75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale - La Haute Assemblée et le traumatisme des camps

75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale
La Haute Assemblée et le traumatisme des camps

Partie 4

« Vous voilà enfin de retour parmi nous ! »
À propos de Pierre Diriken et de Marius Renard

Mardi 24 avril 1945. La fin du Troisième Reich est proche et les images de l'horreur de ses camps de concentration et d'extermination font le tour du monde. À Bruxelles, les sénateurs se joignent unanimement à la protestation que leur président, Robert Gillon, exprime à l'encontre des crimes allemands.

Le camp de concentration de Buchenwald après sa libération en avril 1945.
Le camp de concentration de Buchenwald après sa libération en avril 1945. [ 1 ]

Tout n'est cependant pas qu'une suite de malheurs. Quatre collègues ont été arrachés aux mains de l'ennemi. Parmi eux se trouvent Pierre Diriken et Marius Renard, sénateurs en fonction. Ils font tous deux partie du groupe politique socialiste. Le premier est néerlandophone, le second francophone mais ce qui les sépare va bien au-delà de l'appartenance linguistique. Diriken est connu comme le Limbourgeois serviable et enjoué. C'est en revanche le souvenir du Borain direct et entêté que l'on gardera de Renard. Leurs parcours de prisonnier politique divergent eux aussi.

Liste provisoire des sénateurs victimes de l'oppression allemande
Liste provisoire des sénateurs victimes de l'oppression allemande. Vanderpoorten, Noël, Heyndels et Tincler sont décédés, tandis que Diriken et Renard ont été incarcérés dans un camp de concentration. Douze autres sénateurs ont été emprisonnés, pris en otage ou mis en résidence forcée.  [ 2 ]

Antécédents

Pierre Diriken

Pierre Diriken voit le jour à Tongres, le 16 février 1882. Il gagne d'abord sa vie en tant qu'ouvrier imprimeur. À l'âge de vingt ans, il découvre le mouvement socialiste à Liège. Il entend également créer un mouvement semblable dans sa ville natale, où il développe donc un réseau d'organisations, dont des syndicats et un magasin coopératif.

portrait de Pierre Diriken
À Tongres, Pierre Diriken... [ 3 ]
Article dans le journal Vooruit
... défend le suffrage universel "pur et simple". [ 4 ]

Après la Première Guerre mondiale, le Parti Ouvrier Belge (POB) le désigne propagandiste-secrétaire pour le Limbourg. Il entre au conseil communal de Tongres puis devient échevin en 1926. À l'époque, il est sénateur coopté depuis un an déjà.

Au Sénat, Diriken se préoccupe du sort de tous ceux qui restent sur la touche ou qui sont maltraités dans la société. Mais ce sont bien les intérêts de la province du Limbourg, si défavorisée, qui lui tiennent le plus à cœur : le délabrement des bâtiments scolaires du réseau officiel, les mauvaises liaisons ferroviaires et les difficultés sociales dans les mines. La position de force des « cléricaux » dans sa province d'origine lui est insupportable. Il s'irrite de voir le clergé faire pression sur les parents pour qu'ils n'envoient pas leurs enfants à l'école officielle.

Après les élections de 1939, le Sénat nomme Diriken à la fonction de questeur.

Marius Renard

Marius Renard est né à Hornu le 6 octobre 1869. Après des études techniques, il fait ses preuves comme enseignant, affichiste et céramiste. Sa créativité est sans borne. Renard est ainsi actif en tant qu'écrivain, journaliste et administrateur au sein de l'enseignement et dans le secteur des arts et des musées. À l'aube du XXe siècle, Renard quitte sa région natale pour l'agglomération bruxelloise. C'est aussi dans la région bruxelloise que débute sa carrière politique. Il devient conseiller provincial et député permanent du Brabant pour le POB, ainsi que conseiller communal d'Anderlecht. En 1932, Renard doit mettre un terme à ses mandats provinciaux. C'est en effet à partir de cette année qu'il siège comme sénateur élu directement. Il deviendra bourgmestre d'Anderlecht quelques années plus tard.

Portrait de Marius Renard par Charles Dubailly (Charles Bernier)
Marius Renard comme député permanent du Brabant
Portrait par Charles Dubailly (Charles Bernier) [ 5 ]
Notice biographique du sénateur Renard
Notice biographique que Renard complète
en tant que sénateur [ 6 ]

Au Sénat, Renard ne mâche pas ses mots. Sa voix fortement timbrée impressionne et il ne craint pas une discussion animée. Qu'il s'agisse des subsides à l'enseignement agricole, des économies ou des pouvoirs spéciaux, Renard fait toujours preuve d'esprit d'à-propos. Le style combattif de Renard agace parfois ses collègues. « Je vous en prie, monsieur Renard, nous ne sommes pas au conseil provincial », lui assène un jour le président du Sénat. En dépit de tous les obstacles, Renard n'oublie jamais de défendre les intérêts du Borinage dans l'hémicycle.

Pages de titre du Poing levé. Cahiers d'un Ouvrier
Pages de titre du Poing levé. Cahiers d'un Ouvrier. La page de gauche affiche l'œuvre impressionnante de Marius Renard [ 7 ]

En 1939, Renard publie Le poing levé. Cahiers d'un ouvrier, un roman partiellement autobiographique qu'il illustre lui-même. Son alter ego, Pierre Audeval, est un militant socialiste du Borinage. À force de travail, Audeval devient technicien et dessinateur et il s'installe dans la région bruxelloise. Le syndicat métallurgiste lui assure une place sur la liste du Sénat. Au Sénat, Audeval est mal à l'aise. Le décorum est fort éloigné de ses origines prolétaires. Lorsqu'il prend la parole, les autres sénateurs l'écoutent à peine. L'appel de la base sera finalement le plus fort et Audeval démissionnera de la Haute Assemblée.

Après l'invasion allemande

La Blitzkrieg, qui débute le 10 mai 1940, provoque un grand désarroi dans les rangs du POB. De nombreux mandataires et cadres prennent leurs quartiers en France. Ceux qui restent au pays n'ont pas été préparés à travailler dans la clandestinité. De surcroît, le président du POB et sénateur coopté Henri de Man appelle les membres du parti à accepter la victoire allemande et le nouvel ordre européen. De nombreux militants sont abasourdis. D'autres sont tentés de suivre leur président de parti. D'autres encore se montrent hésitants ou attentistes.

portrait de Henri de Man
Henri de Man, sénateur coopté et président
du Parti Ouvrier Belge [ 8 ]
Manifeste aux membres du Parti Ouvrier Belge
Manifeste aux membres du Parti Ouvrier Belge [ 9 ]

Diriken et Renard figurent parmi les rares mandataires à rester à leur poste, l'un en tant que responsable du syndicat, l'autre en tant que bourgmestre. Leur position fait d'eux des proies faciles en cas de répression. Ils marchent tous deux sur des œufs, mais n'en cherchent pas moins à tromper l'occupant. Incarnant une caractéristique typiquement belge, ils donnent à l'occupant l'illusion de se plier à ses volontés, tout en lui mettant en réalité des bâtons dans les roues. S'ils parviennent effectivement à échapper aux griffes de l'occupant, c'est essentiellement dû au hasard. Le fait de partir quelques minutes plus tôt, de prendre un train plutôt qu'un autre ou de tourner à gauche et non à droite peut décider du sort qui sera le vôtre.

Ordonnance allemande
Depuis l'invasion allemande du 10 mai 1940, toute manifestation « d'hostilité » à l'égard du pouvoir occupant est punie [ 10 ]

Pierre Diriken

Depuis 1939, Pierre Diriken est actif en tant que secrétaire provincial de la Confédération Générale du Travail de Belgique (CGTB), une fonction parfaitement dans les cordes de cet organisateur expérimenté. Mais l'occupant a fondé, en partie dans la ligne des aspirations d'Henri de Man, l'Union des travailleurs manuels et intellectuels (UTMI). Tous les syndicats belges doivent fusionner au sein de ce syndicat unique. Les dirigeants syndicaux qui refusent de collaborer subissent de fortes pressions pour céder la trésorerie et les dossiers de leur syndicat. Deux anciens collaborateurs de la CGTB qui ont rallié le camp du syndicat unique rendent plusieurs fois visite à Diriken, en vain. Le service allemand chargé d'encadrer la réforme syndicale le convoque alors à Bruxelles. Diriken persiste dans son refus d'adhérer au syndicat unique. « Alors vous allez nous céder la gestion et la caisse du syndicat » (traduction), lui lance-t-on. Il risque fort de faire l'objet d'une enquête, mais il n'hésite pas. De retour chez lui, il brûle tous les documents syndicaux qui sont toujours en sa possession après avoir déjà détruit les fiches des affiliés. Il envoie à Bruxelles une fausse comptabilité.

Réunion en l'honneur de l'Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels
Réunion en l'honneur de l'Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels [ 11 ]

Diriken est convoqué à plusieurs reprises à la Sicherheitspolizei. Son attachement au POB d'avant-guerre est manifestement mal perçu. Son refus obstiné d'adhérer à l'UTMI ne joue pas non plus en sa faveur. De surcroît, Diriken aurait déconseillé aux ouvriers belges de se présenter pour le travail volontaire en Allemagne.

Diriken se résout par conséquent à agir dans la clandestinité. Il rallie le Front de l'indépendance et collecte des fonds au profit des victimes du nazisme. Il rencontre quelques amis à Tongres en des lieux chaque fois différents. Après quelque temps, il est de nouveau convoqué à la Sicherheitspolizei. Il est désormais sous surveillance constante. Diriken se tient donc à distance du parti socialiste en devenir mais ses amis et lui savent très bien que tôt ou tard, ils se feront prendre.

Le 4 novembre 1942, Diriken a rendez-vous dans une auberge située sur la Grand-Place de Tongres. Le chef de la Feldgendarmerie fait brutalement irruption dans la pièce. Il trouve sur la table l'épreuve d'un manifeste contre la propagande nazie que Diriken et ses amis viennent juste de valider. Ils sont interrogés dans les locaux de la Feldgendarmerie et reconnus coupables de diffusion de propagande secrète. L'occupant ne peut accepter ce manifeste, ni leurs activités au profit du Front de l'indépendance. Quant à Diriken, on lui reproche une nouvelle fois son refus d'adhérer à l'UTMI.

La Grand-Place de Tongres dans les années quarante
La Grand-Place de Tongres dans les années quarante. Le café où Diriken et ses amis sont arrêtés le 4 novembre 1942, est le deuxième immeuble situé à gauche et devant lequel se trouve l'homme. Le nom du café, As Ouhès, provient du dialecte wallon (« Aux oiseaux »). [ 12 ]

Diriken est d'abord incarcéré à Hasselt avant d'être transféré à la prison d'Anvers quelques jours plus tard. Le fort tant redouté de Breendonk sera sa prochaine résidence. Ses premiers mois de détention dans l'Auffanglager se passent en isolement, ce qui l'empêche de se concerter avec ses compagnons d'infortune afin de coordonner leur défense. Il n'échappe pas aux coups et aux tortures, pas plus qu'à la hantise d'un « interrogatoire poussé » dans la salle de torture. Sa détention en isolement prend fin en mai 1943, lorsque la direction du camp le choisit comme imprimeur. Il se lie d'amitié avec ses compagnons de chambrée, même s'il ne partage pas leur foi catholique. Mais Diriken est aussi témoin des proportions inimaginables que prend la famine dans le camp. Ses codétenus vont jusqu'à manger des feuilles d'arbres, des épluchures de pommes de terre, de l'herbe, des racines et des chardons.

La salle de torture au fort de Breendonk
La salle de torture au fort de Breendonk [ 13 ]

Au bout d'environ dix-neuf mois à Breendonk, Diriken reçoit une nouvelle affectation. Après le débarquement des Alliés en Normandie, le fort doit en effet être évacué. Le 8 août 1944, après un cours passage par Saint-Gilles, Diriken est embarqué dans un wagon à bestiaux où sont entassées 70 à 80 personnes. Ce wagon fait partie du dernier grand convoi ferroviaire à quitter la Belgique en direction du camp de concentration de Buchenwald. La chaleur et la soif sont épouvantables, de même que la puanteur. Les conditions d'hygiène à bord sont désastreuses.

Après deux jours et deux nuits, le convoi arrive à Buchenwald. Diriken et ses compagnons d'infortune sont pressés de débarquer sous les cris : « schnell, schnell, raus ! ». Le rite de passage est humiliant. Diriken est dépouillé de ses vêtements et de ses effets personnels, il est complètement rasé et enduit de créoline. Après une douche froide, il reçoit son uniforme du camp sur lequel il doit lui-même coudre sa nouvelle identité, le matricule 75 924.

document avec les effets personnels que Diriken est obligé de remettre après son arrivée à Buchenwald
Les effets personnels que Diriken est obligé de remettre après son arrivée à Buchenwald [ 14 ]

Au départ, le médecin du camp le déclare apte au travail mais Diriken souffre ensuite de plusieurs affections qui le conduisent de temps à autre à l'infirmerie. Pour le reste, il est principalement affecté à la Strumpfstopferei, une unité dans laquelle les prisonniers affaiblis qui sont encore en état de travailler reprisent des chaussettes.

dessin par Georges Despaux de Isaac Serlui, un tailleur de diamants anversois d'origine juive, reprisant des chaussettes à Buchenwald
Isaac Serlui, un tailleur de diamants anversois d'origine juive, reprisant des chaussettes à Buchenwald
Dessin par Georges Despaux [ 15 ]

À Buchenwald, Diriken est témoin des tortures infligées à plusieurs jeunes originaires de sa région mais il ne se décourage pas pour autant. Il se raccroche à l'espoir de pouvoir un jour à nouveau participer à des réunions en démocratie. Un espoir qui deviendra réalité après la libération du camp de Buchenwald, le 11 avril 1945.

Marius Renard

Marius Renard fait explicitement le choix de rester à son poste de bourgmestre d'Anderlecht. C'est compter sans l'occupant, qui impose une limite d'âge au sein de l'administration belge : toutes les personnes de plus de soixante ans, comme c'est le cas de Renard, doivent démissionner et céder leur place à des éléments plus jeunes et plus accommodants.

Le 15 août 1941, la Gestapo mène une perquisition au domicile de Renard et met la main sur des documents secrets et de la propagande antinazie. Renard est arrêté sur-le-champ et accusé de sabotage. Il est mis au secret à la prison de Saint-Gilles et soumis à un interrogatoire musclé. Traduit devant un conseil de guerre allemand, il s'en tire avec deux mois de prison, malgré les lourdes charges qui lui sont reprochées. Renard est libéré le 9 octobre 1941.

document de Renard relatant ses expériences d'occupation
En 1945, Renard relate amplement ses expériences d'occupation, à commencer par son arrestation le 15 août 1941 [ 16 ]

L'occupant allemand le garde néanmoins sous surveillance et l'interroge régulièrement. Tous les prétextes sont bons pour attiser la suspicion à son égard. Par ailleurs, Renard reçoit des lettres de menace et doit rester sur ses gardes car il pourrait être victime d'un attentat.

Le 1er septembre 1944, soit la veille du jour où les troupes alliées franchissent la frontière belge, Renard subit un ultime coup du sort : avant de battre en retraite, les Allemands viennent l'arrêter à son domicile. Il avait choisi de rester aux côtés de son épouse souffrante pour la préserver du risque d'être emmenée par les Allemands si lui-même devait être introuvable. Sa prévoyance aura donc été bien avisée. Le lendemain de son arrestation, Renard est déporté en Allemagne, sans que sa famille et ses proches ne sachent où il séjourne exactement.

Liste des prisonniers à Brauweiler
Liste des prisonniers incarcérés par la Gestapo dans un établissement pénitentiaire à Brauweiler [ 17 ]

Dans un premier temps, Renard est emprisonné à Brauweiler, près de Cologne. Il passe ensuite la majeure partie de sa deuxième captivité à Bad Godesberg, un camp annexe de Buchenwald, où il est le seul prisonnier belge. Des agents de la Gestapo lui font savoir qu'il est destiné à servir de monnaie d'échange si la conclusion d'un compromis devait mettre fin à la guerre. En février 1945, la Croix-Rouge mène des pourparlers avec le gouvernement allemand en vue d'obtenir la libération de certains prisonniers. Les chanceux à pouvoir en bénéficier ne sont pas nombreux et Renard n'en fait pas partie.

Rheinhotel Dreesen
Le Rheinhotel Dreesen, le camp annexe de Buchenwald où Renard est emprisonné conjointement avec des officiers français [ 18 ]

Face à la progression des Alliés, les prisonniers de Bad Godesberg sont répartis dans d'autres camps. La colonne dont fait partie Marius Renard doit entreprendre un voyage éreintant à travers toute l'Allemagne. En plus d'être soumis à de rudes efforts physiques et d'être contraints à plusieurs reprises de progresser dans la neige, les prisonniers souffrent de dénutrition.

Sculpture d'une marche de la mort par Herman von Pelgrim
Une marche de la mort en Allemagne, en avril 1945. Sculpture de Herman von Pelgrim [ 19 ]

En avril 1945, c'est dans un état de santé fortement dégradé que Renard arrive dans son nouveau lieu d'incarcération, un camp annexe de Dachau en Autriche. Il songe avec nostalgie à ses collègues qui ont repris leurs travaux au Sénat.

Renard est finalement libéré par des soldats américains durant la seconde quinzaine du mois d'avril 1945. Après plusieurs semaines au cours desquelles sa patience est mise à rude épreuve, il est de retour à Bruxelles le 9 mai 1945.

L'hôtel Forelle, le camp annexe de Dachau
L'hôtel Forelle, le camp annexe de Dachau où Renard est libéré par des soldats américains [ 20 ]

« Vous êtes enfin de retour parmi nous ! »

Le mercredi 2 mai 1945, Pierre Diriken fait son retour à la Haute Assemblée, sous des applaudissements nourris. Le président du Sénat Gillon l'accueille chaleureusement : « Mon cher collègue Diriken, vous voilà enfin de retour parmi nous ! ». Il l'assure que son calvaire et celui de ses compagnons d'infortune ne seront pas oubliés et évoque le jour où les responsables des crimes allemands auront à rendre des comptes. Diriken est profondément ému de l'accueil chaleureux qui lui est réservé, mais souhaite surtout rendre hommage à toutes les personnes qui ont perdu la vie dans les camps de concentration. Pour honorer leur mémoire, il demande que les traîtres et les collaborateurs soient punis rapidement et avec fermeté.

La capitulation du Troisième Reich dans De Nieuwe Standaard
La capitulation du Troisième Reich dans La Libre Belgique
Entre le retour au Sénat de Diriken et celui de Renard, les journaux divulguent la capitulation du Troisième Reich [ 21 ]

À peine deux semaines plus tard, le mardi 15 mai 1945, c'est au tour de Marius Renard de reprendre sa place dans l'hémicycle sous une longue ovation. Il paraît certes vieilli et amaigri, mais il n'est pas brisé. Gillon fait l'éloge du caractère indompté de Renard qui lui a permis de résister à la tyrannie allemand. À ses yeux, Renard symbolise la résistance dans les communes, rôle qui lui aura malheureusement aussi valu d'être choisi comme otage. Renard ne peut pas encore s'exprimer avec la précision d'autrefois, mais il éprouve une profonde reconnaissance envers ses collègues. Il est heureux de pouvoir reprendre ses mandats au service de la patrie et de la liberté. Selon lui, un mandataire public ne saurait avoir de plus grande joie !

Épilogue

Pierre Diriken demeure sénateur et questeur du Sénat jusqu'au début de l'année 1946. Il siège ensuite comme député et ne retrouvera les bancs de la Haute Assemblée qu'en 1949-1950 en tant que sénateur coopté. De 1953 à 1958, il est le premier bourgmestre socialiste de Tongres. Ayant lui-même connu l'enfer de Breendonk et de Buchenwald, Diriken tient à faire le maximum pour les anciens prisonniers politiques. À ses yeux, ceux-ci méritent un respect sincère et permanent. Aussi se montrera-t-il très critique face à la politique de grâce dont bénéficient certains collaborateurs condamnés à mort et à la tendance à assouplir la répression de l'incivisme, et ce d'autant plus qu'on lui avait assuré, en 1945, que les responsables auraient à rendre des comptes. Le 29 janvier 1960, Diriken perd la vie dans un accident de la route en quittant son domicile.

Le Peuple fait part de la mort subite de Pierre Diriken
Le Peuple fait part de la mort subite de
Pierre Diriken [ 22 ]
première de couverture du Travail dans l'Art
Le Travail dans l'Art, le dernier livre que Renard sort
quelques semaines avant son décès - Dessin par
Anto Carte sur la première de couverture [ 23 ]

Marius Renard reste bourgmestre d'Anderlecht jusqu'à la fin de l'année 1946. Quant à son mandat de sénateur, il l'exercera jusqu'au 19 juillet 1948, jour de son décès. Au Sénat, il évoque de temps à autre les expériences qu'il a vécues durant la guerre, avec la repartie qu'on lui connaît et avec un trait d'esprit lorsque cela s'impose. Selon Renard, toutes les victimes de la guerre, qu'il s'agisse des prisonniers, des mères, des veuves, des orphelins ou des condamnés, font partie d'une seule et même « armée de la souffrance ».

La vie publique anderlechtoise recèle encore de nombreuses traces de Marius Renard. Citons l'Institut communal Marius Renard dans l'enseignement communal. La ligne de tram 81 a pour terminus l'arrêt Marius Renard et une rue porte également son nom. On trouve également une rue Marius Renard à Hornu, la commune qui l'a vu naître.

En savoir plus

  1. Photo : Jules Rouard, via Wikimedia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Buchenwald-J-Rouard-04.jpg). [ retour ]
  2. Archives du Sénat, CDU 341_346, P 331, dossier Les sénateurs emprisonnés par l'ennemi durant l'occupation. [ retour ]
  3. Photographe inconnu, Archives du Sénat, dossier biographique n° 787, Pierre Diriken. [ retour ]
  4. Vooruit, 14 août 1912, p. 5, via Amsab-Instituut voor Sociale Geschiedenis (http://opac.amsab.be/digital/5F05952C-EC84-47AF-A094-2653737E4DDB.pdf). [ retour ]
  5. L'Almanach du Peuple et de la Wallonie socialiste, 1923, p. 80, via Amsab-Instituut voor Sociale Geschiedenis. L'artiste Charles Bernier (1871-1950), propriétaire de la Cour du Bailly à Mons, signait parfois « Charles Dubailly » (http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/lieux-de-memoire/bernier-charles#.YDj0WXko-Uk). [ retour ]
  6. Archives du Sénat, dossier biographique n° 764, Marius Renard. [ retour ]
  7. Marius RENARD, Le Poing levé. Cahiers d'un ouvrier, Paris-Bruxelles, Labor, pp. 4-5 [ retour ]
  8. Photographe inconnu, Archives du Sénat, dossier biographique n° 976, Henri de Man. [ retour ]
  9. Vooruit, 9 juillet 1940, p. 3, via la Bibliothèque du Parlement. [ retour ]
  10. Ordonnance concernant l'introduction du droit pénal allemand et des prescriptions pénales dans les territoires occupés par les troupes allemandes aux Pays-Bas et en Belgique, 10 mai 1940 (Archives de l'État Beveren, collection « Archives du parquet au tribunal de première instance de Malines, 1795-1969 », via https://www.belgiumwwii.be/nl/belgie-in-oorlog/artikels/wetgeving-duitse-justitie.html). [ retour ]
  11. Photographe inconnu, via www.belgiumwwii.be. [ retour ]
  12. Photographe inconnu, via les Archives de la ville de Tongres. [ retour ]
  13. Photo : Jean-Luc Premereur, via www.fotolucky.be. [ retour ]
  14. Individuelle Dokumente KZ Buchenwald, 1.1.5.3 / 5760035 / ITS Digital Archive, Arolsen Archives. [ retour ]
  15. Avec nos remerciements à Rik Vanmolkot. Arrivé à Buchenwald en passant par Compiègne et Auschwitz, le Français Georges Despaux (1906-1969) fait environ 180 dessins suite à ses impressions dans le camp. Isaac Serlui est l'un des nombreux codétenus dont il fait le portrait, mais décède à Buchenwald le 6 décembre 1944. [ retour ]
  16. Note pour Monsieur le Commandant de la gendarmerie d'Anderlecht, annexe à la lettre que Renard adresse au Président du Sénat le 13 septembre 1945 (Archives du Sénat, CDU 341_346, P 331, dossier Les sénateurs emprisonnés par l'ennemi durant l'occupation). [ retour ]
  17. Landesarbeitsanstalt Brauweiler, 1.2.2.1 / 11384075 / ITS Digital Archive, Arolsen Archives. [ retour ]
  18. Photographe inconnu, via https://www.ansichtskarten-center.de. [ retour ]
  19. Photo : Chris P, CC BY-SA 2.0, via https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=67775614. [ retour ]
  20. Photographe inconnu, via http://www.lipp.tirol/ns-lager-im-ehemaligen-kreis-reutte/. [ terug ]
  21. De Nieuwe Standaard, 8 mai 1945, p. 1 (via https://images.app.goo.gl/xTAvEcAxY6VxFHBA9) et La Libre Belgique, 8 mai 1945 (via https://images.app.goo.gl/xuTfSD9tYDVLqZi29). [ terug ]
  22. 'Les socialistes de Tongres en deuil. Pierre Diriken tué en sortant de sa maison', dans : Le Peuple, 30 janvier 1960 (Archives du Sénat, dossier biographique n° 787, Pierre Diriken). [ terug ]
  23. Marius Renard, Le Travail dans l'Art, Bruxelles-Paris, Éditions Serge Baguette, 1948 (via https://www.abebooks.fr). [ terug ]

Le Sénat a tout mis en œuvre pour être conforme aux prescriptions légales concernant les droits d’auteur. Les ayants droit que le Sénat n’a pas pu retrouver, sont priés de se faire connaître.

Bibliographie

Archives du Sénat, dossiers biographiques de Pierre Diriken et de Marius Renard.

Archives du Sénat, CDU 341_346 P 331, dossier Les sénateurs emprisonnés par l'ennemi durant l'occupation.

Service Archives des Victimes de la Guerre, dossiers de Pierre Diriken et de Marius Renard.

ITS Digital Archive, Arolsen Archives.

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