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1er AVRIL 1999
Le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes a organisé le vendredi 29 janvier 1999 une audition publique du professeur J. Miranda concernant l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans la Constitution : l'exemple portugais. Au cours de ses réunions des 2 et 9 mars 1999, le Comité d'avis a tiré les conclusions de cette audition.
La présidente souhaite la bienvenue au professeur J. Miranda, spécialiste du droit constitutionnel et professeur à la faculté de droit de l'Université de Lisbonne et à l'Université catholique du Portugal. Elle souhaite également la bienvenue aux nombreux observateurs externes venus assister à cette audition.
La présidente décrit brièvement le contexte dans lequel se situe la réunion : le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes a examiné, au cours de l'automne 1998, dans le cadre de la célébration du 50e anniversaire du droit de vote des femmes, toutes les propositions de loi, les propositions de modification du règlement du Sénat, ... concernant la démocratie paritaire. Le 16 décembre 1998, le Comité d'avis a rendu un avis sur l'ensemble des propositions concernées. Cet avis a d'ailleurs fait l'objet d'une conférence de presse du Comité d'avis le 17 décembre 1998.
Les 29 et 30 octobre 1998, le Sénat de Belgique a envoyé une délégation de membres du Comité d'avis à la deuxième Conférence des commissions parlementaires chargées de la politique de l'égalité des chances des femmes et des hommes dans les États membres de l'Union européenne et au Parlement européen (CCEC) qui s'est tenue à Lisbonne, dans l'enceinte du Parlement portugais, lequel assume cette année la présidence de la CCEC. Le présidence sera assumée par les « Cortes Generales » espagnoles en 1999 et par le « Bundestag » allemand en l'an 2000.
Lors de la deuxième conférence organisée à Lisbonne, la délégation belge a fait la connaissance du professeur De Miranda qui a présenté un exposé passionnant sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution portugaise ainsi que sur l'adaptation des lois électorales portugaises à cet égard.
Vu l'importance politique que le comité d'avis accorde à ce thème, le professeur Miranda a été invité à présenter son exposé au Sénat de Belgique. La présidente se réjouit du vif intérêt qui est manifesté par les observateurs externes présents. Par ailleurs, elle invite ces derniers à poser des questions au professeur Miranda au cours de l'échange de vues qui suivra l'exposé.
2.1. Contexte constitutionnel portugais
Le professeur Miranda précise qu'il est co-auteur de la Constitution portugaise qui a été élaborée après la Révolution des OEillets (il faisait partie de la constituante), mais il souligne que l'élaboration d'une constitution démocratique est le fruit d'un travail collectif, auquel plusieurs partis politiques ont participé dans un esprit de pluralisme politique. La Révolution des OEillets a éclaté au Portugal il y a de cela 25 ans. Cette révolution a enclenché un processus de démocratisation non seulement au Portugal, mais aussi dans tout le sud de l'Europe, en Amérique latine, en Europe centrale et orientale. Pour la première fois, un régime autoritaire a été renversé de manière presque pacifique. C'est ainsi que le Portugal a pu s'engager sur la voie de la démocratie, du pluralisme et de la solidarité sociale. Les deux années qui ont suivi la Révolution des OEillets ont toutefois été marquées par certaines turbulences. Malgré cela, l'assemblée constituante a été élue librement et elle a élaboré la Constitution de 1976. Cette constitution a voulu établir une complète égalité entre les hommes et les femmes, dans tous les domaines. La Constitution portugaise consacre le principe d'égalité de manière générale mais aussi dans divers domaines spécifiques très concrets : en matière de famille, de travail, d'accès à l'université, d'accès à la magistrature, etc. La Constitution portugaise actuelle va beaucoup plus loin que toutes les constitutions portugaises antérieures, et même beaucoup plus loin que la plupart des constitutions européennes. Elle est très précise et très explicite dans le domaine de l'égalité. Elle proclame non seulement l'égalité devant la loi, mais aussi l'égalité effective, l'égalité réelle, c'est-à-dire celle qui permet de surmonter les inégalités de fait, sociales, économiques, culturelles et géographiques, qui empêchent parfois de réaliser pleinement l'égalité devant la loi. Cette constitution a établi un régime démocratique, pluraliste et semi-présidentiel. Elle a permis au Portugal d'adhérer aux Communautés européennes le 1er janvier 1986. Il est donc membre à part entière, aujourd'hui, de l'Union européenne. Le Portugal a également consenti d'importants efforts en vue d'assurer le progrès social et culturel.
Dès avant la Révolution des OEillets, on avait noté une augmentation de la présence des femmes sur le marché du travail, dans les universités, dans l'administration, etc. Il subsistait toutefois encore beaucoup d'inégalités entre les femmes et les hommes, par exemple en ce qui concerne l'accès à la magistrature : ainsi, les femmes ne pouvaient-elles être ni juges, ni membres du parquet; elles n'avaient pas davantage accès à la carrière diplomatique. L'accès des femmes aux plus hautes fonctions au sein de l'administration était également limité. La Constitution de 1976 a éliminé toutes ces inégalités et a instauré l'égalité complète entre les femmes et les hommes. Aujourd'hui, 25 ans plus tard, on constate que les femmes ont enregistré un progrès énorme : dans les universités, il y a désormais 60 % d'étudiantes. Les femmes dominent au sein des universités portugaises, même dans les facultés de sciences exactes et de sciences naturelles où les hommes étaient autrefois nettement majoritaires. Dans les licences de droit, il y a maintenant 70 % de femmes au Portugal. À l'époque où le professeur Miranda était lui-même étudiant, cette proportion n'était que de 10 à 15 %. Force est, malheureusement de constater que les femmes sont rares dans les organes d'administration des universités. Les universités portugaises connaissent un système d'administration démocratique qui est basé sur les principes de l'autonomie et de la participation. Chaque faculté possède une assemblée de représentants élus. L'assemblée de la faculté de droit de Lisbonne est composée de 20 professeurs et assistants, de 20 étudiants et de 10 représentants du personnel non enseignant. Sur les 20 professeurs, il y a 9 femmes et 11 hommes, mais sur les 20 étudiants, il n'y a que 3 femmes. Pour le professeur Miranda, cette disproportion est révélatrice, quand on sait que 70 % des étudiants sont des femmes. C'est une des raisons pour lesquelles il estime qu'un quota imposé par la loi est nécessaire. Sans dispositions législatives, il est en effet très difficile de vaincre certains préjugés. Les femmes sont présentes dans tous les domaines de la vie sociale, culturelle, économique et juridique. Elles ne le sont toutefois pas autant dans la politique. Il y a seulement 13 % de femmes au Parlement portugais et l'on ne compte que 9 % de Portugaises au sein de la représentation du Portugal au Parlement européen. En outre, la proportion de femmes est très faible parmi les bourgmestres des villes et communes portugaises. C'est pour cette raison que, selon l'orateur, les deux principaux partis, à savoir le parti socialiste de centre-gauche et le parti social-démocrate de centre-droit, qui regroupent plus des deux tiers des membres du parlement portugais, ont conclu, à l'occassion de la dernière révision constitutionnelle, en 1997, un accord en vue d'inscrire dans la constitution des dispositions relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes.
L'article 9 de la Constitution portugaise énumère les tâches fondamentales de l'État : « Les tâches fondamentales de l'État sont entre autres de favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes. »
D'autre part, il a été inséré, dans les principes généraux de la partie III « Organisation du pouvoir politique », un article 109 concernant la participation politique des citoyens : « La participation directe et active des hommes et des femmes à la vie politique constitue la condition et l'instrument fondamental de la consolidation du système démocratique. La loi doit promouvoir l'égalité dans l'exercice des droits civiques et politiques et lutter contre la discrimination fondée sur le sexe pour l'accès à des fonctions politiques. »
Cette révision constitutionnelle a été approuvée à l'unanimité par le Parlement portugais.
Avant cette révision constitutionnelle, la constitution proclamait néanmoins déjà le principe de l'égalité dans tous les domaines.
Outre l'article 13, qui énonçait le principe général de l'égalité (1), il y avait des articles qui visaient à la réalisation d'une égalité de fait.
C'est ainsi que l'article 9, d), de la constitution, dispose que l'État a pour tâche essentielle : « d'augmenter le bien-être et la qualité de vie du peuple, de promouvoir l'égalité réelle entre les portugais dans l'exercice des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux pour la transformation et la modernisation des structures économiques et sociales, ... »
Lors de la révision de la constitution de 1997, le constituant a cependant estimé que les articles existants de la constitution n'étaient pas suffisants. Il a souhaité inscrire expressément dans la constitution que l'État avait pour mission de promouvoir l'égalité réelle en matière de participation politique.
Le parlement ne s'est donc pas contenté de compléter l'article 9 en vigueur par une littera h, rédigé comme suit : « promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes »; il a également récrit l'article 109 pour mentionner expressément la participation directe et active des hommes et des femmes à la politique. Avant la révision de 1997, il était question à cet article de la « participation directe et active des citoyens ».
Le constituant a, en outre, prévu explicitement que la loi doit mettre ces principes en oeuvre.
Il s'ensuit que l'ensemble de la doctrine constitutionnelle portugaise et le gouvernement portugais estiment que les lois électorales doivent mettre en oeuvre les principes définis dans les articles 109 et 9, h (nouveaux), de la Constitution. Au cas où le législateur n'adapterait pas les lois électorales en vue de la concrétisation de ces principes, l'État portugais serait coupable d'inconstitutionnalité en raison d'une omission du législateur.
Au Portugal, il existe non seulement un contrôle d'inconstitutionnalité par action, mais aussi un contrôle d'inconstitutionnalité par omission. C'est une particularité du système constitutionnel portugais. La cour constitutionnelle a non seulement le pouvoir de déclarer l'inconstitutionnalité des normes juridiques avec une force obligatoire générale mais elle a aussi le pouvoir de constater d'une inconstitutionnalité par omission. Simplement, comme la Cour constitutionnelle qui n'est pas un organe politique, un organe légitimé démocratiquement n'a pas un pouvoir législatif, le contrôle d'inconstitutionnalité par omission est un contrôle théorique. La Cour vérifie s'il y a omission, informe le parlement et demande au parlement de faire une loi. Mais la Cour n'a aucune possibilité de remédier à l'omission, à l'inertie du pouvoir. Sur le plan politique, l'expérience montre que chaque fois que la Cour constate une omission, le parlement fait une loi. Si le contrôle d'inconstitutionnalité par omission de la Cour constitutionnelle représente peu de choses sur le plan juridique, il n'en a pas moins une grande résonance sur le plan politique.
Avant la révision de la Constitution de 1997, une telle loi aurait toutefois été inconstitutionnelle.
Enfin, au cours de cette même révision, le constituant a inscrit la notion de « paternité » dans la Constitution qui ne connaissait jusque là que la notion de « maternité ».
La maternité et la partenité constituent », selon l'article 68, 2, de la Constitution, « des valeurs sociales éminentes.
« La loi règle et attribue aux mères et aux pères le droit d'éloignement du travail pour une période adéquate, selon les intérêts de l'enfant et les nécessités familiales. » (article 68, 4, de la Constitution).
Ces nouveaux articles doivent permettre pères et mères de famille de participer à la politique. Une des causes les plus connues pour lesquelles les femmes ne participent pas à la politique, vient de ce qu'elles ont charge de famille et qu'elles doivent s'occuper de leurs enfants.
Cet article 68 de la Constitution a déjà été concrétisé par une loi sur le travail. Cette loi a été adoptée presque sans discussion, mais la loi exécutant les articles 9 et 109 de la Constitution a soulevé beaucoup plus de discussions et entraîné beaucoup plus de résistance.
2.2. Projet de loi relatif à la représentation politique des deux sexes, déposé au Parlement
Après la révision de la Constitution de 1997, le gouvernement a créé un groupe de travail composé de constitutionnalistes et d'autres juristes, dont une majorité de femmes.
Ce groupe de travail a réalisé une étude fouillée qu'il intitula « Une démocratie plus citoyenne » (2). Ce titre fait référence à l'idée suivant laquelle la citoyenneté correspond à une conception plus active de la démocratie. Après la publication de l'étude, le gouvernement portugais a organisé un débat sur la question, débat qui a débouché sur le dépôt au Parlement d'un projet de loi ainsi rédigé :
1. Un des phénomènes les plus frappants dans la société portugaise actuelle est le contraste entre la présence quantitative et qualitative des femmes, dans tous les domaines professionnels et à tous les niveaux de la vie économique, sociale et culturelle du Portugal et la place vraiment ténue que les femmes occupent au sein des organes politiques de l'État, des régions autonomes et des pouvoirs locaux. Les grandes transformations sociales qui furent déclenchées après le 25 avril 1974 n'ont entraîné aucune redistribution des mandats politiques, surtout pas en ce qui concerne une représentation plus équilibrée des deux sexes dans la vie politique active.
Même si l'usage n'est plus d'écarter de manière consciente et rationelle les femmes des postes de décision dans le Portugal d'aujourd'hui, bien au contraire, on constate que l'évolution sociologique et l'autodiscipline des partis ont été insuffisantes pour que l'on puisse enregistrer des progrès sensibles dans le domaine de l'égalité d'accès des hommes et des femmes aux postes de décision politique.
2. Depuis la révision constitutionnelle de 1997, l'article 109 de la Constitution dispose que « la participation directe et active d'hommes et de femmes à la vie politique est une condition et un instrument fondamental de la consolidation du système démocratique et que la loi doit promouvoir l'égalité pour ce qui est de l'exercice des droits civiques et politiques et la non-discrimination en fonction du sexe en ce qui concerne l'accès aux postes politiques ». D'autre part, cet article doit être lu en fonction du nouvel alinéa h) de l'article 9, qui considère comme tâche fondamentale de l'État la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. La seule raison d'être de cette norme constitutionnelle est le fait d'imposer, au législateur commun, l'obligation de concrétiser cette égalité de participation, en utilisant les moyens jugés appropriés; et, en outre, le législateur doit agir dans un délai considéré comme raisonnable.
3. La loi électorale pour l'assemblée constituante, et la Constitution de 1976 ont consacré, pour les femmes, l'égalité totale de capacité active et passive, dans toutes les élections. La loi constitutionnelle de janvier 1997, ayant comme objectif l'exercice même des fonctions politiques représentatives, va encore plus loin.
Jusqu'en 1997, une loi contenant des discriminations positives en ce qui concerne l'accès des femmes aux organes de l'État, des régions autonomes et des pouvoirs locaux, était en principe frappée d'inconstitutionnalité. Depuis 1997, lorsque ces mesures législatives ne sont pas approuvées, il se vérifiera une situation d'inconstitutionnalité par omission qui aura, naturellement, des conséquences juridiques et politiques.
4. Il est vrai qu'au niveau des droits fondamentaux, la Constitution ne fait pas mention des sexes. Elle ne parle que de citoyens, hommes et femmes, qui ont le droit de participer à la vie publique, le droit de recevoir des informations sur la gestion des affaires publiques, le droit de voter, le droit d'accéder aux postes politiques, le droit de pétition et d'action populaire (articles 48 et suivants). Ce sont aussi les citoyens qui ont le droit d'initiative préalable pour le déclenchement d'un référendum national ou régional (article 115, 2), le droit de proposer des candidatures à la présidence de la république et aux organes des pouvoirs locaux (articles 124 et 239, 4), le droit d'initiative législative (article 167, 1) et le droit d'initiative pour le référendum local (article 240, 2).
Seulement, l'attribution universelle et égalitaire de droits de manifestation de la souveraineté populaire (article 10) n'empêche pas la promotion de l'égalité au niveau de l'exercice de ces droits de même que l'égalité devant la loi (article 13) n'est pas contrariée ni diminuée par la promotion de l'égalité réelle (articles 9, d) , 81, b) , ou 104, 1) ni par le mandat de développement équilibré de toutes les régions et de correction des inégalités qui résultent de l'insularité (article 9, g) , 81, d) et 229, 1).
En outre, l'idée d'égalité effective dans les domaines énumérés ci-dessus, peut ou doit être vue comme une exigence de l'idée d'égalité juridique elle-même, à laquelle on doit chercher à donner un contenu effectif. Ces dispositions légales particulières sont axées sur la promotion de l'égalité, même s'il faut, pour ce faire, accorder des droits ou des avantages spécifiques à certaines catégories de personnes celles qui défavorisées ou se trouvent dans des situations de pauvreté ou de moindre protection cette différentiation joue en faveur de l'égalité. Elle constitue le moyen de atteindre l'objectif final.
5. La représentation politique moderne est basée sur l'universalité et l'unité de la citoyenneté, sur l'unité du peuple ou de la Communauté politique, et reste au-dessus de toutes les catégories ou qualités particulières des répresentés ou des représentants. Mais, comme l'humanité est faite de deux sexes, rien n'empêche que l'on envisage de prendre directement ou indirectement des mesures visant à une représentation équilibrée des sexes au niveau des organes représentatifs et de transformer, par cette voie, la souveraineté du peuple en une citoyenneté réellement vécue par tous les humains, hommes et femmes.
Ce que l'on vise en l'espèce, ce n'est pas le droit d'élire ou d'être élu, mais seulement les conditions à réunir pour que chacun puisse être candidat. Il ne s'agit, non pas de fracturer le tissu social, mais de renforcer l'unité politique. L'essentiel étant d'utiliser strictement les moyens légaux pour atteindre cet objectif, dans les limites de temps jugées absolument indispensables, en laissant, par la suite, la dynamique sociale et culturelle se développer d'elle-même. Il s'agit donc non pas de faire de la ségrégation, mais, au contraire, de l'intégration.
6. La Constitution continue à ne permettre aucune restriction, ni au principe de l'unité et de l'universalité indivisible du suffrage actif, ni au principe du mandat représentatif. Les deux constituent les bases de la démocratie représentative, et l'article 109 n'autorise aucune dérogation à ces principes. Des limites maximales à la participation de chaque sexe ou des quotas minimum de candidature et/ou de représentation en fonction du sexe sont possibles; mais il n'est pas possible d'établir une distinction entre les électeurs, ni de répartir des mandats en fonction du sexe.
Les électeurs votent pour tous les candidats indépendamment de leur sexe; les élus représentent tous les citoyens indépendamment de leur sexe. Il ne peut pas y avoir de représentation séparée de chaque sexe, comme il ne peut pas y avoir de représentation séparée de groupes économiques, sociaux, ethniques, religieux ou territoriaux.
Pour cette raison, la Constitution portugaise ne fait aucune concession aux propositions les plus radicales de ce qu'on appelle la « démocratie paritaire », lesquelles défendent une sorte de « démocratie parallèle », un « apartheid » sexuel de représentation politique (deux composants égaux et séparés), avec des collèges électoraux séparés, avec des candidatures parallèles et des assemblées représentatives fracturées. La démocratie représentative peut et doit être vécue, d'une manière équilibrée, par les citoyens et les citoyennes. Mais elle ne peut pas être divisée entre une démocratie masculine et une démocratie féminine. Il s'agit de l'affirmation d'une démocratie participative et non pas d'une démocratie divisée, même au cas où elle serait « paritaire ».
Dans la vie de tous les jours hommes et femmes contribuent à tous les aspects de la vie collective. En matière politique, il faut garantir la participation des deux sexes.
7. Les propositions législatives que le gouvernement soumet actuellement à la considération du parlement sont très prudentes et pensées en vue de l'harmonisation indispensable de tous les principes constitutionnels. Elles reproduisent essentiellement les mesures proposées par la commission de juristes chargée d'étudier le sujet, et dont le rapport vient d'être publié.
Pour le moment, ces propositions visent seulement l'assemblée de la république et, partiellement, le Parlement européen, en ce qui concerne les députés élus par le Portugal. Ce sont, d'ailleurs, les deux assemblées pour lesquelles le problème se pose d'une manière plus visible et plus urgente.
Dans un futur proche, on espère pouvoir les appliquer aux assemblées législatives régionales et aux organes collégiaux basés sur le suffrage direct du pouvoir local. De même, leur application, d'une manière flexible, aux organes de direction des partis politiques (ayant pour base la règle de participation stipulée à l'article 51, 5, de la Constitution) et, aussi, aux commissions et aux autres organismes officiellement désignés (comme dans d'autres pays Européens) n'a pas été exclue.
8. La ligne d'orientation des normes législatives que le gouvernement se propose de décréter, peut être resumée comme suit :
a) La proposition a trait aux l'élections pour l'assemblée de la républic et ceux du Parlement européen, en ce qui concerne les députés à élire par le Portugal.
b) L'objectif final de la loi est qu'aucun des sexes ne puisse avoir une participation supérieure à 67,3 % des élus. Ou, inversement, que le sexe moins représenté doit avoir une participation d'au moins 33,3 %.
c) Un tel objectif doit être atteint non seulement au niveau des candidatures mais, aussi, au niveau des résultats et l'on établit à cette fin, des règles relatives à la composition et à l'organisation des listes.
d) Pour atteindre l'objectif proposé, il est établi à titre transitoire un maximum de 75 % de participation du sexe le plus représenté dans les premières et deuxièmes élections après la date d'entrée en vigueur de la loi.
e) Ceci n'oblige pas à la modification du système électoral.
Le système électoral du Portugal est le même que celui de la Belgique, c'est-à-dire, un système proportionnel suivant la méthode « D'hondt ». Il y a par conséquent, toujours des listes plurinominales. Ce n'est pas un système par représentation uninominale comme en France ou en Grande-Bretagne.
9. À un autre niveau, une norme spécifique sur la suspension du mandat de député ou de députée, à l'occasion de la naissance d'un enfant, est mise en évidence, permettant ainsi l'application d'une nouvelle norme constitutionnelle (celle de l'article 68, 4) et il est aussi prévu que les députés bénéficient de tous les autres droits et avantages prévus par la loi générale concernant la maternité.
10. Finalement, il serait bon de suggérer un mode de fonctionnement de l'assemblée qui permette aux députés et députées de concilier leurs activités politiques avec leur charge familiale [comme le prescrit l'article 59, 1, b) , de la Constitution]. Cependant, comme il s'agit d'une matière relevant de l'organisation interne du parlement [article 175, a) ], la loi ne peut s'en occuper.
Ainsi, conformément à l'alinéa a) du 1 de l'article 197 de la Constitution, le gouvernement présente à l'assemblée de la république la suivante proposition de loi :
Article 1º
Les listes de candidats aux élections pour l'assemblée de la république et pour le Parlement européen en ce qui concerne les députés à élire par le Portugal, doivent être composées de manière à garantir une plus grande égalité d'opportunités en ce qui concerne la participation politique des citoyen de chaque sexe.
Article 2º
1. Dans les quatre prochains scrutins pour l'assemblée de la république et pour le Parlement européen, chacune des listes de candidats présentée ne pourra pas comprendre, dans les places effectives (3), successivement :
a) plus de 75 % de candidats du même sexe lors du premier et du deuxième scrutin électoral après l'entrée en vigueur de la présente loi;
b) plus de 66,7 % de candidats du même sexe, lors du troisième et du quatrième scrutin électoral après l'entrée en vigueur de la présente loi.
2. Pour atteindre l'objectif proposé au point précédent, les listes ne peuvent pas contenir, respectivement, plus de trois et plus de deux candidats du même sexe à des places successives sur la liste.
3. Au cas où une liste n'observerait pas les dispositions des points précédents, le responsable en sera immédiatement averti afin de procéder à la correction dans un délai de trois jours, sous peine de rejet de la liste.
Article 3º
1. La naissance d'un enfant est motif suffisant pour obtenir une suspension du mandat d'une durée maximale de quatre mois pour chaque député ou députée de l'assemblée de la république.
2. Les députés bénéficient des droits et avantages prévus par la loi générale concernant la maternité.
Lu et approuvé en Conseil des ministres le 25 juin 1998.
Le groupe de travail dirigé par le professeur Miranda a aussi proposé d'autres dispositions légales qui n'ont toutefois pas été reprises dans le projet de loi du gouvernement. C'est ainsi qu'il avait prévu, par exemple, des sanctions à infliger aux partis politiques qui ne respectent pas le quota légal et une récompense pour ceux qui font plus que respecter le quota prévu.
2.3 Réfutation de certains arguments qui ont été avancés contre la loi en projet
Certaines personnes estiment qu'imposer une exigence de représentation des hommes et des femmes, c'est fracturer l'unité politique. Mais c'est bien le contraire, parce que, d'une part, le genre humain se compose de ces deux sexes, d'autre part, le problème n'est pas un problème au niveau du droit de vote ni au niveau de la composition de l'assemblée représentative. C'est seulement un problème au niveau des candidatures. Ce n'est pas un problème de capacité électorale active ou passive de repésentation politique mais un problème de candidature. Il faut faire cette distinction. C'est essentiel. Certaines personnes disent parfois « si on veut faire des quotas pour des femmes, pourquoi pas faire des quotas pour les personnes âgées, les travailleurs intellectuels, les professeurs d'universités, les handicapés, ...» La réponse est que la différence est que les catégories susmentionnées sont des catégories contingentes. Ce sont des catégories qui dépendent des facteurs très variables et de facteurs qui ne sont pas permanents. Mais la diversité des sexes est une diversité structurelle de l'humanité.
Selon le professeur Miranda, l'hypothèse est grande au Portugal auprès des partis politiques qui sont contre une telle loi. En général, quand les listes de candidats aux élections sont préparées, les partis ont le souci d'établir une certaine répartition entre les jeunes, les ouvriers, juristes, et d'autres classes professionnelles et sociales. En pratique, tous les partis politiques adoptent déjà des quotas en fonction de plusieurs facteurs : par exemple, pour les élections européennes, la loi portugaise prévoit une circonscription unique. Toutefois, les principaux partis ont toujours eu à coeur d'assurer certains équilibres régionaux ou entre diverses catégories professionnelles. C'est seulement quand on arrive à la représentation des sexes que le problème se pose.
L'imposition de normes concernant les candidatures serait contraire au principe de la liberté d'association des partis politiques : on considère que, dans une démocratie représentative, les partis sont des personnes morales de droit privé et non pas des organes de l'État. Imposer des normes légales pour ce qui est de l'organisation interne des partis ou des candidatures aux élections serait contraire à la Constitution. L'on peut cependant réfuter cette objection en soulignant que, si les partis politiques ne sont des personnes morales de droit public ni au Portugal ni dans la plupart des pays, ils ne sont pas non plus de simples personnes morales de droit privé. Dans la plupart des pays, ils ont explicitement (comme au Portugal) ou implicitement un statut constitutionnel. Il y a, au Portugal, non seulement une loi sur les partis politiques, mais aussi plusieurs normes constitutionnelles qu'ils doivent respecter. Ainsi, l'article 51,5 de la Constitution dispose-t-il que les partis doivent respecter les principes de transparence, d'organisation et de gestion démocratiques et de participation de l'ensemble de leurs membres.
Dès lors que la Constitution impose directement des conditions pour ce qui est de l'organisation interne des partis politiques, elle peut a fortiori, de même que la loi avec elle,en application de la constitution, imposer des normes en ce qui concerne l'organisation des candidatures pour les organes de l'État, notamment pour le parlement. En effet, c'est par le biais de ces candidatures que les partis politiques participent à la vie politique. De plus, la Constitution portugaise a accordé, aux partis, pour des raisons historiques le monopole des candidatures aux élections. Les partis politiques sont seuls à pouvoir présenter des candidats aux élections législatives. Il est évident que, si la Constitution accorde ce privilège aux partis, elle leur impose aussi des devoirs en ce qui concerne l'exercice de ce privilège.
Une autre objection concerne le principe démocratique. En imposant des obligations pour ce qui est des listes de candidats, l'on porterait atteinte à la liberté des citoyens, puisqu'on limiterait leur liberté de choix. Certains estiment que, de la sorte, ce ne sont plus la compétence et les mérites des candidats qui jouent un rôle indépendamment de leur sexe, mais leur sexe même, et que les électeurs sont contraints de faire un choix sur la base du critère du sexe. Le professeur Miranda constate que ce genre d'arguments n'est invoqué que lorsque l'on se propose de mettre des femmes en avant. Il constate simplement qu'au Portugal, il est des parlementaires masculins au sujet desquels on se demande vraiment quelles pourraient être leurs compétences et/ou leurs mérites. Et pourtant, l'argument de la compétence n'a pas été évoqué à leur sujet. Par contre, il l'est pour ce qui est des femmes.
Du point de vue juridique, le professeur Miranda précise que le principe démocratique n'est pas un principe absolu. Si, dans un État de droit, le principe démocratique doit être proclamé comme étant un droit fondamental, il doit aussi être modulé en fonction d'autres principes. C'est ainsi qu'il y a par exemple, au Portugal, une limitation dans le temps du nombre de mandats que le président peut exercer. La présidence ne peut être exercée que deux fois successives par la même personne. Cette limitation du principe démocratique vise clairement à prévenir toute concentration du pouvoir. Le principe démocratique doit aussi être mis en concordance avec le principe de l'égalité de participation. C'est pourquoi le professeur Miranda estime que l'application de ce principe peut également être limitée par l'imposition de certaines normes en ce qui concerne la présentation des candidats.
D'autres critiques estiment que le souci de faire participer les femmes à la politique est une affaire d'autodiscipline des partis et qu'il faudrait laisser les partis régler la question de manière autonome, par le biais de leurs propres statuts. Ils trouvent que c'est aux partis politiques eux-mêmes qu'il appartient d'appliquer concrètement les dispositions des articles 9, h) , et 109. Certains interprètent le texte de l'article 109 de la Constitution, en ce sens qu'ils s'adressent directement non pas au législateur mais aux partis et imposerait à ceux-ci de réaliser l'égalité des chances des femmes et des hommes en ce qui concerne l'accès aux mandats politiques. Le professeur Miranda considère cependant que l'on pourrait tout aussi bien affirmer que le législateur doit intervenir, étant donné que l'autorégulation au niveau des partis politiques n'a pas fonctionné jusqu'à présent. En outre, l'article 109 de la Constitution prévoit expressément une telle intervention. En d'autres termes, si cet article vise effectivement les partis politiques, l'intervention du législateur reste nécessaire. En vertu de la Constitution, le législateur a le pouvoir et le devoir d'intervenir.
Enfin, le professeur Miranda constate que, comme au Portugal, le sujet de la réunion à laquelle il participe n'intéresse guère les hommes. Il estime toutefois que les hommes se trompent : en effet, il se pourrait fort bien que, d'ici 20 ou 30 ans, le problème se pose en sens inverse, qu'il y ait une loi ou non.
La présidente remercie le professeur Miranda pour son exposé passionnant et constate que tous les points qu'il a abordés ont également été examinés par le comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes au cours de la discussion des propositions relatives aux femmes et la prise de décisions politiques (4) que les sénateurs ont déposées. Bien que des débats politiques analogues soient en cours en Belgique, au Portugal et dans d'autres pays européens la Belgique est sans doute déjà plus avancée que le Portugal sur le plan législatif, étant donné que la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections à déjà des quotas il n'y a malheureusement pas chez nous de débat scientifique semblable à celui qui est mené dans ces pays-là. Le débat scientifique et juridico-constitutionnel n'a pas atteint, en Belgique, le même niveau qu'au Portugal. L'intervenante estime qu'il y a une lacune singulière en la matière et elle espère que les choses changeront dans un proche avenir.
Une commissaire remercie le professeur Miranda pour son exposé très circonstancié : il a donné un aperçu à la fois de la nécessité d'assurer l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans la politique et des difficultés que soulève, pour ce qui est du fonctionnement de la démocratie, l'inscription de femmes sur les listes de candidats aux élections. L'intervenante aimerait approfondir l'examen des problèmes cités et souligne que, lors de la constitution des listes, les partis politiques sont confrontés à diverses obligations. En effet, les partis politiques doivent pouvoir représenter les différents rouages de la société, en fonction de leur projet politique. C'est une obligation à laquelle ils satisfont déjà, non sans difficultés.
Un deuxième problème, qui surgit notamment au cours des campagnes électorales, est lié au fait que, même si les partis politiques veulent promouvoir des candidates qui sont porteuses d'un projet politique relatif à la citoyenneté (parité et vision sociale progressive), il leur faut relever le défi des élections, qui est le défi par excellence, et obtenir une victoire électorale. Ce sont les candidats qui doivent apporter les voix requises. La tentation est dès lors, très grande de ne se fier qu'aux expériences réussies du passé. Comme ce sont principalement des expériences masculines, les partis politiques craignent de placer de nouveaux candidats, et donc aussi des candidates, sur les listes électorales. Si l'on veut augmenter le nombre de candidates sur les listes électorales et le nombre d'élues au Parlement, l'on doit s'adresser d'abord aux partis politiques, mais aussi aux diverses associations féminines qui existent. L'intervenante estime qu'il y a lieu d'associer d'urgence ces dernières à l'examen de la problématique en question. Elle craint en effet, qu'en raison desdites obligations auxquelles les partis politiques doivent satisfaire, la voie qui consiste à passer par les seuls partis politiques ne soit trop lente. Elle demande à cet égard l'avis du professeur Miranda.
Le professeur Miranda dit partager l'opinion de la commissaire. Il estime que les partis politiques doivent effectivement représenter les diverses couches sociales, mais constate que, s'ils se sentent obligés de représenter les ouvriers, les intellectuels, les diverses régions, les jeunes, les seniors, ils ne se sentent, assez curieusement, pas tenus de représenter les femmes. Ils réussissent depuis longtemps à être représentatifs de toutes les couches sociales, mais pas des femmes. Le problème en question lui paraît être un problème d'autodiscipline. En ce qui concerne le deuxième point, il partage également l'avis de la commissaire, selon lequel les partis politiques hésitent à prendre des risques lors de la constitution des listes de candidats aux élections et préfèrent miser sur les personnalités connues. Le professeur Miranda n'en pense pas moins que l'opposition fréquente des partis politiques à toute rénovation constitue un problème beaucoup plus grave. C'est ainsi que si la classe politique portugaise n'est apparue qu'il y a environ 25 ans. Avant cela, le Portugal vivait sous une dictature. Le Portugal est encore presque exclusivement dirigé par des hommes qui ont accédé au pouvoir au lendemain de l'entrée en vigueur de la Constitution de 1976. Il y a une très forte opposition au changement qui provoque une crise de la démocratie représentative au Portugal, comme dans d'autres pays. Les femmes, mais elles ne sont pas seules, sont victimes de l'attitude figée qui en résulte.
L'intervenant déclare que c'est la raison pour laquelle il a déjà proposé d'inscrire dans la Constitution portugaise, une limitation dans le temps du nombre de mandats pouvant être exercés par les parlementaires et les maires, par exemple, par analogie avec ce que l'on a décidé en ce qui concerne le président de la république. Ces problèmes de concertation du pouvoir existent non seulement au Portugal, mais aussi dans d'autres pays, comme en France. Cette situation est très néfaste à la démocratie. La démocratie a besoin de renouveau. Notre société de rendement est confrontée à une absence de regénération démocratique qui est très préjudiciable. Il s'agit d'un problème général, dont la sous-représentation des femmes en politique est toutefois l'une des conséquences.
Enfin, le professeur Miranda précise qu'au Portugal, les femmes sont généralement bien représentées au sein des associations de la société civile. La situation y est en tout cas meilleure que dans le monde politique.
Une des rapporteuses se dit impressionnée par les propos détaillés du professeur Miranda. Elle partage le sentiment de l'intervenant selon lequel le problème clé vient de la concentration des pouvoirs. Or, ce problème ne fait pas partie du débat politique belge. L'intervenante souhaiterait que le professeur Miranda fournisse des précisions sur les deux point suivants :
Un des arguments avancés en faveur de l'instauration d'un régime légal de quotas consistait à dire que le genre humain est composé de deux sexes. Quel est le point de vue de professeur en ce qui concerne les régimes de quotas par catégorie d'âge ? L'on pourrait en effet très bien poser que le genre humain se compose également de diverses catégories d'âge. Faudrait-il aussi prévoir dans ce cas des régimes de quotas spécifiques ?
Comment fait-on au Portugal pour remplacer en cours de législature une parlementaire en congé de maternité ?
Le professeur Miranda répond à la première question, qu'au Portugal, il y a des représentants des fédérations de jeunes au sein des cadres des principaux partis politiques qui siègent au Parlement. Lorsque les partis politiques établissent leurs listes de candidats pour les élections, ils pensent à y placer certains jeunes. Les fédérations de jeunes en question jouissent souvent d'une grande autonomie au sein du parti. C'est ainsi que certaines propositions de loi de jeunes parlementaires socialistes, ont soulevé pas mal de difficultés au gouvernement portugais. Autrement dit, même à défaut de régime légal prévoyant des quotas, les jeunes sont bien représentés au Parlement. Vu la moyenne d'âge élevée des parlementaires, il n'est en tout cas pas nécessaire aujourd'hui de se préoccuper davantage de la représentation des seniors au Parlement. Le professeur Miranda se dit opposé par principe à un régime de quotas par catégories d'âge. Le sexe est un élément spécifique pour ce qui est du genre humain. L'intervenant souligne que les catégories d'âge et les autres catégories envisageables sont, quant à elles, évolutives et d'importance secondaire.
En ce qui concerne la suspension du mandat d'un parlementaire en cas de congé de maternité, l'article 153, 2, de la Constitution portugaise prévoit qu'une loi règle son remplacement temporaire. Une loi relative au statut des parlementaires règle entre autres ce remplacement temporaire. Il y a toutefois un problème qui vient de ce que le système du remplacement temporaire est conçu de manière assez large et qu'il vaut notamment pour les cas de maladie, pour d'autres obligations professionnelles, etc. Il s'ensuit que l'on abuse assez largement de ces régimes de remplacement. À preuve, le fait que la majorité des parlementaires qui ont été élus en octobre 1995 ont déjà été remplacés et ce, pour diverses raisons et, notamment parce qu'au moment des élections, les partis politiques s'efforcent autant que possible de placer sur leurs listes de candidats des personnes qui jouissent d'une certaine popularité et, par exemple, des bourgmestres. Or, comme la loi interdit le cumul d'un mandat de parlementaire et d'un mandat de bourgmestre, les bourgmestres élus doivent renoncer à leur mandat de parlementaire ou en demander la suspension. Dans ce dernier cas, le candidat effectivement élu est remplacé par son suppléant. Le professeur Miranda est d'avis qu'il faudrait renforcer considérablement la législation en la matière. Mais la suspension pour cause de congé parental est tout à fait objective et justifiée à ses yeux. Au terme de la période de suspension, le parlementaire féminin ou masculin élu réintègre le Parlement s'il le souhaite. Il suffit que l'intéressé(e) communique sa décision en la matière par lettre au président de l'assemblée législative. C'est un système très simple, peut-être même trop simple.
Une sénatrice note qu'il ressort de l'exposé du professeur Miranda sur la participation des femmes à la vie politique que nos démocraties sont gravement sclérosées et qu'un rajeunissement s'impose. Elle estime qu'il importe de souligner que le parti écologiste dont elle fait partie, et qui est un parti relativement jeune, défini une série de règles internes dont il pourrait être intéressant de s'inspirer pour résoudre les problèmes évoqués : il s'agit, par exemple, de la limitation dans le temps de l'exercice des mandats, de l'élaboration d'un régime valable en matière de congé politique, de la limitation du cumul de mandats, etc. De telle mesures contribueront, selon la sénatrice, à un renouvellement général et, partant, à une féminisation de la démocratie. Elle souligne également qu'une enquête récente concernant les résultats des élections de 1995 a révélé que les femmes bénéficient de plus en plus de votes de préférence.
Enfin, la sénatrice souhaiterait obtenir quelques précisions sur les raisons pour lesquelles les femmes ne participent pas à la vie politique. Les difficultés de combiner un mandat politique et la vie familiale peut être une de ces raisons, mais n'est probablement pas la seule. En effet, le professeur Miranda a lui-même évoqué, à titre d'exemple, la nette sous-représentation des étudiantes dans les organes d'administration de la faculté de droit de l'université de Lisbonne, dont la population étudiante est pourtant constitué de 70 % de femmes qui n'ont, pour la plupart, pas encore de charges familiales. Mais peut-être est-ce pour d'autres raisons que les femmes participent dans une moindre mesure à la vie politique ? Il se pourrait que l'image sclérosée de la politique joue un rôle important en la matière.
Il est difficile, selon le professeur Miranda, de savoir pourquoi si peu d'étudiantes se portent candidates pour les organes administratifs des universités. Sans doute, cela s'explique-t-il encore par l'environnement culturel général des étudiantes et des jeunes en général. En outre, les étudiantes s'occupent généralement beaucoup plus sérieusement de leurs études que les étudiants. Elles se concentrent généralement davantage sur leurs études et craignent sans doute que participer à la gestion administrative de l'université ne les détourne de leur objectif principal, à savoir celui des études. Elles étudient probablement aussi plus sérieusement parce qu'elles veulent prouver ce qu'elles valent.
Une autre membre dit avoir éprouvé beaucoup de satisfaction à entendre l'exposé du professeur Miranda. Elle est également frappée de constater qu'au Portugal, l'on parvient apparemment à parler beaucoup plus librement de la question qu'en Belgique. Elle constate qu'il y a bien, dans notre pays, des résistances concernant ce thème. L'on considère plutôt chez nous que l'on est devant une « prise de pouvoir par les femmes ». Certains hommes envisagent de lancer, à l'occasion des prochaines élections, le slogan suivant : « Votez pour un homme tant que c'est encore possible ». La crainte existe de voir une génération entière d'hommes encore jeunes aujourd'hui ne plus pouvoir siéger au Parlement. L'intervenante se réjouit que le professeur Miranda rattache le problème à la notion de « citoyenneté ». En effet, la « citoyenneté » implique un élément de responsabilité des deux sexes dans notre société. C'est le mot clé dans le domaine de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
Les gens qui s'opposent à l'inscription de quotas dans la loi déclarent parfois que cela n'est plus nécessaire, étant donné que les femmes occupent de plus en plus de positions importantes dans notre société. L'on constate toutefois que ce n'est pas le cas en politique. C'est dû, selon la membre, à l'image que l'on a de la politique : elle ne tiendrait pas suffisamment compte des aspirations des femmes et elle serait corrompue. Quels arguments, outre celui qui consiste à invoquer le principe démocratique, le professeur Miranda pourrait-il encore avancer pour encourager les femmes à s'engager en politique ?
La membre partage l'avis du professeur Miranda sur la démocratie parallèle. La constitution de listes électorales séparées entraînerait la constitution de parlements séparés. Cela signifierait qu'il y aurait non plus 7 assemblées législatives en Belgique mais 14. Elle attire en outre l'attention sur la déclaration du professeur Miranda, selon laquelle les hommes et les femmes votent pour des hommes et des femmes. Elle se demande dès lors s'il est vraiment nécessaire d'encourager les femmes à voter pour des femmes. Une action visant à inciter les femmes à voter en faveur des femmes aurait-elle vraiment un sens ? L'intervenante pense que oui. Elle demande, pour finir, si l'on a inscrit dans le règlement d'ordre intérieur du Parlement portugais des mesures concernant la « féminisation » des activités, par exemple en interdisant les réunions de nuit, en organisant l'accueil des enfants au Parlement, etc.
Le professeur Miranda répond aux deux premières questions de la membre que tout est une question d'éducation à la citoyenneté. C'est par cette voie seulement que l'on pourra rajeunir la classe politique. En outre, c'est par cette voie que l'on pourra faire en sorte que les femmes décident d'elles-mêmes de voter pour des femmes. Il souligne cependant qu'au Portugal, l'on ne peut pas émettre de voix de préférence, seul un vote de tête de liste est possible. Bien que les préférences personnelles jouent un rôle important pour l'électeur, le choix des partis politiques est déterminant pour ce qui est du résultat.
Les citoyens doivent trouver un équilibre entre l'expression de leurs préférences politiques et idéologiques et l'expression de la confiance qu'ils ont dans les candidats proposés. Abstraction faite des élections présidentielles pour lesquelles les partis politiques ne peuvent pas présenter de candidats mais au cours desquelles l'on élit des individus les élections législatives au Portugal sont fondées surtout sur des idéologies qui visent à la conclusion d'un accord de gouvernement. Les élections présidentielles sont basées sur la confiance individuelle que les électeurs accordent à un candidat donné, abstraction faite des préférences idéologiques et politiques. Pour ce qui est des élections législatives et des élections pour les entités locales, ce sont les partis politiques qui présentent les candidats. Jusqu'à présent, l'on n'a pas pu déterminer, au Portugal, si l'électeur vote consciemment ou non pour une femme ou pour un homme. C'est dû au fait qu'il n'y a eu, jusqu'à présent, que peu de candidates. Il est vrai que, dans des cas exceptionnels, certains partis politiques ont présenté des femmes en tête de liste. Le professeur Miranda pense que les femmes voteront sans doute consciemment pour des candidates. Il le déduit du fait qu'un sondage organisé après le dépôt d'un projet de loi relatif aux quotas au Parlement portugais, a montré que plus de 60 % des personnes interrogées ont déclaré être en faveur d'un quota légal. Selon le professeur Miranda, l'on pourrait dès lors soumettre facilement cette matière à un référendum et les partis politiques pourraient laisser leurs parlementaires libres d'opter ou non pour l'instauration d'un quota légal.
Le professeur Miranda partage l'avis de l'intervenante précédente, selon lequel l'éducation à la citoyenneté est très importante.
Enfin, il précise que, jusqu'à présent, l'on n'a rien inscrit dans le règlement d'ordre intérieur du Parlement portugais en faveur de la participation politique des femmes. Les femmes parlementaires sont traitées sur un pied d'égalité avec leurs collègues masculins. Il n'existe aucune disposition sur les réunions de nuit, aucun service d'accueil pour les enfants des parlementaires, etc.
Par contre, plusieurs universités organisent bel et bien déjà un accueil pour les enfants des professeurs et des étudiants.
Le gouvernement portugais ne peut rien faire dans ce domaine pour lequel il n'est pas compétent.
Il appartient au Parlement lui-même de prendre des mesures en la matière. Le professeur Miranda espère que le Parlement portugais adaptera son règlement.
L'une des rapporteuses demande au professeur Miranda comment l'on peut influencer concrètement les partis politiques et comment l'on peut arriver à modifier la structure interne d'un parti politique en se fondant sur des dispositions constitutionnelles.
L'intervenante attire l'attention sur le fait qu'en France, il y a un vif débat au Parlement concernant l'inscription dans la Constitution française d'une disposition qui permettrait à la loi d'imposer des quotas. L'on ne sait pas encore très bien si la Constitution française sera modifiée en ce sens ou non. Pour l'opinion publique en Belgique francophone, la modification de la Constitution française sera décisive.
Ensuite, la corapporteuse demande au professeur Miranda si le gouvernement portugais a l'intention d'étendre le champ d'application du projet de loi aux institutions communales.
Un autre débat que l'on mène en Belgique concerne la suppression de la référence au statut familial qui fonde toute une série de droits, et le développement d'un statut social fondé sur des droits individuels. Ne pourrait-on pas lier ce débat à celui qui concerne l'égalité des chances entre les femmes et les hommes en matière de participation politique ? En effet, il y a lieu, dans les deux cas, de garantir des droits individuels. Le problème a-t-il déjà été abordé au Portugal ?
Enfin, la corapporteuse demande au professeur Miranda s'il trouve que l'on pourrait développer, sur la base des dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes telles qu'elles figurent dans la Constitution portugaise, des réglementations légales concernant les services publics en général et la police en particulier.
Le professeur Miranda précise que le sondage dont il est question ci-dessus a montré que plus de 60 % de l'opinion publique était favorable à des quotas légaux. Mais à son grand étonnement, la majorité des femmes parlementaires actuelles sont opposées à un pareille loi instaurant des quotas. Il suppose que les protagonistes féminines actuelles qui sont arrivées où elles sont sans bénéficier de mesures spécifiques craignent une plus forte concurrence de la part d'autres femmes.
La présidente souligne que ce n'est pas le cas en Belgique. Le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes du Sénat a formulé, il y a quelques semaines, un avis en la matière, qui a été adopté à l'unanimité (5). Cependant, la corapporteuse attire l'attention sur le fait qu'il n'y a pas de démarche coordonnée en la matière.
En réponse à la question de savoir comment une norme constitutionnelle peut influencer le fonctionnement interne d'un parti politique, le professeur Miranda déclare que la réponse est difficile. Il y a plusieurs dispositions constitutionnelles et plusieurs lois qui concernent les partis politiques, mais il est difficile d'en forcer l'application. C'est ainsi qu'il y a notamment des problèmes, par exemple en ce qui concerne l'application de la législation sur le financement des partis politiques. La Cour constitutionnelle contrôle l'application de cette loi, mais ce contrôle reste difficile : il est toujours possible de trouver des raisons de ne pas devoir respecter la législation en question. Il y a lieu de chercher un équilibre entre le caractère public des droits des partis politiques et l'autonomie relative dont ceux-ci disposent en tant qu'organisations de droit privé. Il est dès lors très difficile de définir des normes dans le domaine en question. Toutefois, en ce qui concerne les quotas pour ce qui est des candidatures, les problèmes juridico-techniques sont peu nombreux. Il suffit d'adapter les lois électorales. En ce qui concerne le droit des femmes à se faire entendre au sein des organes de décision des partis politiques, le législateur ne peut rien faire. Il appartient aux partis politiques d'adapter leur règlement d'ordre intérieur en faveur des femmes.
Le professeur Miranda estime que, pour ce qui est de l'exercice de droits qui concernent le pouvoir politique, le législateur peut bel et bien intervenir. La corapporteuse demande si, au cas où l'on inscrirait dans la Constitution belge des dispositions analogues à celles qui figurent dans la Constitution portugaise, l'acte d'un parti politique qui dépasserait le cadre du règlement de son fonctionnement interne tomberait sous l'application d'une quelconque législation en application des dispositions constitutionnelles. Elle demande aussi si pareil acte pourrait être contesté sans qu'une loi ne donne à exécution les dispositions consitutionnelles en question.
Le professeur Miranda répond affirmativement aux deux questions : les dispositions constitutionnelles peuvent être violées par des actes qui leur sont contraires , en raison de l'inaction des autorités publiques. La Cour constitutionnelle portugaise a déjà rendu un arrêt en ce sens : c'est ainsi que la Constitution prévoit la création d'un service de santé national, mais sans en préciser le concept. Le soin de le déterminer est laissé au législateur. À un moment donné, une loi a supprimé ce service. La Cour constitutionnelle a estimé que cette loi était contraire à la Constitution.
En ce qui concerne la question relative aux institutions communales, le professeur Miranda estime qu'il serait très facile d'étendre le champ d'application de la loi en projet aux élections communales, ainsi qu'aux élections régionales et aux élections pour les régions autonomes des Açores et de Madère : les régimes électoraux en question sont en effet parfaitement analogues.
Le fait que la nouvelle loi ne s'appliquerait pas aux élections communales, fut l'une des critiques formulées contre le projet de loi qui a été déposé. Le professeur Miranda pense que le gouvernement déposera un amendement au Parlement en vue de résoudre ce problème.
En ce qui concerne la discussion sur les « droits dérivés et les droits individuels » en matière de sécurité sociale, le professeur Miranda attire l'attention sur le fait que, depuis la réforme de l'État de 1976, la notion de « chef de famille » ne figure plus dans la Constitution. En droit portugais actuel, la notion juridique de « chef de famille » n'existe plus. En effet, l'article 36, 3, de la Constitution portugaise prévoit que les conjoints ont les mêmes droits et devoirs en ce qui concerne la capacité civile et politique et l'éducation des enfants.
Autrement dit, le père et la mère exercent le pouvoir parental sur un pied d'égalité.
Auparavant, le Code judiciaire prévoyait des droits spécifiques pour la mère, mais depuis l'entrée en vigueur de la constitution portugaise de 1976, le Code civil a été adapté et il n'y a plus aucune différence entre les droits du père et ceux de la mère.
Il y a aussi eu une évolution intéressante en ce qui concerne les allocations familiales : les allocations familiales sont perçues, soit par la mère, soit par le père. Il existe un droit aux allocations familiales pour chaque enfant. Autrement dit, c'est l'enfant qui fait naître ce droit.
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a été le catalyseur d'une autre évolution intéressante dans le domaine des pensions de survie : jusqu'à il y a peu, les veuves obtenaient une pension de survie d'un montant supérieur à celle des hommes. L'on considérait en effet que le revenu du ménage provenait principalement de l'homme. La Cour constitutionnelle estime néanmoins que cette différence était inconstitutionnelle depuis qu'il y a un nombre élevé de femmes sur le marché du travail.
Un autre exemple d'évolution concerne l'âge minimum requis pour pouvoir se marier que prévoit le Code civil : jadis, cet âge limite était plus bas pour les filles (14 ans) que pour les garçons (16 ans). La Cour constitutionnelle a jugé que cette différence était inconstitutionnelle et a proposé au législateur de porter à 16 ans l'âge requis pour les filles. La Cour constitutionnelle estima, en effet que, sinon, les filles ne pourraient pas s'épanouir et se trouveraient en position de dépendance économique vis-à-vis de leur mari. Le Code civil a dès lors été adapté dans le sens proposé.
Enfin, le professeur Miranda répond à la question de la corapporteuse concernant les actions positives en faveur de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes pour ce qui est des fonctions dirigeantes au sein des services de police. Il estime que l'interprétation des dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes ne peut pas mener à une sorte « d'opération de rattrapage » en vue de charger des femmes de fonctions de cadre au sein de la police. Seul le temps doit permettre aux femmes d'accéder à ces fonctions. Il faut que les agents de police féminins aient à gravir les mêmes échelons que leurs collègues masculins. Cela vaut aussi en ce qui concerne les emplois dans la magistrature. Une opération de rattrapage serait inconstitutionnelle.
La présidente pose les 3 questions suivantes :
la Constitution belge ne prévoit que le principe de « l'égalité devant la loi ». Certains souhaiteraient aussi inscrire dans la Constitution des dispositions relatives aux efforts à faire pour réaliser l'égalité de fait; d'autres, dont plusieurs juristes belges, estiment que ce n'est pas nécessaire et que le principe de l'égalité devant la loi suffit, si on l'assoie aux droits et libertés garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et par le Traité sur l'Union européenne. Ceci devrait suffire à garantir l'égalité entre les hommes et les femmes. Qu'en pense le professeur Miranda ?
elle souhaite aussi avoir l'avis du professeur Miranda sur la révision de la constitution qui est en préparation en France.
enfin, elle souligne qu'elle a déposé une proposition de déclaration de révision des articles 99 et 104 de la Consitution (6) dans le but de modifier la Constitution belge de manière que le gouvernement fédéral compte autant de femmes que d'hommes. Cette parité fondée sur le sexe ne serait pas la seule forme de parité à être inscrite dans la Constitution : en effet, l'article 99 de la Constitution contient déjà la disposition suivante : « Le Conseil des ministre compte quinze membres au plus. Le premier ministre éventuellement excepté, le Conseil des ministres compte autant de ministres d'expression française que d'expression néerlandaise ». En d'autres termes, la parité linguistique existe déjà. Elle demande ce que le professeur Miranda pense de la proposition qu'elle a faite .
Le professeur Miranda répond à la première question que « l'égalité devant la loi » est en soi insuffisante. L'histoire l'a déjà montré. Les constitutions libérales traditionnelles du XIXe siècle prévoyaient déjà l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Personne ne doutait à l'époque que les femmes fussent aussi des citoyens. Il n'empêche qu'à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, nombre de lois contenaient des dispositions sur l'incapacité des femmes. Ce n'est qu'au cours du XXe siècle que les femmes ont acquis le droit de vote. Les femmes ont fait l'objet de discriminations jusqu'avant la dernière révision de la Constitution portugaise, qui a consacré le principe de la stricte égalité entre les hommes et les femmes.
Une interprétation progressiste de la notion d'« égalité devant la loi » pourrait consister à dire qu'il ne faut pas dépasser le stade du principe et veiller à ce que le résultat visé soit atteint. En général, l'on ne retrouve toutefois que la notion d'égalité juridique. Même les textes qui existent dans les conventions européennes, qu'il s'agisse, par exemple, du Traité d'Amsterdam ou de la CEDH, laissent à désirer. Les textes des constitutions portugaise, brésilienne, italienne et espagnole offrent de meilleures garanties en l'espèce. La Constitution belge reste une constitution classique, libérale.
En ce qui concerne l'évolution en France, le professeur Miranda admet qu'il n'est pas très bien informé. Le texte de la révision en projet de l'article 3 de la Constitution française, tel qu'il a déjà été approuvé par l'assemblée nationale, est le suivant (7) :
« La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »
Le professeur Miranda estime que le texte français va beaucoup moins loin que les dispositions de la Constitution portugaise.
Enfin, en ce qui concerne la troisième question, le professeur Miranda attire l'attention sur le fait qu'il est généralement très difficile d'obliger, par l'application d'une norme constitutionnelle, le premier ministre à composer son gouvernement paritairement d'hommes et de femmes. En effet, l'on compose surtout un gouvernement sur la base de la confiance politique. Par conséquent, il est très difficile de subordonner le choix à faire à certaines conditions. Mais, comme en Belgique, il existe déjà une parité linguistique au sein du gouvernement fédéral en raison de l'existence des communautés linguistiques, le professeur Miranda ne voit aucune objection juridique à l'inscription dans la Constitution du principe de la parité sur la base du sexe. La Constitution belge actuelle prévoit en outre déjà un nombre maximum de ministres. Selon le professeur Miranda, elle est l'unique Constitution à le faire.
L'une des intervenantes fait observer que le professeur Miranda a déjà souligné à plusieurs reprises que le régime électoral portugais fonctionnait sur la base de ce que l'on appelle des listes électorales fermées. Cela signifie que l'électeur ne peut pas modifier l'ordre des candidats proposé par les politiques. L'électeur ne peut pas émettre de voix de préférence. Il peut simplement voter en tête de liste. Selon elle, ce point revêt une très grande importance dans le cadre de la discussion sur l'égalité des chances entre les femmes et les hommes en politique. En effet, l'on peut réaliser la parité dans le domaine politique de manières variables, en fonction du régime électoral. Nous ne connaissons pas le système des listes électorales fermées, ni en Belgique ni au Grand-Duché du Luxembourg : l'électeur peut émettre une voix de préférence sur une liste et même sur plusieurs. Ce qui permet très difficilement d'atteindre la parité. C'est probablement un élément que le professeur Miranda perd de vue quand il affirme qu'il est opposé à l'existence de parlements parallèles. En effet, dans un régime électoral avec des listes fermées, l'application de l'alternance sur la base du sexe induit en fait la constitution de deux listes séparées sur une même liste, sans que l'électeur ne s'en rende compte. Cela revient en quelque sorte à réserver des sièges à chaque sexe au Parlement. Les quotas pour ce qui est des listes de candidats ne sont donc pas les seuls instruments permettant d'atteindre la parité en politique. Il y a aussi l'instrument de la révision du régime électoral. La définition de quotas ne suffit sans doute pas : la pratique en Belgique semble l'avoir indiqué jusqu'à présent.
La présidente précise que la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidats aux élections en Belgique n'a été appliquée qu'une seule fois en 1994, à l'occasion des élections communales. À l'époque, un quota de 25 % était en vigueur : il a quand même eu pour effet que 30 % des candidats aux élections communales étaient des femmes et qu'actuellement, 20 % de femmes au total siègent dans les conseils communaux. Cette loi a donc permis de réaliser des progrès considérables.
L'intervenante reconnaît qu'il y a eu des progrès, mais elle estime que la voie choisie ne permet pas de progresser aussi vite que le système électoral à liste fermée.
Une deuxième remarque de l'intervenante concerne le raisonnement du professeur Miranda selon lequel, si l'on répartissait les sièges au Parlement sur la base du sexe, les femmes parlementaires ne représenteraient que des femmes. L'intervenante ne partage pas tout à fait cette opinion, étant donné que les femmes qui ont été élues de cette manière peuvent également l'avoir été par l'ensemble de la population, et non pas seulement par des femmes.
Une troisième remarque concerne la proposition de la présidente relative à l'inscription dans la Constitution du principe de la parité au sein du gouvernement : pourquoi ne demanderait-on pas dès lors pareille parité au sein du Parlement ? L'intervenante estime qu'il importe de veiller au parallélisme pour assurer la cohérence des propositions.
L'intervenante estime que le texte de l'article 109 de la Constitution portugaise, qui impose une obligation au législateur, (« La loi doit favoriser l'égalité ») est un bon texte. Il est meilleur que le texte qui commence comme suit : « La loi peut ... ». Elle se demande toutefois si le verbe « favoriser » est suffisamment fort : il laisse une grande liberté d'interprétation au législateur.
Enfin, l'intervenante demande si l'on a inscrit dans la Constitution portugaise une disposition expresse prévoyant des mesures légales d'action positive pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail.
Le professeur Miranda reconnaît que le système électoral joue un rôle important dans le renforcement de la présence des femmes en politique. Il est, par exemple, très difficile d'introduire dans un régime électoral uninominal tel que le système britannique une norme devant permettre de mieux équilibrer la représentation des deux sexes. Il n'est toutefois pas impossible de le faire : l'on pourrait définir des règles, en vue d'atteindre un certain résultat. L'on pourrait, par exemple, prévoir des sanctions à infliger aux partis politiques sur les listes électorales desquels figurent une grand majorité de personnes d'un même sexe. L'on pourrait prévoir, par exemple, une réduction de leur dotation ou de leurs temps d'émission sur les chaînes publiques, etc. Dans un système électoral fondé sur des listes fermées, de telles mesures d'action positive sont très faciles à prévoir dans le cadre d'une loi. Le professeur Miranda partage l'avis de l'intervenante selon lequel il faut également repenser les régimes électoraux si l'on souhaite parvenir à une représentation plus démocratique de la population.
Le professeur Miranda répète qu'il est contre l'existence de listes électorales parallèles : il est hostile à l'organisation d'élections par sexe. Il n'est partisan ni de la création de deux collèges électoraux ni de l'élection séparée de représentants masculins, d'une part, et féminins, d'autre part. Il ne croit pas non plus, comme l'intervenante, que les règles proposées au Portugal vont en fait dans le sens de la création d'un parlement parallèle. Les hommes et les femmes élus par l'ensemble de la population représentent en effet l'ensemble de celle-ci.
En ce qui concerne le parallèle que l'intervenante souhaite faire entre la parité au gouvernement et la parité au parlement, le professeur Miranda estime que l'on ne pourrait imposer un gouvernement paritair sur la base du sexe que dans le cadre de la logique interne du système constitutionnel belge. Il ne pense pas que ce serait possible dans d'autres pays. Personnellement, il n'est pas opposé à un parlement paritaire, mais la parité lui semble difficile à réaliser mathématiquement, précisément en raison du régime électoral. En effet, quand on élit un parlement, il n'est pas possible de prévoir mathématiquement quel sera le nombre de femmes et d'hommes élus. L'on peut simplement procéder à une estimation. Il lui semble qu'un parlement paritaire serait une bonne chose pour la démocratie, mais à condition que l'on réalise cette parité par le biais du vote des électeurs. Il est partisan d'un parlement paritaire, élu par les hommes et les femmes; il est toutefois opposé à la coexistence de deux parlements, qui serait très néfaste à la démocratie selon lui. Les hommes et les femmes participent sur un pied d'égalité aux autres domaines de la société.
En ce qui concerne le verbe « favoriser/promouvoir » qui est utilisé à l'article 109, de la Constitution portugaise, le professeur Miranda estime qu'il permet d'exprimer une gradation. Il permet de laisser une certaine liberté au législateur. Il estime que si la Constitution ne prévoit en effet pas explicitement ce que le législateur doit faire, il n'en reste pas moins que le problème en question est un problème général inhérent aux normes constitutionnelles. Il faut veiller d'une manière générale, à ce que ces normes ne soient ni trop rigides ni trop strictes. Mais l'article 109 indique une orientation claire, un résultat à atteindre. C'est ainsi qu'une loi d'exécution de l'article 109 qui prévoyait, par exemple, un plafond de 15 % pour ce qui est de la représentation des femmes serait inconstitutionnelle juridiquement en raison de ce plafond ou de la faiblesse du quota. Le professeur Miranda estime d'une manière générale qu'il faut laisser une certaine marge de manoeuvre au législateur et qu'il faut permettre en même temps aux tribunaux et à la Cour constitutionnelle de procéder à des analyses et d'établir une distinction entre une norme qui sert à mettre la Constitution à exécution et une norme qui est contraire à la Constitution. Certaines lois qui sont censées mettre à exécution un article de la Constitution trahissent en fait, quand on y regarde de plus près, un abus de pouvoir. Il est peut-être possible d'encore améliorer le texte actuel de l'article 109 de la Constitution portugaise, mais celui-ci n'en a pas moins été rédigé dans un esprit d'honnêteté et avec précision. Le problème abordé par l'intervenante est un problème général qui concerne le rapport entre les normes constitutionnelles et les normes légales. Certaines normes constitutionnelles doivent être
spécifiques, comme celle qui concerne la durée du mandat parlementaire. Il n'est pas possible de la définir dans les lois électorales. Dans d'autres domaines (la politique, l'économie et le domaine social, ...), il faut laisser une certaine marge de manoeuvre.
Enfin, le professeur Miranda précise, en réponse à la dernière question, que la Constitution portugaise de 1976 prévoyait déjà des mesures d'action positive visant à favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes dans d'autres domaines que la politique. À cet égard, l'article 58 relatif aux droits du travail dit ce qui suit :
« 1. Tous les citoyens ont le droit au travail.
2. Pour assurer le droit au travail, l'État a la tâche de promouvoir :
a) ...
b) l'égalité des chances dans le choix de la profession ou le type de travail et les conditions permettant d'éviter que l'accès à une fonction, un travail ou une catégorie professionnelle déterminés ne puisse être empêché ou limité en fonction du sexe. »
L'article 59 de la Constitution portugaise, qui concerne les droits des travailleurs, dispose expressément que l'État a pour mission de prévoir une protection spécifique, pendant la grossesse et après l'accouchement, pour les femmes qui travaillent, et ce, en vue de préserver l'égalité des femmes et des hommes sur le marché du travail.
Le professeur Miranda souligne qu'il existe plusieurs lois d'exécution de ces normes constitutionnelles. Toutefois, dans certains secteurs, il subsiste des problèmes en ce qui concerne la différence de rémunération entre les hommes et les femmes. C'est le cas dans certains secteurs économiques comme l'agriculture.
La présidente remercie de tout coeur le professeur Miranda pour son exposé détaillé. Elle remercie également les personnes présentes. Elle espère que le débat qui s'est déroulé au sein du Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes du Sénat de Belgique pourra être poursuivi au niveau européen au cours des prochains mois.
Le professeur Miranda a fourni des arguments importants en faveur de l'inscription explicite dans la Constitution du droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, d'une part, et la définition, dans les lois électorales, d'un régime légal de quotas pour ce qui est de la composition des listes d'autre part.
En ce qui concerne le principe de l'égalité entre les hommes et des femmes dans Constitution
Bien qu'il soit généralement admis que la notion générale d'égalité devant la loi, telle qu'elle est ancrée dans la Constitution, englobe également celle de l'égalité entre les hommes et les femmes, le professeur Miranda a soutenu que cette interprétation n'était pas satisfaisante.
Il s'agit d'un droit qu'il y a lieu de définir de manière explicite et d'inscrire dans la Constitution juridique suprême du pays, en tant que droit fondamental, ce qui ne manquera pas de constituer un signal fort.
De par la connaissance constitutionnelle de ce droit, chaque autorité, à quelque niveau que ce soit, devra en tenir compte chaque fois qu'elle prendra une décision. La réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes deviendra ainsi une mission permanente de l'autorité, quelles que soient les priorités politiques des gouvernements successifs.
Mesures d'actions positives
Pour ce qui est de la composition des listes électorales et de la place qu'occupent les divers candidats, le professeur Miranda estime qu'en l'absence d'un régime légal, l'on arrive difficilement à éliminer certains préjugés.
L'on constate que l'évolution sociologique et l'autodiscipline des partis politiques n'ont pas suffi pour améliorer la situation en ce qui concerne l'égalité d'accès des femmes et des hommes à la prise de décision politique. Certaines dispositions légales particulières comme celles qui prévoient l'instauration de quotas tendent à promouvoir l'égalité, même s'il faut pour cela attribuer des droits spécifiques à certains groupes défavorisés. C'est un moyen d'atteindre l'objectif final.
Les exigences en matière de représentation des hommes et des femmes ne portent pas atteinte au caractère indivisible de la politique. L'on ne touche ni au droit de vote, ni au droit d'éligibilité. Les quotas que l'on pourrait envisager de prévoir en faveur d'autres catégories (seniors, handicapés, etc.) n'ont rien de comparable avec celles-ci : les distinctions que l'on fait en l'espèce dépendent de facteurs éminemment variables et temporaires.
Les partis politiques ne sont guère enclins à prendre des risques lorsqu'ils confectionnent les listes de candidats aux élections et s'en tiennent souvent à des candidats connus, habituellement des hommes. Les partis politiques hésitent parfois à jouer la carte du renouveau et du changement. Ces facteurs conduisent également à une concentration de pouvoir qui est néfaste à la démocratie. Celle-ci a besoin de se renouveler. Il s'agit d'un problème général, dont la sous-représentation des femmes dans la vie politique est une conséquence. C'est pourquoi l'on a proposé au Portugal de prévoir une limitation dans le temps du nombre des mandats. Il convient en outre de repenser le système électoral si l'on veut arriver à une représentation plus démocratique de la population.
Composition paritaire du gouvernement
En ce qui concerne la composition paritaire du gouvernement, le professeur Miranda estime que puisque la Belgique connaît déjà la parité linguistique au niveau du gouvernement fédéral du fait des communautés linguistiques, il n'y a aucune objection juridique à ancrer dans la Constitution une parité fondée sur le sexe. Cela est dû uniquement à la logique interne du système constitutionnel belge. Le professeur Miranda pense toutefois que ce serait très difficile dans d'autres pays.
Grossesse/Adoption au cours du mandat parlementaire
Pour ce qui est de la période de grossesse, le mandat parlementaire est suspendu dès le début du congé de maternité et la Constitution portugaise prévoit un remplacement temporaire de la parlementaire en question. Une loi relative au statut des parlementaires règle ce remplacement temporaire. Après cette période de suspension, le parlementaire élu revient siéger au parlement.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 10 membres présentes.
Les rapporteuses, | La présidente, |
Bea CANTILLON. Anne-Marie LIZIN. |
Sabine de BETHUNE. |
DÉMOCRATIE ET CITOYENNETÉ
ACCRUE
(8)
Conclusions du Groupe du travail académique
I. Ayant analysé les données relatives à la situation actuelle des femmes au Portugal, en général ainsi que sur le plan de leur représentation aux fonctions dirigeantes et, en particuluier, au sein des organes de décision politique; ayant étudié les informations concernant la situation des femmes dans d'autres pays, notamment européens, et ayant examiné les informations issues d'études, de recommandations et d'instruments internationaux, la Commission est arrivée à un certain nombre de considérations, à savoir :
Au Portugal, l'évolution globale du statut des femmes, que ce soit sur le plan des normes constitutionnelles et juridiques ou sur celui de leur représentation réelle et effective dans les secteurs les plus divers, n'est pas allée de pair avec une augmentation quantitative de leur représentation au niveau politique.
Au niveau de l'occupation de fonctions politiques, cette situation se caractérise par une opposition persistante à un partage équilibré des fonctions entre hommes et femmes. Cette tendance va à l'encontre des modifications survenues dans de nombreux secteurs fondamentaux, tels que l'éducation, la formation professionnelle, l'emploi et la santé, pour lesquels des indicateurs font clairement apparaître la présence de nombreuses femmes portugaises préparées, informées, compétentes et économiquement indépendantes, dont on pourrait/devrait attendre une contribution majeure sur le plan de l'action politique pour le bien-être collectif.
Si l'on tient compte de la féminisation de la population portugaise, la situation est encore plus préoccupante. Bien qu'elles soient majoritaires, les femmes sont traitées, au niveau de la participation politique, comme une minorité faisant l'objet d'une discrimination, ce qui ce traduit par une marginalisation dans les processus de décision politique, qui va à l'encontre d'une représentation raisonnable et équilibrée de l'ensemble de la population.
De la sorte, il apparaît que la réalité actuelle ne garantit pas aux femmes l'égalité d'opportunités au niveau de l'accès aux charges poliques et que la société portugaise gaspille les capacités, l'expérience, les sensibilités et les contributions du groupe majoritaire de la population sans justification plausible.
Les causes de la situation qui vient d'être exposée sont claires. Elles trouvent leur origine dans des comportements fondés sur des valeurs et des concepts traditionnels et dépassés et, surtout, dans une division des tâches qui rend difficile pour les femmees la conciliation, d'une part, des responsabilités familiales et domestiques considérées comme leur incombant et, d'autre part, des nouveaux rôles sociaux qu'elles veulent et doivent pouvoir assumer.
Notons néanmoins que la société portugaise ne veut pas éloigner consciemment et sciemment les femmes des postes décisionnels. Au contraire, la majorité de la population estime que les femmes portugaises doivent avoir accès à toutes les activités auxquelles elles aspirent et qu'elles sont aptes à assumer, sur un pied d'égalité par rapport aux hommes, et notamment dans le domaine des fonctions de prise de décisions politiques.
Ainsi, le pays est-il confronté à une situation qui persiste et qui n'est nullement justifiée au niveau du droit, des qualifications, des capacités ou des conceptions des Portugais et des Portugaises.
Le problème auquel nous sommes confrontés a existé ou existe encore, quoi qu'à des degrés différents, dans tous les pays, et, en particulier dans les pays démocratiques et, plus spécialement encore, dans les démocraties occidentales et européennes.
L'expérience d'autres pays démontre que seule l'adoption de mesures visant de manière spécifique à accroître la participation des femmes a débouché sur des résultats tangibles, surtout dans les pays du nord de l'Europe. Ces mesures sont, en outre, recommandées avec insistance et légitimées par les organisations internationales qui se sont penchées sur ce problème et ont formulé des propositions à l'intention des organes compétents pour qu'ils adoptent de telles mesures.
L'expérience d'autres pays démontre également que les mesures adoptées par les partis politiques, aujourd'hui généralisées dans les pays où le taux de participation féminine est plus élevé, sont celles qui portent le plus de fruits. Néanmoins, d'autres pays où ce processus s'est avéré vain ont adopté ou sont sur le point d'adopter des mesures juridiques, notamment dans le cadre de leur constitution, afin d'accélérer un processus qui n'a pas eu de résultats par d'autres biais.
Il convient de reconnaître que le comportement et l'attitude des partis, dans ce domaine également, ont une importance capitale et qu'il est souhaitable que le Portugal intensifie ses efforts visant à garantir, aussi bien dans ses activités internes que dans son action extérieure, une participation féminine correspondant aux droits, aux aspirations et aux capacités des femmes portugaises.
À la suite de la révision de 1997, la Constitution de la République portugaise inclut à présent au nombre des tâches fondamentales de l'État « la promotion de l'égalité entre hommes et femmes » [article 9, alinéa h] et établit, sur le plan de la participation politique des citoyens que « la participation directe et active des hommes et des femmes à la vie politique constitue une condition et un instrument fondamentaux de la consolidation du système démocratique, de sorte que la loi doit promouvoir l'égalité dans l'exercice des droits civiques et politiques et lutter contre la discrimination fondée sur le sexe au niveau de l'accès aux charges politiques » (article 109).
Ces dispositions constitutionnelles légitiment l'adoption de mesures spécifiques devant engendrer une égalité de facto au niveau du statut de l'ensemble des citoyens et vont plus loin encore sur le plan de la participation politique étant donné qu'elles obligent le législateur à adopter de telles mesures.
D'une part, il n'existe plus aucun obstacle, d'un point de vue constitutionnel, à l'adoption positive de mesures visant à favoriser la participation des femmes à la vie politique et, d'autre part, la constitution rend impérative l'adoption de telles mesures au niveau juridique.
Cette nécessité n'implique aucune modification du système électoral et s'applique à l'exercice général des « droits civiques et politiques ».
La Constitution ne spécifie pas les mesures qui devront être adoptées, laissant ainsi au législateur ordinaire toute latitude dans le choix des mesures, mais elle ne lui laisse pas la possibilité de décider de n'en adopter aucune.
Le législateur ordinaire est donc soumis à une obligation découlant de principes constitutionnels et fondée sur la nécessité de remédier à une situation injuste de facto .
II. Cet ensemble de considérations justifie, selon la commission, la formulation des recommandations suivantes :
1. La loi doit fixer des objectifs minima au niveau de la participation des citoyens des deux sexes aux fonctions politiques électives :
2. En ce qui concerne les élections relatives à l'Assemblée de la République, il convient d'arriver à une présence féminime minimale de 25 %, à savoir le double du pourcentage actuel, et de récompenser un taux de représentation supérieur à 33 % afin de promouvoir un partage plus équitable.
3. Cet objectif devra être atteint par une action au niveau des listes électorales et des résultats enregistrés en vue d'une plus grande efficacité. En ce qui concerne le premier aspect, cette exigence ne pourra être formulée que pour les listes des circonscriptions plurinominales étant donné que dans le cas des circonscriptions uninominales (s'il y en a), il serait inadéquat que la loi impose des exigences directes relatives à une partie ou à la totalité des listes, que ce soit pour des raisons de principe ou pour des raisons de procédure.
4. L'objectif minimum visé pourra être atteint comme suit :
Toute liste électorale devra compter un minimum de 25 % de candidatures de chacun des deux sexes pour être acceptée.
Les partis représentés au Parlement mais dont le pourcentage de députés des deux sexes n'atteint pas 25 % seront pénalisés pour chaque député manquant pour arriver à ce pourcentage.
Les partis représentés au Parlement et dont le pourcentage de députés des deux sexes excède les 33 % seront récompensés pour chaque député du sexe sous-représenté dépassant ce pourcentage.
La récompense sera évidemment maintenue en cas d'égale représentation des deux sexes (50 %-50 %).
5. Afin de permettre raisonnablement à chaque parti de prendre les mesures nécessaires pour atteindre les pourcentages minima requis, vu que ceux-ci ne peuvent prévoir la manière dont les citoyens voteront, il sera considéré que le résultat minimum a été atteint si, dans le cas où le nombre et la distribution des voix sont similaires ou équivalents à ceux enregistrés lors des dernières élections législatives auxquelles le parti a pris part, ledit parti comptait au moins 25 % de députés et 25 % de députées.
6. La pénalisation susmentionnée ne s'appliquera pas aux nouveaux partis ni aux partis comptant trois députés ou moins. Cette obligation s'appliquera néanmoins en cas de coalition, moyennant les adaptations nécessaires.
7. La pénalisation des partis doit être formulée de façon à produire des effets équivalents, que le parti appuie le gouvernement ou qu'il soit dans l'opposition.
8. La pénalisation ne peut toucher aux droits essentiels des partis politiques mais doit néanmoins être suffisamment efficace. Nous proposons dès lors qu'elle se situe au niveau de la subvention annuelle que les partis reçoivent de l'État et, éventuellement, des exonérations fiscales.
9. Une partie de la commission propose que la pénalisation prenne la forme d'une limitation du temps d'antenne accordé durant la campagne électorale aux listes nationales s'il existe des circonscriptions uninominales (vu que dans le cas des circonscriptions plurinominales, les listes n'atteignant pas les exigences minimales seront refusées).
10. La majorité de la commission rejette toutefois l'idée d'une limitation du temps d'antenne en dehors de la période de la campagne électorale étant donné qu'une telle mesure touchera de manière très différente les partis qui soutiennent le gouvernement et ceux qui ne l'appuient pas.
11. La loi devra également prévoir, selon des termes qui seront définis par l'Assemblée de la République, une organisation des travaux de celle-ci de façon à permettre autant que possible aux députés d'exercer conjointement leur mandat et leurs responsabilités familiales.
12. La loi devra en outre stipuler que les députés (tout comme tous les titulaires d'une fonction politique) jouissent des mêmes droits en matière de protection de la maternité et de la paternité que les autres citoyens exerçant une activité professionnelle. Les absences seront dès lors justifiées dans les mêmes conditions que pour les autres citoyens. Des autorisations permettront aux députés de se faire remplacer, selon des dispositions spécifiques à ce genre de situation et différentes de celles qui régissent les autres fonctions.
13. La solution proposée a été conçue dans le cadre des élections législatives. Cette solution devra néanmoins également être adoptée, après adaptation, pour les élections aux autres fonctions politiques (sauf, évidemment pour la présidence de la République). Son adaptation aux élections européennes devrait être particulièrement aisée.
14. En outre, des dispositions légales prévoyant des objectifs quantitatifs devront être adoptées, à l'instar de ce que font d'autres pays européens, en vue d'une composition équilibrée des commissions et autres organes collégiaux officiels qui devront compter des individus des deux sexes. Il s'agit là d'une mesure indirecte importante au niveau de l'accès aux fonctions politiques.
15. Des mesures légales présentant un contenu similaire sont également justifiées pour ce qui est des fonctions dirigeantes au sein des partis politiques.
(1) « 1. Tous les citoyens ont la même dignité sociale et sont égaux devant la loi. 2. Nul ne peut jair d'un bénéfice ou d'une libéralité quelconque, ni faire l'objet d'une discrimination quelconque, ni se voir privé d'un droit quelconque, ni être dispensé d'une obligation quelconque en raison de ascendance, sexe, race, langue, origine géographique , religion, convictions politiques ou idéologiques, instruction, situation économique ou condition sociale. »
(2) Voir la traduction des conclusions de cette même étude en annexe.
(3) Au Portugal, chaque parti doit présenter, dans chaque circonscription électorale pour les élections législatives, un nombre de candidats supplétifs égal au nombre de candidats effectifs.
(4) Voir le doc. Sénat, nº 1-584/2.
(5) Voir doc. Sénat, nº 1-754/2, 1998-1999, pp. 50-52.
(6) Voir doc. Sénat, 1996-1997, nº 1-657/1.
(7) Doc., Assemblée Nationale, 1998-1999, nº 224.
(8) Traduction de : Vitalino Carras, Joana de Barros, Jorge Miranda, Leonor Beleza, Lúcia Amaral, Luisa Duarte, Vital Moreira, Democracia com mais cidadania : A questão da igualdade de participação política, julho 1998, Officinas Gráficas Da Imprensa Nacional Casa de Moeda.