1-255/1

1-255/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996

12 FÉVRIER 1996


Proposition de loi instaurant une procédure d'évaluation adéquate pour les contrôles dans le secteur horticole (1)

(Déposée par M. Vandenberghe et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


I. SITUATION

1) Introduction ­ Déroulement d'une procédure après l'établissement d'un procès-verbal lors d'une visite de contrôle

Lorsque les services d'inspection effectuent une visite de contrôle chez un employeur, ils peuvent dresser procès-verbal ou donner un avertissement (loi du 16 novembre 1972). Il ressort de la pratique que l'on donne assez rarement un avertissement. Cette situation n'est sans doute pas non plus étrangère à l'appréciation des résultats qui sert de critère à la prolongation de la nomination provisoire de la dernière levée d'inspecteurs. Pourtant, il est établi qu'une visite de contrôle (sans qu'un procès-verbal soit dressé immédiatement) peut produire autant d'effet et laisser à l'employeur concerné une impression qu'il ne faut pas sous-estimer.

Lorsqu'un procès-verbal est dressé, il est transmis :

­ à l'employeur concerné,

­ au directeur général du Service d'études du ministère de l'Emploi et du Travail,

­ à l'auditeur du travail.

Celui-ci dispose d'un délai de six mois pour décider de la suite qui sera donnée au procès-verbal. La liberté de choix de l'auditeur du travail est sensiblement limitée par les dispositions de la loi du 23 mars 1994 portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir (Moniteur belge du 30 mars 1994), comme nous l'expliquerons ultérieurement.

L'auditeur du travail peut :

1º décider de poursuivre l'employeur concerné devant la juridiction pénale.

Dans ce cas, le dossier est transmis au tribunal pénal, qui peut :

­ acquitter l'employeur;

­ le condamner au paiement d'une amende pénale (il existe des minima et des maxima);

­ le condamner avec sursis ou sous condition suspensive.

Dans la pratique, l'auditeur du travail sera peut-être plus enclin qu'auparavant à transmettre un procès-verbal au tribunal pénal, et ce parce qu'il s'attend à ce que ce dernier prononce, compte tenu des sanctions pénales très lourdes, une condamnation avec sursis ou sous condition suspensive.

Tout cela doit être apprécié à la lumière des éléments suivants :

­ les sanctions pénales ont été sensiblement majorées par la loi du 23 mars 1994 (susvisée) et par la loi du 1er juin 1993 imposant des sanctions aux employeurs occupant des étrangers en séjour illégal en Belgique (Moniteur belge du 17 juin 1993);

­ durant la période écoulée, les décimes additionnels ont été adaptés de manière sensible : 150 à partir du 1er janvier 1994 et 200 à partir du 1er avril 1995;

­ l'auditeur doit également tenir compte du fait que des seuils élevés ont été imposés pour le cas où il proposerait un arrangement à l'amiable (voir infra ).

2º décider de ne pas poursuivre (classement ou classement sans suite du dossier).

L'auditeur du travail peut décider de ne pas poursuivre; cette décision est communiquée à l'Administration.

Dans ce cas, l'Administration (le directeur général du Service d'études du ministère de l'Emploi et du Travail) peut infliger une amende administrative à l'employeur concerné.

Celui-ci peut toutefois présenter ses moyens de défense dans le cadre de la procédure administrative.

Les montants qui peuvent être imposés par l'Administration à titre d'amende administrative sont également soumis aux minima fixés par la loi du 23 mars 1994.

3º proposer à l'employeur un arrangement à l'amiable.

La possibilité que la loi accorde à l'auditeur du travail de proposer un « arrangement à l'amiable » lui permet de mener lui-même une « politique » dans son arrondissement judiciaire.

Lorsqu'il s'agit d'employeurs qui ont fait l'objet de quelques constatations moins fondamentales et/ou d'employeurs qui n'ont jamais été condamnés ou poursuivis dans le passé pour infractions à la réglementation sociale, on peut leur donner un signal clair (dont les conséquences psychologiques peuvent être importantes, mais qui a en tout cas des conséquences pécuniaires supportables) en imposant ou en proposant un arrangement à l'amiable.

L'employeur choisit en toute liberté d'accepter ou de refuser la proposition de l'auditeur du travail. S'il ne donne pas suite à la proposition dans le délai fixé, l'auditeur du travail peut toujours poursuivre ou classer sans suite.

Au cours de la période écoulée, il est devenu sensiblement plus difficile, pour l'auditeur du travail, de « mener une politique » du fait que la loi du 23 mars 1994 portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir (Moniteur belge du 30 mars 1994) prévoit des minima que l'auditeur du travail doit en tout cas respecter lorsqu'il élabore sa proposition d'accord à l'amiable. S'il constate une irrégularité en matière de documents sociaux (par exemple concernant le registre du personnel ou le registre des présences), l'auditeur du travail doit appliquer un « arrangement à l'amiable » d'au moins 75 000 francs par travailleur sur lequel porte la constatation.

On doit dès lors se demander si l'auditeur du travail, compte tenu de la marge stricte dans laquelle il doit opérer, dispose encore de possibilités suffisantes pour faire un choix réel en ce qui concerne la suite à donner à un procès-verbal qui a été dressé.

En résumé, on peut dire que :

­ il est plutôt rare que les services d'inspection donnent encore un avertissement;

­ les sanctions (amendes pénales, ainsi qu'administratives) ont été alourdies notamment par le relèvement des décimes additionnels (en ce qui concerne les amendes pénales);

­ l'auditeur du travail peut difficilement mener lui-même une politique adéquate du fait de l'instauration de minima pour la proposition d'arrangement à l'amiable.

2) Cotisation spéciale O.N.S.S.

Pour les faits antérieurs au 1er avril 1994, il fallait d'office une sanction pénale ou une amende administrative (le juge ou l'administration ne pouvant apporter aucune correction à ce sujet) et une deuxième sanction, à savoir une cotisation en faveur de l'O.N.S.S. égale à trois fois les cotisations sociales calculées sur le revenu mensuel minimum moyen et garanti (40 843 francs par mois), et ce par travailleur pour lequel une irrégularité était constatée. Il s'agissait d'une sanction supplémentaire de plus ou moins 51 000 francs par mois et par travailleur.

Cette condamnation supplémentaire d'office a été supprimée pour les constatations postérieures au 31 mars 1994.

Elle est néanmoins compensée par un relèvement des sanctions pénales et des amendes administratives.

La suppression de cette cotisation spéciale n'a donc absolument pas entraîné de réduction du taux de la peine.

3) Taux de la peine ­ Gravité de l'infraction

a) Introduction

Le taux de la peine doit être proportionnel à la gravité de l'infraction. C'est là un principe général du droit.

En outre, lors de la détermination de la sanction, il faut tenir compte des possibilités économiques de l'entreprise et/ou du secteur.

Actuellement, des sommes parfois très élevées, qui dépassent ces possibilités économiques et qui sont disproportionnées par rapport à la gravité de l'infraction sont réclamées et/ou imposées par jugement à des employeurs du secteur agricole ou horticole.

b) Initiative de l'autorité

La ministre de l'Emploi et du Travail a manifestement compris, elle aussi, que les sanctions ont atteint un niveau élevé inacceptable. Sous le titre « Emploi et travail » de la loi-programme du 21 décembre 1994 (Moniteur belge du 23 décembre 1994) a été inséré un chapitre VI intitulé « Modification de la loi du 5 mars 1952 relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales ».

Dans l'exposé des motifs du projet de loi, on peut lire ce qui suit :

« Le plan pluriannuel pour la Justice prévoit une augmentation des décimes additionnels le 1er janvier 1994 et le 1er janvier 1995.

Ces augmentations ont pour effet que les amendes administratives prévues dans la législation sur la lutte contre le travail au noir dépassent les limites que le législateur a voulues. Une modification de la législation en matière de décimes additionnels est donc nécessaire.

Les dispositions du présent chapitre ont été adaptées aux remarques du Conseil d'État. »

L'article inséré est libellé comme suit :

CHAPITRE VI

Modification de la loi du 5 mars 1952 relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales

Art. 77

Il est inséré dans la loi du 5 mars 1952 relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales, modifiée par la loi du 24 décembre 1993, un article 1er bis rédigé comme suit :

« Article 1er bis . ­ La majoration visée à l'article 1er s'élève à neuf cent nonante décimes pour les amendes pénales visées :

1º à l'article 27, 1º, dans la phrase introductive, et 2º, dans la phrase introductive et à l'article 29 de l'arrêté royal nº 34 du 20 juillet 1967 relatif à l'occupation de travailleurs de nationalité étrangère;

2º aux articles 15, 2º, et 16 de la loi du 16 novembre 1972 concernant l'inspection du travail;

3º à l'article 11, § 2, alinéas 1er et 2, § 3, alinéas 1er et 2, et § 4 de l'arrêté royal nº 5 du 23 octobre 1978 relatif à la tenue des documents sociaux;

4º à l'article 172, § 1er , dans la phrase introductive, § 2, et à l'article 173 de la loi-programme du 22 décembre 1989;

5º à l'article 92 de la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales. »

À ce propos, on peut formuler les observations suivantes.

­ Le facteur qui sert de base à la multiplication des amendes pénales était de 150 en 1994 et est devenu 200 le 1er janvier 1995.

La loi a ramené le facteur à 100 dans un certain nombre de cas.

­ La loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses (Moniteur belge du 23 décembre 1994) influe uniquement sur les décimes additionnels applicables aux sanctions pénales.

En d'autres termes, restent inchangés :

­ les montants minima en vigueur en matière d'amendes administratives;

­ les minima dont un auditeur du travail doit tenir compte au cas où il désire proposer un arrangement à l'amiable.

En outre, les décimes additionnels ne sont pas réduits pour toutes les infractions de droit social. C'est à ces anomalies que la présente proposition de loi entend remédier.

II. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 2

L'objet de la présente proposition de loi est de prévoir une procédure adéquate en matière de contrôles de droit social pour les employeurs qui relèvent du champ d'application de la commission paritaire nationale de l'industrie horticole et des codes d'activité (codes NACE) 01.12 et 01.13, c'est-à-dire la culture des légumes et la fructiculture. En ce qui concerne les travailleurs, le champ d'application de la loi proposée se limite aux travailleurs occupés dans le cadre d'une activité saisonnière ou occasionnelle.

Article 3

Étant donné que la fréquence des procès-verbaux s'est accrue également pour les infractions « mineures » et que les conséquences d'un procès-verbal sont en tout cas devenues considérables, des adaptations s'imposent à la réglementation existante. Tel est l'objet de l'article 2.

Par le biais d'une directive technique pratique (peut-être à usage administratif interne) ou d'une adaptation de la réglementation en vigueur en la matière, l'envoi d'un avertissement devrait être « revalorisé » et devenir par exemple la règle pour les infractions « légères ».

Comme nous l'avons dit ci-dessus, il ne faut pas sous-estimer les conséquences (principalement psychologiques) d'un avertissement.

Article 4

La possibilité, pour l'auditeur du travail, d'opérer réellement un libre choix en ce qui concerne le procès-verbal dressé, doit être remise à l'honneur.

L'auditeur du travail doit pouvoir mener effectivement une « politique des poursuites » dans son arrondissement judiciaire, ce qui implique notamment que l'auditeur puisse proposer un arrangement à l'amiable sans être tenu, en l'espèce, par des normes trop strictes.

Tout cela suppose une adaptation de l'article 216bis du Code d'instruction criminelle, qui mentionne les montants minima à appliquer actuellement par l'auditeur du travail. Tel est l'objet de l'article 3.

Article 5

Il faut abaisser les minima qui doivent être appliqués par l'Administration (directeur général du Service d'études du ministère de l'Emploi et du Travail) lorsqu'elle inflige une amende administrative.

En application de la réglementation actuelle, l'Administration permet à l'employeur de communiquer ses arguments ou ses moyens de défense. Tout cela est fort bien, mais l'Administration reste tenue de prendre également en considération des « minima » qui doivent en tout cas être imposés.

Cela implique une modification de la loi du 30 juin 1971 relative aux amendes administratives applicables en cas d'infraction à certaines lois sociales, de manière à neutraliser les effets de l'adaptation opérée par la loi du 23 mars 1994 portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir.

Article 6

Les décimes additionnels devraient être réduits pour toutes les infractions de droit social concernant les travailleurs visés à l'article 1er , comme le dispose actuellement la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses. Cela suppose une adaptation de la loi du 5 mars 1952 relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales. Tel est l'objet de l'article 5.

Article 7

Il convient d'élaborer, pour les dossiers dont sont saisies actuellement les juridictions pénales, une réglementation permettant de reprendre en tout ou en partie la procédure suivie jusqu'à présent, compte tenu des adaptations susvisées.

L'article 7 fixe la date d'entrée en vigueur de la loi proposée. Celle-ci est applicable à partir du 1er avril 1994. C'est la date à laquelle est entrée en vigueur la loi du 23 mars 1994, qui a instauré des dispositions beaucoup plus strictes en matière de contrôle social.

Hugo VANDENBERGHE

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

La présente loi est applicable aux employeurs qui ressortissent à la Commission paritaire de l'industrie horticole et au Code N.A.C.E. 01.12 ou 01.13, pour autant que le contrôle de droit social porte sur les travailleurs visés à l'article 18bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.

Art. 3

Sans préjudice de l'application de la loi du 16 novembre 1972 concernant l'inspection du travail, les fonctionnaires chargés de la surveillance et du contrôle de l'application de la réglementation sociale choisiront de donner de préférence un avertissement à l'employeur qui reçoit pour la première fois une visite de contrôle du fonctionnaire chargé du contrôle et fixeront un délai dans lequel l'employeur se mettra en règle.

Les fonctionnaires chargés de la surveillance de la réglementation sociale adopteront une attitude identique lors d'une visite de contrôle pour autant que l'irrégularité constatée de la part de l'employeur peut être considérée comme une simple erreur ou négligence et pour autant que l'intention de l'employeur n'est manifestement pas de contrevenir de manière flagrante à la législation sociale.

Art. 4

L'article 216bis , § 1er , troisième alinéa, deuxième phrase, du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 1er juin 1993 et modifié par la loi du 23 mars 1994, est abrogé.

L'article 216bis , § 1er , troisième alinéa, dernière phrase, du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 23 mars 1994, est abrogé.

Art. 5

Dans la loi du 23 mars 1994 portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir, le chapitre IV apportant des modifications à la loi du 30 juin 1971 relative aux amendes administratives applicables en cas d'infraction à certaines lois sociales est abrogé.

Art. 6

Dans la loi du 5 mars 1952 relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales, modifiée par la loi du 24 décembre 1993 et par la loi du 21 décembre 1994, il est ajouté un 6º, libellé comme suit :

« 6º les cas où le contrôle de droit social et l'infraction constatée concernent les travailleurs visés à l'article 18bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1994 concernant la sécurité sociale des travailleurs. »

Art. 7

La présente loi produit son effet le 1er avril 1994.

Hugo VANDENBERGHE.
Charles-Ferdinand NOTHOMB.
Jean-Marie HAPPART.
André BOURGEOIS.

(1) La présente proposition de loi a déjà été déposée au Sénat le 7 mars 1995, sous le numéro 1341-1 (1994-1995).