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12 SEPTEMBRE 2005
À l'heure où notre société cherche à se recentrer sur des valeurs de responsabilité, de respect et de dignité de la personne et où l'égalité s'affirme comme une valeur fondamentale de la démocratie, il convient de combattre les stéréotypes présents dans les échanges quotidiens des individus et dans les médias, et qui entretiennent dans notre société un anachronisme révoltant.
On le sait, les médias occupent aujourd'hui une place considérable au sein de notre société: chaque jour, les milliers d'images reçues donnent imperceptiblement une idée déformée de la place, des comportements et des rôles de chacun dans la société. Leur responsabilité est grande dans la mesure où ils présentent encore trop souvent des images comportant des risques d'atteinte à la dignité humaine et où ils incitent à la violence et à l'incompréhension entre les sexes.
Combien d'images et de jeux de mots présents dans les publicités ne représentent-ils pas un danger dans la mesure où ils banalisent la violence et entretiennent le sexisme ?
La publicité exerce une influence tellement déterminante sur nos concitoyens, et plus particulièrement sur les plus jeunes, qu'elle risque d'influencer de manière durable la construction identitaire de chacun et chacune.
Nous voulons dénoncer plus particulièrement le décalage entre les stéréotypes à l'œuvre dans certaines publicités et la richesse des rôles et des fonctions exercées par les femmes au sein de la société belge. En effet, ce sont principalement les femmes qui sont réduites au travers de certaines publicités à de simples objets de consommation ou de désir sexuel.
Depuis quelques années, on assiste à un retour aux clichés les plus déformés montrant des femmes au foyer, dans des situations d'attente et de soumission par rapport aux hommes ou utilisant leur plastique corporelle sans rapport avec le produit vanté.
Or, parallèlement, des avancées majeures en terme d'égalité des chances entre les femmes et les hommes ont été réalisées ces dernières années sur le plan législatif. Nous pensons à la modification de la Constitution en vue d'y inscrire explicitement le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi la représentation politique et sociale des femmes en Belgique.
Par ailleurs, il est important de préciser que ce débat s'inscrit dans une société démocratique où la liberté d'expression est et doit rester la règle, mais où le respect de la dignité humaine est une balise essentielle. Il ne s'agit en aucune façon, et nous le répétons, de censurer mais bien de sanctionner les seuls abus et excès des droits qui s'y exercent.
Par le biais de cette proposition nous voulons qu'une réflexion soit réalisée sur ce phénomène des publicités qui mettent en scène des comportements d'exclusion et de domination à l'égard des femmes en particulier et qui transgressent de façon manifeste l'un des principes fondamentaux de toute société de droit: le respect de la dignité de la personne humaine.
Nous tenons à préciser que de telles réflexions ont déjà été menées dans certains pays voisins et autres. Nous citerons en exemple la France et le Canada où diverses initiatives ont été prises concernant cette question de l'image des femmes au travers des créations publicitaires, de façon très récente pour la première et qui remontent à quelques années déjà pour le second. Les politiques ont ainsi réussi à accroître la responsabilité des professionnels en renforçant le dispositif d'autodiscipline mis en place par l'interprofession publicitaire. On a ainsi noté des changements positifs quant à la représentation des femmes et des hommes dans la publicité, et ce, grâce à cette pratique qui est plus souple et moins coûteuse que ne l'est la réglementation gouvernementale.
En conséquence, nous voulons ici réaffirmer notre rôle qui est d'assurer le mieux-être de la société dont chaque acteur économique, politique et social est responsable. Lorsque l'on constate un tel rapport inégal de forces, comme l'est aujourd'hui celui qui existe entre les professionnels de la publicité et les consommateurs, quand un équilibre risque d'être rompu, alors le lancement d'une réflexion et de mesures s'impose.
Marie-José LALOY Olga ZRIHEN Fatma PEHLIVAN Nathalie de T' SERCLAES Margriet HERMANS Sabine de BETHUNE Clotilde NYSSENS Joëlle KAPOMPOLÉ Jean-Marie HAPPART. |
Le Sénat,
A. Considérant que la publicité ne présente pas toujours des valeurs d'égalité entre les femmes et les hommes. Qu'elle véhicule souvent des stéréotypes à leur égard et a tendance à montrer une fausse image de la place et des rôles que les femmes et les hommes occupent dans la société.
B. Considérant qu'une croissance importante du nombre de publicités présente une image de la femme en totale contradiction avec la réalité des femmes de notre pays.
C. Considérant que la publicité présente des images de femmes jugées par beaucoup comme humiliantes et dégradantes et comportant de surcroît des risques d'atteinte à la dignité de la personne humaine, avec des images incitant à la violence contre les femmes ou à la discrimination en raison du sexe.
D. Considérant que ce vecteur de masse qu'est la publicité, ainsi que sa médiatisation croissante, produit un impact important sur le comportement des consommateurs.
E. Considérant que l'on estime aujourd'hui, dans un pays développé, qu'un individu reçoit chaque jour près de 2 500 impacts de messages publicitaires (1) .
F. Considérant que le nombre de plaintes déposées devant le Jury d'éthique publicitaire pour atteinte à la décence a atteint 38 % du total des plaintes déposées devant le Jury en 2003 (2) . Le critère de décence devient un critère de plus en plus important. Ce fait confirme que le public est de plus en plus sensible au respect de la personne dans la publicité.
G. Considérant qu'il convient d'éviter le recours systématique à la loi afin de ne pas alourdir notre arsenal répressif, et de trouver la meilleure voie pour concilier la liberté d'expression, de création et le respect de la dignité de la personne.
H. Considérant que l'enjeu est de favoriser l'émergence d'une véritable synergie entre les professionnels de la publicité et les consommateurs.
I. Considérant que si les entreprises doivent répondre aux besoins et aux désirs du marché, elles doivent le faire d'une façon qui préserve ou améliore le bien-être des consommateurs et de la collectivité.
J. Considérant que la publicité doit s'inscrire dans un cadre éthique respectueux de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la dignité de la personne humaine.
K. Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme qui affirme le principe de la non-discrimination et proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la Déclaration, sans distinction aucune, notamment de sexe.
L. Vu les articles 10 et 11bis de la Constitution qui reconnaissent expressément le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes.
M. Vu l'article 23 de la Constitution qui consacre le droit à la dignité humaine.
N. Vu la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979 par l'Assemblée générale des Nations unies, souvent présentée comme la charte internationale des droits de la femme, et son Protocole facultatif qui permet aux femmes dont les droits ont été violés et qui ont épuisé les voies de recours internes, de saisir le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. L'article 5 de cette Convention demandant aux États parties qu'ils modifient les schémas et modèles de comportement socioculturel de l'homme et de la femme en vue d'éliminer les pratiques fondées sur l'idée de rôle sexuel stéréotypé ou de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou de l'autre sexe.
O. Vu la déclaration et le programme d'action de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes qui s'est tenue à Pékin en septembre 1995 et qui reprend parmi ses recommandations le thème « Femmes et médias » tout en soulignant l'importance « d'élaborer, dans le respect de la liberté d'expression, des principes et codes de conduite professionnels et d'autres formes d'auto réglementation afin d'encourager la présentation d'images non stéréotypées des femmes ».
P. Vu la résolution du Conseil de l'Union européenne sur le traitement de l'image des femmes et des hommes dans la publicité et les médias, adoptée le 5 octobre 1995, et vu la résolution du Parlement européen sur la discrimination de la femme dans la publicité adoptée le 16 novembre 1997, qui, tout en réaffirmant le principe de la liberté d'expression, rappellent que la publicité et les médias ne doivent pas porter atteinte au respect de la dignité humaine, ni comporter de discrimination en raison du sexe.
Q. Vu le Code international de pratiques loyales en matière de publicité élaboré par la Chambre de commerce internationale, qui dispose par le bais de ses articles 4.1 et 4.3 que « la publicité ne doit cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur la race, l'origine nationale, la religion, le sexe ou l'âge, ni porter en aucune façon atteinte à la dignité humaine » et que « la publicité ne doit contenir aucune incitation ni sembler cautionner ou encourager des comportements illicites ou répréhensibles ».
Demande au gouvernement:
1. De confier à l'Institut pour l'égalité entre les femmes et les hommes la réalisation d'un travail approfondi d'investigation sur l'image des femmes dans la publicité.
1.1. Cette étude sera menée au regard de l'impératif social de prévention de la violence et de lutte contre les discriminations à l'égard des femmes. Tous les acteurs concernés tels que les professionnels de la publicité (annonceurs, agences de communication, représentants du monde de la presse, de la télévision et de l'affichage), les représentants du corps social (Conseils de femmes, ONG, ...) ainsi que les institutions de régulation, seront invités à participer à l'élaboration de cette étude.
1.2. Dans un objectif de protection des droits de la personne et du renforcement du principe de non-discrimination, ce rapport contiendra des propositions concrètes visant à une meilleure régulation des relations existant entre les différents acteurs et à une plus grande prise de conscience et de sensibilisation, par le biais éventuel d'une actualisation des textes législatifs et réglementaires en vigueur.
1.3. Sur base de cette étude, sera rédigé un ensemble de lignes directrices sur la représentation des femmes et des hommes dans la publicité. Ces lignes directrices devront servir à venir en aide aux créateurs publicitaires afin qu'ils élaborent des images positives des hommes et des femmes, et qu'ils éliminent toute forme de discrimination fondée sur le sexe.
2. De renforcer le dispositif d'autodiscipline mis en place avec le Jury d'éthique publicitaire (JEP):
2.1. En l'invitant à s'engager à faire preuve d'une vigilance particulière pour éviter de diffuser des images ou des messages publicitaires qui pourraient être interprétés comme une incitation à la discrimination envers des personnes, ou des groupes de personnes, en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, réelle ou supposée.
2.2. En y intégrant des représentants de consommateurs à côté des annonceurs, des agences de publicité et des médias, de manière à ce que le corps social dispose d'une réelle capacité de parole et d'action.
2.3. En renforçant le caractère contraignant de ses décisions, en mettant en place par exemple des sanctions strictes.
3. De créer un Conseil fédéral des pratiques publicitaires chargé d'analyser la pratique publicitaire et de ses évolutions et d'émettre des avis ainsi que des recommandations en vue d'une régulation de l'activité publicitaire de manière à rendre celle-ci plus compatible avec le développement durable et une vision plus éthique de notre société.
4. D'organiser l'information et la sensibilisation des consommateurs-citoyens de manière à permettre l'émergence du débat public et ouvrir la possibilité de collaborations entre les professionnels, les associations et les citoyens.
4.1. Dans le prolongement des campagnes contre le sexisme menées par des ONG, la mise sur pied d'une campagne publicitaire dénonçant les discriminations et les violences, lancée par les pouvoirs publics et financée par les publicitaires eux-mêmes.
4.2. La mise à disposition d'un numéro de téléphone vert, d'une adresse électronique et d'une adresse postale, de manière à ce que le public puisse dénoncer les publicités qui représentent des images de femmes ou d'hommes portant atteinte à la dignité de la personne humaine.
4.3. D'officialiser la remise d'un prix, par les publicitaires à leurs pairs, destiné à récompenser les publicités qui rompent le mieux avec les stéréotypes sexistes.
5. D'organiser au préalable à ce travail une concertation avec les entités fédérées dans la mesure où celles-ci, de par leurs compétences en matière d'audiovisuel notamment, sont également concernées.
17 juin 2005.
Marie-José LALOY Olga ZRIHEN Fatma PEHLIVAN Nathalie de T' SERCLAES Margriet HERMANS Sabine de BETHUNE Clotilde NYSSENS Joëlle KAPOMPOLÉ Jean-Marie HAPPART. |
(1) Ignacio Ramonet, « La fabrique des désirs », Le Monde diplomatique, mai 2001.
(2) Jury d'éthique publicitaire, Rapport 2003, p. 19 et suiv.