Vers la victoire du 8 mai 1945... avec Henri-Victor Wolvens

1. Des bateaux...

8 mai 1944, un an avant la capitulation allemande. A Bruxelles, la vie est difficile sous l'occupation et les restrictions alimentaires.

Heureusement, les parcs sont ouverts et accessibles. On y cultive parfois des légumes. Des promeneurs déambulent, s'attardent, se réjouissent du printemps. Des personnes âgées se reposent un instant sur les bancs. Ou des amoureux s'y retrouvent enfin.

Dans le kiosque à musique du Parc de Bruxelles, l'occupant donne parfois des concerts. Mais à toute saison, ce sont surtout les enfants qui volent la vedette. Bonshommes de neige en hiver, rondes joyeuses, courses d'embarcations sur le plan d'eau de la grande fontaine... leurs cris et leur joie sont contagieux.

CegeSoma/Archives de l'État - photo n°5475 - 1942-1944
© CegeSoma/Archives de l'État (photo n° 5475) - 1942-1944
CegeSoma/Archives de l'État - photo n°5533 - 1942-1944
© CegeSoma/Archives de l'État (photo n° 5533) - 1942-1944

Des peintres s'y attardent parfois. Ainsi Henri-Victor Wolvens, né en 1896 à Bruxelles dans le quartier du Béguinage, dont il peindra souvent les habitants, les toits et les cours, dans une palette au départ très sombre, déjà riche en empâtements.

Installé à Bruges dans les années 1930, il revient souvent à Bruxelles où il s'est installé un atelier à Woluwe-Saint-Lambert. Il le fait également pendant la guerre, pour peindre au calme (alors qu'à Bruges, il est confiné avec ses trois enfants au 1er étage de sa maison), voir sa sœur, vendre quelques toiles, exposer à la galerie Breughel (tout en refusant les propositions d'exposition de l'occupant).

H.-V. Wolvens au Canal de Damme - années 1930
Henri-Victor Wolvens au Canal de Damme
(années 1930)*
Wolvens dans son atelier, avenue des Cerisiers à Woluwe-Saint-Lambert - années 1940-1950
Dans son atelier, avenue des Cerisiers à Woluwe-Saint-Lambert
(années 1940-1950)*

Une de ses promenades le mène au Parc de Bruxelles : attiré par les infinies nuances de la réflexion de la lumière sur l'eau du grand bassin, agitée par les remous de la fontaine et le passage des embarcations des enfants, il se met à peindre.

H-V Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
Henri-Victor Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
© SABAM Belgium 2020 - Photo KIK-IRPA, Brussels
CegeSoma/Archives de l'État - photo n°5669 - 1942-1944
© CegeSoma/Archives de l'État (photo n° 5669) - 1942-1944

2. Une fontaine...

8 mai 1944, la côte belge est interdite aux Belges, qui ne peuvent plus se rendre sur les plages. Depuis Bruges, Wolvens sillonne la ville et l'arrière-pays, où il peint des paysages urbains, des gares, des cafés. Mais la mer lui manque.

L'incessant jeu de l'eau, de l'air et de la lumière, il le retrouve dans le jet d'eau de la fontaine du Parc de Bruxelles.

Comme d'autres peintres à Bruxelles au cours de l'été 1944, il s'installe alors dehors, peut-être sur un banc du parc, muni de son chevalet, de sa toile et de sa palette.

Wolvens en 1946
Wolvens en 1946*
CegeSoma/Archives de l'État - photo n°5559 - 1942-1944
© CegeSoma/Archives de l'État (photo n° 5559)
1942-1944

Pour poser le cadre géométrique de son sujet, comme ici les contours du bassin, il manie le pinceau à gros traits, parfois un peu sauvages. Le couteau à peindre, voire le couteau à palette (qui sert en principe à mélanger les couleurs sur la palette) lui donnent l'occasion de sculpter le mouvement de l'eau.

H-V Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
Henri-Victor Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
© SABAM Belgium 2020 - Photo KIK-IRPA, Brussels

Il sculpte encore le bruissement des feuilles des arbres et le moutonnement des nuages dans le ciel, les silhouettes colorées des passants, les contours des architectures...

H-V Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
Henri-Victor Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
© SABAM Belgium 2020 - Photo KIK-IRPA, Brussels

Et enfin le jet d'eau qui s'impose sur le ciel bleu, le vert des frondaisons des arbres du parc, le sable de l'allée, le bleu et rouge du bassin, le noir des lampadaires, le gris-ocre de la pierre du bâtiment du Parlement et ses drapeaux, au fond.

Tout en les révélant tous dans leur identité chromatique propre, bien mieux que n'importe quelle photo pourrait le faire...

le jet d'eau - Photo Wikimedia, Public Domain
Photo Wikimedia, Public Domain
H-V Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
Henri-Victor Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
© SABAM Belgium 2020 - Photo KIK-IRPA Brussels

3. Des drapeaux

Sommes-nous toujours en mai 1944... ou plutôt le 6 juin ou encore le 25 août 1944 ? Les drapeaux dont Henri-Victor Wolvens orne la façade du Parlement, nous posent la question. Et posent question.

H-V Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
Henri-Victor Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique - Détail
© SABAM Belgium 2020 - Photo S. Wittemans

Le 8 mai et jusqu'à son départ précipité de Bruxelles le 3 septembre 1944, l'occupant allemand affiche sans aucun doute ses grands étendards à la croix gammée, face au Parc, comme il le fait depuis le début de l'occupation.

Le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie et commencent à repousser l'armée allemande vers le nord. La vie est brusquement suspendue entre espoir et peur. On sait que la libération viendra de France...

Le 25 août 1944, Paris est libérée. La nouvelle de la libération de Paris est très rapidement connue. La presse clandestine bruxelloise y fait écho. Elle suscite une véritable attente : après Paris, à quand Bruxelles ?

Or Henri-Victor Wolvens peint un drapeau belge et un drapeau français au fronton du Parlement.

Est-ce une fantaisie d'artiste qui aime les drapeaux et en ajoute parfois à ses compositions  afin de les équilibrer ?

Ou celle d'un coloriste qui avait déjà majoritairement utilisé le bleu-blanc-rouge dans les couleurs de sa toile ?

Plus intimement, remplace-t-il le drapeau à croix gammée par son rêve personnel pour l'après-guerre, celui de s'installer en France ?

Ou se fait-il l'écho de l'énorme espoir de la population belge, face à la vague de libération qui vient de France et de Paris en particulier ?

H-V Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique
Henri-Victor Wolvens, Le jet d'eau, 1944 - Coll. Sénat de Belgique
© SABAM Belgium 2020 - Photo KIK-IRPA, Brussels

Dans les faits, il est peu probable que le Parlement ait accompagné le drapeau belge d'un drapeau français lors de la libération de Bruxelles le 3 et 4 septembre 1944 par les Américains et la brigade Piron. Le 8 mai 1945, lors de la capitulation de l'Allemagne, il n'y avait pas non plus de raison de le faire. Seule la visite triomphale de Charles de Gaulle en octobre 1945 aurait peut-être justifié cette combinaison à la Place de la Nation. Mais, en bas à droite, Wolvens signe ostensiblement sa toile de 1944... Le mystère demeure.

Wolvens peindra une deuxième toile avec le grand bassin à la fontaine du Parc de Bruxelles en 1944, mais sans drapeaux. Par contre, son « bal champêtre » de 1944 affiche à gauche deux grands drapeaux français et belge ; il se déroule probablement dans le parc Reine Astrid à Bruges dont on reconnaît le kiosque à musique.

Selon les souvenirs de sa fille Hélène, Wolvens se trouvait en famille à Bruges lors de la libération de Bruges le 12 septembre 1944. Pour fêter l'événement, il « chante à pleins poumons la Brabançonne, accompagné au piano par sa femme Paula. Cette image plaît tellement à Edgard Tytgat qu'il conseille à Wolvens d'en faire le sujet d'une toile ! ».**

Bien plus tard, dans les années 1959-1960, il peindra encore des jets d'eau à Bruges et à Bruxelles (?), cette fois-ci ornés du tricolore dans les bords du bassin.

 

Merci à : Hélène Wolvens, Roger Pierre Turine, Nicole d'Huart, Chantal Kesteloot.

En vertu du droit d'auteur, toute utilisation/reproduction des oeuvres de H.-V. Wolvens est interdite sans l'autorisation préalable de l'artiste (s'adresser à la SABAM).

* Photos tirées de : Henri-Victor Wolvens, 1896-1977, W. Van den Bussche (red), à l'occasion de la rétrospective au PMMK à Ostende du 18 décembre 1993 au 7 mars 1994, Stichting Kunstboek, Brugge, 1994. (p. 219 : Canal de Damme ; p. 228 : atelier ; p. 235 Galerie Studio à Ostende en 1946).

** Albert Dasnoy, Claude De Valkeneer, Denise Thiel-Hennaux, Françoise Levie, Henri-Victor Wolvens (1896-1977) : Rétrospective, Woluwe-Saint-Lambert, Médiatine - Malou, 1986, p. 72.