2-1311/3

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

11 FÉVRIER 2003


Proposition de résolution relative à l'établissement des faits et des responsabilités éventuelles d'autorités belges dans la déportation et la persécution des juifs de Belgique au cours de la Seconde Guerre mondiale


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR MME TAELMAN ET M. CHERON


SOMMAIRE


  1. Exposé introductif des auteurs principaux de la proposition de résolution, MM. Alain Destexhe et Philippe Mahoux
  2. Discussion générale
  3. Audition
    1. M. Guy Verhofstadt, premier ministre
      1. Exposé
      2. Questions et observations
    2. MM. José Gotovitch et Rudi Van Doorslaer, respectivement directeur et chef de travaux du Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES)
      1. Exposés
        1. M. José Gotovitch, directeur
        2. M. Rudi Van Doorslaer, chef de travaux
      2. Questions et observations
    3. M. Michel Eisenstorg et Mme Judith Kronfeld, respectivement président et secrétaire générale de l'Union des déportés juifs de Belgique ­ filles et fils de la déportation
      1. Exposés
      2. Questions et observations
  4. Discussion des points
    1. Intitulé
    2. Considérants
    3. Dispositif
      1. Point 1
      2. Point 1bis (nouveau)
      3. Point 2
  5. Vote sur l'ensemble

La commission des Affaires institutionnelles a examiné la proposition de résolution relative à l'établissement des faits et des responsabilités éventuelles d'autorités belges dans la déportation et la persécution des juifs de Belgique au cours de la Seconde Guerre mondiale au cours de ses réunions des 12 décembre 2002 et 23 et 30 janvier 2003.

Les travaux se sont déroulés comme suit : le 12 décembre 2002, les auteurs principaux de la proposition de résolution ont présenté leur exposé introductif (I), qui a été suivi de la discussion générale (II). Le 23 janvier 2003 a été organisée un audition (III), après quoi ont eu lieu, le 30 janvier 2003, la discussion des points (IV) ainsi que le vote sur l'ensemble (V) et ce, en présence de Mme F. Audag-Dechamps et D. Debouverie, qui représentaient respectivement le premier ministre et le ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique.

Le présent rapport constitue le premier volet d'un diptyque. À l'occasion de la discussion de la proposition de résolution, il s'est en effet avéré qu'il fallait une initiative législative pour en assurer la mise en oeuvre. Voilà pourquoi, en application de l'article 22.3 du règlement du Sénat, la commission a rédigé, examiné et approuvé elle-même une proposition de loi au cours de sa réunion du 30 janvier 2003. Pour le rapport et le texte adopté de cette proposition de loi relative à la réalisation d'une recherche sur les persécutions et la déportation des juifs de Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, on se référera au deuxième volet du diptyque (doc. Sénat, nºs 2-1450/1 et 2). Pour bien comprendre la genèse et la portée de cette proposition de loi, il convient d'avoir sous les yeux les deux volets, parce que la commission s'est efforcée de réaliser un parallélisme entre les deux textes.

Le présent rapport a été soumis à l'approbation de la commission le 11 février 2003.

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DES AUTEURS PRINCIPAUX DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION, MM. ALAIN DESTEXHE ET PHILIPPE MAHOUX

Plus d'un demi-siècle après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le moment semble venu d'organiser un débat historique et politique serein sur les responsabilités éventuelles des autorités belges dans l'identification, les persécutions et la déportation des juifs de Belgique. Contrairement à la France où le régime de Vichy, sous la férule du maréchal Pétain, a collaboré officiellement avec l'Allemagne nazie, le gouvernement belge, qui avait émigré à Londres, s'est immédiatement rangé du côté des alliés, de sorte qu'il n'a jamais été question d'une collaboration officielle avec l'occupant en Belgique.

Il n'empêche qu'au cours de l'occupation, près de la moitié de la population juive de Belgique a été déportée. Il s'agissait de quelque 30 000 personnes qui, à quelques exceptions près, ont toutes trouvé la mort dans les camps de concentration.

Lorsque l'on compare le nombre de déportations en Belgique à celui des déportations qui eurent lieu en France, force est néanmoins de constater que, contre toute attente, un quart seulement de la population juive de France a été déportée, alors que le pays était dirigé par un gouvernement collaborateur. Certes, des facteurs géographiques entrent en ligne de compte à cet égard. Mais ils ne suffisent pas en soi à expliquer des différentes aussi marquantes. Il est par conséquent nécessaire d'examiner plus en détail les autres raisons qui peuvent expliquer pourquoi le nombre de victimes parmi les juifs de Belgique a été proportionnellement plus grand.

La Commission d'étude des biens juifs, ou, in extenso, la Commission d'étude sur le sort des biens des membres de la communauté juive de Belgique spoliés ou délaissés pendant la guerre 1940-1945, appelée communément commission Buysse, du nom de son président, a donné une impulsion capitale en ce sens (1). Dans son rapport final de juillet 2001 (http ://www.combuysse.fgov.be), cette commission a en effet attiré l'attention sur plusieurs faits inquiétants. Quatre d'entre eux méritent en tout cas d'être examinés de plus près :

· le premier est la décision que le gouvernement belge prit dans les journées de mai 1940 d'arrêter et de déporter vers la France un grand nombre de personnes qui étaient considérées comme des opposants ou que l'on estimait susceptibles de présenter une menace pour l'État belge et parmi lesquelles beaucoup de juifs allemands et autrichiens. On estime qu'au total, 4 000 des quelque 5 500 personnes qui furent arrêtées, étaient juives et qu'au moins 3 500 d'entre elles furent déportées à Auschwitz au départ du camp de concentration français de Drancy. La commission Buysse a émis à cet égard, dans son rapport final, le commentaire suivant :

«Peut-être gagné par la panique qui saisit l'opinion publique, laquelle voyait des espions partout, le gouvernement (belge) fit massivement interner sans aucune distinction les réfugiés juifs venus du Reich. Sans se soucier du fait que ces derniers avaient été persécutés par le régime national-socialiste, le gouvernement les fit finalement acheminer vers des camps situés en France. Pour beaucoup parmi eux commença là le périple qui, de Drancy, devait les mener à Auschwitz » (2). Reste à savoir ce qui a amené le gouvernement belge à déporter vers la France des opposants juifs au régime nazi;

· deuxièmement, il y a le rôle qu'ont joué les secrétaires généraux. La commission Buysse a constaté ce qui suit à ce sujet :

« Ainsi par exemple, les secrétaires généraux refusèrent, se retranchant derrière la Constitution, de promulguer les premières mesures anti-juives (28 octobre 1940) (en conséquence de quoi, l'occupant fut obligé de les promulguer par voie d'ordonnance allemande). Les secrétaires généraux envoyèrent par contre une circulaire aux administrations communales pour la constitution des registres des juifs »;

· troisièmement, il y a l'attitude d'autres pouvoirs publics. « Quand les communes furent plus tard invitées à distribuer les étoiles jaunes, la ville de Bruxelles refusa, mais celle d'Anvers accepta. » Charleroi et Liège ont également exécuté l'ordre (3). Les auteurs de la proposition de résolution tiennent à souligner ainsi qu'ils ne veulent absolument pas se perdre dans les méandres communautaires. Il y a eu des exemples de collaboration tant en Flandre qu'à Bruxelles et qu'en Wallonie;

· quatrièmement, les chiffres des déportations pour Anvers et Bruxelles, qui abritaient les communautés juives les plus importantes, diffèrent d'une manière surprenante. À Anvers, les déportations touchèrent 67 % de la communauté juive, contre 37 % à Bruxelles. Il faut mentionner ensuite les trois razzias qui ont eu lieu en 1942 à Anvers et auxquelles la police apporta sa collaboration et au cours desquelles 3 500 juifs furent arrêtés. À l'échelle d'Anvers, ces chiffres sont tout à fait comparables à la rafle du Vélodrome d'Hiver à Paris qui fit 13 000 victimes (4).

Eu égard à ce qui précède et aux raisons invoquées dans les développements de la proposition, les auteurs de celle-ci ont choisi de confier les indispensables travaux de recherche historique au Centre d'études et de documentation guerre et sociétés contemporaines (CEGES), qui sera chargé de constater, d'une manière scientifiquement fondée et respectueuse de la critique historique, les faits pouvant établir les responsabilités éventuelles d'autorités belges dans l'identification, la persécution et la déportation des juifs de Belgique au cours de la Seconde Guerre mondiale. Si l'on a choisi le CEGES, c'est parce que c'est un établissement fédéral dont la réputation scientifique est inattaquable. Lors de l'exécution de sa mission d'étude, le CEGES puisera d'ailleurs sans aucun doute dans les résultats de la recherche historique déjà disponibles comme ceux que mentionne par exemple Maxime Steinberg dans l'ouvrage qu'il a publié sous le titre L'étoile et le fusil (Vie ouvrière, 1983).

Les auteurs espèrent que le gouvernement, qui devrait confier la mission d'étude au CEGES, se ralliera à cette initiative et mettra les moyens nécessaires à la disposition du CEGES pour que celui-ci puisse achever son étude, et ce, dans les meilleures circonstances, dans un délai de deux ans.

Il appartiendra ensuite au Sénat de décider, sur la base du rapport d'enquête, s'il serait souhaitable ou non d'instituer une commission d'enquête parlementaire, au cas où il s'avérerait, par exemple, que certaines institutions refusent de divulguer leurs archives et qu'il faut prendre des mesures contraignantes que seule une commission d'enquête peut ordonner en vertu de l'article 56 de la Constitution.

Les auteurs espèrent que la proposition de résolution, qui bénéficie de l'appui d'une très large majorité, sera adoptée sans délai par le Sénat, de manière que le gouvernement puisse prendre les mesures nécessaires permettant au CEGES d'entamer sa mission d'étude aussi vite que possible.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

Au nom de son groupe, M. Marcel Cheron souscrit entièrement à la proposition de résolution à l'examen. Le CEGES jouit en effet d'une excellente réputation en matière de recherche historique sur la Deuxième Guerre mondiale.

Certains points de la proposition méritent cependant des précisions supplémentaires.

Premièrement, on peut se demander, par exemple, si le fait que la période examinée soit limitée à la Deuxième Guerre mondiale, signifie que le CEGES se contentera d'examiner les faits qui se sont produits au cours de la période allant du 10 mai 1940, date de l'invasion des troupes allemandes, au 8 mai 1945, date de leur capitulation. Pareille limitation serait inopportune parce qu'elle aurait pour effet de distraire du champ de la recherche les faits et les idées qui ont contribué à créer le climat propice à la persécution et la déportation des juifs.

Deuxièmement, les archives belges, qui avaient été emportées par l'occupant allemand, qui étaient tombées ensuite aux mains des Russes, et que la Belgique a finalement pu récupérer, constitueront une véritable mine d'or pour le CEGES.

L'intervenant souscrit à l'intention des auteurs de constituer une commission d'enquête parlementaire sous la prochaine législature si le rapport du CEGES devait faire apparaître que ce centre d'études n'a pas pu bénéficier d'un accès libre et entier à certaines archives.

Mme Iris Van Riet fait observer que la proposition de résolution à l'examen, que son groupe politique appuie sans réserve, ne doit pas être envisagée que pour elle-même; elle doit l'être aussi dans le contexte de plusieurs autres initiatives qui témoignent d'une prise de conscience croissante de la souffrance infligée à la population juive durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu ainsi, comme précisé ci-avant, la Commission d'étude des biens juifs et, dans le sillage du rapport de cette commission, la loi du 20 décembre 2001 relative au dédommagement des membres de la communauté juive de Belgique pour les biens dont ils ont été spoliés ou qu'ils ont délaissés pendant la guerre 1940-1945 (Moniteur belge du 24 janvier 2002); il y a également le discours historique prononcé par le premier ministre, le 6 octobre 2002, à la caserne Dossin à Malines, à l'occasion du 60e anniversaire de la déportation des juifs de Belgique, discours dans lequel il a présenté les excuses de la Nation belge pour les souffrances causées à la population juive; il y a, enfin, les projets d'installation d'un « Vlaams Holocaustmuseum » à Malines.

Dès lors, toute initiative qui, comme la présente proposition de résolution, est susceptible de contribuer à la commémoration des douloureux événements de la Seconde Guerre mondiale et qui permet de tirer des leçons pour l'avenir, mérite d'être pleinement soutenue.

Mme Mia De Schamphelaere déplore que son groupe n'ait pas été invité à participer à la réflexion sur le contenu de la proposition de résolution. Malgré cela, son groupe soutient l'initiative des auteurs de la proposition, car oublier c'est se condamner à retomber dans les errements du passé. Il ne suffit cependant pas de regarder en arrière. Il faut également prendre conscience du fait qu'aujourd'hui encore, des signes d'antisémitisme refont surface dans nos villes, appelant chacun à la plus grande vigilance.

M. Ludwig Caluwé souhaite savoir si l'intégration du CEGES dans les Archives générales du Royaume ne risque pas de faire croire à son démantèlement, de sorte qu'il ne serait plus suffisamment équipé pour exécuter correctement sa mission d'étude. D'aucuns, au CEGES, craignent en effet que ce centre ne soit pas doté des moyens suffisants pour mener à bien une étude aussi détaillée et d'une telle ampleur.

En ce qui concerne le champ d'application personnel de l'étude, l'intitulé néerlandais de la proposition contient une restriction malheureuse. Selon cet intitulé, seuls les juifs belges sont visés, ce qui implique que les juifs étrangers qui résidaient en Belgique seraient exclus du champ d'application de la proposition de résolution; or, telle n'est manifestement pas l'intention du texte en discussion. Aussi est-il souhaitable de rectifier cette erreur.

MM. Alain Destexhe et Philippe Mahoux, auteurs principaux de la proposition, se rallient à cette suggestion. Dans le même ordre d'idées, ils recommandent de remplacer, dans l'intitulé français, la formule « les juifs de Belgique », qui prête quelque peu à confusion, par l'expression « les juifs en Belgique ».

Enfin, M. Caluwé fait sienne la suggestion de M. Cheron visant à prendre également en compte la période antérieure à l'invasion allemande du 10 mai 1940, de sorte que l'attitude des autorités belges face aux réfugiés juifs et la manière dont elles ont réagi à une série d'incidents survenus durant les années 30 puissent également être examinées. En effet, cette attitude et ces réactions ont influencé le climat qui a régné durant la Seconde Guerre mondiale. L'on pourrait donc prendre comme point de départ l'année 1933, qui marque l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne.

Mme Magdeleine Willame-Boonen regrette également que son groupe n'ait pas été invité à cosigner la proposition de résolution à l'examen. On serait pourtant en droit d'espérer qu'en cette matière, le traditionnel clivage majorité-opposition serait surmonté.

À la question de savoir pourquoi les membres de deux groupes de l'opposition n'ont pas été invités à cosigner la proposition, les auteurs principaux répondent que cela résulte d'un malheureux malentendu et qu'il n'y avait assurément pas la moindre volonté d'exclure ces groupes.

Mme Meryem Kaçar déclare que son groupe souscrit pleinement à la proposition de résolution. Selon elle, l'étude du CEGES gagnerait encore en valeur si la communauté juive y était associée.

M. Armand De Decker, président, déclare qu'on pourrait interpréter la définition de la mission en ce sens que l'on mènera l'étude exclusivement à charge, en vue de constater la responsabilité éventuelle des pouvoirs publics belges. C'est pourquoi il suggère que l'on précise explicitement dans la définition de la mission que l'étude doit être menée à charge et à décharge. Il convient de mettre en lumière non seulement les faits négatifs, mais également les décisions et les actes positifs des autorités belges.

Les auteurs principaux de la proposition approuvent ladite suggestion. Comme il apparaît que la proposition de résolution devra encore être amendée, ils confirmeront explicitement ce qu'a proposé le président dans la justification de leur amendement (cf. infra ­ amendement nº 2, doc. Sénat, nº 2-1311/2).

En ce qui concerne le champ d'application territorial de l'étude, M. Louis Siquet fait observer que l'étude du CEGES devra également porter sur la partie du territoire belge qui a été annexée par le Reich allemand en mai 1940, et qui était formée des cantons d'Eupen, de Malmédy et de Saint-Vith. Il déposera un amendement en vue de le préciser.

Les auteurs principaux de la proposition de résolution n'y voient pas d'objection.

Sans vouloir mettre en cause la réputation scientifique du CEGES, qui doit rester la cheville ouvrière de l'étude, Mme Magdeleine Willame-Boonen souhaite savoir pourquoi on n'y associerait pas également, par exemple, des universités, ce qui permettrait à lancer un débat d'idées qui serait bénéfique à l'étude.

Les auteurs de la proposition de résolution répondent que d'un point de vue pratique, il est préférable de confier l'étude à une seule institution. Qui plus est, le CEGES est une institution fédérale de recherche respectée par tout un chacun et dirigée par une commission scientifique dans laquelle siègent des représentants des diverses universités belges. En associant d'autres institutions à l'étude, on soulèverait inévitablement des discussions interminables qui risqueraient de freiner l'étude, voire de l'hypothéquer.

M. Marcel Cheron ajoute que le choix du CEGES présente l'avantage d'assurer une unité de point de vue. En outre, les chercheurs du CEGES ne vivent pas isolés du reste du monde et échangent en permanence des informations avec d'autres historiens. Si l'on associait d'autres institutions à la réalisation de l'étude, celle-ci risquerait non seulement de manquer de cohérence, mais aussi de ne pas pouvoir être terminée dans les deux ans.

Le président, M. Armand De Decker, aimerait savoir si le CEGES pourra associer, de sa propre initiative, des universités à l'étude. Les restrictions budgétaires pourraient-elles constituer un obstacle à cet égard ?

La représentante du ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique affirme que le CEGES recueillera l'avis de milieux spécialisés s'il l'estime nécessaire. Il existe, d'ailleurs, déjà des formes de collaboration qui ne posent aucun problème budgétaire.

M. Philippe Mahoux souscrit à ce qui vient d'être dit. Quand on confie une mission à une institution de recherche scientifique telle que le CEGES, on doit lui laisser le choix de la méthodologie qu'elle utilisera.

Vu la conclusion qui précède, la commission décide d'entendre :

1. le premier ministre, pour vérifier si le gouvernement soutient la proposition et s'il est décidé à mettre les moyens nécessaires à la disposition du CEGES;

2. le directeur du CEGES en ce qui concerne le problème du libre accès aux archives et, en particulier, aux archives du Conseil des ministres, du ministère de l'Intérieur, du ministère de la Justice et des cours et tribunaux;

3. les représentants de la communauté juive.

III. AUDITION

A. M. Guy Verhofstadt, premier ministre

1. Exposé

M. Guy Verhofstadt, premier ministre, souligne que le gouvernement soutient la proposition de résolution à l'examen. Cependant, conformément à l'article 56 de la Constitution, il appartient au Sénat de décider, dans une phase ultérieure, de créer une commission d'enquête parlementaire. Le premier ministre s'est exprimé clairement sur la problématique abordée dans ce texte dans son discours prononcé le 6 octobre 2002, à Malines, à l'occasion de la journée du martyr juif en Belgique et du soixantième anniversaire de la déportation des juifs de Belgique. C'était d'ailleurs la première fois que le gouvernement, au nom de l'État belge, prenait position si clairement sur la question et reconnaissait que des fautes avaient aussi été commises par l'administration pendant la guerre.

Dans ce discours, le gouvernement rendait hommage à un certain nombre d'administrations et de personnalités ayant aidé la communauté juive à échapper à ses persécuteurs : « Je voudrais rendre un hommage tout particulier aux bourgmestres de Bruxelles qui ont refusé de distribuer les étoiles jaunes. Mon hommage va aussi à ceux qui, dans les ministères, ont pris sur eux de désobéir aux ordres de l'occupant nazi. Il va à ceux de nos cheminots qui n'ont pas accepté que les trains belges emmènent toute une population sans défense vers un destin funeste. II va à ceux de nos postiers qui ont intercepté des centaines sinon des milliers de lettres de dénonciations. Il va à ceux de nos policiers et gendarmes qui ont refusé de participer aux rafles et aux arrestations. Il va à ceux de nos concitoyens, qui, malgré les pressions exercées, n'ont pas accepté de collaborer avec l'ennemi.

Ces comportements exemplaires nous inspirent une légitime fierté. Nous nous devons cependant de rappeler qu'ils ne furent pas ceux de toute la Belgique, ni de toutes les communes belges. Hélas, en Belgique, trop nombreux ont été ceux qui ont sombré dans la collaboration, aussi dans l'administration. Cela, nous devons avoir le courage de le dire, de le reconnaître et de l'assumer. »

Une manière de l'assumer, c'est de répondre positivement à la question posée par la proposition de résolution à l'examen.

De nombreuses études se sont penchées sur la question, ainsi que sur l'attitude des autorités belges dans un contexte historique et juridique. De ces études, il est ressorti que la situation en Belgique n'était en aucun cas comparable avec celle de la France, par exemple, où le système de Vichy adoptait lui-même une politique anti-juive. En Belgique, les mesures anti-juives ont été expressément condamnées par le gouvernement belge qui se trouvait à Londres. On peut notamment faire référence à la déclaration faite en 1942 par le premier ministre Pierlot, dans laquelle il condamnait fermement des mesures et attitudes et rappelait les principes qui gouvernent la société en Belgique et le fait que la communauté juive avait toujours vécu paisiblement dans notre pays jusqu'à l'invasion allemande. Il soulignait que ces principes devaient continuer à être respectés.

La proposition de résolution propose de confier au Centre d'Études et de Documentation Guerre et Société contemporaines la réalisation d'une étude détaillée sur la participation éventuelle d'autorités belges dans l'identification, la persécution et la déportation des juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Une disposition législative sera néanmoins nécessaire pour donner à ce centre la possibilité d'accéder à un grand nombre d'archives de l'État. À cet égard, le premier ministre propose de faire appel au service public fédéral Chancellerie du premier ministre pour élaborer un texte. Par ailleurs, il consultera le ministre du Budget et celui de la Politique Scientifique s'il s'avère que le centre a besoin de moyens supplémentaires pour effectuer les tâches qui lui sont confiées.

Enfin, le premier ministre fait remarquer que le travail du CEGES ne devra pas seulement mettre en évidence les fautes commises, mais aussi les actes positifs posés par la société belge envers la communauté juive pendant la guerre.

2. Questions et observations

Un des auteurs principaux de la proposition, M. Philippe Mahoux, se réjouit du soutien du gouvernement et de l'engagement du premier ministre de se concerter avec les ministres du Budget et de la Recherche scientifique pour déterminer quels moyens supplémentaires il convient d'octroyer au CEGES pour qu'il puisse mener une enquête minutieuse.

Il le remercie aussi d'avoir proposé de participer à la rédaction d'une proposition de loi qui garantisse au CEGES le libre accès aux archives de tous les pouvoirs publics et organismes de droit privé et qui puisse être adoptée, à court terme, par les Chambres fédérales.

À ce propos, le premier ministre fait remarquer que ce n'est pas la rapidité qui compte. Pour cette proposition de loi, on peut s'inspirer d'une disposition analogue figurant dans la loi du 15 janvier 1999 relative à la Commission d'études des biens juifs, aussi dénommée commission Buysse, en vertu de laquelle la commission a obtenu l'accès aux archives de toutes les autorités et organismes précités (article 5).

Vu ce qui précède, M. Alain Destexhe propose, en application de l'article 223 du règlement du Sénat, d'élaborer, parallèlement à la discussion de la proposition de résolution, une proposition de loi visant à garantir l'accès du CEGES aux archives (pour le rapport et le texte adopté de cette proposition, cf. doc. Sénat, nºs 2-1450/1-2).

Il voudrait savoir par ailleurs si le premier ministre a une idée du nombre d'archives qui revêtent quelque importance pour l'enquête du CEGES et qui doivent ressortir au champ d'application de cette proposition de loi.

Le premier ministre n'a pas ces données sous la main. Sont en tout cas visées les archives du ministère de l'Intérieur et celles des cours et tribunaux.

Mme Magdeleine Willame-Boonen voudrait savoir, sans émettre en l'espèce le moindre jugement de valeur, si la déclaration du président français Jacques Chirac selon laquelle la France était responsable de l'organisation de la rafle du Vel d'Hiv, repose sur une nouvelle enquête historique ou sur le rapport d'une commission d'enquête parlementaire ou si le président a fait cet aveu de culpabilité motu proprio (cf. doc. Sénat, nº 2-1311/1, p. 4). Par cette déclaration, il s'est en effet distancié du point de vue qu'avaient adopté jusqu'alors tous les présidents français, qui attribuaient la responsabilité au régime de Vichy et donc à l'État français mais pas à la France.

De plus, se pose la question juridico-institutionnelle de savoir quelle est la force contraignante du point 2 de la proposition de résolution qui enjoint au Sénat de créer une commission d'enquête parlementaire au cours de la prochaine législature. En effet, une récente proposition de créer, dans les mêmes conditions, une commission d'enquête relative à la fraude aux visas a été rejetée.

En ce qui concerne ce dernier point, le président, M. Armand De Decker, déclare que si les développements sont peut-être rédigés en des termes trop catégoriques (cf. doc. Sénat, nº 2-1311/1, p. 2), c'est néanmoins le dispositif qui prévaut en droit et il précise que le membre de phrase « si nécessaire » ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il n'est pas porté préjudice au pouvoir du Sénat, au cours de la prochaine législature, d'apprécier s'il y a lieu ou non de créer une commission d'enquête parlementaire.

M. Marcel Cheron fait remarquer que le premier ministre a fourni les deux clés permettant d'ouvrir la porte d'un examen approfondi.

Premièrement, une proposition de loi sera élaborée en vue de garantir au CEGES le libre accès aux archives et de permettre la mise au jour de nouvelles sources d'information. L'intervenant estime que ce n'est pas tant l'accès aux archives du ministère de l'Intérieur qui pourrait poser problème, mais celui aux archives des communes et en particulier, à celles de la police communale. Ce qui précède ne doit cependant pas faire oublier les recherches qui ont déjà été accomplies. L'intervenant suppose que le CEGES dresse donc aussi une compilation des recherches historiques déjà réalisées, notamment celles de Maxime Steinberg.

Deuxièmement, le membre se dit convaincu que le premier ministre aura un entretien fructueux avec le ministre du Budget sur l'octroi de moyens supplémentaires au CEGES.

Enfin, M. Cheron lance un appel à l'État fédéral pour qu'il prenne dès à présent sans attendre le rapport du CEGES, les mesures nécessaires pour garder vivace le souvenir du génocide dont ont été victimes les juifs de Belgique, comme l'ont fait les Communautés par l'entremise de l'enseignement secondaire.

Le premier ministre répond que les Communautés ont déjà pris, dans leur sphère de compétences, nombre d'initiatives en ce sens, non seulement au niveau de l'enseignement, mais aussi, par exemple, dans le cas de la Communauté flamande, en prévoyant la création d'un musée de l'Holocauste à Malines.

B. MM. José Gotovitch et Rudi Van Doorslaer, respectivement directeur et chef de travaux du Centre d'études et de documentation guerre et société contemporaines (CEGES)

1. Exposés

a. M. José Gotovitch, directeur

a. 1. Introduction

Le CEGES est un établissement de recherche fédéral relevant des Archives générales du Royaume et qui poursuit le travail du Centre de recherches et d'études historiques de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre d'une mission élargie.

C'est ainsi qu'en 1999, le CEGES a fourni l'équipe de chercheurs qui a mené, sous la direction de Rudi Van Doorslaer, les recherches sur la base desquelles la commission Buysse a établi en juillet 2001 son rapport final sur les biens des victimes des persécutions anti-juives en Belgique.

On peut également se faire une idée de l'expertise du CEGES à la lecture de l'article publié par un de ses chercheurs, Lieven Saerens (cf. Antwerpen, de « Stad der Vergetelheid ». De medewerking van de Antwerpse beleidsverantwoordelijken aan de jodenvervolging tijdens Wereldoorlog II, in Collaboratie in Vlaanderen. Vergeten en Vergeven ?, Bruxelles, 2002).

a. 2. La proposition de résolution

En ce qui concerne les objectifs de l'étude qui sera confiée au CEGES, M. Gotovitch estime qu'il convient de placer cette étude dans un cadre plus large.

En d'autres termes, le CEGES devra non pas tenir un réquisitoire à charge ou à décharge, mais bien constater les faits d'une manière scientifiquement fondée.

La question est de savoir quels faits. Certains membres ont déjà souligné qu'on ne peut pas envisager les événements de la Deuxième Guerre mondiale indépendamment du contexte d'avant-guerre et des idées antidémocratiques qui étaient populaires à l'époque dans la société belge.

Le CEGES partage ce point de vue et estime également que les actes qui ont été posés au cours de la Deuxième Guerre mondiale reflètent une politique du moindre mal, telle qu'elle a été menée par les instances dirigeantes du pays. En outre, selon le CEGES, l'étude doit être axée aussi sur la manière dont la participation éventuelle des autorités belges à la persécution et à la déportation des juifs a été évaluée au cours de la répression de l'incivisme qui a suivi la guerre.

À cet égard, il faudra examiner le rôle de toutes les autorités, à tous les échelons, et donc pas seulement celui des secrétaires généraux et des administrations centrales, mais par exemple aussi celui des provinces et des communes, y compris la police communale et le pouvoir judiciaire.

Ensuite, l'étude ne saurait traiter la question du traitement administratif isolément mais elle doit l'intégrer dans celle de la pratique administrative et politique générale qui a prévalu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Une perspective plus large telle que celle-là permettra d'avoir une meilleure compréhension de ce qui s'est passé et d'éviter de tomber dans le piège des anachronismes ou de l'amalgame de faits isolés, indépendants, n'ayant aucun lien entre eux.

Il va de soi que le CEGES intégrera dans son étude le travail historique novateur qui a été effectué par des spécialistes tels que Maxime Steinberg et Lieven Saerens, même si ceux-ci aient peut-être abordé davantage certains aspects du problème sous un angle déterminé. Le CEGES prône dès lors une démarché globale, dans laquelle on étudierait les pratiques administratives et politiques dans leur ensemble.

Pour ce faire, le CEGES doit avoir accès à une série d'archives encore inaccessibles. Le CEGES apprécierait dès lors d'être consulté lors de la rédaction de la proposition de loi visant à ouvrir les archives, par exemple pour pouvoir préciser quelle est la nature des archives auxquels il souhaite avoir accès.

En ce qui concerne la procédure fixée dans la proposition de résolution, le CEGES rédigera de façon autonome un rapport public relatif à son étude et le transmettra au Sénat. Celui-ci devra alors décider de la manière dont il souhaite mener le débat politique à ce sujet.

En ce qui concerne les moyens humains, financiers et matériels requis, M. Gotovitch déclare que, si le CEGES souhaite concrétiser ses ambitions, il y aurait lieu de confier l'étude à un groupe de recherche de quatre personnes placé sous la direction de M. Rudi Van Doorslaer, chef de travaux. Bien que la situation budgétaire du CEGES ne soit pas catastrophique, il faudra prévoir à cet effet des moyens supplémentaires, outre l'infrastructure nécessaire.

b. M. Rudi Van Doorslaer, chef de travaux

Le CEGES a réfléchi à la façon de définir au mieux le contenu de l'étude. Pour ce faire, il s'est inspiré non seulement de la proposition de résolution elle-même, mais aussi de la définition de la mission d'étude qui a été confiée au « Nederlands Instituut voor oorlogsdocumentatie (NIOD), le pendant néerlandais du CEGES dans le cadre de l'affaire « Srebrenica ».

Sur cette base, le CEGES propose de formuler les choses de la manière suivante :

« Le gouvernement confie au CEGES la réalisation d'une étude scientifique sur la participation éventuelle d'autorités belges à l'identification, aux persécutions et à la déportation des juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale » et d'ajouter, d'une part, « que le gouvernement le fait parce qu'il souhaite obtenir ainsi une connaissance détaillée des faits et des circonstances susceptibles de les expliquer, même si les liens entre ces faits et les circonstances remontent aux périodes d'avant-guerre et d'après-guerre, et d'autre part, que dans ce cadre, le CEGES est libre de donner à cette étude la forme de son choix ».

2. Questions et observations

Le président, M. Armand De Decker, propose que la commission se penche tout d'abord sur la question de savoir si elle souhaite reprendre la formulation du CEGES dans la proposition de résolution, par la voie d'un amendement. Il lui semble en tout cas préférable de suivre la voie tracée par le CEGES.

M. Marcel Cheron déclare n'y voir aucune objection. Il aimerait savoir si le CEGES tiendra compte également des études similaires menées dans les pays voisins. Une telle approche pourrait s'avérer très précieuse.

M. Gotovitch, directeur du CEGES, répond que la France, par exemple, dispose d'un institut spécialisé, à savoir « l'École de recherche », qui est très compétente pour ce qui est de l'analyse de l'histoire contemporaine. Sur la base du travail de pionnier de l'historien américain Paxton, cette institution soeur du CEGES a consacré au régime de Vichy une étude approfondie qui allait à l'encontre des mythes gaullistes et communistes sur la résistance et la collaboration du peuple français.

En ce qui concerne la prise de position du président français Jacques Chirac, M. Gotovitch souligne que ce dernier a formulé un point de vue essentiellement politique, très probablement sans prendre la peine de parcourir l'intégralité de la littérature historique en la matière.

Une étude comparative est toujours intéressante, mais, comme on peut le voir dans les développements de la proposition de résolution, une comparaison entre la Belgique et la France sera peu éclairante, étant donné que la France a connu une collaboration officielle, contrairement à la Belgique. M. Gotovitch estime dès lors que la connaissance de la situation française ne pourra contribuer que faiblement à une meilleure compréhension de la situation spécifique de la Belgique.

M. Marcel Cheron précise que sa question concernait non pas la comparaison avec la France, mais plutôt la méthodologie. Il serait, selon lui, intéressant de savoir si une étude analogue a été menée ou non chez nos voisins, notamment en ce qui concerne le déplacement de groupes de population.

Le président, M. Armand De Decker, doute qu'il soit opportun d'élargir encore le champ d'investigation.

M. Cheron répond qu'il ne s'agit évidemment pas pour le CEGES d'examiner ce qui s'est passé dans ces pays. Il est simplement question d'un travail d'historiographie.

M. Louis Siquet aimerait connaître le point de vue du CEGES à propos de l'amendement qu'il déposera en vue d'insérer dans la résolution une disposition prévoyant que l'étude doit également porter sur la partie du territoire formée par les cantons d'Eupen, de Malmédy et de Saint-Vith, qui a été annexée par le Reich allemand le 10 mai 1940.

M. José Gotovitch répond que cet amendement lui semble légitime dans la mesure où il est arrivé quelque chose aux juifs de Belgique dans cette région. Le problème réside toutefois dans le fait qu'après l'annexion, ce n'étaient plus des autorités belges qui exerçaient le pouvoir et administraient la région, mais des autorités allemandes. Il estime, sans vouloir émettre de jugement définitif à ce sujet, que cette annexion soulève donc malgré tout un problème de nature différente. Mais il n'exclut rien à cet égard.

M. Philippe Mahoux voudrait savoir si, après l'annexion, des autorités belges ont encore pris part à l'exercice du pouvoir dans les trois cantons de l'Est. Si oui, cela donnerait à penser que la Belgique avait validé l'annexion, ce qui ne fut pas le cas. Dès lors, ce territoire doit être considéré comme faisant partie intégrante de la Belgique et il faut l'englober dans le champ de l'enquête.

M. Rudi Van Doorslaer, chef de travaux au CEGES, déclare que la définition de la mission d'étude proposée par le CEGES et, en particulier, son extension est importante pour qui veut répondre à la question de M. Siquet, Il faudrait donc aussi organiser une enquête critique sur la mesure dans laquelle on aurait tenu compte de l'antisémitisme, y compris dans les cantons de l'Est, dans le cadre de la répression de l'incivisme après la guerre. On constaterait alors clairement que quiconque a continué à coopérer avec l'administration allemande, au cours de l'occupation, après l'annexion des cantons de l'Est au Grand Reich allemand, y compris dans le cadre de la mise en oeuvre des mesures contre les juifs, était un collaborateur. Selon l'intervenant, c'est le sens de la proposition d'extension de la mission d'étude formulée par le CEGES.

Le président fait remarquer que cela ne fait qu'accentuer la pertinence de la question qu'il a posée de savoir s'il n'y a pas lieu d'amender la proposition de résolution en tenant compte de cet élément.

Un des auteurs principaux de la proposition, M. Alain Destexhe, déclare qu'il faut préciser soit dans le cadre des travaux préparatoires, soit dans la résolution, que l'étude porte aussi sur les faits qui se sont déroulés dans les cantons d'Eupen, de Malmédy et de Saint-Vith.

M. Frans Lozie estime qu'il est indiqué d'inscrire la définition de la mission telle que proposée par le CEGES dans le dispositif de la résolution. En ce qui concerne la nécessité d'englober aussi les trois cantons précités dans le champ de l'étude, il suffit de la mentionner dans les travaux préparatoires.

C. M. Michel Eisenstorg et Mme Judith Kronfeld, respectivement président et secrétaire générale de l'Union des déportés juifs de Belgique ­ filles et fils de la déportation

1. Exposés

Au nom de l'Union des déportés juifs de Belgique, M. Michel Eisenstorg remercie pour son invitation le président du Sénat, ainsi que les auteurs de la proposition de résolution. Il cède ensuite la parole à Mme Kronfeld.

Mme Judith Kronfeld remarque que tous ceux qui ont été déportés sont âgés aujourd'hui d'au moins septante-cinq ans et que le nombre des survivants diminue. Elle s'exprime ici, non seulement au nom de ces déportés, mais aussi au nom des enfants et adultes cachés, et de ceux qui sont devenus des orphelins suite à la déportation. Il n'est pas question ici uniquement de la déportation, mais de savoir comment celle-ci a été possible : dans quel climat les choses se sont-elles passées et quelles sont les autorités qui ont agi ou n'ont pas agi dans ce processus qui a permis d'isoler une population et de la rendre déportable et annihilable.

Il est nécessaire d'étudier les événements dans l'immédiat avant-guerre et l'immédiat après-guerre. Dans la foulée, il faudrait peut-être examiner le traitement qui a été réservé aux déportés qui devaient être rapatriés en Belgique. Selon les témoignages recueillis auprès d'anciens déportés, il apparaît que les dispositions prises à Londres n'ont pas été les mêmes pour les prisonniers de guerre et pour les déportés qui l'avaient été pour raison « raciale ». Ceci conforte le sentiment de beaucoup selon lequel cette attitude fait partie d'une certaine façon de considérer ceux qui étaient venus chercher refuge en Belgique ou ceux qui, pour des questions essentiellement d'ordre financier, n'avaient pu obtenir la nationalité belge.

Tout cela doit être étudié par le CEGES dans un esprit d'indépendance et d'objectivité. L'enquête que vise à entamer la proposition de résolution est attendue depuis très longtemps par beaucoup. Aucune étude, aucune enquête ne pourra mettre fin à la souffrance qu'ils portent en eux. Malgré tout, elle pourra contribuer à leur reconstruction morale, jouer un rôle dans la façon dont la population juive, qui s'est bien intégrée en Belgique, peut considérer les autorités, ceux qu'elle élit pour la représenter.

Pour que le CEGES puisse travailler en toute indépendance, il devrait bénéficier du même statut que la Commission d'étude sur les spoliations, la commission dite Buysse, et se voir garantir les moyens humains et financiers nécessaires.

Cette étude, qui sera confiée au CEGES, est extrêmement importante pour l'avenir démocratique de notre pays, l'éducation de la jeunesse et la prise de conscience, alors qu'on constate aujourd'hui une recrudescence d'actes et de propos véritablement antisémites.

2. Questions et observations

Le président, M. Armand De Decker, souscrit à cette conclusion car une résurgence de l'antisémitisme constitue une attaque directe des valeurs fondatrices de notre société.

Pour ce qui est de la comparaison entre les statuts juridiques respectifs du CEGES et de la commission Buysse, la représentante du premier ministre fait observer que le CEGES est une institution de recherche fédérale qui relève des Archives générales du Royaume et à qui l'on a confié une mission de recherche historique. La commission Buysse, en revanche, ne faisait pas partie des institutions établies, mais a été constituée pour la circonstance et, de ce fait, elle a été rattachée aux services du premier ministre.

Vu la mission dont le CEGES a été chargé (cf. doc. Sénat, nº 2-1311/1, p. 2, note 1), créer une instance ad hoc n'a aucun sens. Le CEGES dispose en effet de l'expertise requise pour pouvoir effectuer correctement la recherche historique qui lui est demandée.

Mme Judith Kronfeld se dit quelque peu préoccupée par le fait que le CEGES ait accès à toutes les archives qui présentent un intérêt pour l'étude, y compris ­ donc ­ celles des auditorats militaires. Les archives des institutions et associations juives qui peuvent être utiles à l'étude seront en tout cas accessibles au CEGES.

À la question de M. Alain Destexhe visant à savoir qui gère la banque de données de l'Association des juifs en Belgique datant de la Seconde Guerre mondiale, Mme Kronfeld répond qu'elle croit savoir qu'elle se trouve à « l'Holocaustmuseum » de Malines.

IV. DISCUSSION DES POINTS

A. Intitulé

Mme Mia De Schamphelaere dépose un amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 2-1311/2), qui vise à remplacer, dans l'intitulé néerlandais, les mots « van Belgische joden » par les mots « van de joden in België ».

Cet amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Sur la base de cet amendement, la commission décide de remplacer, dans l'intitulé français, les mots « des juifs de Belgique » par les mots « des juifs en Belgique ».

B. Considérants

M. Louis Siquet dépose l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2-1311/2), qui vise à remplacer, au point A de la proposition, les mots « de Belgique » par les mots « du territoire du Royaume de Belgique, y compris les territoires des cantons d'Eupen, de Malmédy et de Saint-Vith annexés le 10 mai 1940 par le Reich allemand ».

Cet amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

C. Dispositif

1. Point 1

Premier alinéa

MM. Alain Destexhe et Philippe Mahoux déposent un amendement que le CEGES a suggéré au cours de l'audition et qui vise à remplacer intégralement la description de la mission d'étude présentée au point 1 de la proposition par le texte suivant (amendement nº 2, doc. Sénat, nº 2-1311/2) :

« Le Sénat,

1. demande au gouvernement de confier au CEGES la réalisation d'une étude scientifique sur la participation éventuelle des autorités belges à l'identification, aux persécutions et à la déportation des juifs de Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, et de mettre, pour ce faire, les moyens nécessaires à la disposition du CEGES. Le but de cette étude est d'obtenir, dans un délai de deux ans, une connaissance détaillée des faits et des circonstances pouvant les expliquer, même si les liens entre eux et lesdites circonstances remontent aux périodes d'avant-guerre et d'après-guerre. Dans ce cadre, le CEGES est libre de donner à cette étude la forme de son choix. »

M. Guy Moens fait observer qu'en élargissant la mission d'étude, l'amendement garantit que le CEGES pourra mener à bien son étude en toute indépendance, sans avoir à tenir compte d'aucune restriction, par exemple en ce qui concerne la période sur laquelle portera l'étude.

M. Armand De Decker, président, est assez sceptique en ce qui concerne la disposition selon laquelle « dans ce cadre, le CEGES est libre de donner à cette étude la forme de son choix ». Selon lui, le CEGES doit respecter les conditions définies dans la résolution.

M. Moens réplique que le CEGES doit pouvoir effectuer son étude en toute liberté, tout en restant dans le cadre de la mission définie dans la résolution. Cette liberté n'est donc pas absolue.

La représentante du ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique fait observer que, selon elle, la disposition précitée n'a aucun sens. Le CEGES jouit déjà d'une indépendance totale dans l'exercice de ses missions d'étude.

Sur la base de ce qui vient d'être dit, MM. Philippe Mahoux et Alain Destexhe déposent un sous-amendement à leur amendement nº 2 (amendement nº 5, doc. Sénat, nº 2-1311/2) qui vise :

1º à remplacer uniquement la première phrase de l'alinéa 1er du point 1 par le texte proposé dans l'amendement nº 2. Ils estiment préférable de maintenir dans le dispositif de la résolution, l'énumération non exhaustive des événements sur lesquels l'étude du CEGES doit porter;

2º à remplacer la deuxième phrase proposée dans l'amendement nº 2 par le texte suivant :

« Le but de cette étude est d'obtenir, dans un délai de deux ans, une connaissance détaillée des faits et leur contexte, même si ceux-ci concernent les périodes d'avant-guerre et d'après-guerre. » On supprime ainsi le mot « expliquer » auquel certains pourraient donner le sens de « justifier », ce qui est évidemment exclu en l'espèce.

M. Guy Moens déclare que la nouvelle formulation de la deuxième phrase de l'alinéa 1er proposée dans le sous-amendement enlève toute pertinence à la dernière phrase du point 1 proposé dans l'amendement nº 2, qui dit que « le CEGES est libre de donner à cette étude la forme de son choix ». Il est évident que les faits qui remontent à la période d'avant-guerre ou dont les effets s'étendent jusqu'à la période d'après-guerre tombent dans le champ d'étude du CEGES.

M. Philippe Mahoux fait observer qu'en soi, la disposition susvisée est superflue. Elle pourrait même donner à penser que l'on considère que des pressions pourraient être exercées sur le CEGES. C'est pourquoi il lui semble judicieux de la supprimer. Au demeurant, il est tout à fait évident que le CEGES doit pouvoir mener son étude de manière objective, en toute indépendance et en toute liberté, tant en ce qui concerne la forme que le contenu.

La commission ainsi que les représentantes du premier ministre et du ministre de l'Économie et de la Recherche Scientifique partagent ce point de vue.

Sur cette base, MM. Philippe Mahoux et Alain Destexhe déposent un deuxième sous-amendement à leur amendement nº 2 (amendement nº 6, doc. Sénat, nº 2-1311/2), qui vise à supprimer la dernière phrase du point 1 proposé. Il y aura ainsi, à l'alinéa 1er du point 1, une transition logique entre la deuxième phrase, proposée dans le sous-amendement nº 5, et la dernière phrase contenant l'énumération de certains événements à étudier qui sont mentionnés dans la proposition de résolution.

Alinéa 2

M. Alain Destexhe dépose un amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 2-1311/2) qui vise à remplacer, au point 1, alinéa 2, les mots « aussi bien » par le mot « notamment » qui fait apparaître clairement que l'énumération figurant à l'alinéa 2 n'est pas exhaustive. Il y a lieu, de surcroît, d'harmoniser les textes français et néerlandais.

Votes

Les sous-amendements nºs 5 et 6 sont adoptés chacun à l'unanimité des 9 membres présents.

L'amendement nº 2, ainsi sous-amendé, est adopté par 8 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 8 est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Le point 1 ainsi amendé est adopté par 8 voix et 1 abstention.

2. Point 1bis (nouveau)

MM. Alain Destexhe et Philippe Mahoux déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 2-1311/2) insérant un point 1bis en vertu duquel le CEGES non seulement présente, au terme d'un délai d'un an, un rapport au Sénat sur l'état d'avancement de ses travaux, mais peut en outre saisir, à tout moment, cette assemblée des problèmes qu'il rencontre dans ses recherches.

Cet amendement est adopté en tant que point 2 par 8 voix et 1 abstention.

3. Point 2

Mme Magdeleine Willame-Boonen dépose l'amendement nº 7 (doc. Sénat nº 2-1311/2) qui prévoit que le Sénat actuel recommande que l'on se contente au cours de la législature prochaine d'organiser une discussion publique après la publication du rapport final du CEGES et donc, que l'on n'aille pas jusqu'à instaurer une commission d'enquête parlementaire. Une telle disposition n'a en effet aucune valeur contraignante pour le futur Sénat. Par ailleurs, l'expérience nous apprend que les commissions d'enquête parlementaires ne sont pas l'instrument le plus approprié pour établir la responsabilité d'institutions et organes officiels. En effet, elles ne parviennent pas à se soustraire aux pressions politiques.

Le président, M. Armand De Decker, répond que certaines commissions d'enquête, comme la commission Rwanda, ont montré qu'elles pouvaient bel et bien effectuer un travail en profondeur leur permettant d'aboutir à des conclusions adéquates.

Il propose en outre de reformuler le point 2.a) comme suit : « a) de mener un débat sur les responsabilités éventuelles d'autorités belges dans l'identification, les persécutions et les déportations des juifs en Belgique; ». La formulation actuelle anticipe en effet sur les conclusions de l'étude que doit encore réaliser le CEGES.

L'amendement nº 7 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

La commission approuve la correction de texte proposée par le président.

Le point 2 est adopté en tant que point 3 par 9 voix et 1 abstention.

V. VOTE SUR L'ENSEMBLE

La proposition de résolution ainsi amendée et corrigée a été adoptée à l'unanimité des 10 membres présents.

Le rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Les rapporteurs,
Martine TAELMAN.
Marcel CHERON.
Le président,
Armand DE DECKER.

(1) Créé auprès des services du premier ministre par arrêté royal du 6 juillet 1997 (Moniteur belge du 12 juillet 1997) et ensuite par la loi du 15 janvier 1999 (Moniteur belge du 12 mars 1999).

(2) Rapport final, Commission d'Étude des biens juifs, juillet 2001, p. 455.

(3) Doc. Sénat, nº 2-1311/1, p. 6-7.

(4) Doc. Sénat, nº 2-1311/1, p. 4-5 et 7.