1-662/4

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

24 MARS 1998


Projet de loi relative aux organisations criminelles


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR M. VANDENBERGHE


SOMMAIRE

  1. Exposé introductif du ministre de la Justice
  2. Premier échange de vues
  3. Le premier rapport intermédiaire de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique
  4. Suite de la discussion générale
    1. Deuxième exposé du ministre de la Justice et dépôt d'amendements par le Gouvernement
    2. Discussion
    3. Réponse du ministre de la Justice
    4. Répliques des membres
  5. Audition de M. Paul Pataer, président de la « Liga voor Mensenrechten », et Mme françoise Tulkens, présidente de la Ligue des droits de l'homme
    1. Observations de la « Liga voor Mensenrechten » relatives aux amendements du Gouvernement au projet de loi relatif aux organisations criminelles
    2. Réactions de la Ligue des droits de l'homme relatives au projet de loi sur les organisations criminelles
      1. Observations de la Ligue des droits de l'homme sur le projet d'article 342 du Code pénal, adopté par la Chambre des représentants, le 5 juin 1997
      2. Observations sur le projet d'article 324bis présenté par le Gouvernement, le 14 janvier 1998
  6. Discussion des articles
  7. Vote final
  8. Textes adoptés comparatifs

Le Sénat a évoqué le présent projet de loi le 10 juin 1997 (Bulletin du greffe nº 102); ensuite, la commission de la Justice au cours de ses réunions des 13 juin et 21 novembre 1997, 13, 14 et 21 janvier, 3 février et 24 mars 1998.

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le 28 juin 1996, le Gouvernement a approuvé son Plan d'action contre la criminalité organisée. Parmi les dix points d'action mentionnés à la fin du Plan d'action et à réaliser en priorité figure le présent projet de loi relatif aux organisations criminelles.

Le projet de loi poursuit un double objectif. Premièrement, il vise à offrir un solide cadre juridique pour la lutte contre la criminalité organisée. À cette fin, le Gouvernement a choisi de fixer la définition du concept « organisation criminelle » dans le Code pénal. Deuxièmement, il vise à rendre explicitement punissable toute personne qui fait partie d'une organisation criminelle, même s'il n'entre pas dans ses intentions de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ou d'être impliquée dans une infraction à titre de co-auteur ou de complice. Outre l'incrimination d'une telle appartenance à une organisation criminelle, le projet de loi rend également punissable la participation à la préparation ou à la réalisation d'activités licites d'une telle organisation criminelle ainsi que la participation à toute prise de décision au sein de cette organisation. Grâce à ces nouvelles dispositions, il devrait pouvoir être possible de punir désormais des personnes qui, jusqu'à présent, demeuraient hors d'atteinte, même si leur contribution aux organisations criminelles était capitale pour permettre à celles-ci de développer leurs activités.

Le projet de loi donne d'abord une définition de l'organisation criminelle. Une telle organisation :

­ est composée de plus de deux personnes;

­ en vue de commettre de façon concertée ou structurée des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave;

­ pour obtenir illicitement des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées;

­ en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions.

L'existence d'une organisation criminelle exige donc que soient réunis un certain nombre d'éléments constitutifs.

Un premier élément est l'existence d'un lien entre plusieurs personnes. Le projet de loi parle d'une organisation et de s'organiser. On peut faire la comparaison avec l'article 322 du Code pénal concernant l'association de malfaiteurs, qui parle de l'organisation de la bande. Il doit donc s'agir d'un groupe organisé dont les membres sont liés volontairement par des relations réciproques en vue d'accomplir les autres éléments de la définition. Cette organisation peut ressortir de la présence d'une hiérarchie, d'une répartition des tâches, de l'existence de lieux de réunion fixes, de cachettes, de réunions et de discussions régulières entre les membres de la bande. Aucun des éléments ci-dessus n'est toutefois déterminant en soi ou indispensable, et tous ne doivent pas non plus être réunis conjointement.

Un deuxième élément est la finalité spécifique de l'organisation criminelle, qui doit être d'accomplir de manière concertée des infractions d'un certain niveau de gravité. L'avant-projet de loi prévoyait que l'organisation criminelle devait avoir pour objet de « commettre des crimes et délits qui, soit chacun pris individuellement, soit dans leur ensemble, sont d'une importance considérable ». Le texte a ensuite été adapté à l'avis du Conseil d'État. Celui-ci estimait en effet que pareille formulation laisse au juge une trop grande marge d'appréciation. C'est pourquoi on prévoit maintenant qu'il doit s'agir d'infractions punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave. Le caractère concerté requis pour leur accomplissement ressort des termes « de façon concertée et structurée », figurant dans le projet de loi.

Un troisième élément concerne les objectifs de l'organisation criminelle. Ils peuvent être de deux ordres, à savoir la réalisation de profits ou la déstabilisation de l'appareil de l'État ou le détournement du fonctionnement de l'économie.

Un quatrième élément, enfin, est le recours à des moyens spécifiques par l'organisation criminelle pour réaliser ses objectifs. Elle peut, à cette fin, recourir à des actes de violence effectifs, à l'emploi des armes, à l'intimidation, aux menaces, à des manoeuvres frauduleuses allant jusqu'à la corruption ou faire un usage abusif de structures commerciales ou autres (comme des sectes, des sociétés, les asbl), pour ainsi dissimuler ou faciliter l'accomplissement des infractions.

L'exposé des motifs définit clairement la distinction entre l'organisation criminelle et la criminalité d'organisation. On parle de criminalité d'organisation lorsque des membres d'une organisation légale participent à l'accomplissement d'infractions sans que l'organisation en tant que telle fonctionne comme une organisation criminelle. On peut songer par exemple à une entreprise de transport qui effectue régulièrement le trajet entre le Maroc et la Belgique et dont les camions sont utilisés incidemment pour faire entrer du haschisch en fraude. Ce n'est pas suffisant pour que l'on puisse parler d'une association organisée de malfaiteurs ou d'une organisation criminelle. L'entreprise de transport elle-même est une entreprise légale et digne de confiance. Mais dans le cadre de l'exercice des activités normales de l'entreprise, des membres de celle-ci commettent des infractions à titre individuel ou en groupe. Le cas échéant, ces membres pourront effectivement constituer eux-mêmes une organisation criminelle s'ils répondent à tous les éléments constitutifs de la définition. Mais cela ne signifie pas pour autant que l'entreprise de transport soit elle-même une organisation criminelle. L'existence de cette entreprise de transport n'est qu'une condition rendant possible l'accomplissement de ces infractions. C'est la raison pour laquelle on parle, dans ce cas, de criminalité d'organisation. La criminalité d'organisation n'est pas visée par le projet de loi en discussion.

Un deuxième article, l'article 343, incrimine l'implication de deux catégories de personnes dans l'organisation criminelle. Dans les deux cas, la preuve de l'existence d'une organisation criminelle au sens indiqué plus haut sera une condition préalable de cette incrimination.

Il s'agit d'abord des personnes qui sont membres de l'organisation criminelle. S'écartant de l'avis du Conseil d'État, le Gouvernement a choisi explicitement de sanctionner l'appartenance à une organisation criminelle. Il ne faut même pas, pour cela, participer à la préparation ou la réalisation de la moindre infraction. Le projet de loi vise ici les membres d'une organisation qui ne commettent eux-mêmes aucune infraction, mais qui s'occupent d'encadrer la structure criminelle dans laquelle elles sont perpétrées. Ne commettant pas eux-mêmes d'infractions, ils ne sont pas punissables sur la base des dispositions du Code pénal, en particulier celles qui concernent la participation punissable (article 66 et suivants du Code pénal) ou l'association de malfaiteurs (article 322 du même code). À titre d'exemple, on peut penser au chauffeur, au personnel domestique ou au personnel de sécurité affectés au dirigeant de l'organisation criminelle. On peut penser également aux personnes dont les services sont loués par l'organisation criminelle pour mettre en place, au profit de l'organisation, un réseau de relations sociales, c'est-à-dire une forme de clientélisme, en vue de lui assurer une intégration apparemment légitime et une implantation sociale dans la collectivité.

La seconde incrimination concerne les personnes qui ne font pas partie de l'organisation criminelle, mais lui rendent des services ou participent à la préparation ou la réalisation d'activités licites de l'organisation. Songeons par exemple au comptable qui, sans se rendre coupable de la moindre forme de fraude, s'occupe de la comptabilité d'un restaurant dont il sait qu'il sert de couverture à un réseau de trafic d'êtres humains.

Par rapport au projet de loi original, on a opté, lors de son examen à la Chambre, pour la suppression de l'article 343, § 2, initialement proposé ­ qui sanctionnait la participation à la préparation ou à la réalisation d'une activité illicite ­ et de l'article 345 initialement proposé ­ qui sanctionnait la participation à la prise d'une décision relative à la réalisation d'une infraction en recourant à la violence ou aux menaces contre des personnes. La Chambre a estimé que les personnes visées par ces dispositions relèvent des règles ordinaires relatives aux auteurs (article 66) et aux complices (article 67).

Outre l'incrimination de l'appartenance à une organisation criminelle et de la participation aux activités licites de celle-ci en qualité d'exécutant, les articles 344 et 345 visent également à rendre punissable toute personne qui participe à la prise de décision dans le cadre des activités d'une organisation criminelle. Le premier article cité (article 344) rend punissable toute personne associée à la prise de décisions au sein de l'organisation criminelle. Dans ce cas de figure, le fait que l'intéressé a connaissance du caractère criminel de cette organisation constitue à nouveau un critère important. Il peut donc s'agir non seulement de personnes internes à l'organisation, mais également de tiers (par exemple un conseiller juridique exercant une fonction de décision dans la mise sur pied d'un mécanisme de fraude fiscale).

Le deuxième article visé (article 345) prévoit les peines les plus lourdes pour les personnes effectivement dirigeantes de l'organisation criminelle.

Enfin, la gravité du phénomène de la criminalité organisée justifie que soit prévue la possibilité de procéder à des écoutes téléphoniques pour rechercher les infractions commises par une organisation criminelle. C'est pourquoi, un troisième et dernier article du projet de loi prévoit d'ajouter cette infraction à la liste figurant à l'article 90ter du Code d'instruction criminelle.

Le ministre espère avoir ainsi déjà donné un bon aperçu des objectifs de ce projet de loi, à savoir, d'une part, inscrire la notion d'organisation criminelle dans le Code pénal et, d'autre part, rendre punissable les diverses gradations de l'implication dans une telle organisation. Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre d'une approche moderne et rénovée de la lutte contre la criminalité. En effet, plutôt que de se concentrer exclusivement sur l'élucidation d'infractions individuelles er sur la poursuite de suspects spécifiques, une attention est à présent également accordée à l'approche planifiée des organisations criminelles. Le projet rejoint d'ailleurs étroitement l'idée de la recherche proactive où l'on essaie d'avoir une idée plus précise de la structure et du fonctionnement des organisations criminelles, tout en poursuivant une finalité judiciaire. Si nous voulons combattre la criminalité à armes égales, il s'impose logiquement de procéder à une telle adaptation de notre arsenal légal, laquelle devrait permettre aux services de police et au ministère public de mener cette lutte à bien. C'est ce qui ressort aussi des activités de la Commission d'enquête parlementaire sur la criuminalité organisée en Belgique. Le ministre espère dès lors pouvoir compter sur une collaboration constructive de la part de la commission en vue de la discussion et de l'approbation de cet important projet de loi.

Enfin, il faut souligner que la contribution belge au rapport sur la criminalité organisée, destinée à l'Union européenne, confirme une fois de plus l'importance d'un projet de loi relatif aux organisations criminelles. Le texte de cette contribution vient d'être finalisé. Selon ce texte, les organisations criminelles ont donné lieu à 162 enquêtes en 1996. Dans 56,8 % des cas, ces organisations étaient dotées d'une structure hiérarchique. Quelque 64 % des organisations comptaient trois à neuf suspects connus, 13 d'entre elles comptaient 20 à 35 membres connus et ce chiffre atteignait même 76 dans un cas précis. Plus de la moitié des groupes criminels entretiennent des contacts avec des organisations criminelles étrangères, comme la maffia italienne, les réseaux criminels turcs et russes, ou les cartels colombiens. Ces quelques chiffres permettent de mieux cerner l'importance du présent projet de loi dans la pratique.

II. PREMIER ÉCHANGE DE VUES

Un membre qualifie le présent projet de marquant, en ce qu'il révolutionne le dogme de la responsabilité pénale en rendant punissable le simple fait de participer à une organisation criminelle. Vu la menace que représente la criminalité organisée, ce revirement lui paraît justifié.

Le projet, qu'il approuve quant au fond, appelle cependant une série de questions.

a) Aux termes de l'article 342 proposé du Code pénal, une organisation criminelle suppose la présence de plus de deux personnes. Sur quelle base le nombre minimal de membres a-t-il été fixé à trois ?

b) Selon l'article précité, l'organisation criminelle doit avoir pour objet, notamment, de « détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées ». L'intervenant estime que la notion « détourner » laisse une trop grande liberté d'interprétation au juge et qu'il s'impose de la préciser.

c) Dans quelle mesure les dispositions proposées peuvent-elles engager la responsabilité pénale d'un avocat qui dispense des conseils juridiques à une organisation considérée comme criminelle et qui assiste celle-ci dans les procédures judiciaires ? Dans quelles limites les avocats et les titulaires d'autres professions libérales doivent-ils opérer pour échapper à une inculpation du chef de participation à une organisation criminelle ?

En ce qui concerne la distinction faite par le ministre entre la criminalité organisée et la criminalité d'organisation, un autre intervenant souhaite savoir jusqu'où doit aller la criminalité d'organisation pour que l'entreprise ou l'association concernée puisse être qualifiée d'organisation criminelle.

Sous quelles conditions une entreprise de transport qui effectue des transports illégaux peut-elle être qualifiée d'organisation criminelle ? Si l'on estime que l'entreprise échappe aux poursuites à partir du moment où son objet est licite, l'intervenant estime que l'on se trouve dans une impasse, dès lors que toutes les organisations criminelles veulent avoir pignon sur rue et donc un pied dans l'économie légale, si bien qu'elles auront au moins un objet licite. Cet élément est important pour l'incrimination des personnes qui travaillent pour une telle organisation.

Un commissaire s'interroge sur la condition selon laquelle les associations de malfaiteurs (article 322 du Code pénal) et les organisations criminelles ne sont punissables que si plusieurs personnes sont impliquées.

À son avis, ce concept repose sur des règles dépassées en vertu desquelles les sociétés commerciales et les associations ne pourraient être constituées valablement que par une pluralité de personnes.

Il est pourtant parfaitement imaginable qu'un individu opérant seul crée un réseau de sociétés unipersonnelles, formant ainsi une organisation criminelle. En d'autres termes, on verrait se tisser une toile de sociétés unipersonnelles derrière lesquelles se cacherait toujours le même acteur. Ne peut-on pas considérer, en vertu de la définition proposée, que ces personnes morales forment conjointement une organisation criminelle, bien qu'en coulisse, ce soit toujours la même personne qui tire les ficelles ?

Il ne faut pas perdre de vue, selon un préopinant, que si la définition proposée de l'organisation criminelle est basée sur celle de de l'association de malfaiteurs telle qu'elle est régie par l'article 322 du Code pénal, elle va cependant plus loin. Une des différences entre ces deux notions est qu'une bande peut être créée pour commettre un seul délit, tandis qu'une organisation criminelle implique une structure visant à commettre des crimes et délits de manière répétitive et successive. Même lorsqu'elle ne commet aucun crime, cette organisation reste punissable. L'organisation criminelle a ceci en commun avec l'association de malfaiteurs qu'elle implique une activité collective.

Le ministre souligne que la loi en projet relative aux organisations criminelles s'écarte des usages et concepts classiques de notre droit pénal. À preuve l'article 343, § 2, proposé qui punit toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation d'une activité « licite » d'une organisation criminelle, alors qu'elle sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci.

Le débat sur la responsabilité pénale des personnes morales s'inscrit dans le même ordre d'idées. Un projet de loi sur la question sera déposé sous peu au Parlement.

L'intervenant ne cache pas que la loi en projet soulève des questions délicates, comme celle de la participation aux activités licites d'une organisation criminelle, celle du rôle que jouent certains titulaires de professions libérales et celle de la possibilité de sévir contre un réseau de sociétés unipersonnelles qui est manipulé par un cerveau unique. Chaque terme de la loi en projet a son importance et il appartient à la jurisprudence de les interpréter.

Le ministre fournit ensuite des précisions sur ce qui a mené à définir l'un des objectifs que doit avoir la loi en projet dans l'organisation criminelle, à savoir celui de « détourner » le fonctionnement des autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées.

Dans le texte qui avait été déposé initialement à la Chambre l'on utilisait le verbe « influencer » (doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 18).

La commission de la Justice de la Chambre a jugé que l'utilisation de ce verbe pourrait susciter des malentendus en faisant tomber aussi les activités de lobbyistes sous l'application de l'article 342 proposé du Code pénal.

C'est la raison pour laquelle le ministre a déposé à la Chambre un amendement tendant à remplacer le verbe « influencer » par le verbe « détourner », qui indique que le « fonctionnement des institutions est infléchi pour atteindre un but autre, impropre ». (Rapport de M. Vandeurzen, doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/6, pp. 3-4 et 15.)

Malgré le caractère vague de cette formulation, les enquêtes empiriques ont montré que les organisations criminelles comme la maffia russe, utilisent les pratiques les plus diverses pour se tailler une place dans les structures de pouvoir de la société légale afin d'atteindre leur objectif final, qui est de réaliser des profits financiers.

En ce qui concerne le rôle des titulaires de professions libérales et, en particulier, celui des avocats, le ministre souligne que les conditions définies aux articles 342 et suivants du Code pénal doivent être remplies simultanément avant qu'on ne puisse infliger des peines.

Le comptable qui collabore à la tenue des comptes d'une entreprise n'est pas punissable de ce seul fait. Il serait toutefois punissable au cas où il sait ou doit savoir ­ c'est une question de fait ­ que ladite entreprise sert de couverture à une organisation criminelle.

Pour ce qui est des avocats, un membre estime que la question de savoir si leur intervention revêt ou non un caractère délictuel est plus complexe que ne le dit le ministre.

L'avocat qui assure, a posteriori , la défense d'une organisation criminelle devant une juridiction, ne coopère pas automatiquement, de ce simple fait, avec cette organisation, au sens où l'entend la loi en projet. Il ne peut dès lors pas faire l'objet de poursuites en raison de cette activité.

L'on peut toutefois se demander si le raisonnement est valable aussi dans le cas d'un avocat qui, par sa défense, favorise en connaissance de cause, la poursuite des activités d'une organisation criminelle, par exemple, en obtenant de manière régulière du point de vue juridique, la remise en liberté d'un patron de la maffia qui fait l'objet d'une mesure de détention provisoire afin qu'il puisse reprendre la direction de son organisation. Il est en effet exclu que l'avocat viole le secret professionnel pour communiquer aux instances judiciaires les informations confidentielles que son client lui aurait fournies au sujet du fonctionnement de l'organisation criminelle en question.

L'avocat aurait-il à assumer une responsabilité particulière, s'il s'avérait a posteriori qu'il était parfaitement au courant des activités de l'organisation criminelle ?

À cet égard, un membre souhaite savoir si l'incrimination de l'acte préparatoire, qui est prévue à l'article 343, § 2, proposé, ne donnera pas de bien meilleurs résultats que l'incrimination de l'appartenance, prévue au § 1er de l'article précité.

En effet, l'objectif est de mettre la main sur les cerveaux de l'organisation criminelle, c'est-à-dire sur ceux qui préparent les infractions qui en récoltent les bénéfices sans se salir les mains.

C'est pourquoi l'intervenant estime qu'il convient d'approfondir la théorie de l'acte préparatoire. Il faut, par exemple, que l'on puisse poursuivre le chauffeur d'un chef de la maffia, étant donné que son activité constitue un acte préparatoire qui permet à son employeur de diriger une organisation criminelle.

L'incrimination de l'acte préparatoire présente l'avantage de la clarté parce qu'il faut qu'il y ait eu une intention. L'incrimination de l'appartenance a un caractère plus vague, puisque l'intéressé ne doit pas avoir eu l'intention de commettre une infraction dans le cadre de l'organisation criminelle ni de s'y associer d'une manière prévue aux articles 66 et suivants du Code pénal. Cela vaut aussi pour ce qui est de la participation, puisqu'il suffit à cet égard de démontrer qu'il devait savoir que sa participation contribuerait aux objectifs de l'organisation criminelle.

Un autre intervenant suggère que le ministre consulte les rapports de la Commission pour la réforme de la procédure pénale qui contient des propositions détaillées concernant l'incrimination de l'acte préparatoire.

En réaction à ces remarques, le ministre attire une nouvelle fois l'attention sur le fait que le projet à l'examen contient de nouveaux concepts auxquel il faudra donner un contenu au fil de la pratique.

En effet, il est impossible de définir dans la loi le moment exact où l'on passe d'une criminalité d'organisation à une criminalité organisée.

Il appartient au juge du fond d'apprécier à partir de quel moment une organisation criminelle s'est infiltrée à ce point dans une entreprise ou dans une association qu'elle exerce sur elle une emprise totale.

Selon un membre, une telle approche présente des risques, ce que le Gouvernement a d'ailleurs reconnu dans son Plan d'action (cf. point 4.2.2. Les techniques particulières de recherche) : « Vu le haut degré de spécialisation et vu la structure derrière le crime organisé, la lutte contre celui-ci et en particulier contre l'organisation criminelle, requiert le recours à des techniques spéciales de recherche, telles que l'observation, les informateurs, l'infiltration, etc. Si l'usage de telles techniques est une nécessité absolue, il ne peut pas compromettre les droits de la défense, la protection juridique des informateurs, des fonctionnaires de police et des magistrats ou la sécurité juridique en général. »

Le rapport du High Level Group (Union européenne) contient également une mise en garde : « La lutte doit être rigoureuse, mais elle doit toujours utiliser des moyens légitimes et respecter pleinement les principes de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'homme, sans perdre de vue le fait que c'est la protection de ces valeurs qui est la raison d'être de la lutte contre la criminalité organisée. »

L'on doit donc veiller à ne pas saper les fondements de la lutte contre la criminalité organisée en prévoyant une incrimination trop large. Si les procès contre ce que l'on suppose être des organisations criminelles se terminent systématiquement par un acquittement, l'effet psychologique sera beaucoup plus négatif que si l'on s'abstenait d'agir.

Un autre problème concerne la concordance ou non entre la définition que la Belgique donne de l'organisation criminelle et celle qu'en donnent les pays voisins. Que se passera-t-il dans le cas d'un Belge qui est membre d'une organisation criminelle allemande active aussi en Belgique ou, plus complexe encore, dans le cas où il collabore avec une organisation criminelle d'un autre continent où l'appartenance à celle-ci n'est pas punissable en soi ? Comment les recherches et les poursuites s'effectiveront-elles exactement ?

Selon le ministre, il faudra examiner si l'organisation criminelle est active en Belgique et si oui, si elle tombe sous l'application de l'article 342 proposé du Code pénal. Dans l'exemple cité ci-dessus, il faudra démontrer que le Belge collabore avec une organisation criminelle étrangère dont la structure comporte certains des éléments constitutifs visés dans l'article précité.

La recherche et les poursuites ne doivent concerner que les personnes dont on peut démontrer avec certitude qu'elles savent parfaitement que leurs activités, qui, en soi, peuvent être légales, contribuent à la réalisation des objectifs d'une organisation criminelle. Un tel phénomène peut se produire au sein de toute organisation que des éléments criminels infiltrent pour que leur organisation acquière le pouvoir.

Il serait toutefois exagéré d'en conclure que cette entreprise ou cette association, ce syndicat ou ce groupe de pression est rongé jusqu'à l'os par une organisation criminelle et doit, dès lors, être dissous immédiatement dans sa totalité. Le ministre rejette d'ailleurs un tel point de vue.

Il n'empêche que l'on peut être porté spontanément à croire que cette organisation est totalement pourrie et qu'il serait préférable de la supprimer immédiatement.

Il faut dès lors s'attaquer aux éléments criminels qui, pour mettre en oeuvre au sein des entreprises, des associations, des groupes de pression, etc., une stratégie élaborée par une organisation criminelle, créent une structure parasitaire se disséminant comme un cancer et minant toute l'organisation.

À cet égard, il suffit de considérer que les intéressés doivent savoir que par leur participation, ils contribuent à la réalisation du but de l'organisation criminelle.

Le concept que traduisent les mots « devoir savoir », qui est inscrit à l'article 343, § 2, du Code pénal, n'est pas neuf. Il est déjà inscrit, notamment, dans la loi anti-blanchiment (la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, voir également l'article 505, 2º, du Code pénal) et dans la législation relative aux hormones (article 10, § 1er , 2º, b) , de la loi du 15 juillet 1985 relative à l'utilisation de substances à effet hormonal, à effet antihormonal, à effet beta-adrénergique ou à effet stimulateur de production chez les animaux : est puni (...) celui dont on peut raisonnablement admettre qu'il sait ou devrait savoir que (...).

Un membre estime qu'en conséquence, l'on inverse ainsi la charge de la preuve. La personne que l'on poursuivra sur la base de ce concept devra prouver qu'elle ne savait pas ou qu'elle ne pouvait pas savoir, ce qui lui sera évidemment beaucoup plus difficile.

Le ministre déclare que l'article 343, § 2, proposé, qui contient la présomption du « devoir savoir » repose sur les mêmes bases que l'article 505, 2º, du Code pénal.

Le juge du fond devra déterminer s'il y a des éléments concordants desquels on pouvait déduire qu'une personne savait que ses activités étaient bénéfiques pour l'organisation criminelle. Parmi les critères sur la base desquels on pourra juger si l'intéressé pouvait en prendre connaissance ou non, et, si oui, avec quelle rapidité, il y a notamment sa fonction et son niveau de responsabilité, sa formation et son ancienneté au sein de l'organisation.

Selon le préopinant, on fait ainsi peser une nouvelle responsabilité sur les citoyens. Beaucoup de travailleurs savent, en effet, que des irrégularités se commettent dans leur entreprise, mais ne les dénoncent pas par crainte de perdre leur emploi.

La législation proposée leur impose le devoir soit de dénoncer l'entreprise, soit de démissionner, s'ils veulent éviter d'être accusés de participer aux activités, même autorisées, d'une organisation criminelle.

L'intervenant souligne qu'il ne s'oppose pas à ce que l'on accentue la responsabilité de ceux qui travaillent dans une entreprise et qui savent ou devraient savoir, sans y être eux-mêmes impliqués, que ses dirigeants se livrent à des activités criminelles.

Par extension, la question se pose de savoir si cela vaut également pour l'avocat et le notaire qui sont associés à la création d'une société. Doivent-ils interroger leur client sur les vrais objectifs de la nouvelle société pour lever le doute concernant son caractère licite ou non ? Dans quelle mesure leur responsabilité peut-elle être engagée ? On risque de créer une insécurité.

Le ministre déclare que la loi antiblanchiment (loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux) sera modifiée en ce sens qu'outre les entreprises financières les notaires seront dorénavant tenus aussi de déclarer à la cellule de traitement des informations financières, les opérations, telles les transactions immobilières, dont ils savent ou soupçonnent qu'elles ont un lien avec le blanchiment de capitaux en provenance de la criminalité organisée (1).

Des discussions sont en cours avec les avocats en vue de leur imposer également une obligation de déclaration similaire. Une mesure identique est envisagée pour les réviseurs d'entreprises et les experts-comptables.

Il faudra examiner, en tout cas en ce qui concerne les avocats et les notaires, comment concilier cette obligation de déclarer avec le secret professionnel.

Selon un autre intervenant, il ressort de la discussion qui précède sur la notion exprimée par les mots « doit savoir » qu'il est répondu, dans une certaine mesure, aux objections émises à l'encontre du projet en discussion par la marge étendue d'appréciation laissée au juge, à l'instar de l'obligation qui lui échoit de déterminer concrètement, en cas de recel, si le prévenu ne pouvait pas connaître l'origine illégale des biens.

Un commissaire objecte que cette notion de « devoir savoir » a en l'espèce une portée plus grande encore que dans la législation sur le blanchiment, parce que l'on vise également ici les activités licites de l'organisation criminelle dont l'intéressé sait ou doit savoir qu'elles contribuent aux objectifs de celle-ci. Cela élargit la marge d'appréciation du juge et fait peser une lourde charge sur les épaules de ceux qui, au sein d'une entreprise, sont associés à la direction de celle-ci et dont on présumera aisément qu'ils devaient être au courant de ses activités irrégulières.

Il met en garde contre le fait que, dans une société répressive, la notion de « devoir savoir » peut faire l'objet d'une interprétation très extensive permettant, sur la base des indices les plus vagues, de soupçonner une personne d'avoir dû être au courant.

L'intervenant ne voit toutefois aucune variante qui permettrait d'échapper aux objections formulées à l'encontre de la notion de « devoir savoir ».

Selon un commissaire, l'observation selon laquelle la lutte contre la criminalité organisée ne peut se mener au détriment des principes de l'État de droit est fondamentale, car elle touche à la relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

On part de la constatation que le législateur souhaite sanctionner la criminalité organisée, bien qu'il ne puisse pas donner du phénomène une qualification suffisamment précise.

Il s'ensuit que la définition proposée de l'organisation criminelle et des différentes formes d'implication laisse au juge une liberté d'appréciation considérable.

C'est en définitive la conception du juge sur des questions de société importantes comme l'environnement, la santé publique (cf. les affaires des hormones) et l'économie (cf. le blanchiment) qui déterminera si une entreprise est punissable en tant qu'organisation criminelle.

Prenons, par exemple, une entreprise du secteur des déchets qui est poursuivie pour des déversements illégaux. En fonction de sa sensibilité à l'environnement, tel juge considérera cette entreprise comme une organisation criminelle si elle se rend régulièrement coupable de déversements clandestins, tandis que tel autre fera prévaloir des considérations socio-économiques comme le maintien de l'emploi dans une région gravement touchée sur le plan économique.

Du point de vue légistique, le fait que le législateur lui-même ne soit pas en mesure de formuler une définition cohérente de la notion d'organisation criminelle et laisse au juge le soin de l'interpréter, dénote une évolution dangereuse.

Selon le ministre, il faut tout de même faire une réserve. Lorsque'elles constateront des infractions telles que le dépôt sauvage de déchets et le faux en écritures, les autorités judiciaires devront agir en priorité contre ces actes et engager l'action publique. L'incrimination de l'organisation criminelle permet de lutter contre la criminalité grave qui se commet à partir d'un concept plus large et dont la matérialité des infractions ne peut être appréhendée, ou ne peut l'être que difficilement. Cette nouvelle incrimination permet de lutter contre la criminalité organisée dans sa phase préparatoire, notamment lorsqu'il existe une présomption raisonnable qu'une infraction grave va être commise.

En ce qui concerne la distinction entre la phase préparatoire et la phase d'exécution, un membre revient sur l'exemple des dépôts sauvages. Ce n'est donc pas le chauffeur du camion contenant des déchets nocifs, que l'on surprend à déverser illégalement des déchets, ou l'employé, qui sera poursuivi, mais le patron de l'entreprise, parce que c'est lui qui a donné l'ordre de le faire.

Si l'on inverse ce scénario et que la justice considère cette entreprise comme une organisation criminelle parce qu'elle procède régulièrement à des dépôts sauvages, de sorte que tous ses travailleurs pourraient être poursuivis en tant que membres de l'organisation, on franchit tout de même un pas supplémentaire.

Le ministre réplique que la législation actuelle permet de s'attaquer aux exécutants de la criminalité organisée, comme la mafia des hormones, mais pas à ses dirigeants. Il faut donc pouvoir se faire une idée des structures souvent complexes et du projet qui sous-tend une série d'infractions pour pouvoir couper le mal à la racine.

Les services d'enquête devront examiner si on a commis de concert et de manière structurée une série d'infractions pour obtenir illicitement des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées et ou en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions. Pour pouvoir parler d'une organisation criminelle, il faut que toutes ces conditions soient remplies de manière cumulative.

Même si la remarque selon laquelle le phénomène de l'organisation criminelle est difficile à définir en raison de sa complexité est fondée, on ne saurait formuler l'incrimination de manière trop stricte, car on omettrait certaines caractéristiques et certaines nuances.

Cependant, il n'en est pas moins vrai que l'incrimination proposée peut être améliorée. Ainsi l'intention d'obtenir des avantages patrimoniaux est-elle un maillon faible de la définition. Tout commerçant cherche en effet à obtenir pareils avantages. La question est de savoir s'il ne faudrait le spécifier. Il en va de même pour ce qui est du « détournement du fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées ». On ne peut utiliser cette condition pour toucher à une entreprise qui souhaite conforter légitimement sa position.

Le fait que les définitions étrangères ne précisent pas elles non plus le moment où une organisation bascule dans la criminalité montre qu'il est difficile de formuler une définition adéquate.

À cet égard, on peut renvoyer à la définition que donne le Bundeskriminalamt (B.K.A.) de la criminalité organisée :

« 1. La perpétration systématique d'infractions qui, chacune en soi ou dans leur totalité, ont une importance considérable;

2. motivée par l'appât du gain ou la recherche du pouvoir;

3. par plus de deux personnes agissant ensemble;

4. pendant une période assez longue ou indéterminée;

5. avec une répartition des tâches, par lesquelles les auteurs :

a) font usage de structures commerciales;

b) et/ou ont recours à la violence ou à d'autres techniques d'intimidation;

c) et/ou exercent une influence sur la vie politique, les médias, l'administration publique, la justice ou l'industrie » (2).

Il est indéniable que l'incrimination proposée par le projet de loi doit beaucoup à la définition criminologique susvisée. On s'est toutefois efforcé de rectifier les points juridiquement critiquables de la définition du B.K.A. Que sont des infractions d'une importance considérable ? Comment y a-t-il lieu d'interpréter la notion de « période assez longue ou indéterminée » ?

Le 4 janvier 1996, les États membres de l'Union européenne sont convenus, au sein du groupe de travail « drogues et criminalité organisée », de la définition suivante (3) :

« Pour qu'une infraction ou un groupe criminel ressortisse à la criminalité organisée, six des caractéristiques énumérées ci-dessous au moins doivent être présentes, dont celles des trois numéros 1, 5 et 11.

1. Collaboration entre plus de deux personnes;

2. des tâches spécifiques étant attribuées à chacune d'elles;

3. sur une période de temps assez longue ou indéterminée;

4. avec une forme de discipline et de contrôle;

5. suspectées d'avoir commis des infractions pénales graves;

6. agissant au niveau international;

7. recourant à la violence ou à d'autres moyens d'intimidation;

8. utilisant des structures commerciales ou de type commercial;

9. se livrant au blanchiment de l'argent;

10. exerçant une influence sur les milieux politiques, les médias, l'administration publique, le pouvoir judiciaire ou l'économie;

11. agissant pour le profit et/ou le pouvoir. »

Le professeur Bosly (U.C.L.) a proposé la définition suivante :

« 1. Pluralité de personnes;

2. Répartition des tâches entre elles;

3. Commission d'infractions de manière méthodique;

4. Infractions qui en elles-mêmes ou ensemble sont d'une gravité significative;

5. But de pouvoir ou de gain;

6. Usage de la violence ou d'autres formes d'intimidation. »

Un commissaire souligne que les difficultés qu'éprouve le législateur belge, en comparaison du législateur italien, à définir la notion d'organisation criminelle est, dans une large mesure, liée au fait que des organisations criminelles comme la maffia et la camorra sont, en Italie, une réalité contre laquelle il fallait intervenir. Il suffisait donc de rendre l'appartenance punissable.

Le ministre déclare que la même discussion a eu lieu en ce qui concerne l'appartenance à des organisations comme l'E.T.A. basque. C'est particulièrement délicat parce que, selon ses défenseurs, cette organisation poursuit des objectifs politiques, alors que pour ses adversaires, elle a un caractère criminel et terroriste et est responsable de la mort de centaines de personnes. Quiconque adhère à cette organisation sait qu'il peut être chargé de tuer des êtres humains.

Le préopinant demande si, dans ces conditions, on ne pourrait pas envisager de s'attaquer aux organisations criminelles, et plus particulièrement à leurs dirigeants, sur la base des dispositions relatives à la participation (articles 66 et 67 du Code pénal) et aux circonstances aggravantes ?

Le ministre réplique que les articles 66 et suivants du Code pénal ne peuvent être appliqués que lorqu'il est question d'un lien direct avec une infraction quelconque qui a été ou est commise dans le cadre de l'organisation criminelle. Dans la philosophie du projet, il s'agit d'intervenir lorsque l'organisation criminelle prépare ses infractions ou ses attentats. La problématique de l'incrimination de l'acte préparatoire devra en tout cas être approfondie.

En ce qui concerne la définition proposée par le professeur Bosly, un commissaire critique le fait que le recours à la violence ou à d'autres formes d'intimidation soit une condition nécessaire pour pouvoir conclure à l'existence d'une organisation criminelle. Ce n'est là qu'un côté de la médaille. Le projet opte à juste titre pour une approche plus large, à savoir l'utilisation de l'intimidation, de la menace, de la violence, d'armes, de manoeuvres frauduleuses ou de la corruption ou le recours à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions.

Il sera souvent difficile, en effet, de prouver la violence, par exemple parce qu'elle aura été commise dans un autre pays que celui où les poursuites ont été engagées. Il n'est dès lors pas souhaitable de retenir la violence comme une condition essentielle de l'existence d'une organisation criminelle. La menace de violence peut déjà suffire à obtenir l'effet souhaité.

La Belgique ne compte heureusement pas ou guère de groupements tels que l'E.T.A. ou l'I.R.A., cherchant à renverser le système étatique par des méthodes agressives. Il est certain qu'il existe des liens très forts entre les organisations politiques terroristes et la criminalité organisée. Ils poursuivent d'ailleurs le même objectif, à savoir la conquête du pouvoir. C'est ce qui rend difficile la lutte contre ces formes de criminalité : on justifie les activités criminelles en leur prêtant une inspiration politique.

Pour ce qui est des objectifs de l'organisation criminelle, une autre membre estime qu'on n'a pas accordé suffisamment d'importance à la volonté qu'ont certaines organisations de saper le fonctionnement des institutions de l'État. Elle interprète restrictivement le membre de phrase : « pour (...) détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées » comme s'appliquant par exemple au détournement des prestations de sécurité sociale par les pourvoyeurs de main-d'oeuvre, sans que l'organisation criminelle doive remettre en question le fonctionnement de l'État.

Un autre intervenant est d'avis que cet aspect se situe à la frontière entre l'organisation criminelle et l'organisation terroriste. Une organisation criminelle ne vise pas à désarticuler les institutions, mais à en tirer parti pour obtenir des avantages patrimoniaux. À son avis, le passage « détourner le fonctionnement d'autorités publiques » de la définition proposée couvre bel et bien l'hypothèse de la désorganisation de l'appareil de l'État. On peut toutefois se demander si cela ne devrait pas mieux ressortir du texte.

Le ministre répond par l'affirmative à la question de savoir si des organisations comme l'E.T.A. et l'I.R.A. tombent dans le champ d'application de la loi en projet. Il rejette cependant la thèse suivant laquelle l'organisation pour la protection des animaux G.A.I.A. dont elle aussi être considérée comme une organisation criminelle. Si elle a mené des actions qui ont conduit à des affrontements avec les services de police, comme par exemple le blocage d'un port en vue d'empêcher le transport des animaux par mer, cette organisation n'a pas été créée dans le but de commettre des délits de manière concertée et structurée, mais poursuit au contraire un objectif légitime.

Il serait donc intéressant de faire l'exercice de déterminer quelles sont les organisations qui peuvent ou qui ne peuvent pas être qualifiées de criminelles.

D'après l'intervenant précédent, il est évident que la définition proposée est une définition large. Cela ressort notamment de la condition permettant de suspecter une organisation criminelle derrière tous crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans au moins. Cela représente une liste impressionnante.

Un membre aimerait savoir s'il est absolument nécessaire d'intégrer un tel seuil dans la loi.

Le ministre répond que les délits que l'organisation criminelle se propose de commettre doivent présenter un certain degré de gravité. Sans quoi on pourra attribuer n'importe quelle infraction à une organisation criminelle, ce qui ouvrirait la porte à une utilisation généralisée des techniques spéciales de recherche. C'est pourquoi on avait prévu, dans l'avant-projet de loi, qu'il devait s'agir de « crimes et délits punissables d'un emprisonnement d'un an ou d'une peine plus grave qui, soit chacun pris individuellement, soit dans leur ensemble, sont d'une importance considérable » (doc. Chambre, nº 954/1, 1996/1997, p. 11).

Le Conseil d'État a toutefois jugé que le fait d'ajouter, dans la définition proposée, que l'importance des crimes et délits doit être « considérable » ne donne pas au juge une indication assez rigoureuse pour contourner son pouvoir dans des limites fermes et prévisibles, comme l'exigent les articles 12, deuxième alinéa, et 14 de la Constitution (op. cit., p. 14).

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a fixé le seuil suffisamment haut pour que la loi ne vise que la criminalité représentant un danger pour la société.

Un membre déclare que ce choix a pour conséquence qu'un groupe de motards qui brûleraient tous les feux rouges par défi, ne pourra pas être considéré comme une organisation criminelle car, si répréhensible que soit leur conduite, ils ne commettent qu'une infraction.

Il importe de souligner qu'en ce qui concerne les crimes et délits passibles d'une peine de prison de trois ans au moins, le critère à retenir est le taux théorique de la peine prévu dans le Code pénal et les lois pénales particulières, et non la peine prononcée par le juge après la correctionnalisation ou la contraventionnalisation des faits. Le crime de faux en écriture (articles 193-214 du Code pénal), n'est jamais poursuivi en cour d'assises, mais toujours devant le tribunal correctionnel.

Selon un autre membre, on ne peut pas imposer aux services de police d'adopter comme définition opérationnelle la définition de l'organisation criminelle qui figure dans le Code pénal. La littérature scientifique montre que la recherche doit se faire sur la base d'une définition différente de celle qui préside aux poursuites. Rien n'empêche, à son avis, que les services de police basent leurs opérations de recherche sur la notion de « crime d'une importance considérable »; le parquet pourra déterminer ensuite la qualification juridique des faits.

Le ministre estime que la tâche de la Commission parlementaire d'enquête consiste précisément à élaborer une définition opérationnelle de la criminalité organisée en partant de l'image qu'elle a pu s'en faire. Elle peut ensuite examiner dans quelle mesure cette définition est qualifiable en droit.

En conclusion, un membre énumère les points de la définition proposée à l'article 342 qu'il y a lieu d'approfondir.

1. Les organisations criminelles doivent-elles compter plus de deux personnes ? Vise-t-on exclusivement les personnes physiques, ou les personnes morales le sont-elles également ?

2. Les délits que l'organisation criminelle se propose de commettre doivent être des crimes ou des délits passibles d'une peine de prison de trois ans au moins. Ce critère couvre-t-il toutes les infractions jugées suffisamment graves ? Certains crimes sont punis sévèrement, alors qu'ils ne sont pas nécessairement aussi graves que, par exemple, un vol ou l'usage de la violence contre des personnes.

À ce sujet, on peut faire référence aux associations qui calomnient des personnes. Conformément à l'article 444 du Code pénal, ce délit est puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 26 francs à 200 francs, à la condition que la victime ait déposé plainte conformément à l'article 450 du Code pénal. Une association qui mène une campagne de diffamation dans la presse en vue d'obtenir certains avantages et le groupe de presse concerné tombent-ils dans la définition de l'organisation criminelle ?

3. L'organisation criminelle commet des délits, notamment, pour obtenir des avantages patrimoniaux. Est-il bien nécessaire de préciser que ces avantages patrimoniaux doivent avoir été obtenus « illicitement » ?

4. Ne devrait-on pas développer et préciser le membre de phrase « pour (...) détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées » ?

5. Selon les termes de l'article 342 du Code pénal proposé, il ne peut être question d'une organisation criminelle que lorsque celle-ci utilise « l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou (recourt) à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions ». Peut-on considérer qu'il s'agit de conditions alternatives, c'est-à-dire que l'organisation criminelle doit, soit utiliser l'intimidation et les autres moyens de pression, soit recourir à des structures commerciales ou autres ?

Un membre déclare que la criminalité organisée est un problème complexe, qui occasionne un préjudice considérable à la société. C'est dû entre autres à l'impuissance de l'appareil judiciaire à endiguer le danger. Cette impuissance est due à plusieurs facteurs, dont l'un est que les organisations criminelles affaiblissent ou neutralisent l'action de l'autorité en appliquant des contre-stratégies.

L'initiative que le Gouvernement a prise pour lutter contre la criminalité organisée au moyen des mesures qu'il avait annoncées dans son plan d'action, est très louable, mais l'expression « lutter contre » ressemble à un slogan. En effet, c'est une lutte que les pouvoirs publics ne peuvent pas gagner. C'est pourquoi l'intervenant préférerait que l'on utilise le terme « maîtriser » (« to contain ») .

À cet égard, il défend le point de vue selon lequel l'indignation publique concernant les lacunes dans les recherches et les poursuites dirigées contre des auteurs de délits spectaculaires tels que les délits sexuels commis sur des enfants n'est pas la meilleure conseillère à propos de la réforme nécessaire de l'appareil judiciaire. Un problème social comme celui de la criminalité organisée fournit une meilleure base à cet égard.

En ce qui concerne le texte du projet de loi lui-même, il y a lieu de se demander si la définition de l'organisation criminelle que donne l'article 342 du Code pénal, n'est pas trop large. En optant pour une incrimination large, l'on risque de faire relever de la criminalité organisée de nombreux comportements qui ne sont pas considérés, à l'heure actuelle, comme en faisant partie, auquel cas la criminalité organisée deviendrait un problème social gigantesque que l'on ne pourrait combattre qu'avec des moyens importants. Si la définition proposée a une portée aussi large, c'est notamment parce que l'on a choisi de permettre aux instances chargées des recherches d'utiliser des techniques spéciales d'enquête contre les organisations criminelles. Mais le recours à ces techniques n'est justifié qu'aux fins de la lutte contre ces organisations.

L'un des dangers de la définition, c'est qu'elle pourrait s'appliquer aussi ­ au gré de la lecture que l'on peut faire du texte ­ à des organisations qui n'ont rien à voir avec la criminalité organisée, mais qui sont essentielles au bon fonctionnement de la démocratie. Des voix se sont déjà élevées aux Pays-Bas en faveur de la limitation du champ d'application de l'article 140 du Code pénal néerlandais, qui est comparable à l'article 342 du Code pénal proposé. Les services de police se sont prévalus de cet article pour arrêter des manifestants à l'occasion de matchs de football, des hooligans, que l'on ne peut pas considérer sérieusement comme faisant partie des milieux de la criminalité organisée.

Si l'on est hostile à une incrimination large, c'est parce que celle-ci serait fondée sur la définition criminologique du Bundeskriminalamt , qui a elle-même déjà été modifiée. L'on peut toutefois se demander s'il est possible de transposer une telle définition pour l'inscrire dans une disposition pénale, d'autant plus qu'elle servira de critère de référence pour l'utilisation des méthodes spéciales d'enquête.

Ce qui caractérise principalement les méthodes, comme la pseudo-vente ou l'observation de longue durée, c'est le fait que les instances qui sont chargées des recherches et des poursuites dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée renoncent au principe selon lequel le citoyen peut avoir l'assurance que les pouvoirs publics respecteront les principes de l'État de droit et ne trahiront pas sa confiance. En d'autres termes, ces méthodes donnent aux services de police le droit de tromper les citoyens et, en particulier, ceux qui pourraient enfreindre les normes. L'on estime que cette manière de procéder ne peut se justifier que si elle s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée. C'est pourquoi il faut éviter, en application de la jurisprudence de la C.E.D.H., notamment que des innocents soient soumis à ces méthodes spéciales. Pour pouvoir y arriver, il faut trouver un équilibre entre le droit du citoyen en tant qu'individu et le droit de la collectivité de renoncer à certains principes dans l'intérêt « général » pour pouvoir lutter contre la criminalité organisée et protéger l'État de droit.

Au sein de la commission parlementaire d'enquête sur la criminalité organisée, l'on a souscrit au principe qu'il fallait rédiger et une définition criminologique et une définition pénale (cf. le premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête, doc. Sénat, nº 1-326/7, p. 12 et suivantes, voir l'annexe I).

La définition criminologique concernerait la criminalité organisée et l'on pourrait la concevoir au sens large, de manière que les services de police, entre autres, puissent l'utiliser pour se faire une idée du phénomène. L'on pourrait, par exemple, l'insérer dans la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, auquel cas les services de polices disposeraient d'une base légale leur permettant de récolter des informations douces relatives à la criminalité organisée. Malheureusement, en raison de sa large portée, cette définition criminologique ne saurait en aucun cas servir pour ce qui est de l'incrimination.

L'incrimination viserait les organisations criminelles. En vertu du principe lex certa elle devrait être claire et précise. Pour ce qui est des formes délictuelles de l'association à ces organisations, le citoyen doit pouvoir déduire clairement de la lecture de la loi pénale que la participation à leurs activités est punissable, même lorsqu'elles sont licites en soi. En effet, ces activités perdent leur caractère licite dès lors qu'elles contribuent à réaliser les objectifs des organisations criminelles.

Ces considérations n'empêchent évidemment pas l'intervenant de partager la conviction unanime suivant laquelle la criminalité organisée doit être combattue parce qu'elle constitue une menace pour le fonctionnement démocratique de notre société. La lutte peut être organisée dans le cadre du droit pénal, mais aussi en dehors de celui-ci. La commission devrait définir d'abord sur la base du premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête les caractéristiques essentielles de l'organisation criminelle. Selon la définition criminologique du Bundeskriminalamt , le fait que les organisations criminelles utilisent des contre-stratégies est l'un des éléments constitutifs de ces organisations. La question qui se pose est celle de savoir comment l'on va intégrer cette définition dans un texte de loi cohérent. L'intervenant estime que le texte de la loi en projet ne fait pas ressortir suffisamment la distinction qui existe entre la définition criminologique et la définition pénale.

Un membre estime que les autorités publiques ne doivent pas considérer la criminalité organisée comme un mal invincible. Elles doivent créer un climat dans lequel cette forme de criminalité ne pourrait plus se développer.

Il ressort d'un examen des objectifs de la loi en projet, tels qu'ils ont été définis dans l'exposé des motifs, qu'en ce qui concerne le premier de ceux-ci, l'on confond continuellement les notions de « criminalité organisée » et « d'organisation criminelle ».

La criminalité organisée, ce n'est pas simplement la somme de toutes les organisations criminelles. L'exposé des motifs n'indique pas assez clairement qu'il n'en est pas ainsi, mais il est vrai que la chose n'est pas facile à saisir.

Avant de rendre les organisations criminelles punissables en tant que telles, l'on doit d'abord déterminer si les dispositions pénales existantes et, en particulier, les articles 322 et suivants du Code pénal relatifs à l'association de malfaiteurs sont suffisants pour lutter efficacement contre les organisations criminelles ou s'il faut les compléter. L'on ne pourrait envisager d'insérer des dispositions pénales nouvelles que s'il s'avérait qu'elles sont insuffisantes.

L'intervenant ne cache pas que sa conception du problème a évolué. Au départ, il estimait qu'il fallait partir de l'incrimination en matière d'association de malfaiteurs, mais il a changé d'avis ensuite et a jugé qu'il fallait prévoir une incrimination nouvelle. Aujourd'hui, il est tenté d'en revenir au concept de l'association de malfaiteurs, que l'on pourrait compléter éventuellement en se fondant sur les caractéristiques essentielles de la criminalité organisée. L'on devra en tout état de cause tenir compte de l'aspect international de cette criminalité. Par conséquent, la terminologie utilisée devra faire l'objet d'une coordination aux niveaux européen et international. L'on doit éviter une situation dans laquelle les organisations criminelles exploiteraient les différences dans les législations pénales nationales pour contrecarrer l'action des autorités.

Le deuxième objectif est de « rendre punissable toute forme de participation aux organisations criminelles ainsi définies ». Cette formulation est assez maladroite. En effet, la participation est déjà punissable en vertu des articles 66 et suivants du Code pénal.

Le projet de loi va cependant plus loin, car il rend également punissables les personnes qui accomplissent des actes licites pour le compte de l'organisation. Ce délit vise les « sleepers », c'est-à-dire les membres de la structure de l'organisation qui peuvent devenir actifs (cf. premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête, doc. Sénat, nº 1-326/7, p. 55-56, cf. l'annexe I). Les formes d'implication dans une organisation criminelle que le projet de loi rend punissables confèrent à la notion de participation une notion plus large que celle qui est définie aux articles 66 et suivants du Code pénal.

D'après l'exposé des motifs, la définition pénale de la notion d'organisation criminelle est également nécessaire si l'on veut donner la possibilité aux services de police, de mener, sous le contrôle de la magistrature, des investigations judiciaires vis-à-vis de l'organisation criminelle même, indépendamment de l'existence d'éléments concrets indiquant que des infractions ont déjà été commises. L'on annonce en quelque sorte des dispositions relatives à la recherche proactive et à l'utilisation des méthodes spéciales de recherche.

Pour pouvoir vérifier si la loi en projet est conforme aux objectifs susvisés, l'on doit se baser sur les principes de l'État de droit.

Le principe de la légalité exige que l'incrimination soit claire et précise. L'on doit éviter les formulations douteuses qui prêtent à des interprétations larges ne correspondant plus à la volonté du législateur.

L'intervenant estime que la loi en projet présente une lacune à cet égard. Ainsi, la déclaration du ministre suivant laquelle les conditions qui doivent être réunies pour que l'on puisse conclure à l'existence d'une organisation criminelle ­ conditions qui sont définies à l'article 342 proposé ­ doivent être réunies cumulativement (cf. exposé des motifs, doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 4) n'est-elle pas étayée par le texte de l'article 342 proposé. Il s'ensuit que la disposition proposée doit être adaptée dans le sens de cette interprétation.

Il faut aussi éviter que l'on puisse donner à l'incrimination proposée une interprétation à ce point large que les autorités judiciaires puissent arrêter n'importe qui et soient obligées ensuite de relâcher des gens qui ne seraient associés d'aucune manière à une organisation criminelle.

Comme l'indique l'exposé des motifs, la nouvelle incrimination servira de critère pour ce qui est de l'application des méthodes spéciales de recherche. Cela signifie que l'on autorisera les services de police à utiliser lesdites méthodes avant même que l'on se soit prononcé définitivement sur la présence ou non de tous les éléments qui doivent être réunis pour que l'on puisse conclure à l'existence du délit de constitution d'une organisation criminelle.

S'il devait s'avérer par la suite qu'un suspect n'est aucunement impliqué dans une telle organisation, les informations que la recherche proactive et les techniques spéciales de recherche auraient permis de recueillir à son sujet pourraient servir à une nouvelle enquête. D'aucuns estiment que ce type de procédure serait inadmissible et que la nouvelle instruction serait nulle, dès lors que l'on aurait constaté une utilisation, à tort, des méthodes de recherche ab initio.

L'intervenant se rend compte que l'on écartera cette thèse, mais on doit savoir qu'en conséquence le champ d'application des méthodes spéciales de recherche sera très large. Ce serait une évolution inquiétante que l'intervenant entend combattre. Il espère que le ministre la combattra lui aussi. En effet, il n'est pas exclu que l'on usera abusivement de l'incrimination d'organisation criminelle pour appliquer les méthodes en question à une grande échelle.

Selon un autre membre, le projet de loi à l'examen constitue un pas fondamental dans la direction d'une lutte efficace contre la criminalité organisée. La nécessité d'atteindre les organisations criminelles au niveau juridique s'impose d'autant plus que celles-ci échappent actuellement à une véritable répression par leur capacité de mettre en oeuvre des contrestratégies. Il convient dès lors d'élaborer une incrimination qui permet de punir tous ceux qui font partie d'une telle organisation, mais échappent, malgré leur connaissance des objectifs de l'organisation et de son caractère criminel, et malgré leur contribution à celle-ci, à toute poursuite parce que le ministère public ne parvient pas à leur imputer in concreto des faits commis pour le compte de l'organisation dont ils font partie. Les intéressés profitent en outre du caractère international des organisations criminelles pour se soustraire à des poursuites intentées à leur encontre.

L'intervenant estime néanmoins que la formulation du projet doit être revue sur trois points.

Premièrement, il est hors de question d'introduire une nouvelle incrimination sans tenir compte des articles 322 et suivants du Code pénal relatifs à l'association de malfaiteurs. Il faut régler l'articulation de ces deux notions.

L'association de malfaiteurs a fait l'objet d'une jurisprudence et d'une doctrine considérables. L'interprétation donnée à cette notion est extensive, et permet de sanctionner les membres d'une association même lorsqu'ils n'ont pas l'intention de commettre des délits.

Il faut, dès lors, se poser la question de savoir s'il est opportun d'introduire à côté de l'association de malfaiteurs prévue aux articles 322 et suivants du Code pénal, une nouvelle incrimination visant les organisations criminelles. Dans l'affirmative, il faudra veiller, par exemple en éliminant les contradictions et les incompatibilités, à ce que ces incriminations ne se recoupent pas.

Dans ce but, l'intervenant se propose de déposer un amendement visant à considérer l'organisation criminelle comme une circonstance aggravante objective de l'association de malfaiteurs (doc. Sénat, nº 1-662/2, amendement nº 13, voir infra , la discussion de l'article 2).

Le deuxième point qui suscite des critiques concerne la définition trop large des conditions requises pour qu'il y ait délit de participation à une organisation criminelle.

La finalité de l'incrimination proposée est d'atteindre les membres d'une organisation criminelle dont l'objectif consiste à obtenir des avantages patrimoniaux illicites.

Dans cette perspective, il ne convient pas de mettre sur le même pied, comme éléments constitutifs de l'infraction, la poursuite des avantages patrimoniaux illicites et la volonté de détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées. Ce dernier élément n'est pas la finalité de l'organisation criminelle, mais un moyen qu'elle utilise pour atteindre son objectif de gain.

Il faudrait dès lors, aux yeux de l'intervenant, supprimer la référence à ce soi-disant objectif parce qu'elle crée une ambiguïté. La preuve en est fournie par l'inquiétude de certains qui estiment que les organisations syndicales ou politiques pourraient être poursuivies en tant qu'organisations criminelles.

Par conséquent, seule la condition de gain devrait être retenue comme objectif de l'organisation criminelle. De cette manière, l'on répondrait à une critique qui n'est pas dépourvue de fondement.

Troisièmement, l'intervenant estime qu'une personne ne peut être poursuivie pour cause de participation que si elle connaît le caractère criminel de l'organisation dont elle fait partie. L'article 343, § 2, proposé va, à son avis, trop loin en rendant punissable toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci.

Les mots « ou doit savoir » devraient être supprimés parce qu'ils ouvrent la porte à une interprétation illimitée du juge. Il faut que le ministère public démontre sur la base d'éléments de fait que l'intéressé était conscient de sa contribution aux objectifs de l'organisation criminelle. Par conséquent, seule la connaissance effective et certaine du caractère criminel de l'organisation dont l'intéressé fait partie peut être retenue comme élément moral de l'infraction.

La volonté de poursuivre des organisations criminelles en justice ne peut conduire à ce que l'on permette au juge de déduire in abstracto , sans référence au vécu d'un suspect, sa culpabilité du simple fait qu'il devait savoir de quelle organisation il faisait partie. Il est inacceptable que l'on donne une telle extension au droit pénal, alors même que la personne poursuivie n'a pas commis d'infraction ou, pour le moins, n'est pas censée nécessairement en avoir commis ou vouloir en commettre.

En guise de conclusion, l'intervenant souligne que ces remarques ont pour but de préciser et de délimiter les notions reprises dans le projet pour mieux atteindre les organisations maffieuses dont l'objectif est la recherche d'avantages patrimoniaux illicites.

Un membre fait observer que la définition d'organisation criminelle proposée à l'article 342 est très proche de celle du Bundeskriminalamt . La définition proposée s'avère pourtant moins rigoureuse en ce qui concerne la durabilité de l'association et les objectifs de celle-ci, où il semble régner, comme on vient de le signaler, une confusion entre, d'une part, la recherche d'avantages patrimoniaux illicites et, d'autre part, le détournement du fonctionnement d'aurorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées. Ces deux points justifient en tout cas une modification du texte.

Un deuxième point qui préoccupe l'intervenante concerne l'incrimination de la participation à une organisation criminelle. Elle estime que le projet va trop loin dans sa tentative de prévenir la participation. Il est vrai qu'on pourrait retenir l'idée de la pénalisation de la participation à la préparation ou à la réalisation d'activités licites de l'organisation, mais uniquement à condition que les suspects soient conscients de leur contribution aux objectifs de l'organisation criminelle. Incriminer ceux qui devraient savoir que leur participation bénéficie à l'organisation criminelle, est franchir une barrière qui permet une interprétation trop large du texte proposé.

Troisièmement, il faut veiller à la cohérence entre les articles 322 et suivants concernant l'association de malfaiteurs et les articles 342 et suivants relatifs aux organisations criminelles. L'intervenante déclare être sensible aux arguments développés par l'orateur précédent, visant à considérer l'organisation criminelle comme une circonstance aggravante de l'association de malfaiteurs.

Pour un sénateur, le fait que l'on considère enfin la criminalité organisée comme une priorité politique constitue un progrès important. Cependant, la présente proposition revient à atteler la charrue devant les boeufs.

En effet, le Gouvernement affirme que pour combattre la criminalité organisée de manière adéquate, il est nécessaire de créer une incrimination entièrement nouvelle. Jusqu'ici, on ne s'en était jamais vraiment occupé. Aujourd'hui, on constate une débauche.

Il serait cependant préférable d'attendre deux ans, jusqu'à ce que le collège des procureurs généraux ou le ministre aient fait le bilan de la lutte contre la criminalité organisée et informé le Parlement des problèmes juridiques auxquels l'appareil judiciaire est confronté dans le cadre de cette lutte. Ce n'est qu'alors qu'on pourra déterminer en connaissance de cause si les instruments judiciaires actuellement suffisent à la tâche et s'il est nécessaire de créer des incriminations nouvelles.

D'après l'intervenant, le Gouvernement n'a pas encore avancé d'arguments déterminants pour justifier le projet à l'examen.

Un membre réplique que, et M. Van Camp, procureur général émérite près la Cour d'appel d'Anvers, et M. Vandoren, magistrat national, ont dit clairement, dans leurs discours inauguraux du 2 septembre 1996, que la législation présentait bel et bien des lacunes sur ce point.

Pour l'intervenant précédent, ce constat portait plutôt sur les délits spécifiques qu'on pourrait affiner en vue de combattre la criminalité organisée (par exemple, un délit comptable).

Il n'est pas convaincu que le fait d'attribuer un caractère délictuel à l'appartenance à une organisation de type maffieux soit indispensable pour lutter efficacement contre lesdites organisations.

Selon les termes d'un autre membre, l'incrimination des actes licites qui sont posés dans le cadre d'une organisation criminelle poursuivant un but illicite, constitue un des problèmes principaux auxquels on est confronté dans la lutte contre les organisations criminelles. On a tenté vainement, dans le passé, d'élaborer des constructions juridiques devant permettre de poursuivre les auteurs de ces actes, notamment en rendant punissables les actes préparatoires.

Cette idée a été rejetée parce que le champ d'application de l'incrimination proposée aurait été trop vaste. On cite toujours le cas de l'auteur d'un roman policier dont on utlise l'intrigue à des fins criminelles.

L'intervenant souscrit à l'idée de rendre punissables les actions qui sont licites en soi mais dont la finalité, à savoir contribuer aux objectifs d'une organisation criminelle, leur confère un caractère illicite. Si on ne suit pas cette piste, on passe à côté de l'essence même de la criminalité organisée.

Le préopinant ne partage pas cet avis. Pour lui, il y a lieu d'examiner d'abord quels sont les actes concrets à sanctionner dans le cadre de la criminalité organisée, notamment en étendant la notion de complicité. Il maintient qu'on n'a pas encore démontré de manière convaincante que la loi en projet est la solution la plus appropriée.

Une autre remarque concerne l'intention du Gouvernement d'utiliser l'incrimination de l'organisation criminelle comme critère de recours aux techniques spéciales de recherche. Là encore, le Gouvernement attelle la charrue avant les boeufs. En pratique, ces techniques sont déjà appliquées aujourd'hui, mais la jurisprudence de la C.E.D.H. exige que cette utilisation soit fondée sur une base légale. Un projet de loi à ce sujet est en préparation, mais l'intervenant pense que là aussi, on travaille à l'envers.

Quoi qu'il en soit, le législateur devra déterminer si on n'utilisera les techniques spéciales de recherche, telle l'infiltration, que pour combattre les délits bien déterminés, ou si on va en élargir le champ d'application sur la base d'un critère vaguement formulé.

Pour l'intervenant, il n'est pas judicieux de régler implicitement ce problème dans le cadre du projet à l'examen, sans que la question fasse l'objet d'un débat de fond.

Plusieurs intervenants objectent que la loi en projet ne règle pas le statut des techniques spéciales de recherche. Elle prévoit seulement que la définition pénale de l'organisation criminelle servira de référence pour l'utilisation de ces techniques. Les conditions spécifiques dans lesquelles on pourra les utiliser seront définies par une loi.

Le lien entre l'incrimination d'organisations criminelles et les techniques spéciales de recherche n'a d'ailleurs rien d'exclusif. Ces techniques doivent également pouvoir servir dans la recherche d'infractions qui n'ont pas été commises par une organisation criminelle, comme l'enlèvement d'un enfant par un individu agissant isolément. La problématique de ces techniques doit être nettement distinguée de celle des organisations criminelles.

Un membre précise que les techniques spéciales de recherche doivent en tout cas pouvoir être mises en oeuvre contre les organisations criminelles. Rien n'empêche toutefois qu'elles puissent servir également à la recherche et à la poursuite d'autres infractions.

Se référant à son intervention précédente, un autre membre fait observer qu'il y a lieu d'examiner, sur la base de la distinction entre la définition criminologique de la criminalité organisée et la définition pénale des organisations criminelles, si les techniques spéciales de recherche ne doivent pas pouvoir être utilisées contre la criminalité organisée, ce qui leur conférerait automatiquement un champ d'application plus large.

Un sénateur note encore que diverses organisations ont exprimé l'inquiétude que leur inspire l'incrimination de l'organisation criminelle, parce qu'en vertu d'une certaine interprétation, elle peut également être considérée comme applicable aux organisations syndicales, aux mouvements de défense de l'environnement, etc. Il y a un risque qu'un projet qui devrait être accueilli positivement parce qu'il est dirigé contre la criminalité organisée, soit perçu plutôt négativement sur le plan social. Il faut se garder de faire de la notion de criminalité organisée un lieu commun et de qualifier d'action orchestrée par des organisations criminelles tout trouble de l'ordre public, tel que les récentes rixes d'immigrés en région bruxelloise.

L'intervenant soutient donc la priorité politique qui sous-tend le projet, mais conteste l'étendue, à ses yeux excessive, de l'incrimination.

III. LE PREMIER RAPPORT INTERMÉDIAIRE DE LA COMMISSION PARLEMENTAIRE CHARGÉE D'ENQUÊTER SUR LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE EN BELGIQUE

Après le premier échange de vues relaté ci-avant, la commission de la Justice a décidé de suspendre ses travaux, dans l'attente du dépôt du premier rapport intermédiaire de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, créée par le Sénat le 18 juillet 1996 (doc. Sénat, 1995-1996, nºs 1-326/1 à 6 et compte rendu analytique du 18 juillet 1996).

Cette commission d'enquête avait, dans son premier rapport, décidé de procéder notamment, non à une analyse textuelle du projet de loi, mais à une analyse d'ensemble, dans le cadre de son examen :

­ de la nécessité d'une définition juridique qui lui soit propre;

­ de la question de savoir quels aspects du phénomène criminologique nécessitent une riposte pénale;

­ de la nécessité de nouvelles définitions spécifiques des délits;

­ des lignes de force stratégiques dont cette nouvelle législation doit tenir compte, y compris les principes juridiques pouvant être mis en péril.

Le premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête a été publié le 3 décembre 1997 (doc. Sénat nº 1-326/7 - cf. annexe I).

La commission de la Justice a ensuite repris ses travaux.

IV. SUITE DE LA DISCUSSION GÉNÉRALE

A. Deuxième exposé du ministre de la Justice et dépôt d'amendements par le Gouvernement (doc. Sénat, nº 1-662/3, amendements nºs 18 à 22)

Au moyen de la loi en projet, le Gouvernement entend lutter efficacement contre la criminalité organisée. La nouvelle définition du délit est introduite, notamment parce que les membres d'une organisation criminelle qui ne commettent pas eux-mêmes des faits punissables ne tombent pas sous l'application de la législation pénale actuelle.

La Belgique ne peut pas éluder plus longtemps le problème de la criminalité organisée et rester une tache aveugle sur la carte européenne pour ce qui est de la lutte contre cette criminalité. Les exemples étrangers montrent que, si l'on ne combat pas énergiquement les organisations criminelles, elles cherchent à s'emparer du pouvoir et mettent le modèle de la société démocratique en danger.

Pour pouvoir tenir tête à ces organisations, le Gouvernement a proposé, dans son plan d'action, tout un arsenal de mesures dont certaines relèvent du droit pénal et d'autres non.

Pour pouvoir se faire une idée globale des choses, il a demandé à toutes les instances qui participent à la lutte contre la criminalité organisée, soit la magistrature et les services de police et de renseignements, de rédiger un rapport annuel. Le rapport annuel 1997 sur la criminalité organisée 1996 a été communiqué en octobre 1997 à la commission parlementaire d'enquête sur la criminalité organisée. Le rapport relatif à l'année 1997 est en préparation et du point de vue méthodologique, il sera à la fois plus circonstancié et plus affiné que celui de 1996.

Ces rapports constituent des instruments de la politique criminelle et les éléments de référence permettant de mesurer les résultats des initiatives législatives.

Sur le plan législatif, diverses initiatives ont été prises ou sont en voie de l'être.

Premièrement, il y a le projet de loi modifiant la loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées, qui a été adopté par la Chambre des représentants le 18 décembre 1997 et évoqué par le Sénat le 15 janvier 1998 (doc. Chambre, 1996-1997, nºs 1075/1-14 et doc. Sénat, nº 828/1). Les modifications proposées doivent améliorer l'efficacité des écoutes téléphoniques.

Deuxièmement, l'on est en train, à l'instar de ce qu'ont fait les autres États membres de l'Union européenne, de rédiger un projet de loi sur les méthodes spéciales d'enquêtes, qui recevront ainsi un fondement légal, comme le veut la C.E.D.H., et que l'on pourra utiliser pour lutter efficacement contre la criminalité organisée, qui a précisément un caractère plutôt « souterrain » et peu visible.

Le projet de loi relative aux organisations criminelles joue un rôle clé dans le cadre du plan d'action du Gouvernement, puisque l'on utilisera la définition de l'organisation criminelle qu'il contient comme point de référence pour prendre d'autres mesures légales, par exemple en ce qui concerne les méthodes spéciales d'enquêtes.

Cependant, l'on a rapidement soulevé des objections contre le projet de loi qui a été adopté le 5 juin 1997 par la Chambre et évoqué le 10 juin 1997 par le Sénat, parce que, selon une interprétation extensive, il serait applicable aux associations d'inspiration politique, aux organisations syndicales et aux associations de défense de l'environnement, qui poursuivent pourtant des objectifs légitimes. Diverses organisations, comme la Ligue des droits de l'homme, ont exprimé leur inquiétude à ce sujet ainsi que leur souhait d'être entendues par la commission de la Justice (cf. infra) . Cependant, le Gouvernement n'a jamais eu l'intention de donner une telle portée au projet.

C'est pourquoi il se déclare disposé à revoir le texte pour en limiter la portée et pour éliminer, notamment, les ambiguités et les imprécisions qui ont été dénoncées par la commission d'enquête.

C'est pourquoi le Gouvernement dépose des amendements qui tiennent compte de ceux qui ont été proposés par divers sénateurs dans le sillage du premier rapport intermédiaire de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée. Les amendements du Gouvernement ne sont pas une synthèse des amendements des sénateurs, mais ils tiennent compte des critiques qui y figurent, pour autant que le Gouvernement les ait estimées pertinentes. En outre, la définition de l'organisation criminelle donnée dans les amendements correspond parfaitement à celle qui figure dans le projet d'action commune relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les États membres de l'Union européenne, lequel a été adopté le 5 décembre 1997 par le Conseil européen, sur la base de l'article K.3. du Traité sur l'Union européenne.

L'article 1er de ce programme d'action dispose que : « Au sens de la présente action commune, on entend par organisation criminelle l'association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des crimes ou délits punissables d'une peine privative de liberté, ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins quatre ans ou d'une peine plus grave, que ces crimes et délits constituent une fin en soi ou un moyen d'obtenir des avantages patrimoniaux, et, le cas échéant, d'influencer indûment le fonctionnement d'autorités publiques. » (pour la suite du texte, voir annexe II).

Ainsi le Gouvernement met-il à exécution les recommandations du « High Level Group » et entend-il répondre à la nécessité d'une approche internationale, ou à tout le moins européenne, de la criminalité organisée, tant dans le domaine du droit pénal que dans celui du droit de la procédure pénale.

Les amendements du Gouvernement sont rédigés comme suit (doc Sénat, nº 1-662/3, amendements nºs 18 à 22) :

1. Amendement nº 18

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Article 2. ­ L'intitulé du chapitre Ier , titre VI, livre II, du Code pénal est remplacé comme suit :

« Chapitre Ier . De l'association formée dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits et de l'organisation criminelle. »

2. Amendement nº 19

« Insérer un article 2bis (nouveau), libellé comme suit :

« Article 2bis. ­ À l'article 322 du Code pénal, les mots « dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés » sont remplacés par les mots « dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits. »

3. Amendement nº 20

« Insérer un article 2ter (nouveau), libellé comme suit :

« Article 2ter. ­ Il est inséré entre les articles 324 et 325 du Code pénal les articles 324bis et 324ter, rédigés comme suit :

« Article 324bis. ­ Constitue une organisation criminelle l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir des avantages patrimoniaux et, le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques, en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Article 324ter. ­ § 1er . Toute personne qui, volontairement et sciemment, fait partie d'une organisation criminelle, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de 100 francs à 5 000 francs ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants.

§ 2. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324bis, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de 100 francs à 5 000 francs ou d'une de ces peines seulement.

§ 3. Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324bis, est punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de 500 francs à 100 000 francs ou d'une des ces peines seulement.

§ 4. Toute personne dirigeante de l'organisation criminelle est punie de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de 1 000 francs à 200 000 francs ou d'une de ces peines seulement. »

4. Amendement nº 21

« Insérer un article 2quater (nouveau), libellé comme suit :

« Article 2quater. ­ À l'article 325 du Code pénal, les termes « et 324 » sont remplacés par les termes « 324 et 324ter. »

Justification

Conformément aux conclusions de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, le Gouvernement, dans un souci de coordination, a rapproché les nouvelles dispositions sur l'organisation criminelle de celles sur l'association de malfaiteurs, suivant en cela la structure proposée par l'amendement du sénateur Lallemand. Par souci de ne pas toucher aux dispositions sur l'association de malfaiteurs, le Gouvernement propose de créer deux nouveaux articles 324bis et 324ter dans le Code pénal.

En ce qui concerne la définition de l'organisation criminelle, le Gouvernement a veillé à clarifier le fait que les organisations ayant pour objet d'exercer une influence politique ne sont pas visées par la nouvelle incrimination. La nouvelle rédaction s'inspire de celle qui se dégage actuellement sur le plan de l'Union européenne : le détournement des autorités publiques est un but éventuel nécessairement cumulatif par rapport au but principal qui est la réalisation de profits.

D'autres éléments de la définition européenne ont également été retenus, en particulier l'exigence d'une « association structurée » et d'une association « établie dans le temps ». Cette dernière formulation est préférée aux termes « de manière durable », qui pourraient conduire à exclure de véritables organisations criminelles du champ d'application de la loi. En effet, dans une société où tout va vite, on peut très bien concevoir qu'une organisation criminelle se crée avec un objectif spécifique limité très précisément dans le temps (1 mois, 6 mois par exemple), puis qu'elle disparaisse pour réapparaître sous une autre forme (un peu comme les sociétés commerciales). Dans la mesure où elle serait créée « à durée déterminée », elle pourrait ne pas être considérée comme « durable », alors qu'elle devrait en tout état de cause pouvoir être couverte par la loi.

En ce qui concerne les formes de participation, on est resté le plus proche possible du texte adopté par la Chambre, tout en intégrant les souhaits exprimés par la commission parlementaire d'enquête. L'appartenance à l'organisation criminelle doit être intentionnelle. Pour enlever tout doute quant à ce caractère intentionnel, on a inséré les termes « volontairement et sciemment », ce qui suppose une attitude positive, en connaissance de cause, de la personne concernée.

Pour la participation aux activités licites et aux prises de décision, on exige que la personne sache que sa participation contribue aux objectifs de l'organisation criminelle. Ce critère est plus exigeant que celui de la simple connaissance du caractère d'organisation criminelle. Il permet de ne retenir que des formes de participation volontaire et caractérisée. On a supprimé les termes « doit savoir » qui suscitent inutilement un doute sur le caractère intentionnel de l'infraction.

Ces modifications sont également destinées à éviter, dans la ligne des souhaits exprimés par la commission parlementaire d'enquête, que ces dispositions ne puissent être interprétées comme instaurant un renversement de la charge de la preuve.

5. Amendement nº 22

« Dans cet article, remplacer les mots « aux articles 342 à 345 » par les mots « aux articles 324bis et 324ter. »

Le Gouvernement a conservé le passage « pour détourner la fonctionnement d'autorités publiques », qui avait fait l'objet de critiques virulentes, mais il en a restreint la portée en n'incluant pas les entreprises publiques et privées. En effet, les organisations criminelles peuvent avoir pour objectif principal un tel détournement, mais il se traduira alors par la recherche d'avantages patrimoniaux illictes.

Pour lever toute ambiguïté, on a rendu les deux conditions interdépendantes, étant entendu que le gain illégal prime. En soi, le fait de détourner le fonctionnement des autorités publiques ne suffit donc pas (« le cas échéant »), il doit s'accompagner de la recherche de gains illégaux.

Le premier objectif du projet est d'incriminer l'appartenance, en d'autres termes, le comportement de ceux qui contribuent au fonctionnement et aux objectifs d'une organisation criminelle sans toutefois commettre de faits constitutifs d'infractions.

B. Discussion

Certains membres estiment que la différence entre l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle reste vague, sauf en ce qui concerne la durée. En d'autres termes, en quoi l'incrimination de l'association de malfaiteurs ne suffit-elle pas pour pouvoir démanteler une organisation criminelle ? Quelle est la valeur ajoutée de la nouvelle incrimination ?

Selon une jurisprudence et une doctrine unanimes, il est question d'associations de malfaiteurs lorsque les éléments constitutifs suivants sont réunis :

1. l'existence d'une association, d'une bande, dont le nombre de membres est laissé à l'appréciation du juge;

2. l'association doit présenter une organisation déterminée;

3. l'intention de commettre un ou plusiers attentats, pas nécessairement bien définis, contre les personnes ou les propriétés. Les membres de cette association tombent sous le coup de la loi pénale, même s'ils ne passent pas aux actes (voir notamment DE NAUW A., Inleiding tot het bijzonder strafrecht , Anvers, Kluwer, 1992, 61-63, ainsi que le premier rapport intermédiaire de la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, doc. Sénat, nº 1-326/7, 46-52 ­ voir annexe I).

Si l'on veut que l'organisation criminelle constitue, en raison du caractère grave des infractions qu'elle commet ou envisage de commettre, une circonstance aggravante de l'association de malfaiteurs, il faut le prévoir explicitement dans la loi (voir l'amendement nº 13 de M. Lallemand, doc. Sénat, nº 1-662/2).

Au cas où l'on opterait pour deux incriminations distinctes, il faudrait délimiter leur spécificité respective de manière claire et nette. Si l'unique différence réside dans le fait que l'organisation criminelle est une entreprise étalée dans le temps, l'on de disposera que d'un petit critère de distinction, qui ne justifiera pas une définition différente du délit. Comme on l'a indiqué, l'objectif principal de la loi en projet, qui est la répression de la simple appartenance à une organisation criminelle, n'est pas très original, car les articles 322 et suivants du Code pénal relatifs à l'association de malfaiteurs confèrent déjà un caractère délictuel à cet acte. Pour éviter toute confusion, l'on devrait délimiter de manière claire et nette la zone grise où les deux incriminations se rejoignent.

Le ministre déclare que, de par la définition large qu'ils donnent de l'association de malfaiteurs, les articles 322 et suivants prévoient une incrimination générale, tandis que les articles 324bis et 324ter proposés posent des exigences plus sévères pour ce qui est de la définition de la notion d'organisation criminelle et prévoient dès lors une incrimination plus restrictive. Il est fort probable qu'une association qui tombe sous le coup de l'article 324bis puisse être poursuivie également en application des articles 322 et suivants du Code pénal.

Un membre demande si l'on peut imaginer un cas où une organisation criminelle ne pourrait pas être poursuivie en tant qu'association de malfaiteurs ? Il est d'avis que non, ce qui donne plus de poids à sa thèse, selon laquelle l'organisation criminelle constitue une circonstance aggravante pour ce qui est du délit d'association de malfaiteurs.

Le ministre répond que la loi en projet vise non pas toutes les organisations qui relèvent déjà des articles 322 et suivants, mais uniquement un nombre limité de celles-ci. En ce qui concerne l'incrimination des différentes formes d'implication dans une organisation criminelle, le Gouvernement poursuit un objectif plus large. Sur ce point, la loi en projet et l'amendement du Gouvernement incriminent davantage que ce qui est déjà punissable dans le cadre de l'association de malfaiteurs.

Un membre déclare qu'à première vue, les amendements du Gouvernement tiennent compte des remarques que la commission chargée d'enquêter sur la criminalité organisée a formulées dans son premier rapport intermédiaire. Cependant, le Gouvernement n'a pas encore répondu de manière satisfaisante à la demande d'établir une distinction nette et conforme au droit pénal entre l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle.

L'incrimination d'association de malfaiteurs permet à la police d'arrêter des personnes qui sont soupçonnées d'avoir commis un délit et qui ont collaboré. Ces personnes peuvent alors faire l'objet de poursuites, non seulement du chef du délit qu'elles ont commis, mais aussi du chef d'association de malfaiteurs, ce qui constitue, en l'espèce, une sorte de circonstance aggravante. Il s'ensuit que l'association de malfaiteurs est considérée plutôt comme une circonstance fortuite et que la seule appartenance à l'association est difficilement punissable. Il faudra donc imputer un délit spécifique aux membres de l'association.

Par contre, la notion d'organisation criminelle vise une association structurée et permanente qui présente toutes les caractéristiques citées à l'article 324bis proposé. Comme cette forme de collaboration revêt un caractère plus grave, ce sont toutes les formes d'implication, comme l'implication par simple appartenance, l'implication des « sleepers » , des personnes extérieures, etc., qui sont incriminées (voir à ce sujet le premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête, doc. Sénat, nº 1-326/7, 53-60 ­ annexe I).

La condition de la durée qui doit être réalisée pour qu'il y ait organisation criminelle, et ce, conformément à l'article 324bis proposé, n'est pas prévue à l'article 322 du Code pénal. Cet article n'exclut pourtant pas le caractère durable de l'association de malfaiteurs.

Un membre rappelle que la jurisprudence a admis que les associations de ce type pouvaient durer cinq jours ou cinq ans.

Un autre intervenant estime que l'on est en droit de se demander si c'est bien ce que le législateur a voulu.

Un intervenant suivant demande au ministre de dresser une liste des éléments constitutifs des délits qui sont visés respectivement aux articles 322 et 324bis .

Cette liste permettra de déterminer si toutes les organisations criminelles peuvent être poursuivies ipso facto comme associations de malfaiteurs.

L'intervenant émet des objections contre le maintien de la condition selon laquelle il doit y avoir détournement du fonctionnement des autorités publiques, bien que cette condition et celle relative à la poursuite d'avantages patrimoniaux doivent bien entendu être réunies de manière cumulative.

Diverses critiques ont été émises à l'encontre de cette condition, même si, en soi, le fait qu'elle soit remplie ne suffit pas pour pouvoir qualifier une association d'organisation criminelle.

En effet, l'on craint que cette condition ne puisse favoriser une interprétation déterminée qui permettrait d'incriminer des organisations politiques.

Prenons un exemple : une organisation politique que certains ne voient pas d'un très bon oeil récolte des fonds auprès de ses sympathisants pour renflouer ses caisses. Si plusieurs personnes se plaignent qu'elle ait utilisé l'intimidation pour les contraindre à verser une contribution, l'on peut affirmer que l'action politique de cette organisation vise en réalité à détourner le fonctionnement des autorités publiques et qu'à cet égard, elle a recours à l'intimidation. Ainsi cette collecte deviendrait-elle en réalité une sorte d'escroquerie ou d'extorsion de fonds.

L'argument selon lequel l'on ne saurait isoler cette condition de son contexte, mais qu'il faut la lire conjointement avec les autres conditions, telles que le fait de commettre des infractions dans le but d'obtenir des avantages patrimoniaux, ne saurait faire oublier que le texte proposé, à l'instar de l'article 322, donnera lieu à une interprétation jurisprudentielle. La commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée a d'ailleurs formulé, dans son premier rapport intermédiaire, une mise en garde claire : « il faut en tout cas éviter qu'un mouvement politique ne soit mis hors la loi par une nouvelle incrimination (o.c. , 52-53).

Aux termes de l'article 324bis proposé par l'amendement nº 20 du Gouvernement, l'organisation criminelle doit avoir l'intention de commettre (...) des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave.

L'intervenant dit ne pas avoir d'objections en ce qui concerne la catégorie des infractions, mais il estime que le critère de la peine d'emprisonnement de trois ans pour les délits est trop large parce qu'il englobe une série de délits qui n'entrent pas dans le cadre de la criminalité organisée. C'est pourquoi il insiste pour que l'on fasse une sélection en ce qui concerne cette dernière catégorie, en ne soumettant à des écoutes téléphoniques que ceux à qui elles sont applicables en vertu de l'article 90ter , §§ 2, 3 et 4, du Code pénal.

L'incrimination des diverses formes d'appartenance à une organisation criminelle prévue à l'article 324ter proposé par l'amendement nº 20 du Gouvernement présente, en ce qui concerne l'élément moral, des différences frappantes par rapport à ce que prévoit l'article 343 proposé.

C'est ainsi que l'on prévoit, à l'article 324ter , § 1er , proposé, que la personne doit faire partie « volontairement et sciemment » d'une organisation criminelle. Cette intention générale n'est pas répétée aux §§ 2 et 3.

Dans ces paragraphes, qui viennent se greffer sur les articles 343, § 2, et 344 du projet, le Gouvernement n'a prévu qu'une seule condition : il faut que l'intéressé sache que sa participation contribue à la réalisation des objectifs de l'organisation.

L'intervenant n'est pas convaincu que les mots « délibérément et sciemment » et les mots « alors qu'elle sait » ont la même portée. Pourquoi ne pas utiliser systématiquement les mots « délibérément et sciemment » dans les autres paragraphes de l'article 324ter proposé ?

En tout cas, l'on ne saurait donner à l'expression « alors qu'elle sait » la signification de « elle aurait dû savoir ».

Il faut viser à une certaine cohérence terminologique entre les divers paragraphes de l'article 324ter proposé dans l'amendement gouvernemental.

Un sénateur constate que si l'on insère la disposition prévoyant l'incrimination des organisations criminelles après l'article 324, la disposition de l'article 326 relative aux dénonciateurs sera également applicable aux organisations criminelles.

Quant au fond, il estime que le texte proposé par la voie de l'amendement gouvernemental présente encore plus de risques pour les organisations syndicales, les organisations de défense de l'environnement et les autres associations présentes sur la scène politique qui se sont plaintes du contenu de l'article 342 proposé. Selon lui, le danger viendrait de l'élargissement du champ d'application de l'article 322.

Alors que l'article 322 du Code pénal ne concerne que les attentats contre les personnes ou les propriétés, le Gouvernement propose dans son amendement nº 19 d'élargir la notion d'objectif de l'association en y incluant l'intention de commettre un ou plusieurs crimes ou délits.

Selon un membre, la remarque en question est pertinente, mais elle ne tient pas compte du fait que la doctrine et la jurisprudence interprètent de manière extensive la notion d'association de malfaiteurs. L'amendement du Gouvernement, s'il est adopté, régularisera pour ainsi dire la situation existante. Il faudra alors se demander comment situer cette incrimination par rapport à celle des organisations criminelles.

L'intervenant précédent objecte que la modification proposée par le Gouvernement confère à la notion de l'association de malfaiteurs une portée beaucoup trop large. Ainsi deux personnes qui conviendraient de commettre un vol dans un magasin, mais qui ne passeraient pas à l'acte, pourraient-elles être poursuivies pour association de malfaiteurs. Toutefois, un autre exemple illustre encore plus clairement le danger que présente la modification proposée. Les militants de Greenpeace qui conviennent de bloquer l'accès à une écluse ou de paralyser la circulation sur une autoroute seront punissables pour la simple raison qu'ils ont passé entre eux un tel accord, sans que leur plan n'implique un attentat contre les personnes ou les propriétés ni même qu'ils le mettent à exécution.

L'intervenant marque son désaccord sur l'avis selon lequel une telle intention est déjà punissable en vertu de la jurisprudence actuelle. Certes, une certaine jurisprudence se fonde sur l'incrimination de l'association de malfaiteurs pour juguler certaines actions sydicales. Selon lui, si le législateur consacrait cette jurisprudence extrêmement extensive, il irait trop loin.

C'est pourquoi M. Boutmans a prévu dans son amendement nº 10 que « les organisations créées dans un but politique ou un but social légitime ne peuvent en aucun cas être considérées comme criminelles au sens de la présente disposition, pas même si des infractions sont commises dans la poursuite de ce but. » (doc. Sénat, nº 1-662/2).

Intervenant à son tour, un membre souhaite connaître les raisons pour lesquelles le Gouvernement propose lui aussi, dans son amendement nº 19, un élargissement de l'article 322. Ce faisant, le Gouvernement non seulement confirme l'interprétation extensive dénoncée ci-dessus, mais aussi ouvre la porte à une interprétation encore plus large. L'intervenant ne voit pas pourquoi le Gouvernement agit de la sorte. En ne modifiant pas l'article 322, l'on confirmerait implicitement la jurisprudence actuelle, qui est large tout en respectant une série de limites.

Un autre membre estime que l'amendement gouvernemental vise à consacrer dans la loi pénale la jurisprudence et la doctrine en vigueur en l'espèce. L'intervenant déclare qu'il a fait la même proposition par la voie de son amendement nº 13, mais, étant donné les critiques qui ont été formulées ­ qui sont reprises ci-dessus ­ il préfère ne pas insister.

Un membre souhaiterait savoir s'il faut considérer, lorsque trois détenus préparent un hold-up, en répartissant strictement les rôles, ils constituent une association de malfaiteurs ou une organisation criminelle. Quels sont les facteurs qui font d'une association de malfaiteurs une organisation criminelle ? Que faut-il entendre par « l'organisation établie dans le temps » ? Qu'implique exactement « l'appartenance » ? La disposition de l'article 324ter proposé s'appliquet-elle aux personnes qui ne sont concernées que de loin par l'organisation ou qui se trouvent en marge de celle-ci ? L'appréciation de l'appartenance ou non est-elle laissée au pouvoir discrétionnaire du juge ou les conditions qui doivent être réunies pour que le principe de « lex certa » soit respecté seront-elles inscrites dans la loi pénale ?

Selon l'intervenant précédent, l'accord qu'auront passé entre eux les trois détenus ne sera assimilable ni à la constitution d'une association de malfaiteurs, ni à la constitution d'une organisation criminelle.

Il souhaiterait savoir si, en l'absence d'un critère clair permettant de faire la distinction entre les deux types d'incriminations, le Gouvernement n'a pas envisagé de supprimer purement et simplement l'incrimination d'association de malfaiteurs et de la remplacer par celle d'organisation criminelle.

Un membre souhaite souligner quatre points à propos des amendements gouvernementaux.

1. Le projet de loi du Gouvernement répond aux préoccupations de la population qui est de plus en plus confrontée à des formes graves de criminalité. Les pouvoirs publics ne semblent plus être en mesure de garantir la sécurité des citoyens. L'obligation qu'ils ont de le faire n'est pas une obligation de moyens mais une obligation de résultat. L'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Ce droit à la sûreté du citoyen qui doit le protéger contre tout acte arbitraire était inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen issue de la révolution française (26 août 1789).

Il est frappant que la jurisprudence ait consacré le droit à la protection de la liberté, mais soit restée en défaut en ce qui concerne le droit à la sûreté.

C'est étonnant, parce que, selon les résultats de divers sondages d'opinion, il faut donner l'absolue priorité à la lutte contre la criminalité et à la dissipation du sentiment d'insécurité. Force est de constater qu'il y a un décalage entre la préoccupation de l'immense majorité de la population sur ce point et l'attitude du monde politique qui tend plutôt à relativiser les choses. La preuve en est que les querelles communautaires, dont la population n'a absolument rien à faire, occupent toujours le haut de l'ordre du jour politique.

L'impression générale selon laquelle notre société se est en voie de déstablisation oblige les hommes politiques à prendre le problème de l'insécurité au sérieux. Les travaux de la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée ont révélé que la criminalité organisée peut revêtir des formes particulières, qui diffèrent des formes d'association de malfaiteurs et qui représentent, pour la société, une menace telle qu'il y a lieu de les combattre plus énergiquement.

Dans ce contexte, il faut tenir compte, en prévoyant l'incrimination des organisations criminelles, du lien de correspondance que l'on sait entre le délit de constitution d'une telle organisation et le délit connu de constitution d'une association de malfaiteurs. Autrement dit, il convient de déterminer quelles sont les « passerelles » entre les deux incriminations.

L'amendement nº 20 du Gouvernement fournit une solution méthodologique pour répondre à cette nécessité. Il y a toutefois lieu de préciser quels sont les éléments constitutifs de ces deux délits pour que l'on puisse déterminer clairement la portée de leur définition respective et les cas dans lesquels l'on à faire à une organisation criminelle et où l'on est, dès lors, en droit d'infliger une sanction sévère et ciblée.

En ce qui concerne la critique formulée contre cet amendement gouvernemental, selon laquelle il permettrait de sanctionner des organisations d'inspiration politique qui poursuivent des objectifs légitimes, il faut quand même se garder de soupçonner le Gouvernement d'avoir des intentions fascisantes ou d'avoir un plan secret, dont le projet en question fait partie, pour poursuivre des organisations syndicales, des mouvements écologiques, etc.

Les objections qu'on a émises à ce sujet à l'encontre du projet de loi et qui figurent également dans le premier rapport intermédiaire de la commission d'enquête parlementaire, portent sur les conséquences non prévues qui découlent de la formulation de l'incrimination. Par conséquent, le but n'est certainement pas de criminaliser les activités politiques d'organisations de nature démocratique.

2. Toutefois, l'amendement du Gouvernement soulève des questions sur un autre plan également. Le texte proposé s'écarte sur plusieurs points de la définition que le Conseil européen a adoptée, conformément à l'article K.3. du Traité sur l'Union européenne, dans le plan d'action commune relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les États membres de l'Union européenne.

L'article 1er de ce plan d'action dispose ce qui suit : « Au sens de la présente action commune, on entend par organisation criminelle l'association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des crimes ou délits punissables d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins quatre ans ou d'une peine plus grave, que ces crimes et délits constituent une fin en soi ou un moyen d'obtenir des avantages patrimoniaux, et, le cas échéant, d'influencer indûment le fonctionnement d'autorités publiques » (voir annexe II pour le texte complet).

La définition qui est proposée par le Gouvernement paraît plus large que celle qui a été adoptée par l'Europe. Elle semble en tout cas donner une marge de manoeuvre plus grande aux autorités judiciaires. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement devrait commenter et justifier les différences qui existent entre les deux définitions.

3. La condition fixée à l'article 324bis proposé, « ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions », fait aussi l'objet de critique. Cette condition peut aboutir à une extension considérable de l'incrimination. Il n'y a pas que l'utilisation de contre-stratégies qui puisse avoir pour but de dissimuler des infractions; on peut également atteindre cet objectif en utilisant des structures commerciales.

4. L'incrimination des organisations criminelles ne pourra être pleinement efficace qu'à la condition d'instaurer en parallèle la responsabilité pénale de la personne morale. Dans ce domaine, le Gouvernement devrait intervenir in pari passu , car les deux questions sont intrinsèquement liées.

À défaut de régler ces deux questions simultanément, l'appareil judiciaire risque de faire chou blanc. Le Gouvernement ne saurait atteindre son objectif, qui est de lutter contre la criminalité organisée, sans inclure dans son arsenal la responsabilité pénale de la personne morale qui est un des moyens les plus importants pour y parvenir. L'Union européenne a d'ailleurs insisté sur ce point.

C'est pourquoi le Gouvernement devrait intégrer dans le projet de loi à l'examen, par voie d'amendement, la loi en projet qu'il a élaborée concernant la responsabilité pénale des personnes morales, laquelle est actuellement encore au Conseil d'État pour avis. Il donnerait ainsi un signal à la société, signal qui conférerait la crédibilité voulue à son plan d'action contre la criminalité organisée.

Un membre souligne que dans l'attente du dépôt du projet de loi relative à la responsabilité pénale des personnes morales, l'amendement nº 3 qu'il a déposé prévoit la dissolution judiciaire des sociétés dont les actifs ont été confisqués conformément à l'article 344 du Code pénal (doc. Sénat, nº 1-662/2).

Il va de soi qu'il retirera cet amendement dès que le Gouvernement aura joint à la future loi le projet de loi qu'il a élaboré à ce sujet.

Un autre membre désire savoir si une personne morale peut être tenue pénalement responsable, et dans le cadre de l'association de malfaiteurs, et dans celui des organisations criminelles. Dans ce dernier cas, la chose lui paraît évidente. La responsabilité pénale des personnes morales pourrait constituer un moyen de faire une distinction entre les deux incriminations. Il faudrait en tout cas étudier la question.

On en revient ainsi au débat sur la distinction qu'il y a lieu de faire entre l'association de malfaiteurs et l'incrimination proposée des organisations criminelles. Outre le renforcement de la répression de l'appartenance et de la participation à une organisation criminelle, il existe un autre facteur susceptible de justifier cette distinction, à savoir l'utilisation des méthodes spéciales de recherche.

La commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée a affirmé que la définition légale de la notion d'organisation criminelle crée un point de repère auquel pourront faire référence d'autres législations (doc. Sénat, nº 1-326/7, p. 37 ­ voir annexe I).

Pourra-t-on utiliser les méthodes spéciales de recherche uniquement à l'égard des organisations criminelles ou également à l'égard des associations de malfaiteurs ?

L'intervenant souligne le danger qu'il y a d'adopter un point de vue non nuancé en la matière.

Il ne peut pas imaginer que l'on ne puisse pas appliquer ces méthodes dans le cas d'un enlèvement unique organisé par un seul individu.

Un membre déclare ne pas y voir d'objection. D'ailleurs, en cas d'enlèvement, l'on peut effectuer des écoutes téléphoniques en application de l'article 90ter , § 2, 4º, du Code d'instruction criminelle. En outre, il précise que dans la lutte contre les organisations criminelles, il faudrait pouvoir mettre en oeuvre systématiquement toutes les méthodes spéciales de recherche sans devoir inscrire dans la loi, pour chaque infraction séparément, que l'utilisation de ces méthodes est autorisée.

Un autre membre estime que dans son amendement nº 20, le Gouvernement répond dans une large mesure aux critiques qui ont été formulées après l'adoption du projet de loi à la Chambre. Il a supprimé une série de points dont on avait estimé qu'ils menaçaient la liberté individuelle.

Ensuite, il dit approuver la remarque d'un intervenant précédent concernant l'obligation des pouvoirs publics de garantir la sécurité des citoyens.

Selon lui, il existe quand même une différence claire entre l'infraction d'association de malfaiteurs et l'incrimination des organisations criminelles qui est proposée.

Dans le premier cas, il s'agit d'une criminalité plus traditionnelle, telle que le fait de commettre des hold-ups; elle perturbe certes l'ordre public, mais elle n'a pas la même dimension ni le même impact sur celui-ci que la criminalité organisée, ce qui justifie non seulement une répression plus sévère à l'encontre de celle-ci, mais également l'utilisation des méthodes spéciales de recherche, la responsabilité pénale des personnes morales et, dans certains cas, le renversement de la charge de la preuve.

En ce qui concerne l'incrimination des organisations criminelles, plusieurs membres se sont dits heurtés par la disposition relative au deuxième objectif de l'organisation criminelle. Outre l'objectif premier, qui consiste à chercher à obtenir des avantages patrimoniaux, l'organisation commet en effet des infractions pour « le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques ». C'est précisément cette condition qui inquiète pas mal de personnes, même si elle figure également dans la définition de l'Union européenne, citée ci-dessus. Toutefois, le texte montre qu'à elle seule, cette condition n'est pas suffisante, mais revêt un caractère complémentaire. Pourquoi, dans ce cas, la conserver ?

C. Réponse du ministre de la Justice

Le ministre souligne qu'il convient tout d'abord d'observer que la prévention d'association de malfaiteurs et les nouvelles incriminations qui sont prévues dans l'amendement du Gouvernement relatif aux organisations criminelles recouvrent une réalité sociologique différente. L'association de malfaiteurs avait été créée dans le Code pénal pour permettre l'exercice de poursuites à l'égard de personnes qui s'organisent en bandes pour commettre des crimes ou des délits, qu'ils soient relatifs aux personnes ou aux propriétés. Le Gouvernement a souhaité viser d'une manière particulière des organisations criminelles qui sont beaucoup plus complexes que celles visées au départ par les dispositions concernant les associations de malfaiteurs. Les organisations criminelles sont mieux structurées, étendent leurs ramifications tant sur le plan national que sur le plan international et sont constituées de manière occulte mais en s'intégrant de manière beaucoup plus complète dans la société. Les organisations réellement visées sont les organisations « maffieuses », celles qui sont implantées en Italie par exemple, ou en Russie ou au Japon. L'enquête réalisée sur la criminalité organisée a démontré que toutes ces organisations avaient des activités sur le territoire belge. S'il est exact que tant l'association de malfaiteurs que l'organisation criminelle poursuivent la plupart du temps un objectif d'enrichissement et peuvent commettre les mêmes infractions, l'organisation criminelle se caractérise par une organisation plus étendue, plus structurée, plus permanente et commettant des délits et des crimes de façon plus systématique. L'association de malfaiteurs est plutôt une prévention traditionnellement utilisée pour faire face à une criminalité plus localisée, chacun de ses membres participant à la réalisation de l'infraction. Elle permet d'exercer des poursuites non seulement dans le cadre du crime ou du délit qui est commis, mais également par le fait que ces crimes et ces délits sont perpétrés dans le cadre d'une association, ce qui justifie un alourdissement des peines prononcées.

Dans le cadre de l'association de malfaiteurs, chacun des membres de cette association a une intention personnelle de commettre des infractions ou d'être membre de cette association, alors que dans l'organisation criminelle, on constate la présence d'un nombre important de personnes qui contribuent à l'organisation, sans pour autant avoir l'intention de commettre elles-mêmes des crimes ou des délits qui les rendraient complices de ces infractions.

Il convient également d'observer que chaque pays, en particulier les États membres de l'Union européenne, dispose déjà d'une prévention d'association de malfaiteurs, mais qu'à côté de celle-ci, il a paru nécessaire de définir les organisations criminelles de manière plus précise pour pouvoir les combattre efficacement, à l'aide notamment de méthodes d'investigation particulières. En effet, si une association de malfaiteurs s'exprime d'une manière plus visible et claire, l'organisation criminelle est beaucoup moins apparente et nécessite éventuellement l'utilisation de techniques particulières pour pouvoir l'infiltrer, en repérer les membres et pouvoir les poursuivre devant les juridictions répressives. Il a également été constaté que les membres d'une association de malfaiteurs visent la plupart du temps un enrichissement personnel, alors que les organisations criminelles sont organisées de manière plus hiérarchique, réalisent des profits au bénéfice de leurs dirigeants, plus qu'au bénéfice de leurs participants, qui sont la plupart du temps salariés pour les services qu'ils rendent.

La question se pose également de savoir quelles sont les méthodes d'investigation qu'il convient d'utiliser pour combattre les organisations criminelles. Le fait de pouvoir bénéficier d'une définition des organisations criminelles permet aux pays qui en disposent de viser la même réalité sociologique et de pouvoir décider de l'application de techniques d'investigation particulières communes aux différents pays européens. Ces techniques particulières ne s'avèrent pas nécessaires dans le cas d'une criminalité classique suffisamment combattue grâce aux moyens d'investigation classiques, et réprimée dans le cadre de la prévention d'associations de malfaiteurs. La définition permet également d'envisager des règles spécifiques communes en ce qui concerne par exemple les repentis, les modalités des témoignages ou la protection des témoins, de manière à améliorer la coopération internationale grâce à l'utilisation de règles juridiques compatibles. Il a dès lors paru nécessaire de ne pas toucher à la prévention d'association de malfaiteurs, telle qu'elle existe aujourd'hui et dont l'application et la jurisprudence sont connues.

Cette notion doit subsister dans le cadre actuel, mais il convient de créer une nouvelle prévention plus ciblée sur la grande criminalité organisée, plus établie dans le temps, sans devoir confondre les deux notions et leur appliquer le même traitement sur le plan des techniques d'investigation.

Il faut observer que la technique utilisée de créer deux préventions différentes pour pouvoir recouvrir deux réalités existe déjà dans notre Code pénal (par exemple en matière de corruption, où peuvent se confondre des comportements de corruption passive pour une personne qui se laisserait corrompre en adoptant une attitude non réactive à l'égard du corrupteur, et la prévention de concussion qui suppose une attitude plutôt active du fonctionnaire); un autre exemple concerne la gradation entre l'homicide volontaire, le meurtre et l'assassinat.

Il importe donc de disposer de deux incriminations distinctes plutôt que de raisonner en termes de circonstances aggravantes. Le juge dispose alors du choix d'appliquer la prévention qui lui paraît la mieux adaptée à la situation de fait qui lui est soumise, et qu'il doit justifier en termes de jugement. C'est la raison pour laquelle la définition proposée de l'organisation criminelle décrit de manière plus précise des faits qui ne sont pas nécessairement visés par l'association de malfaiteurs. Il convient de noter la précision relative au nombre de personnes qui doivent constituer l'organisation criminelle (plus de deux); cette précision n'est pas prévue dans le cadre de l'association de malfaiteurs. Il est également prévu que l'organisation criminelle doit être établie dans le temps, alors qu'aucune référence temporelle n'existe dans la prévention d'association de malfaiteurs. Il est également précisé que l'organisation criminelle doit être structurée, que les crimes et les délits doivent être commis de manière concertée et qu'il doit s'agir de faits réellement graves, punissables d'un emprisonnement de trois ans au moins. L'organisation criminelle est également caractérisée par la précision des moyens utilisés pour atteindre les objectifs poursuivis, à savoir l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption, ainsi que le recours à des structures commerciales pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions. La définition de l'association de malfaiteurs ne comporte aucune référence aux moyens utilisés pour commettre les infractions. La définition de l'organisation criminelle est donc beaucoup plus précise; chaque élément de cette définition doit faire l'objet d'une preuve et ces preuves doivent être cumulatives.

L'association de malfaiteurs est une prévention ayant un caractère beaucoup plus général, pour laquelle la charge de la preuve est beaucoup moins exigeante. Il convient enfin de noter que les circonstances des infractions liées aux organisations criminelles sont également décrites d'une manière plus précise et différente de l'association de malfaiteurs.

Pour cette dernière, on vise les individus qui font partie de l'association et ceux qui ont sciemment et volontairement fourni à la bande ou à ses divisions des armes, des munitions, instruments de crime, logement, retraites ou lieux de réunion. Pour les organisations criminelles, on vise non seulement ceux qui font partie de l'organisation criminelle mais aussi ceux qui participent à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de l'organisation criminelle, ceux qui participent à la prise de décisions, et ceux qui dirigent l'organisation. De telles circonstances n'étaient pas prévues pour l'association de malfaiteurs. Il s'agit donc bien de circonstances précises qui donnent au juge des conditions légales plus exigeantes pour le prononcé de la peine, alors que le juge dispose d'une liberté plus grande en appliquant la prévention d'association de malfaiteurs. La nouvelle prévention d'organisation criminelle permet dès lors de mieux cibler, et de réprimer de manière spécifique, et donc plus adéquate, les comportements les plus répréhensibles, ce qui ne permet pas l'utilisation de la prévention d'association de malfaiteurs. On peut donc constater que sur le plan criminologique, il est permis d'exercer une répression plus ciblée à l'égard d'un comportement jugé aujourd'hui dangereux dans le cadre de l'organisation et de la vie en société.

Pour répondre de manière plus précise à diverses questions soulevées par des commissaires, le ministre précise qu'afin d'éviter de traiter à des endroits différents dans le Code pénal de concepts voisins, à savoir l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle, le Gouvernement a suivi la suggestion formulée dans l'amendement de M. Lallemand (doc. Sénat nº 1-662/2, amendement nº 13) de rassembler les deux notions dans le même chapitre. La suggestion de remplacer le titre du chapitre premier a également été suivie (idem ). L'amendement est justifié par la volonté de prendre en compte la jurisprudence de la Cour de cassation qui a fait évoluer la notion d'association de malfaiteurs dans un sens plus large, englobant de nouveaux concepts criminologiques, tels que par exemple les atteintes à l'environnement, le trafic de déchets. Dans la définition de d'organisation criminelle, le Gouvernement a choisi de se rapprocher le plus possible de l'article premier de l'action commune élaborée par l'Union européenne, avec cependant quelques différences, telles que le seuil de gravité, fixé à trois ans plutôt qu'à quatre ans d'emprisonnement. La peine de trois ans est, en effet, dans notre Code pénal, un seuil plus pertinent que la peine de quatre ans, qui n'y figure nulle part.

En réponse à plusieurs sénateurs, le ministre précise que le fait de mentionner le détournement d'autorités publiques comme condition cumulative aux avantages patrimoniaux, n'est en effet pas indispensable. Le Gouvernement estimait toutefois qu'il était utile d'attirer l'attention des praticiens sur une méthode fréquemment utilisée par les organisations criminelles, et visant à infiltrer les autorités publiques en vue d'obtenir ensuite plus facilement des avantages patrimoniaux; il en est d'autant plus ainsi que la définition de l'Union européenne reprend également l'influence sur le fonctionnement des autorités publiques.

La différence la plus fondamentale avec la définition de l'Union européenne reste la mention des moyens utilisés pour atteindre l'objectif poursuivi, ce qui permet de mieux clarifier le concept d'organisation criminelle. En outre, cet ajout n'est pas non plus contraire à la définition prônée par l'Union européenne dans le cadre de l'action commune.

En effet, à ce sujet, la délégation belge s'était expressément réservé le droit de faire une déclaration dans ce sens lors de l'adoption de l'action commune.

Le Gouvernement n'a pas pu se rallier à la suggestion d'un sénateur de ne viser que les délits mentionnés à l'article 90ter du Code d'instruction criminelle. Cette énumération paraît en effet trop limitative et ne permet pas de qualifier d'organisations criminelles des organisations qui se livreraient d'une manière systématique à des vols, des extorsions ou des infractions de nature commerciale, qui sont pourtant fréquemment utilisés par les organisations criminelles et maffieuses pour réaliser des profits.

Le Gouvernement est également conscient de la nécessité de disposer en Belgique d'une incrimination permettant de sanctionner pénalement les personnes morales. C'est la raison pour laquelle un projet de loi en cette matière a été approuvé par le Gouvernement et soumis au Conseil d'État; il semble en effet indispensable que les personnes morales puissent être poursuivies comme toute autre personne, non seulement dans le cadre des organisations criminelles, mais également dans le cadre des associations de malfaiteurs. Cette condition indispensable correspond d'ailleurs aux constatations faites dans les autres pays de l'Union européenne, qui partagent également ce point de vue.

En ce qui concerne le dol, prévu à l'article 324ter (voir amendement nº 20 du Gouvernement, doc. Sénat nº 1-662/3), qui reprend les termes « volontairement et sciemment », le Gouvernement n'a fait que reprendre les termes figurant à l'article 324 actuel du Code pénal concernant l'appartenance à une association de malfaiteurs. La mention de ces termes vise donc à assurer la parallélisme entre les deux notions. Pour lever toute ambiguïté, le Gouvernement a mentionné spécifiquement aux paragraphes 2 et 3 de l'article 324ter en projet, qu'une condition de l'incrimination devait être le fait de savoir que la participation contribue aux objectifs de l'organisation criminelle. Cette condition va plus loin que le dol général, puisqu'elle implique non seulement la connaissance du caractère d'organisation criminelle de l'organisation, mais également la connaissance du lien existant entre l'acte de participation qui a été accompli et les objectifs de l'organisation.

En conclusion, le ministre précise que le texte proposé correspond à une approche plus réaliste du phénomène des organisations criminelles, qui n'étaient pas prises en compte dans notre Code pénal. Il s'agit de permettre l'incrimination de comportements particuliers qui se manifestent dans le cadre d'une organisation criminelle et cela d'une manière précise, tout en évitant de permettre une utilisation détournée de la loi qui viserait à exercer des poursuites pénales à l'égard d'une organisation qui exerce légitimement des activités à caractère social ou politique, par exemple. Le texte actuel, ainsi que les précisions quant au dol et aux moyens utilisés par ces organisations criminelles, doivent lever toute ambiguïté à cet égard.

D. Répliques des membres

Un sénateur évoque une question déjà soulevée précédemment. Si, dans le cadre d'un groupe d'action politique, plusieurs personnes se mettent d'accord pour occuper un carrefour quelque part dans le pays, cela relève-t-il de l'article 322 tel qu'il est maintenant récrit ? Ces personnes pourraient ainsi être poursuivies du chef d'association de malfaiteurs, même dans l'hypothèse où elles n'occuperaient finalement pas le carrefour. Le simple fait de passer un accord constitue-t-il un délit ou non ? Ce type d'action relève-t-il de l'article 322 et, dans la négative, pourquoi ?

Le ministre rappelle les raisons fondamentales du projet, qui visent à prendre en compte une réalité sociologique. L'objection soulevée consiste à dire que la prévention d'organisation criminelle n'est pas vraiment nécessaire, vu que toutes les infractions peuvent tomber sous l'application de l'association de malfaiteurs. Toutefois, à partir du moment où l'organisation criminelle et les actes de participation à cette organisation sont définis différemment, la portée de l'association de malfaiteurs est réduite. Le but est d'avoir un traitement particulier pour les organisations criminelles, une autre définition, d'autres conditions juridiques et des techniques différentes pour les poursuivre. L'objectif est utilitaire; il existe une volonté de se montrer plus efficace et de rentrer dans une réalité sociologique qui ne correspond pas au concept de l'association de malfaiteurs.

En ce qui concerne l'exemple cité par le précédent intervenant, le ministre souligne que le risque que court l'association politique n'est pas aggravé par la définition de l'organisation criminelle. Le risque est exactement le même aujourd'hui.

Un membre confirme que la portée du concept d'association de malfaiteurs, qui est énorme, pose un problème majeur. À l'heure actuelle, la jurisprudence et la doctrine visent unanimement à donner à ce concept une extension maximale; même un délit en matière d'environnement peut tomber sous l'application de cet article.

Un autre membre est d'avis que la nouvelle définition du concept d'organisation criminelle vide de sa substance la définition actuelle de l'association de malfaiteurs, qui lui semble pourtant correspondre à une réalité sur le plan sociologique et politique. Dans la définition existante de l'association de malfaiteurs, l'objectif de porter atteinte aux personnes ou aux propriétés est clairement indiqué. Cet objectif ne lui semble pas défini dans la nouvelle définition de l'association de malfaiteurs. On se base uniquement sur la matérialité du fait. Le but n'est pas mentionné, il suffit de commettre des crimes ou des délits. Cette définition lui semble plus générale que la définition actuelle.

L'intervenant suivant souligne les éléments positifs de l'intervention du ministre et formule les observations suivantes.

Premièrement, il note que le Gouvernement accepte de supprimer les mots « le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques » (voir le sous-amendement nº 26 de M. Erdman à l'amendement nº 20 du Gouvernement, doc. Sénat, nº 1-662/3).

Deuxièmement, il tient à réagir à la remarque selon laquelle l'énumération des crimes et délits au sens de l'article 90ter ne couvre pas certaines choses. Il n'est pas convaincu que l'exemple cité du vol à l'étalage ou du vol domestique puisse être considéré comme relevant de la criminalité grave. Par contre, il serait logique (voir également le projet de loi Franchimont) que le Gouvernement propose d'inclure les vols graves à l'article 90ter. Sa motivation a été que le législateur a énuméré les cas de criminalité grave et de délits graves précisément pour permettre les écoutes. Sinon, on peut dire que la peine maximale ne sera jamais infligée, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

Troisièmement, l'intervenant se réjouit de l'incrimination des personnes morales. Il aimerait cependant connaître la réaction du Gouvernement à son amendement (doc. Sénat, nº 1-662/2, amendement nº 3), déposé en attendant que l'incrimination des personnes morales soit réalisée.

Il revient ensuite sur le point litigieux soulevé par un sénateur, qui trouve en fait son origine dans l'amendement de M. Lallemand (doc. Sénat, nº 1-662/2, amendement nº 13).

Tout d'abord, la jurisprudence va dans le sens d'une extension des concepts tels qu'ils figurent littéralement aujourd'hui dans le texte de l'article 322; elle les a élargis interprétés, leur a donné un contenu. M. Lallemand consacre conceptuellement cette interprétation dans la loi. Mais on n'en reste pas là. On ne consacre non seulement cette jurisprudence, qui pourrait un jour être modifiée et que l'on pourrait éventuellement contrôler, mais on introduit aussi la notion d'organisation criminelle.

Il se pourrait qu'en fait d'association de malfaiteurs, la jurisprudence se fasse plus restrictive, si elle constate qu'avec l'organisation criminelle, elle dispose dans l'arsenal légistique d'une arme lui permettant d'atteindre ceux qu'elle veut actuellement toucher dans le cadre de l'association de malfaiteurs. On consacre de la sorte une jurisprudence avant de pouvoir la confronter à la nouvelle incrimination.

En deuxième lieu, on ouvre la voie à une nouvelle extension éventuelle.

En troisième lieu, on dit explicitement que l'organisation criminelle est organisée de manière durable, ce qui implique que l'association de malfaiteurs peut aussi être occasionnelle, et donc que dès l'instant où une organisation réalise les objectifs visés aux nouveaux articles 323 et 324, mais pas de manière durable, elle relève automatiquement de l'association de malfaiteurs. On aboutit ainsi à une fusion des deux notions.

Au vu de ces arguments, l'intervenant préconise de ne pas toucher à l'article 322. Il lui paraît opportun d'introduire un concept précis d'organisation criminelle, de comparer les éléments constitutifs et de souligner clairement les différences. Compte tenu de cela, le membre demande au Gouvernement de retirer son amendement à l'article 322.

Un précédent intervenant se déclare très préoccupé par la problématique de la comparaison des notions d'association de malfaiteurs et d'organisation criminelle. L'intervenant précise que l'amendement nº 13 avait surtout pour but de contraindre à ce débat et de comparer ces deux notions. Il lui semble en effet impossible de réglementer l'organisation criminelle sans évoquer la jurisprudence sur l'association de malfaiteurs. Une complémentarité lui semble nécessaire.

L'intervenant est d'avis que l'objectif poursuivi devrait également être mentionné dans la notion de l'association de malfaiteurs. Il ne lui semble pas logique de prévoir la recherche d'avantages matériels pour l'organisation criminelle, et de ne pas l'exiger pour l'association de malfaiteurs. Le commissaire est d'avis que la réforme actuelle a sans doute un impact sur la notion d'association de malfaiteurs et que les deux notions doivent donc être resituées l'une par rapport à l'autre. La première condition de pénalisation de l'association de malfaiteurs lui semble être la recherche d'avantages matériels, tel que cela est proposé pour l'organisation criminelle. Un parallélisme lui semble donc nécessaire. L'intervenant est disposé à retirer la première partie de son amendement, sous réserve de déposer un autre amendement afin d'introduire l'objectif en question dans l'association de malfaiteurs.

Un membre estime qu'il est faux de prétendre qu'un crime ou un délit existe par sa seule organisation. L'on ne peut pas dire que la définition constitue une infraction ou un délit. Le Gouvernement avait commis cette erreur dans son premier concept.

Le précédent intervenant est d'avis que tous les faits qui sont condamnables du chef d'organisation criminelle, le sont aussi du chef d'association de malfaiteurs. Il ne lui semble pas y avoir d'exceptions. Peut-être existe-t-il des techniques différentes, des méthodes spéciales de recherche qui ne sont applicables que dans le cas de l'organisation criminelle.

Le ministre déclare que la volonté du Gouvernement n'est pas de toucher à la notion d'association de malfaiteurs. Le Gouvernement estime que la manière dont cette notion est appliquée aujourd'hui est satisfaisante; il n'a aucune objection à revenir au texte initial.

Un membre affirme, sans en démordre, qu'il existe une nette différence entre la qualification d'association de malfaiteurs et celle d'organisation criminelle. Selon lui, l'amendement proposé par le Gouvernement semble mettre en évidence cette distinction selon laquelle les activités de l'association de malfaiteurs se dérouleraient donc davantage en bande, tandis que l'article 324bis proposé vise l'association structurée qui tente d'obtenir des avantages patrimoniaux. Étant donné que la notion d'organisation criminelle n'existe pas à ce jour, la jurisprudence a essayé d'intégrer cette situation de fait dans la notion d'association de malfaiteurs. Si, toutefois, la notion d'association de malfaiteurs suffit, l'intervenant se demande pourquoi l'on critique tellement l'absence d'incrimination des situations existantes, par exemple l'acte préparatoire.

Il est convaincu qu cette définition de l'organisation criminelle n'a pas été insérée pour toucher les organisations politiques.

Le membre souligne d'ailleurs que la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée a aussi déclaré qu'il devait y avoir une définition pénale de la criminalité organisée.

Un autre membre cite quelques cas tirés de la jurisprudence, qui démontrent bien l'extension que celle-ci donne à l'association de malfaiteurs.

Un jugement rendu le 3 octobre 1995 par le tribunal de Bruxelles stipule que « les infractions prévues aux articles 322 supposent la réunion volontaire et consciente de plusieurs personnes sous la forme d'un groupe organisé en vue de commettre des crimes et des délits contre les personnes et les biens ».

La doctrine écrit à propos de la notion d'association de malfaiteurs : « il faut l'existence d'un groupement, l'organisation du groupement, le but de porter atteinte aux personnes et propriétés; en ce qui concerne l'existence d'un groupement, il faut admettre une bande, une bande de trois personnes peut suffire » (voir la doctrine et la jurisprudence citées dans le premier rapport de la commission d'enquête, doc. Sénat, nº 1-326/7, p. 48 ­ annexe I).

En ce qui concerne l'organisation il est précisé qu'elle constitue un élément essentiel de l'infraction; à défaut de sa constatation, la condamnation serait nulle.

L'intervenant conclut que la définition d'association de malfaiteurs donnée par la jurisprudence et la doctrine, est pratiquement la même que la définition de l'organisation criminelle, donnée par le projet de loi. Il est donc important de s'interroger sur les incidences d'une définition de l'organisation criminelle sur la notion d'association de malfaiteurs.

Un membre demande si cela signifie que le préopinant souhaite que l'on supprime l'article 322 pour le remplacer par l'amendement du Gouvernement.

Le précédent intervenant répond par la négative. Il souhaite cependant que l'article soit modifié.

Un sénateur déclare qu'il se gardera bien d'affirmer que l'objectif du Gouvernement est de rendre tout le monde « criminalisable ». Il ne faut partout pas perdre de vue le résultat que pourrait avoir le projet à l'examen. Il serait dangereux que n'importe quelle action sociale quelque peu radicale devienne punissable.

Voilà pourquoi l'intervenant propose de conserver le texte de l'article 322 proposé par le Gouvernement et d'y ajouter expressément que les organisations politiques et sociales ne sont pas visées, même lorsqu'elles commettent un délit. Un délit est en effet toujours punissable. Ainsi élimine-t-on, selon lui, tout problème d'interprétation. Sinon, l'organisation Greenpeace , par exemple, pourrait être considérée comme une association de malfaiteurs à la suite d'une action visant à paralyser le trafic.

Un membre propose de supprimer la définition proposée et d'insérer l'objectif, à savoir l'obtention d'avantages patrimoniaux illicites, dans l'article 322 tel que formulé dans l'amendement du Gouvernement.

Le ministre rappelle que les éléments de la définition proposée sont les avantages patrimoniaux, et, le cas échéant, le détournement du fonctionnement d'autorités publiques, ainsi que les méthodes employées.

Un membre souligne qu'il importe de connaître les éléments constitutifs des deux définitions. On pourra donc compater les deux qualifications en connaissance de cause et déterminer ce qui les différencie essentiellement et comment on passe de l'une à l'autre. Il faut aussi définir clairement, notamment pour l'avenir, l'interprétation à donner à ce nouveau texte.

Pour un autre membre, il ne sera pas si simple de délimiter les élements constitutifs de l'association de mafaiteurs, d'une part, et de l'organisation criminelle, d'autre part. Il est d'avis que le délit d'association de malfaiteurs est un élément du délit d'organisation criminelle. Si on peut prouver qu'il y a organisation criminelle, on pourra vraisemblablement toujours démontrer aussi qu'il y a association de malfaiteurs, alors que l'inverse n'est pas vrai. Le membre plaide dès lors pour que l'on conserve la définition de l'organisation criminelle et que, s'il faut éventuellement renoncer à quelque chose, ce soit à la définition de l'association de malfaiteurs. La jurisprudence s'est effectivement efforcée d'étendre la définition d'association de malfaiteurs, mais cela ne signifie pas que l'on n'ait pas besoin d'autre chose. Une définition des organisations criminelles lui paraît indispensable.

Le ministre rappelle que le concept d'association de malfaiteurs vise plutôt le banditisme ordinaire. L'organisation criminelle couvre une autre réalité, qui n'existait pas auparavant. Elle doit dès lors recevoir une autre qualification pénale. Il ne partage pas l'avis d'un membre qui propose de supprimer l'association de malfaiteurs. Celle-ci ne vise que des personnes qui se mettent ensemble pour commettre des délits. L'organisation criminelle est nettement plus ciblée, plus limitée, et rencontre un autre phénomène criminologique.

Un membre souligne qu'il n'est pas nécessaire, à son avis, de supprimer une des deux défintions, mais si on devait le faire, il lui semble préférable que ce soit celle d'association de malfaiteurs. Il perçoit une différence effective entre ces deux notions, mais elle est difficile à exprimer.

M. Lallemand annonce son intention de retirer son amendement nº 13. La jurisprudence a étendu le concept d'association de malfaiteurs, à raison de l'absence d'une définition de l'organisation criminelle. La question est de savoir ce qu'elle va faire, en présence d'une notion plus large et plus précise. Vat-elle restreindre l'extension de l'association de malfaiteurs ?

Un membre se rallie aux propos des intervenants précédents. Si quelqu'un fait partie d'une organisation criminelle, il peut inévitablement être incriminé sur la base de la qualification d'association de malfaiteurs. L'inverse n'est pas nécessairement vrai.

L'organisation criminelle est l'aggravation de l'association de malfaiteurs.

Un autre membre souligne que les éléments constitutifs des deux notions sont différents et interdisent de transposer toute association de malfaiteurs comme organisation criminelle. L'intervenant rappelle sa question concernant la dissolution des personnes morales.

Le ministre précise qu'un projet de loi sur la responsabilité des personnes morales est soumis au Conseil d'État depuis le mois de juillet. Ce projet aboutit à la même conclusion que l'amendement nº 3 de M. Erdman. Lorsque la personne morale est condamnée pénalement, il faut pouvoir la dissoudre.

Un membre en déduit que le Gouvernement approuve cet amendement.

Un autre membre conclut que la discussion générale a mis en évidence la problématique du concours des deux notions. La volonté du Gouvernement est de ne pas étendre la notion d'association de malfaiteurs ou de permettre une extension supplémentaire; le projet vise à centrer l'attention de la justice sur les organisations maffieuses qui ont une structuration spécifique, et à les combattre. Il lui semble qu'une unanimité au sein de la commission existe pour suivre le Gouvernement; le problème est le malaise quant à la possibilité de passer d'une notion à une autre.

Un membre a le sentiment que la majorité des membres de la commission admet le maintien de la distinction entre les deux délits.

Un autre membre estime que la confusion provient de l'actuel article 322 et du fait que la jurisprudence et la doctrine ont été contraintes de s'adapter à des formes modernes, plus spécifiques, de criminalité. On veut à présent élaborer un concept tout nouveau de criminalité organisée, mais il existe déjà dans la jurisprudence et la doctrine une certaine définition qui est très proche de ce que l'on souhaite instaurer aujourd'hui. L`intervenant pense qu'il faut conserver la notion d'association de malfaiteurs telle qu'elle a été définie au siècle dernier; la doctrine et la jurisprudence évolueront et des faits qui relèvent actuellement de la disposition pénale de l'article 322 ressortissent désormais à l'organisation criminelle.

L'intervenant suivant fait une comparaison avec la violence envers les personnes, sanctionnée par le Code pénal. Il existe là aussi des qualifications diverses, à savoir les coups et blessures involontaires, les coups et blessures volontaires, les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort, le meurtre et l'assassinat. Il ne vient à l'idée de personne de supprimer une de ces qualifications. Selon l'intervenant, on peut donc considérer semblablement que l'incrimination d'association de malfaiteurs et celle d'organisation criminelle sont nécessaires l'une comme l'autre.

Un membre réitère sa question au sujet des éléments constitutifs des deux délits, sachant que toutes les organisations criminelles seront aussi des associations de malfaiteurs (l'inverse n'étant pas vrai). De même que tout assassinat est aussi, en tout état de cause, un cas de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort. Il conviendra ensuite de régler des questions telles que les techniques policières spéciales, l'appartenance, etc.

Le ministre est d'avis qu'il est possible d'énumérer les éléments constitutifs des deux délits. Il faudra cependant tenir compte de tous les éléments de la jurisprudence. Les éléments constitutifs ont évolué, une multitude de conditions se sont ajoutées afin d'adapter la notion aux exigences de la réalité.

Un membre n'est pas convaincu qu'il faille incorporer tous les éléments de la jurisprudence, car celle-ci ne s'est développée qu'en raison du fait que l'article 322 n'a pas été adapté. Si on insère un article 324bis nouveau, on pourrait se contenter de ne reprendre que les éléments initiaux comme éléments constitutifs de l'association de malfaiteurs.

Un autre membre se rallie à ces propos. Par la comparaison, il faudrait pouvoir redéfinir l'ajustement des notions. Ceci permettra de rétablir une cohérence et une délimitation entre les deux notions.

Un autre membre ne peut pas marquer son accord sur un texte qui ne mentionne pas l'intention ou l'objectif de l'association de malfaiteurs (article 322).

La commissaire craint que ce ne soit surtout le menu fretin qui sera touché. Le chauffeur du maffioso qui dirige l'organisation sera condamné, même s'il n'a pas l'intention de commettre une infraction.

Le ministre précise que la volonté n'est pas seulement de toucher l'organisation en tant que telle. Une organisation ne peut être déstabilisée qu'en touchant les gens qui gravitent autour d'elle. Il faut que toutes ses composantes soient touchées, et non pas seulement les têtes de l'organisation, qui peuvent être rapidement remplacées.

Un autre membre demande quelle est la position du conseiller juridique de ce type d'organisation. Dans la plupart des cas, ces conseillers font également de la défense préventive (rédaction de statuts, etc.).

Qui de celui qui conseille ou défend une organisation criminelle ? S'agit-il là de « participation » au sens de la loi ?

Le ministre renvoie au débat mené dans le cadre de la loi sur le blanchiment. La question était de savoir si un avocat, sachant qu'il est rémunéré avec de l'argent provenant d'un crime ou d'un délit, peut faire l'objet de poursuites.

En l'occurrence, le conseiller juridique est visé au paragraphe 2 de l'article 324ter , par les mots « une personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite », sous condition qu'elle sache que sa participation contribue aux objectifs de l'organisation.

Il ne suffit donc pas d'établir une participation à la réalisation ou à la préparation de l'activité, mais il faut également prouver que le conseiller sait que sa participation contribue aux objectifs de l'organisation. Dans ce cas, il peut être puni.

Ceci ne concerne pas, bien entendu, l'exercice de la défense en justice proprement dit.

Un commissaire renvoie à une situation analogue dans le domaine médical. Le médecin sollicité par un individu présentant une blessure par balle ne sera pas poursuivi pour avoir enlevé celle-ci, alors que le pays tout entier est à la recherche d'un suspect en fuite blessé par balle. Il s'agit d'assistance à la personne en tant que telle. Toutefois, il en va différemment si un individu est recherché et qu'il demande à un spécialiste de la chirurgie plastique de modifier son apparence physique. On pourrait estimer que ce chirurgien prête son concours à l'organisation criminelle. L'intervenant conclut que ces règles peuvent être appliquées mutatis mutandis à toutes les professions de service. L'avocat qui défend un criminel après les faits n'entre évidemment pas en considération. La distinction dépend de l'intention et de la question de savoir où l'intervention se situe dans l'ensemble du contexte.

Un autre commissaire revient sur le danger que recèlent les mots « alors qu'elle sait ». Il souligne que l'on se trouve dans un système où l'administration de la preuve peut se fonder sur des indices, sur la conviction du juge. Il renvoie au recel, pour lequel la connaissance de l'origine délictueuse du bien a été à ce point élargie par la jurisprudence que l'on en arrive finalement à la qualification « devait savoir ».

Quelle finalité poursuit-on par les mots « alors qu'elle sait » ? Veut-on les situer dans le cadre de l'administration de la preuve par conviction, où, en définitive, des éléments de fait démontreraient que l'intéressé devait savoir, ou doit-on faire la démonstration par les éléments de fait et fournir la preuve qu'il savait ? La différence est fondamentale. L'intervenant évoque le danger qui guette l'avocat débutant qui reçoit des hommes d'affaires très importants pour élaborer une construction sur le plan commercial.

Il est dès lors partisan d'insérer, dans les trois premiers paragraphes de l'article 324ter les mots « sciemment et volontairement », ce qui correspond à une interprétation connue dans le Code pénal, étayée par une très large jurisprudence.

Un membre souhaite des explications sur le paragraphe 2 de l'article 324 proposé, notamment en ce qui concerne les mots « qui participe à la préparation ou à la réalisation ». L'acte préparatoire est donc condamné de la même façon que la réalisation elle-même, ce qui ne semble pas usuel dans notre droit.

Le ministre précise qu'il s'agit en l'occurrence d'un acte licite.

Un commissaire déclare qu'il y a des années que l'on discute de la question de savoir si on doit pouvoir punir les personnes participant à certaines activités qui ne sont pas en soi répréhensibles, mais qui déboucheront plus tard sur des actes punissables. C'est la finalité de la criminalité organisée. Sans l'acte préparatoire, on n'en serait pas non plus arrivé à l'exécution. Et c'est précisément de cela qu'il s'agit.

Un autre membre souligne l'ajout des mots « sciemment et volontairement ». Ceci est un élément essentiel.

Un membre s'interroge sur la définition du mot « préparatoire ».

Le ministre souligne qu'il ne faut pas perdre de vue que chacun des éléments de l'infraction doit faire l'objet d'une preuve. Cette preuve est extrêmement difficile à rapporter, notamment quand il s'agit de prouver la connaissance. Les actes préparatoires tels que la rédaction, par un conseiller, des statuts d'une société destinée à blanchir de l'argent, peuvent être poursuivis. Le juge appréciera au cas par cas.

Un membre cite un autre exemple. Une personne qui commet un délit demande à un avocat quel est le meilleur moyen d'entraver le déroulement de l'enquête relative à ce délit. L'avocat demande le dessaisissement dans le seul but d'entraver le déroulement de l'enquête. Cet acte peut-il aussi relever de la participation ?

Un autre membre s'interroge encore sur la dernière phrase de l'article 324bis : « en utilisant l'intimidation ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour ... ». En effet, l'on ne voit pas, selon lui, sur quoi porte exactement le premier « ou ». Doit-on considérer que l'on n'aura recours à des structures commerciales ou autres que pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions ou bien l'usage de l'intimidation, de la menace, de la violence des manoeuvres frauduleuses, et de la corruption porte-t-il aussi sur la dissimulation des infractions ? Ne serait-il dès lors pas préférable de supprimer le mot « ou » ?

Le ministre répond par la négative. Cette disposition vise à décrire les moyens les plus usuels. Ceux-ci ne sont pas cumulatifs.

Un membre pose ensuite une question sur le renvoi à l'article 326 qui prévoit une cause d'excuse. Peut-on également conserver cet article pour ce qui est de la criminalité organisée ou n'est-il valable que pour l'ancienne notion d'association de malfaiteurs ?

Un autre membre répond que l'article 326 est clair et ne laisse la place à aucune confusion.

Le ministre se rallie à ces propos. L'intention est d'adapter ultérieurement cet article. L'article 326 s'appliquera aux deux délits.

Le préopinant conclut que le texte proposé est satisfaisant et tient compte de l'avis rendu par la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée (cf. annexe I) sur les organisations criminelles. La seule chose qui fasse défaut est une définition dans la loi sur la fonction de police.

L'amendement du Gouvernement constitue, à son avis, un progrès dans l'optique de la réglementation ultérieure des spéciales d'enquête. Il est convaincu que l'objectif de ce texte n'est pas de s'attaquer aux organisations politiques.

Une membre peut se rallier à ces considérations, en ce sens qu'elle ne pense pas non plus que le Gouvernement ait l'intention perverse de poursuivre des organisations sociales ou politiques, qui veulent faire pression et utilisent des moyens sanctionnés en tant que délits. Elle craint toutefois que la définition proposée ne s'applique presqu'inévitablement à ce type de délits. Elle plaide pour le maintien d'un État démocratique, et souligne le risque de poursuites systématiques, dans un moment de tension important, de ceux qui participent à des organisations sociales et politiques et se trouvent impliqués dans ce type de délits.

Le préopinant souligne que le détournement du fonctionnement d'autorités publiques ne constitue qu'une partie de l'incrimination. Les organisations sociales en question peuvent avoir pour mobile de détourner le fonctionnement d'autorités publiques, mais elles ne commettront pas simultanément des délits leur procurant des avantages patrimoniaux. Il doit y avoir conjonction de ces deux éléments, ils sont cumulatifs. Aussi peut-il se rallier au texte proposé.

On cite l'exemple d'une organisation syndicale qui organise une grève pour obtenir des améliorations de salaire.

Un membre est d'avis que cette situation n'est pas visée par la disposition. L'augmentation du salaire sera en effet la résultante d'une décision consécutive, d'un contrat, et sortira du contexte de la manifestation.

Une sénatrice veut réagir par rapport aux propos d'un précédent orateur. Il lui semble en effet voir un net progrès dans la version actuelle de la disposition proposée. Il lui semble également que l'intention du Gouvernement ne doit pas être mise en cause. Ce qui importe toutefois, c'est de rédiger un texte de loi clair et non ambigu, pour que les libertés démocratiques et individuelles et les droits de l'homme ne soient pas mis en péril par une formulation trop extensive; elle est d'avis qu'il faut être extrêmement prudent.

Un membre soulève une question de droit. Qu'en est-il de celui qui participe à une activité illicite (voir § 2) et qui n'est pas membre de l'organisation ? Ne peut-il pas être poursuivi du chef de sa participation à une organisation criminelle ? Ne faut-il pas indiquer « licite ou illicite » ? Le texte ne semble pas cohérent.

Le ministre précise que le mot licite figurait dans le texte de départ. Un amendement déposé à la Chambre a supprimé ce mot, du fait que l'activité illicite est déjà condamnable du fait de l'infraction.

Un membre souligne que l'interprétation jurisprudentielle est par nature évolutive. Il se réfère à l'extension progressive qui a été donnée à la notion d'association de malfaiteurs, dans la jurisprudence et dans la doctrine. Il importe donc de lever toute ambiguïté. Il cite l'exemple du mouvement associatif qui bloque les autoroutes en France pendant 15 jours. À l'occasion du blocage des autoroutes, il y a, à chaque fois, rébellion contre les forces de l'ordre.

Le ministre rappelle qu'en droit pénal, chaque élément d'une définition ou d'une incrimination doit se vérifier dans les faits. Il ne lui semble dès lors pas possible qu'une organisation syndicale ou politique puisse rentrer dans une telle définition. Il faut que toutes les conditions soient remplies. L'association doit être structurée dans le temps et l'objectif indiqué dans la loi doit être poursuivi.

Un syndicat devrait donc, pour être considéré comme une organisation criminelle, être constitué en vue de commettre des délits de manière concertée. Cela lui semble impossible.

Un membre se rallie à ces propos. Il serait toutefois peut-être utile d'ajouter le mot illicite aux « avantages patrimoniaux ». Une augmentation de salaire n'est pas une revendication illicite.

Le ministre fait observer qu'une augmentation salariale résulte d'une décision politique ou administrative d'une autorité qui s'est laissée convaincre. Ces avantages ne peuvent pas être le produit de l'infraction elle-même.

Une sénatrice précise que ses inquiétudes portaient beaucoup plus sur l'article 322, l'association de malfaiteurs restant très indéfinie, que sur la définition des organisations criminelles. Elle garde toutefois des craintes au vu de ce que devient l'économie mondiale et au vu des choses qui se préparent (voir notamment l'accord multilatéral sur les investissements, où les sociétés multinationales se donnent tous pouvoirs par rapport aux États). Il faut une définition plus précise, sinon on risque une utilisation perverse de la définition.

V. AUDITION DE M. PAUL PATAER, PRÉSIDENT DE LA « LIGA VOOR MENSENRECHTEN » ET DE MME FRANÇOISE TULKENS, PRÉSIDENTE DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME

A. Observations de la « Liga voor Mensenrechten » relatives aux amendements du Gouvernement au projet de loi relatif aux organisations criminelles

« Les considérations suivantes sont formulées à la lumière d'une série d'articles de la C.E.D.H., à savoir l'article 6 (le droit à un procès équitable), l'article 7 (la nécessité d'avoir des lois pénales claires) et l'article 8 (le droit au respect de la vie privée).

La Ligue réitère son doute fondamental quant à la nécessité d'une nouvelle incrimination distincte visant les « organisations criminelles ». La Ligue souligne le danger de voir cette nouvelle incrimination servir à légitimer des formes illégales ou à peine légales de recherche policière proactive, qui sont difficilement contrôlables.

La Ligue soutient cependant toute initiative législative visant à améliorer l'efficacité de la lutte contre la grande criminalité et à faire reculer cette dernière; elle se dit convaincue qu'il s'agit là d'un des objectifs du projet déposé par le Gouvernement.

La Ligue considère toutefois qu'il est de son devoir de veiller à ce que cette nouvelle législation ne soit pas utilisée de manière abusive en vue de limiter les moyens d'action des mouvements qui se font l'expression de critiques politiques et sociales.

En ce qui concerne les amendements précités du Gouvernement, et plus précisément l'amendement nº 18, la Ligue souhaite formuler les observations suivantes :

1. La Ligue se réjouit qu'en tout cas ces amendements n'insèrent pas de nouveau chapitre dans le Code pénal et que les initiatives législatives du Gouvernement s'intègrent dans le chapitre 1er existant du titre VI du livre II du Code pénal.

2. La nouvelle formulation proposée pour l'article 322 du Code pénal est de mauvais aloi. Bien qu'elle se rende compte qu'en adoptant cette nouvelle formulation, le Gouvernement entend donner un cadre légal à la jurisprudence qui a conduit à donner une interprétation large à l'actuel article 322, la Ligue préconise de ne pas modifier l'article existant. Le danger est en effet grand de voir appliquer l'article ainsi modifié à des « crimes et délits » commis par des associations ayant pour but premier d'exercer une influence politique ou sociale, alors que telle ne semble pas être l'intention du Gouvernement (voir la justification de l'amendement nº 18). La Ligue propose donc concrètement de laisser en l'état l'actuel article 322 du Code pénal.

3. Selon la Ligue, l'article 324bis proposé devrait préciser les objectifs que le législateur associe aux organisations criminelles. On n'aperçoit pas distinctement dans le texte en projet si ces organisations doivent avoir pour but de commettre certains crimes et délits ou d'obtenir des avantages patrimoniaux, etc. Selon la Ligue, il est indiqué de mieux faire apparaître dans le texte que la commission de crimes et délits constitue pour les organisations en question un moyen de poursuivre leur véritable objet (à savoir l'obtention d'avantages patrimoniaux).

4. La Ligue émet une objection concernant l'utilisation des mots « établie dans le temps ». Le Gouvernement préfère manifestement cette tournure à l'expression « formée de manière durable », que l'on retrouve dans l'amendement de M. le sénateur Lallemand (amendement nº 13). Selon la Ligue, l'expression « formée de manière durable » offre l'avantage d'être claire, tandis qu'une organisation « établie dans le temps » peut, au pied de la lettre, avoir une durée de vie très courte. Pour pouvoir parler d'une organisation criminelle structurée, il faut en tout cas qu'elle ait une certaine durabilité.

5. La Ligue ne juge pas opportun de continuer à parler, dans l'article 324bis proposé, de « crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave ». Cette formulation implique une application large de cet article du droit pénal, alors que tel n'est sans doute pas le propos. La Ligue suggère d'adopter l'amendement de M. le sénateur Lallemand (amendement nº 7) proposant de faire référence à l'article 90ter du Code d'instruction criminelle et visant ainsi les crimes et délits que le législateur a jugé suffisamment graves pour autoriser l'écoute téléphonique.

6. La Ligue constate que le projet de loi initial tel qu'il a été transmis par la Chambre au Sénat, disposait encore « obtenir illicitement des avantages patrimoniaux » alors que l'article 324bis proposé à présent ne parle plus que « d'obtenir des avantages patrimoniaux ». Dans la justification de son amendement, le Gouvernement n'a pas expliqué pour quelle raison il avait supprimé le mot « illicitement ». La Ligue propose dès lors de conserver la formulation initiale du projet ou de reprendre les mots « avantages patrimoniaux illicites » de l'amendement nº 13 de M. le sénateur Lallemand.

7. L'observation la plus fondamentale de la Ligue porte sur le maintien des mots « et le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques ». L'ajout des mots « le cas échéant » dans le texte approuvé par la Chambre, n'est pas de nature à lever ni même à atténuer l'objection fondamentale de la Ligue à l'encontre de ce texte. La Ligue constate que ces termes ont été repris presque littéralement du projet d'action commune adopté par le conseil des ministres européen (J.A.I.) du 5 décembre 1997, sans motivation claire. La Ligue constate que le maintien de cette formulation n'ajoute rien de fondamental ou très peu au contenu du texte ­ compte tenu de l'expression « le cas échéant » ­ et que ce libellé va à l'encontre de ce qu'affirme le Gouvernement dans la justification de son amendement, qui dit clairement que le Gouvernement a voulu faire en sorte que les groupements politiques ne tombent pas sous le coup de la nouvelle incrimination. La Ligue suggère dès lors d'adopter l'amendement de MM. les sénateurs Erdman et Desmedt (amendement nº 19).

8. La Ligue émet de nettes réserves concernant le maintien des mots « manoeuvres frauduleuses » dans le texte de l'article 324bis proposé. Selon la Ligue, cette expression manque de clarté et risque de donner lieu à une interprétation trop large, sortant du cadre des objectifs que s'est fixés le législateur.

9. La Ligue n'aperçoit pas pourquoi outre le recours à des « structures commerciales », le projet vise également le recours à des structures « autres ». La Ligue peut comprendre que certaines structures de type non commercial doivent, elles aussi, tomber sous le coup de cette législation, mais l'expression « structures autres » présente le défaut de couvrir un champ d'application trop vaste. Sans quoi, il eût suffi ­ mais telle n'était sans doute pas l'intention des auteurs du projet ­ d'écrire « quelles que soient les structures utilisées ».

10. La Ligue se rallie à la critique du Conseil d'État sur l'emploi des mots « fait partie » à l'article 324ter proposé. Alors que la notion de « participer » à des activités criminelles est bien connue dans notre droit pénal, on aperçoit mal ce qu'il faut entendre par « personne qui fait partie d'une organisation criminelle ». Selon la Ligue, il est recommandé de remplacer l'expression « fait partie » par une formule plus précise.

Le § 2 de l'article 324ter proposé utilise les mots « à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite ». La Ligue s'interroge sur l'emploi du terme « licite ». La distinction pénale entre activités licites et illicites est loin d'être claire. « Licite » signifie en effet « autorisé », or tout ce qui n'est pas autorisé n'est pas forcément interdit... »

B. Réactions de la Ligue des droits de l'homme relatives au projet de loi sur les organisations criminelles

1. Observations de la Ligue des droits de l'homme sur le projet d'article 342 du Code pénal, adopté par la Chambre des représentants, le 5 juin 1997

« L'article 342

1. L'exposé des motifs du projet de loi analysé rappelle que le premier objectif du gouvernement est de fournir, par ce texte, un critère juridique pour l'action contre le crime organisé. Toutefois, la définition de l'entreprise criminelle organisée, telle que contenue à l'article 342 en projet, ne rencontre pas ce voeu.

La définition fournie ne répond pas au principe de légalité du droit pénal consacré par l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales (C.E.D.H.) et les articles 12 et 14 de la Constitution.

Le principe de la légalité requiert que le texte définissant l'organisation criminelle soit le plus clair possible, que l'on circonscrive précisément les notions dont le juge pénal devra faire application afin de permettre au justiciable de comprendre en quoi un acte précis entre ou non dans le cadre d'une incrimination pénale. Il faut que le destinataire de la norme puisse, avec certitude, calquer son comportement sur l'exigence légale et savoir que telle sanction s'y attachera en cas de non-respect. C'est le nécessaire caractère prévisible de la peine.

Le Conseil d'État rappelle, dans son avis du 28 octobre 1996, que « le principe de la légalité emporte qu'en matière pénale, c'est, pour le pouvoir législatif, une obligation constitutionnelle, et non une simple obligation générale de prudence de disposer par des règles précises. À défaut de pareilles règles, toute la politique criminelle projetée pourrait être mise en péril puisque le juge, dans le doute, devra nécessairement en faire bénéficier l'inculpé. » Le Conseil d'État reprend ici la substance de l'arrêt Kokkinakis c. Grèce de la Cour européenne des droits de l'homme du 25 mai 1993.

Or, la version actuelle de la définition de l'organisation criminelle laisse place à l'arbitraire des juges. Ceux-ci, confrontés à l'application de l'article 342, devront au préalable donner un contenu à des notions telles que :

­ association (de droit ou de fait ?);

­ de façon concertée (s'agit-il d'un dol spécial ou d'une redondance ?);

­ influencer (concept flou, non juridique);

­ des structures commerciales ou autres (que signifie les autres structures ?).

2. En outre, caractériser l'organisation par référence à la commission des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou plus ne permet pas de définir l'organisation criminelle par la nature de ses activités puisque la très large majorité des incriminations du Code pénal sont ainsi visées. De plus, ce seuil semble être plutôt bas au regard des peines très lourdes prévues par le Code pénal pour des faits de gravité moyenne, comme par exemple le vol. Par ailleurs, il conviendra aussi d'examiner la pertinence du seuil de trois dans les lois spéciales.

3. Quel est le but que l'organisation doit poursuivre pour être qualifiée de criminelle ? Des groupes criminels peuvent commettre des infractions sans but de lucre, ni de déstabilisation des institutions. La criminalité dirigée contre, par exemple, l'intégrité physique des personnes entre-t-elle dans le champ d'application du projet ? La réponse est incertaine.

4. Ces trop nombreuses incertitudes font craindre tous les excès. Le libellé extrêmement large et vague de l'article 342 ouvre la porte à des possibilités de répressions inconciliables avec les principes démocratiques. À cet égard, les commentaires exprimés lors des travaux parlementaires ne sont évidemment pas de nature à apporter des garanties suffisantes. Une déclaration d'un ministre selon laquelle la loi ne veut pas s'étendre à des syndicats ou des partis politiques sont inopérantes.

5. La Ligue des droits de l'homme estime donc que le phénomène que le gouvernement entend combattre est insuffisamment identifié et ce d'autant plus que l'objectif du gouvernement (déclaration du 28 juin 1995) est d'utiliser ce texte pour fonder d'autres dispositions applicables en matière de criminalité organisée :

­ prévoir que certaines techniques spéciales d'investigation et de recherche peuvent être utilisées;

­ prévoir la saisie et la confiscation des patrimoines présumés être d'origine criminelle, la charge de la preuve étant renversée;

­ élaborer une législation en vue de prévoir la faculté de réduction de peine ou de négociation en échange d'informations valables.

Article 343

1. Le second objectif du projet de loi, exprimé à l'article 343 est d'incriminer toute forme de participation aux organisations criminelles. Ainsi, la seule appartenance à ce type d'organisation est en soi punissable. Comme l'observent A. De Nauw et F. Deruyck, « il s'agit en fait d'un nouveau chapitre punissant la participation. On ne pourra donc plus se limiter au livre Ier du Code pénal pour étudier les diverses formes de participation, bien qu'on soit en droit de se demander si le texte ne sous-estime pas la portée actuelle des dispositions en la matière. Il en résultera immanquablement des cas de concours avec les articles 66 et suivants du Code pénal ».

2. La Ligue s'étonne de l'amalgame, opéré par le gouvernement, entre deux notions que l'on croyait distinctes : vouloir sanctionner tout acte de participation et incriminer l'appartenance passive. S'il reviendra au ministère public d'apporter la preuve de cette appartenance, le projet ne fournit pas de critère permettant de conclure à l'existence de ce lien. Ce que l'on sait, c'est que les personnes qui appartiennent à l'organisation criminelle ne doivent participer à aucune activité licite ou non de l'organisation et que la simple appartenance ne se traduit par aucun comportement positif dans le cadre de l'organisation criminelle. Or, sanctionner des personnes non plus en raison de leur participation personnelle à des infractions et de leur intention personnelle de commettre des infractions requiert de se fonder sur des critères juridiques solides. L'« appartenance », est-ce être membre actif, payer une cotisation, être participant à une réunion, communier idéologiquement ? Le projet ne le précise pas.

En l'absence de toute définition du nouveau concept d'appartenance infractionnelle à une organisation criminelle, il peut y avoir violation du principe international et constitutionnel de légalité du droit pénal.

3. L'article 343 incrimine ensuite la participation à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite (§ 1er ) ou illicite (§ 2) de l'organisation criminelle. Dans les deux cas, le projet permet au juge de prononcer une condamnation lorsqu'il estimera que le prévenu aurait dû savoir que sa participation contribuerait aux objectifs de l'organisation. Les termes « doit savoir » repris dans le projet dispense d'apporter la preuve de l'existence de l'élément moral dans le chef du prévenu. L'expression « doit savoir » induit ainsi un renversement de la charge de la preuve. Il en résulte une sorte de présomption de culpabilité dont le prévenu devra de défendre en apportant lui-même la preuve que l'ignorance dont il se prévaut est légitime. Cette présomption est évidemment contraire à la présomption d'innocence prévue à l'article 6, § 2, de la C.E.D.H.

4. Le flou du projet se marque aussi au niveau de l'élément moral. On l'a vu, dans certains cas le texte exige la connaissance du caractère criminel de l'organisation, tandis que dans d'autres hypothèses, il suffit que la personne savait ou devait savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci. La différence avec le livre Ier du Code pénal en matière de participation est grande, puisqu'en la matière, la loi exige la volonté de s'associer. De plus, nous avons déjà fait remarquer que l'exposé des motifs souligne qu'il s'agit d'éveiller la vigilance des personnes, ce qui fait penser non pas à une intention, mais bien à une négligence. Il semble qu'il soit suffisant que le prévenu était, compte tenu des circonstances, au courant ou devait soupçonner des choses.

5. En conclusion, les nombreuses incertitudes qui affectent chacun des deux éléments essentiels du projet, la notion d'organisation criminelle et celle de participation à une telle organisation, ne peuvent qu'inciter à l'élaboration d'une réflexion plus approfondie. Plus fondamentalement encore, la démarche qui préside à l'édification d'un tel projet nous paraît contestable. En effet, il résulte de l'exposé des motifs que l'objectif des nouvelles incriminations est de donner aux services de police la possibilité de mener des investigations à l'égard d'organisations qualifiées de criminelles indépendamment de l'indication concrète d'infractions déjà commises. Si le but premier du texte est lié à une carence des techniques d'investigations, il paraît plus indiqué de légiférer à leur égard par priorité. »

2. Observations sur le projet d'article 324bis
présenté par le gouvernement le 14 janvier 1998

« 1. Le 14 janvier 1998, on assiste en quelque sorte à un revirement de la politique criminelle du gouvernement. Désormais, le projet porte le nom d'article 324bis du Code pénal sans que l'on sache précisément si cela consiste à rapprocher le concept d'organisation criminelle de celui d'association de malfaiteurs ou à en faire une circonstance aggravante de cette même association de malfaiteurs. Si la Ligue des droits de l'homme n'émet en principe pas de réserve quant au principe de ce choix technique, elle s'interroge toutefois sur le manque d'arguments apportés par le gouvernement à la défense de la formulation précédente du projet, l'article 342, présenté alors comme une réponse choisie et éclairée au phénomène que l'on entend combattre.

2. La Ligue comprend les notions de « structure » et de « durée » incorporées dans la nouvelle définition de l'organisation criminelle et contenues à l'article 324bis en projet comme étant précisément destinées à différencier le concept analysé de l'association de malfaiteurs. Nous percevons désormais cinq conditions cumulatives mises à l'existence d'une organisation criminelle et de nature à en préciser le champ mais nous constatons au sein de celles-ci une confusion persistante entre les notions, pourtant fondamentales, de but et de moyen. Nous attribuons aux termes « en vue de » et « pour » un sens identique car ils marquent tous deux un objectif à atteindre. Il nous semble ainsi que la commission de crimes et de délits ne soit que le moyen par lequel l'organisation criminelle tente de réaliser son objectif d'obtenir des avantages patrimoniaux illicites. Une révision de la structure de l'article nous paraît devoir s'imposer pour cette raison.

3. La Ligue des droits de l'homme pense que la différence fondamentale existant entre les deux versions du projet, l'article 342 et l'article 324bis , réside en ce que ce dernier article fait du « détournement (et non plus de l'influence) du fonctionnement d'autorités publiques » un objectif subsidiaire poursuivi par l'organisation criminelle. Dans la compréhension de la Ligue, le mobile de l'organisation est désormais exclusivement ou principalement mais en tout cas nécessairement l'obtention d'avantages patrimoniaux illicites.

Nous voulons croire que l'intention du gouvernement est, par cette construction, de mettre définitivement à l'abri des poursuites les partis politiques, les mouvements associatifs, les organisations syndicales et autres réseaux de citoyens qui jamais ne poursuivent un objectif patrimonial. Ce point devrait recevoir confirmation.

Remarquons toutefois que les flux financiers étant inhérents à toute vie associative, une garantie supplémentaire serait d'imposer un seuil minimal aux avantages patrimoniaux obtenus par l'organisation. Le projet n'a-t-il pas pour objectif de s'attaquer à la grande criminalité ?

4. La lecture de l'article 324ter du présent projet nous oblige à constater que la volonté nouvelle de faire de l'organisation criminelle une circonstance aggravante de l'association de malfaiteurs ne se départit pas de la préoccupation de faire de la simple appartenance passive à une telle organisation une nouvelle incrimination. On se demande ce que les termes « volontairement et sciemment », introduits dans la version remodelée du concept, vont changer à la situation du fameux guichetier, obligé, sous l'empire de l'article 342, à démissionner pour échapper aux poursuites. On imagine facilement les juges invoquer l'existence d'un contrat de travail, par essence consensuel, qui n'a que faire de la réalité socio-économique, pour conclure au caractère volontaire de l'appartenance. Quant à la connaissance, rien n'interdit qu'elle se déduise toujours, selon l'explication du ministre, de la circulation d'une simple rumeur.

Comme on le voit, cette incrimination instaure une sorte de responsabilité pénale collective puisque le dirigeant va, par ses agissements seuls, imprimer à l'organisation un caractère « mafieux » et du même coup criminaliser son personnel.

Il est évident que l'objectif de pareille législation est de développer le sens civique, d'éveiller la vigilance des opérateurs du système économique, de faire de chacun d'entre nous un petit policier en puissance en nous obligeant à dénoncer.

Ce texte est dès lors à mettre en relation avec l'expérience, menée en Flandre, des postiers informateurs des services de police. Le citoyen est amené, en engageant sa responsabilité, à jouer un rôle toujours plus grand dans l'espace abandonné par les pouvoirs publics. Malheureusement, il ne s'agit pas d'un espace de liberté.

Il nous semble que cette incrimination et le rabotage des libertés qu'elle implique sont disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis : criminaliser le chauffeur, le mettre sur écoute pour connaître les déplacements de son employeur mafieux. On se demande, dès lors, quelles sont les raisons profondes qui poussent le Gouvernement à présenter ceci comme une révolution de la politique criminelle, essentielle au démantèlement des réseaux criminels.

De plus, à nouveau, c'est en vain que l'on chercherait dans le projet de l'article 324ter , § 1er , les critères qui devraient permettre au juge de conclure à l'existence de ce lien d'appartenance. On a parlé du contrat de travail mais peut-il s'agir aussi de la possession d'une carte de membre, du fait de participer à une réunion, ou de communier idéologiquement (en manifestant, par exemple) ?

5. L'article 324ter , § 2, appelle quant à lui les mêmes développements que ceux relatifs à l'article 324ter , § 1er : faute de critères, on ne sait en effet si le guichetier appartient ou participe à l'organisation criminelle.

6. Enfin, l'idée de base du texte n'est-elle pas ambiguë ? Comme l'observe MM. A. De Nauw et F. Deruyck, le gouvernement entend mener une stratégie à long terme permettant de découvrir et de traduire en jugement les organisateurs réels des réseaux criminels. Nous ne pensons pas que l'incrimination de l'organisation criminelle aura cette fonction préventive, permettant d'intervenir en vue d'empêcher la commission d'infraction. L'exposé des motifs du projet initial du 12 mars 1997 insiste d'ailleurs sur le fait que l'existence d'une organisation criminelle sera probablement plus difficile à établir que celle de l'existence d'une association de malfaiteurs. Lorsqu'on connaît la difficulté à prouver l'existence d'une telle association avant le passage à l'acte, on peut mesurer combien la preuve sera plus complexe en matière d'organisation criminelle. Il y a un risque certain d'un texte inefficace, dans la mesure où il ne permettra pas d'intervenir avant la commission des infractions en vue desquelles l'organisation criminelle a été constituée. »

VI. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 2 (Articles 2 à 4 du texte adopté)

À cet article, les amendements et sous-amendements suivants ont été déposés :

1º Amendement nº 1 de M. Erdman (doc. Sénat nº 1-662/2) :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 2. ­ Le chapitre V du livre II, titre VI, du Code pénal est remplacé par les dispositions suivantes :

« Chapitre V. ­ Des organisations criminelles

Art. 342. ­ § 1er . Une organisation criminelle est une association composée de deux ou plus de deux personnes qui a été créée :

1º en vue de commettre de façon concertée et structurée des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave;

2º pour obtenir de la sorte des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées de leur but légitime;

3º et en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

§ 2. Le seul fait de constituer l'organisation criminelle est punissable : la personne qui a mis cette organisation criminelle sur pied et celle qui la dirige sont punies :

­ d'une réclusion de dix à quinze ans, si l'organisation criminelle a pour but de commettre des crimes punissables de la réclusion à perpétuité, de la détention à perpétuité ou d'une réclusion de vingt à trente ans, de quinze à vingt ans ou de dix à quinze ans;

­ d'une réclusion de cinq à dix ans, si l'organisation criminelle a été créée en vue de commettre d'autres crimes;

­ d'un emprisonnement de deux à cinq ans, si l'organisation criminelle a été créée en vue de commettre des délits.

§ 3. Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, alors qu'elle connaît ou doit connaître le caractère criminel de cette organisation, est punie d'un emprisonnement de deux à cinq ans.

§ 4. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité de l'organisation criminelle et qui sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, est punie d'un emprisonnement de un à trois ans.

§ 5. Toute personne qui, même sans participer à la préparation ou à la réalisation d'une infraction, fait partie d'une organisation criminelle, dont elle connaît ou doit connaître le caractère criminel, est punie d'un emprisonnement de six mois à deux ans.

Art. 343. ­ Les cours et tribunaux peuvent priver en tout ou en partie de l'exercice des droits visés à l'article 31 les personnes condamnées en application de l'article 342.

Art. 344. ­ Les actifs des personnes morales visées à l'article 342, § 1er , 3º, sur lesquels un ou plusieurs membres de l'organisation criminelle exercent un contrôle, constituent l'objet de l'infraction au sens de l'article 42, 1º, et sont confisqués, même s'ils ne sont pas la propriété du condamné, mais de telle manière que les droits de tiers sur les biens qui peuvent faire l'objet de la confiscation ne soient pas lésés. »

Justification

1. Article 342 :

Le texte de l'article 342 dans sa version actuelle ne permet absolument pas d'atteindre les objectifs définis dans l'exposé des motifs. L'on peut y lire, notamment, que le projet a deux objectifs :

­ d'une part, fournir un critère juridique solide pour l'action contre la criminalité organisée, en définissant comme il convient le phénomène qu'on entend combattre;

­ d'autre part, rendre punissable toute forme de participation aux organisations criminelles ainsi définies.

Il est évident, si l'on considère en outre que ces objectifs s'inscrivent dans le cadre du plan d'action que le Gouvernement a approuvé le 28 juin 1996 pour lutter contre la criminalité organisée, que le projet de loi en discussion laisse à désirer sur de nombreux points.

Pour commencer, la définition proposée est tellement large et imprécise qu'elle peut englober des phénomènes très divergents. Divers groupes d'action, notamment syndicaux, craignent dès lors à juste titre (ou est-ce à tort ?) de courir subitement le risque d'être qualifiés d'organisations criminelles, ce qui rendrait, bien entendu, toute action impossible, étant donné les mesures assez répressives qui en résulteraient.

C'est pour tenir compte des préoccupations sur ce point que le présent amendement propose une définition bien délimitée et plus adéquate.

Il ressort clairement du texte proposé de la définition que les conditions mentionnées doivent toutes être réunies pour que l'on puisse parler d'organisation criminelle. Seules les associations qui remplissent les trois conditions relèvent de la criminalité organisée, et ce sans préjudice de l'application d'autres articles du Code pénal (notamment concernant l'association de malfaiteurs) si les trois conditions ne sont pas remplies.

Il va de soi que l'association visée au § 1er peut être composée de personnes physiques et de personnes morales. Il est toutefois impossible, dans l'état actuel de la question de l'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales, de parler de celles-ci dans la définition que l'on utilise pour l'instant.

Le principe de légalité requiert que le texte définissant l'organisation criminelle soit le plus clair possible. Il va de soi qu'il faut rédiger un tel texte en se référant à des notions qui ont reçu un contenu en droit pénal classique (notamment la participation). L'on donnera normalement à ces notions leur signification classique; à défaut, le texte devra préciser qu'elles n'ont pas cette signification classique. Dès lors, s'il est question de participation aux §§ 3 et 4, ce sera une participation sous la forme prévue aux articles 66 et 67 du Code pénal (la nature de la participation jouera éventuellement un rôle lors de la détermination de la peine). Si d'autres formes de participation sont visées, il faudra les inscrire explicitement dans le texte, notamment au § 4, étant donné que la participation n'est punissable, hic et nunc, en droit pénal classique qu'en cas d'exécution ou de commencement d'exécution (tentative punissable).

Il est évident que toute personne, personne morale ou structure qui fait partie de l'organisation criminelle doit être jugée en tant qu'élément de l'ensemble et ne peut pas être considérée comme une entité distincte. L'activité de chaque élément doit donc être considérée dans le cadre de l'ensemble et ne peut dès lors pas être jugée distinctement.

Le § 2 rend punissable le seul fait de la constitution d'une organisation criminelle. La distinction qui est faite en ce qui concerne le taux de la peine pour les personnes qui ont mis ladite organisation sur pied et les personnes dirigeantes a été introduite par analogie à ce que l'on a fait en ce qui concerne les dispositions relatives aux associations de malfaiteurs.

Nous avons choisi de ne pas reprendre les termes quelque peu surannés de « provocateurs, chefs et commandants » qui figurent dans ces dispositions et de les remplacer par les termes suivants : « personnes dirigeantes », par analogie avec les termes utilisés dans la définition qui figure dans la loi sur les stupéfiants, et de les interpréter dans un sens très large.

Aux §§ 3 et 4, nous ne faisons plus de distinction, comme dans le projet initial, entre « décisions licites » et « décisions illicites ». Si l'on rend punissables le seul fait de constituer une organisation criminelle et même (cf. infra) la simple adhésion, l'on peut se demander s'il peut y avoir une décision licite dans le cadre des activités d'une organisation criminelle.

Pour ce qui est de la connaissance requise du caractère criminel de l'organisation criminelle, l'on s'est référé aux dispositions (et à la jurisprudence, entre autres Cass. 10 janvier 1949, Pas., 1949, I, 18; Cass. nº 8794 du 13 novembre 1984) concernant le délit de recel. L'on peut d'ailleurs renvoyer aussi dans la marge aux dispositions similaires de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (cf. par exemple l'article 3, § 1er : « ... dont on connaît l'origine illicite »).

Le § 5 rend l'adhésion punissable lorsque l'intéressé connaît ou doit connaître le caractère criminel de l'association et fait donc sciemment partie d'une organisation criminelle.

2. Article 343 :

Par analogie à ce qui est prévu à l'article 325 du Code pénal, il convient de disposer que ceux qui sont condamnés en application de l'article 342 proposé du Code pénal peuvent également être condamnés à l'interdiction en vertu de l'article 33.

3. Article 344 :

L'article 344 proposé prévoit une extension de la confiscation spéciale. Il importe, pour pouvoir lutter effectivement contre une organisation criminelle, de prendre, abstraction faite de la nécessité de condamner les individus qui en font partie, des mesures efficaces relatives au patrimoine de cette organisation.

En effet, tout le monde sait que, le plus souvent, l'on investit les bénéfices provenant de pratiques criminelles dans l'économie légale, pour pouvoir « préserver » ce patrimoine.

Le présent amendement vise à mettre fin à cette technique de transfert en assimilant ce patrimoine aux choses qui font l'objet de l'infraction conformément à l'article 42, 1º, du Code pénal.

2º Amendement nº 6 de M. Erdman (sous-amendement à son amendement nº 1; doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Au § 5 de l'article 342 proposé, remplacer les mots « fait partie d'une organisation criminelle » par les mots « a été engagée par une organisation criminelle ou y a adhéré. »

Justification

Comme le fait de participer ­ c'est-à-dire l'adhésion ­ n'est pas défini et que le principe de légalité requiert que l'on définisse clairement les notions dont le juge pénal devra se servir, l'approche par les mots « engagement » et « adhésion » nous semble beaucoup plus précise et contrôlable pour le juge pénal.

3º Amendement nº 7 de M. Erdman (sous-amendement à son amendement nº 1; doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Au 1º du § 1er de l'article 342 proposé, remplacer les mots « crimes ou délits ... peine plus grave » par les mots « crimes ou délits au sens de l'article 90ter, §§ 2, 3 et 4, du Code d'instruction criminelle. »

Justification

Au lieu de fixer le taux d'une peine, on renvoie à des crimes et délits dont le législateur a déjà reconnu la gravité en autorisant les écoutes au sens de l'article 90ter du Code d'instruction criminelle.

4º Amendement nº 12 de M. Boutmans et Mme Dardenne (sous-amendement à l'amendement nº 1 de M. Erdman; doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Compléter le § 1er de l'article 342 proposé par un deuxième alinéa, libellé comme suit :

« Les organisations créées dans un but politique ou un but social légitime ne peuvent en aucun cas être considérées comme des organisations criminelles au sens de la présente disposition, pas même si des infractions sont commises dans la poursuite de ce but. »

Justification

Il y aurait lieu d'ajouter cette disposition, si l'on décidait quand même d'introduire une nouvelle incrimination.

5º Amendement nº 8 de M. Boutmans et Mme Dardenne (doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 2. ­ Dans le Code judiciaire est inséré un article 143quater qui est rédigé comme suit :

« Art. 143quater. ­ Les directives visées à l'article précédent indiquent notamment de quelle manière priorité est donnée à la lutte contre des organisations criminelles. Une organisation criminelle est une association composée de deux ou plusieurs personnes, qui a été créée :

1º en vue de commettre de façon concertée et structurée des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave;

2º pour obtenir de la sorte des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'entreprises publiques ou privées de leur but légitime;

3º et en utilisant à l'égard des fonctionnaires publics l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Les organisations créées dans un but politique ou un but social légitime ne sont en aucun cas considérées comme criminelles au sens de la présente disposition, pas même si des infractions sont commises dans la poursuite de ce but. »

Justification

Le texte proposé traduit le principal objectif politique du projet : donner la priorité à la lutte contre la criminalité organisée et les organisations criminelles, et inscrit explicitement cet objectif dans la loi. Selon nous, cette lutte ne nécessite, jusqu'à nouvel ordre, aucune nouvelle incrimination, étant donné que les lois pénales existantes suffisent pour punir les membres d'organisations maffieuses. Au cas où les procureurs généraux arriveraient, après avoir expérimenté cette priorité politique pendant un certain temps, à la conclusion que de nouvelles incriminations s'imposent, ils pourraient formuler les propositions nécessaires à cet effet.

La définition proposée est largement reprise de l'amendement nº 1 du sénateur Erdman. Elle semble être meilleure que celle du Gouvernement. Nous n'avons néanmoins pas retenu que l'exercice d'une influence sur les pouvoirs publics devait être l'un des buts. Il faut, en effet, plutôt considérer que l'exercice d'une telle influence est un des moyens visés au point 3º, dans l'énumération duquel on l'a, dès lors, inscrit explicitement, tout en précisant que seul était visé l'exercice d'une influence sur des fonctionnaires publics.

Comme l'objectif est de permettre l'utilisation de techniques policières spéciales, etc., pour lutter contre ce type de criminalité, ladite définition ne peut pas être trop large, sinon la disposition en question manquerait son but et ne permettrait pas de fixer les vraies priorités.

Pour rassurer de nombreux inquiets, nous avons ajouté que les organisations spécifiquement politiques ou sociales ne figurent pas parmi les organisations qu'il y a lieu de poursuivre par priorité.

Nous entendons ainsi apaiser les craintes d'organisations de défense de l'environnement, d'organisations syndicales, etc. ­ à qui il arrive de recourir à des actes punissables (le blocage du passage de navires, des sit-in organisés pour entraver la circulation, etc., auxquels on peut appliquer très vite des qualifications graves. C'est ainsi que, pour qu'il y ait rébellion « armée », il suffirait que l'on utilise des hampes de drapeau au cours d'une manoeuvre d'évacuation) ­ de faire l'objet, en tant qu'organisations, d'infiltrations et d'autres techniques policières spéciales. Il va de soi que cela ne réduit aucunement les possibilités de punir les auteurs d'infractions qui seraient commises dans le cadre de pareilles organisations.

6º Amendement nº 9 de M. Boutmans et Mme Dardenne (sous-amendement à leur amendement nº 8; doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Supprimer cet article. »

Justification

Le projet insère, dans le Code pénal, une disposition qui n'est pas nécessaire à notre avis pour que l'on puisse lutter efficacement contre la criminalité organisée, notion dont la définition est d'ailleurs beaucoup trop large et beaucoup trop vague.

D'autre part, les notions de participation et de complicité punissables sont définies de manière beaucoup trop large, si bien que la loi en projet risque de punir des personnes qui ne doivent être déclarées coupables ni du point de vue éthique, ni du point de vue pénal.

C'est pourquoi nous sommes partisans d'une autre manière de procéder qui consisterait à inscrire dans la loi une priorité politique et à définir l'organisation criminelle comme la source d'une circonstance aggravante. Nous estimons que, si on la rejette, il serait préférable de retirer le projet dans son ensemble, en attendant que l'on puisse tirer les enseignements de l'expérience que l'on aura acquise dans la lutte contre la criminalité organisée.

L'article 1er peut néanmoins être maintenu : il n'est pas critiquable, puisqu'il indique simplement de quelle disposition constitutionnelle la loi en projet relève.

7º Amendement nº 13 de M. Lallemand (doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 2 ­ Le libellé du chapitre Ier , titre VI, deuxième livre ainsi que les articles 322, 323 et 324 du Code pénal sont remplacés comme suit :

« Chapitre Ier . ­ De l'association formée dans le but de commettre des crimes et des délits et de l'organisation criminelle.

Art. 322. ­ Toute association formée dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits, constitue un crime ou un délit par le seul fait de l'organisation de la bande.

Art. 323. ­ § 1er . Toute personne qui fait sciemment et volontairement partie d'une association, ainsi que ceux qui ont sciemment et volontairement fourni à l'association ou à ses divisions des armes, munitions, instruments de crime, logements, retraite ou lieux de réunion, sont punis :

1º d'un emprisonnement de six mois à cinq ans si l'association a pour but la perpétration de crimes emportant au moins vingt ans de réclusion;

2º d'un emprisonnement de deux mois à trois ans si l'association a pour but la perpétration d'autres crimes;

3º d'un emprisonnement d'un mois à deux ans si l'association a pour but la perpétration de délits.

§ 2. Toute personne dirigeant une association ainsi que les provocateurs de cette association et ceux qui y exercent un commandement quelconque sont punis :

1º de la réclusion de cinq ans à dix ans si l'association a pour but la perpétration de crimes emportant au moins vingt ans de réclusion;

2º d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans si l'association a pour but la perpétration d'autres crimes;

3º d'un emprisonnement de six mois à trois ans si l'association a pour but la perpétration de délits.

Art. 324. ­ § 1er . Constitue une organisation criminelle, l'association formée de manière durable pour obtenir des avantages patrimoniaux illicites en commettant de façon répétée, concertée et structurée, des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, et qui utilise soit :

1º l'intimidation ou la menace;

2º la violence, armée ou non;

3º la corruption;

4º des manoeuvres frauduleuses;

5º des artifices, notamment en recourant à des structures commerciales ou autres pour faciliter ou dissimuler la réalisation d'infractions, ou pour dissimuler le produit de celles-ci.

§ 2. Toute personne qui, volontairement, fait partie d'une association dont elle connaît le caractère d'organisation criminelle, est punie d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d'une amende de cent francs à cinq mille francs, ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation, ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants.

§ 3. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation d'une activité licite ou illicite d'une association dont elle connaît le caractère d'organisation criminelle, et alors qu'elle sait que sa participation contribue à ses objectifs, est punie d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de cent francs à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement.

§ 4. Toute personne qui participe à une prise de décision quelconque au sein d'une association dont elle connaît le caractère d'organisation criminelle est punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de cinq cents francs à cent mille francs, ou d'une de ces peines seulement.

§ 5. Toute personne dirigeant une organisation criminelle est punie de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de mille francs à deux cents mille francs, ou d'une de ces peines seulement. »

Justification

Le projet de loi relatif aux organisations criminelles entend améliorer les instruments de lutte contre la criminalité organisée, et notamment ses aspects économiques et financiers. Cet objectif du projet est essentiel.

Le projet n'est toutefois pas exempt d'ambiguïté. Certains craignent qu'il ne puisse également atteindre certaines structures syndicales ou des associations légales, dont les membres commettraient des faits qualifiés d'infractions (occupation d'entreprise, séquestration temporaire d'un responsable de l'entreprise, ...) lors de certaines manifestations. Cette critique n'est pas dénuée de fondement, dans la mesure où l'article 342 du Code pénal, en projet, vise notamment les organisations constituées « en vue de commettre des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave pour détourner le fonctionnement d'autorités publiques, ou d'entreprises publiques ou privées en utilisant l'intimidation ou la violence ... ».

Certes, les membres de l'association de fait, constituée par exemple par une délégation syndicale qui occupe de manière plus ou moins violente une entreprise, peuvent ­ dans l'état actuel du droit ­ être poursuivis du chef d'association de malfaiteurs. Des jugements ont été rendus en ce sens. Peu importent, disent la jurisprudence et la doctrine, les mobiles de l'association : celle-ci peut avoir sa source dans la cupidité, mais aussi dans la haine ou la vengeance, dans des raisons politiques ou religieuses (J.J. Haus, dans Législation criminelle, tome II, p. 767; Nypels et Servais, tome II, p. 350, nº 2; Pandectes belges, voir Associations de malfaiteurs, tome X, col. 524, nº 8; Rigaux et Trousse, Crimes et délits du Code pénal, tome V, p. 16; Marchal et Jaspar, Droit criminel, tome III, p. 40, nº 3059).

Mais il serait assurément contraire aux objectifs du projet qu'une organisation politique ou une délégation syndicale, par exemple, puisse être assimilée aux membres d'organisations criminelles de type maffieux, alors même qu'elle ne recourrait pas aux méthodes de ces organisations.

Les amendements proposés ont notamment pour objectif de répondre à ces critiques, et de clarifier le texte en projet.

Les amendements proposent, de manière générale, de faire de l'organisation criminelle une circonstance aggravante objective de l'association de malfaiteurs, mais en précisant les mobiles spécifiques qui doivent être ceux de l'organisation, par rapport à ceux, généraux, de l'association. C'est la voie qui a été choisie dans d'autres pays, notamment en France et en Italie.

Quels en sont les avantages ? Elle permet d'abord d'éviter la cohabitation de deux incriminations distinctes, qui viseraient ­ en fait ­ des situations identiques, et d'éviter tout problème de qualification au juge. Il semble en effet évident que toute organisation criminelle visée par le projet remplit également les conditions, selon les termes de l'article 322 du Code pénal et la jurisprudence actuelle, « de l'association formée dans le but d'attenter aux personnes et aux propriétés ».

Le ministre de la Justice a d'ailleurs déclaré lors du débat à la Chambre des représentants : « en ce qui concerne les critères permettant d'établir l'existence d'une « association » au sens de l'article 342 proposé du Code pénal, il peut être renvoyé à ceux retenus pour l'association visée à l'article 322 du même Code concernant l'association de malfaiteurs ... Il faut dès lors se reporter à la jurisprudence en la matière » (rapport de la Chambre, doc. Chambre, nº 954/6, 1996-1997, p. 7.)

Il faut d'ailleurs constater que certaines dispositions légales utilisent les termes « actes de participation à l'activité principale ou accessoire d'une association », pour viser des comportements qui s'apparentent manifestement à ceux des membres d'une organisation criminelle telle que le projet la définit.

C'est notamment le cas de l'article 2bis, §§ 3 et 4, de la loi du 24 février 1921 concernant le trafic de substances stupéfiantes, modifiée par la loi du 9 juillet 1975. Les travaux préparatoires font explicitement référence aux articles 322 et suivants du Code pénal.

Est-il nécessaire, comme l'ont avancé certains pour justifier deux incriminations totalement distinctes, de démontrer l'intention de commettre des infractions dans le chef de chacun des membres de l'association de malfaiteurs, alors que l'article 342 en projet veut atteindre également les membres de l'organisation criminelle qui n'ont manifesté aucune volonté de commettre un crime ou un délit particulier dans le cadre de l'organisation ?

Cette justification ne paraît pas fondée. En effet, l'article 324 du Code pénal vise déjà la simple appartenance à l'association de malfaiteurs (« tous autres individus faisant partie de l'association »). La doctrine contemporaine précise d'ailleurs qu'il n'est en aucune manière requis dans le chef des associés qu'ils aient voulu, en plus de la participation à l'association, la réalisation d'un ou de plusieurs délits (Rigaux et Trousse, t. V, p. 16; Marchal et Jaspar, t. III, pp. 48 et suivantes, nº 3069 et suivants)

La distinction entre l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle ne semble donc pas se justifier.

Le rapprochement de l'une et de l'autre permettrait également de rendre applicable aux membres des organisations criminelles l'article 326 du Code pénal, instituant une cause d'excuse absolutoire pour les membres ou complices de l'association qui, « avant toute tentative de crime ou de délit faisant l'objet de l'association, et avant toutes poursuites commencées, auront révélé à l'autorité l'existence de ces bandes, le nom de leurs commandants en chef ou en sous-ordre ».

Le Gouvernement annonce un projet en matière de « repentis ». Il serait difficilement compréhensible que cette vieille disposition, qui bénéficie aux membres d'une association de malfaiteurs, ne puisse bénéficier aux membres d'une organisation criminelle, en tout cas en l'état actuel des dispositions légales qui régissent la dénonciation. En tout état de cause, l'article 326 forme une base qui pourra par la suite être étoffée de dispositions plus nuancées. Certaines conditions de la dénomination pourraient éventuellement être assouplies.

Si l'organisation criminelle peut manifestement être considérée comme une circonstance aggravante objective de l'association de malfaiteurs, les formes de participation à l'une et à l'autre doivent toutefois être clairement définies.

Pour autant que nécessaire, l'amendement maintient, pour le membre de l'organisation criminelle, le critère d'absence éventuelle d'intention de commettre une infraction dans le cadre de l'organisation.

Mais l'amendement précise d'autres critères. Il requiert notamment un dol spécial pour ceux qui appartiennent à l'organisation, comme pour ceux qui participent à ses activités, à savoir : la connaissance du caractère d'organisation criminelle de l'association, et la volonté d'en être membre.

Il faut noter que le projet initial du Gouvernement prévoyait cet élément de connaissance.

Mais le projet transmis par la Chambre ne prévoit plus, dans le chef des membres de l'organisation, d'autre élément moral que la simple faute infractionnelle, c'est-à-dire le fait, sans cause de justification, d'être membre de l'organisation. Ainsi, celui qui est membre d'une organisation criminelle à son insu devra avancer, et prouver, une cause de justification convaincante pour échapper aux poursuites. Le retournement ­ implicite mais réel ­ de la charge de la preuve n'est pas acceptable en cette matière, et très certainement pour ceux à qui il ne peut être reproché que le fait d'être membre de l'organisation.

L'amendement supprime également le critère de connaissance présumée dans le chef des participants. L'expression « devait savoir », malgré ce que l'on a pu en dire, opère également un retournement implicite de la charge de la preuve. La jurisprudence, qui a interprété l'expression « devait savoir » en matière de délit de blanchiment, permet de conclure que cette expression instaure, en réalité, une présomption de culpabilité dont le prévenu devra se défendre, en apportant lui-même la preuve que l'ignorance dont il se prévaut est légitime.

Rien en l'espèce ne justifie ce renversement de la charge de la preuve.

Au reste, notre système probatoire est souple, précisément parce qu'il est fondé sur la liberté de la preuve. Mais la conviction du juge doit être étayée. Il n'est pas admissible que, dans les cas visés, le juge n'ait pas une obligation de motiver sa décision sur des éléments de connaissance effective par le prévenu du caractère d'organisation criminelle de l'association à laquelle il collabore.

Outre ce qui concerne les différentes formes de participation à l'organisation criminelle, l'amendement propose une définition qui se veut plus rigoureuse de l'organisation criminelle. Elle tend à éliminer les ambiguïtés qui ont été dénoncées.

L'amendement propose de remplacer les différents objectifs de l'organisation prévus par le projet, par un seul : « obtenir des avantages patrimoniaux illicites en commettant de façon répétée, concertée et structurée, des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave ».

Le projet à l'examen retient un deuxième mobile, qui permettrait, indépendamment de tout autre, de qualifier une organisation de criminelle : « le détournement du fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées ». L'on ne peut pourtant affirmer qu'il s'agisse là d'un objectif en soi des organisations criminelles. Mais cela peut constituer un moyen d'action mis au service des mobiles cupides de l'organisation. Le comportement visé s'apparente en réalité aux « manoeuvres frauduleuses » que mentionne le projet. Nous proposons de limiter le texte de la loi à cette mention générale, tout en nous réservant de la préciser lors des débats parlementaires.

D'autres critères plus précis permettent en effet de définir l'organisation criminelle.

L'amendement introduit un critère de durée et un critère de répétition dans la définition de l'organisation criminelle.

Les études sur la criminalité organisée font de ces critères, facilement appréhendables en droit, des éléments distinctifs et constitutifs de l'organisation criminelle. Le récent rapport sur la criminalité organisée, réalisé dans le cadre du plan d'action du Gouvernement contre le crime organisé, reprend ces critères et insiste sur leur importance. Le rapport parle d'une durée d'un an minimum, ou en tout cas d'une certaine permanence (rapport annuel 1997, pp. 13 et 82). Le rapport vise d'autre part « la perpétration méthodique de délits (qui) suppose un caractère répétitif » (rapport, p. 77).

Les deux critères retenus par le projet pour cerner le mode de fonctionnement du groupement ­ la concertation et la structuration ­ semblent insuffisants pour distinguer l'organisation criminelle de la simple association de malfaiteurs. Ces critères sont en effet déjà requis pour l'association de malfaiteurs.

Aucune durée, par contre, n'est en pratique requise pour l'association de malfaiteurs (« quelques heures » pour Marchal et Jaspar; « toute association, fût-elle éphémère, sa durée est indifférente », pour Rigaux et Trousse). Aucune répétition non plus, puisqu'une association peut être formée en vue de commettre une seule infraction (Rigaux et Trousse, tome V, p. 15; Marchal et Jaspar, tome III, p. 47, nº 3067).

Outre la précision du mobile particulier et des moyens spécifiques mis en oeuvre, les critères de durée et de répétition semblent donc être nécessaires pour distinguer l'organisation criminelle, telle qu'elle doit être constituée pour faire l'objet d'une incrimination, de la simple association de malfaiteurs.


Enfin, de manière plus générale, les amendements proposés proposent de reformuler le chapitre Ier , titre VI, du deuxième livre du Code pénal, et plus particulièrement les articles 322, 323 et 324, afin de faire figurer les dispositions relatives à l'association de malfaiteurs et à l'organisation criminelle dans un ensemble cohérent et homogène.

Nous proposons de définir les objectifs de l'association de manière plus conforme à la doctrine et à la jurisprudence, et peut-être même à la volonté du législateur de l'article 322.

Il est en effet évident que les termes « attenter aux personnes et aux propriétés » ne limitent pas la portée de l'article 322 au cadre strict des infractions visées aux titres VIII et IX du deuxième livre du Code pénal.

De nombreuses décisions, qui ne semblent pas avoir été contestées, ont considéré qu'étaient également visées par les articles 322 et suivants les associations de faux monnayeurs, de faussaires, celles constituées en vue de favoriser la débauche ou la prostitution, le trafic de stupéfiants, le trafic illicite de déchets ou les atteintes illicites à l'environnement, l'évasion de détenus, le recel d'objects d'origine délictueuse, ...

Tel qu'il est compris depuis longtemps, l'article 322 vise en réalité toute association constituant un groupement organisé et structuré en vue de commettre un ou plusieurs crimes ou délits, sans autre spécification.

Nous proposons donc de remplacer la formulation actuelle de l'article par un texte plus conforme à la pratique, et donc moins ambigu.

Nous proposons également de faire figurer explicitement dans le texte l'élément moral constitutif de l'association de malfaiteurs qu'a retenu la Cour de cassation.

La Cour de cassation a précisé que « l'élément moral constitutif des infractions prévues aux articles 322 et suivants consiste dans la volonté délibérée d'être membre d'une association de malfaiteurs » (Cass., 4 décembre 1984, Pas., 1985, p. 415; Cass., 30 janvier 1991, Pas., p. 518).

Ne pas faire figurer cette précision dans le texte corrigé pourrait laisser entendre, alors que l'on exige un dol spécial pour l'appartenance à l'organisation criminelle, que l'on se contenterait de la simple faute infractionnelle pour l'association de malfaiteurs.

Par ailleurs, nous proposons de regrouper les différentes formes de participation à l'association de malfaiteurs à l'article 323, et de consacrer l'article 324 à l'organisation criminelle.

8º Amendement nº 17 de Mme Delcourt-Pêtre (sous-amendement à l'amendement nº 13 de M. Lallemand; doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer l'article 323 proposé par le texte suivant :

« Art. 323. ­ § 1er . Toute personne qui fait sciemment et volontairement partie d'une association formée et organisée dans le but de commettre un ou plusieurs crimes et délits, ainsi que ceux qui ont sciemment et volontairement fourni à cette association ou à ses divisions, munitions, instruments de crime, logements, retraite ou lieux de réunions, sont punis :

1º d'un emprisonnement de six mois à cinq ans si l'association a pour but la perpétration de crimes emportant au moins vingt ans de réclusion;

2º d'un emprisonnement de deux mois à trois ans si l'association a pour but la perpétration d'autres crimes;

3º d'un emprisonnement d'un mois à deux ans si l'association a pour but la perpétration de délits.

§ 2. Toute personne dirigeant une association telle que visée au § 1er , ainsi que les provocateurs de cette association et ceux qui y exercent un commandement quelconque sont punis :

1º de la réclusion de cinq ans à dix ans si l'association a pour but la perpétration de crimes emportant au moins vingt ans de réclusion;

2º d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans si l'association a pour but la perpétration d'autres crimes;

3º d'un emprisonnement de six mois à trois ans si l'association a pour but la perpétration de délits. »

Justification

L'amendement nº 13 permet de créer une synergie entre l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle, en faisant de cette dernière incrimination une circonstance aggravante objective de l'association de malfaiteurs.

Nous partageons cette approche. L'article 323 proposé manque cependant de précision, dans la mesure où il ne précise pas ce qu'il y a lieu d'entendre par « association ».

Tel que rédigé, il pourrait laisser supposer que toute personne faisant partie d'une association est susceptible d'être sanctionnée.

Le sous-amendement suggéré corrige cette lacune en proposant une fusion des articles 322 et 323. Ce procédé a le mérite d'apporter également une clarification de texte.

9º Amendement nº 15 de Mme Delcourt-Pêtre (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer l'article 342 proposé par ce qui suit :

« Art. 342. ­ Toute organisation composée de plus de deux personnes, qui a pour objectif premier de commettre de manière durable et de façon concertée et structurée des crimes et délits punissables d'un emprisonnement d'au moins 3 ans, afin d'obtenir illicitement des avantages patrimoniaux, en utilisant soit l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses, ou la corruption, soit des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions, constitue un crime ou un délit par le seul fait de l'organisation. »

Justification

Le texte suggéré veille à combler les lacunes du texte initial consistant en un manque de clarté, de précision, et de structures.

Tout d'abord, si la finalité de l'organisation criminelle est de s'enrichir illicitement, il est bon de préciser que l'objectif premier de l'organisation criminelle reste de commettre des crimes et délits.

La définition actuelle du projet en ce qu'elle mentionne comme finalité spécifique « en vue de commettre des crimes et délits... » ne marque pas assez clairement la différence entre les objectifs et les moyens utilisés.

Ensuite, les termes « détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées » comportent en eux une grave ambiguïté puisqu'ils ne permettent pas de distinguer si l'objectif est le détournement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques, ou s'il s'agit d'un moyen permettant d'acquérir des avantages patrimoniaux illicites. Je considère que les moyens cités dans le projet, à savoir l'intimidation, la menace, la violence, les manoeuvres frauduleuses, la corruption ainsi que le recours aux structures commerciales, sont des moyens qui permettent amplement d'influer sur le bon fonctionnement des autorités publiques ou d'entreprises publiques et privées, et que dès lors il n'est nullement besoin de reprendre ce membre de phrase ambigu.

D'autre part, l'insertion d'une notion de durée dans la perpétration de crimes et délits est essentielle. L'ajout de cette notion de temps permet d'écarter d'office du champ de l'incrimination, les organisations qui pourraient être amenées à commettre un crime ou délit de manière occasionnelle dans la réalisation de leurs objectifs.

Il ne faut pas perdre de vue que la plupart des crimes et délits sont punissables d'une peine supérieure à trois ans d'emprisonnement.

Cette notion de temps est d'ailleurs reprise dans l'ensemble des définitions de la criminalité organisée sur la base desquelles le projet a été réalisé.

Ainsi, la définition établie par le groupe de travail « drogues et criminalité organisée » des États membres de l'Union européenne reprend comme critère la notion de temps « sur une période de temps assez longue et indéterminée »; de même la définition allemande reprend les mêmes termes. La définition hollandaise utilise également les termes de « perpétration systématique de crimes ».

Finalement l'amendement suggéré veille à présenter le texte de manière plus structurée.

10º Amendement nº 16 de Mme Delcourt-Pêtre (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer le § 2 de l'article 343 proposé par ce qui suit :

« § 2. Toute personne qui réalise une activité licite ou illicite au profit de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 342, est punie d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines. »

Justification

Le pan de phrase « doit savoir » ne doit pas être maintenu dans la définition. Il s'agit d'un renversement de la charge de la preuve qui est en totale contradiction avec les principes fondamentaux du droit pénal.

Avec la formulation proposée, et par analogie avec la prévention de recel, il reviendra de facto au magistrat de se pencher sur la question de savoir si l'ignorance prétendument invoquée par le prévenu n'est pas une sorte d'ignorance acceptée, voire encore d'ignorance grave ou volontaire, qui amènera le juge à penser que le prévenu ne pouvait pas ne pas savoir que son comportement contribue aux objectifs de l'organisation criminelle. Si le magistrat accomplit cette démarche, il aura rempli son devoir de motivation tel que prévu à l'article 149 de la Constitution et à l'article 195 du Code d'instruction criminelle.

D'autre part, la formulation proposée ne se réfère plus à la notion de participation ni à celle de tentative. Il n'est pas nécessaire de le faire dans la mesure où il ne s'agit que de la simple application des dispositions générales du Code pénal.

Finalement, le texte initial du projet se référait « à la participation à la préparation ... », or selon les principes fondamentaux du droit pénal, les actes de préparation d'une infraction ne sont pas punissables. L'amendement permet de remettre le projet en concordance avec ces principes.

11º Amendement nº 18 du Gouvernement (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 2. ­ L'intitulé du chapitre Ier , titre VI, livre II, du Code pénal est remplacé comme suit :

« Chapitre Ier . De l'association formée dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits et de l'organisation criminelle. »

12º Amendement nº 28 de M. Raes (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« À l'article 342 proposé, supprimer les mots « ou détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées ».

Justification

Il est clair, à la lecture de l'exposé des motifs du projet qu'il a déposé à la Chambre, que le Gouvernement entend profiter de la nécessité de s'attaquer aux organisations criminelles pour toucher également les organisations qui, à ses yeux, ne sont pas politiquement correctes.

Voici ce que le Gouvernement écrit littéralement dans son exposé des motifs : « Par la référence à l'influence sur le fonctionnement des autorités publiques, on couvre non seulement les organisations criminelles qui poursuivent ce but pour asseoir leurs activités lucratives, mais également les groupes extrémistes et les organisations à caractère terroriste qui poursuivraient ce but avec une finalité politique. »

On ne voit pas clairement ce que le Gouvernement entend par « organisations extrémistes », étant donné qu'aucune loi ne définit cette notion. L'expérience nous apprend toutefois que le Gouvernement interprète la notion d'« extrémiste » comme bon lui semble politiquement. Toute organisation qui commet une infraction, même sans avoir l'intention d'obtenir des avantages patrimoniaux, mais dans le but d'influencer une autorité ou une entreprise, est donc une organisation criminelle potentielle, avec toutes les conséquences que cela implique.

La loi en projet n'est acceptable que si elle vise exclusivement les organisations criminelles de droit commun, sans toucher aux organisations politiques qui veulent influencer l'opinion publique et les autorités publiques. C'est très facile à réaliser, en supprimant du texte de l'article 342 la référence au détournement du fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises. Reste ainsi punissable, l'organisation qui commet des infractions de manière structurée pour obtenir illicitement des avantages patrimoniaux et utilise à cette fin des moyens illégaux.


Compte tenu de l'ensemble des observations formulées dans le cadre de la discussion générale, le Gouvernement dépose un nouvel amendement, libellé comme suit (doc. Sénat, nº 1-662/3, amendement nº 29) :

« Remplacer cet article par les dispositions suivantes :

« Art. 2. ­ L'intitulé du chapitre Ier , titre VI, livre II du Code pénal est remplacé comme suit :

« Chapitre Ier . ­ De l'association formée dans le but d'attenter aux personnes et aux propriétés et de l'organisation criminelle. »

Art. 2bis. ­ Il est inséré entre les articles 324 et 325 du Code pénal des articles 324bis et 324ter, rédigés comme suit :

« Art. 324bis. ­ Constitue une organisation criminelle l'association structurée de plus de deux personnes, établies dans le temps, en vue de commettre de façon concertée des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux, en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Art. 324ter. ­ § 1er . Toute personne qui, volontairement et sciemment, fait partie d'une organisation criminelle, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants.

§ 2. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324bis, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement.

§ 3. Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324bis, est punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de cinq cents à cent mille francs ou d'une de ces peines seulement.

§ 4. Toute personne dirigeante de l'organisation criminelle est punie de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de mille à deux cent mille francs ou d'une de ces peines seulement. »

Art. 2ter. ­ À l'article 325 du Code pénal, les mots « et 324 » sont remplacés par les mots « 324 et 324ter. »

Justification

Conformément aux conclusions de la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, le Gouvernement, dans un souci de coordination, a rapproché les nouvelles dispositions sur l'organisation criminelle de celles sur l'association de malfaiteurs, suivant en cela la structure proposée par l'amendement du sénateur Lallemand. Par souci de ne pas toucher aux dispositions sur l'association de malfaiteurs, le Gouvernement propose de créer deux nouveaux articles 324bis et 324ter dans le Code pénal.

En ce qui concerne la définition de l'organisation criminelle, le Gouvernement a veillé à clarifier le fait que les organisations ayant pour objet d'exercer une influence politique ne sont pas visées par la nouvelle incrimination. Toute référence à cette finalité est supprimée du projet de loi par le présent amendement. Par ailleurs, le texte précise que la finalité de l'obtention d'avantages patrimoniaux englobe les avantages obtenus tant directement qu'indirectement à la suite de la commission des infractions visées par la disposition.

Deux éléments nouveaux ont été repris de la définition contenue dans la proposition d'action commune de l'Union européenne, l'exigence d'une « association structurée » et d'une association « établie dans le temps ». Cette dernière formulation est préférée aux termes « de manière durable », qui pourraient conduire à exclure de véritables organisations criminelles du champ d'application de la loi. En effet, dans une société où tout va vite, on peut très bien concevoir qu'une organisation criminelle se crée avec un objectif spécifique limité très précisément dans le temps (1 mois, 6 mois par exemple), puis qu'elle disparaisse pour réapparaître sous une autre forme (un peu comme les sociétés commerciales). Dans la mesure où elle serait créée « à durée déterminée », elle pourrait ne pas être considérée comme « durable », alors qu'elle devrait en tout état de cause pouvoir être couverte par la loi.

En ce qui concerne les formes de participation, on est resté le plus proche possible du texte adopté par la Chambre, tout en intégrant les souhaits exprimés par la commission parlementaire d'enquête. L'appartenance à l'organisation criminelle doit être intentionnelle. Pour enlever tout doute quant à ce caractère intentionnel, on a inséré les termes « volontairement et sciemment », ce qui suppose une attitude positive, en connaissance de cause, de la personne concernée.

Pour la participation aux activités licites et aux prises de décision, on exige que la personne sache que sa participation contribue aux objectifs de l'organisation criminelle. Ce critère est plus exigeant que celui de la simple connaissance du caractère d'organisation criminelle. Il permet de ne retenir que des formes de participation volontaire et caractérisée. On a supprimé les termes « doit savoir » qui suscitent inutilement un doute sur le caractère intentionnel de l'infraction.

Ces modifications sont également destinées à éviter, dans la ligne des souhaits exprimés par la commission parlementaire d'enquête, que ces dispositions ne puissent être interprétées comme instaurant un renversement de la charge de la preuve.

Cet amendement tend à modifier l'amendement précédent que le Gouvernement a déposé à l'article 2 (doc. Sénat, nº 1-662/3, amendement nº 18), dans les deux sens suivants :

­ d'abord, ne pas toucher à la définition existante de l'association de malfaiteurs;

­ puis supprimer l'aspect « détournement du fonctionnement des autorités publiques ».

De plus, le ministre communique un tableau comparatif des éléments constitutifs de l'association de malfaiteurs et de l'organisation criminelle. Ce tableau comparatif est libellé comme suit :

Bestanddelen
­
Les éléments constitutifs
Bendevorming
­
Association de malfaiteurs
Criminele organisatie
­
Organisation criminelle
Structuur. ­ Structure Elementen uit de wet :. ­ Éléments prévus par la loi :
­ bestaan van een groep/existence d'un groupement ;
­ de groep is georganiseerd/organisation du groupement .
­ gestructureerde organisatie/organisation structurée ;
­ van meer dan twee personen/de plus de deux personnes ;
­ opgericht in de tijd/établie dans le temps .
Verdere precisering door de rechtspraak :. ­ Précisions apportées par la jurisprudence :
Niet vereist zijn : ­ Ne sont pas requis :
­ een hiërarchische structuur;/hiérarchie ;
­ duurzaamlijk (kan zeer kortstondig zijn);/durée (peut être éphémère) ;
­ daadwerkelijk plegen van misdrijven/commission effective d'infractions .
Wel vereist zijn : ­ Sont requis :
­ « het vermogen om op het geschikte ogenblik in actie te treden »/« capacité de fonctionner au moment propice » ;
­ de groep is doelbewust en niet toevallig ontstaan/caractère volontaire et non accidentel du groupement .
Doelstellingen. ­ Finalités Elementen uit de wet. ­ Éléments prévus par la loi :
­ een aanslag plegen op personen of op eigendommen/attenter aux personnes ou aux propriétés
Onmiddellijk doel :. ­ Finalité immédiate :
­ in onderling overleg plegen van misdaden en wanbedrijven die strafbaar zijn met een gevangenisstraf van drie jaar of een zwaardere straf/commettre de façon concertée des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave
Verdere precisering door de rechtspraak :. ­ Précisions apportées par la jurisprudence :
­ niet beperkt tot de misdrijven bedoeld in de titels VIII (personen) en IX (goederen) van het Strafwetboek; slaat met name ook op valsmunterij en handel in verdovende middelen;/n'est pas limité aux infractions des titres VIII (personnes) et IX (biens) du Code pénal, mais couvre aussi notamment le faux-monnayage ou le trafic de stupéfiants ;
­ het hoeft niet om specifieke misdrijven te gaan;/ne requiert pas qu'il s'agisse d'infractions spécialement déterminées ;
­ het hoeft niet om meerdere misdrijven te gaan/ne requiert pas une pluralité d'infractions
Indirect doel :. ­ Finalité médiate :
­ verkrijgen van vermogensvoordelen en eventueel afwenden van de werking van publieke overheden/obtenir des avantages patrimoniaux et, le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques
Middelen. ­ Moyens Intimidatie, bedreiging, geweld, wapens, listige kunstgrepen of corruptie, of het aanwenden van commerciële of andere structuren om het plegen van misdrijven te verbergen of te vergemakkelijken/Intimidation, menace, violence, manoeuvres frauduleuses, corruption ou recours à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions

Le ministre déclare que la définition qui est proposée est parfaitement utilisable. D'abord, elle est conforme aux conclusions de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée, puis, elle tient compte des amendements qui ont été déposés au cours des débats en Commission de la Justice. Il va de soi que les juges devront se prononcer sur ces conditions cumulatives. En outre, la définition proposée s'inscrit dans une dynamique européenne. Elle figure en effet dans presque toutes les législations.

Enfin, le ministre souligne que l'on propose de prévoir trois catégories de personnes, à savoir la catégorie des personnes qui font sciemment partie d'une organisation criminelle, ensuite la catégorie des personnes qui participent à la préparation ou à la réalisation d'une activité licite de l'organisation criminelle et la catégorie des personnes qui prennent part aux décisions, celles qui constituent le cerveau de l'organisation.

Un membre estime que le texte proposé donne entière satisfaction, qu'il convient de ne rien changer en ce qui concerne l'association de malfaiteurs et que l'on devrait introduire une définition de la criminalité organisée qui permette de combattre, sans aucune équivoque, les organisations qu'il y a lieu de considérer comme criminelles et sérieusement dangereuses.

Un autre membre dit souscrire à ce point de vue. À son avis, le texte tient suffisamment compte du résultat des discussions qui ont eu lieu et des amendements qui ont été déposés. Il souligne cependant qu'il se pourrait désormais qu'une organisation structurée qui vise à commettre de façon concertée des crimes et délits en vue de détourner le fonctionnement des autorités publiques, ne tombe pas sous le coup de l'incrimination prévue par le nouveau texte gouvernemental.

Un membre attire l'attention sur le caractère vague de la définition des crimes et des délits sur la base de laquelle on a catalogué ceux-ci à l'article 324bis proposé. Cette définition est la suivante : « crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave ». Il propose que l'on reprenne plutôt, en l'adaptant éventuellement, l'énumération des crimes et délits graves qui figure à l'article 90ter.

Il souhaite également faire poser une question d'ordre linguistique, plus précisément celle de savoir si les mots « alors qu'elle sait », et les §§ 2 et 3 de l'article 324ter proposé, sont corrects. Il demande également quelle est la signification exacte de ces mots.

Enfin, il propose de remplacer, au § 4 du même article proposé, les mots « personne dirigeante ». En effet, il n'est pas question, dans l'énumération de la personne qui a créé l'ensemble de la structure. Or, ce n'est pas forcément la personne dirigeante.

L'intervenant juge d'ailleurs préférable d'utiliser la même terminologie que celle de l'article 2bis , § 4, b) , de la loi du 24 février 1921, concernant le trafic des substances stupéfiantes, et, dès lors, d'écrire « en qualité de dirigeant ».

Dans ce cadre, il existe déjà une jurisprudence sur ce point.

M. Erdman dépose un amendement en ce sens (doc. Sénat, nº 662/3, amendement nº 31, sous-amendement à l'amendement nº 29), rédigé comme suit :

« Au § 4 de l'article 324ter proposé, remplacer les mots « toute personne dirigeante » par les mots « tout dirigeant. »

Justification

Le terme « dirigeant » est usité à l'article 2bis, § 4, b), de la loi du 24 février 1921, modifiée par la loi du 14 juillet 1994. Comme cette notion est amplement commentée dans la doctrine et la jurisprudence, il est préférable de reprendre, pour éviter tout malentendu, une terminologie juridique connue. »

Un membre demande pourquoi le § 2 de l'article 324ter proposé ne concerne que la participation à la préparation ou à la réalisation de toute activité « licite ». Pourquoi ne vise-t-on pas les activités illicites ? Pourquoi ne pas punir la participation de la même manière dans cette hypothèse ?

Le ministre précise que la complicité à l'activité illicite est déjà punissable.

Il souligne que le mot « illicite » a été retiré de la loi en projet à la suite du dépôt d'un amendement à la Chambre des représentants. Il estime cependant qu'il y a bel et bien une distinction entre la participation à un acte punissable et la participation à une activité licite. La loi en projet vise précisément les personnes qui apportent leur participation à des activités qui sont licites en soi (opérations comptables, etc.).

Il s'agit là d'une complicité au fonctionnement de l'organisation criminelle.

Un membre attire l'attention sur le fait que la préparation d'une activité illicite n'est pas nécessairement punissable.

Un autre membre se rallie à ces propos. L'intervenante propose d'insérer un paragraphe séparé en ce qui concerne la participation aux activités illicites, et de prévoir, le cas échéant, une gradation de peines.

Il est proposé de remplacer les mots « licites » par les mots « même licites ».

Un commissaire renvoie à l'article 324ter , § 1er . Selon lui, celui qui participe à la préparation d'une activité illicite relève de la définition du § 1er , qui vise toute personne qui, volontairement et sciemment, fait partie d'une organisation criminelle, même si elle n'a pas l'intention de commettre l'infraction.

L'intervenant se réfère au rapport de la commission d'enquête (doc. Sénat, nº 1-326/7, p. 45), où l'on peut lire : « Le but de cette définition est tout d'abord de rendre punissables les personnes qui appartiennent à une organisation criminelle, ou qui participent à la préparation ou à la réalisation d'une activité licite. »

Un autre commissaire abonde dans le même sens. L'objectif était effectivement d'introduire une cascade. Premièrement, la participation à la préparation ou à la réalisation d'activités illicites et punissable et, deuxièmement, la participation à des activités mêmes licites est également punissable.

Un membre souligne que les principes généraux du droit pénal demeurent applicables. C'est soit l'article 66, soit l'article 67 du Code pénal qui est applicable. Ou bien on est coauteur des activités d'une organisation criminelle, ou bien on est complice d'une organisation criminelle.

Un commissaire précise que dans ce cadre, les mots « licite ou illicite » signifient clairement « punissable ou non punissable ». Il ne s'agit pas de la signification du terme « licite » au sens du Code civil.

Un autre commissaire souligne que l'ajout du mot « illicite » au § 2 de l'article 324ter , proposé, donnerait d'ailleurs lieu à des incohérences. Au § 2, la peine maximale est de trois ans. Si, toutefois, on envisage la chose comme la possibilité d'être coauteur ou complice au sens du § 3, on arrive à un seuil de 5 ans. Il est quand même clair que celui qui accomplit un acte licite et s'expose de ce chef à un emprisonnement de trois ans doit être moins puni que celui qui est complice d'actes illicites.

Les activités illicites ne peuvent donc pas figurer au § 2, il faut les mentionner au § 3 (voir les articles 66 et 67 du Code pénal). Le § 3 de l'article 324bis proposé parle d'ailleurs de participation « à toute prise de décision ». Cette définition couvre donc aussi la préparation et la planification.

Le préopinant demande des éclaircissements concernant la formulation de l'article 324bis . Les mots « en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption » se rapportent-ils uniquement au membre de phrase « pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux » ou visent-ils également le membre de phrase « pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions » ?

Pour l'intervenant, c'est la première interprétation qui est la bonne.

Le ministre répond par l'affirmative. Le recours à des structures commerciales ou autres vise uniquement à dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions.

Le recours à l'intimidation porte sur l'acquisition d'avantages patrimoniaux.

Un sénateur voudrait, par souci de clarté, une définition précise des mots « structures commerciales ou autres ». Quelles structures vise-t-on exactement ?

Le ministre répond que les sociétés sont les structures commerciales au sens strict du terme; par les « autres » structures, on vise toute une série de structures économiques de fait.

Votes

L'amendement nº 29 du Gouvernement, sous-amendé par l'amendement nº 31 de M. Erdman, est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Les articles 2bis et 2ter proposés deviennent les articles 3 et 4 du texte adopté.

Les amendements nºs 1, 6 et 7 de M. Erdman sont retirés.

L'amendement nº 12 de M. Boutmans et Mme Dardenne, qui est un sous-amendement à l'amendement nº 1, devient sans objet.

L'amendement nº 8 de M. Boutmans et Mme Dardenne est rejeté à l'unanimité des 10 membres présents.

L'amendement nº 9 de M. Boutmans et Mme Dardenne, qui est un sous-amendement à l'amendement nº 8, devient sans objet.

L'amendement nº 13 de M. Lallemand est retiré.

L'amendement nº 17 de Mme Delcourt-Pêtre, qui est un sous-amendement à l'amendement nº 13, devient sans objet.

Les amendements nºs 15 et 16 de Mme Delcourt-Pêtre sont retirés.

L'amendement nº 18 du Gouvernement est retiré.

L'amendement nº 28 de M. Raes devient sans objet.

Article 2bis (nouveau)

Les amendements et sous-amendements suivants ont été déposés :

1º Amendement nº 19 du Gouvernement (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Insérer un article 2bis (nouveau), libellé comme suit :

« Art. 2bis. ­ À l'article 322 du Code pénal, les mots « dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés » sont remplacés par les mots « dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits. »

2º Amendement nº 24 de M. Boutmans et Mme Dardenne (sous-amendment à l'amendement nº 19 du Gouvernement; doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer l'article 2bis proposé par les dispositions suivantes :

« Art. 2bis. ­ À l'article 322 du Code pénal sont apportées les modifications suivantes :

A. Les mots « dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés » sont remplacés par les mots « dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits ».

B. L'article est complété par la phrase suivante : « Les organisations créées dans un but politique ou un but social légitime ne sont en aucun cas considérées comme des associations de malfaiteurs au sens du présent article, même si des infractions sont commises dans la poursuite de ce but. »

L'amendement nº 19 du Gouvernement est retiré.

Par conséquent, l'amendement nº 24 devient sans objet.

Article 2ter (nouveau)

Les amendements et sous-amendements suivants ont été déposés :

1º Amendement nº 20 du Gouvernement (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Insérer un article 2ter (nouveau), libellé comme suit :

« Art. 2ter. ­ Il est inséré entre les articles 324 et 325 du Code pénal des articles 324bis et 324ter, rédigés comme suit :

« Art. 324bis. ­ Constitue une organisation criminelle l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir des avantages patrimoniaux et, le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques, en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Art. 324ter. ­ § 1er . Toute personne qui, volontairement et sciemment, fait partie d'une organisation criminelle, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de 100 francs à 5 000 francs ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants.

§ 2. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324bis, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de 100 francs à 5 000 francs ou d'une de ces peines seulement.

§ 3. Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324bis, est punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de 500 francs à 100 000 francs ou d'une des ces peines seulement.

§ 4. Toute personne dirigeante de l'organisation criminelle est punie de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de 1 000 francs à 200 000 francs ou d'une de ces peines seulement. »

2º Amendement nº 23 de MM. Erdman et Desmedt (sous-amendement à l'amendement nº 20 du Gouvernement, doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« À l'article 324bis proposé, supprimer les mots « et, le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques. »

3º Amendement nº 25 de M. Erdman (sous-amendement à l'amendement nº 20 du Gouvernement; doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer l'article 324bis proposé par la disposition suivante :

« Art. 324bis. ­ Constitue une organisation criminelle l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps :

1º qui vise à commettre de façon concertée des crimes et délits au sens de l'article 90ter, §§ 2, 3 et 4, du Code d'instruction criminelle;

2º pour obtenir ainsi des avantages patrimoniaux;

3º en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions. »

Justification

Il ressort (plus) clairement de la formulation de la définition proposée par la voie de l'amendement que toutes les conditions doivent être remplies pour que l'on puisse parler d'une organisation criminelle.

La suppression du membre de phrase très contesté : « et, le cas échéant, détourner le fonctionnement d'autorités publiques », a déjà été proposée par l'amendement nº 19. En effet, l'objet du présent projet ne saurait être d'étendre la notion d'« organisation criminelle » aux associations politiques, aux syndicats, aux organisations de protection de l'environnement, aux organisations qui défendent les droits des animaux,...

Il convient, en outre, de faire référence aussi aux crimes et délits dont le législateur a explicitement reconnu la gravité en autorisant les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées en application de l'article 90ter, § 1er , et non pas seulement à une peine, in casu un emprisonnement de un à trois ans et/ou une amende de 100 francs à 5 000 francs.

4º Amendement nº 26 de M. Erdman (sous-amendement à l'amendement nº 20 du Gouvernement; doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Remplacer l'article 324ter proposé par la disposition suivante :

« Art. 324ter. ­ § 1er . Le seul fait de constituer l'organisation criminelle est punissable : la personne qui a mis cette organisation criminelle sur pied et celle qui la dirige sont punies :

­ d'une réclusion de dix ans à quinze ans, si l'organisation criminelle a pour but de commettre des crimes punissables de la réclusion à perpétuité, de la détention à perpétuité ou d'une réclusion de vingt à trente ans, de quinze à vingt ans ou de dix à quinze ans;

­ d'une réclusion de cinq ans à dix ans, si l'organisation criminelle a été créée en vue de commettre d'autres crimes;

­ d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans, si l'organisation criminelle a été créée en vue de commettre des délits.

§ 2. Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, alors qu'elle connaît ou doit connaître le caractère criminel de cette organisation, est punie d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans.

§ 3. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité de l'organisation criminelle et qui sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans.

§ 4. Toute personne qui, même sans participer à la préparation ou à la réalisation d'une infraction, a été engagée par une organisation criminelle ou y a adhéré, dont elle connaît le caractère criminel, est punie d'un emprisonnement de six mois à deux ans. »

Justification

Le présent amendement reprend les dispositions de l'article 342, §§ 2 à 5, telles qu'elles ont été proposées par la voie de l'amendement nº 1 et corrigées par la voie de l'amendement nº 6, compte tenu de la nouvelle structure.

L'amendement nº 20 du Gouvernement est retiré.

Par conséquent, l'amendement nº 23 de MM. Erdman et Desmedt, et les amendements nºs 25 et 26 de M. Erdman deviennent sans objet.

Article 2quater (nouveau)

Le Gouvernement a déposé l'amendement suivant (doc. Sénat, nº 1-662/3, amendement nº 21) :

« Insérer un article 2quater (nouveau), libellé comme suit :

« Art. 2quater. ­ À l'article 325 du Code pénal, les termes « et 324 » sont remplacés par les termes « 324 et 324ter. »

Justification

Conformément aux conclusions de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, le Gouvernement, dans un souci de coordination, a rapproché les nouvelles dispositions sur l'organisation criminelle de celles sur l'association de malfaiteurs, suivant en cela la structure proposée par l'amendement du sénateur Lallemand. Par souci de ne pas toucher aux dispositions sur l'association de malfaiteurs, le Gouvernement propose de créer deux nouveaux articles 324bis et 324ter dans le Code pénal.

En ce qui concerne la définition de l'organisation criminelle, le Gouvernement a veillé à clarifier le fait que les organisations ayant pour objet d'exercer une influence politique ne sont pas visées par la nouvelle incrimination. La nouvelle rédaction s'inspire de celle qui se dégage actuellement sur le plan de l'Union européenne : le détournement des autorités publiques est un but éventuel nécessairement cumulatif par rapport au but principal qui est la réalisation de profits.

D'autres éléments de la définition européenne ont également été retenus, en particulier l'exigence d'une « association structurée » et d'une association « établie dans le temps ». Cette dernière formulation est préférée aux termes « de manière durable », qui pourraient conduire à exclure de véritables organisations criminelles du champ d'application de la loi. En effet, dans une société où tout va vite, on peut très bien concevoir qu'une organisation criminelle se crée avec un objectif spécifique limité très précisément dans le temps (1 mois, 6 mois par exemple), puis qu'elle disparaisse pour réapparaître sous une autre forme (un peu comme les sociétés commerciales). Dans la mesure où elle serait créée « à durée déterminée », elle pourrait ne pas être considérée comme « durable », alors qu'elle devrait en tout état de cause pouvoir être couverte par la loi.

En ce qui concerne les formes de participation, on est resté le plus proche possible du texte adopté par la Chambre, tout en intégrant les souhaits exprimés par la commission parlementaire d'enquête. L'appartenance à l'organisation criminelle doit être intentionnelle. Pour enlever tout doute quant à ce caractère intentionnel, on a inséré les termes « volontairement et sciemment », ce qui suppose une attitude positive, en connaissance de cause, de la personne concernée.

Pour la participation aux activités licites et aux prises de décision, on exige que la personne sache que sa participation contribue aux objectifs de l'organisation criminelle. Ce critère est plus exigeant que celui de la simple connaissance du caractère d'organisation criminelle. Il permet de ne retenir que des formes de participation volontaire et caractérisée. On a supprimé les termes « doit savoir » qui suscitent inutilement un doute sur le caractère intentionnel de l'infraction.

Ces modifications sont également destinées à éviter, dans la ligne des souhaits exprimés par la commission parlementaire d'enquête, que ces dispositions ne puissent être interprétées comme instaurant un renversement de la charge de la preuve.

Cet amendement est retiré.

Article 2quinquies (nouveau)

M. Erdman a déposé l'amendement suivant (doc. Sénat, nº 1-662/3, amendement nº 27) :

« Insérer un article 2quinquies, rédigé comme suit :

« Art. 2quinquies. ­ Dans le Code pénal est inséré un article 325bis, rédigé comme suit :

« Art. 325bis. ­ Les actifs des personnes morales visées à l'article 324bis, § 1er , 3º, sur lesquels un ou plusieurs membres de l'organisation criminelle exercent un contrôle, constituent l'objet de l'infraction au sens de l'article 42, 1º, et sont confisqués, même s'ils ne sont pas la propriété du condamné, mais de telle manière que les droits de tiers sur les biens qui peuvent faire l'objet de la confiscation ne soient pas lésés. »

Justification

Le présent amendement reprend les dispositions de l'article 344 tel qu'il a été proposé par la voie de l'amendement nº 1.

Cet amendement est retiré.

Article 3 (Art. 5 du texte adopté)

Les amendements et sous-amendements suivants ont été déposés :

1º Amendement nº 2 de M. Erdman (doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« À l'article 90ter, § 2, 3ºbis, proposé du Code d'instruction criminelle, remplacer le chiffre « 345 » par le chiffre « 344 ». »

Justification

Ce remplacement est justifié par les modifications proposées en ce qui concerne les articles 342, 343 et 344 du Code pénal (cf. l'amendement nº 1).

2º Amendement nº 10 de M. Boutmans et Mme Dardenne (doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 3. ­ Dans le livre Ier du Code pénal est inséré un titre VIIbis, qui est rédigé comme suit :

« Titre VIIbis : Des organisations criminelles.

Art. 69bis. ­ § 1er . Lorsqu'une infraction est commise dans le cadre d'une organisation criminelle, les peines sont majorées comme suit :

Les peines de prison correctionnelles sont remplacées par la réclusion. La réclusion est remplacée par des travaux forcés d'une durée de dix à quinze ans. Les travaux forcés d'une durée de dix à quinze ans sont remplacés par des travaux forcés de quinze à vingt ans. Les travaux forcés d'une durée de quinze à vingt ans sont remplacés par des travaux forcés à perpétuité.

§ 2. Une organisation criminelle est une association, composée de deux ou plusieurs personnes, que l'on a créée :

1º en vue de commettre, de manière concertée et structurée, des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave;

2º pour obtenir des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'entreprises publiques ou privées de leur but légitime;

3º et en utilisant, à l'égard des fonctionnaires publics, l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Les organisations créées dans un but politique ou un but social légitime ne peuvent en aucun cas être considérées comme criminelles au sens de la présente disposition, pas même si des infractions sont commises dans la poursuite de ce but. »

3º Amendement nº 11 de M. Boutmans et Mme Dardenne (sous-amendement à leur amendement nº 10; doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Supprimer cet article. »

Justification

Voir la justification de l'amendement nº 9.

4º Amendement nº 14 de M. Lallemand et consorts (doc. Sénat, nº 1-662/2) :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 3. ­ Dans l'article 90ter, § 2, du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 30 juin 1994 et modifié par les lois des 7 et 13 avril 1995, il est inséré un 3ºbis, libellé comme suit :

« 3ºbis. ­ à l'article 324 du même Code; »

Justification

Voir la justification de l'amendement nº 13.

5º Amendement nº 22 du Gouvernement (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Dans cet article, remplacer les mots « aux articles 342 à 345 » par les mots « aux articles 324bis et 324ter ».

6º Amendement nº 30 du Gouvernement (doc. Sénat, nº 1-662/3) :

« Dans cet article, remplacer les mots « articles 342 à 345 » par les mots « articles 324bis et 324ter ».

Votes

L'amendement nº 30 du Gouvernement est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

L'amendement nº 2 de M. Erdman est retiré.

L'amendement nº 10 de M. Boutmans et Mme Dardenne est rejeté à l'unanimité des 10 membres présents.

Le sous-amendement nº 11 de M. Boutmans et Mme Dardenne à l'amendement nº 10 devient sans objet.

L'amendement nº 14 de M. Lallemand et consorts est retiré.

L'amendement nº22 du Gouvernement est retiré.

Article 4 (nouveau)

M. Erdman dépose l'amendement suivant (doc. Sénat, nº 1-662/2, amendement nº 3) :

« Insérer un article 4 (nouveau) rédigé comme suit :

« Art. 4. ­ Dans les lois coordonnées sur les sociétés commerciales du 30 novembre 1935, est insérée une section IXquater, portant l'article 177septies, qui est rédigée comme suit :

« Section IXquater. ­ Dissolution judiciaire des sociétés dont les actifs ont été confisqués.

Art. 177septies. ­ § 1er . Le ministère public requiert la dissolution des sociétés qui font l'objet d'une mesure de confiscation des actifs, conformément à l'article 344 du Code pénal.

§ 2. L'action est dirigée contre la société.

La dissolution produit ses effets à dater de la décision qui la prononce.

Toutefois, elle n'est opposable aux tiers qu'à partir de la publication de la décision prescrite par l'article 12, § 1er , 5º, et aux conditions prévues par l'article 10, sauf si la société prouve que ces tiers en avaient antérieurement connaissance.

§ 3. Le tribunal peut soit prononcer la clôture immédiate de la liquidation, soit déterminer le mode de liquidation et désigner un ou plusieurs liquidateurs. Lorsque la liquidation est terminée, le liquidateur fait rapport au tribunal et, le cas échéant, lui soumet une situation des valeurs sociales et de leur emploi.

Le tribunal prononce la clôture de la liquidation.

§ 4. Le Roi détermine la procédure de consignation des actifs qui appartiendraient à la société et le sort de ces actifs en cas d'apparition de nouveaux passifs. »

Justification

Les organisations criminelles utilisent beaucoup les structures de sociétés, soit pour faciliter le déploiement de leurs activités, soit pour dissimuler celles-ci. Il est souhaitable d'épurer les activités économiques de ces sociétés. En outre, l'article 344 nouveau du Code pénal proposé par l'amendement nº 1, prévoit la confiscation des actifs de la personne morale. Il paraît judicieux de procéder immédiatement à la dissolution d'une société dont les actifs sont confisqués. D'où la proposition d'introduire une nouvelle forme de dissolution juridique des sociétés.

La dissolution peut être prononcée dès qu'un juge a ordonné la confiscation des actifs de la société, conformément à l'article 344 nouveau du Code pénal.

La dissolution ne résulte pas automatiquement du jugement qui condamne la société. Il doit être requis par la suite par le ministère public auprès, suivant le cas, soit du tribunal de commerce, soit du tribunal de première instance.

Les autres dispositions relatives à l'action en dissolution et à la liquidation sont basées en grande partie sur la dissolution des sociétés qui ne sont plus actives (article 177sexies, lois sur les sociétés commerciales).

Il semble préférable d'insérer d'ores et déjà cette disposition en attendant l'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales. Il n'est guère rationnel, en effet, de permettre des poursuites pour cause de recours à des structures commerciales ou autres si l'on ne prévoit aucune mesure à l'encontre de ces structures.

Le ministre plaide pour un examen global sur la base du projet dont le Conseil d'État est déjà saisi. L'amendement concerne la dissolution judiciaire des sociétés dont les actifs ont été confisqués. Le ministre considère toutefois que la première étape évidente serait de condamner aussi les sociétés, et non, dès lors, de les dissoudre. Ensuite, les sanctions doivent être plus diversifiées. La dissolution équivaut à une peine de mort pour les sociétés.

L'auteur de l'amendement renvoie également au § 3 de l'article 4 proposé. Celui-ci permet au tribunal de recourir à diverses méthodes de liquidation. Il ne s'agit donc pas uniquement de prononcer la peine de mort à l'encontre de la société. L'intervenant est cependant prêt à retirer son amendement si le ministre s'engage, dans le cadre de la discussion relative à la responsabilité pénale des personnes morales, à prendre en tout cas cet aspect en considération, comme pendant du projet en discussion.

Le ministre répond par l'affirmative.

Par conséquent, l'amendement nº 3 de M. Erdman est retiré.

Article 5 (nouveau) (Art. 6 du texte adopté)

M. Erdman dépose l'amendement suivant (doc. Sénat, nº 1-662/2, amendement nº 4) :

« Insérer un article 5 (nouveau), rédigé comme suit :

« Art. 5. ­ L'article 1er , § 2, 2º, b), de la loi du 3 janvier 1933 relative à la fabrication, au commerce et au port des armes et au commerce des munitions, est remplacé par le texte suivant :

« b) les articles 101 à 135quinquies, 193 à 214, 233 à 236, 269 à 274, 313, 322 à 331, 336, 337, 342, 343, 347bis, 392 à 415, 423 à 442, 461 à 488, 510 à 518 et 520 à 525 du Code pénal. »

Justification

La mention des articles 342 et 343 relatifs aux organisations criminelles est justifiée par la gravité du phénomène de la criminalité organisée.

Le retrait des articles 344 et 345 du Code pénal (Chapitre V, Des délits contre la sécurité publique commis par des vagabonds ou des mendiants) s'impose aussi, car ces articles ont été abrogés par l'article 28 de la loi du 12 janvier 1993 (Moniteur belge du 4 février 1993).

L'auteur de l'amendement explique que son but est d'insérer une référence dans la loi relative à la fabrication, au commerce et au port des armes et au commerce des munitions, en vue d'interdire aux membres d'organisations criminelles de disposer d'armes.

Une correction doit toutefois être apportée à l'amendement. Les articles 342 et 343 de l'énumération doivent être remplacés par les articles 324bis et 324ter .

Le ministre signale que le Gouvernement a préparé un nouveau projet sur les armes. Il souscrit cependant à l'amendement déposé par M. Erdman.

Ce dernier attire l'attention sur le fait que, compte tenu des articles déjà adoptés le renvoi aux articles 342 et 343 du Code pénal, prévu par l'amendement, ne se justifie plus. Il doit être remplacé par un renvoi aux articles 324bis et 324ter, qui est compris dans les termes « 322 à 331 » figurant déjà dans l'amendement.

Par conséquent, les chiffres « 342, 343 » figurant dans l'amendement sont biffés.

L'amendement reste malgré tout pertinent, parce qu'il supprime la référence, faite par l'article 1er , § 2, 2º, b) , de la loi sur les armes, aux articles 344 et 345 du Code pénal, abrogés par la loi du 12 janvier 1993.

Sous le bénéfice de cette correction, l'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Article 6 (nouveau) (Art. 7 du texte adopté)

M. Erdman dépose l'amendement suivant (doc. Sénat, nº 1-662/2, amendement nº 5) :

« Insérer un article 6 (nouveau), libellé comme suit :

« Art. 6. ­ À l'article 1er de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités et conférant aux tribunaux de commerce la faculté de prononcer de telles interdictions est ajouté un littera i), rédigé comme suit :

« i) infractions à l'article 342, § 2, § 3, § 4 et § 5, du Code pénal. »

Justification

Nous renvoyons en l'espèce au texte et à la justification des amendements nºs 1 et 3 concernant les (nouveaux) articles 344 du Code pénal et 177septies des lois sur les sociétés commerciales.

L'arrêté royal nº 22 du 24 octobre avait déjà été modifié par les lois des 4 août 1978 et 6 avril 1995. La dernière modification consista d'ailleurs à ajouter au littera f), les mots « escroquerie, recel ou toute autre opération relative à des choses tirées d'une infraction ». L'ajout que nous proposons ici s'inscrit tout à fait dans la même ligne.

L'auteur de l'amendement signale que la Chambre est saisie d'une proposition de loi de M. Giet « modifiant l'article 1er de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités et conférant aux tribunaux de commerce la faculté de prononcer de telles interdictions (Doc. Chambre, 1311/1 - 97/98).

Cette proposition de loi est actuellement en discussion et fait l'objet d'un certain nombre d'amendements (Doc Chambre, 1311/2 à 4).

Compte tenu du lien que présente l'amendement proposé par M. Erdman avec la matière traitée par le projet, le ministre n'a pas d'objection à ce que cet amendement soit inséré dans le texte en tant qu'article 6 nouveau. Cependant, l'amendement doit faire l'objet d'une connection analogue à celle apportée à l'amendement nº 4 (voir supra, article 5 nouveau (article 6 du texte adopté).

Les mots « à l'article 342, § 2, § 3, § 4 et § 5 » sont remplacés par les mots « aux articles 324bis et 324ter ».

Moyennant cette correction l'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

VII. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi amendé a été adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Hugo VANDENBERGHE. Roger LALLEMAND.

VIII. TEXTES ADOPTÉS

COMPARATIFS

Texte transmis par la Chambre
des représentants
Texte adopté par la Commission
de la Justice
Article premier Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution. La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'intitulé du chapitre Ier , titre VI, livre II, du Code pénal est remplacé comme suit :
« Chapitre Ier . ­ De l'association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés et de l'organisation criminelle. »
Art. 2 Art. 3
Le chapitre V, titre VI, IIe livre, du Code pénal est remplacé par les dispositions suivantes :
« Chapitre V. ­ Des organisations criminelles
Il est inséré entre les articles 324 et 325 du même Code des articles 324 bis et 324 ter , rédigés comme suit :
Art. 342. ­ Toute organisation composée de plus de deux personnes en vue de commettre de façon concertée et structurée des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave pour obtenir illicitement des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées et en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions constitue un crime ou un délit par le seul fait de l'organisation. « Art. 324 bis . ­ Constitue une organisation criminelle l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps , en vue de commettre de façon concertée [...] des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir, directement ou indirectement , des avantages patrimoniaux, [...] en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, [...] des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions [...] .
Art. 343. ­ § 1er . Toute personne qui fait partie de l'organisation criminelle visée à l'article 342 est punie d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants. Art. 324ter. ­ § 1er . Toute personne qui, volontairement et sciemment , fait partie d'une organisation criminelle [...] , est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants.
§ 2. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisaiton de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 343, est punie d'un emprisonnement d'un à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement. § 2. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait [...] que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324 bis , est punie d'un emprisonnement de un an à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement.
Art. 344. ­ Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, en ayant connaissance du caractère criminel de cette organisation, est punie de la réclusion de cinq à dix ans et d'une amende de cinq cents à cent mille francs ou d'une de ces peines seulement. § 3. Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, alors qu'elle sait que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 324 bis , est punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de cinq cents à cent mille francs ou d'une de ces peines seulement.
Art. 345. ­ Toute personne dirigeante de l'organisation criminelle est punie de la réclusion de dix à quinze ans et d'une amende de mille à deux cents mille francs ou d'une de ces peines seulement. ». § 4. Tout dirigeant de l'organisation criminelle est puni de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de mille à deux cent mille francs ou d'une de ces peines seulement. »
Art. 4
À l'article 325 du même Code, les mots « et 324 » sont remplacés par les mots « 324 et 324 ter ».
Art. 3 Art. 5
Dans l'article 90ter, § 2, du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 30 juin 1994 et modifié par les lois des 7 et 13 avril 1995, il est inséré un 3ºbis rédigé comme suit : Dans l'article 90ter , § 2, du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 30 juin 1994 et modifié par les lois des 7 et 13 avril 1995, il est inséré un 3ºbis rédigé comme suit :
« 3ºbis aux articles 342 à 345 du même Code; ». « 3ºbis aux articles 324 bis et 324 ter du même Code; ».
Art. 6
L'article 1er , § 2, b) , de la loi du 3 janvier 1933 relative à la fabrication, au commerce et au port des armes et au commerce des munitions, est remplacé par le texte suivant :
« b) les articles 101 à 135 quinquies , 193 à 214, 233 à 236, 269 à 274, 313, 322 à 331, 336, 337, 347 bis , 392 à 415, 423 à 442, 461 à 488, 510 à 518 et 520 à 525 du Code pénal. »
Art. 7
À l'article 1er de l'arrêté royal nº 22 du 24 octobre 1934 portant interdiction à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités et conférant aux tribunaux de commerce la faculté de prononcer de telles interdictions est ajouté un littera i), rédigé comme suit :
« i) infractions aux articles 324 bis et 324 ter du Code pénal. »

ANNEXES


Annexe I


1-326/7

1-326/7

Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

3 DÉCEMBRE 1997


Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique


PREMIER RAPPORT INTERMÉDIAIRE
SUR LA NOTION DE CRIMINALITÉ ORGANISÉE
FAIT PAR M. COVELIERS ET MME MILQUET


SOMMAIRE

  1. Introduction
  2. La définition de la criminalité organisée
    1. L'importance d'une définition
    2. La définition criminologique
      1. Définitions proposées par des institutions internationales
        1. Généralités
        2. Nations Unies
        3. Interpol
        4. Union européenne
      2. Définitions à l'étranger
        1. Pays-Bas
        2. Allemagne
        3. France
        4. Danemark
      3. Belgique : le choix de la définition de Bundeskriminalamt
    3. La définition pénale : organisation criminelle
      1. Introduction
      2. Le contexte de la discussion
        1. Le projet de loi belge
        2. Droit comparé
        3. Union européenne
        4. Italie
        5. Pays-Bas
        6. France
        7. Espagne
        8. Allemagne
        9. Grèce
        10. Autriche
        11. Irlande
    4. Points de référence de la commission
      1. Distinction entre la définition pénale et la définition criminologique
      2. Une définition procédurale distincte ?
      3. Le caractère exceptionnel de la criminalité organisée
      4. L'objectif des nouvelles incriminations
      5. Différence avec l'association de malfaiteurs
      6. Entreprises ayant pour but d'exercer une influence politique
      7. Conditions pour qu'il puisse y avoir incrimination d'individus
        1. Appartenance
        2. Les personnes extérieures
      8. Activités licites
      9. Application en fonction du lieu
  3. Conclusion de la commission d'enquête
    Annexe : liste des personnes entendues

I. INTRODUCTION

1. La lutte contre la criminalité organisée est devenue une préoccupation essentielle en Belgique et ailleurs dans le monde. La criminalité organisée est en effet considérée comme une menace pour la société, menace contre laquelle les autorités doivent réagir de manière adéquate (4) (5). À cet égard, celles-ci préparent et mettent au point diverses mesures qui devraient permettre d'attaquer le phénomène à la racine.

Pour pouvoir mener la discussion en connaissance de cause, en Belgique également, le Sénat a créé le 18 juillet 1996 une commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique [doc. Sénat, (1995-1996), nºs 1/326-1 à 6 et Compte rendu analytique du 18 juillet 1996).

2. Au cours de ses travaux, la commission a entendu un grand nombre de témoins qui sont associés à la lutte contre la criminalité organisée ou qui peuvent parler en connaissance de cause du phénomène (des professeurs et des chercheurs scientifiques) (6) (7).

On trouvera ci-après un éventail des différents points de vue avancés au cours des auditions en ce qui concerne la définition à donner de la criminalité organisée.

Pour le professeur Houchon (Université catholique de Louvain), il n'est pas indispensable de modifier la législation pour créer des infractions spécifiques, du moins pas en ce qui concerne le crime organisé (8).

C'est également l'avis du professeur Kellens (Université de Liège), qui est opposé à une définition juridique des organisations criminelles car c'est une sorte de création artificielle. On crée l'idée du phénomène que l'on veut combattre et on en fera ensuite une incrimination (9). Par rapport au projet de loi sur les organisations criminelles, le professeur Kellens est également opposé au fait que « pour être punissable, le critère sera celui de la connaissance par la personne du caractère criminel de l'organisation à laquelle elle appartient » (Doc. Chambre, 1996-1997, nºs 954/1-9). On doit juger quelqu'un en fonction de ses actes et non en fonction de ce qu'il sait ou de ce qu'il prétend savoir. Les professeurs mettent également en garde contre les risques de surinvestissement législatifs. Si des infractions nouvelles doivent être créées, cela ne peut se faire sans une révision sérieuse du Livre II du Code pénal (10).

Lors de son audition devant la commission de la Justice du Sénat le 28 mai 1996, M. Doraene, directeur de l'Ocdefo (11), soulignait la nécessité de combler une faiblesse de notre système pénal par l'incrimination pénale du « crime organisé » ou de la « criminalité organisée » On devrait faire application du principe de polarisation, qui consiste à mettre en oeuvre certains mécanismes particuliers lorsqu'une infraction est liée à la criminalité organisée. Ces mécanismes auraient trait notamment à l'aggravation de la peine, au renversement de la charge de la preuve quant au patrimoine d'origine criminelle, à l'application d'une loi sur les repentis ou la protection des témoins, à la mise en oeuvre des techniques spéciales d'enquête et à la responsabilité pénale des personnes morales. Rappelant son audition devant la commission de la Justice, M. Doraene se félicite aujourd'hui de l'existence d'un projet de loi sur les organisations criminelles, mais abonde dans le sens des critiques formulées par le Conseil d'État (12).

M. De Koster, substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance à Mons, détaché auprès de l'unité de coordination de la lutte anti-fraude de la Commission européenne (U.C.L.A.F.), déclare : « Pour les praticiens du droit que sont les magistrats du ministère public ou les magistrats du siège, cette définition (de la criminalité organisée) ne peut s'exprimer à travers les mots qui conviennent à l'imprécision médiatique ou la simple analyse criminologique. Elle devra, bien au contraire, être applicable et servir de base aux enquêtes policières. » (13)

La définition de « cette réalité » qu'est la criminalité organisée, se doit donc pour M. De Koster d'être juridique et uniquement juridique, y compris pour la police. Pour lui, il ne peut être question d'avoir une définition opérationnelle pour la police et ses enquêtes. M. De Koster relève ainsi « qu'en ce qui concerne la définition de l'entreprise criminelle organisée, force a été de constater qu'il n'existait aucune définition légale (en Europe). Tout au plus trouve-t-on des définitions opérationnelles répondant à des besoins spécifiques qui restent, cependant, éloignés des nécessités des enquêteurs (14).

La gendarmerie a utilisé la définition du Bundeskriminalamt de la République fédérale d'Allemagne (BKA) telle qu'elle a été adoptée par le collège des procureurs généraux pour faire ses rapports sur la criminalité organisée pour 1994 et 1995 ainsi que pour son analyse du phénomène. Elle a utilisé la définition de l'organisation criminelle telle que développée par le projet de loi pour ses enquêtes (15).

La gendarmerie est favorable à une « définition large à application contraignante mais flexible » (16). Ce choix est motivé par le fait que, selon la gendarmerie, d'une part, il faut pouvoir évoluer aisément avec la criminalité et, d'autre part, cette définition fournirait une couverture sous laquelle on peut notamment ranger l'ensemble de l'approche proactive. Pour pallier aux « inconvénients » d'une définition large, la gendarmerie propose d'assortir cette définition d'éléments concrets, tangibles et pertinents, c'est-à-dire des éléments mesurables pouvant se traduire par des indicateurs.

La Sûreté de l'État utilise la définition suivante de la criminalité organisée : « On entend par criminalité organisée tous les délits qui sont préparés ou commis selon certaines méthodes ou certains principes dans le contexte d'un groupement structuré et dirigé. La Sûreté de l'État est compétente en ce qui concerne les formes et structures de criminalité organisée :

a) qui ont un rapport essentiel avec les autres matières dont s'occupe la Sûreté de l'État,

b) ou qui peuvent avoir des effets déstabilisants sur le plan politique ou socio-économique. Il faut ajouter à cela que la Sûreté de l'État n'effectue pas de recherches ciblées sur des délits spécifiques, même lorqu'ils sont commis par des organisations criminelles dans les conditions visées sous a) et b) . » (Traduction.)

Cette définition sert en fait de description des compétences de l'Administration de la Sûreté de l'État. Elle figure entre autres, à côté de l'espionage et du terrorisme, sur la liste des sujets qui délimitent le champ d'action de ce service. Cette liste a été approuvée par le ministre de la Justice et doit permettre à la Commission de la protection de la vie privée de vérifier si la Sûreté de l'État respecte lors du traitement de données personnelles la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel.

Les magistrats nationaux, le conseiller général du Service de politique criminelle et le commandant de la gendarmerie ont marqué leur accord sur cette définition (17).

M. Van Lijsebeth, administrateur général de l'Administration de la Sûreté de l'État, attire l'attention sur le danger qu'il y a à donner une définition trop détaillée de la criminalité organisée, ce qui conduirait à maintenir certaines formes de criminalité hors de son champ d'application (18). La définition ne doit pas « se fixer de manière trop restrictive pour éviter que cette définition ne doive être actualisée chaque fois que des nouveaux phénomènes criminels devront être sanctionnés ».

M. Spreutels, avocat général près la Cour de Cassation et président de la Cellule du traitement de l'information (C.T.I.F.) a rappelé que les compétences de cette dernière sont définies par la loi du 11 janvier 1993 (Moniteur belge du 9 février 1993) relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux qui transpose en droit belge la directive du Conseil européen 91/308/C.E.E. du 10 juin 1991. Cette loi, modifiée par les lois du 11 juillet 1997 et du 7 avril 1995 ainsi que par les arrêtés royaux du 22 avril 1994 et du 24 mars 1995, est la première à avoir visé spécifiquement la notion criminalité organisée en Belgique (19). Son article 3, § 2, dispose :

« Pour l'application de la présente loi, l'origine des capitaux ou de biens est illicite lorsque ceux-ci proviennent de la réalisation :

1º d'une effraction liée :

­ au terrorisme;

­ à la criminalité organisée;

­ au trafic illicite de stupéfiants;

­ au trafic illicite d'armes, de biens et de marchandises;

­ au trafic de main-d'oeuvre clandestine;

­ au trafic d'êtres humains;

­ à l'exploitation de la prostitution;

­ à l'utilisation illégale chez les animaux de substances à effet hormonal, à effet anti-hormonal, à effet bêta-adrénergique ou à effet stimulateur de production ou au commerce illégal de telles substances;

­ au trafic illicite d'organes ou de tissus humains;

­ à la fraude au préjudice des intérêts financiers de l'Union européenne;

­ à la fraude fiscale grave et organisée qui met en oeuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale;

­ à la corruption de fonctionnaires publics;

2º d'un délit boursier ou d'un apport public irrégulier à l'épargne;

3º d'une escroquerie financière, d'une prise d'otages, d'un vol ou d'une extorsion à l'aide de violences ou de menaces, ou d'une banqueroute frauduleuse. »

Cette énumération limitative de l'article 3, § 2, de la loi du 11 janvier 1993 ne concerne que les cas d'application de cette dernière en renvoyant à une série de comportements mais sans se référer directement à une infraction du Code pénal. Il ne s'agit d'ailleurs que des dispositins à caractère administratif (20). En utilisant des termes généraux, la loi fait néanmoins une distinction entre la criminalité organisée et les autres comportements (qui peuvent être l'oeuvre d'organisations criminelles ou non). En ce qui concerne la notion de criminalité organisée à laquelle cet article fait référence, il résulte des travaux préparatoires de cette loi par la commission des Finances du Sénat que « la notion de criminalité organisée renvoie au delit d'association de malfaiteurs au sens des articles 322 à 326 du Code pénal » (21).

S'agissant de préciser le cadre de travail de la C.T.I.F., M. Spreutels précise les critères finalement appliqués pour préciser la notion de criminalité organisée telle qu'appliquée par la cellule : « outre la référence à l'association de malfaiteurs au sens pénal, nous avons pris en compte certains critères habituellement reconnus comme permettant de mieux cerner le phénomène du crime organisé; ceux-ci ne sont pas cumulatifs; il s'agit de l'utilisation de structures commerciales présentant le cas échéant une composante internationale, à savoir des sociétés écrans, le recours à des moyens violents pour commettre la criminalité de base, une certaine permanence d'activités criminelles dans le temps ­ faute de quoi le terme d'organisation serait impropre ­ et, surtout, un impact de ces activités sur la vie économique » (22).

Pour le juge d'instruction M. Van Espen, la définition de la criminalité organisée la plus ad hoc est probablement celle adoptée par le collège des procureurs généraux sur base de celle du B.K.A. (23). Il ne s'agit pas tant de traduire sous forme d'inculpation la problématique de la criminalité organisée, mais de la définir dans un texte légal pour assurer la sécurité juridique et donner aux magistrats les moyens de la combattre (24).

Selon M. Van Walleghem, directeur-général, l'administration des douanes et accises n'a pas de définition précise et propre de la criminalité organisée, et n'a de toute façon pas ressenti le besoin de disposer d'une définition spécifique, qui se différencie de celle adoptée dans le plan d'action du gouvernement (25).

Lors de leur audition, les douanes se sont référées à la définition élaborée par le gouvernement dans le cadre de son plan d'action contre la criminalité organisée pour pallier le fait qu'elles n'ont pas de définition spécifique, les termes utilisés par cette administration dans les réponses au questionnaire qui leur a été adressé étant plus révélateurs de leur approche réelle de la criminalité organisée : « Il existe une définition du gouvernement contenue dans le plan d'action contre la criminalité organisée. L'administration n'a aucune difficulté à l'accepter ». De même que dans son audition, M. Van Walleghem, directeur général déclarait : « N'ayant pas de définition, nous ne pouvons pas l'appliquer non plus et nous travaillons de manière pragmatique. Mes services spécialisés me disent qu'ils peuvent s'accommoder de cette définition du gouvernement (26). »

Les douanes travaillent de façon pragmatique en communiquant une liste d'infractions au parquet. Cette façon de travailler est similaire à celle appliquée par le Zollkriminalamt allemand. « Dans notre réponse écrite nous ne parlons pas de tous les délits, mais seulement de ceux `qui doivent être communiqués au parquet'. La douane allemande fait évidemment une sélection. Nous aussi. Nous ne pouvons communiquer au parquet les dizaines de milliers de délits que nous constatons chaque année. Nous ne mentionnons que les délits les plus importants dont nous pensons qu'ils intéressent le parquet (27). »

Selon M. Van Walleghem, les critères qui devraient se retrouver dans la définition de la criminalité organisée, sont les suivants :

« ­ violation des lois fiscales et éventuellement sociales et pénales;

­ importance des moyens mis en oeuvre (par exemple : fraude avec utilisation de documents falsifiés ou de faux en écriture...);

­ importance du profit illicite retiré de l'opération;

­ tentative de corruption de fonctionnaire;

­ organisation criminelle impliquant plusieurs auteurs;

­ champ d'action géographique : le plus souvent international. »

3. Les auditions ont en tout cas montré que la définition de la criminalité organisée était un problème particulièrement complexe. La commission a bien dû constater que si l'on a utilisé généralement, jusqu'à présent, la définition du Bundeskriminalamt allemand (B.K.A.) (voir nº 15), en Belgique, bien des témoins avaient leur propre définition ou tenaient à étoffer la définition existante en fonction de leur propre connaissance du phénomène. Le problème de la définition place beaucoup de témoins devant un paradoxe.

En effet, ils estiment qu'une définition de la criminalité organisée pourrait entraver leurs activités en ce sens qu'elle limiterait leur marge de manoeuvre. Ils craignent, en l'espèce, considérant que la criminalité est un phénomène particulièrement complexe et variable, de ne plus disposer de la flexibilité nécessaire dans la lutte contre celle-ci.

Mais, ils sont en même temps chaudement partisans d'une définition claire et univoque, étant donné que toute définition offre un point d'appui et qu'en l'espèce, elle indiquerait le sens dans lequel il y a lieu de développer la politique de lutte structurée contre la criminalité organisée.

Le colonel Bruggeman, assistant coordinator à Europol, a formulé ce paradoxe comme suit : « Sur ce plan, je suis quelque peu partagé. D'une part, je n'aime guère les définitions, parce qu'en tant que policier, dès que l'on arrive à la frontière de la criminalité organisée, on ne laisse pas volontiers passer certains groupements criminels importants. D'autre part, je reconnais sans peine que sur le plan juridique, nous avons besoin de la définition, pour n'autoriser des pratiques comme la recherche proactive que pour le « top » de la criminalité. » (28)

4. La commission partage ce point de vue et estime qu'il est fort important de définir clairement la criminalité organisée; elle se rend compte qu'il faut le faire avec beaucoup de prudence et en réfléchissant bien, pour en assurer l'applicabilité, mais aussi en veillant à ce qu'elle soit suffisamment précise pour pouvoir offrir les garanties nécessaires.

À cet égard, on peut faire ici une distinction entre la définition criminologique et la définition pénale. L'importance de cette distinction est expliquée ci-après.

II. LA DÉFINITION
DE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE

1. L'importance d'une définition

5. Les définitions de la criminalité varient d'un utilisateur à l'autre et en fonction de la finalité qui leur est donnée.

Si la définition a pour objet de dresser la carte du problème de société qu'est la criminalité et d'en constater la nature, la gravité et l'ampleur, alors il s'agit d'une définition criminologique. L'image que l'on obtient ainsi peut permettre de réagir, politiquement, d'une manière appropriée. Suivant la forme du phénomène, la réaction peut être très variable et s'inscrire soit dans le cadre du droit pénal soit en dehors de celui-ci.

En optant pour une définition trop large, applicable à des phénomènes très disparates, l'on risque de créer artificiellement un problème de société gigantesque. Il est fort possible qu'on s'oriente, en réaction, vers une politique permettant d'appliquer cette définition à un grand nombre d'actes délictueux et d'adopter, dans de nombreux cas, des modalités « particulières » pour la recherche, la poursuite et le jugement. C'est ainsi par exemple que toute forme de trafic de stupéfiants ne constitue pas de la criminalité organisée (cf. l'étudiant qui vend aux autres étudiants le cannabis qu'il cultive lui-même). Il n'est dès lors pas toujours nécessaire de prendre des mesures particulières. Sinon, l'on en arriverait inévitablement à une généralisation de l'application de mesures exceptionnelles. Des conflits surgissent sur ce point avec notre législation nationale et avec les principes généraux du droit inscrits dans les conventions et traités internationaux, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et son interprétation par la commission et la Cour européenne des droits de l'homme, qui posent comme principes essentiels la légalité, la légitimité, la subsidiarité et la proportionnalité (29).

En choisissant, au contraire, une définition trop étroite, l'on peut en venir à sous-estimer concrètement les phénomènes, si bien que l'on omettra de prendre les mesures appropriées, parce que le besoin de celles-ci ne se fera pas sentir clairement (30).

Une définition agit donc comme un compas en indiquant où il faut chercher la criminalité organisée. Si le compas est mal réglé, les résultats ne seront fatalement pas fiables (31).

Il importe donc de trouver, de la criminalité organisée, une définition qui ne soit ni trop large, ni trop étroite et qui permette de se faire une idée réelle du phénomène (32), de manière à ce que l'on puisse proportionner la réaction contre lui (33).

6. En revanche, si la définition vise à s'attaquer aux organisations criminelles en tant que telles, alors il s'agit d'une définition pénale. Dans ce cas, la criminalité organisée est considérée comme une infraction déterminée (approche matérielle), ou comme un critère entraînant, s'il est rempli, des conséquences juridiques précises dans le cadre de la recherche, des poursuites, du jugement et de l'exécution de la peine (approche formelle et procédurale). En effet, l'« approche » pénale n'est qu'un élément de l'« approche » totale du phénomène de la criminalité organisée et à laquelle elle doit être intégrée.

Au cours des auditions, l'on s'est demandé s'il fallait encore faire, dans l'approche pénale, une distinction entre un aspect matériel et un aspect formel (34).

7. L'importance d'établir une distinction entre une définition pénale et une définition criminologique ne peut pas être sous-estimée.

Une approche criminologique de la criminalité organisée vise uniquement à ce que l'on puisse se faire une idée exacte d'une série de phénomènes pouvant être qualifiés de très graves. Cela doit permettre au pouvoirs publics de mesurer la gravité de la menace que représente le phénomène et de fixer les vraies priorités politiques. Il est opportun de disposer, dans le cadre de cette approche criminologique, d'une représentation la plus large et la plus diversifiée possible, si bien que le recours à une définition plus large peut être justifié.

Dans le cadre de l'approche pénale, on ne peut pas concevoir aussi largement la notion de criminalité. La définition d'une notion qui doit servir de base au droit pénal matériel ou au droit formel doit, en effet, être suffisamment délimitée et précise. Une large définition est donc exclue. C'est pourquoi, dans l'approche pénale de la criminalité organisée, on choisit de parler d'« organisation criminelle » plutôt que de « criminalité organisée ». L'existence d'une « organisation criminelle » forme alors un élément constitutif d'une série d'infractions qui permettent de sanctionner pénalement un certain nombre d'aspects du phénomène de la criminalité organisée.

2. La définition criminologique

8. À ce jour, il ne s'est pas avéré possible d'établir une définition criminologique largement utilisable, comme définition de référence, par différents pays. La complexité de la matière et la spécificité des différentes situations et priorités nationales expliquent cette situation.

C'est ainsi qu'en Italie, l'on associe largement la criminalité organisée à la maffia, alors qu'en Espagne et en Allemagne, l'on considère que le terrorisme est une forme importante de criminalité organisée (35) (36).

A. Définitions proposées par des institutions internationales

a) Généralités

9. La criminalité organisée est un phénomène transfrontalier par excellence. La lutte contre celle-ci ne peut donc pas se limiter à des mesures exclusivement nationales, elle doit au contraire s'insérer dans une approche commune, ce qui nécessite un arsenal de notions univoque. C'est pour répondre à cette nécessité que des tentatives ont été faites dans différentes institutions internationales en vue de rédiger une définition uniforme de la criminalité organisée.

b) Nations Unies

10. En 1996, la Pologne a déposé aux Nations Unies un « Draft United Nations Framework Convention against Organized Crime », comportant une définition de la criminalité organisée :

« Organised crime means group activities of three or more persons, with hierarchical links or personal relationships, which permit their leaders to earn profits or control territories or markets, internal or foreign, by means of violence, intimidation or corruption, both in furtherance of criminal activity and to infiltrate the legitimate economy, in particular by :

­ Illicit traffic in narcotic drugs or psychotropic substances, and money laundering, as defined in the United Nations Convention Against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances of 20 December 1988;

­ Traffic in persons, as defined in the Convention for the Suppression of the Traffic in Persons and of the Exploitation of Prostitution of Others of 2 December 1949;

­ Counterfeiting currency, as defined in the International Convention for the Suppression of Counterfeiting Currency of 20 April 1929;

­ Illicit traffic in or stealing of cultural objects, as defined by the UNESCO Convention on the Means of Prohibiting and Preventing the Illicit Import, Export and Transfer of Ownership of Cultural Property of 14 November 1970 and the UNIDROIT Convention on Stolen or Illegally Exported Cultural Objects of 24 June 1995;

­ Stealing of Nuclear material, its misuse or threats to misuse to harm the public, as defined by the Convention on the Physical Protection of Nuclear Material of 3 March 1980;

­ Terrorist acts;

­ Illicit traffic in or stealing of arms and explosive materials or devices;

­ Illicit traffic in or stealing of motor vehicles;

­ Corruption of public officials.

For the purpose of the present Convention « organised crime » includes commission of an act by a member of a group as part of the criminal activity of such organisation. »

c) Interpol

11. Interpol et le « National Criminal Intelligence Service » du Royaume-Uni utilisent la définition suivante :

« Any enterprise, or group of persons engaged in continuing illegal activities which has its primary purpose in the generation of profits, irrespective of national boundaries (37). »

d) Union européenne

12. Dans le cadre du titre VI du Traité de Maastricht, les États membres de l'Union européenne sont convenus, au sein du groupe de travail « drogues et criminalité organisée », de la définition suivante (38).

« Pour qu'une infraction ou un groupe criminel ressortisse à la criminalité organisée, six des caractéristiques énumérées ci-dessous au moins doivent être présentes, dont celles des trois numéros 1, 5 et 11 :

1. Collaboration entre plus de deux personnes;

2. des tâches spécifiques étant attribuées à chacune d'elles;

3. sur une période de temps assez longue ou indéterminée;

4. avec une forme de discipline et de contrôle;

5. suspectées d'avoir commis des infractions pénales graves;

6. agissant au niveau international;

7. recourant à la violence ou à d'autres moyens d'intimidation;

8. utilisant des structures commerciales ou de type commercial;

9. se livrant au blanchiment de l'argent;

10. exerçant une influence sur les milieux politiques, les médias, l'administration publique, le pouvoir judiciaire ou l'économie;

11. agissant pour le profit et/ou le pouvoir. »

Selon M. Vandoren, magistrat national, les caractéristiques 1, 3, 5 et 11 (39) (40) doivent en tout cas figurer parmi les six caractéristiques qui doivent au minimum être réunies.

B. Définitions à l'étranger

13. Comme on l'a précisé ci-dessus (voir le nº 8), les définitions nationales de la criminalité organisée reflètent diverses priorités politiques. Il arrive même souvent qu'il n'y ait pas unanimité au niveau national sur une définition (41).

À titre d'illustration de la divergence entre les diverses conceptions, les définitions néerlandaise et allemande sont placées à la suite l'une de l'autre, pour souligner le contraste. Elles indiquent à quel point des choix fondamentaux s'imposent lorsqu'on arrête une définition.

a) Pays-Bas

14. Dans le cadre des travaux de la commission d'enquête parlementaire « Opsporingsmethoden » ­ appelée généralement, du nom de son président, Commission van Traa ­, on s'est intéressé au problème de la définition de la criminalité organisée. Finalement, on a opté pour l'enquête criminologique, sur la proposition du groupe d'enquête Fijnaut, pour la définition suivante :

« Il est question de criminalité organisée si des groupes, dont le but primaire est la recherche de gains illicites, commettent systématiquement des crimes entraînant des conséquences graves pour la collectivité et sont à même de masquer ces crimes de manière relativement efficace, en particulier en se montrant prêt à faire usage de la violence ou à éliminer des personnes par le biais de la corruption (42). »

b) Allemagne

15. Selon le Bundeskriminalamt (B.K.A.), il y a lieu d'entendre par criminalité organisée :

« 1. La perpétration systématique d'infractions qui, chacune en soi ou dans leur totalité, ont une importance considérable;

2. motivées par l'appât du gain ou la recherche du pouvoir;

3. par plus de deux personnes agissant ensemble;

4. pendant une période assez longue ou indéterminée;

5. avec une répartition des tâches, par lesquelles les auteurs :

a) font usage de structures commerciales;

b) et/ou ont recours à la violence ou à d'autres techniques d'intimidation;

c) et/ou exercent une influence sur la vie politique, les médias, l'administration publique, la justice ou l'industrie. »

16. À titre d'information, voici encore les définitions qui sont utilisées en France et au Danemark. Elles doivent toutefois être considérées avec la réserve exprimée au nº 13.

c) France

17. Dans son rapport, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale chargée d'examiner les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la mafia en France a défini la mafia comme suit (43) :

« Organisation criminelle, mais aussi système de pouvoir et système économique, la Mafia sicilienne ou « Cosa Nostra », présente des traits qui la distinguent de la plupart des autres formes de criminalité organisée et lui donnent son efficacité très particulière. C'est une organisation structurée et hiérarchisée, dont le noyau est constitué par la « famille » fonctionnant sur la base de règles strictes dont le non-respect est sévèrement sanctionné, exerçant son pouvoir sur un territoire, et dont la finalité est de tirer profit d'activités illicites par une panoplie de méthodes allant du parasitisme social à la violence. »

« Au-delà de ses aspects folkloriques, qui donnent du phénomène une image à la fois limitative et emphatique, la Mafia constitue un système de criminalité organisée d'une redoutable efficacité, susceptible de servir de modèle à d'autres organisations criminelles. Née en Sicile, fondée sur certaines valeurs typiques de cette région, nourrie de sa culture propre, la Mafia présente certaines caractéristiques sans doute trop spécifiques pour pouvoir être reproduites ailleurs, mais qui une fois épurées de ces connotations particulières, pourrait être transposées par d'autres organisations criminelles tentées par l'efficacité du modèle. Car si le crime organisé est une réalité internationale, fort peu nombreuses sont les organisations fonctionnant sur des bases comparables à la Mafia qui, même abstraction faite de ses aspects « folkloriques », présente une forte originalité. »

d) Danemark (44)

18. Il n'y a pas, dans le système juridique danois, de définition légale de la criminalité organisée. Cette notion est maniée par les services de police, et délimitée au départ de critères repris en grande partie de sources étrangères.

La rapport « Organiseret kriminalitet * Rockerkriminalitet » a proposé les critères suivantes :

­ la criminalité organisée est commise en association;

­ les auteurs font parties d'une organisation fortement hiérarchisée;

­ l'organisation est érigée en matière telle que le rapport entre la direction centrale et la périphérie qui commet les délits, est occulté;

­ une partie de l'organisation exploite des entreprises légales dans lesquelles les gains criminels peuvent être investis et blanchis;

­ l'organisation se caractérise par une discipline forte, dont fait partie la violence interne et externe, afin de protéger l'organisation et ses activités;

­ l'organisation tente de cacher la trace de ses activités criminelles notamment par la violence, la menace, des tracasseries ou la corruption.

­ il est question de criminalité lourde qui génère des gains considérables, par exemple le trafic de stupéfiants, trafic d'armes, traite d'hommes et prostitution, etc.;

­ l'exécution matérielle est techniquement avancée, riche en moyens et internationale.

Le rapport « Organiseret kriminalitet * Rockerkriminalitet » conclut que, jusqu'à présent, au Danemark, seules, en fait, les bandes de motocyclistes répondent plus ou moins à cette ébauche de profil, mais il ajoute que l'« on doit craindre que la criminalité organisée internationale ne passe la frontière si elle n'est pas combattue. »

Les critères cités pour définir la notion de criminalité organisée créent une image quelque peu abstraite qu'il n'est pas possible de rendre juridiquement opérationnelle au Danemark. Les mesures relatives aux méthodes particulières de recherche ne sont donc pas tant des réactions au type de criminalité organisée étrangère à laquelle il faut s'attendre que des réactions au trafic d'armes et de stupéfiants, qui est surtout le fait des bandes de motocyclistes. L'on a normalisé, dans le Code de procédure pénale danois, une série de méthodes de recherche utilisées pour combattre la criminalité organisée. La notion de criminalité organisée est si vague qu'il n'existe pas, au Danemark, de méthodes de recherches utilisées uniquement pour cette criminalité. Les délits pour lesquels l'application des méthodes de recherche particulières les plus radicales est autorisée sont soit des délits punissables d'au moins six ans d'emprisonnemnt, soit des délits spécifiquement désignés.

C. Belgique : le choix de la définition du Bundeskriminalamt

19. En 1992, on a choisi en Belgique, sur la proposition des magistrats nationaux et en accord avec le Collège des procureurs généraux et le Gouvernement, d'utiliser la définition allemande du Bundeskriminalamt (B.K.A.).

La définition telle que reprise dans le plan d'action du Gouvernement contre la criminalité organisée se présente comme suit :

« 1. La perpétration de manière méthodique, de délits qui sont, chacun en soi ou dans leur totalité, d'une importance considérable.

2. Par amour du gain ou par recherche du pouvoir.

3. Par plus de deux personnes agissant ensemble.

4. Durant une période assez longue ou indéterminée.

5. Suivant une répartition des tâches :

a) en abusant de structures commerciales et/ou

b) en recourant à la violence ou à d'autres moyens d'intimidation et/ou;

c) en exerçant une influence sur la vie politique, les médias, l'administration publique, la justice ou la vie économique. »

« Outre les formes de crime organisé plus manifestes (par exemple le maffia, la criminalité avec violences graves), cette définition comprend également la criminalité d'organisation (membres d'une organisation légale qui commettent des infractions sans que l'organisation elle-même fonctionne comme organisation criminelle) » (45).

Comme cette définition du B.K.A. ouvre la porte à de larges interprétations, elle a été récemment rendue opérationnelle dans le rapport rédigé par le ministre de la Justice et intitulé « Rapport annuel 1997 ­ Criminalité organisée 1996 ». Cela signifie que les différentes notions que couvre la définition ont été précisées et explicitées concrètement, pour réduire autant que faire se peut tout risque d'interprétation subjective. On a donc choisi de transposer, dans la mesure du possible, les composantes de la définition du B.K.A. en éléments contrôlables ou mesurables. Pour ce qui est des éléments qui ne le sont pas directement, l'on a mis au point des indicateurs visant à exclure un maximum d'interprétations libres.

C'est ainsi que, pour la notion d'« infractions qui ont une importance considérable dans leur totalité », par exemple, on utilise les indicateurs suivants : l'organisation a commis au moins 10 faits; le patrimoine illégal total estimé sur une base annuelle s'élève à au moins 10 millions de francs; la valeur numéraire du volume du flux illégal de biens (notion plus large que celle de volume des biens saisis) est supérieure à 50 millions de francs et le préjudice (matériel) social subi est d'au moins 100 millions de francs. On rend opérationnel le critère « pendant une période assez longue » en définissant en principe cette période comme une période d'au moins une année » (46).

La définition du B.K.A., qui est généralement qualifiée d'opérationnelle, ne peut être employée qu'en tant que définition criminologique et ne repose sur aucune base légale (47).

M. Van Camp, procureur général près la Cour d'appel d'Anvers a fait remarquer à cet égard que « l'objectif n'était pas d'utiliser une définition juridique, car nous n'en étions pas encore là à l'époque. Nous voulions réaliser, dans le cadre de l'Union européenne, la meilleure collaboration possible entre les services de police. La définition du Bundeskriminalamt est une définition policière et non pas une définition figurant dans un texte de loi (48) ». M. Vanhaecke, premier substitut du procureur du Roi près le Tribunal de première instance de Bruxelles déclarait en outre : « Il va de soi que ces définitions sont un instrument de travail pour que l'on puisse savoir de quoi l'on parle effectivement, car la criminalité organisée n'est évidemment pas une notion univoque (49). »

20. La définition du B.K.A. est généralement qualifiée de définition large. C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête parlementaire néerlandaise « Opsporingsmethoden » a choisi de ne pas l'utiliser et d'établir sa propre définition (voir nº 14). Selon elle, cette définition est si large que de nombreuses formes de criminalité qui n'ont jamais, ni en Europe occidentale, ni en Amérique du Nord été rattachées à la criminalité organisée, se retrouveraient soudainement toutes incluses sous cette dénomination, ce qui ferait d'emblée et sans raison, de « la » criminalité organisée un problème gigantesque (50).

Ainsi, il faut ainsi éviter que des actions d'organisations de défense de l'environnement et d'organisations syndicales au sein desquelles des infractions sont commises ne soient automatiquement qualifiées de criminalité organisée.

Si la définition du B.K.A. était jugée trop large par la Commission d'enquête parlementaire néerlandaise, la définition adoptée par elle est à présent à son tour jugée trop rigide par certains.

La différence entre les deux définitions se situe principalement au niveau des contre-stratégies. Selon la définition du B.K.A. utilisée en Belgique, il est question de criminalité organisée dès qu'une organisation fait usage de structures commerciales sans recourir nécessairement à la corruption ou à l'intimidation ou sans exercer aucune influence sur la vie politique, les médias, l'administration publique, la justice ou l'industrie. Dans le cadre de la définition néerlandaise, par contre, la présence des contre-stratégies que sont l'intimidation, la violence ou la corruption est une condition nécessaire de l'existence de la criminalité organisée.

Les conséquences de cette distinction sont importantes, parce que certaines formes de criminalité en col blanc, qui ne sont pas visées par la définition néerlandaise, le sont bel et bien par la définition utilisée en Belgique. Selon certains observateurs, les groupements qui fraudent systématiquement et sur une grande échelle, par exemple, ne seraient, en vertu de la définition néerlandaise, pas rangés sous l'étiquette d'activités de criminalité organisée que si l'on peut démontrer qu'ils sont tout à fait disposés à faire usage de l'intimidation, de la violence ou de la corruption comme contre-stratégies. Selon la définition belge, ces groupements seront répertoriés sous le dénominateur commun de criminalité organisée, même s'ils ne sont pas prêts à recourir à la violence ou à la corruption.

21. À la question de savoir quelle était la différence entre la définition néerlandaise et la définition allemande, que la Belgique a reprise, le professeur Fijnaut, qui a dirigé le groupe de recherche qui a procédé à une recherche criminologique pour la commission d'enquête néerlandaise « Opsporingsmethoden », a, lors de l'audition du 22 novembre 1996, répondu ce qui suit (51) :

« Je commencerai par dire pourquoi, d'une manière générale, je m'oppose à la définition du B.K.A. et je donnerai ensuite un exemple concret. Les premiers points de la définition du B.K.A. et de la définition que nous avons utilisée correspondent : il s'agit de groupes qui travaillent de façon systématique, ont pour objectif de réaliser des gains et commettent des délits graves soit au marché noir, soit en contrôlant les secteurs économiques légaux. Les définitions s'écartent l'une de l'autre ­ mais c'est justement d'après moi le point crucial ­, sur le plan des contrestratégies. Selon le sixième point de la définition du B.K.A. on a déjà à faire à de la criminalité organisée lorsque ces groupes adoptent la forme d'une structure commerciale. Vient ensuite le point du recours à la corruption ou à l'intimidation. Cela signifie que la définition du B.K.A. permet de couvrir toutes les formes de fraude possibles. Il n'y a plus de frein. Des entreprises très importantes qui, certes, opèrent peut-être de façon non réglementaire et commettent des actes irréguliers ou illégaux se voient cataloguées d'un seul coup comme s'adonnant à la criminalité organisée, alors qu'elle ne s'en prendront jamais aux pouvoirs publics. Dans le cas des Pays-Bas, je cite toujours l'exemple du groupe Van der Valk. Beaucoup, en Belgique, le connaissent également, parce que Van der Valk a implanté aussi des restoroutes en Belgique. Ce groupe a fait l'objet d'une importante procédure pénale menée en collaboration par la police ordinaire et le F.I.O.D., l'équivalent néerlandais de l'I.S.I. Les faits et gestes de la firme ont été soumis à une énorme enquête. »

« On a par exemple constaté que pendant des années l'entreprise avait été très négligente dans le paiement de ses impôts. De plus, on a régulièrement fait état d'infractions à la législation du travail, à la législation sur les étrangers, etc. Si l'on devait lui appliquer la définition du B.K.A. Van der Valk serait considéré comme une famille pratiquant la criminalité organisée. En fait, on ne pourrait plus faire de distinction entre un groupe relevant de la Cosa Nostra et le groupe Van der Valk. Van der Valk est une entreprise familiale. Le grand-père, les fils et les filles, les petits-fils et les petites-filles gèrent l'ensemble des entreprises. Ils travaillent de façon tout à fait autonome. Ils ont leur propre usine de poissons, leurs propres entreprises horticoles, des fermes et des élevages. Toute leur activité fonctionne en autarcie aux Pays-Bas et, partiellement en Belgique et en Allemagne. Et cettte entreprise devrait être le prototype d'une famille mafieuse néerlandaise. Trois livres ont été consacrés à cette entreprise et cela fait des années que je collectionne tous les articles de presse publiés à son sujet, mais jamais il n'y a eu d'informations affirmant que le groupe se serait rendu coupable de corruption publique, d'intimidation de fonctionnaires, ou de corruption de journalistes en vue de jeter le discrédit sur des policiers ou des agents du fisc. Rien de tout cela. Si les autorités néerlandaises s'étaient acquittées systématiquement de leurs tâches de contrôle normales à l'égard du groupe Van der Valk, celui-ci n'aurait pas été condamné cette année par la Cour d'appel de La Haye à payer 136 millions d'arriérés d'impôt. Le groupe a omis de faire un certain nombre de choses, mais cela ne constitue pas encore de la criminalité organisée. Si l'on postule que l'entreprise Van der Valk fait de la criminalité organisée, alors il y aurait aux Pays-Bas une criminalité organisée gigantesque. Il y a en effet de nombreuses entreprises qui, sous la forme de criminalité d'organisation ­ de corporate crime , comme disent les Américains ­, transgressent toutes les législations possibles, depuis la législation sur l'environnement jusqu'à la législation du travail. Si l'on qualifie cela de criminalité organisée, alors nos pays sont vraiment confrontés à des problèmes gigantesques. Cela devrait conduire à une mobilisation sans précédent des pouvoirs publics. »

« Or, c'est précisément l'utilisation de stratégies offensives, de la contre-information, de la corruption, de l'intimidation et de la manipulation des médias qui permet de faire la différence. Nous n'entendons pas pour autant dédouaner ces entreprises ni prétendre que ce qu'elles font n'est pas grave. »

« Un autre exemple néerlandais est celui de T.C.R., une grande firme de nettoyage dans le port de Rotterdam et qui pourtant subventionnée par les pouvoirs publics, pour ainsi dire contaminé tout le port de Rotterdam pendant des années. La firme était chargée du traitement de tous les déchets en provenance des navires, mais elle les mélangeait et les déversait illégalement dans le port de Rotterdam. Ce fut un véritable scandale, un problème écologique de premier ordre. Je ne disais cependant absolument pas que c'était un problème de criminalité organisée. En effet, pour T.C.R. aussi, si les autorités néerlandaises avaient exercé en temps voulu leurs pouvoirs de contrôle pour maintenir T.C.R. dans le droit chemin, le problème ne se serait jamais présenté. »

« Ce genre de pratiques a posé de très sérieux problèmes, avec des conséquences financières énormes et des séquelles écologiques considérables, mais d'après moi, tout comme d'après la commission Van Traa, on ne peut pas parler ici de criminalité organisé. On n'a, par exemple, pas infiltré l'entreprise pour découvrir l'illégalité où se trouvait le groupe Van der Valk, ni pour contrôler T.C.R. Il n'est pas nécessaire de recruter des informateurs pour faire les découvertes. Il suffit que les pouvoirs publics utilisent les compétences qui sont les leurs. Ils peuvent d'ailleurs redresser très facilement cette illégalité. Cela ne requiert pas de recourir à des méthodes d'investigations particulières susceptibles de mettre les pouvoirs publics eux-mêmes en difficultés. Ces techniques ne doivent être utilisées que de façon limitée et sélective, et uniquement dans des circonstances appropriées. »

22. Le point de vue du professeur Fijnaut ne fait toutefois pas l'unanimité aux Pays-Bas. C'est ainsi que P.C. van Duyne s'est montré très critique à l'égard de la définition utilisée par la commission van Traa. « La définition du B.K.A. », dit-il, « présente deux caractéristiques forts importantes. Premièrement, elle se fonde non pas sur la notion de groupement, mais sur celle de l'accomplissement systématique de faits axés sur le gain (ou le pouvoir) et qui sont commis naturellement par plus de deux personnes. L'on met ainsi davantage l'accent sur l'acte criminel et la collaboration qu'il nécessite que sur le groupement criminel (existant). Deuxièmement, cette définition n'exclut pas les faits qui permettent d'engranger systématiquement un profit. Cela implique formellement que nous ne restons pas confinés dans l'économie parallèle traditionnelle et que le crime au niveau de l'entreprise est pris en considération. Cela signifie, par exemple, que l'on ne fait pas de distinction entre la fraude organisée aux placements ou aux devises qui aurait été commise par trois messieurs bien « comme il faut » qui utilisent des techniques complexes en matière de sociétés et une bande de « petits malfrats » au casier judiciaire surchargé qui tentent de masquer leurs trafics criminels par la violence » (52).

P.C. van Duyne ajoute en ce qui concerne les contre-stratégies, qu'« une lecture littérale de la définition de la commission van Traa excluerait les organisations coupables de fraude, ce qui nous confine à nouveau à l'économie parallèle classique. Nous avons affaire alors à un important effet d'orientation politique. Nous avons vu que la définition du B.K.A. ne connaît pas cette restriction. Ce qui frappe, c'est précisément que la criminalité frauduleuse est plus forte que la doctrine de Fijnaut : la plupart des affaires frauduleuses décrites (...) correspondent à la définition du B.K.A. mais pas à celle de Fijnaut et consorts, surtout pas si l'on prend en considération leur commentaire. La raison en est qu'on place précisément au centre de cet élément la capacité et la volonté de se défendre efficacement contre les autorités, en d'autres termes, la lutte contre cette autorité » (53).

Tout comme le professeur Fijnaut cite la fraude commise par le groupe Van der Valk à l'appui de sa thèse selon laquelle cela échappe au champ d'application de la criminalité organisée, P.C. van Duyne cite le même groupe pour étayer son affirmation que la commission van Traa s'est laissée guider, pour définir la criminalité organisée, par un indicateur unilatéral tourné vers l'économie parallèle classique des groupes criminels (54). La critique de P.C. van Duyne porte sur le fait que le professeur Fijnaut laisse l'économie normale à l'écart partant d'une sorte de sentiment d'appartenance.

23. Lors de son audition, le professeur Fijnaut a fait une distinction entre « criminalité organisée » et « criminalité d'organisation », cette dernière notion visant la perpétration d'infractions par des membres d'une organisation légale (entreprise, a.s.b.l., ou autre), qui se servent des structures de cette organisation, mais sans que celle-ci ne se mette à fonctionner elle-même comme une organisation criminelle.

La définition de la criminalité organisée utilisée en Belgique est donc, à l'instar de la définition allemande, également applicable à la « criminalité d'organisation ».

Une autre différence importante entre la définition applicable aux Pays-Bas et la définition belge réside dans le fait qu'il est question, dans cette dernière, de « recherche de gains et de pouvoir », tandis que la première est plus restrictive, en ce sens que, selon elle, un groupe ne peut se livrer à de la criminalité organisée que si son but primaire est de réaliser des gains illégaux. Dès lors, le terrorisme ne tombe pas nécessairement sous la définition applicable aux Pays-Bas, mais bien sous la définition belge (55).

24. La commission estime que la définition criminologique ne peut de toute manière pas être utilisée pour l'incrimination. Le problème de la nécessité d'une définition pénale et de son libellé est examiné ci-dessous.

3. La définition pénale :
organisation criminelle

A. Introduction

25. Lors de la discussion de la proposition tendant à créer la commission d'enquête, on est parti de l'idée qu'elle ne se substituerait pas à la commission de la Justice en ce qui concerne l'examen des projets de loi qui l'intéressent :

« Le Gouvernement peut donc prendre toutes les initiatives législatives qu'il souhaite en vue de mettre en oeuvre son plan d'action et le faire en suivant la procédure parlementaire habituelle. » On y ajoute cependant immédiatement que « cela ne doit toutefois pas empêcher la commission d'enquête d'examiner les points que le Gouvernement aurait mis à l'ordre du jour des activités parlementaires. Il n'y pas d'exclusive en ce domaine (56). »

Après avoir tenté de dresser, à l'intention de l'opinion publique, un tableau de la criminalité organisée, pour éviter que « la discussion relative à cette problématique ne verse dans la phraséologie » (57), la commission d'enquête a, en effet, décidé, « en partant de la constatation que les méthodes classiques de recherche et de poursuite ne suffisent plus à enrayer ce phénomène criminel, de déterminer comment il est possible de lutter contre les organisations criminelles de manière efficace et légale ».

Il a également été souligné qu'« (...) il importe d'élaborer un cadre juridique permettant de déployer une politique adaptée de recherche et de poursuite contre la criminalité organisée » (58).

26. Le ministre de la Justice a approuvé la création de la commission d'enquête et a attiré l'attention, à l'époque, sur l'existence du plan d'action contre la criminalité organisée. Le Gouvernement énumère les champs d'action dans lesquels on pourra engager la lutte contre la criminalité organisée. Le ministre a ensuite cité, comme premier champ d'action, le droit pénal matériel avec, « entre autres, la définition de la criminalité organisée, le problème des actes préparatoires, la responsabilité pénale des personnes morales, ... » (59).

Au cours du débat consacré à la création de la commission d'enquête, on a constaté que :

« Le plan d'action définit la notion de criminalité organisée de deux manières, en fonction de l'approche de travail.

D'une part, il y a la définition opérationnelle, qui doit être utilisée pour l'enquête et l'analyse. L'accent est mis ici sur les aspects sociaux, sociologiques et politiques.

D'autre part, il y a la définition pénale, qui permettra d'engager des poursuites. À cet égard, la question est de savoir si les qualifications actuelles sont appropriées ou non. Dans la négative, il faudra en élaborer de nouvelles.

La commission devra se prononcer sur ces hypothèses de travail » (60).

B. Le contexte de la discussion

a) Le projet de loi belge

27. Le projet de loi sur les organisations criminelles a permis de donner un contenu concret à cette discussion. Le Gouvernement et la Chambre des représentants ont fait une série de choix. Mais on ne saurait perdre de vue qu'elle a également compté sur l'apport du Sénat, qui avait déjà manifesté un intérêt spécifique pour la matière.

28. À cet égard, le Gouvernement est parti du principe que les qualifications qui figurent dans la législation belge actuelle sont insuffisantes, mais il a omis de dire quelles sont exactement les dispositions pénales en question ni en quoi elles laissent à désirer (61).

Pour combler les lacunes qu'il a relevées, le Gouvernement a d'abord et surtout proposé d'insérer dans le Code pénal un article définissant l'organisation criminelle. Dans les articles suivants, il énumère une série de comportements qui sont liés à l'existence de l'organisation criminelle ainsi définie et prévoit de lourdes peines pour ceux qui se laisseraient aller à ceux-ci. L'existence d'une organisation criminelle ainsi définie est donc un des éléments constitutifs que le ministère public doit prouver lorsqu'il reproche à des individus d'avoir eu un comportement délictueux.

29. On trouvera ci-après le texte de l'article 2 du projet de loi tel qu'il a été adopté par la Chambre des représentants, le 5 juin 1997 (62), et évoqué par le Sénat, le 10 juin 1997 (63).

« Art. 2

« Le chapitre V, titre VI, IIe livre, du Code pénal est remplacé par les dispositions suivantes :

« Chapitre V. ­ Des organisations criminelles

Art. 342. ­ Toute organisation composée de plus de deux personnes en vue de commettre de façon concertée et structurée des crimes ou délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave pour obtenir illicitement des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques ou privées et en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, les armes, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d'infractions constitue un crime ou un délit par le seul fait de l'organisation.

Art. 343. ­ § 1er . Toute personne qui fait partie de l'organisation criminelle visée à l'article 342 est punie d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement, même si elle n'a pas l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants.

§ 2. Toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle, alors qu'elle sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci, tels qu'ils sont prévus à l'article 342, est punie d'un emprisonnement d'un à trois ans et d'une amende de cent à cinq mille francs ou d'une de ces peines seulement.

Art. 344. ­ Toute personne qui participe à toute prise de décision dans le cadre des activités de l'organisation criminelle, en ayant connaissance du caractère criminel de cette organisation, est punie de la réclusion de cinq à dix ans et d'une amende de cinq cents à cent mille francs ou d'une de ces peines seulement.

Art. 345. ­ Toute personne dirigeante de l'organisation criminelle est punie de la réclusion de dix à quinze ans et d'une amende de mille à deux cent mille francs ou d'une de ces peines seulement. »

b) Droit comparé

30. Parmi les éléments présentant un intérêt pour la problématique envisagée, les législations suivantes peuvent être mises en évidence.

1. Union européenne

31. Dans divers forums internationaux, on suggère que les législateurs nationaux instituent une incrimination spécifique aux organisations criminelles.

C'est ainsi qu'un groupe de hauts fonctionnaires de l'Union européenne (le High Level Group) a mis sur pied un plan d'action qui recommande de rendre punissable dans tout État membre la participation à une organisation criminelle, quel que soit le lieu, au sein de l'Union européenne, où l'organisation peut être localisée ou exerce ses activités. Il est suggéré de définir une organisation criminelle dans le même sens que ce qui est prévu à l'article 3, paragraphe 4 de la Convention du 27 septembre 1996 relative à l'extradition entre les États membres de l'Union européenne (64). Cet article est libellé comme suit :

« Donne lieu à extradition, aux termes de l'article 2, § 1er , le comportement de toute personne qui contribue à la perpétration, par un groupe de personnes agissant dans un but commun, d'une ou de plusieurs infractions relevant d'activités de terrorisme au sens des articles 1er et 2 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme, du trafic de stupéfiants et d'autres formes de criminalité organisée ou d'autres actes de violence dirigés contre la vie, l'intégrité corporelle ou la liberté d'une personne, ou créant un danger collectif pour des personnes, punies d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins douze mois, même lorsque cette personne ne participe pas à l'exécution proprement dite de l'infraction ou des infractions en cause.

Sa contribution doit avoir été intentionnelle et commise en ayant connaissance soit du but et de l'activité criminelle générale du groupe, soit de l'intention du groupe de commettre l'infraction ou les infractions en cause (65). »

2. Italie

32. Introduit par une loi du 13 septembre 1982, l'article 416bis du Code pénal prévoit :

« Tous ceux qui font partie d'une association de type mafieux (associazione di tipo mafioso ), composée de trois personnes ou plus, sont passibles d'une peine de trois à six ans de réclusion.

Tous ceux qui encouragent, dirigent ou organisent l'association sont passibles, à ce titre uniquement, d'une peine de quatre à neuf ans de réclusion.

L'association est de type mafieux si, dans le but de commettre des infractions pénales, ses membres utilisent l'intimidation ou la loi du silence (omerta) et la soumission, pour obtenir la gestion ou le contrôle, directement ou indirectement, d'activités économiques, de concessions, d'autorisations, d'adjudications et de services publics ou pour réaliser, pour leur propre compte ou pour celui de tiers, des profits ou des avantages injustifiés ».

Cet article constitue en fait une variante aggravée de l'« association de malfaiteurs » instituée par l'article 416 du Code pénal italien.

L'association de type mafieux a été définie par référence à la mafia sicilienne traditionnelle mais, formulée en termes généraux, elle peut s'appliquer à n'importe quel groupe criminel agissant de la même manière que la mafia.

Quelles sont les caractéristiques de l'association de type mafieux ?

Selon la loi italienne, il importe que le groupe criminel agisse selon des méthodes mafieuses, à savoir :

­ l'usage d'un pouvoir d'intimidation créée par l'association;

­ la soumission obtenue par la crainte du groupe;

­ l'application de la loi du silence.

Pour démontrer l'existence de l'association mafieuse, il semble qu'on se contente de la preuve que le groupe a abusé de la crainte qu'il inspire, sans pour cela qu'on doive fournir la preuve de cas concrets de violence ou de menaces.

La législation italienne présente, à travers sa définition large, un intérêt indéniable pour les autres pays qui connaissent l'existence d'autres formes de mafia (66).

3. Pays-Bas

33. L'article 140 du Code pénal néerlandais dispose :

(Traduction.)

« 1. Quiconque fait partie d'une organisation ayant pour but de commettre des délits est passible d'un emprisonnement de cinq ans au plus ou d'une amende de la quatrième catégorie.

2. Quiconque participe à la poursuite des activités d'une personne morale qui a été interdite par une décision judiciaire irrévocable et dissoute pour cette raison, est passible d'un emprisonnement d'un an au plus ou d'une amende de la troisième catégorie.

3. À l'égard des fondateurs ou des administrateurs les peines d'emprisonnement peuvent être majorées d'un tiers et une amende de la catégorie immédiatement supérieure peut être imposée (67). »

4. France

34. L'article 132-71 du nouveau Code pénal français définit la notion de bande organisée :

« constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions ».

L'article 450-1 est relatif à la participation à une association de malfaiteurs et dispose que :

« constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement. La participation à une association de malfaiteurs est punie de dix ans d'emprisonnement et de 1 000 000 de francs d'amende ».

Le lecteur est frappé par la coïncidence de ces deux définitions. Le concept de « bande organisée » devient, donc, la circonstance aggravante de l'infraction que l'association de malfaiteurs avait en vue de commettre. Cependant, cette circonstance aggravante doit s'analyser comme la prise en compte, après la commission de l'infraction, de l'existence d'une association.

On peut s'étonner de la diversité des expressions utilisées par le législateur français en vue de sanctionner le crime organisé : bande organisée, association de malfaiteurs, groupe de combat, l'entreprise, trafic, concertation.

À travers cette variété de concepts, il s'agit d'exprimer que le crime organisé est une notion générique vers laquelle peuvent converger de nombreuses incriminations et qu'il ne peut être une infraction en soi mais plutôt une réalité à laquelle sont associées de nombreuses qualifications pénales (68).

5. Espagne (69)

35. Le délit de base d'« organisation criminelle » vise, en Espagne, « des organisations qui ont pour but de commettre un délit, ou de le promouvoir ». Il existe, en outre, une forme plus grave d'« organisation criminelle », à savoir l'organisation terroriste, l'élément distinctif étant l'usage de la force comme instrument nécessaire et essentiel ayant une incidence sur la vie de la population. Ces deux infractions ont comme éléments constitutifs :

­ l'implication de plus d'une personne;

­ une structure stable;

­ des objectifs déterminés.

Le seul fait d'être membre actif de l'organisation est punissable. Les peines varient en fonction de la position et du rôle des personnes au sein de l'organisation. Dans le cas spécifique du terrorisme, le fait d'être membre est punissable, sans qu'une participation active soit nécessaire. Par « membre actif », l'on entend toute personne qui exerce une activité au sein de l'organisation. Il n'y a ici aucune limitation en ce qui concerne le nombre ou la forme des délits. L'organisation est aussi punissable si elle est l'instigatrice d'un délit qui sera finalement commis par un tiers non membre de l'organisation.

La jurisprudence espagnole précise qu'il s'agit de « structures dont les intentions vont au-delà de l'exécution d'un certain nombre d'actes criminels spécifiques ». Pour juger si une telle organisation existe ou non, le juge peut par conséquent tenir compte de facteurs tels que le nombre de membres, la structure organisationnelle, la nature des objectifs, la permanence et la stabilité de ces objectifs convenus. Le facteur organisationnel est le critère principal pour distinguer ce délit de la conjuration (70).

6. Allemagne (71)

36. L'article 129 du Code pénal allemand prévoit le délit spécifique de participation à une organisation criminelle. Quiconque participe, en tant que membre, à une organisation dont les objectifs sont de commettre des délits, est punissable. L'organisation doit avoir été créée pour une période déterminée et doit avoir une structure minimum. La seule existence de l'organisation est suffisante; il n'est pas nécessaire que des délits aient déjà été commis. Sont punissables :

­ les fondateurs;

­ les membres actifs;

­ ceux qui recrutent d'autres membres;

­ ceux qui soutiennent l'organisation ou font de la propagande pour celle-ci.

L'on entend par « appartenance active » l'intégration, la subordination et l'exécution d'activités permettant la poursuite des activités criminelles de l'organisation. L'appartenance purement passive n'est donc pas suffisante, mais il n'est pas nécessaire qu'un membre actif participe effectivement à des délits.

Par ailleurs, des personnes qui ne peuvent être poursuivies du chef de participation à une organisation criminelle, pourront probablement l'être du chef de participation à des délits commis par des organisations criminelles.

7. Grèce (72)

37. L'article 187 du Code pénal grec concerne « l'organisation criminelle et la conjuration ». Il contient une disposition très générale selon laquelle « quiconque s'arrange avec une autre personne ou s'unit à cette autre personne en vue de commettre un ou plus d'un délit non précisé est puni ... ». Il n'est pas nécessaire que l'organisation ait une structure hiérarchisée ou qu'elle existe depuis un certain temps.

Abstraction faite de cette disposition générale, la loi punit aussi expressément la participation à une organisation terroriste, mais la simple appartenance à l'organisation n'est pas non plus suffisante dans ce cas-ci et il faut que la réalisation de certains actes matériels soit prouvée.

8. Autriche (72)

38. Le Code pénal autrichien (Strafgesetzbuch ­ StGB), rend punissables à la fois « l'association de malfaiteurs » et « l'appartenance à une organisation criminelle ».

L'article 278 StGB rend l'association de malfaiteurs punissables sous la qualification de « Bandenbildung » : la personne qui s'associe avec deux ou plusieurs autres personnes pour commettre, a plusieurs reprises, des délits graves, est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de prison. On entend par délit grave un des délits énumérés dans une liste limitative, dans laquelle figurent principalement : le meurtre, les autres délits graves attentant à la vie, l'enlèvement avec extorsion, le trafic d'esclaves, le brigandage avec circonstances aggravantes, la corruption, le blanchiment d'argent, les faits constitutifs d'infraction qui portent atteinte à l'ordre public, la traite des êtres humains, les faits constitutifs d'infraction qui compromettent des transactions d'argent, le vol et la fraude.

Les peines vont jusqu'à cinq ans de prison dans le cas d'une bande créée en vue du trafic de la drogue.

Le caractère punissable de l'association de malfaiteurs ne dépend pas de la hiérarchie adoptée ou du caractère permanent ou non de la bande.

En 1993, le législateur autrichien a introduit, à l'article 278a StGB, la notion d'« organisation criminelle ». La création d'une organisation criminelle ou la simple participation à celle-ci ainsi que les opérations de blanchiment d'argent pour le compte d'une telle organisation sont passibles d'une peine de prison de six mois à cinq ans. L'organisation en question doit avoir pour but de commettre régulièrement les délits susvisés, mais cette précision n'a pas de caractère limitatif. Il s'agit par exemple aussi de la fraude d'automobiles, de matériel nucléaire et radioactif, de déchets dangereux et de fausse monnaie. De plus, l'organisation doit avoir pour but la réalisation de bénéfices importants ou une grande influence sur le monde politique ou l'économie. Il faut aussi qu'elle pratique la corruption ou l'intimidation de tiers ou se protège elle-même contre des poursuites. L'utilisation de contre-stratégies est donc une des conditions pour pouvoir conclure à l'existence d'une organisation criminelle. La simple appartenance à l'organisation suffit pour que l'intéressé soit passible d'une peine. Il ne doit pas nécessairement avoir participé à des délits. On entend par appartenance le fait d'être membre de l'organisation et de déployer des activités au service de celle-ci.

L'intention du législateur était d'introduire un concept plus large que celui de « Bandenbildung ». L'organisation visée doit compter au moins dix personnes, elle doit être, soit permanente, soit avoir été créée pour un long terme, elle doit répartir le travail en son sein, être hiérarchisée et disposer d'une certaine infrastructure. Cela n'est pas précisé explicitement dans la loi et il n'y a pas encore de jurisprudence en la matière.

Pour ce qui est de ces deux incriminations, les personnes qui interviennent au stade préparatoire sont également passibles d'une peine. L'on entend par « stade préparatoire » la création des conditions nécessaires pour que le délit soit possible.

9. Irlande (73)

39. Le droit irlandais autorise le Gouvernement à lancer un « suppression order » à l'encontre des organisations dont l'objectif est criminel.

L'organisation ayant un objectif criminel est définie de la manière suivante :

« ­ an organisation which engages in, promotes, encourages, or advocates the commission of any criminal offence or the obstruction of or interference with the administration of justice or the enforcement of the law, or

­ an organisation which engages in, promotes, encourages or advocates the attainment of any particular object, lawful or unlawful, by violent, criminal, or other unlawful means. »

Lorsqu'un « suppression order » est lancé, l'organisation en question devient une organisation illégale et le fait d'en être membre devient punissable. En l'occurrence, il suffit de prouver l'appartenance à l'organisation pour que la personne en question soit passible d'une peine.

III. POINTS DE RÉFÉRENCE DE LA COMMISSION

40. Comme on a choisi, dans le projet belge, d'inscrire la définition de la notion d'organisation criminelle dans un article séparé, cette définition pourra servir de référence juridique de cette notion en droit belge. En d'autres termes, on crée ainsi un point de repère auquel pourront faire référence d'autres législations comme celle sur la spécialisation au sein de l'appareil de recherche, l'application de la détention préventive, le blanchiment d'argent, la compétence des magistrats nationaux, etc. (74).

Cependant, la plupart des commissaires se sont aussi intéressés à ce que l'on appelle la recherche proactive et à l'utilisation de ce que l'on appelle les « techniques spéciales d'enquête ».

D'ailleurs, dans son exposé des motifs, le ministre avait clairement évoqué cette question. À un certain moment, il a même affirmé que pour l'élaboration d'un cadre légal en la matière, la définition préalable de l'organisation criminelle « était nécessaire » (75).

En conséquence, la commission a discuté à plusieurs reprises à propos des deux fonctions juridiques que la définition doit contenir : celle d'élément constitutif d'une série de nouveaux délits et celle de critère (notamment) pour la procédure pénale.

41. La Commission de la Justice a demandé à la commission d'enquête de lui communiquer son avis général sur le projet de loi.

Les membres de la commission d'enquête ont consacré une large discussion au projet (juin-juillet et octobre 1997), qui avait soulevé de nombreuses questions, à cause de la portée prétendument grande de son champ d'application et de l'imprécision des limites de l'incrimination (76).

42. La commission d'enquête a procédé, non pas à une analyse textuelle du projet existant mais à une analyse d'ensemble, dans le cadre de son examen :

­ de la nécessité d'une définition juridique qui lui soit propre,

­ de la question de savoir quels aspects du phénomène criminologique nécessitent une riposte pénale,

­ de la nécessité de nouvelles définitions spécifiques des délits,

­ des lignes de force stratégiques dont cette nouvelle législation doit tenir compte, y compris les principes juridiques pouvant être mis en péril.

1. Distinction entre la définition pénale et la définition criminologique

43. On a déjà évoqué, ci-avant, la distinction existant entre la définition pénale et la définition criminologique. La commission d'enquête a abordé ce problème au cours de plusieurs réunions où le projet de loi adopté par la Chambre a été examiné de manière approfondie, notamment en présence de représentants du ministre. Le ministre avait annoncé que l'on ferait une nette distinction entre les définitions pénale et criminologique (77). Il est pourtant ressorti de la discussion que la définition criminologique a fortement influencé la formulation du projet de loi. Il s'en est suivi une grande confusion et la question s'est constamment à nouveau posée de savoir quelle serait la définition des régimes d'exception dans la procédure pénale (78).

44. Plusieurs sénateurs demandent clairement que l'on fasse la distinction entre la définition pénale et la définition criminologique.

Un membre a ainsi déclaré que « la distinction entre la notion criminologique de criminalité organisée et la définition pénale d'une organisation criminelle est essentielle. Si l'on introduit la notion criminologique dans le droit pénal, on aura une incrimination trop large et on fournira aux services de police un prétexte pour utiliser des techniques spéciales de recherche pour des délits qui ne menacent pas en soi la société » (79).

Un autre membre a fait observer qu'« un point très important concerne le choix entre la définition criminologique et pénale. Ne faut-il pas donner une double définition (79) ? »

Le préopinant a déclaré que « l'importance de la distinction entre la conception criminologique et la conception pénale réside dans le fait que la première demande davantage que la seconde (cf. la loi néerlandaise sur l'intégrité administrative : approche de la corruption en droit administratif) » (80).

« Il faut donc veiller à ce que les juges répressifs n'appliquent pas la définition criminologique au pénal. »

Un autre sénateur doute quant à lui très fort de l'opportunité de faire cette distinction :

« Nous sommes en présence d'un phénomène de société que nous tentons d'introduire dans la sphère pénale parce que l'on a prétendu jusqu'à ce jour que l'on ne pouvait pas combattre la criminalité organisée avec les moyens classiques. Ces moyens devraient pourtant suffire à condition de les développer et de les appliquer tout en respectant les principes fondamentaux de notre droit pénal. Il conviendrait de creuser ce problème. »

« Une définition uniforme devrait également conduire à une uniformité des concepts. L'élément qualificatif pénal doit en outre servir de base à la procédure criminelle. Nous devons par conséquent veiller à l'uniformité des structures. La police italienne utilise en effet d'autres méthodes que les polices française ou belge (79). »

« Que faites-vous de la définition criminologique ? Va-t-on d'abord effrayer tout le monde pour ne poursuivre finalement que dans quelques cas ? Nous devons éviter que tout le monde ne soupçonne tout le monde. Ne faudrait-il pas se distancier de l'approche criminologique pour se limiter à une norme pénale stricte ? Le projet du Gouvernement élude le problème. Après avoir lu le projet, certains syndicats craignent d'être considérés comme des organisations criminelles (81). »

La commission estime, à l'unanimité, que la définition criminologique du phénomène social ne peut pas faire office de définition pénale.

La nécessité de pareille définition est analysée ci-après.

2. Une définition procédurale distincte ?

45. Au cours de la discussion, il est apparu de plus en plus qu'il faudrait peut-être trois définitions, sous-tendues chacune par une finalité propre. Entre la définition criminologique (pour la représentation sociale et la politique générale) et la définition pénale (qui interdit certains comportements sous peine de lourdes sanctions), il faudrait encore une troisième définition, à savoir une définition de procédure pénale.

La commission d'enquête a donc examiné la question de savoir si dans son projet de loi, le ministre fait suffisamment la distinction entre la criminalité organisée en tant que phénomène criminologique, par rapport auquel une certaine flexibilité des notions est acceptable et qui pourrait inclure également des comportements légaux, et l'implication dans des organisations criminelles en tant que comportement constitutif d'infraction, dont la délimitation doit être plus rigoureuse. Ne faudrait-il pas prévoir à mi-chemin entre les deux premières, une troisième définition axée, quant à elle, sur la recherche (droit policier/instruction criminelle) (82) ?

Un membre fait remarquer qu'une approche scientifique requiert une définition criminologique. On pourra alors utiliser cette définition de manière opérationnelle pour faire l'inventaire des phénomènes répondant aux éléments de la définition. Selon ce membre, c'est précisément pour pouvoir étudier sérieusement l'ampleur et la nature de la criminalité organisée en Belgique que l'on propose une définition criminologique.

Par contre, la définition pénale n'a d'autre but que de réprimer le phénomène. La question est de savoir s'il ne doit pas y avoir une définition intermédiaire. L'enquête vise à mettre en lumière des faits constitutifs d'infractions. Le caractère punissable ou non d'un fait dépendra de la définition que la loi donnera du délit de « criminalité organisée ». La définition pénale détermine donc dans un certain sens les infractions qu'il faudra rechercher ou non. Or, le problème de la criminalité organisée s'avère tellement complexe que l'on risque que la définition pénale ne permette d'aborder qu'insuffisamment le problème sur le plan pratique, par exemple parce que la définition pénale prévoirait des limites trop strictes, eu égard au principe de légalité.

Une définition axée sur la recherche permettrait de résoudre un problème particulier. Elle permettrait d'aborder le phénomène de la « criminalité organisée » avec suffisamment de réalisme et de flexibilité, en tenant compte toutefois de ce que l'on peut ou doit incriminer comme relevant de la « criminalité organisée ». À cet égard se pose la question de savoir où l'on place les limites du recours aux techniques spéciales d'enquête (83).

46. Il est évident que les diverses définitions s'influencent. Si l'on choisit une définition large dans un domaine (par exemple, sur le plan pénal), on peut préconiser une définition plus stricte dans un autre (recherches/ou domaine criminologique) (84). Ainsi les Pays-Bas ont-ils une définition très large des organisations criminelles (article 140 du Code pénal) (85), permettant d'englober de nombreuses formes de criminalité de groupe qui ne doivent pas nécessairement être qualifiées de « criminalité organisée » (86). Pour l'étude criminologique de la question de savoir quelle criminalité organisée menace l'intégrité de l'État de droit et, par conséquent, la démocratie, les chercheurs du Parlement néerlandais ont utilisé une définition plus stricte (voir plus haut). Maintenant que l'on a inclus aussi dans la loi sur les registres de police et dans le Code d'instruction criminelle un cadre concernant les témoignages anonymes (87) et certaines techniques de recherche particulièrement radicales (88), ces éléments ne sont pas rattachés au délit de l'article 140 du Code pénal néerlandais. Le législateur belge a fait un choix stratégique comparable lorsqu'il a rattaché un délit de blanchiment (article 505 du Code pénal), conçu de manière large (89), à une obligation de dénoncer plus limitée (90) pour les institutions financières (91).

Un membre estime important pour la répression de disposer, à côté de ce qui existe dans le droit pénal, d'une définition spécifique de l'organisation criminelle (92).

Un autre membre déclare être partisan d'une définition axée sur la recherche, pour autant qu'on la conçoive de la manière suivante : si les circonstances correspondent à celles décrites dans la définition, on pourra, par exemple, appliquer certaines techniques spéciales de police (93).

47. Le représentant du ministre a estimé qu'une troisième définition n'était pas nécessaire. « Il me paraît exclu de rattacher les techniques spéciales de police à la définition criminologique. Le rattachement doit se faire à la définition qui sera introduite dans le Code pénal (94). »

Le projet de loi choisit donc de faire de l'organisation criminelle un élément constitutif de l'incrimination et le critère décisif justifiant de recourir à des mesures spéciales pour combattre la criminalité organisée.

Plusieurs membres voyaient également des objections à l'introduction d'une définition procédurale séparée. À ce sujet, ils rappellent l'adage de Javolenus : « Omnis definitio in iure (civile) periculosa est; rarum enim est ut non subversi potest. » Si l'on introduisait trois définitions ayant des effets juridiques différents, on donnerait non seulement l'impression d'une démarche casuistique, mais on créerait également la confusion. C'est pourquoi, quand on établit une définition pénale, on doit respecter les principes de l'État de droit et, en particulier, le principe de la lex certa .

La commission d'enquête préfère une définition stricte du comportement constitutif d'infraction avec, par ailleurs, une autre définition pour ce qui est de l'approche du phénomène par les autorités. Une définition procédurale n'est donc pas en soi nécessaire.

La commission d'enquête adoptera un point de vue définitif en la matière après avoir examiné la question de la recherche proactive et des techniques spéciales d'enquête (95).

Dès à présent, la commission estime que l'on peut utiliser les techniques spéciales d'enquête pour rechercher non seulement les organisations criminelles mais aussi d'autres délits qui seront déterminées par la loi à cet effet. Il faudra en tout cas, dans l'application des techniques spéciales d'enquêtes, respecter les principes de légalité, de subsidiarité, de proportionnalité et de légitimité.

3. Le caractère exceptionnel de la criminalité organisée

48. La commission d'enquête s'est demandé pourquoi la criminalité organisée, en tant que phénomène, est à ce point différente que les procédures pénales « ordinaires » ne suffisent plus.

Elle estime que les causes en sont surtout :

a) Le caractère d'entreprise :

Cette notion couvre à la fois la continuité de l'ensemble malgré le mouvement des individus et la répartitions des tâches (96), qui font que seuls les exécutants (faciles à remplacer) font les sales besognes, celles qui comportent le plus grand risque de se faire prendre et auxquelles on peut appliquer sans trop de problèmes (de preuve) les définitions actuelles données du délit.

b) La capacité de paralyser, de neutraliser, au moyen de contre-stratégies, les actions normales entreprises par les autorités contre le groupe ou ses intérêts :

­ par des moyens légaux : techniques juridiques et financières spéciales (qui ne sont pas punissables);

­ par des moyens illicites (violence, intimidation ou corruption). La plupart de ceux-ci sont déjà punissables, mais suscitent souvent des problèmes d'imputation et de preuves.

49. La commission d'enquête s'est penchée, partant de sa propre conception, sur la question de savoir s'il y a lieu de réformer la loi pénale belge et, dans l'affirmative, comment il convient de le faire pour qu'elle devienne un outil efficace de lutte contre la criminalité organisée. La commission est convaincue qu'une approche purement pénale ne sera pas suffisante.

À cet égard, la commission part du principe qu'une définition pénale ne saurait en aucun cas être une définition large. Il semble pourtant que ce soit bel et bien le cas dans le projet. La commission constate que le projet de loi incrimine même davantage de faits que ceux qui, sur la base de la définition criminologique, font partie de l'image que l'on se fait de la criminalité organisée (97). Comme on l'a déjà affirmé plus haut (cf . nº 19), on s'est basé, dans le rapport annuel sur la criminalité organisée, sur une définition rendue opérationnelle de la criminalité organisée, ce qui signifie que l'on a limité de facto , par une série d'indicateurs, la portée de la définition criminologique (voir par exemple la condition relative à l'existence d'actifs illégaux atteignant au mois dix millions de francs sur base annuelle). Cette limitation ne figure pas dans la définition donnée par le projet de loi.

Nombre de comportements qui relèvent de la criminalité organisée et qui sont incriminés par le projet de loi le sont déjà dans la législation actuelle. Le nouveau projet n'apporte aucune modification à toutes les incriminations existantes spécifiquement axées sur la criminalité de groupe.

On approfondira ci-après la question de l'objet des incriminations proposées, la différence avec l'association de malfaiteurs et la question de savoir si des groupes cherchant à exercer une influence politique par des moyens illégaux pourraient être traités à ce titre comme des organisations criminelles. En d'autres termes, on examinera la valeur ajoutée de la nouvelle incrimination.

4. L'objectif des nouvelles incriminations

50. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de se demander si, dans son état actuel, le droit pénal est ou non suffisant pour combattre la criminalité organisée.

D'aucuns, parmi lesquels le Gouvernement par son projet de loi relatif aux organisations criminelles qui a entre-temps été adopté par la Chambre des représentants, répondent à cette question par la négative et avancent les deux arguments ci-après pour justifier la nécessité de disposer d'une incrimination nouvelle des organisations criminelles dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée.

Le but de cette définition est tout d'abord :

« de rendre punissables les personnes qui appartiennent à une organisation criminelle, ou qui participent à la préparation ou à la réalisation d'une activité licite. L'objectif du projet est en particulier de rendre en fait punissables, en vertu de l'article 343, § 1er , les personnes qui appartiennent à une organisation criminelle même si elles n'ont pas l'intention de commettre un délit ou d'y participer dans le cadre de cette organisation, sous l'une des formes visées aux articles 66 et suivants. L'article 343, § 2, proposé, a pour objectif de punir toute personne qui participe à la préparation ou à la réalisation de toute activité licite de cette organisation criminelle alors qu'elle sait ou doit savoir que sa participation contribue aux objectifs de celle-ci (98) ».

En second lieu, une incrimination nouvelle permettrait de punir plus sévèrement des faits qui sont déjà punissables et qui seraient commis dans le cadre d'une organisation criminelle (voir par exemple l'article 496 qui punit l'escroquerie d'une peine maximale de 5 ans; quiconque participe à une prise de décision dans le cadre d'une organisation criminelle visant à mettre sur pied une escroquerie sera punissable d'un emprisonnement de 5 à 10 ans). » (99)

5. Différence avec l'association de malfaiteurs

51. Dans le cadre de la question de savoir si une incrimination nouvelle est ou non nécessaire, la commission a examiné dans quelle mesure le délit d'association de malfaiteurs (article 322 et suivants du Code pénal) offrait des possibilités pour lutter contre la criminalité organisée et sur quel plan se situaient les lacunes éventuelles (100).

À ce sujet, la Commission a constaté qu'en dépit de ce qui est indiqué dans l'exposé des motifs du projet et de ce qui a été dit lors de l'examen du projet à la Chambre, à savoir qu'il convient de lutter contre les organisations criminelles d'une manière fondamentalement différente de celle utilisée dans le cadre de l'association de malfaiteurs (101), l'on se réfère malgré tout régulièrement à la signification de dispositions similaires des articles 322 et suivants du Code pénal (102).

Les dispositions existantes relatives à l'association de malfaiteurs pourraient présenter sur quatre points des différences ou des lacunes par rapport à ce qui devrait nécessairement figurer dans une définition pénale de la criminalité organisée (103).

52. La première différence résiderait dans le fait que l'article 322 du Code pénal existant vise à punir les attentats contre les personnes et les propriétés, alors que, suivant la définition pénale des organisations criminelles qui est proposée, seraient punissables les délits passibles d'un emprisonnement de 3 ans et plus et ayant pour but de se procurer des avantages patrimoniaux ou de détourner le fonctionnement d'autorités publiques ou d'entreprises publiques et privées.

La commission conçoit que les deux ne se recoupent pas nécessairement. Comme cela pourrait être le cas, on peut se demander sur quels arguments se fonde l'utilisation de deux critères distincts. En tout cas, la situation n'est pas très claire à cet égard, et ce d'autant moins que l'on peut en réalité donner une très large définition au membre de phrase « attentats contre les personnes ou les propriétés » utilisé dans le cadre de l'incrimination d'association de malfaiteurs. Ainsi, des fraudes à grande échelle et le blanchiment pourraient-ils être qualifiés par certains d'association de malfaiteurs et donc d'attentat contre les personnes et les propriétés.

53. La deuxième différence entre l'association de malfaiteurs et l'incrimination de l'organisation criminelle résiderait, selon certains, dans l'élément moral de l'infraction, l'article 322 requérant une intention personnelle de réaliser une infraction dans le cadre de l'association, à savoir attenter aux personnes ou aux propriétés. Dans l'hypothèse d'une nouvelle incrimination, il ne faudrait pas avoir l'intention de commettre soi-même des délits dans le cadre de l'organisation ou de participer à ces délits sous l'une des formes visées aux articles 66 et suivants. Serait dès lors punissable le simple fait d'appartenir à l'organisation criminelle ou de participer à la préparation ou à la réalisation d'une activité licite, tout en ayant connaissance du caractère criminel de l'organisation » (104).

Bien que le texte de l'article 322 du Code pénal soit quelque peu ambigu en ce qui concerne l'élément moral (105), la commission d'enquête fait malgré tout remarquer que l'on donne ainsi une interprétation trop stricte à l'article 322 du Code pénal.

Il existe, en effet, des décisions judiciaires qui considèrent qu'une condamnation ne requiert pas « une intention personnelle de commettre un délit au sein de l'association, c'est-à-dire, attenter aux personnes ou aux propriétés ». Par contre, elle requiert, en tant qu'élément moral, que le suspect ait eu « la volonté délibérée » d'être membre de la bande (106), en sachant que celle-ci est formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés (107).

À la lumière de cette jurisprudence, certains estiment dès lors qu'une nouvelle incrimination des organisations criminelles n'apporterait rien de nouveau sur le plan de l'élément moral. D'autres estiment toutefois que cette jurisprudence constitue une interprétation trop audacieuse de l'incrimination existante d'association de malfaiteurs.

54. La troisième différence entre l'association de malfaiteurs et une nouvelle incrimination des organisations criminelles à instaurer résiderait dans le fait que les éléments constitutifs pourraient être décrits de manière beaucoup plus précise et qu'ils seraient beaucoup plus stricts dans la nouvelle incrimination. L'article 322 contient trois éléments constitutifs, à savoir l'existence d'une association de malfaiteurs, l'organisation de la bande, l'intention d'attenter aux personnes et aux propriétés. Des éléments constitutifs supplémentaires pourraient être prévus dans une nouvelle disposition.

D'après l'exposé des motifs du projet de loi relatif aux organisations criminelles, l'existence d'une organisation criminelle exige donc la réunion des éléments constitutifs suivants :

1º un lien entre plusieurs personnes;

2º une finalité spécifique qui consiste à avoir l'intention de commettre de manière concertée des infractions d'une certaine gravité (passibles d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus lourde);

3º poursuivre les objectifs de l'organisation criminelle. Ceux-ci peuvent être de deux ordres :

­ la réalisation de profits;

­ la déstabilisation de l'appareil de l'État ou l'exercice d'une influence sur le fonctionnement de l'économie;

4º l'organisation criminelle se caractérise aussi par les moyens utilisés pour atteindre ses objectifs : l'intimidation, la menace, la violence, les armes, les manoeuvres frauduleuses, la corruption ou des structures commerciales ou autres, pour dissimuler ou faciliter l'accomplissement de délits (108). Cela impliquerait dès lors qu'il est plus difficile de prouver l'existence de l'organisation criminelle, mais une fois celle-ci démontrée, le projet de loi prévoit davantage de possibilités de poursuivre ceux qui appartiennent à cette organisation ou participent à ses activités » (109).

La commission d'enquête ne nie absolument pas que la définition donnée à l'article 342 soit plus détaillée que celle donnée à l'article 322. Mais cette nouvelle définition suscite également des questions. En effet, on dira que les conditions cumulatives, reprise dans la nouvelle définition, seront vite remplies, car, tant en ce qui concerne le but de l'association de malfaiteurs qu'en ce qui concerne les moyens utilisés, il suffit qu'il y ait un seul élément d'une longue série.

55. En ce qui concerne les moyens que les organisations criminelles mettent en oeuvre pour atteindre leur but, à savoir l'intimidation, la menace, la violence, les armes, les manoeuvres frauduleuses, la corruption ou des structures commerciales ou autres, l'on peut défendre l'idée que plusieurs d'entre eux doivent être utilisés conjointement (110).

Certains sénateurs plaident pour que la disposition mette davantage l'accent sur l'utilisation de ces moyens en tant que contre-stratégie destinée à mettre l'association à l'abri de toute enquête et de toute sanction. D'autres sénateurs ne partageaient pas ce point de vue, surtout parce qu'ils craignaient que ces stratégies soient difficiles à définir et à prouver en tant qu'élément constitutif d'infraction (111). Le projet de loi ne considère pas les contre-stratégies comme décisives (112).

Selon la commission d'enquête, l'on a le choix, en la matière, entre deux voies.

D'une part, si l'on part du principe que l'introduction des contre-stratégies en tant qu'élément constitutif pourrait susciter des problèmes de définition et de preuve insurmontables, il faut rejeter cette option.

Cependant, elle n'exclut pas que, dans la définition criminologique, l'utilisation de contre-stratégies soit exigée comme un élément constitutif de la criminalité organisée.

D'autre part, l'on peut envisager que les techniques énumérées (ou l'une d'entre elles) soient utilisées pour protéger l'organisation contre l'action publique, et non uniquement pour commettre des délits qui constituent l'activité de l'organisation.

56. Enfin, la quatrième différence avec l'association de malfaiteurs relèverait de la politique criminelle : alors que l'article 322 viserait certaines infractions, l'article 342 viserait davantage la structure criminelle (113).

À la lumière de ce qui a été dit plus haut, notamment par la jurisprudence de la Cour de cassation, certains membres de la commission estiment que la quatrième différence évoquée n'est pas essentielle. En effet, selon eux, les dispositions légales concernant l'association de malfaiteurs peuvent également concerner une structure particulière (114).

57. La commission d'enquête a conclu qu'aucun des quatre arguments développés à propos de la « différence fondamentale » entre l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle n'était véritablement décisif. Si l'on décide toutefois de créer de nouvelles incriminations, elles seront qualifiées de novatrices parce qu'elles reculeront en effet les limites classiques du droit pénal. Les membres se sont dès lors demandé si le projet ne pousse pas ces limites trop loin et ont rappelé les critiques émises par le Conseil d'État sur le projet. (115).

Les membres constatent que plutôt que de créer des nouveautés fondamentales, il s'agira surtout d'une extension de l'incrimination et d'un alourdissement des peines pour des délits existants.

Les options suivantes restent par conséquent possibles.

Soit l'on croit que les organisations criminelles constituent un type d'association de malfaiteurs particulièrement dangereuses parce qu'elles utilisent des contre-stratégies agressives. Il s'agit de bandes qui se protègent en outre de manière agressive et qui sont donc difficiles à mettre hors d'état de nuire.

Dans ce cas, l'utilisation de contre-stratégies agressives (ou de méthodes spécifiques) par l'organisation constitue une circonstance aggravante pour ses membres.

Soit l'on estime que la confusion quant à la portée précise des infractions prévues aux articles 322 et suivants a eu des répercussions sur la définition des nouvelles infractions. Dans ce cas, il faut que l'on établisse une distinction plus claire entre l'association de malfaiteurs et les nouvelles incriminations (116).

On pourrait par exemple requérir explicitement, pour l'association de malfaiteurs, la volonté de commettre ensemble des infractions sans qu'il soit cependant nécessaire, pour pouvoir incriminer des membres individuels, que la bande ait déjà commencé à commettre les infractions en vue desquelles elle a été créée. Cela permettrait aux pouvoirs publics d'agir contre le groupe, sans devoir attendre que la bande commence à commettre les infractions en question. Ainsi les pouvoirs publics ne devraient-ils pas encourir des dommages irréparables, ce qui pourrait être le cas si l'on attend trop longtemps. Comme on n'en est qu'au stade de la préparation et qu'il n'y a que peu d'éléments « consistants » contre les membres de la bande, l'incrimination concernera surtout les vrais membres. Pour les personnes extérieures qui agissent en tant qu'auxiliaires occasionnels ou pour les commanditaires, on devra se baser sur les règles relatives à la participation (117).

Pour ce qui est des organisations criminelles ­ plus permanentes ­, il faut pouvoir incriminer l'appartenance délibérée, sans requérir la participation du membre à quelque infraction que ce soit commise par l'organisation. Cependant, dans ce cas, il faut que l'organisation en tant que telle ait déjà commis des infractions graves (118), ce qui permettra de prouver plus facilement son caractère criminel et la connaissance qu'en avait le suspect. Cela semble également être la seule manière d'établir la continuité de l'organisation.

La commission d'enquête estime en effet que, pour qu'une organisation puisse être considérée comme une organisation criminelle, il faut qu'elle soit durable.

C'était d'ailleurs l'optique initiale des articles 322 et suivants, jusqu'à ce que la jurisprudence élargisse leur champ d'application pour les rendre applicables aux organisations formées dans le but de commettre une seule infraction (119). Le caractère instable de nombreuses associations de malfaiteurs a rendu cet élargissement nécessaire.

Les nouvelles incriminations devraient permettre de s'attaquer aux groupes plus permanents et plus résistants. L'existence d'une série de moyens que la commission d'enquête ne considère pas comme déterminants, comme l'utilisation de personnes morales ou de structures commerciales, peut indiquer que le groupe constitue bel et bien une « entreprise ».

6. Entreprises ayant pour but d'exercer une influence politique

58. La Commission d'enquête considère comme primordial le principe constitutionnel de la liberté d'association et plus particulièrement le principe de la liberté de s'associer en vue de mener des activités politiques.

La Commission d'enquête est toutefois consciente de liens possibles entre certains groupes d'inspiration politique et la criminalité « de droit commun » lorsque le caractère clandestin de ces groupes les amènent parfois à se livrer à de la « criminalité d'acquisition », qui risque éventuellement de tourner en criminalité organisée.

Les groupes qui au sein des mouvements politiques utilisent la violence ou qui commettent des délits en vue de leur financement (enlèvement, chantage, vol, trafic de drogue, ...) peuvent évidemment être punis pour ces délits (120).

Il est évident que des personnes, sous le couvert d'un objectif politique déterminé, peuvent commettre des délits que l'on peut qualifier de criminalité organisée (121). Il faut en tout cas éviter qu'un mouvement politique ne soit mis hors-la-loi par une nouvelle incrimination.

La commission d'enquête estime que l'objectif des groupes criminels axés sur la réalisation de bénéfices n'est pas d'influencer les entreprises ou leurs dirigeants. L'influence qu'ils peuvent exercer ne constitue qu'un moyen (122) parmi d'autres de réaliser ou de conserver des bénéfices, ou, (lorsqu'il y a, par exemple, un impact sur le marché légal) simplement, une résultante de la criminalité et non pas le but de l'organisation.

59. La commission d'enquête a également constaté qu'il y a une confusion permanente entre le but de l'association (réaliser des bénéfices) et les activités qu'elle déploie pour atteindre son but (des infractions graves) (123).

7. Conditions pour qu'il puisse y avoir incrimination d'individus

60. La commission d'enquête a constaté qu'il y a des chevauchements plus ou moins importants entre les activités des organisations criminelles et celles qui s'inscrivent dans le cadre de l'économie légale. Elle estime qu'il importe d'établir une distinction entre les membres de l'organisation criminelle et d'autres personnes, comme les auxiliaires occasionnels, les mercenaires, les experts extérieurs et les investisseurs. Une nouvelle incrimination devrait bien faire ressortir cette distinction (124) (125). Le colonel Bruggeman, assistant-coordinateur d'Europol, a mis la commission en garde contre une assimilation de formes très différentes :

« La criminalité organisée a quatre composantes. Il y a, tout d'abord, les auteurs, qui nous occupent de près actuellement. Puis, il y a les victimes, dont nous devrions nous préoccuper sérieusement. Il y a aussi les sous-traitants de la criminalité organisée, les hommes de main. Aujourd'hui, nous les traitons trop comme de vrais criminels organisés et, en conséquence, notre champ d'action s'élargit. »

« Je pense qu'en l'occurrence, nous devrions employer davantage des notions juridiques comme celle d'association de malfaiteurs, etc. Enfin, il y a les corrompus et les corruptibles, qui constituent un élément essentiel de la criminalité organisée » (126).

a) « L'appartenance » : les membres qui s'engagent volontairement dans l'organisation

61. Que faut-il entendre par la simple appartenance à une organisation criminelle ?

La commission d'enquête partage les préoccupations du Conseil d'État relatives au principe de la légalité, sur lequel notre droit pénal repose. Il implique notamment qu'un justiciable peut déduire, au moment où il envisage d'adopter l'un ou l'autre comportement, de la lecture de la loi si ce comportement est interdit ou non (lex certa principe). La commission se demande dès lors s'il convient « de sanctionner le simple comportement d'une personne qui accepte une situation de fait illicite en connaissance de cause » (127).

62. La commission d'enquête estime nécessaire que la définition de la notion d'appartenance (128) traduise suffisamment la nécessité d'un engagement actif au sein de l'organisation (129).

Se pose à cet égard la question de l'élément moral constitutif de l'infraction. Le projet de loi relatif aux organisations criminelles se borne à indiquer les éléments qui ne sont pas nécessaires (130) alors que, selon l'exposé des motifs : « la condition requise pour que ces personnes soient punissables est d'avoir connaissance du fait qu'elles agissent pour une organisation criminelle » (131).

La commission estime qu'une nouvelle incrimination devrait clairement préciser :

­ ce qu'une personne doit savoir de l'organisation, des activités de celle-ci et de sa contribution à ces dernières;

­ quelle doit être l'intention de l'auteur potentiel;

­ à quel moment la connaissance et l'intention requises doivent être présentes.

Il y a deux possibilités.

­ On peut exiger la connaissance et l'intention pour tous les éléments.

­ On pourrait également les requérir uniquement pour le comportement personnel, tandis que la négligence suffirait pour ce qui est de savoir si le groupe pour lequel on travaille répond aux critères de la définition d'une organisation criminelle (132).

Ceci conduirait à une forme de « culpabilité mixte », c'est-à-dire que différentes formes de culpabilité sont requises pour les éléments constitutifs du délit. Les membres de la commission d'enquête soulignent cependant les dangers d'un tel choix (133).

La commission d'enquête est par conséquent d'avis que le caractère punissable de l'appartenance à une organisation criminelle doit être défini d'une manière suffisamment claire et qui tienne compte tant de l'élément matériel que de l'élément moral du délit.

63. La création ou la direction d'une organisation criminelle doit évidemment toujours être considérée comme une circonstance aggravante du délit d'appartenance.

64. La commission d'enquête souhaite par ailleurs que l'on soit attentif à un autre problème, à savoir celui des « sleepers » c'est-à-dire d'une réserve qui, pendant des années, n'a pas de contact avec les membres actifs, mais reste disponible (stand-by) et peut être appelée lorsque l'organisation juge le moment venu de les associer à son action (134).

La commission se demande si, et dans quelles circonstances, on peut les sanctionner, sans plus, au titre de « membres ».

Si la réponse devait être affirmative, il faudrait poser la question de savoir si la promesse de se tenir à la disposition de l'organisation criminelle serait en soi suffisante pour une incrimination. Dans l'affirmative, il s'agit alors d'un délit instantané. Ou pourrait-on dire qu'il s'agit alors d'un délit continu par lequel celui qui a fait la promesse, devient membre de l'organisation et le reste ? Ceci est notamment important pour la prescription.

La commission estime qu'il y a des arguments pour incriminer les « sleepers » comme membres. La preuve qu'ils ont structurellement été potentiellement actifs de l'organisation criminelle doit être fourni à l'aide d'éléments objectifs. C'est une question de faits. En effet, un « sleeper » peut, après l'écoulement d'un certain temps, considérer que son appartenance a pris fin. On ne peut en aucun cas, pour l'apport de la preuve, invoquer des présomptions.

Il va de soi, selon la commission d'enquête, que le simple fait que le nom d'une personne apparaisse sur une liste de noms ou de membres trouvée chez des criminels ou des terroristes ne peut en aucun cas suffire pour incriminer cette personne. Les criminels peuvent mettre n'importe qui sur leurs listes. Ce fait peut évidemment justifier un complément d'enquête.

L'autorité ne pourra vraisemblablement faire sortir un « sleeper » de sa réserve qu'en recourant à des techniques spéciales d'enquête (opération undercover), pour faire en sorte qu'il adopte des comportements manifestant son implication vis-à-vis de l'organisation. Mais ce faisant, l'autorité opérera toujours à la limite de la provocation.

La commission d'enquête estime que dans ce cas l'on ne peut opter pour une formulation qui reviendrait de facto à renverser la charge de la preuve en ce qui concerne l'appartenance à une organisation criminelle.

b. Les personnes extérieures

65. Le délit d'association constitue déjà une rupture avec le délit « classique ». On doit dès lors s'interroger quant à la possibilité d'incriminer des personnes extérieures à l'organisation, c'est-à-dire les non-membres qui rendent de manière non structurée des services à l'organisation ou à ses membres. Le problème à cet égard est de ne pas confondre les membres et les personnes extérieures à l'organisation.

66. La première possibilité consiste à considérer que la personne extérieure rend un service qui constitue un délit classique, par exemple en commettant un faux en écriture, un délit de blanchiment d'argent ou un recel,...

La deuxième possibilité est de considérer que le service constitue un des délits commis par l'organisation. La personne extérieure peut alors être sanctionnée à ce titre.

Elle est donc punissable dans les deux cas, mais on peut se demander s'il faut créer une circonstance aggravante permettant de lui infliger des peines plus sévères (91).

67. La troisième question ­ qui est la plus importante ­ est celle de l'incrimination de la personne extérieure qui fournit à l'organisation ou à ses membres un service qui ne constitue pas en soi un délit, sans être associée ­ même pas en tant que participant ­ aux délits commis par l'organisation (135). Le Gouvernement répond affirmativement à cette question. La commission d'enquête est consciente de l'importance de la contribution pratique de certaines « personnes extérieures » de sorte que l'on peut éventuellement envisager cette pénalisation mais à des conditions strictes.

68. Certains auteurs estiment qu'il peut aussi y avoir participation (articles 66-69 Code pénal) pour le délit d'association de malfaiteurs (136). Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque le fait principal a été commis involontairement. Pour qu'il y ait participation, il faut également qu'il y ait intention de participer. On ne peut donc être punissable pour avoir fourni des services de manière involontaire ou inconsciente dans le cadre d'une association de malfaiteurs (art. 322 du Code pénal) même si c'est dû à une négligence grave.

69. On pourrait arguer qu'un délit commis par une association ne se prête pas à la participation au sens du Livre Ier du Code pénal. Si l'on veut malgré tout punir des tiers qui ne participent pas à un quelconque délit de l'organisation, il faudra suivre la piste de la répression particulière définie dans le Livre II du Code pénal. Il serait cependant préférable de donner une définition plus précise des comportements interdits.

70. On peut le faire de deux manières :

a. spécifier l'élément matériel du délit : fourniture d'armes, de caches, actes de gestion du patrimoine, etc. Il est en tout cas vivement conseillé de limiter la répression aux personnes qui, sans être membres de l'organisation, contribuent d'une certaine manière à son succès. On évite de la sorte de confondre les membres de l'organisation et les personnes extérieures à celle-ci. Le législateur doit, à cet égard, se poser la question de savoir quel doit être le rapport entre les peines applicables aux personnes extérieures contribuant de manière occasionnelle à l'organisation et les peines applicables aux membres et aux dirigeants de celle-ci.

b) Une autre manière de limiter la portée de l'infraction est de spécifier l'élément moral du délit.

Normalement, il s'agira du dol (général).

La commission d'enquête se rend compte des difficultés que cela va susciter : « on va se heurter au fait que les personnes incriminées diront systématiquement qu'elles n'étaient au courant de rien » (137). Pourtant, la jurisprudence peut déduire des circonstances (suspectes) dans lesquelles la personne soupçonnée a eu le comportement qui lui est reproché, qu'elle agissait en connaissance de cause (138).

Selon une jurisprudence et une doctrine constantes, ce dol général peut également prendre la forme d'un « dol éventuel » (139).

C'est pourquoi la commission d'enquête souligne le danger que l'on court en utilisant l'expression « ou doit savoir que » . Dans la pratique jurisprudentielle, l'emploi de cette expression pourrait donner lieu à un renversement de facto de la charge de la preuve (140).

Si l'on opte pour un dol général, l'on incriminera de nombreux comportements (141).

Le législateur pourrait éventuellement éviter le problème en exigeant pour les tiers l'existence d'un dol spécial (prendre en considération le motif du comportement), alors que pour les membres, un dol général resterait suffisant (142).

71. La commission d'enquête suggère d'examiner les possibilités de punir en tant que complicité, l'aide occasionnelle apportée par des tiers. Il s'agit évidemment de la participation au délit d'association et non à l'une des infractions envisagées ou commises par elle. L'existence d'un délit principal (le fait de se grouper en organisation criminelle) semble établie. Selon la théorie de

l'emprunt relatif de criminalité (143), il n'est pas nécessaire que les auteurs du délit principal soient poursuivis ou condamnés. Pour que la participation soit punissable, il faut néanmoins prouver l'intention de participer. Au cas où le législateur estimerait cette solution inopportune, il pourrait ­ comme alternative ­ exiger dans le cadre de l'incrimination spécifique de l'aide apportée par un tiers à l'organisation, la présence d'un dol spécial.

8. Activités licites

72. La commission d'enquête demande que l'on évite d'employer l'expression « activités licites de l'organisation criminelle », qui porte à confusion. Il s'agit en effet, in casu, de comportements, qui, en soi, ne sont pas contraires à la loi, mais qui deviennent punissables (et donc illicites) en raison de leur utilité ou signification pour l'organisation criminelle (144).

9. Application en fonction du lieu

73. La commission d'enquête souligne que la criminalité organisée est un phénomène international par excellence. Une nouvelle incrimination devra tenir compte de cette donnée. Il faudra vérifier dans quelle mesure certains éléments constitutifs du délit doivent être situés sur le territoire belge. Lorsque l'organisation commet des délits, faut-il par exemple qu'il s'agisse de délits commis en Belgique ? À cet égard, il convient de se référer à la recommandation du groupe de haut niveau (High Level Group) de l'Union européenne qui a « invité le Conseil à adopter rapidement une action commune visant à ériger en infraction, conformément à la législation de chaque État membre, le fait pour une personne, présente sur son territoire, de participer à une organisation criminelle et ce, quel que soit le lieu de l'Union européenne où l'organisation est basée ou où elle exerce ses activités criminelles.

IV. Conclusion de la commission d'enquête

74. Il est essentiel de définir clairement la notion de criminalité organisée et, pour respecter les principes de l'État de droit, il faudra nécessairement faire une distinction entre la définition criminologique et la définition pénale. En tout cas, la définition criminologique ne peut pas être utilisée pour l'incrimination. La définition pénale, pour autant qu'elle s'avère nécessaire, doit être suffisamment délimitée et précise, en tenant compte de toutes les observations formulées plus haut.

75. La criminalité organisée se distingue des autres formes de criminalité par son caractèère d'entreprise et sa capacité à neutraliser l'action des pouvoirs publics contre les organisations criminelles. De plus, ces organisations se soucient de moins en moins des frontières nationales et présentent fréquemment un caractère international marqué.

La question est de savoir si tout cela exige que l'on modifie la loi pénale et, dans l'affirmative, de quelle manière.

À cet égard, il faut examiner le problème de la différenciation entre les dispositions existantes relatives à l'association de malfaiteurs (article 322 et suivants du Code pénal) et la nouvelle incrimination des organisations criminelles proposée par le gouvernement. Si l'on introduit une nouvelle incrimination, il faudra par conséquent tenir compte des dispositions en vigueur en matière d'association de malfaiteurs. On devra, soit coordonner les deux, soit réaliser une intégration.

76. Si une nouvelle incrimination est indispensable, il y a lieu de déterminer exactement qui doit être sanctionné. On doit en tout cas éviter de mettre hors la loi les organisations ayant pour objet d'exercer une influence politique. En outre, il y a lieu de faire ressortir clairement la distinction entre les membres de l'organisation criminelle et les personnes extérieures à celle-ci.

En ce qui concerne l'appartenance, l'incrimination doit préciser ce qu'une personne doit savoir de l'organisation, de son activité et de sa contribution à celles-ci. Pour ce qui est des personnes extérieures, il y a lieu de se demander si ceux qui fournissent des services à l'organisation criminelle, sans être impliqués dans les délits commis par elle, doivent pouvoir être poursuivis.

Dans les deux cas, on optera pour une formulation rigoureuse conforme au principe de la légalité (principe de la lex certa ). D'autre part, cette formulation ne pourra induire un renversement de la preuve.

77. En droit pénal matériel comme en droit pénal formel, il y a lieu de tenir compte du caractère international de la criminalité organisée. Parallèlement, il faudra en particulier promouvoir, dans le cadre de l'Union européenne, la collaboration internationale, d'une part, et l'adaptation réciproque ou l'harmonisation des législations nationales, d'autre part.

Le présent rapport a été approuvé par 5 voix et 1 abstention.

Les Rapporteurs, Les Présidents,
Hugo COVELIERS. Hugo VANDENBERGHE.
Joëlle MILQUET. Roger LALLEMAND.

ANNEXE

Liste des personnes entendues Date
1. M. S. De Clerck, ministre de la Justice 8 novembre 1996
21 octobre 1997
2. M. R. Van Camp, procureur général près la Cour d'appel d'Anvers 21 février 1997
3. MM. A. Vandoren et P. Duinslaeger, magistrats nationaux 28 février 1997
4. M. B. Bulthé, doyen des juges d'instruction au Tribunal de première instance de Bruxelles et vice-président de ce tribunal 21 février 1997
5. M. Van Espen, juge d'instruction au Tribunal de première instance de Bruxelles 14 mars 1997
6. M. C. Vanhaecke et Mme M. Coninsx, respectivement premier substitut et substitut du procureur du Roi près le Tribunal de première instance de Bruxelles 16 mai 1997
7. M. J. Godbille, premier substitut du procureur du Roi près le Tribunal de première instance de Bruxelles 21 et 23 mai 1997
8. M. L. Nouwynck, conseiller général pour la politique criminelle et Mme D. Reynders, conseillère générale adjointe pour la politique criminelle 18 octobre 1996
9. Le luitenant-général Deridder, commandant de la gendarmerie, le luitenant-colonel Berkmoes (B.C.R.), le major Frans (B.C.R.), le commandant George (B.C.R.) et le premier maréchal des logis Verdruzen (Service d'enquêtes du Comité P) 6 décembre 1996
10. M. Chr. De Vroom, commissaire général de la police judiciaire, MM. J. Belmans, J.-Ph. Elise, M. Callu et H. Lefief (police judiciaire) 11 décembre 1996
11. Mme L. Detiège, bourgmestre d'Anvers, et M. T. Dyck, commissaire en chef faisant fonction de la police d'Anvers 7 février 1997
12. M. F.-X. de Donnéa, bourgmestre de Bruxelles, et M. Van Reusel, commissaire en chef de la police de la ville de Bruxelles 7 et 14 mars 1997
13. M. J.-M. Dehousse, bourgmestre de Liège 16 mai 1997
14. M. Delrez, commissaire en chef de la police de la ville de Liège 7 février 1997
15. M. B. Van Lijsebeth, administrateur général de l'administration de la Sûreté de l'État 17 décembre 1996
16. Représentants de l'Administration des douanes et accises : M. Van Walleghem, directeur général, M. Vanstichelaren, directeur du service national des recherches; Mme Douillez, chef du service du contentieux, Mme Joly, service du contrôle et de la fraude 10 janvier 1997
17. M. J. Spreutels, président de la Cellule de traitement de l'information financière 18 avril 1997
18. M. J.-P. Doraene, directeur de l'Office Central de lutte contre la Délinquance Économique et Financière Organisée (O.C.D.E.F.O.) 18 avril 1997
19. Luitenant-colonel P. Zanders, chef de la section opération police internationale du service général d'appui policier (C.G.A.P.) 25 avril 1997
20. M. Per Brix Knudsen, directeur de l'unité et coordination de la lutte anti-fraude de la Commission des Communautés européennes (A.C.F./U.C.L.A.F.) et de M. Philippe De Koster, substitut du procureur du Roi à Mons, détaché auprès de la Commission des Communautés européennes (A.C.F./U.C.L.A.F.) 6 juin 1997
21. M. W. Bruggeman, assistant coordinateur à Europol 27 juin et
4 juillet 1997
22. M. Kellens, président de l'école liégeoise de criminologie (faculté de droit de l'Université de Liège), et M. Houchon, professeur ordinaire au département de criminologie et de droit pénal de la faculté de droit de l'Université catholique de Louvain 22 novembre 1996
23. M. C. Fijnaut, professeur ordinaire à la Faculté de droit de la « Katholieke Universiteit Leuven » et à la « Erasmus Universiteit » de Rotterdam 22 novembre 1996

Annexe II

Bruxelles, le 5 décembre 1997

13174/97 Limite Crimorg 32

RÉSULTATS DES TRAVAUX

du : Conseil (J.A.I.)

en dates des : 4 et 5 décembre 1997

au : Coreper

Objet : Projet d'action commune adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3. du traité sur l'Union européenne, relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les États membres de l'Union européenne

Les délégations trouveront ci-joint le projet d'action commune cité en objet, tel qu'il résulte de la réunion du Conseil (J.A.I.) les 4 et 5 décembre 1997.

Les délégations belge et néerlandaise ont émis une réserve parlementaire sur ce projet.

PROJET D'ACTION COMMUNE

adoptée par le Conseil sur la base

de l'article K.3. du traité sur l'Union européenne, relative à

l'incrimination de la participation à une organisation criminelle

dans les États membres de l'Union européenne

LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,

vu le traité sur l'Union européenne, et notamment son article K.3., paragraphe 2, point b) ,

vu le rapport du Groupe de haut niveau sur la criminalité organisée, approuvé par le Conseil européen d'Amsterdam les 16 et 17 juin 1997, et plus particulièrement la recommandation nº 17 du Plan d'action;

considérant que le Conseil estime que la gravité et le développement de certaines formes de criminalité organisée nécessitent un renforcement de la coopération entre les États membres de l'Union européenne, notamment au sujet des crimes et délits suivants : le trafic de stupéfiants, le trafic d'êtres humains et le terrorisme, le trafic d'oeuvres d'art, le blanchiment de l'argent, la criminalité économique grave, l'extorsion ainsi que d'autres actes de violence dirigés contre la vie, l'intégrité corporelle ou la liberté d'une personne, ou créant un danger collectif pour des personnes;

considérant que, pour répondre aux diverses menaces auxquelles les États membres sont confrontés, une approche commune de la participation dans les activités des organisations criminelles est nécessaire;

considérant que les États membres s'efforceront d'appliquer ou de faciliter des mesures relatives à la protection des témoins et/ou collaborateurs à l'action de la justice, prévues dans les résolutions du Conseil des 23 novembre 1995 et 20 décembre 1996, à l'occasion de la mise en oeuvre de la présente action commune,

réitérant sa confiance dans la structure et le fonctionnement du système judiciaire des États membres et dans la capacité de ceux-ci de garantir un procès équitable;

considérant que les États membres entendent assurer que ceux qui participent aux activités des organisations criminelles ne puissent se soustraire aux enquêtes et aux poursuites relatives aux infractions couvertes par la présente action commune. À cet effet, les États membres faciliteront la coopération judiciaire dans les enquêtes et la poursuite de ces infractions.

rappelant que tous les États membres sont parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

ayant examiné les vues du Parlement européen à la suite d'une consultation effectuée conformément à l'article K.6 du T.U.E. (146).

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE ACTION COMMUNE :

Article premier

Au sens de la présente action commune, on entend par organisation criminelle l'association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des ­­­­­­

crimes ou délits punissables d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins quatre ans (147) ou d'une peine plus grave, que ces crimes et délits constituent une fin en soi ou un moyen d'obtenir des avantages patrimoniaux, et, le cas échéant, d'influencer indûment le fonctionnement d'autorités publiques (148).

Les crimes et délits visés à l'alinéa premier incluent et ceux mentionnés à l'article 2 de la Convention Europol ainsi que dans son annexe et qui sont passibles d'une peine au moins équivalente à celle prévue à l'alinéa 1er .

Article 2

Pour faciliter la lutte contre les organisations criminelles, chaque État membre s'engage, selon la procédure prévue à l'article 6, à faire en sorte que l'un ou les deux (149) comportements décrits au paragraphe 1 ou au paragraphe 2 soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives :

1. Le comportement de toute personne qui, d'une manière intentionnelle et en ayant connaissance soit du but et de l'activité criminelle générale de l'organisation, soit de l'intention de l'organisation de commettre les infractions en cause, participe activement;

­ aux activités visées à l'article premier d'une organisation criminelle, même lorsque cette personne ne participe pas à l'exécution proprement dite des infractions en cause et, sous réserve des principes généraux dans le droit pénal de l'État membre concerné, même lorsque l'exécution des infractions en cause ne se réalise pas;

­ aux autres activités de l'organisation en ayant en outre connaissance que sa participation (150) contribue à la réalisation des activités criminelles de l'organisation visées à l'article premier (151).

2. Le comportement de toute personne consistant à avoir conclu avec une ou plusieurs personnes un accord portant sur l'exercice d'une activité et qui, s'il est mis en oeuvre, reviendrait à commettre un crime ou un délit même lorsque cette personne ne participe pas à l'exécution proprement dite de l'activité.

3. Les États membres, qu'ils aient fait choix d'incriminer le comportement visé au point 1 ou celui visé au point 2, veilleront à se prêter l'assistance mutuelle la plus large possible pour les infractions couvertes par le présent article.

Article 3

Chaque État membre s'assure que les personnes morales puissent être tenues pénalement ou, à défaut, autrement responsables des infractions visées à l'article 2, commises par ladite personne morale, selon des modalités à définir dans son droit interne. Cette responsabilité de la personne morale ne préjuge pas la responsabilité pénale des personnes physiques qui sont les auteurs ou les complices de ces infractions. Chaque État membre s'assure notamment que les personnes morales puissent être sanctionnées de façon effective, proportionnée et dissuasive et qu'elles puissent être frappées de sanctions de nature patrimoniale et économique (152).

Article 4

Chaque État membre s'assure que les comportements visés aux articles (2) (1) ou (2) (2) (153) qui se sont produits sur son territoire soient justiciables quel que soit le lieu sur le territoire des États membres où l'organisation est basée ou exerce ses activités criminelles, ou quel que soit le lieu où se situe l'activité qui fait l'objet de l'accord visé à l'article 2 (2).

Lorsque plusieurs États membres sont compétents pour connaître des faits de participation à une organisation criminelle, ces États se concertent en vue de coordonner leur action afin de mettre en oeuvre une poursuite pénale efficace compte tenu notamment de la localisation des différents éléments de l'organisation dans le territoire des États membres concernés (154).

Artikel 4bis

La présente action commune n'affecte pas les obligations qui découlent de la Convention relative à l'extradition entre les États membres de l'Union européenne, établie par le Conseil le 27 septembre 1996, ni ses modalités d'application ou son interprétation.


Article 5

Chaque État membre présente dans l'année qui suit l'entrée en vigueur de la présente action commune des propositions appropriées, visant à mettre en oeuvre celle-ci, pour qu'elles soient examinées par les autorités compétentes en vue de leur adoption.

Article 6

La présente action commune sera publiée au Journal officiel. Elle entre en vigueur le jour de sa publication.

Fait à Bruxelles, le ...

Par le Conseil,

Le président.

Projet de déclaration du Conseil

« Le Conseil évalue d'ici à la fin décembre 1999, le respect par les États membres des obligations qui leur incombent en vertu de la présente action commune, et tout particulièrement en ce qui concerne la mise en oeuvre de son article 2. À cette occasion, il pourra décider de poursuivre cette évaluation périodiquement.

À cette fin, le Conseil sera saisi d'un rapport, sur la base des informations fournies par les États membres et dans le cadre du mécanisme d'évaluation arrêté par le Conseil le..., qui :

­ procède à l'état de mise en oeuvre de cette action commune;

­ décrit les mesures nationales appliquées en vertu de la présente action commune et, en particulier, examine les pratiques de poursuite des infractions couvertes par la présente action commune;

­ examine toute mesure nécessaire tendant à rendre plus efficace la coopération judiciaire à l'égard des infractions visées par la présente action commune, en examinant, entre autres, les délais de la coopération judiciaire et la question de savoir si la condition de double incrimination contenue dans la législation nationale entrave une coopération judiciaire entre les États membres;

­ explique les raisons, le cas échéant, qui retardent la mise en oeuvre de la présente action commune. »

Déclaration de la délégation autrichienne

relative à l'article 3

« L'Autriche rappelle que l'article 18, paragraphe 2, du deuxiéme protocole à la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO C 221 du 19.7.1997, p. 11) lui accorde la possibilité de déclarer qu'elle ne sera pas liée par les articles 3 et 4 dudit protocole pendant une période de cinq ans, et déclare qu'elle remplira ses obligations au titre de l'article 3 de l'action commune dans ce même délai. »

Déclaration de la délégation allemande

relative à l'article 4, alinéa 2

« L'Allemagne part du principe que, dans le cadre de la concertation prévue à l'article 4, deuxième alinéa, dans sa version actuelle, il sera tenu dûment compte de la zone d'opération principale, c'est-à-dire de la concentration des activités de l'organisation criminelle ou d'une partie de celle-ci. »


(1) Le projet y afférent a été adopté par la Chambre des représentants le 19 février 1998 (doc. Chambre, 1997-1998, nºs 1335/1-7 et doc. Sénat, nº 1-895/1).

(2) Pour d'autres définitions, voir le premier rapport intermédiaire de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique (doc. Sénat, nº 1-326/7), qui figure à l'annexe I du présent rapport.

(3) Annexe A, 10555/2/96, E.N.F.O.P.O.L. 155.

(4) Voir notamment : le plan d'action du gouvernement du 28 juin 1996 contre la criminalité organisée, 19 p.; le plan d'action du gouvernement d'octobre 1997 contre la délinquance économique, financière et fiscale, 34 p.; le programme d'action de l'Union européenne relatif à la criminalité organisée, rédigé par le Groupe à haut niveau (High Level Group) (rapport du 21 avril 1997, doc. 7421/97 JAI14) et discuté par le Conseil des ministres de la Justice et de l'Intérieur à Luxembourg le 28 avril 1997 (conclusions du Conseil, doc. 7482/3/97) (JO C 251/1-18, 15 août 1997); Van Camp, R., « Georganiseerde criminaliteit. Te veel rechtsstaat of te veel Fouché ? », Allocution prononcée lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour d'appel d'Anvers le 2 septembre 1996 par M. le procureur général R. Van Camp, R.W., 1996-1997, 665-675 et 697-708; Vandoren, A., « De bestrijding van de georganiseerde misdaad, achterhoedegevechten of frontale aanpak », allocution prononcée lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour d'appel de Bruxelles le 2 septembre 1996 par M. l'avocat général A. Vandoren, magistrat national; le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale française du 27 janvier 1993 sur « les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la mafia en France » (doc. nº 3251), 128 p.; le rapport de la « parlementaire enquêtecommissie opsporingsmethoden van de Nederlandse Tweede Kamer der Staten-Generaal (la commission dite van Traa), 1995-1996, 24072, nºs 10-11, Den Haag, S.D.U., 484 p. + annexes I-XI; le rapport du 7 novembre 1996 sur le séminaire du Conseil de l'Europe concernant les « formes de coopération européenne dans la lutte contre le crime organisé international », Sibiu (Roumanie), 14-20 octobre 1996, Démo-droit CR(97)5, 416 p.

(5) Voir, entre autres, les déclarations faites lors des auditions de la commission d'enquête par le ministre de la Justice, les 8 novembre 1996 et 21 décembre 1997 (P.V. nºs 7 et 55); le professeur Fijnaut (K.U.Leuven) le 22 novembre 1996 (P.V. nº 10) et le colonel Bruggeman, assistant coordinateur à Europol, les 27 juin et 4 juillet 1997 (P.V. nºs 45 et 46).

(6) La liste des personnes entendues figure en annexe au présent rapport.

(7) Dans le cadre de sa mission, la commission a fait appel aux experts suivants : Mme Derenne-Jacobs (Université de Liège), Mme Roggen et M. Strebelle (Université libre de Bruxelles), M. Vander Beken (Université de Gand) et MM. Van Daele en Verbruggen (K.U.Leuven).

(8) Houchon, audition, 22 novembre 1996 ­ a.m., p. 9/8.

(9) Kellens, audition, 22 novembre 1996 ­ a.m., p. 9/8.

(10) Kellens, Houchon, audition, pp. 9/12, 13.

(11) Office Central de la lutte contre la Délinquance Économique et Financière Organisée.

(12) Doraene, audition, 18 avril 1997 ­ p.m., p. 33/16, 31. Voyez aussi Doraene, audition, 28 mai 1996 ­ p.m., pp. 44/16 (commission de la Justice du Sénat).

(13) De Koster, Ph., Le cadre légal de la lutte contre le crime organisé international, Séminaire sur « les formes de coopération européenne dans la lutte contre le crime organisé international » organisé par le Conseil de l'Europe, Sibiu (Roumanie), 14-20 octobre 1996, p. 2, Conseil de l'Europe, Strasbourg, 7 novembre 1996, Démo-Droit C.R. (97) 5.

(14) De Koster, ibidem, p. 6.

(15) Gendarmerie, Criminalité organisée en Belgique. Rapport établi à l'occasion de l'audition du commandant de la gendarmerie par la Commission d'enquête sur la criminalité organisée, 6 décembre 1996, p. 4. Voir également Deridder, audition, p. 12/9.

(16) Gendarmerie, o.c., pp. 2 et 3.

(17) Van Lijsebeth, audition, 17 décembre 1996 ­ p.m., pp. 16/2-3.

(18) Idem , p. 16/4.

(19) Spreutels, audition, 18 avril 1997 ­ a.m., p. 32/19.

(20) Van Espen, audition, 4 mars 1997 ­ a.m., p. 28/5.

(21) Sénat, Session 1991-1992, nº 468/2, p. 17.

(22) Spreutels, audition, 18 avril 1997 ­ a.m., p. 32/20.

(23) Van Espen, audition, 14 mars 1997 ­ a.m., p. 28/11. Voir infra nº 15.

(24) Van Espen, audition, 14 mars 1997 ­ a.m., p. 28/24.

(25) Van Walleghem, audition, 10 janvier 1997 ­ a.m., p. 17/3.

(26) Van Walleghem, audition, 10 janvier 1997 ­ a.m., p. 17/4.

(27) Idem , p. 17/4.

(28) Bruggeman, audition, 27 juin 1997 ­ p.m., p. 45/12. Voir également Van Espen, audition, 14 mars 1997 ­ a.m., p. 28/24, Vanhaecke et Coninsx, audition, 16 mai 1997 ­ p.m., p. 37/2 et suivantes, Van Lijsebeth, audition, p. 16/3-4.

(29) Van Camp, R., Georganiseerde criminaliteit. Te veel rechtsstaat of te veel Fouché ? Discours prononcé au cours de la séance d'ouverture solennelle de la Cour d'appel d'Anvers, le 2 septembre 1996, R.W. 1996-1997, 668.

(30) Fijnaut, audition, 22 novembre 1996 ­ p.m., p. 10/7.

(31) Voir notamment Van Duyne, P.C., Definitie en kompaswerking , in Bovenkerk, F. (red.), De georganiseerde criminaliteit in Nederland. Het criminologisch onderzoek voor de parlementaire enquêtecommissie opsporingsmethoden in discussie, Deventer, Gouda Quint, 1996, pp. 47-60. Voir aussi Zanders, audition, 25 avril 1997 ­ a.m., p. 34/13 : « Conformément à sa propre définition, chaque pays vise donc un certain nombre d'organisations criminelles nationales ».

(32) Voir également, à ce sujet, Van Duyne, P.C., Het spook en de dreiging van de georganiseerde misdaad , La Haye, S.D.U., 1995, p. 216.

(33) Voir aussi à ce sujet Naeyè, J. et Schalken, T., Commissie Van Traa en de crisis in de opsporing ? , Nederlands Juristenblad, 9 février 1996, p. 205.

(34) Voir la discussion à ce sujet aux nºs 45, 46 et 47.

(35) Voir, à cet égard, la discussion à propos de l'extradition de suspects et de criminels d'un État de l'Union européenne vers un autre; dans une série de cas, qu'il faut placer sous le dénominateur commun de terrorisme et de criminalité organisée, il ne sera même plus nécessaire, pour pouvoir extrader une personne, que les faits qu'elle a commis puissent aussi être qualifiés de délit dans le pays qui demande l'extradition : Vermeulen, G. et Vander Beken, T., « Eenvoudiger en ook beter ? Nieuwe ontwikkelingen inzake uitlevering in de Europese Unie geëvalueerd », Panopticon , 1997, pp. 111-140, et, particulièrement les pp. 128-132.

(36) Voir l'incident qui a opposé l'Espagne et la Belgique en 1996 au sujet de l'extradition du couple basque Moreno-Garcia : Vermeulen, G. et Vander Beken, T., Uitlevering van Basken aan Spanje : juridische bedenkingen bij een politieke zaak, Recente Arresten van de Raad van State, 1995, pp. 221-227; Verbruggen, F., « Ook zonder Madrid en Dublin blijft de uitlevering van Moreno en Garcia mogelijk, als Spanje een degelijk dossier heeft », Panopticon, 1997, pp. 162-168.

(37) Vandoren, A., La lutte contre le crime organisé, combats d'arrière-garde ou attaque de front, Discours prononcé lors de la séance d'ouverture solennelle de la Cour d'appel de Bruxelles, le 2 septembre 1996, p. 4.

(38) Annexe A, 10555/2/96 Enfopol 155.

(39) Vandoren, A., o.c., pp. 5-6, Voir également la note de la présidence italienne au groupe de travail « drogue et criminalité organisée, du 4 janvier 1996, Enfopol 161, Annexe C.

(40) Selon la lettre envoyée à la Commission par M. Bruggeman, assistant coordinateur chez Europol, les quatre critères à retenir pour le crime organisé sont les critères 1, 5, 6 et 11. Il précise qu'« il est toujours recommandé de s'orienter vers six des onze critères, mais quatre (dont trois obligatoires) devraient suffire. Ceci est une décision qui reste à confirmer dans les plus brefs délais. » Voir aussi Bruggeman, audition, 27 juin 1997 ­ pm, p. 45/12.

(41) Voir à propos du conflit des définitions en Italie : Cesoni, M., « L'économie mafieuse en Italie : à la recherche d'un paradigme... », Déviance et société,1995, vol. 19, nº 1, pp. 51-83.

(42) Inzake opsporing, Enquêtecommissie opsporingsmethoden , Den Haag, SDU 1996, p. 25. Voir aussi Fijnaut, audition, 22 novembre 1996 ­ p.m., p. 10/8.

(43) Assemblée nationale, Rapport de la Commission d'enquête sur les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la mafia en France , 27 janvier 1993, Doc. nº 3251, p. 13; cf. aussi Van Camp, R., o.c., R.W., 1996-1997, p. 665 et suivantes.

(44) Information reprise de : Tak, P.J.P. (red), De normering van bijzondere opsporingsmethoden in buitenlandse rechtsstelsels , Ministerie van Justitie (Nederland) Directie Beleid, Sector Onderzoek & Analyse 1996, 360 p., en l'espèce 39-40.

(45) Plan d'action du gouvernement contre le crime organisé, 28 juin 1996, p. 2.

(46) Rapport annuel 1997 ­ Criminalité organisée, Ministère de la Justice, pp. 96 et 99.

(47) Vandoren, A., o.c., p. 5.

(48) Van Camp, audition, 21 février 1997 ­ a.m., p. 22/3.

(49) Vanhaecke, audition, 16 mai 1997 ­ p.m., p. 37/3, voir également, Nouwynck et Reynders, audition, 18 octobre 1996, p. 3/5.

(50) Inzake Opsporing, Bijlage VII, Eindrapport onderzoeksgroep Fijnaut, Den Haag, SDU, 1996, pp. 21-22.

(51) Audition du 22 novembre 1996 ­ p.m., pp. 10/9-10.

(52) Van Duyne, P.C., Definitie en kompaswerking, 50.

(53) Ibidem , 54.

(54) Ibidem , 57-58.

(55) Voir plus loin, les numéros 58 et 59.

(56) Proposition instituant une commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, rapport fait au nom de la Commission de la Justice par MM. Erdman et Coveliers, doc. Sénat, 1995-1996, nº 1-326/5, p. 5.

(57) Ibidem , p. 2.

(58) Ibidem , p. 2.

(59) Ibidem , p. 3.

(60) Ibidem , p. 8.

(61) Les prétendues lacunes du droit pénal général (participation et tentative) et d'une série de dispositions apparentées du droit pénal spécial (notamment sur l'association de malfaiteurs) sont analysées dans : Verbruggen, F., The General Part of Criminal Law and Organised Crime, Belgium (XVIe Congrès de droit pénal, Louvain, Institut de droit pénal, 1997, 45 pages (paraîtra dans la Revue internationale de droit pénal ).

(62) Doc. Chambre, 1996-1997, nºs 954/1-9 et Annales des 4 et 5 juin 1997.

(63) Doc. Sénat, 1996-1997, nº 662/1 et Bulletin du greffe nº 102 du 10 juin 1997.

(64) Recommandation 17, Council of the European Union, Action Plan to combat organized crime, 7421/97, JAI 14, Bruxelles, 21 avril 1997, 30. Publiée également au JO C 251/11, 15 août 1997.

(65) Convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'extradition entre les États membres de l'Union européenne, JO C 313/12-23, 23 octobre 1996.

(66) Gallisai Pilo, Maria G., 1990, Le associazioni segrete, profili penali , Padova, Cedam, 96 p.; Ingroia, Antonio, 1993, L'asociazione di tipo mafioso, Milano, Giuffré, 154 p.; Montanara, Giuseppe, 1985, Aspetti problematici dei reati associativi, Latina, Bucalo, 190 p.; Spagnolo, Giuseppe, 1993, L'asociazione di tipo mafioso , (quarta edizione aggiornata), Padova, Cedam, 191 p.; Turone, Giuliano, 1984, Le associazione di tipo mafioso, Milano, Giuffré; Valiante, Mario, 1990, Il reato associativo, Milano, Giuffré, XXII + 330 p.; De Koster Ph., Le cadre légal de la lutte contre le crime organisé international. Avis pour le Séminaire sur « les formes de coopération européenne dans la lutte contre le crime organisé international », organisé par le Conseil de l'Europe, Sibiu (Roumanie), 14-20 octobre 1996, pp. 12-13; Tak, P.J.P. (red.), De normering van bijzondere opsporingsmethoden in buitenlandse rechtsstelsels, Ministerie van Justitie (Nederland), Directie Beleid, Sector Onderzoek & Analyse, 1996, p. 287-297; Pradel, J., Droit pénal comparé , Paris, Dalloz, 1995, p. 120.

(67) De Vries-Leemans, M.J.H.J., Artikel 140 Wetboek van Strafrecht, een onderzoek naar de strafbaarstelling van deelneming aan misdaadorganisaties, Gouda Quint, Arnhem, 1994, 367 p.

(68) Pradel, J., o.c., p. 121., Pradel, J. et Danti-Juan, M., Droit pénal spécial, Paris, Cujas, 1995, III, p. 773-777; De Koster, Ph., o.c.; Tak, P.J.P., o.c., p. 227-228.

(69) Information fournie par le Ministère de la Justice, Administration de la législation pénale et des droits de l'homme .

(70) Fabian Caparros, E., « Criminalidad organizada » dans : Gutierrez Frances, M. et Sanchez Lopez, V., El Nuevo Código Penal, primeros problemas de aplicación , Salamanca, Asociación de estudios penales Pedro Dorado Montero, 1997, p. 179-180.

(71) Information fournie par le Ministère de la Justice, Administration de la législation pénale et des droits de l'homme .

(72) Information fournie par le ministère de la Justice, Administration de la législation pénale et des droits de l'homme .

(73) Information fournie par le Ministère de la Justice, Administration de la législation pénale et des droits de l'homme .

(74) « Le projet a deux objectifs. Le premier est de fournir un critère juridique solide pour l'action contre la criminalité organisée. Si l'on veut se doter d'instruments adéquats, sur le plan de l'exercice des recherches et des poursuites, du jugement et de l'exécution des peines, il s'impose de définir juridiquement le phénomène qu'on entend combattre : l'existence d'organisations criminelles. Le premier objectif du projet est de fournir une telle définition. En tant que telle, cette définition permettra à l'avenir d'identifier les hypothèses qui relèvent du domaine de la criminalité organisée et pourra servir de critère pour l'utilisation de mesures législatives ou opérationnelles spécifiques. » (Projet de loi relatif aux organisations criminelles, exposé des motifs, Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 1).

(75) « La définition légale des organisations criminelles est également, dans la même conception, une condition nécessaire pour donner aux services de police sous le contrôle de la magistrature, la possibilité de mener des investigations judiciaires à l'égard de l'organisation criminelle elle-même, indépendamment de l'indication concrète d'infractions déjà commises. De telles mesures s'inscrivent dans la perspective du plan d'action précité du Gouvernement. L'objet des recherches qu'on appelle « proactives » est bien en première instance de mettre en lumière la structure et le fonctionnement de la criminalité organisée (...), » (Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 2 et 3).

(76) Verbruggen, F., « Un fer de lance trop émoussé : réflexions au sujet du projet de loi relatif aux organisations criminelles », Vigiles-Revue du droit de police, 1997, nº 2, pp. 7-25; « Van verenigde criminelen en criminele verenigingen, Is een criminele organisatie meer dan zo maar een moderne bende ? » dans Vrancken, P. (réd.), Privilegium Tabellionatus , Genk, 1997, pp. 461-477.
Parti du travail de Belgique, Halte à la loi fasciste « relative aux organisations criminelles », Bruxelles, 1997; Geys, F., « Wetsontwerp op de criminele organisaties », Liga voor de Mensenrechten, Nieuwsbrief, septembre 1997, pp. 3-8; De Stoop, C., « Het kaliber is te groot », Knack Magazine, 27 août 1997, pp. 17-19; Deltour, P., « Actiegroepen beducht voor wet op criminele organisaties », De Morgen, 27 juin 1995, p. 5, « Justitie moet populistische neigingen onderdrukken », De Morgen, 2 août 1997, p. 5; « Wetsontwerp op criminele organisaties zet deur open voor misbruiken », De Morgen, 26 septembre 1997, p. 1.

(77) Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/7.

(78) Réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 44/3-4, réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/10 : « L'orateur précédent déclare que le problème se situe aussi au niveau des conséquences de l'application du texte, entre autres en ce qui concerne l'usage de techniques policières spécifiques »; l'ambiguïté ressort aussi de la discussion en p. 48/16.

(79) Réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 43/6.

(80) Réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 43/8.

(81) Réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 43/7.

(82) Dans son Rapport d'activités 1994, Bruxelles, 1995, III, 25, l'O.C.D.E.F.O. considère aussi cette distinction comme l'un des mécanismes envisageables.

(83) Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/2.

(84) Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/3.

(85) Devries-Leemans, J., op. cit. ; Noyon, T., Langemeijer, G. et Remmelink, J., Het wetboek van Strafrecht, Deventer, Gouda Quint, Tweede boek, 251-256; Swart, A., « Verboden organisaties en verboden rechtspersonen », Liber Amicorum Remmelink, Arnhem, Gouda Quint, 1987, 607-624; Strijards, G., Criminele organisaties, preadvies voor de Vereniging voor de vergelijkende studie van het recht van België en Nederland, 1991.

(86) Plusieurs membres ont fait référence à l'arrestation de manifestants sur la base de l'article 140 du Code pénal lors du Sommet d'Amsterdam (réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 44/2). Voir également à ce sujet De Korte, R., « Artikel 140, Algemeen Politieblad, 19 juillet 1997, p. 7.

(87) Article 342 du Code néerlandais d'instruction criminelle.

(88) On utilise par exemple le critère suivant : « Lorsque les faits ou les circonstances permettent de présumer raisonnablement que des infractions (pour lesquelles la détention préventive est autorisée) sont concertées ou commises dans un cadre organisé et qu'eu égard à leur nature ou à leur connexité avec d'autres infractions concertées ou commises dans ce cadre organisé, elles constituent une violation grave de l'ordre public » (p. ex. article 1260 du projet de loi relatif aux techniques spéciales d'enquête, Tweede Kamer, 1996-1997, 25 403, 6).

(89) Article 7 de la loi du 7 avril 1995, Moniteur belge du 10 mai 1995, 12379.

(90) Article 3, § 2, de la loi du 11 janvier 1993, Moniteur belge du 9 février 1993.

(91) Réunion du mardi 15 juillet 1997, 48/3; voir les observations comparables d'un autre membre, 48/4.

(92) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/4.

(93) Réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 43/16.

(94) Van Camp, R., « Georganiseerde criminaliteit. Te veel rechtstaat of te veel Fouché ? », Discours prononcé au cours de la séance d'ouverture solennelle de la Cour d'appel d'Anvers, le 2 septembre 1996, R.W. , 1996-1997, p. 698-699.

(95) Voir à ce sujet, le rapport que la commission publiera concernant la recherche proactive et les techniques spéciales d'enquête.

(96) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/8.

(97) Voir le rapport annuel 1997 ­ Crime organisé 1996, Ministère de la Justice.

(98) Déclaration du représentant du ministre de la Justice. Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/7.

(99) Ibidem.

(100) Sur les articles 322 et suivants, voir De Swaef, M., Bendevorming, Comm. Sr. Sv., 1994, 12 pages; Berkvens, J., Criminele organisaties, een preadvies, Vereniging voor de vergelijkende studie van het recht van België en Nederland, Belgische sectie, 1991, 18 pages; Verbruggen, F., The General Part of Criminal Law and Organised Crime, Belgium (XVIth International Congress of Penal Law), Leuven, Instituut voor Strafrecht, 1997, pp. 16-20; Rigaux, M. et Trousse, P.-Em., « Les crimes et les délits du Code pénal , Bruxelles, Bruylant, 1968, V, pp. 9-21.

(101) « Le représentant du ministre souligne que même si l'on se réfère à la doctrine et à la jurisprudence existantes pour préciser certaines notions, la finalité du projet diffère de celle de l'article 322 » (Réunion du mardi, 15 juillet 1997, p. 48/13).

(102) « Un membre fait également remarquer que, d'une part, le représentant du ministre déclare que l'article 322 est insuffisant et qu'il faut quelque chose de nouveau pour combattre le crime organisé, et que, d'autre part, il se réfère à la doctrine relative à l'article 322 pour interpréter l'article 342 » (Réunion du mardi, 15 juillet 1997, p. 48/13).

(103) Comparez : projet de loi relatif aux organisations criminelles, exposé des motifs, Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 2.

(104) Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/8.

(105) Dans l'expression de l'article 322 du Code pénal « toute association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés », « formée dans le but... » peut porter tant sur le but de chaque individu qui s'associe à d'autres que sur un but qui s'est transmué en but de l'association, de l'organisation en tant que telle, indépendamment des motifs individuels de chacun de ses membres.

(106) Réunion du mercredi 16 juillet 1997, p. 49/6.

(107) Cassation, 4 décembre 1984, nº 8290, Arr. Cass., 1984-1985, 466, R.D.P., 1985, 580; Bruxelles, 2 novembre 1987, Journal des Tribunaux, 1988, 29; Corr. Br., 3 octobre 1995, Journal des Procès, 1995, nº 290, 26. Comme Berkvens l'écrit :« l'appartenance à une bande doit être consciente et délibérée, mais cette volonté délibérée ne concerne que l'existence d'une association et son but d'attenter aux personnes et aux propriétés. Il n'est donc pas nécessaire que le membre cherche à commettre quelque infraction ou qu'il l'envisage : il n'est même pas nécessaire qu'il soit informé de l'ensemble des plans actuels et futurs de l'association, ni qu'il sache si une quelconque infraction sera véritablement commise. Une certaine doctrine considère que l'élément moral de l'infraction est le fait de prendre consciemment un risque en ralliant une telle association et en se soumettant donc volontairement à une volonté criminelle collective qui mène à une responsabilité de groupe constitutive d'infractions. » (Berkvens, J., Criminele organisaties, een preadvies, Vereniging voor de vergelijkende studie van het recht van België en Nederland, Belgische sectie, 1991, 9.); Rigaux, M. et Trousse, P.-Em., « Les crimes et les délits du Code pénal » , Bruxelles, Bruylant, 1968, V, p. 16; De Nauw, A., Inleiding tot het bijzonder strafrecht , Antwerpen, Kluwer, 1992, pp. 61-63.

(108) Projet de loi relatif aux organisations criminelles, Exposé des motifs, Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, 4-5.

(109) Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/8.

(110) Un membre propose de remplacer dans la définition le mot « ou » par le mot « et », ce qui réduirait considérablement son champ d'application. Le texte approuvé par la Chambre ne constitue pas une évolution, mais bien une révolution, dans l'approche criminologique et pénale (réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/10).

(111) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/5.

(112) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/5.

(113) Réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/8.

(114) Cass., 4 décembre 1984, nº 8290, Arr. Cas., 1984-1985, 466; R.D.P., 1985, 580; De Nauw, A., o.c., 61 : « Quand l'association constitue un groupe organisé de personnes qui a pour but de commettre des attentats contre les personnes et les propriétés, ses membres tombent sous le coup de la loi pénale, même s'ils ne se mettent pas effectivement à en commettre. Le texte originel de la loi était rédigé ainsi : ''quand même il n'aurait été accompagné ni suivi d'aucune infraction''. Les ayants estimés inutiles, l'on a supprimé ces mots. »; Marchal, A., et Jaspar, J.-P., « Droit criminel. Traité théorique et pratique » , Bruxelles, Larcier, 1982, III, pp. 32-55.

(115) Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, pp. 13-17.

(116) Certains commentateurs ont suggéré de mettre davantage en évidence la distinction entre l'association de malfaiteurs et l'organisation criminelle, car les articles 322 et suivants ont été interprétés de manière très extensive et l'on peut douter de leurs limites : Verbruggen, F., « Een te botte speerpunt : (...) », op. cit. , 21-25.

(117) Surtout en ce qui concerne évidemment la complicité : De Swaef, op. cit. , 7, Rigaux-Trousse, Crimes et délits , V, 18.

(118) Il y a là une différence avec les conditions constitutives de l'association de malfaiteurs, mais une certaine ressemblance avec la législation sur la drogue. Le collaborateur du ministre souligne que ce n'est pas là l'objectif du projet de loi, au contraire : il estime que l'intention de commettre des délits doit suffire (réunion du mardi 15 juillet 1997, p. 48/13).

(119) Cassation, 23 octobre 1963, Pas., 1964, I, 183.

(120) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/8-9.

(121) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/7-9.

(122) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/8.

(123) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/7.

(124) Voir la déclaration du représentant du ministre, réunion du mercredi 16 juillet 1997, p. 49/10.

(125) À l'article 344, par exemple, le projet de loi omet, à dessein, de faire une distinction entre les membres et les tiers ou entre les collaborateurs permanents et les collaborateurs occasionnels (« les personnes qui sont impliquées dans la prise de décision, même de façon occasionnelle ou exceptionnelle, même à l'égard d'activités licites de l'organisation ») (Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 8).

(126) Audition du 4 juillet 1997, pp. 20/9-20/10.

(127) Exposé des motifs du projet de loi relatif aux organisations criminelles, doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 6.

(128) « Le problème est de définir appartenance. Le Gouvernement résout la question en ne définissant pas cette notion » (réunion du mercredi 1er octobre 1997, 52, p. 11.

(129) « Un membre estime que les critères d'appartenance à l'organisation doivent être des actes (et non résider dans l'existence d'opinions) qui contribuent à l'entreprise durable évoquée plus haut. Ces actes peuvent consister dans le simple fait de donner des instructions ou des missions, ou dans des activités légales » (réunion du mercredi 1er octobre 1997, 52, p. 9).

(130) Notamment l'intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ou de s'y associer d'une des manières prévues par les articles 66 et suivants (article 343, § 1er ).

(131) Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 7.

(132) En ce qui concerne la négligence, voir entre autres Dupont, L. et Verstraeten, R., Handboek Belgisch Strafrecht , Leuven, Acco, 1990, pp. 257 et suivantes.

(133) Réunion du vendredi 20 juin 1997, p. 43/11-13.

(134) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/10-11.

(135) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/12.

(136) Voir De Swaef, op. cit. , p. 7; Rigaux-Trousse, Crimes et délits , V, p. 16-18. La Cour de cassation italienne a admis elle aussi que la participation (au sens du Livre Ier de notre Code pénal) de personnes extérieures au délit d'association (et non donc aux délits commis par l'organisation ou ses membres) était effectivement possible. Il s'agit du « concorso esterno nei reati associativi ». La majorité de la doctrine condamne vivement cette décision parce qu'elle s'engage dans la voie des abstractions successives et qu'elle s'éloigne vraiment beaucoup des faits proprement dits. Cette conception pourrait conduire à une sorte de technique de la terre brûlée qui consisterait à sacrifier tout et quiconque a le moindre lien avec une organisation criminelle. Le projet belge va plus loin encore en incluant d'emblée les personnes extérieures dans la répression, avec, pour couronner le tout, un élément moral que l'on pourrait interpréter comme l'indice d'un délit de négligence. Le projet omet pudiquement de préciser si l'on pourrait appliquer en outre en l'espèce la participation au sens du Livre Ier du Code pénal. C'est pourquoi d'aucuns préconisent que les nouveaux délits soient insérés dans une loi spéciale plutôt que dans le Code pénal (réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/13).

(137) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, 52/9.

(138) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, 52/10.

(139) Cela implique que quelqu'un qui sait ce qu'il fait (le comportement qu'on lui reproche et la connaissance de l'existence d'une organisation criminelle existe), qui prévoit quelles pourraient être les conséquences de cet acte (l'avantage pour l'organisation), qui sait que les conséquences découleront probablement de cet acte et qui veut malgré tout le faire, satisfait à la condition du dol. Le fait qu'il ne veut peut-être pas les conséquences est sans incidence, parce qu'il les prend « par-dessus le marché », en décidant consciemment de poser l'acte en question. La jurisprudence n'a pas encore souvent examiné mot pour mot la question de savoir si l'on peut appliquer la construction juridique du dol éventuel à l'intention de participer.

(140) Bosly H. et Traest, P., Thème de la procédure pénale, Rapport belge, Les systèmes pénaux à l'épreuve du crime organisé , XVIe Congrès de l'A.I.D.P., 1997, 9.

(141) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/12. Lors de la discussion relative à l'incrimination de la simple appartenance à une organisation criminelle, comme le proposait le projet du gouvernement, la Commission a pu se rendre compte à quel point il est difficile de définir avec précision l'appartenance. Il en va de même pour la participation. Cela revient à définir l'élément moral de telle sorte que les intéressés ne puissent pas trop facilement invoquer leur ignorance au sujet de leur rôle au sein d'une organisation criminelle ou de leur association à celle-ci. Voir l'exemple du personnel domestique (le chauffeur) du dirigeant d'une organisation criminelle que le Conseil d'État a développé dans son avis, Doc. Chambre, 1996-1997, nº 954/1, p. 16.

(142) Par exemple, la personne qui fournit un logement, des armes, etc., à des personnes dont elle sait qu'elles font partie d'une organisation criminelle, et qui a pour intention de protéger l'organisation ou de réaliser ses objectifs. L'avantage en est qu'une personne qui, en raison de considérations purement humanitaires ou sur la base de ses obligations professionnelles normales, pose des actes qui contribuent de facto au succès de l'organisation criminelle, n'est pas concernée. Des directives déontologiques ou des codes de conduite s'adressant aux personnes qui travaillent dans les secteurs à risque peuvent jouer un rôle important. Une violation de ces règles n'est pas du tout suffisante, mais elle peut être un indice de « mauvaise foi ».

Un exemple : lorsqu'un médecin reçoit chez lui une personne qui a subi une blessure par balle, il ne peut refuser de la soigner parce qu'il soupçonne qu'il s'agit d'un membre d'une organisation criminelle. S'il demande une rétribution normale, il ne peut pas être puni, même s'il aide ainsi l'organisation.

Si, par contre, il exécute une chirurgie plastique dans le plus grand secret contre une rémunération excessive, non parce qu'il y a une quelconque nécessité médicale, mais pour rendre la personne méconnaissable, il est bel et bien punissable.

Cette situation est tout à fait différente de celle où un médecin travaille à peu près exclusivement pour une organisation criminelle. Il pourrait, lui, être puni comme membre.

L'élément moral du délit imputable à des tiers se complique : il doit y avoir eu :

­ un comportement conscient (action en connaissance de cause);

­ une intention particulière (le motif de l'action devient pertinent au plan pénal) : les tiers doivent avoir l'intention de contribuer à la réalisation des objectifs ou des activités de l'organisation criminelle. (L'on peut se demander si ce dol spécial peut prendre la forme d'un dol éventuel.) C'est ainsi qu'une femme qui, tout en réprouvant les objectifs de l'organisation ou ses méthodes, cache un membre de l'organisation parce qu'elle en est amoureuse, ne sera pas punissable. Le propriétaire qui loue à un prix normal un bâtiment à un tenancier de maison close ne sera pas punissable en principe, pas plus qu'un avocat qui défend les membres de l'organisation. L'individu toxicomane qui contribue de facto , en tant qu'acheteur, au succès des organisations criminelles, ne sera pas non plus punissable. Mais, le dealer de rue qui n'appartient pas à l'organisation, pourrait, lui, être condamné éventuellement en tant que tiers travaillant pour le compte d'une organisation criminelle. Il y a évidemment lieu de se demander s'il ne serait pas préférable de le poursuivre pour une infraction à la législation en matière de stupéfiants.

Il va de soi que tous quatre sont punissables s'ils commettent une infraction (autre que l'association de malfaiteurs) ou y participent. Ils le sont a fortiori s'ils entrent effectivement dans l'organisation.

Les instances de poursuites sont plutôt opposées à l'idée de prévoir qu'il doit y avoir eu un dol spécial, parce qu'il serait difficile de prouver qu'il a existé effectivement. Les cas douteux joueront davantage en faveur du suspect, comme celui du prétendu versement de cotisations à un fonds d'aide aux (familles des) détenus, alors qu'il est prouvé qu'une partie de l'argent a été consacrée à la logistique d'une organisation criminelle (voitures, caches, ...).

Cet acte serait punissable en application de la loi en projet, alors que l'existence du dol spécial serait toujours difficile à prouver.

(143) La participation emprunte son caractère criminel au fait principal et est conditionnée par celui-ci. Un emprunt relatif de criminalité implique que l'incrimination du participant est déterminée par la qualification qui devrait être donnée au délit si le participant en avait été l'auteur principal. Un emprunt absolu de criminalité signifie que l'incrimination du participant est déterminée par la qualification du fait dans le chef de l'auteur (Dupont, L. et Verstraeten, R., Handboek Belgisch Strafrecht , Leuven, Acco, 1990, pp. 314-315; Van den Wyngaert, Chr., Strafrecht en strafprocesrecht in hoofdlijnen , Antwerpen, Maklu 1994, pp. 292-293).

(144) Réunion du mercredi 1er octobre 1997, p. 52/6.

(145) Programme d'action relatif à la criminalité organisée, Conseil européen, 28 avril 1997, Journal officiel des Communautés européennes, 15 août 1997, nº C 251, 4 et 11.

(146) Avis rendu le 20 novembre 1997 (non encore paru au Journal officiel ).

(147) Réserve de la délégation espagnole.

(148) La Belgique s'est réservée le droit de faire une déclaration visant les modus operandi utilisés par l'auteur de l'infraction.

(149) Réserve de E.S. qui estime que l'approche alternative ne convient pas.

(150) Réserve de la délégation danoise qui souhaite faire une déclaration et ajouter le mot « effective » auprès le mot « participation ».

(151) Réserve de la délégation espagnole qui estime que ce texte n'ajoute rien à la lutte contre la criminalité organisée.

(152) Voir déclaration de A annexée.

(153) Réserve de E.S. liée au maintien de l'article 2, paragraphe 2.

(154) Voir déclaration de D annexée.