3-1653/4

3-1653/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

4 MAI 2006


Proposition de résolution relative à l'étude menée par le Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES), intitulée: « Les autorités belges, la persécution et la déportation des Juifs »

Les autorités belges, la persécution et la déportation des Juifs — Rapport intermédiaire du Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) — Septembre 2005


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR

MM. LIONEL VANDENBERGHE ET JEAN-MARIE HAPPART


SOMMAIRE

  • I. Introduction
  • A. Objet
  • B. Procédure
  • II. Présentation du rapport intermédiaire du CEGES
  • A. Introduction par M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES
  • B. Les sources, par M. Emmanuel Debruyne, membre de l'équipe de recherche
  • C. Répartition des tâches et état d'avancement de l'étude, par M. Nico Wouters, membre de l'équipe de recherche
  • D. Échange d'idées
  • 1. Questions et observations
  • 2. Réponses et répliques
  • III. Avant-projet de résolution
  • A. Texte de l'avant-projet
  • B. Procédure
  • C. Discussion
  • IV. Politique des archives en Belgique
  • A. Exposé de M. Karel Velle, Archiviste général du Royaume
  • 1. Introduction
  • 2. Importance des archives
  • 3. Mission des Archives de l'État
  • 4. Moyens des Archives de l'État
  • 5. Points forts et faiblesses des Archives de l'État
  • 6. Vision d'avenir positive et réaction au rapport intermédiaire du CEGES
  • B. Échange de vues
  • 1. Questions et remarques
  • 2. Réponses de M. Karel Velle, Archiviste général du Royaume
  • 2.1. Compétence
  • 2.2. Archives des services politiques
  • 2.3. Archives judiciaires
  • 2.4. Archives de l'Église
  • 2.5. Sélection et destruction des archives
  • 2.6. Numérisation des archives
  • 2.7. Responsabilité de la destruction des archives concernant la période 1939-1945
  • 2.8. Propriété des archives publiques
  • 2.9. Publicité, consultabilité et accessibilité des archives
  • 2.10. Archives des cabinets ministériels
  • 2.11. Les archives personnelles du roi Léopold II et les archives de l'État libre du Congo
  • 2.12. Prix de revient des archives
  • 2.13. Modification de la loi relative aux archives
  • 2.14. Réaction aux critiques du CEGES
  • 3. Répliques
  • V. Discussion de la proposition de résolution et vote

  • I. INTRODUCTION

    A. Objet

    En septembre 2005, le Centre d'études et de documentation guerre et sociétés contemporaines (CEGES) a publié un rapport intermédiaire intitulé « Les autorités belges, la persécution et la déportation des Juifs » (1) .

    En publiant ce rapport, le CEGES concrétisait une partie de la résolution adoptée par le Sénat le 13 février 2003 (voir doc. Sénat nº 2-1311/1-4 et Annales, 13 février 2003).

    Le point central de cette résolution était la demande du Sénat « au gouvernement de confier au Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) la réalisation d'une étude scientifique sur la participation éventuelle d'autorités belges à l'identification, aux persécutions et à la déportation des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, et de mettre, pour ce faire, les moyens nécessaires à la disposition du CEGES. Le but de cette étude est d'obtenir, dans un délai de deux ans, une connaissance détaillée des faits et de leur contexte, même si ceux-ci concernent les périodes d'avant-guerre et d'après-guerre. À cette fin, le CEGES devra notamment établir les principaux faits susceptibles d'éclairer l'attitude des autorités belges concernant les événements suivants:

    a) le déplacement dès le 10 mai 1940 d'un nombre important de Juifs étrangers vers la France;

    b) l'application des ordonnances de l'autorité occupante concernant les Juifs;

    c) la constitution d'un registre de Juifs;

    d) la distribution et le port de l'étoile jaune;

    e) les concentrations et déportations de Juifs;

    f) la manière dont cette participation éventuelle a été prise en compte durant la répression d'après-guerre.

    Cette étude portera notamment aussi bien sur l'attitude du gouvernement en exil à Londres, que sur celle des secrétaires généraux, des services de l'administration centrale, des autorités judiciaires et des autorités provinciales et communales.

    Dans la même résolution, le Sénat « demande au CEGES, nonobstant son droit de saisir, à tout moment, le Sénat des problèmes qu'il rencontre dans ses recherches, de présenter au terme d'un délai d'un an, à cette assemblée, un rapport sur l'état d'avancement de ses travaux ».

    Étant donné que le CEGES a entamé son étude le 1er septembre 2004, il a satisfait à cette demande en déposant son rapport intermédiaire de septembre 2005.

    B. Procédure

    Étant donné que l'initiative concernant l'étude du CEGES a été discutée à l'origine au sein de la commission des Affaires institutionnelles, cette dernière a décidé d'examiner plus avant le rapport intermédiaire.

    À cet effet, elle a, après une réunion préliminaire tenue le 17 novembre 2005, invité M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES, et son équipe de recherche à présenter le rapport intermédiaire le 13 décembre 2005 (Chapitre II).

    À la suite de cette audition, MM. Alain Destexhe et Philippe Mahoux ont rédigé un avant-projet de résolution dont la commission a débattu le 9 février 2006 (Chapitre III).

    Sur la base de cet échange de vues, ces deux sénateurs ont adapté l'avant-projet et, conformément à l'article 56 du règlement du Sénat, l'ont présenté sous forme de proposition de résolution (doc. Sénat nº 3-1653/1).

    Étant donné que le rapport intermédiaire contient également un certain nombre de constatations critiques relatives à la gestion des archives en Belgique, la commission a reçu en audience, le 27 avril 2006, M. Karel Velle, Archiviste général du Royaume (Chapitre IV).

    Le 4 mai 2006 enfin, la commission a discuté de la proposition de résolution, en présence de MM. Van Doorslaer et Velle, et l'a approuvée après l'avoir amendée (Chapitre V).

    II. PRÉSENTATION DU RAPPORT INTERMÉDIAIRE DU CEGES

    Le 13 décembre 2005, la commission a reçu en audience l'équipe de recherche du CEGES, composée comme suit:

    — M. Rudi Van Doorslaer, directeur;

    — M. Michaël Amara;

    — M. Emmanuel Debruyne;

    — M. Frank Seberechts;

    — M. Nico Wouters.

    A. Introduction par M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES

    C'est un privilège pour le CEGES que d'avoir l'occasion de présenter à la commission des Affaires institutionnelles le rapport d'activité de son équipe de recherche au cours de la période s'étendant du 1er septembre 2004 au 31 août 2005, dans le cadre de l'étude historique que le gouvernement belge a confiée au Centre, à la demande du Sénat. La résolution prise dans ce sens par le Sénat le 13 février 2003 trouve son origine dans une proposition initiée par MM. les sénateurs Alain Destexhe et Philippe Mahoux au sein de cette même commission.

    1. Préparation

    Une étude de cette ampleur exige une préparation rigoureuse. C'est la raison pour laquelle le CEGES a établi une liste des priorités énumérant les tâches nécessaires pour garantir le bon déroulement de l'étude. Cette liste contenait les points suivants:

    — le recrutement de chercheurs compétents;

    — la création d'un comité d'accompagnement réunissant des experts belges et étrangers, avec pour mission de contrôler la qualité de l'étude;

    — l'établissement d'un plan d'étude;

    — la répartition des tâches entre les différents chercheurs.

    1.1. Membres de l'équipe de recherche

    Sur la base des crédits mis à disposition, quatre historiens, docteurs ou doctorants ont été recrutés, à savoir:

    — M. Michaël Amara, qui prépare un doctorat à l'Université Libre de Bruxelles sur les réfugiés belges pendant la Première Guerre mondiale;

    — M. Emmanuel Debruyne, qui prépare un doctorat à l'Université Catholique de Louvain sur les services de renseignement à Londres et en Belgique au cours de la Deuxième Guerre mondiale (2) ;

    — M. Frank Seberechts, docteur en histoire de l'Universiteit Gent et spécialiste de l'histoire de la collaboration pendant la Deuxième guerre mondiale;

    — M. Nico Wouters, qui a été reçu au grade de docteur en histoire à l'Universiteit Gent sur une thèse consacrée aux bourgmestres de la guerre en Belgique, aux Pays-Bas et dans le Nord de la France au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

    1.2. Le comité d'accompagnement

    Le comité d'accompagnement se compose d'experts belges et étrangers (cf. rapport intermédiaire, page 8). Le professeur Maxime Steinberg, le plus grand expert en matière d'histoire de la persécution et de la déportation des Juifs en Belgique, a décliné l'invitation à participer au comité d'accompagnement (Ibidem, page 106).

    1.3. Plan d'étude

    L'équipe de recherche et le comité d'accompagnement ont établi ensemble un plan d'étude intégralement repris dans le rapport (pages 9-12). Il démontre la ferme volonté de réaliser une étude approfondie et de grande ampleur. C'est la raison pour laquelle l'attention ne s'est pas portée exclusivement sur l'occupation en Belgique. Les périodes de l'avant-guerre et les journées de mai 1940 seront également évoquées, de même que la situation de l'après-guerre. En ce qui concerne ce dernier point, nous nous arrêtons d'abord sur le rôle qu'ont joué la persécution et la déportation des Juifs sur la répression de l'incivisme. Ensuite, le rapport analyse la question de savoir si les victimes de la déportation ont été reconnues en tant que telles par l'État belge et ont pu réclamer la restitution de leurs biens ou une indemnisation pour le dommage subi. La dernière partie de l'étude concerne l'attitude des autorités belges en Grande-Bretagne et au Congo belge.

    1.4. Répartition des tâches et organisation de l'étude

    Ce thème sera traité par M. Nico Wouters (voir C).

    2. Nature du rapport intermédiaire

    Le rapport intermédiaire contient, outre la description des aspects formels mentionnés ci-dessus, cinq textes thématiques. Ces derniers ne doivent en aucun cas être considérés comme préfigurant le rapport final. Ils sont à envisager pour eux-mêmes et ne sont pas resitués dans un contexte global, lequel sera présenté dans le rapport final.

    B. Les sources, par M. Emmanuel Debruyne, membre de l'équipe de recherche

    Une des premières tâches de l'équipe de recherche était de prendre contact avec les différents dépositaires des archives qu'elle serait amenée à consulter.

    Une quarantaine de demandes d'accès aux archives a été adressée aux institutions chargées de la conservation d'archives publiques et privées ainsi qu'aux services publics fédéraux, parquets, autorités communales et personnes privées. Rendez-vous a également été pris, fin 2004, avec l'Archiviste général du Royaume f.f., M. Herman Coppens, le magistrat délégué à la Cour d'Appel de Bruxelles, M. Luc De Vidts, et le Premier avocat général près la Cour de cassation, M. Jean-François Leclercq, afin de régler les modalités pratiques d'accès aux archives conservées au sein de leurs services. Ces pourparlers ont permis d'organiser une mise à disposition rapide des archives conservées à l'ancien Auditorat général et au Parquet près la Cour de Cassation ainsi que des fonds non inventoriés déposés aux Archives générales du Royaume (AGR).

    Dans le même temps, l'équipe de recherche a noué des contacts avec les archivistes de diverses institutions, ce qui lui a permis d'accéder rapidement à un certain nombre de fonds importants. Les recherches menées entre autres aux SPF Affaires étrangères et Justice, au Centre de Documentation historique de l'Armée, au KADOC, à l'AMVC, à la Croix-Rouge de Belgique, au Service des Victimes de la Guerre, au sein des administrations provinciales flamandes, des dépôts des Archives de l'État en province et à l'Auditorat se sont révélées particulièrement utiles et n'ont posé aucun problème. Il nous semble important d'insister sur l'excellent accueil dont ont bénéficié la plupart du temps les différents membres de l'équipe de recherche.

    Globalement, l'équipe de recherche n'a pas eu à se plaindre d'obstructions destinées à empêcher l'accès à certaines archives. L'article 2 de la loi du 8 mai 2003, invoqué à l'appui des demandes de l'équipe de recherche, est rédigé en des termes suffisamment clairs pour éviter que des administrations ne se retranchent derrière des arguments tels que le respect de la vie privée. Tout au plus s'est-elle parfois trouvée confrontée à une série de lourdeurs administratives inhérentes à la gestion des archives au sein d'organismes publics peu habitués à ouvrir leurs portes à des historiens, comme dans le cas de la Police fédérale.

    Par contre, l'équipe de recherche a été confrontée à trois difficultés nettement plus épineuses: les archives manquantes, les archives non inventoriées et, surtout, les archives détruites.

    1. Archives manquantes

    Le cas d'archives inventoriées mais non retrouvées est relativement rare. Il concerne pour l'essentiel certaines pièces de l'Auditorat.

    Il faut surtout déplorer l'absence d'un important dossier intitulé « Persécutions antisémitiques en Belgique (1940-1945) ». Constitué après-guerre par l'Auditeur général, il contient probablement des informations essentielles dans le cadre des recherches du CEGES. D'autres pièces relatives à la problématique juive, censées être conservées dans les archives de l'Auditorat versées au CEGES, se sont révélées manquantes.

    2. Archives non inventoriées

    Le problème s'est posé aux AGR, pour des fonds bien conservés, mais très volumineux. L'exploitation d'un fonds constitué de plusieurs centaines de mètres courants sans le moindre inventaire est pour ainsi dire impossible. L'absence d'inventaire constitue donc un problème majeur qui n'a cessé de compliquer les recherches du CEGES et a largement contribué à ralentir nos travaux.

    Ainsi, aux Archives générales du Royaume, aucun instrument de recherche n'existe pour une série de fonds d'une grande importance: archives des SPF Intérieur, Finances, l'Éducation nationale et Culture, Affaires économiques et de la Centrale des Diamants, des Textiles et du Cuir.

    3. Archives détruites

    La prospection intensive menée tous azimuts durant les premiers mois de la mission a amené l'équipe de recherche à dresser un tableau calamiteux d'une gestion des archives publiques inégale et souvent inefficace, voire inexistante.

    Le bon état de conservation des archives provinciales déposées à Bruges, Gand, Anvers ou Hasselt tranche singulièrement avec les carences rencontrées dans les archives provinciales wallonnes.

    La situation est tout aussi contrastée au niveau communal. Les dépôts des Villes de Bruxelles et d'Anvers et la bonne organisation des archives de communes telles que Genk ou Overpelt ont permis à l'équipe de recherche d'accéder rapidement aux documents les plus importants. Mais dans la plupart des communes bruxelloises, à Malines, à Hasselt ou à Charleroi, les archives n'ont jamais fait l'objet d'un inventoriage systématique. Le dépôt des Archives communales de la Ville de Charleroi est sans doute l'exemple le plus frappant d'une gestion chaotique des archives. En région bruxelloise, la nomination d'historiens-archivistes dans des communes telles qu'Anderlecht, Ixelles ou Molenbeek-Saint-Jean permet d'entrevoir une amélioration de la situation. Malheureusement, celle-ci arrive trop tard. Le désintérêt des autorités a entraîné la destruction massive de documents couvrant les années 1930 à 1950.

    La situation prévalant dans de nombreux parquets appelle un constat souvent alarmant. En cette matière aussi, le clivage entre le Nord et le Sud du pays est profond. À ce jour, les archives des parquets d'Anvers, de Malines, de Louvain ou de Gand sont en grande partie ouvertes à la recherche et, dans le cas contraire, la grande compétence du personnel des Archives de l'État de Beveren a permis aux chercheurs d'avoir facilement accès aux documents les plus intéressants.

    Cette situation — le versement des archives mortes dans les mains d'archivistes compétents — tranche avec la situation catastrophique prévalant dans les parquets de Bruxelles et de Wallonie. A Liège ou à Charleroi, le versement des archives datant des années 30 à 50 vers les Archives de l'État n'a eu lieu que récemment, avec apparemment comme seul souci de dégager de l'espace. L'inventoriage de ces documents apparaît rarement comme une priorité pour des archivistes en sous-effectif chronique, ce qui laisse comme seule possibilité au chercheur de s'abandonner au hasard des coups de sonde.

    À Bruxelles, les archives du Parquet général et du Parquet du Tribunal de Première Instance sont conservées, en partie, pour une période allant jusqu'au début des années 30. Ensuite, plus rien (ou presque). Pour Bruxelles, il est d'usage d'évoquer l'incendie du Palais de Justice, en 1944, pour expliquer les dégâts occasionnés aux archives. Or, les archives du Parquet de Bruxelles ne furent touchées que partiellement par cet événement et une grande partie de la correspondance de guerre du Procureur général de Bruxelles fut reconstituée dès 1945 via les autres parquets. Il ne fait aucun doute que la destruction des archives judiciaires bruxelloises de la période de guerre fut largement postérieure à 1944.

    Les archives des polices locales ont été l'objet de destructions particulièrement importantes, parfois très récemment à l'occasion de travaux de rénovation de bâtiments communaux. La réforme des polices et les déménagements qu'elle imposa au sein des brigades locales de gendarmerie et de police judiciaire provoquèrent également d'irrémédiables dégâts. Malgré l'activité de l'ancien directeur du Centre d'histoire de la gendarmerie et de quelques archivistes locaux, qui permirent la sauvegarde de documents épars, la plus grande partie des archives a été détruite. Les pertes les plus préjudiciables semblent s'être produites au niveau du Commissariat central de la Police judiciaire à Bruxelles, où des milliers de PV dressés par les agents de la Sûreté de l'État et une partie des pièces saisies dans l'immédiat après-guerre ont disparu progressivement au fil des déménagements et des destructions justifiées par l'exiguïté des locaux du Palais de Justice.

    4. Conclusion

    Il va de soi que l'état des archives affecte largement celui de la recherche. Les difficultés liées au non-inventoriage empêchent bien souvent l'accès à des documents dont la présence est ignorée. Pire, la destruction de pans entiers de notre patrimoine archivistique empêchera à jamais de répondre à une série de questions que soulève cette recherche, ou que ne manqueront pas de soulever de futures études.

    La gestion calamiteuse des archives dans ce pays empêchera donc inévitablement cette étude d'atteindre l'ensemble de ses objectifs. D'une manière plus générale, ces décennies de négligence constituent une faille grave dans le fonctionnement d'un État moderne et démocratique.


    M. Van Doorslaer souligne que le caractère incomplet des sources influencera inévitablement le résultat final de l'étude. Ce fait devra par conséquent être mentionné explicitement dans le rapport final (rapport intermédiaire, page 5). L'importance de la question peut être illustrée par la référence explicite, dans la résolution adoptée par le Sénat le 13 février 2003, à la collaboration des agents de police belges aux razzias d'Anvers, en été 1942 (op.cit., p. 102, lettre E). On ne peut juger la collaboration de la police communale d'Anvers de manière équitable et correcte qu'en la comparant avec l'intervention des services de police des autres régions et villes. Cela suppose que le même type de source soit présent et aussi exhaustif partout. C'est souvent là que le bât blesse. Il était donc important, dans le rapport intermédiaire, de mettre l'accent sur la problématique des sources.

    Ces constatations peuvent avoir une connotation négative, mais elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme une critique à l'adresse des Archives générales du Royaume. Durant ces dernières décennies, cette institution ne disposait que de trop peu de moyens pour se consacrer à l'archivage de matériels contemporains. Depuis la nomination de M. Karel Velle au poste d'Archiviste général du Royaume, un vent nouveau s'est mis à souffler. On peut donc espérer une amélioration de l'état calamiteux dans lequel se trouve aujourd'hui encore un grand nombre d'archives contemporaines.


    À cet égard, M. Lionel Vandenberghe déclare, en sa qualité de rapporteur, avoir reçu une lettre de l'Archiviste général du Royaume, M. Velle, invitant à un échange de vues sur cette problématique. Sans vouloir mettre la charrue avant les bœufs, il est clair qu'il va falloir investir dans une politique d'archives digne de ce nom. Peut-être pourrait-on entendre à ce sujet le ministre compétent, M. Verwilghen.

    La présidente, Mme Lizin, propose de saisir la balle au bond. Les carences constatées par le CEGES sont inadmissibles dans un État de droit et sont le signe d'un manque flagrant de sensibilisation historique.

    Le Sénat s'efforce de réagir contre cet état de choses. C'est la raison pour laquelle cette assemblée contribue à un projet visant à rendre accessibles les archives du service public fédéral Affaires étrangères. Le Sénat a ouvert ses propres archives pour les besoins de l'étude.

    C. Répartition des tâches et état d'avancement de l'étude, par M. Nico Wouters, membre de l'équipe de recherche

    Pour l'organisation et l'exécution concrètes de l'étude, l'équipe de recherche a divisé celle-ci en quatre volets plus ou moins homogènes. Ces volets se composent de thèmes interdépendants. Les quatre parties ont été réparties entre les quatre chercheurs.

    Bref aperçu:

    1. Le premier grand volet d'études est confié à Emmanuel Debruyne. Son sujet est le suivant:

    Les arrestations de mai 1940 (au cours desquelles de nombreux Juifs non belges ont été arrêtés par les autorités belges sous prétexte qu'ils étaient des éléments dangereux pour l'État et ont été déportés, notamment vers la France). Les autorités belges à l'étranger. Il s'agit ici de l'attitude adoptée par le gouvernement belge à Londres, avec des questions comme: de quelles informations le gouvernement belge disposait-il sur la persécution des Juifs et plus tard sur leur déportation, et quels efforts les membres du gouvernement ont-ils entrepris pour donner des instructions aux autorités belges en Belgique occupée ou éventuellement pour sauver des Juifs en Belgique ?

    2. Le deuxième grand volet de l'étude est confié à Michaël Amara. Ce volet traite de la magistrature, de l'appareil judiciaire et du ministère de la justice, des services d'ordre (gendarmerie et police), mais également de la police judiciaire, de la police des étrangers, de l'administration pénitentiaire et du service des cultes ainsi que l'exclusion des fonctionnaires juifs. L'une des questions essentielles dans cette partie est le comportement des services d'ordre belges vis-à-vis des directives allemandes de procéder à l'arrestation des Juifs.

    3. Le troisième grand volet de l'étude englobe le vaste domaine de toutes les matières socioéconomiques ainsi que l'enseignement et la culture. Ce champ d'étude a été confié à Frank Seberechts.

    Le domaine socioéconomique concerne tout d'abord toutes les administrations qui relevaient des ministères des Affaires économiques et des Finances. Le domaine comprend un très large éventail de sujets concrets, comme l'exclusion des Juifs de la vie économique, la spoliation des biens juifs et le travail obligatoire des Juifs. Sur ce dernier point, l'attitude des fonctionnaires belges de l'administration du travail est cruciale.

    Le soutien social des autorités belges aux Juifs, par le biais des commissions d'assistance publique et de l'accueil juif, en collaboration avec l'Association des Juifs de Belgique fondée sur l'ordre des Allemands, constitue un autre sujet important.

    À ce volet appartient aussi la gestion du registre des Juifs par les communes belges.

    Quant au thème de la culture, on évoquera l'exclusion des Juifs de toute la vie culturelle. La partie la plus importante concerne l'enseignement et l'exclusion des enfants juifs de celui-ci, que nous examinerons surtout pour ce qui concerne l'enseignement officiel. Cette partie comporte des sujets nombreux et divers comme par exemple, le rôle joué par la SNCB dans la déportation des Juifs vers l'Allemagne.

    4. Le dernier volet concerne la période de l'après-guerre. Il a été confié à Nico Wouters.

    Ce volet s'articule sur deux parties importantes: la répression, après la guerre, de tous les faits liés à la persécution des Juifs et à la reconnaissance des victimes juives ainsi que leur éventuelle réhabilitation. En ce qui concerne la répression, il s'agira de voir de quelle manière le tribunal militaire belge et le gouvernement ont traité, après l'occupation, trois catégories d'auteurs: 1) les représentants belges de l'autorité ayant exécuté les ordonnances des Allemands concernant les Juifs, 2) les collaborateurs politiques spécifiques et 3) les criminels de guerre allemands spécifiques. En ce qui concerne la reconnaissance, il s'agit de la reconnaissance de la qualité de victime juive par le biais de statuts déterminés de reconnaissance, de la réparation juridique de certains faits abusifs (comme la spoliation des biens) et de l'aide apportée aux réfugiés juifs.

    Dans ce cadre, une attention particulière sera consacrée à certaines autorités particulières qui ne relèvent pas des thèmes précités. Nous pensons par exemple au rôle de la Maison royale.

    État d'avancement

    Au cours de leur étude, les quatre chercheurs ont découvert de grandes lacunes dans leurs connaissances. Sur bien des choses, ils ne savaient absolument rien. Pour certains thèmes, cela ne posera pas de problème. Lorsqu'il existe des archives, l'étude nous a déjà appris de nombreuses choses inédites. Pensons par exemple au gouvernement belge à l'étranger, au rôle de la police des étrangers et de l'administration pénitentiaire, à l'enseignement et à la répression d'après-guerre. Le rapport final contiendra, à cet égard, beaucoup d'informations totalement nouvelles. Par contre, d'autres lacunes ne pourront pas être comblées ou ne pourront l'être que difficilement; cela sera le cas, en particulier, pour la magistrature et la gendarmerie.

    Il reste une importante observation finale à faire: le rapport final du CEGES ne fournira pas seulement beaucoup de faits nouveaux. Dans le rapport final, les chercheurs replaceront la persécution des Juifs dans un contexte plus large. Par contexte plus large, il faut entendre: 1) le contexte général de l'occupation et 2) le contexte à plus long terme.

    Cette mise en contexte constituera l'un des principaux objectifs du rapport final. Jusqu'à présent, la persécution des Juifs a toujours été considérée comme un phénomène à part et isolé. Or, l'attitude adoptée par les autorités belges vis-à-vis des différents aspects de la persécution des Juifs ne se situe pas dans une sorte de vide. L'attitude des autorités belges vis-à-vis de la persécution des Juifs a été influencée par un grand nombre d'autres facteurs qui n'étaient pas directement liés en soi à la persécution des Juifs. Il est nécessaire de faire entrer également ces facteurs en ligne de compte. Cela fait partie d'une évaluation générale de la politique dite du moindre mal ou politique d'adaptation et de coopération avec l'occupant allemand que les autorités belges ont adoptée sous l'occupation. Le deuxième élément du contexte plus large est le contexte à plus long terme. Celui-ci est surtout lié au fonctionnement à plus long terme de certaines autorités (comme les tribunaux ou la police communale) et à l'influence qu'a pu avoir la culture administrative de certaines autorités sur le comportement à l'égard de la persécution des Juifs, dans le cadre spécifique de l'occupation. C'est la cas par exemple de l'attitude de l'État belge au cours des années 1920 et surtout 1930 à l'égard des étrangers et des réfugiés ou encore de la culture administrative dans laquelle la police communale travaillait pendant les années 20 et 30.

    D. Échange d'idées

    1. Questions et observations

    M. Lionel Vandenberghe déclare avoir lu avec beaucoup d'intérêt le rapport intermédiaire. Il attend impatiemment le rapport final, en particulier la description du contexte global dans lequel se sont déroulées la persécution et la déportation des Juifs. Un point qui l'intrigue est celui des arrestations de suspects et de ressortissants de puissances ennemies en mai 1940 ainsi que l'incident sanglant d'Abbeville (France).

    M. Philippe Mahoux retient des commentaires les trois éléments suivants: (1) le délai dans lequel le CEGES doit terminer son rapport, qui vient à échéance le 31 août 2006 et n'est vraisemblablement plus tenable, (2) les obstacles qui sont apparus pour la consultation de certaines archives et (3) l'état de certaines archives non inventoriées.

    Compte tenu de ces éléments, il se pose la question méthodologique de savoir si le CEGES défend une approche générale de la problématique sur la base d'une étude transversale des archives ou plutôt une approche casuistique dans laquelle on part de dossiers spécifiques et concrets que l'on exploite totalement pour tenter d'arriver à des conclusions générales.

    Une étude de cas telle que celle-là pourrait par exemple être consacrée au sort des cobayes de Struthof.

    Ces deux personnes, dont l'identité n'a pu être déterminée que récemment, se trouvaient à bord du 20e convoi qui, le 19 avril 1943, peu après son départ de la caserne Dossin à Malines, a été attaqué par trois résistants à Boortmeerbeek. Un certain nombre de déportés ont pu s'échapper grâce à cette opération. La majorité d'entre eux a toutefois été déportée dans les camps de concentration. Deux d'entre eux ont abouti au camp de concentration de Struthof (Strasbourg) où ils ont été victimes d'expériences médicales.

    M. Mahoux aimerait savoir si le CEGES peut réaliser une reconstruction précise de ce qui est arrivé à ces deux personnes. Il ne s'agit pas seulement de reconstituer ce qui s'est passé entre leur arrestation et leur décès mais également de répondre à des questions comme celles-ci: Qui les a arrêtées ? Qu'est-ce qui a mené à leur arrestation ? Dans quelle mesure les autorités belges étaient-elles impliquées ? Etc.

    Le CEGES a-t-il l'intention de réaliser de telles études de cas à titre de pars pro toto ou le centre opte-t-il plutôt pour une approche « topdown » ?

    M. Alain Destexhe voudrait savoir si le CEGES dispose de suffisamment de moyens en personnel et de ressources financières pour terminer l'étude conformément à la mission définie par le Sénat.

    M. Hugo Vandenberghe déclare que la lecture du rapport intermédiaire l'a laissé quelque peu sur sa faim parce que l'une des questions cruciales, à savoir l'implication de la magistrature, n'a pas été suffisamment abordée, à son avis. Il est vrai que la police a arrêté des Juifs, mais le parquet et la magistrature assise ont également joué un rôle non négligeable. Il ressort en effet des explications données par les membres de l'équipe de recherche que les archives judiciaires ne sont pas complètes partout. Ainsi, les archives des parquets d'Anvers, Malines, Louvain et Gand sont largement ouvertes à la recherche. Cette situation contraste singulièrement avec la situation catastrophique qui règne dans les parquets de Bruxelles et de Wallonie. Soit les archives y ont été perdues, soit elles y ont été détruites. Pour Bruxelles, on invoque évidemment l'incendie du palais de justice de 1944. À cet égard, le rapport intermédiaire précise « qu'il ne fait aucun doute que la destruction des archives judiciaires bruxelloises de la période de guerre fut largement postérieure à 1944. » (op.cit. p. 30). Pourtant, les parquets sont légalement obligés de conserver tous les dossiers. Celui que la chose intéresse peut par exemple encore prendre connaissance d'un jugement du juge de paix de Louvain datant de 1888.

    L'étude du CEGES se heurte donc à un problème majeur. Les dossiers du parquet et du parquet général de Bruxelles qui, du fait de leur localisation ont été les instances les plus importantes en ce qui concerne la politique de persécution au cours de la Seconde Guerre mondiale, ne peuvent en effet plus être consultés.

    C'est la raison pour laquelle il faudrait commencer par établir par qui ces dossiers ont été détruits, pour quelles raisons et à quel moment ils l'ont été.

    D'autre part, cette situation a des conséquences politiques. Une recherche sur le comportement de la magistrature belge au cours de la Seconde Guerre mondiale en matière de persécution des Juifs ne pourra de facto être menée à bien que si l'on peut consulter les dossiers judiciaires. Étant donné que ceux-ci ne sont présents que dans les archives des parquets du Nord du pays, l'étude restera forcément limitée à l'attitude de quelques magistrats flamands. Dans l'opinion publique flamande, la situation sera donc perçue comme très problématique si l'on dépose des propositions de résolution dans lesquelles la responsabilité éventuelle de la magistrature dans la persécution des Juifs devait ne concerner que des magistrats flamands.

    Mme Lizin a été frappée à la lecture du rapport intermédiaire par la situation désastreuse des archives des services de police: « Au point de vue des archives policières, là où de rares documents anciens existaient encore, la réforme des polices et les déménagements qu'elle imposa au sein des brigades locales de gendarmerie et de police judiciaire provoquèrent d'irrémédiables dégâts » (op.cit. p. 30). Elle pense comme M. Vandenberghe qui estime qu'une telle manière façon d'agir est inacceptables. L'argument de la récente réforme des polices est trop facile. Ce n'est tout de même pas un hasard si les archives de la police, en particulier celles de la gendarmerie et de la police judiciaire, ont disparu. Elle adhère donc à la proposition d'approfondir cette question.

    En ce qui concerne la police communale, elle rappelle que celle-ci relevait de la compétence du bourgmestre. La relation entre ces deux instances mérite par conséquent également d'être analysée. Il serait par ailleurs intéressant que les communes elles-mêmes fassent réaliser une recherche sur la base de leurs propres archives.

    M. Mahoux souhaite savoir si le CEGES considère les explications concernant la disparition des archives comme définitives ou s'il compte mener de plus amples investigations sur cette question.

    Conformément à l'article 3 de la loi du 8 mai 2003 relative à la réalisation d'une étude scientifique sur les persécutions et la déportation des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, telle qu'elle a été modifiée par la loi-programme du 9 juillet 2004, le délai de l'étude du CEGES vient à échéance le 31 août 2006.

    Vu l'agenda politique de l'automne 2006, avec les élections communales et les problèmes qu'a rencontrés le CEGES par rapport aux archives, Mme Lizin estime qu'il serait peut-être judicieux de prolonger le délai de l'étude jusqu'à novembre 2006, par exemple.

    2. Réponses et répliques

    2.1. Méthodologie

    M. Van Doorslaer déclare que la mission de recherche confiée au CEGES est considérable. Le Centre a choisi, pour cette raison, l'approche institutionnelle. Cela veut dire que l'équipe de recherche mène l'étude au moyen des archives des autorités concernées. Ce mode de travail n'exclut pas que certains dossiers concrets apparaissent. Il ne faut pas oublier qu'en Belgique environ 30 000 Juifs ont été déportés pendant la Second Guerre mondiale. Il est impossible de rédiger une biographie collective englobant toutes ces victimes.

    Si le Sénat souhaite également que des dossiers spécifiques, comme celui des cobayes de Strasbourg soient analysés de plus près, le CEGES répondra à cette demande. À défaut d'une telle demande, il se pourrait que cette question ne se retrouve pas dans le rapport final comme un d'exemple de l'attitude prise par les autorités belges.

    M. Philippe Mahoux déclare que la stratégie d'étude choisie par le CEGES doit tout de même être validée par des exemples. Les conclusions que le CEGES formulera sur la base d'une étude générale des archives doivent tout de même être étayées par l'examen de cas concrets. Et dans cette optique, on pourrait penser au calvaire des deux déportés qui sont décédés après avoir servi de cobayes au camp de concentration de Strasbourg. Le récit de leur sort et de l'éventuelle implication des autorités belges dans celui-ci ne pourrait que renforcer la validité et la crédibilité de la méthode d'étude suivie. Une telle étude de cas donnerait à la recherche un visage humain. Il est en effet impossible de relater le récit individuel de chacun des 30 000 Juifs déportés.

    L'orateur estime que ne pas confronter l'approche générale du CEGES avec la casuistique, c'est déforcer la validité de la méthode d'étude utilisée.

    Il souligne que sa remarque est purement méthodologique et ne vise nullement le caractère scientifique de l'étude.

    M. Van Doorslaer répond qu'il est toujours possible d'illustrer une conclusion générale relative au comportement d'une autorité donnée au cours de la Seconde Guerre mondiale en l'illustrant au moyen de dossiers concrets. Si le CEGES devait préconiser une approche plus individuelle, ce qui n'est pas le cas, il devrait le faire de manière scientifiquement justifiée, en se fondant sur un groupe plus vaste, représentatif de l'ensemble. Mais le CEGES a opté, comme indiqué plus haut, pour une approche institutionnelle.

    M. Francis Delpérée se rallie au point de vue de M. Van Doorslaer. Ce n'est pas parce que les autorités de Liège auraient collaboré à la déportation des Juifs, qu'à Charleroi ou Arlon, elles se seraient rendues coupables de la même chose. La méthode consistant à tirer des conclusions générales en partant de cas concrets présente donc un grand danger.

    2.2. Archives

    M. Michaël Amara explique que l'équipe de recherche a effectué une prospection approfondie des archives pour laquelle l'article 2 de la loi du 8 mai 2003 relative à la réalisation d'une étude scientifique sur les persécutions et la déportation des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale a servi de levier pour obtenir l'accès aux archives (op.cit. p. 29). Les réticences qu'il aurait pu y avoir ont globalement pu être surmontées sans grande difficulté.

    Lorsque le CEGES déclare que certaines archives ont disparu, on peut, dans 98 % des cas, considérer qu'elles n'existent plus.

    Les raisons de leur disparition n'ont pas été systématiquement examinées par l'équipe de recherche. Ce que l'on peut dire toutefois, c'est que la majorité des archives a été détruite par négligence et par manque d'intérêt pour leur valeur historique. Pour les historiens, c'est une expérience décourageante.

    À la question de M. Delpérée de savoir si le CEGES a une idée du moment où certaines archives ont pour ainsi dire été détruites, M. Amara répond que cela dépend des cas. La destruction ne s'est pas nécessairement produite au cours de la période de l'immédiat après-guerre. Il y a également des exemples relativement récents. Ainsi, les archives, tant de la police communale Charleroi que de la police judiciaire de Charleroi, n'ont été détruites qu'à la fin des années 70.

    En ce qui concerne l'impact de la réforme des polices sur la disparition des archives de la gendarmerie, M. Amara précise que cette disparition concerne en particulier les archives des brigades locales. L'opération de déménagement que cette réforme a entraînée pour la police locale s'est révélée fatale pour certaines archives. Cette constatation ne concerne pas les archives centrales de la gendarmerie qui avaient déjà été détruites auparavant. Ici non plus, il n'est pas possible de savoir quand cette destruction a eu lieu.

    2.3. Conséquences politiques éventuelles de l'état désastreux des archives à Bruxelles et en Wallonie

    En réponse à la question de M. Hugo Vandenberghe, M. Van Doorslaer déclare que les membres de l'équipe de recherche ne vivent pas sur une autre planète. Depuis le départ, ils sont parfaitement conscients que ce dossier grevé d'une hypothèque communautaire. Il suffit, pour preuve, de se référer au procès-verbal de la discussion avec le comité d'accompagnement scientifique qui a eu lieu le 30 septembre 2004 (op.cit. p. 106-110). À l'époque déjà, on avait attiré l'attention sur le problème des archives, et en particulier sur le déséquilibre de l'information entre Anvers et Bruxelles, où vivaient à l'époque les plus grandes communautés juives.

    Pour pouvoir juger de la problématique dans sa totalité, trois sources d'information sont nécessaires, à savoir les dossiers administratifs de (1) la police et (2) la gendarmerie et (3) les archives judiciaires. Ces trois composantes ne sont pas présentes pour les deux grandes villes. Ajoutons à cela que l'on a essayé d'établir une comparaison avec les villes de Liège et Charleroi où vivaient également de grandes communautés juives. Là encore, on rencontre de gros problèmes liés à la conservation de ces trois types d'archives.

    En tant qu'historiens, les membres de l'équipe de recherches ne peuvent que mettre les faits les uns derrière les autres et rassembler à leur sujet un maximum de données. Ils devront toutefois souligner le déséquilibre entre les sources d'information concernant certaines autorités. En effet, ils ne pourront certainement pas reconstituer les archives disparues.

    M. Hugo Vandenberghe comprend le problème. Mais la constatation que les archives judiciaires ont été conservées dans certains arrondissements, alors que dans d'autres elles ont disparu, en violation de la loi, n'est pas neutre. La destruction de ces archives, à Bruxelles par exemple, peut en effet avoir une raison politique.

    C'est précisément à Bruxelles que la plupart des procès liés à la collaboration et à la répression — et les plus importants d'entre eux — se sont déroulés. La conservation des dossiers les concernant aurait dû aller de soi pour les autorités impliquées de l'époque, chargées d'évaluer avec pertinence les contextes juridique, social et politique. L'orateur n'exclut donc pas que les archives en question aient été détruites intentionnellement.

    M. Alain Destexhe constate que le débat sur l'éventuelle responsabilité des autorités belges pourrait, de ce fait, prendre une connotation communautaire.

    À cet égard, il a deux remarques à faire.

    La première concerne la conservation des archives ou, mieux, le problème des archives disparues ou non inventoriées. Le rapport intermédiaire fait clairement référence au fait que la situation à cet égard est plus désastreuse en Wallonie qu'en Flandre.

    Deuxièmement, on ne peut nier qu'à Anvers, la collaboration des autorités avec l'occupant allemand a été plus étroite que partout ailleurs dans le pays. Ce phénomène était dû à la présence d'une communauté juive très nombreuse. À Liège, la collaboration a également été considérable, même s'il y avait là moins de Juifs qu'à Anvers. À Bruxelles, la situation était différente parce que les autorités communales avaient adopté une autre attitude à l'égard de l'occupant. On ne peut donc pas considérer cette problématique en termes communautaires.

    2.4.  Contexte général

    En réponse à M. Lionel Vandenberghe, M. Van Doorslaer indique que le contexte général des arrestations de mai 1940 sera analysé. À l'époque, non seulement des suspects politiques belges ont été arrêtés sur la base de listes que les services de sécurité belge avaient établies au cours des mois précédents, mais des ressortissants de puissances étrangères ont également été l'objet d'arrestations administratives. Cette deuxième catégorie sera notamment étudiée en détails.

    M. Hugo Vandenberghe souligne que les Juifs allemands qui avaient fui l'Allemagne à cause du nazisme et s'étaient réfugiés en Belgique appartiennent à cette deuxième catégorie. Même s'ils avaient rejoint la résistance. En France également, ces réfugiés, comme la philosophe Hannah Arendt, ont été arrêtés. Ils ont été soumis au même traitement que la première catégorie. Les autorités belges ont probablement appliqué en 1940 un critère juridique très formel, peut-être compréhensible dans le contexte qui régnait à l'époque. Toutefois, ce critère n'était plus applicable parce que la notion d'État de droit n'existait plus dans l'Allemagne nazie. Le fait que les autorités belges aient encore agi en ces termes et qu'elles aient arrêté sans distinction nationalistes flamands, communistes et Juifs allemands, nous semble aujourd'hui incompréhensible. Cela laisse en tout cas un arrière-goût très amer.

    M. Nico Wouters explique que cet épisode sera étudié à la lumière de l'attitude adoptée par l'État belge à partir des années 20 à l'égard des étrangers et des réfugiés. Le fait que la police belge des étrangers ait, même après la libération, arrêté des Juifs allemands qui s'étaient cachés pendant l'occupation, parce qu'ils étaient ressortissants d'une puissance ennemie, montre jusqu'où les choses sont allées. C'est d'autant plus absurde que l'on savait à l'époque ce qui s'était passé dans les camps de concentration.

    2.5. Calendrier

    M. Van Doorslaer explique que le délai du 31 août 2006 fixé pour la fin de l'étude, est trop court.

    Étant donné l'ampleur de l'étude, qui n'a été commencée que le 1er septembre 2004, le départ prochain de l'un des chercheurs, l'état lamentable dans lequel se trouvent certaines archives et les lacunes de celles-ci (voir rapport intermédiaire, pages 29-31 et 36), le CEGES demande que le délai de l'étude soit prolongé jusqu'au 30 novembre 2006.

    La Commission des affaires institutionnelles se rallie unanimement à cette suggestion. Elle estimerait inacceptable que le CEGES ne puisse mener à terme, avec tout le sérieux scientifique voulu, la mission d'étude décrite dans la résolution du Sénat. Cette prolongation n'aura aucun impact sur les moyens mis à la disposition du CEGES parce que, comme on l'a indiqué, l'un des historiens lié par contrat quittera l'équipe de recherche le 15 janvier 2006 et ne sera pas remplacé.

    Sur proposition de la commission, Mme Lizin adressera une lettre au premier ministre pour lui demander de prendre une initiative législative afin de prolonger le délai de l'étude jusqu'au 30 novembre 2006.

    Mme Françoise Audag-Dechamps (de la chancellerie du premier ministre) déclare que le gouvernement peut soutenir la demande de prolongation du délai d'étude jusqu'au 30 novembre 2006 et prendra à cet effet une initiative législative. Le CEGES a entamé sa mission d'étude avec quelque retard du fait que les budgets nécessaires n'ont pas été libérés immédiatement.

    Elle prend également bonne note des observations du CEGES concernant les carences de la politique d'archives — voire son absence totale — en Belgique.

    M. Alain Destexhe estime, qu'en ce qui concerne ce problème, le Sénat ne doit pas attendre le rapport final et devrait faire part immédiatement de son point de vue.

    M. Delpérée répond que cette question concerne les différentes autorités, la justice et les services de police, dont le CEGES doit examiner l'attitude à l'égard de la persécution et de la déportation des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Le problème des archives dépasse le cadre de cette étude. Il faut aussi tenir compte à cet égard du fait que les administrations locales et les établissements d'enseignement n'appartiennent plus au domaine de la compétence fédérale.

    Au nom de la commission, Mme Lizin félicite le CEGES pour la qualité de son rapport intermédiaire. La commission des Affaires institutionnelles mettra tout en œuvre pour que le CEGES puisse terminer son étude dans des conditions optimales.

    À cet effet, la présidente a adressé, le 22 décembre 2005, une lettre au Premier ministre en lui demandant de bien vouloir prendre une initiative législative en vue de prolonger le délai de la mission d'étude du CEGES jusqu'au 30 novembre 2006.

    Par lettre du 6 février 2006, le Premier ministre a fait savoir que le nécessaire sera fait (cf. Doc. Chambre, n° 51-2488/1).

    III. AVANT-PROJET DE RÉSOLUTION

    Á la suite de l'audition de l'équipe du CEGES, MM. Alain Destexhe et Philippe Mahoux ont présenté à la commission un avant-projet de résolution en vue de mettre en œuvre la procédure visée à l'article 22.3 du règlement du Sénat.

    A. Texte de l'avant-projet

    « Le Sénat,

    A. rappelant sa résolution du 13 février 2003,

    B. rappelant la loi du 8 mai 2003 sur l'accès aux archives et la réalisation de la recherche,

    C. prenant connaissance du rapport intermédiaire du CEGES intitulé « Les autorités belges, la persécution et la déportation des Juifs»,

    D. prenant connaissance du projet de plan du rapport final,

    E. constatant et regrettant que la persécution et la déportation des Juifs de Belgique a fait l'objet d'une forme d'oubli collectif depuis la fin de la guerre,

    F. constatant qu'« après l'occupation aucune politique centrale n'a été développée en vue de sanctionner ou de réprimer systématiquement la persécution des Juifs »,

    G. constatant à la lecture du rapport et des comptes rendus du comité d'accompagnement que les événements de mai 40 semblent ou peuvent faire l'objet d'interprétations historiques différentes,

    H. se réjouissant que l'étude du CEGES constituera une avancée réelle en ce qui concerne la connaissance de ces faits et de cette période,

    I. impressionné par les archives consultées,

    J. regrettant l'absence du dossier Div 883/45 « Persécutions anti-sémitiques en Belgique (1940-1945) » à l'Auditorat,

    K. regrettant particulièrement « l'état et la gestion calamiteuse » de nombreuses archives relatives à cette période,

    L. constatant que le CEGES remarque de très grandes différences à cet égard, et pointe particulièrement « la situation dans un certain nombre de dépôts provinciaux et communaux wallons qui serait « déplorable » »,

    M. prenant note que des autorités belges ont parfois été plus loin que la simple « participation passive » aux événements,

    N. constatant que malgré l'occupation allemande, les autorités et les personnes disposaient dans la plupart des cas d'une certaine marge de manoeuvre pour appliquer les ordres de l'occupant,

    O. prenant note également que « aucun autre service de police ne participa aussi activement aux persécutions anti-juives que la police d'Anvers »,

    P. prenant note que la recherche dans les archives devrait toucher à son terme au début de l'année 2006,

    Q. constatant qu'un certain nombre de points figurant dans la résolution du Sénat du 13 février 2003 ne sont pas abordés dans le rapport intérimaire,

    R. constatant que la situation des Tsiganes a fait l'objet d'une discussion au sein du comité d'accompagnement.

    Félicite le CEGES pour ce premier rapport,

    Demande au gouvernement:

    1. si nécessaire, de mettre à la disposition du CEGES les moyens nécessaires pour finaliser l'étude,

    2. d'informer les communes et les provinces des déficiences constatées par le CEGES en matière de gestion et conservation de certaines archives provinciales et communales,

    3. dans la limite de ses compétences, de prendre les mesures et de proposer un plan pour assurer la conservation des archives plus particulièrement de cette période,

    4. d'inciter les communes où des Juifs ont été victimes de persécutions à mener à partir des archives communales des études historiques sur l'attitude des autorités communales.

    Demande au CEGES:

    5. que, sans limitation de l'étendue de la recherche, tous les points figurant au point 1 de la résolution (points a b c d e) soient abordés dans le rapport final,

    6. en évitant les pièges de l'anachronisme et de la rétrospectivité, de mettre en évidence les différences d'attitude entre des autorités dans la mise en œuvre des mesures exigées par l'occupant,

    7. de transmettre son rapport définitif au Sénat en juin 2006 afin que l'Assemblée qui a initié cette recherche ait la possibilité de l'examiner avant la fin de la législature. »

    B. Procédure

    1. Statut de l'avant-projet de résolution

    M. Lionel Vandenberghe souhaite savoir quel est le statut de cet avant-projet de résolution, dont le texte n'a été ni déposé officiellement, ni pris en considération par l'assemblée plénière conformément à la procédure visée à l'article 56 du règlement du Sénat.

    L'orateur aimerait des éclaircissements avant d'exposer ses objections et ses amendements à la proposition.

    La présidente, Mme Lizin, répond qu'il avait été convenu avec les auteurs de l'avant-projet d'appliquer éventuellement l'article 22.3 du règlement du Sénat.

    Cet article est rédigé comme suit:

    « 3. Lorsque, dans une discussion, les commissions concluent à la nécessité de légiférer ou d'exprimer le point de vue du Sénat, elles peuvent rédiger elles-mêmes une proposition de loi ou de résolution, l'examiner, la mettre aux voix et faire rapport à son sujet, sans que le Sénat la prenne préalablement en considération.

    Cette procédure ne peut être engagée qu'avec l'accord écrit de deux tiers des membres de la commission, et moyennant l'assentiment préalable du président du Sénat. En cas de doute sur la recevabilité, ou sur la compétence de la commission, celui-ci consulte le bureau. »

    M. Mahoux explique que, si cette procédure présentait des difficultés dans le cas présent, il ne verrait aucune objection à suivre la procédure régulière. Il propose dès lors que M. Van Doorslaer et les autres membres de la commission formulent d'abord leurs remarques. Sur cette base, il examinera avec M. Destexhe dans quelle mesure il leur semble opportun de modifier leur proposition de texte. Ensuite, ils déposeront formellement une proposition de résolution conformément à l'article 56 du règlement du Sénat.

    La commission y consent.

    2. Audition

    Sur proposition de M. Lionel Vandenberghe, la commission décide également d'entendre M. Karel Velle, archiviste général du Royaume, concernant les constatations faites dans le rapport intermédiaire sur l'état des archives en Belgique.

    C. Discussion

    M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES, formule les objections suivantes sur l'avant-projet de résolution de Messieurs Destexhe et Mahoux:

    — Le considérant J relatif au dossier disparu Div 883/45 intitulé « Persécutions anti-sémitiques en Belgique (1940-1945) » peut être supprimé parce qu'entre-temps, ce dossier prétendument perdu a été retrouvé;

    — Les constatations figurant dans les considérants M et O qui concernent la collaboration plus que passive de certaines autorités belges et la collaboration active de la police anversoise dans la persécution des Juifs sont prématurées. Il y a lieu en l'espèce d'attendre le rapport final;

    — La conclusion figurant dans le considérant N selon laquelle les autorités et les personnes privées disposaient, en dépit de l'occupation allemande, d'une certaine marge de manœuvre pour exécuter les ordres de l'occupant, tient en fait d'une interprétation qui, s'il ne la conteste pas du point de vue scientifique, ne peut être, d'après M. Van Doorslaer, mise éventuellement en avant qu'après lecture du rapport final;

    — En ce qui concerne la constatation, faite dans le considérant Q, qu'un certain nombre de thèmes mentionnés dans la résolution du Sénat du 13 février 2003 n'ont pas été traités dans le rapport intermédiaire, M. Van Doorslaer explique que tel n'était pas l'objetif poursuivi. La crainte éventuelle que le CEGES ne remplisse pas sa mission investigatrice, sur tous les points précisés dans la résolution précitée, n'est pas fondée. Le rapport intermédiaire confirme d'ailleurs expressément que tous les éléments seront pris en compte;

    — La conclusion formulée dans le considérant R selon laquelle la situation des Tsiganes a entraîné une discussion au sein du comité d'accompagnement scientifique est correcte. Néanmoins, ce thème n'a pas été retenu dans la résolution du Sénat du 13 février 2003. M. Van Doorslaer le regrette parce qu'une étude scientifique à ce sujet aurait certainement été opportune. Mais il ne s'agirait pas de la même étude que celle que mène le CEGES sur la persécution des Juifs. Si le Sénat souhaite tout de même que cette question soit traitée, il semble à M. Van Doorslaer qu'il s'agit d'une matière distincte.

    En ce qui concerne les questions posées au CEGES dans l'avant-projet de résolution, M. Van Doorslaer fait remarquer ce qui suit:

    — Dans la première demande (point 5), il y a lieu de préciser qu'il s'agit du point 1 de la résolution du Sénat du 13 février 2003. Sur le plan du contenu, la demande faite au CEGES de traiter tous les points d'étude dans son rapport final ne pose aucun problème;

    — La deuxième demande (point 6) suscite toutefois quelques problèmes. Dans celle-ci, on demande au CEGES « en évitant les pièges de l'anachronisme et de la rétrospectivité, de mettre en évidence les différences d'attitude des autorités dans la mise en œuvre des mesures exigées par l'occupant ». Cette phrase est de nature à donner l'impression que l'on doute de l'objectivité et de la capacité scientifique de l'équipe de recherche du CEGES. M. Van Doorslaer insiste pour que l'on réexamine ce point et qu'on le formule éventuellement différemment;

    — En ce qui concerne la date d'échéance fixée dans la troisième demande (point 7) de l'étude, à savoir juin 2006, il y avait déjà unanimité au sein de la commission pour prolonger le délai de l'étude jusque fin novembre 2006. Étant donné que cela nécessite une modification de la loi, Mme Lizin a invité le Premier ministre, par une lettre du 22 décembre 2005, à prendre l'initiative qui s'impose.

    Mme Lizin ajoute que le Premier ministre lui a fait savoir, par lettre du 6 février 2006, qu'il prendra l'initiative législative nécessaire avec le ministre qui a la politique scientifique dans ses attributions.

    M. Lionel Vandenberghe déclare que ses observations rejoignent en grande partie celles de M. Van Doorslaer. Cela s'explique essentiellement par l'état d'esprit dans lequel il a lu l'avant-projet de résolution. Il a, en effet, préféré à la casquette du responsable politique, celle du scientifique passionné de critique historique et coutumier des recherches archivistiques. Voici son commentaire:

    1. En ce qui concerne les considérants et les constatations:

    — Dans le texte néerlandais du considérant L, il propose de remplacer le mot « deplorabele » par le mot « betreurenswaardige »;

    — Les conclusions reprises dans les considérants M à O devraient être supprimées parce qu'elles n'ont pas été tirées par l'équipe de recherche du CEGES. Il vaut mieux, dans ce cas, attendre le rapport final;

    2. En ce qui concerne les questions posées au CEGES:

    — La première demande (point 5) devrait être remplacée par la suivante: « de poursuivre l'analyse de tous les points énumérés dans la résolution du Sénat du 13 février 2003 et d'en rendre compte dans le rapport final »;

    — La demande adressée au CEGES dans le point 6 devrait être remplacée par la formule suivante: « de poursuivre l'analyse scientifique approfondie de l'attitude adoptée par les diverses autorités dans la mise en œuvre des mesures imposées par l'occupant ». La demande telle qu'elle est formulée dans l'avant-projet peut être ressentie comme un affront à l'égard du CEGES. Les responsables politiques doivent laisser les chercheurs faire leur travail conformément aux exigences de leur discipline. Ils doivent attendre les résultats de la recherche en question et ne les évaluer qu'ensuite;

    — Enfin, dans le point 7, la date de juin 2006 doit être remplacée par celle de novembre 2006.

    M. Francis Delpérée fait observer que la commission s'aventure sur un terrain délicat où l'histoire et la politique se rejoignent. À la demande d'une assemblée législative, en l'occurrence le Sénat, le gouvernement a chargé une institution scientifique, à savoir le CEGES, de faire une étude historique dont elle propose maintenant un rapport intermédiaire sur lequel la commission et puis le Sénat seront amenés à prendre position. Cette position sera inévitablement politique et ne portera pas seulement sur le passé, mais aussi sur l'avenir.

    L'intervenant adhère, sur plusieurs points, aux observations formulées par M. Van Doorslaer dans son commentaire sur l'avant-projet de résolution:

    1. quant aux considérants:

    M. Delpérée estime que l'ensemble des considérants est très prolixe et donc trop long. Plus grave encore, certains d'entre eux contiennent des projections ou des jugements a priori. La question est de savoir si cette approche constitue la meilleure méthode. À son avis, la réponse est négative.

    À l'appui de sa thèse, il se réfère aux considérants suivants:

    — au considérant E, l'affirmation « que la persécution et la déportation des Juifs de Belgique a fait l'objet d'une forme d'oubli collectif depuis la fin de la guerre », est trop générale et réfutée par un certain nombre de travaux historiques publiés, entre autres par le CEGES, depuis la fin de la guerre;

    — au considérant G, la constatation « à la lecture du rapport et des comptes rendus du comité d'accompagnement que les événements de mai 40 semblent ou peuvent faire l'objet d'interprétations historiques différentes », suscite la question de savoir pourquoi il faut épingler d'emblée les événements de mai 40 et émettre à ce sujet un premier jugement. La persécution et la déportation des Juifs dépassent quand même ces faits;

    — au considérant N, la constatation « que malgré l'occupation allemande, les autorités et les personnes disposaient dans la plupart des cas d'une certaine marge de manoeuvre pour appliquer les ordres de l'occupant » est formulée de manière trop large. Quelles autorités et personnes sont exactement visées ? Quels cas ? Quelle est la portée de la partie de phrase « une certaine marge de manoeuvre pour appliquer les ordres de l'occupant » ? Soit les ordres étaient appliqués, soit ils ne l'étaient pas. De plus, il y avait des autorités belges qui n'agissaient pas sous l'ordre de l'occupant, comme les autorités judiciaires qui aujourd'hui n'agissent pas non plus sous l'ordre du gouvernement. M. Delpérée considère la généralisation dans ce considérant abusive;

    2. quant à la demande au CEGES:

    — afin de promouvoir la lisibilité du point 5, il serait opportun de reprendre intégralement les a b c d e du point 1 de la résolution du 13 février 2003;

    — au point 6, la partie de phrase « en évitant les pièges de l'anachronisme et de la rétrospectivité » est de nature à jeter le doute sur l'honnêteté et la déontologie de l'équipe de recherche du CEGES. Mais surtout la suite de la phrase: « de mettre en évidence les différences d'attitude entre des autorités dans sa mise en œuvre des mesures exigées par l'occupant, » pose problème. Est-ce vraiment l'objet de la recherche confiée au CEGES que de mettre en exergue les différences entre la Wallonie, la Flandre et Bruxelles ainsi qu'entre les autorités administratives et judiciaires ? Le CEGES doit faire un état des lieux. Il appartient au Parlement d'en tirer les conséquences;

    — au point 7, il adhère à la proposition de prolonger le délai d'examen jusqu'au 30 novembre 2006.

    M. Philippe Mahoux remercie les intervenants précédants de leur contribution à la discussion d'une proposition de texte qui à ce stade ne peut être qualifiée que d'un non-paper. Ce texte martyr sera encore adapté avant qu'il ne soit déposé en application de l'article 56 du règlement du Sénat.

    Les observations formulées jusqu'à présent appellent la réponse suivante.

    a) Il est évident que le texte proposé est de nature politique. M. Mahoux soutient la thèse selon laquelle les démarches scientifique et politique ne sont pas incompatibles. Heureusement ! En effet, la rigueur peut exister à la fois dans les deux disciplines.

    Mais on ne peut confondre de manière systématique, d'une part, la démarche de nature scientifique sur laquelle des prises de position politiques devront s'appuyer, et, d'autre part, la démarche politique proprement dite qui traduit à la fois des opinions et une volonté politiques. Sinon, il est à craindre que les assemblées législatives ne soient transformées en institutions scientifiques et vice versa.

    b) Quant aux constations et considérants repris dans l'avant-projet:

    1. le considérant J relatif à l'absence du dossier Div 883/45 « Persécutions anti-sémitiques en Belgique (1940-1945) » à l'Auditorat peut être supprimé vu que ce dossier a entre-temps été retrouvé;

    2. d'aucuns estiment que certaines constatations reprises dans la première partie de l'avant-projet de résolution constituent plutôt des affirmations que de véritables constats. M. Mahoux confirme que le considérant N par exemple ne constitue en réalité pas une constatation, mais une opinion. Il convient dès lors de remplacer le mot « constatant » par le mot « considérant ». Cette opinion que les auteurs de l'avant-projet soutiennent sur la base de leur connaissance personnelle de la matière, sera confirmée ou infirmée par le rapport final du CEGES;

    3. en ce qui concerne la notion d'autorités aux considérants M et N, M. Mahoux s'oppose à une lecture communautaire du problème. Elle ne traduit pas l'intention des auteurs ni celle de la résolution du 13 février 2003. Par exemple, en ce qui concerne les archives des autorités publiques, le rapport intermédiaire met en exergue des disparités de nature géographique. Mais M. Mahoux n'a pas constaté à la lecture du rapport si ces disparités sont résolument liées à une frontière interne de quelque nature que ce soit. Il existe également des différences d'attitude entre les mêmes autorités mais avec des localisations différentes sans que cette localisation soit stigmatisée en fonction d'une position adoptée au nord et au sud du pays. Tout ceci permet aux auteurs de défendre au considérant N l'opinion que les autorités et les personnes disposaient dans la plupart des cas d'une certaine marge de manoeuvre pour appliquer les ordres de l'occupant. Faut-il rappeler que ces ordres étaient transmis, dans la plupart des cas, aux autorités publiques par le biais du Collège des secrétaires généraux et, de manière principale, par le biais de son président. L'intervenant déclare avoir consulté à cet égard des documents assez interpellants.

    En plus, il va de soi que la notion « autorités » couvre la totalité des autorités comme la résolution du 13 février 2003 l'a précisé: « Cette étude portera notamment aussi bien sur l'attitude du gouvernement en exil à Londres, que sur celle des secrétaires généraux, des services de l'administration centrale, des autorités judiciaires et des autorités provinciales et communales » (doc. Sénat, nº 2-1311/4, p. 3). Cette portée très large a été confirmée par le comité d'accompagnement. À ce propos, il a été rappelé que « la Maison du Roi n'est pas une autorité belge et que seul le Roi lui-même a un rôle dans l'exécutif » (voir le rapport intermédiaire, p. 109-110). M. Mahoux précise que la notion de Maison royale a une portée très limitée, ce qui implique que toutes les personnes qui gravitent autour de cette instance peuvent faire l'objet de l'étude. À son estime, les autorités religieuses constituent également un objet de l'étude;

    4. en ce qui concerne le considérant O relatif au rôle de la police d'Anvers, M. Mahoux déclare qu'il ne veut pas polémiquer. Les auteurs ont seulement repris un passage du rapport intermédiaire;

    5. en ce qui concerne le renvoi, au considérant R, à la discussion au sein du comité d'accompagnement sur la situation des Tsiganes (o.c., p. 107-110), le comité a constaté qu'ils n'étaient pas le sujet de la résolution du 13 février 2003. Il a alors été décidé de les mentionner au besoin, mais sans orienter la recherche dans cette direction;

    6. quant à la demande au CEGES, M. Mahoux propose de citer les a b c d e du point 1 de la résolution du 13 février 2003. La demande qui est faite au centre d'éviter les pièges de l'anachronisme et de la rétrospectivité ne peut aucunement être interprétée comme un signe de suspicion à l'égard du CEGES. Pourquoi le Sénat aurait-il alors adopté une résolution demandant au gouvernement de charger le CEGES de cette étude ? Le seul objectif de cet appel est d'insister auprès du centre pour qu'il examine tous les points particuliers repris dans la résolution que le Sénat a adoptée le 13 février 2003. L'intervenant se félicite enfin de l'engagement du premier ministre, dans sa lettre du 6 février 2006, de prendre une initiative législative afin de prolonger le délai d'examen jusqu'au 30 novembre 2006.

    M. Berni Collas conclut de ce qui précède que les auteurs vont adapter leur avant-projet de résolution sur différents points, en particulier suite aux remarques de M. Van Doorslaer, ceci afin d'obtenir un consensus le plus large possible.

    M. Lionel Vandenberghe reste sur sa position et répète que MM. Destexhe en Mahoux feraient mieux de ne reprendre aucune considération relative au contenu ni de conclusions provisoires dans leur avant-projet de résolution. L'orateur s'indigne quelque peu de la manière sélective dont un certain nombre de considérants et de questions ont été formulés. Par exemple, dans les considérants L à P, on trouve un certain nombre de constatations qui sont des opinions déguisées. L'orateur annonce qu'il déposera des amendements afin de pouvoir ajouter un certain nombre de considérations personnelles.

    Son point de vue est le suivant: laissons aux historiens, comme l'équipe de recherche du CEGES, le soin d'effectuer une recherche scientifique sérieuse. Une fois le rapport final publié, les responsables politiques pourront examiner quelles sont les conséquences qu'il faudra éventuellement en tirer.

    En ce qui concerne la question de savoir si le sort des Tsiganes doit également être étudié, l'orateur attire l'attention sur le fait que, si la mission de recherche du groupe est étendue, il faudrait également se préoccuper du sort des homosexuels, des nationalistes flamands et des communistes.

    S'agissant de l'observation de M. Mahoux qui ne souhaite pas aborder la problématique en termes communautaires, M. Vandenberghe fait remarquer que le rapport intermédiaire a néanmoins constaté des différences marquées entre le Nord et le Sud du pays en matière d'archives (op.cit. p. 30).

    En ce qui concerne la notion d'« autorités », il est d'avis qu'il ne faut, à ce sujet, entretenir aucun tabou. Il serait par conséquent inacceptable de ne pas prendre en considération le rôle du Roi. Un certain nombre d'études remarquables ont déjà été publiées à ce sujet, notamment par Herman Van Goethem et Jan Velaers, sous le titre Leopold III: de koning, het land, de oorlog, Tielt, Lannoo, 1994 — 1150 p. — ISBN 90-209-2387-0.

    Enfin, l'orateur déplore que sa proposition d'organiser au Sénat un colloque sur la guerre, la collaboration et la répression, rencontre une telle réticence. Ce genre de colloque pourrait contribuer à la réconciliation entre les communautés, sans pour autant gommer le passé. Mais il semble que cette question reste encore très sensible pour certains. M. Vandenberghe n'a apparemment pas perdu l'espoir que les plus hautes instances du Sénat discuteront de sa proposition de manière sereine.

    M. Hugo Vandenberghe attire l'attention sur le fait que, pour le monde politique, c'est une mission extrêmement difficile d'approuver des résolutions faisant suite à une étude scientifique, et ce, pour la simple raison que la science utilise les arguments d'une tout autre manière que la politique. Dans le débat scientifique, on travaille de manière argumentative. On élabore des thèses en fonction de la conformité aux lois scientifiques de la discipline, puis on les vérifie et on les falsifie éventuellement sur la base de critères et de constatations objectives.

    L'orateur a un pied dans le monde scientifique — dans son cas, la science du droit — et l'autre dans la politique. Il lui a fallu pas mal de temps pour comprendre que dans le milieu politique, il est normal de s'opposer aux arguments de l'adversaire. On les réfute ou on essaie de les réfuter sur la base d'une opinion politique déterminée. Tant sur la portée de la discussion que sur le point de vue adopté ou les méthodes utilisées, cette approche diffère complètement du débat scientifique.

    Le problème lié aux résolutions de l'assemblée politique est le suivant: elle tente de donner à une appréciation politique, portant en l'occurrence sur une période récente de notre histoire, un caractère scientifique.

    C'est la raison pour laquelle l'orateur aborde une telle résolution avec une grande circonspection. Sur la base du principe de liberté de recherche, les constatations scientifiques prêtent bien sûr le flanc à la critique. Mais l'orateur frissonne lorsque des opinions politiques sont dogmatisées pour devenir des résolutions.

    Ce qui s'est produit pendant la Seconde Guerre mondiale est horrible et ne peut certainement pas être oublié. Mais pour que nous puissions tirer des leçons du passé, il est essentiel que la connaissance que nous en avons soit aussi objective que possible.

    Dans ce domaine se posent de nombreux problèmes qui constituent un défi à la science; ils sont dus à deux circonstances.

    1. En premier lieu, citons les sources sur la base desquelles la recherche est menée. La Belgique est un pays communautarisé. Si les archives relatives à la Deuxième Guerre mondiale dans certaines cours et certains tribunaux sont disponibles dans une mesure suffisante pour permettre d'émettre un jugement, dans d'autres cours et tribunaux de certaines régions, elles ont tout simplement disparu. Dès lors, l'étude de l'attitude adoptée par le pouvoir judiciaire en Belgique pose un problème. À titre d'illustration, l'orateur renvoie à la note du CEGES sur les archives judiciaires et les archives de la police, qui précise qu'en ce qui concerne les archives du parquet général de la cour de cassation, il manque deux dossiers importants:

    — nº 982: « Conduite à suivre par les magistrats pendant l'occupation allemande (1940-1944). Réunion des magistrats pendant l'occupation »;

    — nº 983: « Conduite à suivre par les magistrats pendant l'occupation de 40-45 ».

    Il s'agit là de documents essentiels. En aval, le CEGES trouvera des documents dans de nombreuses cours et de nombreux tribunaux. Par contre, en amont, en remontant à la source, force est de constater que des dossiers essentiels font défaut. Il faudra par conséquent formuler les éventuelles conclusions sur le comportement du pouvoir judiciaire avec la prudence nécessaire.

    Le collège des procureurs généraux et le CEGES ont, à la suite des constatations faites par ce dernier, échangé des courriers concernant notamment l'état des archives judiciaires (voir lettres du 23 décembre 2005 et du 16 janvier 2006). L'explication du procureur général près la cour d'appel de Mons, M. Gaston Ladrière, sur les pièces disparues ne satisfait nullement M. Vandenberghe.

    Ainsi, l'incendie du palais de justice de Bruxelles en 1944 est généralement invoqué pour expliquer la disparition des archives du procureur général près la cour d'appel de Bruxelles. Les procès-verbaux concernant cet incendie peuvent toujours être consultés. Selon les informations dont dispose M. Vandenberghe, des parties importantes de ces archives ne se trouvaient pourtant pas dans les locaux touchés par l'incendie. Elles ont néanmoins disparu.

    Il ne viendrait pas à l'idée de l'orateur de nier les faits liés à la persécution et à la déportation des Juifs. Mais si on lui demande de tirer des conclusions générales de l'étude scientifique du CEGES, il souhaite pouvoir quand même situer précisément les problèmes. C'est la raison pour laquelle il aimerait savoir comment il est possible que des dossiers aussi importants aient disparu. La réponse à cette question pourrait être un début d'explication de l'attitude des autorités belges à l'égard de la persécution et de la déportation des Juifs. Les circonstances de leur disparition ne sont donc pas un facteur externe dépourvu d'impact sur le sujet de l'étude. Bien au contraire, l'enquête à ce sujet doit faire partie intégrante de la mission de recherche du CEGES.

    2. La deuxième circonstance est née d'un problème politico-constitutionnel d'une importance inouïe survenu pendant l'occupation (3) . À l'inverse de la France et des Pays-Bas, notre pays a eu l'avantage, pendant la Seconde Guerre mondiale, d'être placé non pas sous administration civile mais bien sous administration militaire. Cela a eu pour conséquence que le collège des secrétaires généraux ainsi que le parquet général ont été incorporés dans le système d'occupation. C'est là que s'est posée la question constitutionnelle extrêmement complexe de l'application possible de la théorie du moindre mal. Où se situe la frontière entre la complaisance et la résistance ? L'orateur estime que tout acte matériel posé par un fonctionnaire ou un magistrat dans le cadre d'un régime d'occupation ne peuvent être en soi qualifiés de répréhensibles. Mais à partir d'une certaine limite, la théorie du moindre mal n'est évidemment plus défendable. En collaborant à la persécution et à la déportation des Juifs et en leur refusant les droits garantis par la Constitution, on dépasse nettement cette limite. Cette démarche équivaut en effet à la négation de la Constitution.

    À l'adresse de M. Lionel Vandenberghe, l'orateur déclare, en conclusion, qu'il faut se garder de faire un amalgame de divers problèmes. Ce serait s'exposer au danger de banaliser les événements épouvantables qui se sont déroulés pendant l'occupation. Une juste estimation de l'occupation, de la collaboration et des crimes contre l'humanité commis pendant la guerre s'en trouverait ainsi entravée.

    Par ces considérations, M. Hugo Vandenberghe souhaite simplement mettre en garde contre une résolution du Sénat qui dresserait de l'attitude des autorités belges vis-à-vis de la persécution et de la déportation des Juifs un tableau susceptible de donner lieu à de nouvelles polémiques politiques. Cela ne contribuerait nullement à situer correctement le problème.

    En ce qui concerne les observations relatives à la proposition de demander au CEGES de mettre en évidence les différences d'attitude entre des autorités dans la mise en œuvre des mesures exigées par l'occupant, M. Philippe Mahoux répond qu'entre l'héroïsme de François Bovesse, qui a renoncé à sa fonction de gouverneur de la province de Namur et qui a été assassiné en 1944 par des collaborateurs sur ordre de l'occupant, d'une part, et la position du gouvernement de Vichy en France, d'autre part, toutes les nuances se sont présentées.

    Il met en exergue que l'appel au CEGES d'éviter les pièges de l'anachronisme et de la rétrospectivité, a simplement pour but de souligner qu'il faut se garder, lors de la discussion d'une étude historique, d'interprétations qui ne tiennent pas compte de la réalité et de l'atmosphère régnant à cette époque-là. Après coup, il est toujours aisé d'émettre un jugement.

    Quoi qu'il en soit, M. Mahoux se déclare prêt à reformuler ce passage.

    Troisièmement, en ce qui concerne le champ d'investigation, il estime que la notion « autorités » couvre également la Maison royale et son entourage ainsi que les autorités religieuses. Il souligne qu'il ne s'agit pas de stigmatiser l'une ou l'autre autorité. Des actes pouvant s'apparenter à de la collaboration ou à de la complicité ont été commis, tout comme des actes héroïques auxquels des autorités n'étaient pas contraintes.

    Par rapport à la dernière remarque de M. Lionel Vandenberghe, M. Mahoux déclare qu'il ne faut pas mêler les problèmes. L'objectif de l'étude confiée au CEGES concerne le rôle des autorités belges dans la persécution et la déportation des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. L'intervenant n'est pas disposé à impliquer dans cette problématique la question de la répression et de l'épuration d'après-guerre.

    M. Francis Delpérée répète son souhait que la proposition de résolution que MM. Destexhe et Mahoux déposeront, ne fasse pas de généralisations ni de préjugés.

    En ce qui concerne la problématique des sources et des archives, M. Van Doorslaer souligne que le CEGES n'a jamais eu l'intention d'expliquer et d'inventorier tous les problèmes en matière d'archives en Belgique. Le CEGES ne possède ni les aptitudes ni le temps que cela nécessiterait. Afin de mener à bien la mission de recherche confiée au CEGES, l'équipe de recherche n'a ciblé son étude que sur les sources disponibles pour la période 1930-1950. Le rapport publié par le CEGES à ce sujet est très incomplet quant à la problématique des archives et ne tient aucun compte des efforts considérables consentis à différents niveaux pour améliorer l'archivage des sources d'archives contemporaines et pour corriger les éventuelles situations intolérables.

    Il ressort en effet des recherches effectuées par le CEGES qu'il existe des différences dans la manière dont les archives sont traitées dans le Nord et dans le Sud du pays. Toutefois, cette constatation ne peut pas être généralisée et il faut tenir compte de la réserve susvisée.

    Le rapport définitif reviendra certainement sur ce point.

    En réponse aux réflexions de M. Hugo Vandenberghe, il déclare que mener une recherche et une étude dans des dossiers essentiels des archives judiciaires est une opération extrêmement complexe. Il est d'ailleurs probable que l'évaluation de la politique du moindre mal et des questions de droit constitutionnel qui y sont liées se trouvera au centre des conclusions du rapport final.

    M. Hugo Vandenberghe aimerait obtenir des services de recherche une explication plus précise sur la disparition des deux dossiers essentiels, susvisés des archives judiciaires du parquet général de Bruxelles (voir ci-dessus). Vu l'absence de ces pièces, il est très difficile de se faire une idée de l'attitude des autorités judiciaires en Belgique à l'égard de la persécution et de la déportation des Juifs. Les directives contenues dans ce document constituaient pratiquement une législation. On peut évidemment se limiter à analyser séparément le comportement de chaque magistrat. Mais il est tout de même essentiel de savoir si les magistrats d'Anvers et de Liège ont agi conformément à ces instructions et se sentaient couverts par celles-ci.

    M. Van Doorslaer répond qu'il s'agit d'un problème complexe. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, tant la fonction publique que la magistrature étaient infiltrés par des éléments de l'ordre nouveau.

    L'incendie du palais de justice de Bruxelles en 1944 est pour le moins suspect. En effet, d'après un procès-verbal établi après la guerre, le procureur général faisant fonction près la cour d'appel de Bruxelles avait été mis au courant deux jours auparavant. De telles constatations invitent naturellement à une recherche plus approfondie. Mais le CEGES n'a pas pu entreprendre cette recherche.

    M. Lionel Vandenberghe se demande s'il ne serait pas utile d'entendre également le procureur général près la cour d'appel de Mons, M. G. Ladrière.

    La commission n'accède pas pour le moment à cette suggestion.

    Mme Lizin déclare que le Sénat doit suivre cette question attentivement. La conservation des archives est en effet une mission essentielle de l'État.

    IV. POLITIQUE DES ARCHIVES EN BELGIQUE

    Le 27 avril 2006, la commission a entendu M. Karel Velle, Archiviste général du Royaume concernant la politique des archives en Belgique.

    La motivation directe de cette audition était les passages critiques concernant cette politique dans le rapport intermédiaire du CEGES.

    A. Exposé de M. Karel Velle, Archiviste général du Royaume

    1. Introduction

    1.1. M. Velle remercie la commission, et en particulier sa présidente, de l'invitation. Lorsque des commissions parlementaires sont invitées à s'exprimer sur le traitement lamentable des archives publiques dans notre pays et sur la politique des archives en général, les archivistes du Royaume se sentent immédiatement visés.

    1.2. La recherche du CEGES est socialement importante et utile notamment parce qu'elle met en exergue le fait que la bonne gestion des archives publiques est d'une importance capitale pour le fonctionnement et la crédibilité de notre démocratie. À défaut d'une bonne conservation et de l'accessibilité aux informations publiques, il n'existe:

    — aucune transparence possible dans le comportement des autorités;

    — aucun contrôle parlementaire correct;

    — aucune responsabilité des actes des autorités à l'égard du citoyen.

    Les Archives de l'État partagent avec de nombreux instituts de recherche la crainte de ce que l'on appelle aux Pays-Bas l'effacement du passé: les souvenirs menacés.

    À cet égard, il est utile de se référer à deux articles intéressants de M. Gustaaf Janssens, chef de département des Archives du palais royal de Bruxelles. Le premier est intitulé: « Les archives: la mémoire au cœur de la société démocratique » et a été publié chez Pliegos de Yuste, 2004, nº 2. Une version néerlandaise résumée a été publiée dans « Bibliotheek- en Archiefgids », 82(2006) 2, pp. 15-21, sous le titre: « Kan archief de wereld redden ? Archieven: het hart van de democratische samenleving ». Ces deux articles insistent sur le fait que sauver les archives constitue la tâche essentielle de la société. Leur intérêt social se situe dans le rôle qu'elles jouent au niveau de l'expansion et du maintien de la société démocratique.

    2. Importance des archives

    Quelle est l'importance des archives et plus précisément des archives publiques ? Pourquoi conserve-t-on des archives ?

    2.1. Prescriptions légales

    Les documents et les informations rassemblés et récoltés par les cours et tribunaux, parquets et administrations publiques constituent les archives publiques qui relèvent de la loi sur les archives du 24 juin 1955. Celle-ci prescrit notamment que les documents doivent être conservés en bon état et rendus accessibles, que l'on doit veiller à ce qu'aucun document ne soit aliéné et que les documents à conserver en permanence soient transférés aux Archives de l'État. Force est de constater que de nombreux fonctionnaires, même de l'administration fédérale, ne sont que peu ou prou au courant de ces prescriptions légales.

    2.2. Force de preuve juridique

    Des documents peuvent être conservés pour faire éventuellement valoir des droits, prouver que des obligations ont été satisfaites etc. Citons en exemples les actes de l'état civil, les minutes des décisions judiciaires, les dossiers du personnel, les actes d'inscription au registre du commerce, les pièces déposées aux greffes, le livre de caisse du greffier, etc.

    2.3. Valeur culturelle et historique (la mémoire de la société)

    Certains documents peuvent donner une image des activités et de l'organisation de notre société au cours des temps. Exemples: les circulaires, dossiers de principes sur l'organisation interne des cours et tribunaux, dossiers des étrangers, dossiers d'affaires ayant fait grand bruit etc.

    2.4. Informations pour la gestion d'entreprise

    Certaines informations sont d'une importance capitale pour la gestion des entreprises ou pour le bon fonctionnement des institutions. En effet, des décisions sont prises continuellement sur la base des informations disponibles. L'absence d'informations ou des données incomplètes ou inexactes peuvent entraîner des décisions erronées dont le citoyen est la première victime. Via la conservation de ces informations, les institutions peuvent justifier les politiques qu'elles mènent.

    2.5. Importance pour les finances des entreprises

    Des informations fiables doivent également être mises à disposition rapidement. Les procédures de l'entreprise peuvent se dérouler plus facilement parce que l'on a rapidement mis la main sur certains documents. Le flux croissant de documents papiers ou numériques rendent la gestion des données à conserver toujours plus importante (voir par exemple le nombre croissant de courriels). De même, pour le pouvoir judiciaire, la recherche de documents est parfois longue et difficile. Les conséquences possibles sont une perte de temps, d'image et d'argent.

    Si, après quelque temps, les autorités abandonnent négligemment les informations qu'elles ont elles-mêmes créées et recueillies dans des greniers, ou ne savent plus sur quel serveur ou disque dur elles les ont mémorisées, elles portent alors une très lourde responsabilité.

    Les conclusions que tire le CEGES dans son rapport intermédiaire (voir pages 29-31) n'étonnent nullement l'Archiviste général du Royaume. Les Archives de l'État demandent depuis longtemps, en particulier aux autorités fédérales:

    — une meilleure gestion des archives;

    — l'engagement de responsables pour les services d'archives;

    — une meilleure planification des opérations de déménagement. Lorsque dans la presse, il est fait mention du déménagement d'une administration publique, les archivistes du Royaume sentent battre leur cœur. Il y a en effet un nombre considérable d'exemples où le déménagement a servi à se débarrasser des archives.

    — les investissements nécessaires en moyens matériels et en personnel afin d'assurer le classement des archives et de les rendre accessibles;

    — un contact en temps utile avec les services compétents pour obtenir leur avis quant à la sélection et au transfert des archives vers un lieu de conservation;

    — l'enregistrement correct des pièces entrantes et sortantes, de fichiers dynamiques, en d'autres termes, une bonne constitution de dossiers;

    — des engagements corrects en matière de consultation et d'emprunts.

    Les remarques effectuées par le CEGES dans son rapport intermédiaire correspondent à celles émises par les Archives de l'État depuis de nombreuses années. Dans des centaines de lettres, de rapports d'inspection, au cours de contacts personnels avec des chefs de service etc., les Archives de l'État ont soulevé à maintes reprises les obligations des autorités en matière d'archivage et les avis nécessaires leur ont été fournis.

    3. Missions des Archives de l'État

    — Les Archives générales du Royaume et Archives de l'État dans les Provinces (désormais Archives de l'État) sont un établissement scientifique fédéral qui fait partie du Service public fédéral de Programmation (SPP) Politique scientifique. L'institution comprend les Archives générales du Royaume à Bruxelles et 17 dépôts répandus dans la totalité du pays.

    — Les Archives de l'État veillent à la bonne conservation des documents d'archives produits et gérés par l'autorité. Les Archives de l'État donnent à ce sujet des directives et des recommandations, effectuent des visites de contrôle, organisent des cours pour les fonctionnaires et interviennent en tant que conseiller pour la construction et l'aménagement des locaux de conservation d'archives et pour l'organisation de la gestion d'archives au sein des administrations publiques.

    — Les Archives de l'État acquièrent et conservent (après tri) les archives de plus de 30 ans des cours et tribunaux, des administrations publiques, des notaires, ainsi que du secteur privé et des particuliers (entreprises, hommes politiques, associations et sociétés, familles influentes, etc., qui ont joué un rôle important dans la vie politique, économique, sociale ou culturelle). Elles veillent à ce que les archives publiques soient transférées dans des conditions conformes aux normes archivistiques [minimales].

    — Mettre ces documents d'archives à la disposition du public, en respectant le caractère privé de certaines données, est une des missions primordiales de l'institution. Dans leurs 18 salles de lecture, les Archives de l'État mettent une infrastructure à la disposition d'un public varié. Le service direct au public via l'Internet (la salle de lecture numérique) est une des priorités de l'institution.

    — Une des tâches principales du personnel scientifique consiste à rendre accessible l'immense quantité d'archives à peine ouvertes à la recherche qui se trouvent dans l'institution. Cette opération s'effectue via la réalisation d'instruments de recherche scientifiques (jalons de recherche, aperçus d'archives et guides, inventaires, études institutionnelles) qui doivent permettre au chercheur de trouver l'information souhaitée endéans un temps raisonnable et de manière assez précise.

    — Les Archives de l'État sont un centre de connaissance de l'information historique et d'archivistique. Le personnel scientifique des Archives de l'État effectue une recherche scientifique permanente en matière d'archivistique, de conservation et d'histoire institutionnelle des établissements producteurs d'archives, ceci dans le cadre de l'accomplissement responsable des tâches mentionnées ci-dessus en matière d'acquisition, de conservation, d'ouverture à la recherche et de communicabilité.

    — Depuis près de deux siècles, les scientifiques des Archives de l'État ont pour tâche de conserver et de gérer les collections remarquables, de mener des recherches scientifiques et de diffuser ces connaissances vers le grand public.

    — Enfin, les Archives de l'État coordonnent la politique archivistique au niveau national et visent à développer une collaboration efficace sur le plan international.

    4. Moyens des Archives de l'État

    — Il existe dans notre pays 18 dépôts des Archives de l'État, répartis sur tout le territoire belge. Actuellement, les Archives de l'État gèrent près de 220 km d'archives (dont 97 km provenant des services publics, 13 km du notariat et 7,6 km de l'état civil). Chaque année, 6 à 7 km viennent s'y ajouter. Cet accroissement concerne, d'une part, dans une grande mesure, les archives sérielles (par exemple des notaires, les registres du commerce, les archives des parquets et l'état civil). D'autre part, on constate ces dernières années un mouvement de rattrapage relatif au transfert des archives des cours et tribunaux ainsi que des administrations centrales.

    — L'un des points délicats du fonctionnement des Archives de l'État est la problématique des bâtiments. Sans bâtiments bien équipés — et cela concerne tant les dépôts que les espaces publics (salles de lecture et d'études) — les Archives de l'État ne peuvent remplir correctement leurs fonctions de conservation et de service au public.

    — Le budget des Archives de l'État se compose comme suit:

    • dotation: 4,1 million d'euros;

    • revenus propres: 520 000 euros;

    • financement projets de recherche: 540 000 euros;

    • plan de personnel (SPF politique scientifique): 6,6 millions d'euros.

    — Les Archives de l'État comptent quelque 230 membres du personnel dont 151 font partie du personnel administratif et technique et 79 sont des archivistes. Sur ce dernier groupe, 47 sont nommés au titre d'archivistes du Royaume statutaires; les autres ont été engagés sur base contractuelle (y compris les collaborateurs de projets).

    5. Points forts et points faibles des Archives de l'État

    À l'été 2005, une liste des points forts et des points faibles des Archives de l'État a été établie. Cette liste a été publiée dans le cadre du plan de gestion et du programme-cadre qui seront présentés au ministre chargé de la politique scientifique.

    5.1. Points forts

    — Le réseau des 18 dépôts des Archives de l'État est le garant d'un service efficace et du soutien des institutions de droit public en ce qui concerne le traitement et la gestion des archives;

    — Les Archives de l'État et son personnel scientifique participent à de nombreux projets scientifiques et collaborent avec un grand nombre d'associations et toutes les administrations publiques;

    — l'expertise, la motivation et surtout le souci du client dont fait montre son personnel scientifique, technique et administratif;

    — la richesse et l'unicité du patrimoine géré;

    — la richesse de ses collections et bibliothèques;

    — la transparence de sa politique tarifaire;

    — les résultats prometteurs des premiers projets de numérisation;

    — l'engagement sans faille de son personnel et sa disponibilité croissante à collaborer;

    — la richesse de sa collection de publications, s'adressant à divers groupes cibles;

    — le bilan positif des recherches scientifiques, des projets de développement et de valorisation ainsi que du fonctionnement des volontaires.

    5.2. Points faibles

    — Le cadre légal (loi sur les archives de 1955 et arrêtés d'exécution de 1957);

    — le faible soutien du management (en particulier en ce qui concerne l'informatique, les ressources humaines et la communication);

    — le manque d'intégration du planning, du budget et de la gestion de la qualité;

    — la communication interne,

    — la communication externe (site Web, visibilité) et les partenariats;

    — la sécurité et la surveillance des archives et des collections;

    — la gestion des ressources humaines (en particulier en matière de formation, de développement de carrière et de coaching);

    — l'absence d'un plan pluriannuel en matière de conservation des archives;

    — les arriérés en matière d'ouverture primaire à la recherche;

    — divers points sensibles en matière de contrôle des archives.

    Toutes ces réflexions ont débouché sur la définition, par les Archives de l'État, des missions suivantes (mission statement):

    Les Archives de l'État sont une institution scientifique fédérale qui:

    1. exerce le contrôle sur la bonne conservation des archives réunies et gérées par les administrations;

    2. veille à ce que les archives publiques soient transmises selon les normes archivistiques et s'efforce d'acquérir des archives privées intéressant la société;

    3. est responsable de la conservation et du maintien de toutes les archives qui lui sont confiées y compris les archives numérisées;

    4. rend accessible le contenu de ces fichiers d'archives de sorte à les rendre utilisables pour diverses formes de recherche. Elle veille à ce que le service fourni soit de haute qualité;

    5. constitue le centre de connaissance par excellence et de gestion de documents d'archives;

    6. coordonne la politique d'archives au niveau national et s'efforce d'établir une collaboration efficace à l'échelon international.

    Sur la base de ce qui précède, les Archives de l'État poursuivent une série d'objectifs stratégiques dont M. Velle souhaite en souligner deux dans le contexte de cette audition, à savoir:

    1. Conformément à la loi sur les archives, exercer un contrôle sur la manière dont les services publics conservent les archives qu'ils produisent, et s'impliquer activement dans la protection des archives appartenant au domaine public;

    2. Réunir les connaissances disponibles en matière d'archivistique et mener une politique active de publication et d'avis, en particulier vis-à-vis des autorités fédérales.

    6. Vision d'avenir positive et réaction au rapport intermédiaire du CEGES

    Nous reprenons ci-dessous un aperçu des souhaits et des signes positifs qui démontrent une combativité accrue de la part des Archives de l'État.

    6.1. Les Archives de l'État invitent à une modification rapide de la loi sur les archives du 24 juin 1955, en particulier du délai de transfert ramené à 30 ans, ainsi qu'à l'approbation d'un arrêté bien élaboré sur les archives (arrêté d'exécution). À l'heure actuelle, un projet de texte est sur la table du ministre chargé de la politique scientifique. M. Velle exprime l'espoir que la majorité actuelle pourra arriver rapidement à un accord à ce sujet.

    6.2. Les administrations et en particulier les services publics fédéraux et de programmation (SPF et SPP) devraient assumer davantage de responsabilités pour mieux gérer leurs archives. Cela implique qu'ils respectent strictement les directives des Archives générales du Royaume. Dans ce domaine, il semble qu'un revirement se dessine dans différents SPF, ce qui contredirait la teneur négative du rapport intermédiaire du CEGES. M. Velle mentionne explicitement les SPF Justice, Finances, Affaires économiques et Intérieur où on a pu noter, ces dernières années, une nette amélioration en matière de sélection, de traitement matériel, d'ouverture à la recherche et de transfert des archives publiques.

    6.3. L'archiviste général du Royaume espère que le ministre chargé de la politique scientifique proposera au Roi, encore avant l'été, la nomination d'un chef de section chargé du contrôle de la gestion des archives publiques. Ce chef de de section sera notamment responsable de la réalisation des objectifs stratégiques précités. Cela signifie notamment: l'uniformisation des listes de sélection qui doivent également être mises à disposition sur l'Internet, l'établissement de listes de contrôle, la diffusion de bonnes pratiques et l'accroissement de la visibilité des Archives de l'État vis-à-vis des administrations.

    6.4. À cet égard, il est réjouissant de constater que les administrations considèrent les Archives de l'État comme interlocuteurs et partenaires en matière de gestion de leurs archives. Les Archives de l'État ont, pour cela, mené des campagnes ciblées dans les SPF importants comme la Justice (pouvoir judiciaire et établissements pénitentiaires), les Finances (surtout les services du patrimoine). Cette approche commence à porter ses fruits. Ces SPF manipulent leurs archives plus prudemment et ils demandent plus facilement leur avis aux Archives de l'État. Par exemple, le 26 avril 2006, une inspection s'est déroulée au Centre pénitentiaire de Marneffe. On y a trouvé environ 50 mètres d'archives sur les réfugiés juifs de la période 1939-1945. L'archiviste général du Royaume a donné mission de transférer ces pièces le plus rapidement possible aux Archives de l'État de Liège. Les Archives générales du Royaume sont donc capables de réagir rapidement, mais cela exige qu'elles soient informées correctement et en temps utile, tant par les fonctionnaires que par les chercheurs qui découvrent des archives socialement importantes.

    6.5. Parmi les autres points positifs, soulignons le fait que de nombreuses administrations et organisations publiques ont déjà à leur disposition des listes de sélection. Ces listes contiennent un aperçu général, dans différentes catégories, de tous les produits d'archives, séries et documents que les administrations ont produits ou reçus, couplés à leur destination finale, à savoir les Archives de l'État ou la destruction. Étant donné qu'il ne serait ni utile ni censé de conserver l'entièreté des 400 km d'archives se trouvant encore dans les locaux des administrations fédérales — et ce chiffre est probablement sous-estimé — l'établissement de listes de sélection se révèle indispensable. En cas de conservation, les délais minimaux de conservation administrative sont mentionnés. Ces listes sont donc d'un intérêt essentiel pour la gestion journalière des archives. Pour bien des services qui ont produit des archives importantes pour la recherche du CEGES, comme les cours et tribunaux, les parquets, les polices locales, la police judiciaire et la gendarmerie, il existe de bonnes listes de sélection qui doivent être actualisées et surtout adaptées. C'est précisément ce dernier point que le CEGES a perçu comme problématique. La règle de base stipule que les archives ne peuvent être détruites qu'avec l'approbation des Archives de l'État.

    6.6. En ce qui concerne le problème des archives détruites, il y a lieu de faire une observation à propos du rapport intermédiaire du CEGES. Si ce dernier ne contient pas de contrevérités, certaines de ses conclusions méritent toutefois d'être nuancées. À bon droit, le CEGES fait référence à une série d'archives qui ont peut-être été volontairement détruites. Toutefois, par honnêteté intellectuelle, le CEGES devrait inclure dans son rapport final une liste des archives correctement conservées ou qui, grâce à l'intervention de nombreux archivistes, ont été sauvées et mises en sécurité pour la postérité. L'Archiviste général du Royaume a notamment constaté qu'un certain nombre de fichiers, qui auraient pu se révéler utiles pour la recherche du CEGES, ne figurent pas dans la liste des fonds d'archives que le CEGES a consultés jusqu'à présent (voir rapport intermédiaire, pages 111 à 120).

    6.7. Parmi les autres développements positifs à souligner, citons qu'en moyenne 6 à 7 km d'archives sont transférés chaque année aux Archives de l'État. En outre, ces archives sont ouvertes à la recherche. Par exemple, plusieurs gros dossiers d'archives du parquet d'Anvers transférés récemment contiennent des trésors d'informations concernant la Deuxième Guerre mondiale et la période de l'après-guerre. Parallèlement, il existe des projets liés au transfert des archives des SPF Intérieur, Affaires économiques et Finances. Ces derniers concernent notamment des archives de mise sous séquestre, des dossiers liés au déroulement d'affaires judiciaires contre des collaborateurs ou proviennent du déménagement en cours des dépôts des archives fédérales, par exemple, au Quai de Willebroek à Bruxelles.

    L'ouverture à la recherche de ces archives nécessite un travail gigantesque qui, sans l'implication du personnel des Archives de l'État ne pourrait pas se réaliser. Il faut également remercier certains chefs de service et collaborateurs exécutants des administrations fédérales qui ont consenti de gros efforts et continuent à le faire pour améliorer la gestion des archives. Ce sont des oiseaux rares.

    Pour se faire une meilleure idée de la gestion des archives dans les SPF et les SPP, l'archiviste général du Royaume a mené une enquête ciblée auprès des présidents des SPF et SPP. Sept questions leur ont été posées.

    La première concernait le nombre de mètres courants d'archives sur papier que le SPF ou le SPP, ainsi que tous les organes qui en dépendent comme les institutions parastatales, les conseils et les comités, gèrent pour le moment.

    Le résultat de cette mini-enquête est étourdissant. Les Archives de l'État n'osaient imaginer qu'il reste actuellement 293 km d'archives conservées dans les services publics fédéraux. 50 à 60 % de celles-ci n'ont plus aucune utilité administrative. Ce chiffre de 293 km est plus que vraisemblablement largement sous-estimé. L'un des plus grands producteurs d'archives de Belgique, le SPF Finances, n'a en effet pas encore répondu. Cela est probablement dû à la structure fortement éclatée de ce département. En tout cas, il est certain que les services du patrimoine de ce SPF comme le cadastre, les hypothèques et l'enregistrement des domaines sont les plus grands producteurs d'archives. Répertorier cette gigantesque masse de papier prendra forcément beaucoup de temps.

    Les Archives générales du Royaume se trouvent par conséquent devant une montagne d'archives qui doivent être traitées sur une période de 10 ans consécutifs, transférées après une éventuelle sélection et rendues accessibles. Avec la poignée d'archivistes qui ont pu être engagés à Bruxelles, c'est-à-dire en tout et pour tout 13, cette tâche est, sans la collaboration des administrations concernées, mission impossible.


    La constatation que mentionne le CEGES dans son rapport précisant que « La prospection nous mit à même de dresser le tableau calamiteux d'une gestion des archives publiques souvent inefficace voire inexistante » (o.c., p. 30), a par conséquent besoin d'être nuancée. Ce n'est pas, à proprement parler, la gestion des archives qui est catastrophique, mais bien son exécution qui laisse à désirer. Les archives publiques, notamment de l'administration fédérale, sont traitées de manière irresponsable. L'injection de moyens en personnel et matériel, en prenant exemple sur l'étranger (Allemagne, France et Pays-Bas), est donc primordiale. Ces investissements doivent rendre possible l'archivage non seulement de documents papier, mais également de fichiers numériques. Jusqu'à présent, ces moyens n'existent pas.

    D'un côté, M. Velle se réjouit du fait que le CEGES a, pour une très grande part, confirmé les constatations des Archives générales du Royaume dans son rapport intermédiaire.

    D'autre part, il s'offusque de l'image négative qu'une certaine presse a voulu attribuer à la manière dont, en Belgique, on traite les archives publiques. Cette manière de présenter les choses mérite une mise au point.

    Tant en Flandre qu'en Wallonie et à Bruxelles, de nombreuses choses positives doivent être soulignées. La formation d'une équipe d'archivistes jeunes et dynamiques laisse présager le meilleur pour l'avenir. De plus, l'Association des archivistes francophones belges, récemment fondée, prendra certainement de nombreuses initiatives. Tout cela permet à M. Velle de rester optimiste quant à l'avenir des Archives de l'État en Wallonie, à la condition que cette institution reçoive, à Namur, un nouveau bâtiment et que suffisamment de moyens soient libérés pour le recrutement du personnel. Tout ceci tend à prouver qu'en Wallonie également, on est conscient de l'importance d'une bonne gestion des archives et que, grâce à l'expertise présente côté flamand, un certain nombre d'avancées peuvent être faites si l'on unit toutes les forces en présence.

    B. Échange de vues

    1. Questions et remarques

    La présidente, Mme Lizin, tient à remercier M. Velle pour son explication franche et pour l'engagement dont il fait preuve pour mettre en œuvre une gestion des archives de haute qualité en Belgique. Le Sénat devrait examiner la manière dont il peut soutenir les Archives de l'État dans cette démarche.

    M. Philippe Mahoux pose quatre questions essentielles.

    1. L'Archiviste général du Royaume a parlé en particulier de la compétence des Archives générales du Royaume à l'égard des archives des services publics fédéraux. De quelles compétences précises dispose l'État fédéral à ce sujet, par exemple en matière d'archives judiciaires, et quelles compétences sont attribuées aux communautés et aux régions ? Quelle politique mènent, dans ce domaine, les entités fédérées ? Quid des administrations locales dont la politique semble être dissipée aux quatre points cardinaux ? Un autre point concerne les archives de l'église. Sont-elles à considérer comme des archives privées ou tombent-elles sous le coup de l'une ou l'autre réglementation légale ?

    2. Le passif auquel les Archives générales du Royaume sont continuellement confrontées est énorme. Chaque année, 6 à 7 km d'archives sur papier sont transférés aux Archives générales du Royaume. De cette pile, on détermine à l'aide de listes de sélection celles qui doivent être détruites et celles qui doivent être conservées. Cela ne constitue pas nécessairement une opération neutre. Mais dans notre ère électronique, la conservation d'une telle montagne de papiers soulève tout de même quelques questions. Tous ces documents ne pourraient-ils pas être directement enregistrés sur un support électronique ? Évidemment, cela exigerait une nouvelle politique en matière de simplification administrative puisqu'il faudrait attribuer à la version électronique d'un document la même valeur juridique et historique qu'à sa version sur papier. En tout cas, cela éviterait la détérioration des archives à cause de circonstances climatiques ou de vermines.

    3. La disparition des archives est due à différents facteurs comme le manque de moyens, la négligence, le désintérêt, l'oubli et la destruction volontaire ou non. Il est important que cette question puisse être clarifiée. De la sorte, un éclairage particulier pourra être donné à l'attitude tant des autorités centrales que locales pendant la période 1939-1950. Peut-on faire une distinction entre ces autorités ? Dans quelle mesure ont-elles conservé leurs archives, les ont-elles rendues accessibles ou détruites et dans ce dernier cas, dans quel but ? S'agissait-il d'une simple fatalité ou était-ce une opération bien orchestrée pour éliminer le souvenir du comportement de certaines autorités ?

    4. À qui appartiennent les archives y compris dans le cas où le délai de conservation obligatoire est échu ou lorsqu'elles sont découvertes par hasard, par exemple sur le marché aux puces ?

    M. Alain Destexhe souhaite obtenir les précisions suivantes:

    1. Sur quels points la loi relative aux archives doit-elle être révisée ?

    2. Combien de kilomètres courants d'archives sont-ils conservés aux Archives générales du Royaume et quelles sont les perspectives ?

    3. Quels sont les délais d'archivage et de conservation en vigueur ?

    4. Quelle réglementation est applicable aux archives des cabinets ministériels qui sont d'un intérêt particulier pour la prise de décisions politiques ?

    5. Où les archives personnelles du roi Léopold II et celles concernant l'État libre du Congo sont-elles conservées et dans quelle mesure sont-elles accessibles ?

    M. Paul Wille explique que les Archives générales du Royaume sont confrontées à deux problèmes relevant de l'économie d'entreprise.

    1. Citons d'abord l'arriéré dans le traitement des archives, ou en jargon économique, le backlog. Ce problème pourra sans aucun doute être résolu, il s'agit donc d'un manageable deadlock.

    2. La gestion journalière ou going concern, formée de deux composantes: l'archivage du matériel qui entre en permanence et la gestion de l'ensemble.

    Pour pouvoir optimaliser ces procédures et en réduire le prix, l'orateur souhaite savoir si les nouvelles technologies peuvent être utilisées à cet effet et, si oui, dans quelle mesure. Certains pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande sous-traitent certaines tâches dans des pays où le niveau salarial est plus bas. Leur administration des archives ne s'occupe plus que de l'accessibilité de la documentation et des problèmes logistiques liés à la conservation des archives sur bande magnétique ou dans des lieux situés à l'étranger.

    En outre, l'archiviste général du Royaume a demandé une modification rapide de la loi relative aux archives. M. Wille se rallie à la suggestion de la présidente qui estime que le Sénat devrait jouer cartes sur table. Comme il semble qu'un large consensus règne sur le sujet, le Sénat devrait pouvoir traiter les initiatives législatives de manière prioritaire. L'orateur souligne le fait que les archives constituent le cœur de la démocratie. Mais en cas de rareté de moyens, c'est au monde politique qu'il appartient de lui donner ses lettres de noblesse et de lui réserver une place dans la liste des priorités.

    M. Lionel Vandenberghe souligne que le paysage des archives est très fragmenté. En plus des Archives générales du Royaume, il existe de nombreuses institutions d'archives. Certaines de ces archives sont subsidiées par les communautés. Il existe de grands services privés d'archives. Étant donné la structure de notre État, il est compliqué de développer à cet égard une nouvelle législation.

    Non seulement les Archives générales du Royaume, mais également tout le secteur des archives est en demande d'une révision de la loi relative aux archives. L'archiviste général du Royaume s'est pourtant exprimé avec optimisme à l'égard des initiatives mises en chantier par le ministre chargé de la politique scientifique. Suite à la recherche menée par la commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les circonstances précises de l'assassinat de Patrice Lumumba ainsi que l'implication éventuelle dans ce meurtre du monde politique belge, l'orateur a déjà interrogé, le 26 avril 2004, le ministre sur le fait constaté par cette commission qu'« d'importantes archives officielles, dont celles du chef de l'État, risquent de se perdre si l'on ne prend pas les mesures qui s'imposent. » (Sénat, Questions et Réponses, 1er juin 2004, nº 3-17, p. 1106-1108). Le ministre de l'époque avait déjà répondu qu'« un nouveau projet de loi fédérale relative aux archives sera déposé sous peu à la Chambre ». Le ministre actuel a réitéré ces déclarations. Jusqu'à présent, toutefois, sans aucune suite.

    Il pourrait par conséquent être porteur de reprendre dans la proposition de résolution un appel au gouvernement pour que le ministre chargé de la politique scientifique travaille à cette question encore pendant cette législature. Il s'agit là d'une tâche complexe parce que non seulement les compétences des communautés doivent être respectées mais également le rapport avec d'autres législations doit être observé, par exemple en matière de vie privée et de reproduction des données. De plus, il faut aussi prendre en considération la modification dans le temps de l'esprit dans lequel l'accès est donné aux archives.

    2. Réponses de M. Karel Velle, archiviste général du Royaume

    2.1. Compétence

    La loi relative aux archives du 24 juin 1955 est une loi fédérale qui contient un certain nombre de dispositions importantes en matière de compétence des différents niveaux de l'administration. L'article 1er, alinéa premier, de cette loi stipule:

    « Les documents datant de plus de cent ans conservés par les tribunaux de l'ordre judiciaire, le Conseil d'État, les administrations de l'État et les provinces sont déposés — sauf dispense régulièrement accordée — aux Archives de l'État »

    Les administrations de l'État désignent également leurs successeurs, à savoir les administrations régionales et les parastataux.

    Le délai de 100 ans devrait absolument être ramené à 20 ans ou, si c'est budgétairement plus tenable, à 30 ans. La Belgique est le dernier pays en Europe occidentale à n'avoir pas encore introduit la règle de 30 ans. Les recherches scientifiques, comme celle menée par le CEGES, ont tout intérêt à voir le raccourcissement du délai de transfert réalisé le plus rapidement possible.

    Les provinces également sont tenues de déposer leurs archives après 100 ans aux Archives de l'État. Les communes n'y sont pas tenues. Elles peuvent confier leurs archives à la garde des Archives de l'État. Les termes « confier à la garde » signifient que le droit de propriété sur ces archives n'est pas transféré à l'État fédéral à l'inverse du dépôt. Les communes sont donc elle-même compétentes pour la bonne gestion de leurs archives mais restent cependant, dans ce cadre, sous le contrôle de l'archiviste général du Royaume ou de son délégué.

    Du point de vue des compétences juridiques, il est vrai que, tant que la loi fédérale relative aux archives n'est pas adaptée, les Archives de l'État restent, en tant qu'institution fédérale, chargées du contrôle journalier de la bonne conservation des archives des institutions, allant de la plus petite fabrique d'église à la Cour de cassation. La question est de savoir si ceci sera encore tenable longtemps. Le contrôle implique notamment que les archivistes de l'État se rendent sur place dans les CPAS, les fabriques d'église, les administrations locales, etc. pour leur donner des conseils en matière de sélection et de transfert de leurs archives. À cet effet, ils établissent des listes de sélection des archives.

    Les communautés et les régions devraient promulguer des décrets ou ordonnances pour la gestion de leurs propres archives. À l'heure actuelle, seule la Région wallonne a exercé sa compétence en la matière. La Communauté française, la Région de Bruxelles capitale, la Communauté germanophone, la Communauté flamande et la Région flamande n'ont malheureusement encore pris aucune initiative à cet égard. En tant que Flamand, M. Velle regrette que la Flandre ne dispose encore d'aucun décret formel concernant les archives. Il n'existe aucun décret relatif à la subvention des services d'archives de droit privé. Ces deux faits contredisent l'image revendiquée par la Flandre montrant une Flandre qui travaille toujours plus efficacement et mieux.

    2.2. Archives des services politiques

    Depuis la réforme des polices en 2001, les zones de police locale sont responsables de la gestion de leurs propres archives. Le commissaire de police local assume cette responsabilité. Depuis les années 1980, il existe des listes de sélection pour les archives de la police, mais elles sont très dispersées. Toutefois, celles-ci doivent être appliquées et respectées. Dans les villes où il existe un service d'archives comme Anvers, Gand et Liège, cela a toujours été le cas. L'absence d'archivistes professionnels dans certaines villes, comme Charleroi, est responsable du fait que les archives de la police ont été insuffisamment suivies.

    En ce qui concerne la police fédérale, le rapport intermédiaire du CEGES mentionne à plusieurs reprises les conséquences désastreuses de la réforme des polices (op.cit., p. 29-31). M. Velle souhaite nuancer ces propos. Il y a en effet des problèmes de conservation des archives de la police fédérale. Mais, depuis 2002, une bonne liste de sélection est disponible pour les anciennes brigades de gendarmerie, depuis 2004, une liste de sélection a été établie pour les anciennes brigades de la police judiciaire et depuis cette année, une liste de sélection existe pour les zones de police.

    2.3. Archives judiciaires

    Depuis 2000, de gros efforts ont été consentis pour la sélection et le transfert des archives des cours et tribunaux et des parquets.

    Il reste quelques difficultés pour les parquets en Wallonie et à Bruxelles. De nombreuses inspections y sont effectuées mais on continue à se battre avec des arriérés qui doivent encore être traités. Il semble que des parties de données d'archives du parquet ont été perdues. Les circonstances exactes de leur disparition ne sont pas toujours élucidées. Il est incontestable que certains fichiers ont été détruits peu de temps après la guerre, peut-être intentionnellement, mais rien ne peut être prouvé. Il faut savoir que le contrôle exercé par les Archives de l'État sur les archives du parquet, en exécution de la loi relative aux archives de 1955, n'a démarré qu'en 1958. Il n'est donc pas exclu qu'au cours de la période s'étendant de 1945 à 1957, certaines archives aient été détruites. Cela n'est pas un fait exceptionnel: la destruction des archives est un phénomène de tous les temps. Déjà à l'époque gréco-romaine, au cours du Moyen Âge et des temps modernes, des archives publiques ont été détruites. Aujourd'hui encore, la presse mentionne régulièrement la destruction d'archives sur notre territoire et à l'étranger. La question de savoir s'il s'agit de malveillance reste sans réponse.

    2.4. Archives de l'Église

    Il faut faire une distinction entre les archives paroissiales et les archives des fabriques d'église.

    Ces dernières sont des archives publiques placées sous le contrôle de l'archiviste général du Royaume et de ses délégués. Les fabriques d'église sont par conséquent tenues de bien gérer leurs archives. Les archivistes de l'État ont, ces dernières années, mené des campagnes pour faire transférer les anciennes archives des fabriques d'église, présentant un intérêt pour la gestion des biens de l'église, vers les Archives de l'État. Cela n'a pas pu se faire dans tous les diocèses parce que certains liens de collaboration doivent encore être établis entre les Archives de l'État et les évêchés.

    Les archives paroissiales sont des archives de droit privé qui, en principe, ne sont pas destinées aux Archives de l'État. Elles peuvent toutefois être confiées à leur garde si l'évêché ne possède pas de service d'archives ou si le doyen en prend l'initiative. Certaines archives paroissiales ont cependant abouti aux Archives de l'État de Hasselt.

    2.5. Sélection et destruction des archives

    Une lourde responsabilité pèse sur les archivistes qui établissent les critères de sélection sur la base desquels il faudra décider de détruire ou de conserver les archives.

    Il est rassurant de savoir cependant que tous les archivistes sont des historiens (souvent docteurs en histoire) et sont donc particulièrement et constamment soucieux du maintien de notre patrimoine historique. Ils ne prennent jamais une décision à la légère, s'informent en permanence et se font assister par des professeurs d'université. Ils s'inspirent également des expériences réalisées dans les services d'archives à l'étranger.

    Les listes de sélection établies par les Archives de l'État sont approuvées par le ministre compétent. C'est ainsi que les ministres des Affaires étrangères et de la Justice viennent d'approuver des listes de sélection liées aux archives de la police locale. Ces listes sont établies en concertation avec les services concernés, après avis, par exemple, du collège des procureurs généraux et de la commission permanente de la police locale et après consultation de collègues historiens et archivistes.

    Ces listes de sélection ne sont pas parfaites et constituent une image instantanée. Ce sont des textes dynamiques qui sont revus et actualisés sur la base des développements administratifs, des nouvelles procédures et des nouvelles perspectives historiques. Mais en règle générale, on peut considérer que, pour les principaux producteurs d'archives, les Archives de l'État ont établi et établiront encore à l'avenir des listes de sélection tout à fait correctes.

    2.6. Numérisation des archives

    La numérisation des archives est un défi très complexe.

    À cet égard, il y a lieu d'opérer une distinction entre les digital born archives et la numérisation ou digitalisation des archives papier.

    a) Les Digital born archives sont des documents créés dans un environnement numérique. Ce sont (1) les banques de données de l'administration, comme la banque Carrefour des entreprises, de la sécurité sociale, de la justice et des finances, (2) les sites Internet de l'administration fédérale qui, dans une large mesure, constituent des documents d'archives à prendre en considération pour la conservation permanente à terme et (3) les courriels parce que, chaque année, les administrations envoient des centaines de milliers de courriels. À l'heure actuelle, aucune politique n'a été mise au point dans le but d'archiver ces courriels. Pourtant, ces derniers jouent un rôle essentiel dans la prise de décision politique. C'est la raison pour laquelle ils constituent un sujet important dans l'effort de conservation des archives des cabinets. Si le citoyen souhaite exercer un certain contrôle sur la prise de décision politique ou désigner les responsabilités politiques, l'archivage de l'échange de courriels sera important. Les courriels sont volatils et sont faciles à effacer, mais ils peuvent contenir des informations importantes sur le processus de formation des décisions. La politique d'archivage des courriels au sein des services publics est un sujet essentiel pour l'avenir proche.

    Les investissements en matière de maintien et de gestion quotidienne des fichiers numériques à conserver en permanence sont importants. Leur ordre de grandeur dépend du type de document, de sa dimension, des métadonnées à stocker en même temps, etc. Les besoins sont très difficiles à chiffrer. M. Velle signale que les archives nationales suédoises ont engagé, il y a 15 ans déjà, une équipe d'archivistes et de spécialistes en informatique pour étudier la problématique et pour mettre en œuvre un système de dépôt électronique. Les archives nationales de pays comme la Slovénie et la Pologne ont investi dans le stockage et la conservation permanente d'archives numérisées qui n'ont pas d'utilité administrative mais qui peuvent se révéler importante à terme pour la connaissance de la société. Il est prévu en Belgique également, éventuellement en collaboration avec la Bibliothèque royale, de réaliser un electronic depository.

    À cet effet, il n'est pas suffisant de pomper des fichiers numériques et de les déposer sur un autre serveur sans plus jamais y toucher. La gestion de ce type d'archives exige, au même titre que les archives papier, un entretien quotidien, des conversions et un contrôle de la sécurité et de l'accessibilité.

    b) La numérisation d'archives papier constitue une autre problématique. Pour plus de commodité, il est suggéré que les archives papier soient envoyées par avion dans des pays où le niveau salarial est plus bas, pour y être numérisées. Les services d'archives français et néerlandais ont déjà pris des contacts dans ce sens. Dans les pays à bas niveau salarial, on assure alors soit la numérisation et l'ouverture à la recherche des archives, ce qui sous-entend également que l'inventaire soit établi et qu'il soit ensuite livré prêt à l'emploi par satellite ou DVD sur le serveur du client. Soit, la numérisation est réalisée en Europe puis l'inventaire est réalisé dans les pays à bas niveau salarial parce que c'est le fait de rendre accessibles les images (ajout de métadonnées) qui est le processus nécessitant le plus de travail.

    Grâce aux efforts financiers du gouvernement fédéral, les Archives générales du Royaume disposent de moyens supplémentaires pour la numérisation des fichiers d'archives. Quatre types de fichier doivent recevoir la priorité: (1) les sources généalogiques, c'est-à-dire les registres paroissiaux et les registres de l'état civil, (2) les cartes et les plans, (3) les sources statistiques et (4) les collections de timbres.

    2.7. Responsabilité de la destruction des archives concernant la période 1939-1945

    Pour les archivistes et les chercheurs, c'est une tâche bien difficile que d'établir les circonstances de la destruction des archives alors que les personnes directement concernées ou les fonctionnaires responsables sont soit décédés soit n'en ont plus le moindre souvenir.

    Il est clair que certaines archives ont été détruites. Il n'appartient cependant pas aux Archives de l'État de faire la police dans ce domaine. Les Archives de l'État ne disposent par ailleurs pas des moyens d'éclaircir les circonstances dans lesquelles les destructions se sont produites. Puisque l'on ne peut pas revenir en arrière sur les choses qui se sont produites, les Archives de l'État souhaitent investir dans la prospection, dans la conservation sûre et l'ouverture à la recherche des archives encore existantes. De plus, il n'est pas exclu qu'à l'occasion de déménagements ou de la rénovation de bâtiments, on voie réapparaître des archives dont on ne soupçonnait même pas l'existence, que l'on croyait disparues ou perdues une fois pour toutes. Chaque mois, on fait de « nouvelles découvertes ».

    M. Velle, précédemment archiviste du Royaume à Beveren, était chargé du contrôle des archives des administrations judiciaires et du secteur pénitentiaire. À l'époque, à l'occasion d'une visite d'inspection, il a sauvé de la destruction les archives de la prison de Louvain. Ces archives concernaient la période allant de la fin du XVIIIe siècle jusque et y compris à la Deuxième Guerre mondiale. S'il était arrivé une semaine plus tard, le bâtiment dans lequel les archives étaient abandonnées dans des conditions pitoyables aurait été rasé avec l'intégralité de son précieux contenu. Ceci n'est qu'un exemple parmi les nombreuses « expériences traumatisantes » qu'il a eu l'occasion de faire.

    Outre la destruction provoquée par l'homme, il y a également la perte due aux incendies ou à d'autres calamités. C'est la raison pour laquelle les Archives de l'État et tous les autres services d'archives doivent prendre des mesures préventives pour prévenir les risques de dégradation ou de destruction matérielle.

    2.8. Propriété des archives publiques

    Quel est le statut de propriété des archives publiques ? Par exemple, peuvent-elles être monnayées ?

    Ces questions touchent à une notion importante de notre code civil, à savoir le domaine public. Les archives qui sont gérées par les autorités appartiennent au domaine public. Par exemple, elles ne peuvent pas être aliénées. Les archives qui sont confiées à la garde des autorités font également partie du domaine public, comme les registres paroissiaux de l'Ancien Régime qui, suite à la législation de 1796, ont abouti d'abord dans les administrations départementales puis dans les Archives de l'État. Les registres paroissiaux qui sont restés dans les communes n'ont pas été transférés, il y a plus de 200 ans, aux administrations départementales de l'époque mais appartiennent bel et bien aux Archives de l'État. Si quelqu'un met en vente un registre paroissial du XVIIe siècle sur e-bay, il commet un fait passible de sanctions. Idem dito pour les antiquaires. La plupart du temps, les personnes concernées sont de bonne foi et ne sont pas au courant du statut légal de ces archives.

    En ce qui concerne la problématique de la protection des archives appartenant au domaine public, les Archives de l'État organiseront à l'automne, avec la police fédérale, un itinéraire de formation pour examiner quelles sont les mesures à prendre pour éviter que des archives publiques aboutissent dans le commerce.

    Il est par conséquent extrêmement regrettable que l'actuel plan pluriannuel de lutte contre la criminalité ne considère pas le vol d'archives publiques et d'œuvres d'art par le crime organisé comme un point d'intérêt prioritaire. Les Archives de l'État s'efforcent d'apporter un changement et cherchent à cet effet à établir des liens de collaboration étroits avec la police fédérale et avec les parquets.

    2.9. Publicité, consultabilité et accessibilité des archives

    Ces trois notions doivent être clairement distinguées l'une de l'autre.

    Les archives sont consultables si elles se trouvent dans un état matériel correct et peuvent, par exemple, être mises à la disposition des chercheurs en vue de leur numérisation.

    La notion de « publicité » a une portée juridique. L'article 3, premier alinéa dispose notamment que les pièces déposées en vertu de l'article 1er, alinéa 1er, aux Archives de l'État sont publiques. En d'autres termes, les archives qui doivent être transférées après 100 ans aux Archives de l'État sont, de facto, publiques. Un procureur général qui, dans les années 1970, par exemple, a refusé la consultation de documents de plus de 100 ans a par conséquent agi en infraction avec la loi. La notion de publicité est également importante dans le cadre de la législation sur la publicité de l'administration (législations fédérale et régionales).

    Comme indiqué plus haut, M. Velle plaide pour que le délai de 100 ans à l'échéance duquel les archives doivent être transférées aux Archives de l'État et devenir publiques, soit ramené à 30 ans comme c'est déjà le cas dans d'autres pays.

    Bon nombre d'archives qui, en vertu de la loi relative aux archives, ne sont pas publiques pour le moment, peuvent néanmoins être consultées sous réserve d'approbation. Ainsi, un citoyen ne peut consulter un dossier pénal clôturé, dans le cadre d'une recherche scientifique, qu'après avoir obtenu l'approbation des procureurs généraux compétents auprès des cours d'appel. Ces derniers agissent sur ce plan en toute liberté. Il semblerait, d'après certains, qu'on ignore totalement cette procédure. M. Velle en doute, parce que l'avocat général qui en est chargé, obtient tout de même des informations auprès de l'archiviste quant à la nature du dossier auquel l'accès est demandé. Dans la pratique quotidienne, les archivistes signalent aux chercheurs qu'aucune information émanant des dossiers pénaux ne peut être rendue publique si elle risque d'entraîner des dommages moraux déraisonnables pour des personnes encore en vie ou pour leurs successeurs.

    Aux Archives de l'État, les archives non publiques sont donc consultables à la condition que celui qui souhaite consulter les pièces respecte un certain nombre d'obligations dans le domaine, par exemple, du respect de la vie privée et des droits d'auteur.

    Un principe qui, dans ce cadre, ne peut être perdu de vue est la publicité de l'administration.

    Les archivistes et les chercheurs sont confrontés à trois éléments complexes de la législation: (1) la loi relative aux archives du 24 juin 1955, (2) la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration et les différents contenus que les communautés et régions lui ont conférés et (3) la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, dont l'application à l'égard des archives soulève un certain nombre de problèmes. C'est la raison pour laquelle, en janvier 2006, un avis a été demandé à la commission pour la protection de la vie privée sur la mise à disposition des informations dans les inventaires qui donnent accès à certaines archives, parce que, dans ces inventaires, on cite parfois nommément des personnes. La question se pose de savoir si les noms des personnes qui apparaissent dans la description des pièces peuvent également être rendus publics.

    Pour mieux comprendre la législation relative à l'accès aux archives, les Archives de l'État ont édité une brochure dans laquelle des informations claires sont données pour les différentes catégories d'archives quant aux règles qui sont d'application. Jusqu'à présent, il s'agissait là d'un point délicat. Il régnait un certain arbitraire dans la politique relative à l'accès aux archives non publiques. Les Archives de l'État veulent éviter toute forme d'arbitraire lié à l'accès aux informations publiques en communiquant de manière permanente des informations sur les règles et procédures.

    2.10. Archives des cabinets ministériels

    L'un des objectifs poursuivis par la réforme Copernic de l'administration fédérale consistait à supprimer les cabinets ministériels. Cela a donné l'espoir aux archivistes que les archives de ces cabinets acquerraient le caractère public et seraient donc traitées de la même manière que les archives des administrations publiques. Force fut de constater par la suite que les archives du ministre gardent pourtant leur statut de droit privé. Cette question fait l'objet de nombreux débats parce qu'un ministre opère en diverses qualités. Il agit en tant que membre du gouvernement, en tant que membre d'un parti, en tant que mandataire local, etc. Par conséquent, ces archives sont un conglomérat d'informations qui ne sont pas nécessairement liées à l'exercice de sa fonction ministérielle, à l'instar de tout échange de lettres privées.

    Parallèlement, les services logistiques d'un cabinet possèdent également des services d'archives.

    En tout cas, il est évident que les archives d'un cabinet sont extrêmement importantes pour la reconstruction des processus de prise de décision politique.

    Les Archives générales du Royaume sont par conséquent très favorables à l'idée de transférer les archives des cabinets ministériels, à la fin de la législature ou après la chute du gouvernement, à des services d'archives.

    Malheureusement, dans ce domaine, on constate une différence entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles.

    En Flandre, les archives des cabinets et les archives personnelles des responsables politiques sont transférées dans des services d'archives de droit privé appartenant au même groupe idéologique. Par exemple, le KADOC pour la philosophie démocrate-chrétienne, le Liberaal Archief de Gand pour les hommes politiques d'inspiration libérale, l'AMSAB pour la famille socialiste et les mouvements progressistes (c'est ainsi que certaines archives du mouvement écologiste flamand ont été transférées à cette instance) et l'ADVN pour la tendance nationaliste flamande. S'il est vrai que l'image semble très diffuse, il faut savoir que les Archives de l'État entretiennent avec ces centres d'excellentes relations.

    En ce qui concerne Bruxelles, les Archives de l'État se réjouissent d'avoir reçu les archives de certains responsables politiques bruxellois. Certains premiers ministres, comme Wilfried Martens, ont remis les archives de leur cabinet et leurs archives personnelles aux Archives de l'État.

    Toutefois, les Archives de l'État ne se positionnent pas seulement à Bruxelles mais également en Wallonie comme alternative pour la conservation des archives des cabinets des responsables politiques importants. Au cours des dernières années, elles ont, en effet, réussi à acquérir des archives importantes. Mais il reste encore un long chemin à parcourir. C'est la raison pour laquelle des partenariats ont été conclus avec des services d'archives des villes comme les archives de la ville de Bruxelles qui, profitant des élections locales du 8 octobre 2006, s'efforceront d'obtenir les archives des mandataires bruxellois locaux. Les Archives de l'État mettent à disposition leur expertise, et les archives de la ville de Bruxelles assurent la communication et l'exécution du plan d'action.

    Il est évident que tant que les archives des cabinets auront un caractère de droit privé, elles ne pourront être confiées qu'à la garde des Archives de l'État, ce qui signifie que l'accès et la consultation de celles-ci dépendront des conditions fixées à ce sujet par contrat.

    2.11. Les archives personnelles du Roi Léopold II et les archives de l'État indépendant du Congo

    M. Velle n'a que très peu d'informations à communiquer à ce sujet en dehors du fait que les Archives générales du Royaume possèdent une section « Palais royal » placé sous la direction de M. Gustaaf Janssens, chef de département. Certaines archives du Roi Léopold II sont abritées dans cette section. Toutefois, elles restent des archives privées. D'autres documents d'archives de cette période sont conservés par le service des archives du SPF Affaires étrangères et par le Musée royal d'Afrique centrale (MRAC).

    Normalement, les archives de la Maison royale et de la Cour sont accessibles après 50 ans. Si l'on souhaite consulter des pièces de moins de 50 ans, il faut en avoir obtenu l'autorisation. L'archiviste responsable se réunit alors en conclave avec le chef de cabinet du Roi pour décider quelles pièces peuvent être consultées et dans quelles conditions.

    Ces dernières années, peu de critiques ont été formulés à l'égard de cette manière de fonctionner. Le chef de département concerné, M. Janssens, s'efforce de rendre les archives du Palais royal accessibles au maximum pour les chercheurs, même lorsqu'il s'agit de matières délicates.

    Les archives de l'État indépendant du Congo sont gérées par le service d'archives du SPF Affaires étrangères qui est le successeur en droit du ministère des Colonies et d'un certain nombre de producteurs d'archives de l'époque du Roi Léopold II.

    Il faut épingler le fait que les archives des SPF Affaires étrangères et Défense relèvent du contrôle de l'Archiviste général du Royaume et de ses délégués, mais qu'en vertu d'un arrêté royal du 12 décembre 1957 concernant l'exécution de la loi relative aux archives du 24 juin 1955, ils sont dispensés de l'obligation de dépôt. Ces SPF ne doivent donc pas déposer leurs archives à l'échéance du délai de 100 ans aux Archives de l'État.

    Une concertation sera engagée avec les services d'archives de ces SPF de manière à uniformiser les critères en matière d'accessibilité et de publicité.

    2.12. Prix de revient des archives

    La gestion des archives est une activité coûteuse. Il ne s'agit pas seulement de stocker des archives dans des conditions climatiques correctes et de les garder en bon état. Elles doivent également être ouvertes à la recherche.

    Les ressources énergétiques nécessaires à la conservation des archives coûtent énormément d'argent: 25 % de la dotation des Archives de l'État est consacrée aux dépenses énergétiques. Cette facture d'environ un million d'euros pèse lourdement sur le budget des Archives de l'État.

    Un deuxième poste de dépenses important est celui du personnel. Or, ces coûts devraient également augmenter. En effet, des experts en matière de conservation ainsi que des spécialistes en informatique sont recrutés en vue de réaliser la numérisation des archives.

    Des moyens doivent également être mis à disposition pour la formation permanente du personnel, éventuellement en collaboration avec d'autres institutions.

    Comme indiqué, des budgets doivent également être obtenus pour la numérisation des archives, leur maintien et leur gestion.

    La conclusion est donc claire: les coûts ne vont pas diminuer mais s'accroître.

    Par contre, le prix à payer va diminuer spectaculairement dans les administrations. M. Velle espère que la modification de la loi relative aux archives débouchera sur une opération nulle sur le plan budgétaire. Il s'agira de convaincre l'autorité fédérale que si elle investit suffisamment au cours des 10 prochaines années, les grands dépôts d'archives des SPF pourraient totalement se vider dans un avenir relativement proche. De vastes espaces d'archivage seront ainsi libérés. M. Velle n'hésite pas à avancer un chiffre d'au moins 300 km. Les autorités fédérales n'auront plus besoin de louer, de chauffer et d'entretenir ces espaces.

    La perspective de voir modifier la loi relative aux archives dépend donc dans une large mesure de l'impact budgétaire de cette modification. C'est la raison pour laquelle l'opération devrait être financièrement neutre. Dès à présent, une concertation est menée avec le ministre chargé de la politique scientifique.

    2.13. Modification de la loi relative aux archives

    La modification de la loi relative aux archives du 24 juin 1955 n'est qu'une première étape. Les Archives de l'État demandent que cette loi soit nettoyée sur le plan terminologique et qu'un certain nombre de ses points essentiels soient adaptés de manière à satisfaire les demandes — déjà anciennes — des archivistes et des chercheurs. L'un des points sur lequel les chercheurs comme ceux du CEGES reviennent souvent est le raccourcissement du délai de dépôt de 100 à 30 ans. Il ne s'agit donc pas d'une révision fondamentale mais bien d'un amendement pour doter la Belgique d'une loi plus moderne en matière d'archives.

    Par contre, il est fondamentalement nécessaire de promulguer un nouvel arrêté désignant les responsables administratifs et financiers au sein des Archives de l'État et des administrations.

    La Vlaamse Vereniging van Bibliothecarissen, Archivarissen en Documentalisten (VVBAD) s'est érigée en groupe de pression important et livre une contribution positive au débat. Cette association compte plus de 200 archivistes à temps plein qui défendent la conservation et l'ouverture à la recherche de notre patrimoine.

    En ce qui concerne la vision et la conception, on constate une différence importante avec la Wallonie où vient d'être fondée l'Association des archivistes francophones belges. Il reste à cette association à prendre des initiatives en vue de professionnaliser la branche et de préparer des propositions de décret destinées, par exemple, à la Communauté française, à la Région wallonne et à la Région de Bruxelles-Capitale.

    M. Velle est totalement confiant dans le fait que cette association se ralliera au projet des Archives de l'État pour faire modifier la loi relative aux archives.

    Outre cette simple modification de la loi relative aux archives, il s'exerce, surtout en Flandre, une forte pression, notamment par le biais de la VVBAD, pour que la loi soit révisée de manière plus fondamentale.

    D'après M. Velle, cette révision n'est pas encore à l'ordre du jour. En effet, ce type de révision prévoirait notamment que certaines compétences en matière d'archives soient transférées aux entités fédérées. Cela nécessite un débat politique qui se situe à un autre niveau que la discussion que M. Velle souhaite mener pour l'instant, en tant qu'Archiviste général du Royaume. Des voix s'élèvent en Flandre pour que la compétence en matière de contrôle des archives soit transférée aux administrations provinciales et communales. Pour M. Velle, cela ne pose pas de problème en soi mais alors, le débat doit être ouvert et s'étendre au rôle des Archives de l'État au sein de l'État fédéral. Que deviendront, dans ce cas, les dépôts des Archives de l'État à Bruges et à Namur qui traitent et gèrent depuis de nombreuses années une masse importante d'archives provinciales et communales ? De même, la question se pose de savoir si toutes les entités fédérées disposent de suffisamment de moyens pour assumer la fonction d'inspection dans les règles de l'art. Il y a donc tout un faisceau de problèmes à résoudre avant de répondre à la question de principe de la répartition des compétences et des tâches.

    En tant qu'Archiviste général du Royaume, M. Velle n'a, en principe, aucune objection contre cette nouvelle répartition des compétences. Mais si les Archives de l'État doivent se replier au niveau fédéral, leurs compétences en matière d'archives doivent alors s'étendre à l'ensemble de l'autorité fédérale et donc également au parlement fédéral, à la Cour d'arbitrage et aux SPF Défense et Affaires étrangères, ce qui n'est pas le cas pour le moment ou ne l'est que partiellement.

    M. Velle ne souhaite donc pas entrer dans l'histoire comme l'Archiviste général du Royaume qui a encouragé le déshabillage des Archives de l'État. Par contre, il souhaite collaborer de manière constructive au débat sur la défédéralisation de la loi et à la recherche de solutions acceptables par toutes les parties.

    2.14. Réaction aux critiques du CEGES

    M. Karel Velle, Archiviste général du Royaume, résume la double critique formulée par le CEGES dans son rapport intermédiaire concernant la politique des archives comme suit (op.cit., p. 29-31):

    1. En ce qui concerne la conservation et l'accès aux fichiers d'archives encore gérés par différents services publics comme le SPF Justice et les provinces et communes:

    D'après le CEGES, les services publics n'ont que peu d'expérience de la gestion des archives. En Wallonie, il n'existe aucune politique des archives. La preuve de cette situation est donnée par les nombreuses déficiences constatées dans le traitement des archives, surtout dans les provinces, les villes et les communes wallonnes mais également dans certaines villes flamandes comme Malines et Hasselt. Le désintérêt pour les archives est également illustré par le fait que, lors de la réforme des polices en 1998, on n'a pas réfléchi à la question de savoir ce qu'il allait advenir des archives des différents services de police.

    2. En ce qui concerne la conservation et l'accès aux fichiers d'archives versés aux Archives générales du Royaume:

    Le CEGES constate, en partie à raison, que les archives de certains SPF importants ou d'anciens ministères ne sont pas (suffisamment) accessibles. Il s'agit en particulier des archives des SPF Intérieur, Finances et Affaires économiques.

    M. Velle regrette surtout que le CEGES n'ait pas profité de l'occasion pour mentionner également un certain nombre de points positifs dans son rapport intermédiaire. En effet, ces derniers temps, les Archives de l'État ont mené de nombreuses inspections ayant donné lieu à des constatations rassemblées dans des rapports systématiques. Grâce à cela, 6 à 7 km d'archives sont acquis chaque année, dont une grande partie ont trait à la période 1939-1945.

    Il répond point par point aux critiques du CEGES.

    — Archives des parquets

    Le CEGES marque un point en soulignant qu'en Wallonie, on constate un arriéré dans la sélection, l'ouverture à la recherche et le transfert des archives du parquet vers les Archives de l'État. Mais cette critique ne peut pas être généralisée. Ainsi, les archives des parquets de certains arrondissements (par exemple Neufchâteau et Marche-en-Famenne) ont été récemment déposées.

    Le CEGES a tout à fait raison de dire que la politique de sélection de ces 30 dernières années n'est pas très transparente et n'a pas été suffisamment soignée et que peu de dépôts portant sur les archives des parquets concernant la période 1930-1950 ont été effectués.

    — Archives des provinces et communes wallonnes

    La critique du CEGES à ce sujet doit être nuancée.

    De nombreux dépôts d'archives provinciales ont été enregistrés.

    Mais, la loi relative aux archives étant ce qu'elle est, les provinces ne sont tenues de verser aux Archives de l'État que leurs archives de plus de 100 ans. Tant que ce délai n'est pas échu, elles doivent cependant conserver leurs archives en bon état. C'est ainsi que les archives de la province de Namur versées aux Archives de l'État s'arrêtent en 1940. De son côté, la province de Liège n'a plus transféré d'archives depuis plusieurs décennies. La dernière inspection date de 1991.

    Les Archives générales du Royaume admettent que les Archives de l'État devront fournir les efforts nécessaires pour éradiquer l'arriéré du transfert des archives provinciales en Wallonie ou, au moins, encourager les provinces qui le souhaitent à transférer aux Archives de l'État les archives qui n'ont pas d'utilité administrative actuelle.

    En ce qui concerne les communes, on ne peut perdre de vue que la Wallonie compte un grand nombre de petites communes ou de communes ayant de lourdes difficultés financières.

    En dépit de la marge de manœuvre financière très étroite, il est réjouissant de constater que s'est créée en Wallonie une jeune équipe d'archivistes, en particulier à Charleroi, qui souhaite formuler ensemble une politique de gestion des archives. Avec le soutien des Archives de l'État, ces archivistes tentent de réduire l'arriéré.

    L'image que donne le CEGES dans son rapport intermédiaire de la situation en Wallonie n'est donc que partiellement correcte. On ne peut passer sous silence les nombreuses inspections réalisées par les Archives de l'État ces dernières années en Wallonie, ni les transferts d'archives opérés ensuite.

    — Archives non ouvertes à la recherche aux Archives générales du Royaume

    Le diagnostic du CEGES en ce qui concerne les documents non ouverts à la recherche dans les Archives de l'État est également correct mais mérite une petite mise au point. Ces dernières années, les Archives de l'État ont réalisé de nombreuses acquisitions de documents relatifs à la Deuxième guerre mondiale, rendus accessibles aux chercheurs.

    M. Velle exprime des doutes quant à la constatation du CEGES qu'il n'existe en Belgique absolument aucune politique de gestion des archives. C'est la raison pour laquelle il propose de ne pas mettre l'accent, dans la proposition de résolution, sur la mauvaise politique de gestion des archives mais bien sur le traitement déplorable des archives publiques en général. Il existe bel et bien une politique de gestion des archives et ce, à différents niveaux de l'administration. Cette politique peut évidemment être améliorée, mais cela nécessite des investissements supplémentaires.

    — Destructions sauvages

    Les Archives générales du Royaume admettent qu'au cours des dernières décennies, certaines archives, comme les dossiers des étrangers de la police de Malines, ont été détruites sans l'accord des Archives de l'État. Ces destructions sauvages sont des péchés capitaux que les Archives de l'État déplorent. Hélas, la législation ne prévoit aucune disposition pénale ou amende administrative permettant de déposer plainte contre les services publics défaillants.

    3. Répliques

    M. Lionel Vandenberghe rappelle que depuis 1970 déjà, on parle du transfert de compétences en matière d'archives. Il est par conséquent dans l'ordre des choses que cette compétence également, qui concerne les entités fédérées, soit transférée à ces dernières. Les responsables politiques doivent faire preuve de cohérence dans leurs prises de position.

    M. Velle réplique que la question de la régionalisation des tâches des Archives de l'État n'est pas seulement le corollaire de la structure de notre État fédéral mais aussi de la différence entre le secteur des archives en Flandre et en Wallonie. La Flandre a déjà beaucoup investi dans ses archives. Il existe une association professionnelle ainsi que tout un réseau qui dispose de l'infrastructure nécessaire. La Wallonie doit encore, dans ces domaines, mener une gigantesque opération de rattrapage.

    En tant que fonctionnaire fédéral, M. Velle estime qu'il est de son devoir de faire un effort particulier également pour la Wallonie.

    M. Alain Destexhe demande quelle mesure la commission peut éventuellement prendre pour progresser dans cette matière excessivement complexe. Peut-être l'Archiviste général du Royaume pourrait-il établir une note de réflexion et l'adresser au parlement fédéral et aux communautés et régions.

    Mme Van de Casteele estime que la commission doit se tenir à son ordre du jour, à savoir la discussion du rapport intermédiaire du CEGES et de la proposition de résolution présentée à ce sujet par MM. Destexhe et Mahoux.

    L'exposé de M. Velle était très instructif. Mais les leçons que l'on peut en tirer doivent s'appliquer à la discussion du projet de loi en chantier visant à modifier la loi relative aux archives.

    M. Lionel Vandenberghe est prêt à présenter un amendement visant à intégrer dans la proposition de résolution une recommandation enjoignant le ministre chargé de la politique scientifique de procéder à une adaptation rapide de la loi relative aux archives actuellement en vigueur. En ce qui concerne l'élaboration de l'arrêté relatif aux archives encore en préparation, les membres du parlement n'ont évidemment aucune influence directe.

    En ce qui concerne cet arrêté précisément, M. Velle déclare que le cabinet du ministre compétent est disposé à convoquer, au cours du mois de mai 2006, un groupe de travail intercabinet pour examiner les textes ainsi que sa note. L'Archiviste général du Royaume espère pouvoir faire entendre sa voix dans ce débat.

    Il est intimement convaincu que les citoyens et les chercheurs sont, actuellement, plus intéressés par le raccourcissement des délais de dépôt et de publicité et par l'amélioration substantielle de la gestion des archives des administrations. Ce sont là des priorités à prendre en compte dans un avenir proche.

    Si le Parlement fédéral pouvait contribuer à réaliser cette démarche à court terme, il aura donné un signal positif.

    V. DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ET VOTE

    A. Considérants

    1. M. Lionel Vandenberghe et Mme Talhaoui déposent l'amendement nº 1 (Doc. Sénat, nº 3-1653/2), afin de remplacer dans le texte néerlandais du considérant L le terme « deplorabele » par le mot « betreurenswaardige ». Ce dernier terme est, en effet, linguistiquement plus élégant.

    Cet amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

    2. M. Lionel Vandenberghe dépose l'amendement nº 5 (Doc. Sénat, nº 3-1653/3), afin d'ajouter, entre les considérants L et M, les considérants Lbis et Lter, rédigés comme suit:

    « Lbis. Constatant que M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES, et M. Karel Velle, archiviste générale du Royaume, ont soulevé, au cours des l'auditions, évoqué des problèmes liés à l'obsolescence de la loi sur les archives,

    Lter. Constatant que dans sa réponse à des questions parlementaires des sénateurs De Roeck et Vandenberghe (nos 3-1446 et 3-926), le ministre qui a la Politique scientifique dans ses attributions a annoncé une adaptation de la loi sur les archives, ».

    M. Alain Destexhe dépose ensuite le sous-amendement nº 7 (Doc. Sénat, nº 3-1653/3), afin de supprimer dans le considérant Lter proposé la référence aux sénateurs De Roeck et Lionel Vandenberghe. Il est en effet inopportun de citer nommément, dans les considérants d'une résolution du Sénat, les auteurs de questions parlementaires.

    Le sous-amendement nº 7 et l'amendement nº 5 sont ensuite adoptés par 7 voix et 4 abstentions.

    3. M. Lionel Vandenberghe et Mme Talhaoui déposent l'amendement nº 2 (Doc. Sénat, nº 3-1653/2), afin de supprimer les considérants M, N et P. Les conclusions figurant dans ces trois considérants n'ont en effet pas été tirées par l'équipe de recherches du CEGES. Il faut par conséquent attendre le rapport final.

    M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES, répète ses objections contre certaines constatations des considérants A à R. Il ne peut se défaire de l'impression que les auteurs de la proposition souhaitent tenir certains propos concernant le contenu qui, il est vrai, sont proches de la réalité, mais anticipent sur les conclusions du rapport final. Il plaide dès lors pour une certaine réserve dans ce domaine. Les conclusions qui figureront dans le rapport final seront suffisamment étoffées pour inviter au débat. M. Van Doorslaer suggère par conséquent d'attendre la publication de ce rapport.

    C'est la raison pour laquelle il propose également de supprimer d'autres considérants que ceux que mentionne l'amendement nº 2, à savoir les considérants M, N et P.

    Il n'est pas accédé à cette demande.

    Les auteurs de l'amendement n'accèdent pas davantage à la suggestion de M. Destexhe de maintenir malgré tout le considérant P.

    L'amendement nº 2 est adopté par 6 voix et 3 abstentions.

    B. Demandes adressées au gouvernement

    M. Velle, archiviste général du Royaume, formule les remarques suivantes.

    Au point 2, il est demandé au gouvernement fédéral « d'informer les communes et les provinces des déficiences constatées par le CEGES dans certaines archives provinciales et communales, » (Doc. Sénat, nº 3-1653/1, p. 3).

    M. Velle signale que le gouvernement fédéral, en vertu du transfert aux régions des compétences en matière d'administrations locales en 2001, n'a que peu ou pas d'instructions à donner aux provinces et aux communes. Il appartient toutefois aux Archives du Royaume d'indiquer à ces administrations les éventuelles déficiences dans la gestion de leurs archives. Les Archives du Royaume se sont du reste toujours strictement acquittées de cette mission.

    La troisième demande adressée au gouvernement est un appel à « prendre dans la limite de ses compétences, les mesures qui s'imposent et à proposer un plan pour assurer la conservation des archives et plus particulièrement celles relatives à la période concernée par l'étude du CEGES ».

    Il y a lieu de formuler l'observation suivante. Les Archives du Royaume ont, au cours des dernières décennies, accordé une attention toute particulière aux archives concernant la période de la Seconde Guerre mondiale et y ont apporté tout le soin nécessaire. Toutes les listes de sélection ont été établies de telle sorte que les archives concernant la période 1930-1950 soient conservées le mieux possible. Très souvent, ces listes spécifiaient que la tâche des Archives du Royaume consistait à « conserver intégralement » les pièces, précisément pour ne pas se voir reprocher a posteriori d'avoir travaillé de manière trop sélective.

    La mission des Archives du Royaume consiste non seulement à conserver les archives relatives à la période 1930-1950, mais également à conserver celles qui concernent toutes les autres périodes des XIXe et XXe siècles. Toutes ces archives doivent être gérées et ouvertes à la recherche de sorte qu'elles puissent être mises à la disposition de chercheurs belges et étrangers mais aussi de tout citoyen intéressé par l'histoire, et pas seulement de l'équipe du CEGES, quelles que puissent être l'importance et la pertinence sociale de la mission de recherche de cette institution.

    Les demandes nos1 à 4 adressées au gouvernement sont adoptées par 9 voix et 2 abstentions.

    M. Lionel Vandenberghe dépose l'amendement nº 6 (Doc. Sénat, nº 3-1653/3), afin de compléter les demandes adressées au gouvernement comme suit:

    « 5. d'insister auprès du ministre de la Politique scientifique pour qu'il fasse diligence en vue d'adapter sans tarder la législation actuelle sur les archives. »

    Par cet amendement, il se rallie au plaidoyer de M. Karel Velle, archiviste général du Royaume.

    L'amendement nº 6 est adopté par 9 voix et 2 abstentions.

    C. Demandes adressées au CEGES

    Étant donné que les versions française et néerlandaise utilisent une numérotation différente et en partie erronée dans les quatre demandes adressées au CEGES, la commission décide d'adapter la numérotation des demandes formulées respectivement au gouvernement et au CEGES.

    1. La demande figurant au point 1 (lire: point 5) au CEGES est adoptée par 9 voix et 2 abstentions.

    2. M. Lionel Vandenberghe et Mme Talhaoui déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 3-1653/2), afin de remplacer la demande adressée au CEGES au point 2 (lire: point 6) par ce qui suit: « 6. de poursuivre l'analyse de tous les points énumérés dans la résolution du Sénat du 13 février 2003 et d'en rendre compte dans le rapport final ».

    L'amendement nº 3 est adopté par 7 voix contre et 4 abstentions.

    3. M. Rudi Van Doorslaer, directeur du CEGES, est particulièrement critique à l'égard de la troisième demande adressée au CEGES: « de mettre en évidence, tout en continuant d'éviter les pièges de l'anachronisme et de la rétrospectivité, les différences d'attitude entre les autorités dans la mise en œuvre des mesures exigées par l'occupant ». C'est l'essence même de l'histoire de ne pas tomber dans l'anachronisme. Ce serait la faute la plus grave que l'on pourrait reprocher au CEGES. Il plaide par conséquent pour la suppression de la référence aux dangers de l'anachronisme et de la rétrospectivité.

    M. Lionel Vandenberghe et Mme Talhaoui déposent ensuite l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 3-1653/2), afin de remplacer la demande adressée au CEGES au point 3 (lire: point 7) par ce qui suit: « 7. de poursuivre l'analyse scientifique approfondie de l'attitude adoptée par les diverses autorités dans la mise en œuvre des mesures imposées par l'occupant ». Les politiques doivent laisser les scientifiques faire leur travail conformément aux exigences de leur discipline. Par conséquent, les responsables politiques doivent attendre les résultats de la recherche scientifique et ne les évaluer qu'ensuite.

    L'amendement nº 4 est adopté par 7 voix et 4 abstentions.

    4. La demande figurant au point 4 (lire: point 8) est adoptée par 9 voix et 2 abstentions.

    D. Vote sur l'ensemble

    L'ensemble de la proposition de résolution ainsi amendée et corrigée a été adopté par 9 voix et 2 abstentions.


    Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

    Les rapporteurs, La présidente,
    Lionel VANDENBERGHE.
    Jean-Marie HAPPART.
    Anne-Marie LIZIN.

    (1) Ce rapport est disponible sur le site web du CEGES: www.cegesoma.be.

    (2) Doctorat qu'il a défendu avec succès le 23 janvier 2006.

    (3) Cf. Herman Van Goethem et Jan Velaers, Leopold III: de koning, het land, de oorlog, Tielt, Lannoo, 1994, p. 1150 .