1-501/4 (ANNEXE)

1-501/4 (ANNEXE)

Sénat de Belgique

SESSION DE 1996-1997

28 JANVIER 1997


Projet de loi spéciale portant exécution temporaire et partielle de l'article 125 de la Constitution


ANNEXES

AU RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR M. VANDENBERGHE


Voir :

Documents du Sénat :

1-501 - 1996/1997 :

Nº 1 : Projet de loi spéciale transmis par la Chambre des représentants.

s 2 et 3 : Amendements.

Nº 4 : Rapport.


ANNEXES


Contenu

Annexe I. Consultation des Conseils de communauté et de région

1. Lettre aux présidents des Conseils (le 20 décembre 1996)

2. Réponse de M. M. Schunck, président du Conseil de la Communauté germanophone

3. Réponse de M. G. Spitaels, président du Parlement wallon

4. Réponse de Mme A.-M. Corbisier-Hagon, présidente du Conseil de la Communauté française

Annexe II. Avis des professeurs Franchimont et Verdussen

1. Liste des questions soulevées lors de la réunion de la commission du 16 janvier 1997

2. Avis du professeur Franchimont

3. Avis du professeur Verdussen

4. Question supplémentaire de Mme Milquet

5. Réponse du professeur Franchimont à la question supplémentaire

Annexe III. Note du Premier ministre sur l'arrestation et la constitution de partie civile


ANNEXE I


1. Lettre aux présidents des Conseils
(le 20 décembre 1996)

Monsieur le Président (Madame la Présidente),

Cher Collègue (Chère Collègue),

Veuillez trouver ci-joint le texte du projet de loi spéciale portant exécution temporaire et partielle de l'article 125 de la Constitution, tel qu'il est transmis par la Chambre des représentants.

Je sollicite votre avis au sujet de ce texte. La Commission des Affaires institutionnelles du Sénat examinera le projet de loi spéciale lors de sa réunion du 16 janvier 1997.

Par ailleurs, je joins pour votre information le texte de la loi portant exécution temporaire et partielle de l'article 103 de la Constitution.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, cher Collègue, l'expression de ma haute considération.

Frank SWAELEN.

2. Réponse de M. M. Schunck,
président du Conseil de la Communauté germanophone

Eupen, den 7. Januar 1997

An den Präsidenten des Senats

Herrn F. SWAELEN

Sehr geehrter Herr Präsident !

Betrifft : Anfrage auf die Abgabe eines Gutachtens in bezug auf den Sondergesetzentwurf zur teilweisen und zeitweiligen Ausführung von Artikel 125 der Verfassung

In Beantwortung Ihres Schreibens vom 20. Dezember 1996 möchte ich Ihnen, sehr geehrter Herr Präsident, mitteilen, daß der Rat der Deutschsprachigen Gemeinschaft auf Anfrage des Kammerpräsidenten bereits am 16. Dezember 1996 ein mit Gründen versehenes Gutachten zum Sondergesetzesvorschlag zur teilweisen Ausführung von Artikel 125 der Verfassung (Kammerdok. 833/1 - 96/97) abgegeben hat.

Vor der Abfassung des Gutachtens hat der Rat (bzw. der zuständige Ausschuß) sowohl das Gutachten des Staatsrates (Kammerdok. 833/2 - 96/97) als auch den vom Ausschuß angenommenen Text (Kammerdok. 833/5 - 96/97) zur Kenntnis genommen. Da der letztgenannte Text identisch ist mit dem an den Senat übermittelten Text (Senatsdok. 1-501/1-1996,1997) verzichtet der Rat darauf, erneut ein Gutachten zu erstellen, und verweist auf das am 16. Dezember 1996 abgegebene Gutachten (siehe die Ablichtung in der Anlage).

Hochachtungsvoll

M. SCHUNCK

Präsident des Rates der

Deutschsprachigen Gemeinschaft

TRADUCTION FRANÇAISE

16 décembre 1996 ­ Avis motivé relatif à la proposition de loi spéciale portant exécution partielle de l'article 125 de la Constitution

Le Conseil de la Communauté germanophone a adopté le texte suivant :

Remarque liminaire

Le Conseil se réjouit de la réception d'une demande d'avis relative à la proposition de loi spéciale portant exécution partielle de l'article 125 de la Constitution. À ce propos, il exprime le souhait de voir cette procédure également respectée à l'avenir et d'être consulté (en application de l'article 78 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone) sur tous les projets et propositions de loi spéciale qui concernent directement ou indirectement la Communauté germanophone.

Observation relative au contenu de la proposition

Le Conseil se félicite vivement de l'initiative prise par le Parlement en vue d'adapter la procédure d'instruction et d'information en ce qui concerne les ministres à la procédure générale en vigueur.

Il regrette toutefois le caractère provisoire et partiel des textes de loi proposés. À cet égard, il exprime le ferme espoir qu'un règlement définitif soit trouvé dans un avenir proche.

Le Conseil se félicite par ailleurs de la concordance des textes entre le projet de loi spéciale soumis pour avis et le projet de loi portant exécution de l'article 103 de la Constitution, qui prévoient une seule et même procédure pour tous les ministres, qu'ils soient fédéraux, régionaux ou communautaires.

3. Réponse de M. G. Spitaels, président du Parlement wallon

Monsieur le président,

Cher collègue,

Votre lettre du 20 décembre dernier par laquelle vous me consultez sur le projet de loi spéciale portant exécution temporaire et partielle de l'article 125 de la Constitution que vous a transmis la Chambre des représentants m'est bien parvenue et a retenu ma meilleure attention.

Vous remerciant pour la courtoisie que vous manifestez ainsi par cette consultation, j'ai l'honneur de vous informer que ce texte a déjà été soumis par M. le président de la Chambre au Parlement wallon et que le bureau du Parlement, réuni le 18 décembre dernier, a acté que l'adoption de ce texte étant intervenue en séance plénière de la Chambre le 16 décembre dernier, il ne pouvait que prendre note du vote intervenu et du texte ainsi adopté.

Vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie de croire, Monsieur le président, cher collègue, à ma haute considération.

Guy SPITAELS.


4. Réponse de Mme A.-M. Corbisier-Hagon,
présidente du Conseil de la Communauté française

Monsieur le Président,

Cher Collègue,

J'ai bien reçu votre lettre du 20 décembre 1996 par laquelle vous me transmettez le texte du projet de loi spéciale portant exécution temporaire et partielle de l'article 125 de la Constitution tel qu'il vous a été transmis par la Chambre des représentants.

J'ai communiqué ce texte aux chefs de groupe politique de notre Parlement en leur demandant de me faire connaître, pour ce lundi 13 janvier, les observations de leur groupe respectif.

N'ayant reçu aucune remarque de leur part au sujet de ce texte en cause, je ne peux dès lors que me référer à ma lettre précédente du 26 novembre dans laquelle j'émettais le souhait que les Chambres fédérales adoptent, dans les meilleurs délais, ce projet de loi.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, Cher Collègue, l'assurance de ma haute considération.

A.-M. CORBISIER-HAGON.

ANNEXE II

mpét

1. Questions soulevées lors de la réunion de la commission des Affaires institutionnelles du Sénat du 16 janvier 1997

1. Quel est le sens d'inscrire à l'article 3, alinéa 2, « l'arrestation » ? Que faut-il entendre par ce terme ? De toute façon il ne peut pas s'agir de l'arrestation ordonnée après la condamnation prononcée par un tribunal ou une cour. Ne faudrait-il pas supprimer ce terme dans l'article 3, alinéa 2 ?

2. En vertu de l'article 3, alinéa 2, le conseiller instructeur peut accomplir les actes couverts par l'autorisation. S'agit-il de l'autorisation du conseil concerné pour l'arrestation et la mise en détention ou s'agit-il de l'autorisation du membre concerné pour des mesures de contrainte ?

3. Le projet de loi spéciale n'oblige pas le conseiller instructeur de solliciter l'autorisation du conseil concerné pour l'inculpation d'un (ancien) ministre. Il peut dès lors procéder à l'inculpation lui-même. Or, aux termes de l'article 61bis du Code de l'instruction criminelle en projet (projet élaboré par la Commission Franchimont), le juge d'instruction procède à l'inculpation contre toute personne à l'égard de laquelle il existe des indices sérieux de culpabilité. Une inculpation a donc un retentissement psychologique et (dans le cas d'un ministre) politique considérable.

Ne ferait-on donc pas mieux de prescrire l'autorisation du conseil concerné pour l'inculpation aussi (cf. la révision de l'article 59) ?

En effet, ne faut-il pas percevoir l'inculpation comme faisant partie de la mise en accusation, qui elle reste toujours le privilège du conseil concerné ?

4. Lorsque le conseiller instructeur entend un (ancien) ministre, mais sans serment, ne donne-t-il pas inévitablement l'impression qu'il a mis en inculpation le ministre ?

5. L'article 5 prévoit une règle de conflit pour certaines hypothèses seulement. En gros, tel qu'il est rédigé, il couvre les combinaisons gouvernement fédéral + gouvernement autre que fédéral, mais pas les multiples combinaisons gouvernement communautaire + gouvernement régional.

Si un ministre communautaire ou régional n'a jamais été ministre fédéral, l'article 5 ne le concerne pas. En revanche, s'il a un jour été ministre fédéral, il rentre dans les prévisions de l'article 5.

Si un ministre est un ministre à la fois communautaire et régional, et s'il n'a jamais été ministre fédéral, l'article 5 ne le concerne pas et il serait toujours soumis à une double procédure, puisque chacun des deux conseils est « concerné » au sens des articles 2 à 4. En revanche, s'il a un jour été ministre fédéral, il rentre dans les prévisions de l'article 5, et la procédure applicable est alors « celui qui s'applique aux membres du dernier gouvernement auquel il a appartenu ». Du coup, ne suffit-il pas d'un seul jour de décalage entre les deux démissions pour déterminer celui des deux conseils qui sera compétent, à l'exclusion de l'autre, et dans une certaine mesure, au choix de l'intéressé ? Est-ce bien normal, et compatible avec le principe d'égalité ?

Il ne s'agit sans doute que d'un exemple parmi d'autres, tant les possibilités de combinaisons doivent être complexes (nombre de mandats, ordre de leur succession, faits commis dans ou en dehors de l'exercice des fonctions, etc.).

Ne faudrait-il pas vérifier de manière systématique si la règle de conflit proposée conduit à des solutions satisfaisantes et cohérentes dans les multiples cas de figure qui peuvent se présenter ?

6. Aux termes de l'article 125 de la Constitution, les conseils peuvent mettre en accusation leurs ministres. En vertu de l'article 5 du projet, il est concevable qu'un conseil régional pourrait mettre en accusation (par exemple) un ancien ministre fédéral (qui est/était également ministre régional) pour des faits qui ont été commis dans l'exercice de ses fonctions ministérielles fédérales. Disposition inconstitutionnelle ?

7. La responsabilité ministérielle des membres du gouvernement fédéral relève de la compétence monocamérale de la Chambre des représentants. L'article 5 du projet règle la responsabilité ministérielle des (anciens) membres du gouvernement fédéral qui sont également (ancien) membre d'un gouvernement de région ou de communauté. Disposition incompatible avec l'article 74, 2º, de la Constitution ?

8. Aux termes de l'article 125 de la Constitution, la loi peut régler l'exercice de l'action civile par la partie lésée. Elle peut également déterminer les peines à infliger aux membres des gouvernements. Ne ferait-on pas mieux de régler cela dans cette loi spéciale ?

9. La commission de révision de la Constitution et de la réforme des instiutions de la Chambre conclut que la mise en mouvement de l'action publique reste réservée au ministère public. Les parties civiles ne peuvent dès lors pas promouvoir l'action. Il s'agirait en l'espèce d'une situation de privilège de juridiction et d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Doc. Chambre, 96/97, 832/5, p. 25).

Ne faudrait-il pas expliciter ceci dans la loi spéciale elle-même, comme on l'a fait dans la révision de l'article 59 de la Constitution ? Quelle est la valeur de ladite jurisprudence constante qui se fonde sur l'article 103 de la Constitution, tandis qu'une loi portant exécution de l'article 103 vient d'être adoptée ?

En outre, est-ce qu'il s'agit vraiment d'une situation de privilège de juridiction ? Ne s'agit-il pas simplement d'une procédure sui generis pour les ministres ?


2. Avis du professeur Franchimont

1º Le sens de l'article 3, alinéa 2, du mot « arrestation ».

Ce mot doit être compris dans le sens qui lui est attribué aux articles 1 et 2 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. Il s'agit donc d'une privation de liberté d'une personne afin de mettre celle-ci à la disposition de la justice pour une durée qui ne peut dépasser 24 heures.

Ce mot « arrestation » est évidemment différent des termes « détention préventive » qui est la procédure qui résulte de la délivrance du mandat d'arrêt par le juge d'instruction. L'arrestation pouvant être faite par la police judiciaire dans les conditions prévus par les articles 1 et 2 de la loi du 20 juillet 1990. Il est bien clair qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une arrestation immédiate ordonnée aprés condamnation ou prononcée par un tribunal ou une cour conformément à l'article 33, paragraphe 2, de la loi du 20 juillet 1990.

En conclusion, à mon sens, il ne faut pas supprimer le terme « arrestation » dans l'article 3, alinéa 2.

2º Lorsque l'article 3, alinéa 2, parle du conseil concerné, il ne s'agit pas évidemment du conseiller instructeur désigné par le premier président de la Cour de cassation ni même du collège composé du conseiller et de deux autres conseillers à la Cour de cassation, mais bien du Conseil de la Communauté ou de la Région. Je crois toutefois que la formulation mériterait d'être plus claire.

3º La notion d'inculpation telle qu'elle est prévue à l'article 61bis du projet de la loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction a essentiellement pour but de créer des droits pour les personnes contre lesquelles il existe des indices sérieux de culpabilité.

C'est à partir de cette inculpation que ces personnes auront le droit d'avoir accès au dossier et de demander des mesures d'instruction complémentaires.

Sans doute l'inculpation peut-elle avoir un effet stigmatisant dans la mesure où l'on ne respecte pas le secret de l'instruction. Il convient toutefois de noter que cette inculpation peut être faite par le juge d'instruction par simple notification sans même éventuellement qu'il convoque la personne inculpée à son bureau.

C'est d'autre part à juste titre que le gouvernement, dans le projet de loi, a prévu comme formulation de l'article 61bis , alinéa 2 : « Beneficie des mêmes droits que l'inculpé, toute personne à l'égard de laquelle l'action publique est engagée ». Cela signifie bien que l'inculpation est donc une disposition créatrice de droit et non pas une disposition stigmatisante.

Personnellement, je crois qu'il est préférable, dans l'intérêt du ministre, qu'il n'y ait pas d'autorisation du Conseil de la communauté ou de la région pour l'inculpation car le seul fait de demander cette autorisation aura l'effet stigmatisant que l'on veut éviter. Par contre, si l'inculpation se fait dans le cadre d'une instruction secrète, cela permet au ministre de mieux suivre l'évolution des poursuites par l'accès au dossier et par la demande de devoirs complémentaires.

L'inculpation est tout à fait différente de la mise en accusation et il vaut mieux ne pas retarder le temps de l'inculpation puisque cela ferait perdre au ministre le bénéfice de l'accès au dossier et la possibilité de demander des devoirs complémentaires. Sans doute, le ministre peut également demander ces devoirs complémentaires et il a accès au dossier lors de la mise en accusation mais l'on peut se demander parfois si ce n'est pas trop tard et c'est d'ailleurs un des objets de la réforme proposée par le projet de loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction.

4º Lorsque le conseiller instructeur entend un ancien ministre à toutes fins, c'est-à-dire sans serment, cela n'implique pas qu'il y a ou qu'il y aura une inculpation. Cela signifie simplement que l'on ne veut pas mettre la personne interrogée dans la situation soit de faire un faux serment, soit de témoigner contre elle-même.

5º Cette question relève essentiellement du droit constitutionnel et je préfère que le professeur Verdussen réponde à cette question.

Il en est de même pour la question 6 et pour la question 7.

Sur la question 8, je crois qu'il n'y a pas de problème particulier en ce qui concerne les peines qui sont les peines prévues par le Code pénal et les lois spéciales. Contrairement à ce qui était pensé au moment de la Constitution de 1831, il n'est pas question de prévoir des peines particulières en ce qui concerne les ministres.

En ce qui concerne l'action civile, il faut évidemment respecter les droits de la partie lésée qui doit pouvoir se constituer partie civile devant la Cour de cassation ou faire une action civile devant le juge civil. Mais il faut protéger la fonction et ne pas permettre aux parties lésées de mettre l'action publique en mouvement. Ce n'est pas une nouveauté en matière de procédure pénale. La partie civile ne peut engager des poursuites devant la juridiction de la jeunesse, ni devant les juridictions militaires, ni en cas de privilège de juridiction, ni dans certains cas d'infractions commises à l'étranger. Il me paraît dès lors judicieux de réserver au procureur général à la Cour de cassation le droit de mettre l'action publique en mouvement et il me paraît que cela devrait être dit plus clairement. Je ne crois pas qu'il puisse s'agir en l'espèce d'un véritable privilège de juridiction mais je crois qu'effectivement, il faut l'inscrire très formellement dans la loi spéciale. Il ne s'agit pas non plus d'une procédure tellement sui generis puisque, comme je l'ai dit plus haut, elle s'applique à un certain nombre d'autres cas.

Tout en étant extrêmement sensible aux droits de la victime dans le procès pénal, et c'est un des aspects importants du projet de loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction, il faut aussi empêcher que l'on se serve de la possibilité de la mise en mouvement de l'action publique par l'action civile pour des règlements de compte dont les mobiles sont assez éloignés de ceux de la justice.

Michel FRANCHIMONT.

3. Réponse du Professeur Verdussen

1. Selon la première phrase de l'article 3, alinéa 2, du projet de loi spéciale, « hors le cas de flagrant délit, l'arrestation ou la mise en détention préventive ne peuvent intervenir qu'en vertu de l'autorisation du conseil concerné ». Quel est le sens du mot « arrestation » contenu dans cette disposition ? Ce terme ne devrait-il pas être supprimé ?

À l'origine, le texte français de l'article 3, alinéa 2, parlait uniquement de « mise en détention », alors que le texte néerlandais parlait de « aanhouding » et « voorlopige hechtenis ». C'est suite à un amendement de M. Reynders que le mot « arrestation » a été ajouté au texte français (doc. Chambre, 1996-1997, nº 833/4, p. 4). L'adoption de cet amendement n'a été assortie d'aucune explication particulière. Elle n'en est pas moins tout à fait justifiable, de telle sorte que le terme « arrestation » ne me paraît pas devoir être supprimé de l'article 3, alinéa 2.

L'arrestation ne saurait, en effet, être confondue avec la détention préventive. Celle-ci résulte de la délivrance d'un mandat d'arrêt par un magistrat instructeur, tandis que l'arrestation recouvre d'autres formes de privation de liberté.

On peut distinguer trois formes distinctes d'arrestation.

Il s'agit, tout d'abord, de l'arrestation dite « administrative », visée à l'article 31 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, qui permet aux fonctionnaires de police administrative de priver de sa liberté toute personne qui perturbe l'ordre public, à condition que ce soit pendant douze heures au plus. Cette arrestation ne suppose aucune mise à la disposition de la justice et n'est donc pas destinée à se prolonger au-delà de douze heures.

Il s'agit, ensuite, de l'arrestation dite « judiciaire », visée à l'article 15 de cette même loi du 5 août 1992, qui confie à la gendarmerie, à la police communale et à la police judiciaire le soin de mettre à la disposition de l'autorité compétente (en clair, du procureur du Roi) les auteurs d'infractions. Cette arrestation ne peut se prolonger au-delà de vingt-quatre heures, sauf à être suivie d'un mandat d'arrêt délivré par le juge d'instruction (art. 12, alinéa 3, de la Constitution).

Il s'agit, enfin, de l'arrestation ordonnée après un jugement ou un arrêt de condamnation.

Il reste à déterminer quelles formes d'arrestation sont susceptibles d'être visées par l'article 3, alinéa 2, en projet. Il me semble que seule la deuxième forme d'arrestation tombe sous le coup de l'article 3, alinéa 2, en projet. La première est purement administrative et n'est pas de nature à durer plus de douze heures, tandis que la troisième s'inscrit en dehors du contexte d'une information ou d'une instruction judiciaire.

2. En vertu de la seconde phrase de ce même article 3, alinéa 2, du projet de loi spéciale, « le conseiller instructeur peut accomplir les actes couverts par l'autorisation ». De quelle autorisation s'agit-il ?

La seconde phrase de l'article 3, alinéa 2, doit être lue à la lumière de la première. Les « actes couverts par l'autorisation » sont « l'arrestation » et « la mise en détention préventive », telles qu'elles ont été autorisées par le « Conseil concerné », c'est-à-dire par le Conseil communautaire ou régional compétent, conformément à l'article 125 de la Constitution.

3. Le projet de loi spéciale n'oblige pas le conseiller instructeur à solliciter l'autorisation du conseil concerné pour l'inculpation d'un ministre ou d'un ancien ministre. Il peut dès lors procéder à l'inculpation lui-même. Or, aux termes de l'article 61bis du projet élaboré par la commission pour le droit de la procédure pénale, le juge d'instruction procède à l'inculpation de toute personne à l'égard de laquelle il existe des indices sérieux de culpabilité. Une inculpation a donc un retentissement psychologique ­ et, dans le cas d'un ministre, politique ­ considérable. Par conséquent, ne serait-il pas préférable de prescrire l'autorisation du conseil concerné également pour l'inculpation ?

La question doit être située à deux niveaux.

On doit, tout d'abord, se demander dans quelle mesure l'article 125 de la Constitution ­ le problème se pose dans les mêmes termes pour l'article 103 (membres du gouvernement fédéral) ­ permet au législateur de soustraire entièrement à l'appréciation des conseils concernés toutes les phases qui précèdent le renvoi proprement dit du ministre devant la Cour de cassation, à savoir non seulement l'inculpation mais plus généralement l'ensemble des actes d'information et d'instruction.

Tels qu'ils ont été adoptés par la Chambre des représentants, le projet de loi spéciale actuellement examiné par votre commission et la loi (ordinaire) du 17 décembre 1996 portant exécution temporaire et partielle de l'article 103 de la Constitution s'inscrivent indiscutablement dans cette voie, qui n'a d'ailleurs pas été désapprouvée par la section de législation du Conseil d'État. Dans l'avis qu'elle a rendu le 22 août 1995 sur l'avant-projet de loi portant exécution de l'article 103 de la Constitution, celle-ci considère en effet qu'aux termes du projet soumis pour avis, « la Chambre des représentants a, comme les juridictions d'instruction, essentiellement pour tâche, désormais, d'examiner s'il existe ou non des griefs suffisants à l'encontre du ministre concerné et est tenue, le cas échéant, de le renvoyer pour jugement devant la Cour de cassation. Dans le système en projet, l'instruction et les poursuites seront, au contraire, possibles sans que la Chambre doive en donner l'autorisation. Le Conseil d'État considère que la nouvelle interprétation donnée à l'article 103 de la Constitution ne heurte ni la lettre, ni l'esprit de cette disposition » (doc. Chambre, session extraordinaire 1995, nº 61/1, p. 45).

Personnellement, ce point de vue me paraît contestable, car il procède d'une interprétation éminemment restrictive du terme « accuser » ­ contenu aux articles 103 et 125 de la Constitution, et ce, à l'encontre de l'interprétation retenue jusqu'à présent par la doctrine. En clair, il me paraît que le système retenu dans le projet de loi spéciale et dans la loi du 17 décembre 1996 nécessiterait une révision des articles 103 et 125 de la Constitution.

Dans la mesure où le Sénat estimerait devoir poursuivre dans la voie empruntée par la Chambre des représentants, la question de savoir si l'inculpation doit échapper à tout contrôle de l'assemblée compétente est une question d'opportunité. Je préfère laisser aux professeurs Franchimont et Bosly le soin de répondre à cette question, dont les implications pénales touchent davantage à leurs compétences. Je me permets simplement d'indiquer qu'à mon sens, le choix du législateur spécial, quant à cette question, devrait être guidé par la nécessité de préserver au mieux, à l'égard du ministre concerné, le principe du secret de l'instruction, afin d'obvier autant que faire se peut aux dérapages qui se sont produits à l'occasion des affaires les plus récentes.

4. Lorsque le conseiller instructeur entend un ministre ou un ancien ministre, mais pas sous serment, ne donne-t-il pas inévitablement l'impression qu'il a mis en inculpation le ministre ?

Je préfère laisser aux professeurs Franchimont et Bosly le soin de répondre à cette question, qui les concerne davantage.

5. L'article 5 du projet de loi spéciale dispose que « dans le cas où la personne est à la fois membre ou ancien membre du gouvernement fédéral et membre ou ancien membre d'un gouvernement de communauté ou de région, la procédure applicable est celle qui s'applique aux membres du dernier gouvernement auquel il a appartenu ». Ne faudrait-il pas vérifier de manière systématique si la règle de conflit proposée conduit à des solutions satisfaisantes et cohérentes dans les multiples cas de figure qui peuvent se présenter ?

Il n'est pas inutile de rappeler que l'article 5 a été adopté sur une suggestion formulée par la section de législation du Conseil d'État dans l'avis qu'elle a rendu le 13 décembre 1996 (doc., Chambre, 1996-1997, nº 833/2, pp. 3-4). Selon le Conseil d'État, la question se pose de savoir « quelle est la procédure à appliquer si une personne est à la fois membre ou ancien membre du gouvernement fédéral et membre ou ancien membre d'un gouvernement de communauté ou de région ». Et le Conseil d'État de souligner qu'« il convient d'introduire dans une loi spéciale prise en vertu de l'article 125, alinéa 3, de la Constitution, une disposition désignant dans chaque hypothèse l'assemblée compétente ». C'est à la suite de cette suggestion qu'un amendement a été déposé par MM. Reynders et Duquesne (doc. Chambre, 1996-1997, nº 833/3, p. 1), amendement qui a été adopté par la Chambre des représentants.

La question posée ne saurait être résolue en faisant abstraction des articles 103 et 125 de la Constitution.

Au regard de ces dispositions constitutionnelles, deux hypothèses doivent être distinguées.

Première hypothèse : les faits infractionnels ont été commis hors l'exercice des fonctions ministérielles, c'est-à-dire sont étrangers à celles-ci. Dans ce cas, chaque assemblée dont fait partie le ministre a le droit de l'accuser séparément devant la Cour de cassation. Cette solution a été admise, lors de l'insertion dans la Constitution de l'article 59sexies (devenu l'art. 125), par la Commission de la révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits de la Chambre des représentants (doc. Chambre, 1992-1993, nº 727/4, p. 6). Une telle situation ne peut se produire que dans le cas d'un ministre du gouvernement de la Région wallonne qui est en même temps ministre du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ou du gouvernement de la Communauté française, et à la condition qu'il soit toujours en charge (car, dans l'hypothèse envisagée ici, celle des infractions étrangères aux fonctions ministérielles, l'ancien ministre sort des prévisions des articles 103 et 125 de la Constitution, ce que confirme le projet de loi spéciale en son article 2, § 1er ).

Seconde hypothèse : les faits infractionnels ont été commis dans l'exercice des fonctions ministérielles. Dans ce cas, le ministre ou l'ancien ministre ne peut être poursuivi que par l'assemblée à laquelle les faits sont rattachables, et ce pour la raison indiquée dans la réponse à la question 6 (voy. ci-dessous). Cette solution a également été admise par la Commission de la révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits, qui a indiqué que « dans ce cas, l'acte de mise en accusation d'un ministre sera sans doute rattaché soit à une compétence régionale, soit à une compétence communautaire et il sera possible de déterminer quelle est l'assemblée compétente » (idem) (voy. égal., H. Vuye, « La responsabilité juridique des ministres ou la résurrection d'une responsabilité oubliée », Recente Cassatie , 1996, p. 245).

En clair, dans cette seconde hypothèse, la procédure applicable n'est pas nécessairement « celle qui s'applique aux membres du dernier gouvernement auquel il (le ministre) a appartenu », de telle sorte que le critère temporel retenu à l'article 5 du projet de loi spéciale me paraît manquer de pertinence au regard des articles 103 et 125 de la Constitution. Le critère matériel ­ fondé sur la nature des faits infractionnels ­ doit lui être préféré, étant davantage conforme aux principes et aux objectifs qui sous-tendent ces deux dispositions constitutionnelles.

Devant la Commission de révision de la Constitution et de la réforme des institutions de la Chambre des représentants, M. Reynders observait qu'« on aurait pu obtenir pour l'assemblée devant laquelle il (le ministre) était responsable au moment où les faits incriminés ont été commis », mais il soulignait immédiatement que « pareille option est de nature à compliquer les choses, tandis que l'amendement proposé offre une solution de principe réglant tous les cas d'une manière identique » (doc. Chambre, 1996-1997, nº 833, p. 2). À l'inverse, M. Breyne estimait « qu'il y a lieu de distinguer selon que les faits ont été commis dans l'exercice des fonctions ou en dehors de l'exercice de celles-ci. Pour ce qui concerne des faits commis dans l'exercice de ses fonctions, le ministre (ancien ou actuel) devrait être renvoyé devant l'assemblée devant laquelle il était responsable politiquement » (idem). M. Reynders a déclaré ne pas être « convaincu par cet argument dans la mesure où la composition de l'assemblée en question peut être totalement modifiée » et où « l'assemblée de renvoi exerce uniquement une fonction juridictionnelle » (idem). Eu égard aux considérations formulées ci-dessus, je pense que la solution de M. Breyne est la seule qui soit satisfaisante au regard du prescrit constitutionnel. Je crois, au surplus, qu'elle n'est pas de nature à susciter des difficultés particulières dans la pratique.

Peut-on toutefois imaginer que les actes reprochés au ministre soient rattachables à plusieurs assemblées différentes, les mêmes faits ayant été commis dans le cadre de deux gouvernements distincts, dont le ministre serait ou aurait été membre (concomitamment ou successivement) ?

Ce cas de figure est tout à fait plausible, mais ­ s'agissant de faits inhérents à l'exercice des fonctions ministérielles (nous sommes toujours dans la seconde hypothèse) ­, on peut penser qu'en principe, les faits en question ne seront pas de même nature et qu'à tout le moins, ils ne seront pas liés par une intention délictueuse unique, de telle sorte que les poursuites éventuelles devront être engagées de manière séparée, chaque assemblée étant compétente pour les faits commis dans le cadre du gouvernement qui dépend d'elle.

Ce n'est qu'exceptionnellement que les faits infractionnels seront commis dans le cadre de deux gouvernements distincts tout en étant liés par une intention délictueuse unique. À mon sens, ceci supposerait qu'une matière soit transférée d'une collectivité à une autre (de l'autorité fédérale aux régions, des régions aux communautés, des communautés aux régions, etc.) et qu'à la suite de ce transfert, le ministre en charge de la matière transférée continue à en assumer la responsabilité. Dans ce cas ­ mais dans ce cas uniquement ­, le critère temporel actuellement prévu à l'article 5 en projet pourrait trouver à s'appliquer.

6. Aux termes de l'article 5 du projet de loi spéciale, il est concevable qu'un conseil communautaire ou régional puisse mettre en accusation un ancien ministre fédéral pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions ministérielles fédérales, et inversement. De telles conséquences sont-elles constitutionnelles ?

Cette question soulève une objection de constitutionnalité qui me paraît pour le moins fondée.

Qu'il s'agisse de l'article 103 ou de l'article 125 de la Constitution, le système constitutionnel de répression pénale des ministres s'inspire historiquement du système anglais de l'« impeachment » (v. M. Verdussen, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal , Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 522). Il repose ainsi sur l'idée que la mise en accusation des ministres doit être confiée à l'autorité en charge du contrôle politique de l'action ministérielle ­ il s'agit de la Chambre des représentants pour les ministres fédéraux et des Conseils communautaires et régionaux pour les ministres fédérés ­, spécialement pour les infractions commises dans l'exercice des fonctions ministérielles.

Cette idée a été confirmée lors de la révision de l'article 26 de la Constitution, dont le second alinéa deviendra l'article 74 de la Constitution (lois monocamérales). Selon les développements de la proposition de révision, si « les lois relatives à la responsabilité civile et pénale du Roi » sont réservées à la seule compétence de la Chambre des représentants (à l'exclusion du Sénat), c'est parce qu'il y va d'un « domaine relatif essentiellement au contrôle politique du gouvernement » (doc. Chambre, S.E 1991-1992, nº 100-15/2º, p. 5).

Au demeurant, l'article 125 de la Constitution dispose que le droit d'accuser un ministre communautaire ou régional appartient au Conseils de communauté et de région chacun pour ce qui le concerne.

Dans la mesure où l'article 5 en projet peut aboutir à ce qu'un ancien ministre fédéral puisse être mis en accusation par une Assemblée communautaire ou régionale pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions ministérielles fédérales, et inversement, il me paraît ne pas respecter, non seulement l'autonomie de l'autorité fédérale et des collectivités fédérées, mais surtout les articles 103 et 125 de la Constitution (sauf dans l'hypothèse exceptionnelle où les faits infractionnels ont été commis dans le cadre de deux gouvernements distincts tout en étant liés par une même intention délictueuse ­ voy. ci-dessus ­, hypothèse pour laquelle il faut bien adopter un critère de rattachement).

7. La responsabilité ministérielle des membres du gouvernement fédéral relève de la compétence monocamérale de la Chambre des représentants. L'article 5 du projet de loi spéciale règle la responsabilité ministérielle des membres et anciens membres du gouvernement fédéral qui sont également membres ou anciens membres d'un gouvernement communautaire ou régional. Dans cette mesure, cette disposition n'est-elle pas incompatible avec l'article 74, 2º, de la Constitution ?

Le 10 octobre 1995, la section de législation du Conseil d'État, réunie en Assemblée générale, a examiné la question du sort des projets et des propositions dits « mixtes », c'est-à-dire qui contiennent des articles dont les uns relèvent de l'article 77 de la Constitution (lois bicamérales au sens strict) et les autres de l'article 78 (lois bicamérales virtuelles). Il ressort de cet avis que, dans ce cas, la solution la plus adéquate consiste à maintenir un texte unique dont certains éléments suivront la procédure de l'article 77 de la Constitution, tandis que d'autres suivront la procédure de l'article 78, étant entendu que l'indication de la procédure à suivre en fonction de l'objet des articles du texte doit être faite à l'article 1er du projet ou de la proposition (doc. Chambre, 1995-1996, nº 329/1, p. 10). Cette technique a pour avantage de « préserver la cohérence de la loi, d'assurer la sécurité juridique et de respecter les prescriptions constitutionnelles » (S. Depré et D. Renders, « Le partage des compétences législatives entre les Assemblées fédérales », Annales de droit de Louvain , 1996, p. 342).

La technique retenue par la section de législation du Conseil d'État ne me paraît pas pouvoir s'appliquer en l'espèce. Tout d'abord, l'article 5 contient des aspects dont les uns relèvent de l'article 74 de la Constitution ­ lois monocamérales, votées à une majorité ordinaire ­ et les autres de l'article 77 de la Constitution ­ lois bicamérales au sens strict, votées selon des majorités spéciales ­, de telle sorte que le clivage est double : intervention d'une ou de deux assemblées; majorité ordinaire ou majorités spéciales. Ensuite, la « mixité » concerne, non pas le projet en tant que tel, mais une disposition seulement de ce projet ­ l'article 5 ­, disposition dont les deux aspects ne sont pas identifiables et ne peuvent donc être distingués.

Le problème est assurément épineux.

Je pense que la solution la plus rationnelle consisterait à insérer la même disposition ­ en l'occurrence l'article 5 ­ dans les deux lois : dans la loi spéciale portant exécution temporaire et partielle de l'article 125 de la Constitution, mais aussi dans la loi (ordinaire) portant exécution temporaire et partielle de l'article 103 de la Constitution.

La question devrait éventuellement être soumise à la Commission parlementaire de concertation.

8. Le projet de loi spéciale ne devrait-il pas régler la question des peines à infliger aux membres des gouvernements de communauté et de région, comme le prévoit l'article 125 de la Constitution ?

La disposition transitoire de l'article 125 de la Constitution prévoit que « jusqu'à qu'il y soit pourvu par la loi visée à l'alinéa 2, les conseils de communauté et de région auront un pouvoir discrétionnaire pour accuser un membre de leur gouvernement, et la Cour de cassation pour le juger, dans les cas visés par les lois pénales et par l'application des peines qu'elles prévoient ». La fin de cette disposition a été ajoutée lors de la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, dans le souci de respecter au mieux le principe de la légalité des incriminations et des peines. En clair, dans l'état actuel des choses, les ministres communautaires et régionaux sont soumis à l'ensemble des incriminations et des peines définies par la législation pénale (fédérale, communautaire ou régionale).

Il est vrai que l'article 125 de la Constitution autorise ­ ce n'est pas une obligation ­ le législateur spécial à déterminer « les cas de responsabilité ». En somme, il lui permet de créer de nouvelles infractions, spécifiques à l'exercice des fonctions ministérielles. La tâche du législateur spécial consisterait ici à ériger en infractions, à l'égard des ministres communautaires et régionaux, un ou plusieurs faits, non prévus par les lois pénales, mais qui représentent un mauvais usage de leur pouvoir constitutionnel. Ces infractions sont dites « fonctionnelles ». Elles incrimineraient des faits que seuls les ministres peuvent commettre en abusant de leurs fonctions.

Je pense qu'à les supposer judicieuses, ces infractions fonctionnelles ne trouvent pas leur place dans un projet de loi spéciale qui ne règle le problème de la responsabilité pénale des ministres communautaires et régionaux que de manière temporaire et partielle. En revanche, au moment du règlement définitif du problème, la question devra sans doute être abordée.

9. Le projet de loi spéciale ne devrait-il pas régler la question de l'action civile par la partie lésée, comme le prévoit là aussi l'article 125 de la Constitution ?

Dans l'état actuel des choses, l'action civile contre un ministre, fondée sur un fait constitutif d'infraction pénale, est possible, soit que la victime se porte partie civile devant la Cour de cassation suite à la mise en accusation du ministre, soit qu'elle saisisse la juridiction civile compétente après l'arrêt de condamnation rendu par la Cour de cassation. En revanche, les dispositions constitutionnelles ne donnent pas à la Cour de cassation, ni à aucune autre juridiction, le pouvoir de connaître d'une infraction mise à charge d'un ministre sur dénonciation directe d'un particulier, les parties lésées ne pouvant déclencher elles-mêmes l'action publique (voy. Cass., 20 décembre 1977, Pas. , 1978, I, p. 459).

L'article 125 de la Constitution charge toutefois le législateur spécial de régler « l'exercice de l'action civile par la partie lésée », éventuellement en dérogeant à la situation qui est décrite ci-dessus. Il reste qu'ici aussi, une telle réglementation ne trouve pas sa place dans le projet de loi actuellement en examen.

Marc VERDUSSEN.

4. Question supplémentaire au sujet de la loi spéciale portant
exécution temporaire et partielle de l'article 125
de la Constitution (de Mme Milquet)

Le projet vise à octroyer à un conseiller de la Cour de cassation désigné par le Premier Président de cette Cour les pouvoirs du juge d'instruction et au procureur général près la Cour de cassation, les pouvoirs du procureur du Roi relativement aux poursuites dirigées contre un membre ou un ancien membre d'un gouvernement de communauté ou de région.

L'article 3 précise clairement que « les actes d'information ne peuvent être effectués que par le procureur général près la Cour de cassation ou sur réquisition de celui-ci ».

C'est dans ce contexte que se pose la question de savoir ce qu'il en est des dossiers qui, n'ayant pas encore fait l'objet d'une transmission par le procureur général, n'en constituent pas moins des indices d'infractions commises par un ministre, éventuellement recueillis par un service de police ou par un juge d'instruction il y a plusieurs mois, voire plusieurs années.

Il faut donc bien poser la question de savoir ce qu'il en est de l'examen par le procureur général au moment où il est saisi de ces informations, de la vérification par celui-ci, de ce qu'aucune récolte d'informations ou début d'instruction n'ont été commis en contravention avec l'article 125 de la Constitution avant la loi spéciale et, éventuellement depuis l'entrée en vigueur de celle-ci, en contravention avec la loi spéciale et spécialement avec l'article 3, premier alinéa de celle-ci.

En effet, la disposition de l'article 125 de la Constitution doit être interprétée en ce sens qu'elle n'affecte pas le pouvoir qu'a le ministère public d'accomplir des devoirs d'informations, c'est-à-dire des actes destinés à rechercher des infractions, leurs auteurs et les preuves et à rassembler les éléments nécessaires en vue de l'action publique (rapport de la commission pour le droit de la procédure pénale 1994, p. 69), à la condition que ces actes de recherche ne visent pas à établir des indices de culpabilité à l'égard de la personne d'un ministre régional ou communautaire. A fortiori lorsqu'un juge d'instruction est saisi, il ne pourrait effectuer, lui non plus, des devoirs d'instruction à l'égard de la personne de ce ministre.

Les actes dont l'article 125 ne permet pas l'accomplissement par le ministère public ou par le magistrat instructeur, sont, non seulement les actes dirigés directement contre les ministres (audition de celui-ci, perquisition en son domicile, écoute de ses communications téléphoniques, etc.), mais plus généralement tout devoir d'informations et d'instruction qui, étant matériellement dirigé contre le ministre ou contre quelqu'un d'autre est intentionnellement animé d'une volonté de poursuivre le ministre.

Toute autre interprétation de l'article 125 de la Constitution ouvrirait la porte à des pratiques de contournement de cette disposition, puisqu'elle reviendrait à autoriser les officiers du parquet et des juges d'instruction à construire un dossier autour de la personne d'un ministre en se basant sur une information et sur une instruction librement menée à l'égard d'autres personnes que le ministre lui-même.

En clair, dès le moment où des devoirs d'information ou d'instruction ordonnés dans le cadre d'une affaire déterminée font apparaître qu'un ministre pourrait être impliqué comme complice ou co-auteur, dans la commission de l'infraction, tant le ministère public que le juge d'instruction sont impérativement tenus de s'abstenir de toute initiative ultérieure qui viserait à corroborer un tel soupçon, sauf à saisir, hier, le Conseil régional ou communautaire d'une demande visant à ce que ce dernier effectue ou fasse effectuer en ce sens des devoirs complémentaires, demain, au moment où la loi spéciale en examen sera adoptée, par le procureur général auprès de la Cour de cassation.

Le parquet général de Bruxelles n'a pas agi autrement dans le cadre du récent dossier « Di Rupo ». Il ressort, en effet, du rapport faut au nom de la Commission spéciale de la Chambre des représentants par M. Van Parys que « au moment où il a constaté que les déclarations d'un témoin renfermaient des indices d'infraction à charge d'un ministre, il (le procureur général près de la Cour d'appel de Bruxelles) s'est senti dans l'obligation de transmettre le dossier à la Chambre des représentants, en application de l'article 103 de la Constitution sans accomplir d'autres actes d'instruction » (doc. Chambre, 96/97, nº 780/1, pp. 2 et 3).

Dans l'état actuel des choses, la Constitution est interprétée en ce sens que, pour le monde judiciaire, la vérification d'une déclaration qui pourrait indiquer qu'un ministre a commis une infraction, constitue, en tant que tel, un acte d'information important et entraîne immédiatement la communication du dossier à l'Assemblée (doc. Chambre, 96/97, nº 832/5, p. 3, intervention de M. Landuyt, co-auteur de la proposition).

Joëlle MILQUET.

5. Réponse du professeur Franchimont
à la question de Mme Milquet

Je voudrais répondre très succinctement à la question de Mme la sénatrice Milquet.

Il est bien évident que si une information est menée contre inconnu ou contre des personnes qui ne relèvent pas de l'article 125 de la Constitution, le procureur du Roi et le juge d'instruction procèdent à leur information et à leur instruction comme ils l'entendent. Si au cours de l'information ou de l'instruction, il apparaît qu'un ministre régional ou communautaire peut être sérieusement impliqué dans le dossier, il appartient au procureur du Roi de transmettre son dossier par la voie hiérarchique (procureur général) au procureur général de la Cour de cassation. D'autre part, le juge d'instruction communiquera son dossier au procureur du Roi qui transmettra également son dossier par la voie hiérarchique au procureur général de la Cour de cassation. J'estime toutefois que tant le procureur du Roi que le juge d'instruction, avant même de communiquer le dossier au procureur général à la Cour de cassation, doivent vérifier si les allégations formulées contre le ministre régional ou communautaire ont une apparence de réalité. Il est vrai que le problème restera toujours délicat, qu'il faut à la fois éviter une communication trop rapide au procureur général à la Cour de cassation mais il faut éviter aussi qu'on informe ou qu'on instruise à l'encontre du ministre régional ou communautaire.

Michel FRANCHIMONT.

ANNEXE III


Note à l'attention des membres de la commission
des Affaires institutionnelles du Sénat

Concerne : Analyse de quelques problèmes liés à la loi portant exécution de l'article 125 de la Constitution

1. « Aanhouding » (Arrestation) :

1.1. Théorie :

­ Selon la définition de Verstraeten (1), le terme « aanhouding » désigne la privation de liberté suite à une décision de la police ou du parquet, et invervient donc dans le temps avant la délivrance du mandat d'arrêt par le juge d'instruction, qui marque le début de la détention préventive proprement dite. Pour désigner cet acte, il vaut mieux opter pour le terme « arrestatie » (arrestation) ou « privation de liberté judiciaire », à distinguer de « l'arrestation administrative » qui peut être effectuée par la police dans le cadre de ses missions de police administrative.

La privation de liberté dans la phase de l'arrestation ne peut en principe pas dépasser un délai de 24 heures. Ce délai prend effet à partir du moment où le prévenu ne jouit plus de la liberté de se déplacer ou ­ dans l'hypothèse d'une détention par un particulier ­ à partir du moment de la déclaration auprès d'un agent relevant de l'autorité publique.

­ Un mandat d'amener est un ordre motivé du juge d'instruction qui demande qu'on amène devant lui une personne ­ si nécessaire, par la contrainte ­ en vue de l'interrogatoire. Un mandat d'amener ne peut évidemment être décerné que pour autant que l'intéressé ne soit pas encore mis à la disposition du juge d'instruction. Le mandat d'amener crée un titre de privation de liberté pour une période de 24 heures, qui prennent effet à partir de la signification du mandat. Lorsque l'intéressé avait déjà été privé de sa liberté avant le mandat d'amener, celui-ci doit être signifié au plus tard dans les 24 heures suivant la privation de liberté effective. La privation de la liberté antérieure au mandat d'arrêt ne peut dès lors dépasser 48 heures (24 heures suite à une arrestation + 24 heures suite à un mandat d'amener).

­ Le mandat d'arrêt, décerné par le juge d'instruction dans les conditions visées à l'article 16 de la loi sur la détention préventive, tient lieu de titre de privation de liberté pour cinq jours, à compter de la date de l'exécution du mandat. En vertu de l'article 18, § 1er , de la loi sur la détention préventive, le mandat d'arrêt doit être signifié dans un délai de 24 heures, à compter de la privation de liberté effective, ou de la signification du mandat d'amener, lorsque ce dernier précède le mandat d'arrêt.

1.2. Interprétation dans la loi portant exécution de l'article 125 de la Constitution

­ Le texte français utilise en son article 3, alinéa premier, le terme « arrestation », ce qui impliquerait que l'on vise effectivement « l'arrestation judiciaire ».

­ D'autre part, on utilise les termes « Arrestation ou détention préventive ». Si le terme « aanhouding » visait « l'arrestation », il aurait été plus logique d'utiliser le mot « et », étant donné qu'il s'agit de deux actes juridiques bien distincts. L'utilisation du mot « ou » semble indiquer que l'arrestation désigne le mandat d'arrêt tandis que la détention préventive désigne la situation qui découle du mandat d'arrêt.

Le rapport de la Chambre relatif à la loi portant exécution de l'article 103 de la Constitution comporte un passage qui tend vers la deuxième interprétation : « M. Reynders estime qu'il faut tenir compte de cas extrêmes. Si, en effet, un ministre, dans un accès de folie, se mettait à ouvrir le feu sur toutes les personnes se trouvant à sa portée, la police ne pourrait intervenir qu'après avoir obtenu pour ce faire l'autorisation de la Chambre. Cela peut mener à des situations absurdes. M. Landuyt partage cette opinion. Il estime, certes, que la police peut intervenir, mais constate qu'un problème se poserait à l'expiration du délai légal de vingt-quatre heures. C'est la raison pour laquelle il présente, avec M. Reynders, un amendement (nº 44) visant à faire suivre le mot « arrestation » des mots « sauf le cas de flagrant délit » à l'article 3, § 2. Le délai dans lequel la Chambre doit se prononcer est ainsi porté à cinq jours, comme en droit commun. » (2)

M. Landuyt suit dès lors l'interprétation selon laquelle le terme arrestation désigne le « mandat d'arrêt ».

­ L'avis du Conseil d'État en cette matière semble également interpréter les mots « arrestation » comme étant le « mandat d'arrêt » vu qu'il souligne dans son avis que « pour le surplus, il semble que la mission du collège exerçant les fonctions de la Chambre du conseil se limite essentiellement à confirmer un mandat d'arrêt, si un tel mandat est autorisé par la Chambre des représentants et délivré par le magistrat instructeur. » (3)

1.3. Solution :

­ Les travaux parlementaires n'indiquent pas de manière précise ce qu'il convient d'entendre par le terme « aanhouding »/« arrestation ».

Il est toutefois clair qu'il faut donner la même interprétation à la notion d'« arrestation » à l'article 59 de la Constitution et dans les lois portant exécution des articles 103 et 125 de la Constitution.

Il convient de donner au terme « arrestation » la signification qu'il a en droit commun. Cela signifie qu'une telle arrestation (et a fortiori un mandat d'arrêt) ne peut se faire sans l'autorisation de l'assemblée concernée.

Dans ce raisonnement, on part du principe que l'arrestation est une mesure coercitive par excellence, laquelle ne peut être prise sans autorisation, vu qu'elle ne peut entraver le fonctionnement soit du Parlement ou du Conseil, soit du gouvernement concerné.

Dans cette hypothèse, le texte peut rester inchangé.

Cette interprétation est la plus logique et la plus cohérente : dans cette logique, le mot « arrestation » a la même signification tant à l'article 59 de la Constitution que dans les lois portant exécution aux articles 103 et 125 de la Constitution.

Le fait qu'il, faut pour l'arrestation, l'autorisation de la Chambre du Conseil et pour le mandat d'amener, l'ordre du collège visé à l'article 3, alinéa deux, lorsqu'il s'agit de ministres, et du président de la cour d'appel, lorsqu'il s'agit de parlementaires, ne pose pas de problèmes en soi.

Tant l'article 59 de la Constitution que les lois portant exécution des articles 103 et 125 de la Constitution, prévoient une dérogation pour les cas de flagrant délit. C'est précisément dans cette situation que l'arrestation est la plus fréquente. Abstraction faite des cas de flagrant délit, l'article 59 de la Constitution, revu, et les lois portant exécution des articles 103 et 125 de la Constitution, prévoient suffisamment de possibilités : l'interrogatoire est possible moyennant l'accord; un mandat d'arrêt peut également être délivré.

2. Partie civile : pas de possibilité d'intenter une action civile (privilège de juridiction)

2.1. La doctrine et la jurisprudence admettent que l'article 103 de la Constitution exclut la citation directe.

Cette conclusion est déduite du fait que seule la Chambre des représentants a le droit d'accuser un ministre.

On retrouve cette logique de manière générale dans l'ancienne et la nouvelle doctrine.

Ainsi, Thonissen fait observer qu'il est évident « que l'action des particuliers devait être complétement écartée. Si la loi leur permettait d'user ici du droit de la citation directe que leur accorde l'article 182 du code d'instruction criminelle, les procès d'État se multiplieraient à l'infini, et les chefs des départements ministériels pourraient être constamment troublés dans l'accomplissement de leur haute mission.

Leur dignité, comme leur autorité, en recevrait de graves atteintes » (4).

Delanghe partage cette vision : « Door bij uitsluiting aan de Kamer van volksvertegenwoordigers het recht toe te kennen ministers in beschuldiging te stellen, heeft de grondwetgever bedoeld zowel het openbare ministerie als de benadeelde partij het recht te ontnemen de strafvordering in te stellen : (...) aan de benadeelde partij, omdat zoveel mogelijk moet vermeden worden dat ministeriële taken niet behoorlijk worden uitgevoerd wegens lichtvaardig of te onpas ingestelde vervolgingen (5) ».

Vandenberghe confirme le même principe, en renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation : « Indien de beoordeling van de strafrechtelijke ministeriële verantwoordelijkheid zou gebeuren volgens het gemeen recht, zou bijvoorbeeld iedere burger de ministers rechtstreeks kunnen dagvaarden voor vermeende strafbare feiten, met als gevolg dat de minister zich ­ gebeurlijk permanent ­ persoonlijk zou dienen te verantwoorden voor de strafrechtbank. Misbruik van strafrechtelijke procedures in het kader van de politieke strijd ligt dan voor de hand. Deze bezorgdheid verklaart trouwens een ander element van de ministeriële strafrechtelijke verantwoordelijkheid, met name dat het de Kamer van volksvertegenwoordigers is die de minister in betichting stelt. Dit betekent concreet dat een rechtstreekse dagvaarding tegen ministers in strafzaken niet-ontvankelijk is (6) ».

La Cour de cassation dit en effet explicitement que « les dispositions constitutionnelles ne permettent pas à la cour de tenir compte de la déclaration directe par le requérant à l'encontre d'un ministre » (7).

2.2. Dans la doctrine, on souligne souvent que l'article 103 de la Constitution a accordé aux ministres un « privilège de juridiction ». Nous retrouvons cette notion chez Wigny (8), Delanghe (9) ainsi que dans un article récent (non encore publié) de Alen, où il plaide en faveur d'une révision de l'article 103 de la Constitution en ce sens que le « privilège de juridiction » auprès de la Cour de cassation serait maintenu seulement.

Dans le rapport relatif à la proposition de loi portant exécution temporaire et partielle de l'article 103 de la Constitution, Landuyt et Van Parys soulignent également qu'il s'agit en l'occurrence d'un privilège de juridiction. » (10)

Sensu stricto , le privilège de juridiction semble uniquement porter sur les articles 479 et suivants du Code d'instruction criminelle et sur la procédure pénale militaire. La Cour d'arbitrage définit le privilège de juridiction comme un privilège « applicable aux magistrats, y compris les magistrats suppléants, et à certains autres titulaires de fonctions publiques », qui a été instauré « en vue de garantir à l'égard de ces personnes une administration de la justice impartiale et sereine. Les règles spécifiques en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le privilège de juridiction tendent à éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées à l'encontre des personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence. » (11)

Dans son avis relatif au projet de loi réglant la responsabilité pénale des ministres, le Conseil d'État parle d'un privilège de juridiction dans le cadre de l'article 103 de la Constitution (12).

Dans un régime de privilège de juridiction, il est admis que la personne lésée n'a pas la possibilité d'intenter l'action publique en se constituant partie civile devant le juge d'instruction. A fortiori, il n'y a pas de possibilité de citation directe par la partie lésée devant le tribunal correctionnel ou la cour d'appel. La citation directe engendrera une déclaration d'incompétence du tribunal ou de la cour. Lorsque la constitution de partie civile est déposée auprès du juge d'instruction, la compétence de ce dernier sera déterminée et la chambre du conseil ordonnera que le juge soit dessaisi de l'instruction. On admet toutefois que l'initiative de la personne lésée à ce moment-là a la valeur d'une plainte que le juge d'instruction fera parvenir au procureur-général. La personne lésée devra dès lors nécessairement essayer de convaincre ce dernier de l'opportunité d'une poursuite pénale (13).

2.3. La question se pose de savoir si l'on peut toujours affirmer que la partie civile ne peut entamer la procédure pénale, maintenant qu'une loi d'exécution confère aux mots « mise en accusation » la même signification qu'en droit commun.

­ Premièrement, il y a lieu de constater que le projet du Gouvernement prévoit explicitement l'exclusion de la constitution de partie civile auprès du juge d'instruction (14). En réponse à une question formulée par le Conseil d'État, le gouvernement a souligné que cette exclusion se fait par analogie avec les règles en matière de privilège de juridiction pour les magistrats.

­ Deuxièmement, la doctrine ne semble plus intégralement d'application, eu égard à la nouvelle interprétation des mots « mettre en accusation ». L'ancienne interprétation impliquait l'interdiction de poursuivre non seulement pour la partie lésée mais également pour le ministère public. Suggérer que l'interprétation a aujourd'hui changé pour le ministère public mais pas pour la partie lésée ne paraît pas très crédible.

L'alinéa deux de l'article 103 de la Constitution stipule en outre explicitement que la loi détermine le mode de procéder contre les ministres, tant lors de la mise en accusation qu'en cas de poursuite par les parties lésées. La loi d'exécution temporaire ne stipule rien à ce sujet.

Deux raisonnements peuvent donc être défendus :

­ Étant donné que la loi d'exécution temporaire ne prévoit rien, le droit commun est d'application;

­ Comme il s'agit par définition d'une loi d'exécution partielle et temporaire, les points non réglés continuent à relever de l'article 103 de la Constitution qui stipule que la loi doit déterminer le mode de procéder contre les ministres en cas de poursuite par la partie lésée. Étant donné que le législateur ne prévoit rien et désigne uniquement le procureur général près la Cour de cassation, il faut en déduire que la partie lésée ne peut, en l'état actuel des choses, se constituer partie civile auprès du conseiller désigné de la Cour de cassation. Il faut en d'autres termes lire la loi d'exécution en correlation avec l'article 103 de la Constitution et non pas avec le droit commun.

­ Troisièmement, on pourrait arguer que si l'article 103 de la Constitution ne prévoit pas un privilège de juridiction stricto sensu , il prévoit quand même un privilège de juridiction lato sensu , de sorte que les règles en cette matière doivent être appliquées par analogie.

2.4. Conclusion :

­ Si l'on souhaite éviter tout risque, il faut inscrire dans le texte que la constitution de partie civile auprès du juge d'instruction doit être exclue. D'autre part, des arguments valables plaident en faveur de l'autre thèse : on pourrait explicitement inscrire cette interprétation dans les travaux parlementaires.

J.-L. DEHAENE.

(1) Verstraeten, R., Handboek Strafvordering, 1994, nº 554 e.s.

(2) Doc. parl., Chambre 1996-1997, nº 832, p. 26.

(3) Doc. parl., Chambre 1996-1997, nº 833/2, p. 12.

(4) Thonissen, La constitution belge annotée, 1879, p. 207; voir aussi Wigny, Droit constitutionnel, 1952, p. 705; Orban, Le droit constitutionnel de la Belgique, 1908, p. 307.

(5) Delanghe, Overwegingen over de strafrechtelijke verantwoordelijkheid en de burgerrechtelijke aansprakelijkheid van ministers en staatssecretarissen, R.W., 1976, p. 418.

(6) Vandenberghe, H., De nieuwe Grondwet en de strafrechtelijke ministeriële verantwoordelijkheid, in Liber amicorum Vandeplas, 1994, p. 410.

(7) Cass. , 20 décembre 1977, A.C. 1978, p. 486.

(8) Wigny, Droit constitutionnel, II, 1952, p. 708.

(9) Delanghe, o.c., p. 402. Il ajoute dans un renvoi qu'il ne lui semble pas souhaitable d'utiliser cette expression de façon générale puisqu'elle est « soms, maar mijns inziens, ten onrechte, gebezigd door de doctrine in verband met de bevoegdheid van het hof van beroep voor het berechten van misdrijven die door leden van de rechterlijke macht en door sommige autoriteiten begaan worden. De bijzondere bevoegdheid van een vonnisgerecht tegenover bepaalde bekleders van openbare ambten bestaat niet in hun persoonlijk, doch in het algemeen belang ».

(10) Doc. Chambre, 96/97, nº 832/3, pp. 12 et 13.

(11) Cour d'arbitrage, Moniteur belge du 18 janvier 1997, p. 993.

(12) Avis du Conseil d'État, doc. Chambre, 1995, nº 61/1, p. 57.

(13) Verstraeten, R., Voorrecht van rechtsmacht, dans Strafrecht voor rechtspractici, IV, pp. 111 en 128.

(14) Voir art. 7, 1, 1er , du projet de loi réglant la responsabilité pénale des ministres, doc. Chambre, 1995, nº 61/1.