mise en œuvre effective sur le long terme du principe « 1 État — 1 voix » des Nations unies — considérant que la Banque mondiale et le FMI sont des institutions spécialisées de l'ONU;
2. de soutenir une restructuration des circonscriptions impliquant, d'une part, la constitution de groupes de pays plus cohérents et, d'autre part, le renforcement de la place des pays en développement;
3. de plaider pour l'établissement d'un plafond maximum de dix pays par circonscription;
4. d'inviter les autres membres du Conseil à exprimer leur position par des votes formels plutôt que par des indications informelles de position;
5. de veiller à ce que les responsables des IFI soient désignés selon des processus objectifs, ouverts et transparents se fondant sur les qualités intrinsèques des candidats;
6. de contribuer à la publication mensuelle des transcriptions et comptes rendus des réunions des conseils d'administration afin de permettre une plus grande transparence des IFI;
7. de favoriser la décentralisation des activités de recherche des IFI ainsi que la diversification de l'origine, la formation et l'expertise de leurs personnels afin d'injecter une plus grande diversité intellectuelle dans la pensée économique des institutions;
8. de viser le double objectif suivant: d'une part, que chaque institution et chacune de leurs filiales, rendent public le montant et l'objet des flux financiers entre elles et les pays membres ainsi que les financements additionnels bilatéraux liés aux opérations menées par le Fonds ou la Banque; d'autre part, que la comptabilité des IFI respecte les critères internationaux dans ce domaine.
En ce qui concerne les politiques de la Banque mondiale et du FMI
9. de défendre la nécessité d'un recentrage des activités de la Banque mondiale sur le soutien financier au développement et celles du FMI sur la gestion et résolution de crise, le contrôle des politiques macroéconomiques (en particulier des pays dont les politiques économiques peuvent affecter de façon disproportionnée la stabilité financière et monétaire internationale), la stabilité des taux de change, et l'approvisionnement de liquidité internationale en cas de déficit temporaire de la balance des paiements. En revanche, les activités du Fonds liées au financement de long terme du développement et à la lutte contre la pauvreté devraient être laissées aux banques multilatérales de développement,
10. de contribuer activement à ce que les DSRP et FRPC n'appliquent plus une approche standardisée du développement mais créent, au contraire, l'espace nécessaire afin que chaque pays puisse mettre en œuvre des politiques économiques et sociales qui divergent dans leur philosophie et leur contenu,
11. d'appeler le FMI et la Banque mondiale à revoir et à redéfinir la nature des conditionnalités afin que celles-ci ne constituent pas une entrave à la nécessité pour les États récipiendaires de concevoir leurs propres stratégies de développement. Le rôle des IFI étant essentiellement de contrôler l'affectation des prêts consentis à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD),
12. de ne pas uniquement se référer aux programmes de « vérification » du FMI comme signalement de bonne gouvernance économique,
13. de plaider au sein des IFI pour que l'ouverture au commerce international ne soit plus incluse dans les conditionnalités imposées aux pays en développement, compte tenu du caractère souvent irremplaçable des revenus douaniers et de la nécessité pour ces pays de protéger leurs secteurs économiques stratégiques de la concurrence internationale;
14. d'enjoindre les IFI à se référer aux meilleures pratiques dans l'élaboration de leurs politiques commerciales: les expériences de développement des pays industriels avancés et, plus récemment, de la Chine ayant démontré la pertinence de l'utilisation des tarifs douaniers pour promouvoir les industries naissantes,
15. d'insister auprès des IFI pour qu'elles acceptent la coexistence de cadres macroéconomiques différents. Plus précisément, les conditionnalités de la Banque et du Fonds ne devraient plus empêcher les pays débiteurs de jouir du droit:
— d'utiliser des mécanismes pour restreindre la convertibilité monétaire tels que: la délivrance de licences pour l'obtention de devises étrangères; l'établissement d'une convertibilité sélective (par ex. la monnaie n'est convertible que pour la balance des opérations courantes); le contrôle de l'accès des non-résidents à la monnaie nationale;
— d'établir des régimes de taux de change contrôlés tels que les systèmes de parités fixes, ajustables ou « à crémaillère » (15) ;
— de créer ou maintenir une banque centrale directement responsable devant les autorités démocratiquement élues;
— de poursuivre une politique monétaire qui promeut des objectifs de croissance, d'emplois et de protection sociale;
— de ne pas fixer un seuil prédéterminé maintenant le taux d'inflation en dessous de 3 %;
— d'équilibrer leurs budgets suivant un cycle économique, afin que les dépenses gouvernementales puissent être augmentées (réduites) pour contrebalancer la réduction (l'augmentation) des investissements du secteur privé durant une période de récession (boom);
— de mettre fin à la libéralisation commerciale et financière tant que les pertes de recettes fiscales n'ont pas été comblées par d'autres moyens;
— d'établir des contrôles sur les capitaux afin de réduire les opportunités d'évasion fiscale;
— de mettre sur pied une « TVA progressive », c'est-à-dire une TVA qui ne s'applique pas aux produits de base mais impose une taxe élevée sur les produits de luxe;
— d'introduire des taxes sur la spéculation financière, y compris des taxes sur les flux de capitaux à court terme et les opérations de change de devises.
16. d'inciter les IFI à redéfinir leur politique de privatisation afin qu'elles:
— n'exigent plus la privatisation de produits et services d'intérêt essentiel (eau, santé, éducation) ainsi que des ressources naturelles stratégiques;
— n'imposent plus la privatisation d'entreprises publiques génératrices de revenus pour les autorités nationales;
— effectuent une évaluation complète des coûts sociaux et économiques d'une éventuelle privatisation avant d'inciter un gouvernement à s'engager dans un tel processus;
— apportent leurs compétences techniques pour améliorer la performance des entreprises publiques avant d'envisager une privatisation.
17. de plaider pour que la promotion du travail décent (16) soit au centre de l'action des IFI, en soulignant tout particulièrement la nécessité que:
— les DSRP et FRPC promeuvent activement les huit conventions fondamentales de l'OIT — relatives aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi — ainsi que les Conventions 87 (liberté syndicale), 98 (négociation collective), 29/105 (interdiction du travail forcé), 138/182/183 (abolition du travail des enfants), 100/111 (non-discrimination), 122 (politiques d'emploi), 81 (inspection du travail dans l'industrie et le commerce), 129 (inspection du travail dans l'agriculture), 26/99/131 (méthodes de fixations des salaires minima), 95 (protection des salaires), 117 (politique sociale), 102 (sécurité sociale), 161 (services de santé au travail), et 155 (santé et sécurité au travail);
— la Banque et le Fonds élargissent leur évaluation globale des réformes du marché du travail et leur impact sur la pauvreté, l'inégalité, les niveaux d'emploi et la précarité, en pleine coordination et consultation avec les syndicats et l'OIT; les résultats de ces évaluations devant conduire aux modifications nécessaires dans les politiques;
— les IFI cessent d'inciter les pays récipiendaires à privatiser leur système de pensions mais, au contraire, utilisent leurs compétences techniques et ressources financières pour consolider les systèmes de retraites par répartition de ces derniers.
18. d'entreprendre les démarches diplomatiques nécessaires afin d'amener les IFI, en tant qu'institutions spécialisées de l'ONU, à rendre leurs politiques conformes à la législation internationale sur les droits humains (y inclus la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels et leur jurisprudence respective) en soulignant notamment la nécessité:
— d'accorder au Panel d'inspection de la Banque mondiale des pouvoirs de mise en vigueur et de restitution dans le cas où des décisions de prêts de la Banque en viendraient à violer les droits humains;
— de renégocier les accords de relations liant le FMI et la Banque mondiale à l'ONU avec pour objectifs: (a) de renforcer la responsabilité du FMI et de la Banque mondiale envers l'ONU et (b) de renforcer la capacité de l'ONU de s'assurer que les IFI respectent pleinement la juridiction des autres agences, et en particulier celles qui n'ont pas de mandat économique;
— de modifier les « Articles of agreement » afin de respecter les engagements internationaux de l'État belge en matière de droits économiques, sociaux et culturels, conformément aux recommandations contenues dans la « proposition de résolution visant à compléter les obligations du mandat des organisations financières internationales » déposée par Mme Anne-Marie Lizin et adoptée par le sénat le 8 juillet 2004 (doc. 3-25/4).
19. d'accroître les contributions volontaires de la Belgique aux budgets des agences spécialisées des Nations unies, en particulier ceux du PNUD et de la CNUCED,
20. de plaider au sein du FMI pour que les prêts de cette institution soient octroyés en vue de résoudre les crises de liquidités à court terme des pays en développement plutôt que pour financer des opérations de « bailout » ou des projets de développement. Ceci implique que le Fonds renonce à terme aux instruments suivants: le « Mécanisme élargi de crédit » (« Extended Fund Facility » — EFF), la « Facilité de réserve supplémentaire » (« Supplemental Reserve Facility » — SRF) et la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC/PRGF),
21. de convaincre ses partenaires au sein du FMI de substituer les procédures de résolution de la dette (« debt workout procedures ») aux opérations de « bailout », comme mécanisme de gestion et résolution des crises financières des pays émergents. Selon l'économiste Yilmaz Akyüz (17) , une telle procédure repose sur les principes suivants:
— un moratoire temporaire concernant le repaiement de la dette durant lequel le pays concerné peut négocier un rééchelonnement avec ses créditeurs. Une telle décision serait prise unilatéralement par le pays débiteur et sanctionné par un panel indépendant plutôt que par le FMI (18) . Cette solution a d'ailleurs été proposée par la CNUCED au lendemain du moratoire russe d'août 1998: « L'article VIII des statuts du FMI pourrait fournir la base juridique nécessaire à la déclaration d'un moratoire sur le service de la dette. (...) La décision d'imposer un moratoire pourrait être prise unilatéralement par le pays sujet à une attaque contre sa monnaie »;
— la mise en œuvre de restrictions sur les changes afin de donner aux créanciers des garanties que les capitaux ne sortiront pas du pays;
— une restructuration de la dette — et ce compris des refinancements (« rollovers ») et annulations (« write-offs ») — basée sur une négociation entre le débiteur et les créanciers — le FMI ne devant pas être impliqué dans ce processus.
22. d'œuvrer afin que la libéralisation des comptes de capital ne soit plus intégrée dans les conditionnalités associées aux prêts du FMI et de la Banque mondiale,
23. d'insister au sein du FMI sur le fait que la stabilité du système financier international requiert nécessairement:
— la reconnaissance du droit à la taxation et au contrôle effectif des mouvements de capitaux internationaux, afin que les afflux massifs de capitaux ne débouchent plus inlassablement sur des reflux dévastateurs;
— l'application d'une taxe Tobin-Spahn sur les transactions financières internationales afin de combattre la spéculation financière et les crises monétaires (19) ;
— une plus grande prise en compte des meilleures pratiques (« best practices ») en matière de prévention de crises: les exemples récents du Chili, de la Malaisie, de l'Inde ou de la Chine ayant démontré la caractère bénéfique des contrôles sur les mouvements de capitaux;
— l'application de mesures garantissant la « traçabilité » des opérations financières, depuis leur origine jusqu'à leur liquidation, notamment: en exigeant la levée du secret bancaire sur demande des autorités judiciaires, en rendant illégales les transactions en provenance des nombreux paradis fiscaux, bancaires et judiciaires et, en donnant à toute transaction opérée sur les marchés financiers un code d'identification reprenant la qualité du donneur d'ordre, le type d'opération et le nom de l'intermédiaire;
— l'assignation de la fonction de surveillance des politiques économiques et financières à une autorité indépendante du conseil d'administration du FMI, afin d'en améliorer la qualité, la légitimité et l'impact.
En ce qui concerne la transparence et le rapport au Parlement
24. de présenter chaque année au Parlement, au plus tard le 30 juin, un rapport incluant les éléments suivants:
— l'ensemble des décisions prises par le FMI et la Banque mondiale (en matière de prêts, d'allègement de dette, d'ajustement structurel et de politiques de lutte contre la pauvreté) en ce qui concerne les pays partenaires de la coopération belge (20) ;
— les positions défendues par la Belgique concernant chacun de ces pays au sein des IFI;
— les décisions prises par la Belgique concernant les pays membres de chacune de ses circonscriptions au sein de la Banque mondiale et du FMI;
— les positions adoptées par la Belgique concernant les grandes questions débattues au sein des IFI (par ex. la lutte contre la spéculation financière);
— l'ensemble des informations concernant le montant, la nature et l'affectation des fonds octroyés par la Belgique au Fonds et à la Banque, afin de renforcer la transparence des flux financiers entre les IFI et la Belgique.
25. de faciliter l'audition annuelle par le Parlement des représentants de la Belgique au sein de ces institutions, dans la foulée de la présentation du rapport précité par les ministres compétents,
26. de prendre les dispositions nécessaires afin que le Parlement soit étroitement associé à la procédure de nomination des représentants belges auprès du FMI et de la Banque mondiale, lorsque le point est présenté au Conseil des ministres par les ministres compétents,
27. de présenter en la personne du ministre de la Coopération au Développement au Parlement un rapport annuel comprenant une étude de l'impact socioéconomique des mesures macroéconomiques et d'ajustement structurel contenues dans les DSRP et FRPC qui sont appliquées dans les pays partenaires de la coopération belge,
En ce qui concerne la tutelle de l'administrateur belge auprès de la Banque mondiale et du FMI
28. de maintenir la tutelle principale de l'administrateur belge auprès du FMI au SPF Finances, mais de confier la tutelle principale de l'administrateur belge auprès de la Banque mondiale au SPF Coopération au Développement, qui est le seul à disposer d'un personnel spécialisé dans les projets et programmes de développement.
12 octobre 2006.
Pierre GALAND Olga ZRIHEN. |
(1) La Banque mondiale se compose de deux organismes de développement distincts: la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l'Association internationale de développement (IDA). La BIRD s'occupe des pays à revenu intermédiaire et des pays pauvres solvables, alors que l'IDA se consacre aux pays les plus pauvres de la planète.
(2) Banque mondiale, World development Indicators, éditions 2002 et 2003; PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Economica, Paris, 2003.
(3) Sixtine Léon-Dufour, Le Figaro, 19 juin 2002.
(4) La Banque mondiale affirme en effet que le nombre d'indigents dans l'ex-bloc soviétique est passé de 6 millions en 1990 à 26 millions en 1999 (ce qui représente une augmentation de 400 %).
(5) UNDP, Human Development Report, Oxford University Press, 2002.
(6) http://www.imf.org/External/NP/ieo/2004/prspprgf/ eng/report.pdf; http://lnweb18.worldbank.org/oed/oeddoclib.nsf/24cc3bb1f94ae11c85256808006a0046/ 6b5669f816a60aaf85256ec1006346ac/$FILE/ PRSP_Évaluation.pdf
(7) UNCTAD, Trade and development, 1999.
(8) http://www.worldbank.org/ieg/trade/docs/press_release_ trade_evaluation.pdf
(9) Un directoire monétaire est une institution indépendante du politique chargée de garantir que la monnaie nationale soit a) convertible selon la demande et sans limite en une monnaie étrangère de réserve à b) un taux de change fixe.
(10) Bruno, M. (1995), « Does inflation really lower growth ? », Finance and Development, 32 3), septembre: 35-8.
(11) Campbell-White O., A. Bhatia (1998), Privatization in Africa, IBRD Washington D.C.
(12) Cette déclaration, adoptée la 10 mai 1944, redéfinit les buts et objectifs de l'Organisation internationale du travail (OIT) en énonçant notamment les principes suivants: (a) le travail n'est pas une marchandise; (b) la liberté d'expression et d'association est une condition indispensable d'un progrès continu; (c) la pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous; (d) tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales.
(13) Octroi de prêts pour financer la sortie massive de capitaux.
(14) ONU-CDH, Allègement de la dette et investissement local: coordination entre l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), Rapport commun de Ronaldo Figueredo (Rapporteur spécial) et de Fantu Cheru, (Expert indépendant), 14 janvier 2000, E/CN.4/2000/51, paragraphe 1.
(15) Des systèmes de parités fixes ou ajustables font référence à une situation où la valeur d'une monnaie est déterminée par le gouvernement (taux fixés) ou peut fluctuer seulement à l'intérieur d'une marge de fluctuation très étroite. Le régime de parité à crémaillère, glissante (« crawling peg ») se réfère à la situation où la marge à l'intérieur de laquelle une monnaie peut fluctuer est ajustée suivant des changements liés à la conjoncture économique — tels que des changements dans le taux d'inflation.
(16) Le travail décent étant entendu comme le travail librement choisi, qui s'exerce dans des conditions qui respectent les droits et la dignité des travailleurs, tels que consacrés dans les Conventions de l'OIT, et qui fait du travailleur un acteur de l'économie au service de l'humanité, et non plus un simple facteur de production.
(17) AKYÜZ, Yilmaz, (2005), « Reforming the IMF: back to the drawing board », G-24 Discussion Paper Series, N0. 38, UNCTAD.
(18) Cette procédure serait similaire aux closes de sauvegarde de l'OMC qui permettent aux pays membres de suspendre leurs obligations lorsqu'ils font face à des difficultés de balance des paiements.
(19) Conformément aux dispositions de la loi « instaurant une taxe sur les opérations de change de devises, de billets de banque et de monnaies » adoptée par la Chambre en juillet 2003.
(20) Afrique du Sud, Algérie, Bénin, Bolivie, Burundi, RD Congo, Équateur, Mali, Maroc, Mozambique, Niger, Ouganda, Palestine, Pérou, Rwanda, Sénégal, Tanzanie, Vietnam.