Je n'avais que 4 ans lorsque la guerre a éclaté. Nous habitions dans une ferme. Maman avait voulu savoir ce qu'il se passait et s'était mise en route avec mes cinq frères et sœurs aînés. J'étais trop petit pour les accompagner et j'étais resté à la maison auprès de papa. Mais ma maman et mes frères et sœurs ne sont plus revenus à la maison. Ils n'ont plus pu rejoindre la maison. Ils ont dû suivre les réfugiés et se sont finalement retrouvés quelque part en France.
Je suis resté seul à la ferme avec mon papa durant toute la guerre. Il est plusieurs fois arrivé qu'un Allemand
vienne à la ferme pour voler quelque chose, des œufs par exemple. Un jour, un Allemand a même essayé de voler un cheval !
Papa s'est précipité vers cet Allemand et je savais qu'il allait se fâcher très fort. C'était très dangereux parce
qu'ils l'arrêteraient et le jetteraient en prison. À chaque fois, je commençais à pleurer très fort pour détourner
l'attention et ça marchait. Les Allemands avaient pitié du petit bonhomme que j'étais.
Savez-vous comment ma maman a appris que nous étions toujours en vie ? À la libération, un journaliste avait pris une photo de moi et de mon papa près d'un cheval, cette photo est parue dans un journal français et ma maman l'a vue ! Ce fut le premier signe de vie en quatre ans ! À son retour, je n'ai pas reconnu ma maman. J'avais quatre ans lors de son départ et huit à son retour. « Tu n'es pas ma maman ! », lui avais-je crié.
Pendant la guerre, je suis resté habiter à la ferme avec mes parents et mes frères. Non loin de là, il y avait une cuisine de campagne allemande, mais aussi, devinez quoi, un WC à ciel ouvert ! Et vous savez comment il était fabriqué ? Tout simplement avec des poteaux plantés dans le sol et un long bâton fixé entre eux ! Chaque matin, les soldats abaissaient leur pantalon et leur long caleçon blanc, et s'asseyaient sur ce bâton pour faire leurs besoins. Ils restaient là un bon moment en rang d'oignons, les fesses à l'air, lisant le journal, fumant la pipe ou discutant à leur aise. Ah ça, ils étaient tout sauf pressés ! Et lorsque le tas de vous-savez-quoi montait trop haut, ils déplaçaient un peu le bâton. Mes frères et moi prenions un malin plaisir à les espionner !
Un jour, nous avons eu une idée géniale : « :Et si nous sciions un peu le bâton ? ». Aussitôt dit, aussitôt fait ! Nous avons profité de la première sortie des soldats pour aller en catimini scier à moitié le fameux bâton.
Le lendemain matin, planqués derrière la haie, nous étions impatients de voir les Allemands arriver. Comme prévu, ils sont venus s'asseoir les uns après les autres sur le bâton, mais il a fallu attendre l'arrivée de leur gros chef pour avoir le spectacle attendu... Dans un grand crac, le bâton s'est cassé net et tous les Allemands qui étaient assis se sont retrouvés le derrière dans leur propre…hum, vous savez quoi !
Pendant qu'ils juraient et poussaient des cris de colère, nous avons déguerpi à la vitesse de l'éclair. Ce jour-là, nous sommes restés loin des Allemands, mais chaque fois que nous nous regardions, nous éclations de rire.
Un jour, les Allemands avaient placardé des journaux muraux pour annoncer, non sans une certaine fierté, la capture de quarante soldats britanniques. Avec mes camarades Michel Grymonprez et André Lobel, je décidai alors d'arracher quelques-unes de ces affiches et de les déchirer. « :Ça leur apprendra ! », me disais-je.
Mais un soldat allemand nous avait aperçus et nous fûmes arrêtés sur-le-champ. Nous avions beau n'être encore que des morveux de 15 ans, nous allions passer devant le tribunal de campagne. Nous devions nous excuser et payer une amende de 150 marks. Si nous ne pouvions pas la payer, nous devrions passer dix jours en prison. J'ai refusé et j'ai dit qu'il me paraissait tout à fait normal de défendre ma patrie. J'avais à peine prononcé ces mots que deux gendarmes allemands m'empoignèrent au nez et à la barbe des passants. Au final, je me suis retrouvé trois semaines en cellule et mes parents ont dû payer une amende de 500 marks.
Même mon directeur d'école fut rappelé à l'ordre. On l'obligea à suspendre les cours d'anglais et à sermonner ses élèves : « :Il vous est formellement interdit de lire les affiches, de les déchirer, de les souiller ou les endommager d'une quelconque manière ». Il contrôla également la présence de matériel prohibé dans les pupitres et les cartables des enfants. Tout élève en infraction fut immédiatement sanctionné. Nous avions la peur au ventre !
Le commandant local allemand fit même réaliser une affiche relatant notre impudence et les peines qui nous avaient été infligées, en signe d'avertissement… Après coup, je me suis dit que si j'avais su à quoi je m'exposais, je me serais bien gardé d'arracher cette affiche. Il n'empêche, j'en ressens quand même une certaine fierté.
En 1914, lorsque les Allemands arrivent, mon papa n'est pas à la maison. Il est en France pour le travail. Il travaille là-bas dans une ferme comme saisonnier. Depuis tout un temps, nous n'avons plus eu de nouvelles de lui. Le 19 octobre, les Allemands occupent Roulers. Des soldats entrent dans notre maison. Nous devons sortir, disent-ils, et ils nous menacent avec la pointe de leur baïonnette.
Nos voisins sont déjà dehors. Nous devons tous lever les bras en l'air. Alors les Allemands déversent de l'essence et mettent le feu à nos maisons. Les Allemands se comportent d'une drôle de façon. Je pense qu'ils sont ivres. D'autres soldats sont venus les chercher pour aller incendier encore d'autres maisons ailleurs.
Nous étions très pauvres pendant la guerre. Mes frères, ma sœur et moi, nous avions chacun un seul vêtement. Quand il était sale et que maman devait le laver, nous ne pouvions rien faire d'autre qu'aller au lit et attendre qu'il soit sec. Nous n'avions pas de souliers. Nous gardions simplement nous pantoufles pour sortir, même en hiver.
Deux ans après l'invasion allemande, nous avons fui la ville. Nous, ce sont ma mama, mes frères Michel et Albert et ma petite sœur Jeanne. De mon papa, nous n'avions plus eu de nouvelles depuis deux ans. Nous y avons tellement souffert de la faim, que finalement nous sommes retournés à Roulers. Là, au moins, nous avions encore un peu à manger.
Puis, nous avons fui à nouveau. Cette fois-ci en train, vers la France. Un jour, quelqu'un frappa à notre porte. Un étranger, qui portait l'uniforme belge. C'était notre père ! Nous ne l'avions pas vu ni entendu en six ans.
Avec nos remerciements à la Cellule du patrimoine TERF de Roulers
pour les textes de ces témoignages