Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol
Mme Jolanta Danielak, vice-présidente du Sénat polonais
M. Armand De Decker, président du Sénat belge
M. Lamberto Dini, vice-président du Sénat italien
M. Tone Hrovat, président du Conseil national de Slovénie
M. Gernot Mittler, ministre d'État, vice-président de la commission des Affaires européennes du Bundesrat allemand
M. Paul Pacuraru, vice-président du Sénat roumain
M. Petr Pithart, président du Sénat de la République tchèque
M. Christian Poncelet, président du Sénat français
M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg
Mme Françoise Saudan, présidente du Conseil des États suisse
M. Alfred Schöls, président du Bundesrat autrichien
L'association des Sénats d'Europe a été fondée le mercredi 8 novembre 2000 à Paris par les délégations des hautes Assemblées de 12 États, afin de promouvoir le bicaméralisme dans le cadre de la démocratie parlementaire et de renforcer l'identité et la conscience européennes. Cette initiative qui a jeté les bases d'une collaboration étroite entre ces assemblées permet aussi d'épauler les pays candidats dans leur processus d'adhésion à l'Union européenne.
Les pays bicaméraux qui ont souhaité en être fondateurs sont l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie, la Suisse et la République tchèque.
Le première réunion de l'association a eu lieu à Paris le 6 juin 2001 et a été consacrée au thème suivant: « les Sénats et la représentation des collectivités locales ».
M. le président. - Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux que le Sénat belge ait aujourd'hui l'honneur de vous accueillir ici, au Palais de la Nation.
Qu'il me soit permis de remercier à nouveau notre collègue, M. Poncelet, président du Sénat français, d'avoir pris l'initiative de créer notre association qui se révèle d'autant plus importante que, dans certains de nos pays, les Hautes Assemblées sont parfois mises en cause.
Si, dès la réunion fondatrice de notre association, j'ai présenté le Sénat de Belgique comme organisateur de cette rencontre, ce n'était pas uniquement parce que je crois avec enthousiasme aux buts statutaires de notre association, mais aussi pour deux raisons précises. Cette année, la Haute Assemblée belge fête son 170ème anniversaire, ce qui la classe parmi l'une des plus anciennes d'Europe. Par ailleurs, la Belgique exerce actuellement la présidence de l'Union européenne et, comme M. Christian Poncelet l'a énoncé de bon droit lors de la réunion fondatrice de notre association, la construction de l'Union européenne nous conduit à comparer nos institutions et nos systèmes législatifs. Cela permet, comme tout échange international, de considérer les choses d'un oeil neuf, d'élargir l'outillage juridique, d'affiner les concepts. En effet, les légistes médiévaux nous apprenaient déjà que personne n'est juriste sans être à la fois comparatiste. Cette exhortation vaut assurément aussi pour les législateurs contemporains. Nous connaissons les plus-values apportées par le bicaméralisme ou bicamérisme. Lors de notre réunion du 6 juin au Palais du Luxembourg, nous en avons étudié une en profondeur, celle de la représentation des collectivités locales. Aujourd'hui, nous nous consacrerons à l'apport du bicamérisme à la plus ancienne de toutes les missions parlementaires, celle de l'élaboration de la loi.
Dans nos démocraties occidentales européennes, on parle depuis des décennies de la crise de la réglementation. Le diagnostic est toujours le même : il y a trop de lois et leur qualité est souvent médiocre.
Le premier aspect de la crise concerne donc la quantité de la législation. Pour se rendre compte de ce qu'on entend par l'inflation actuelle de la législation, il suffit de lire le décret français du 14 frimaire de l'an II, un texte publié en 1794. Ce décret prévoyait que chaque nouvelle loi devait être annoncée dans les communes par roulements de tambour ou sonneries de trompette. En outre, toutes les lois en vigueur doivent être lues une fois tous les dix ans, dans un lieu public de chaque commune. Mes chers collègues, il n'y a sans doute plus aucun parlement qui oserait aujourd'hui soumettre les citoyens à une telle épreuve. Nos codes sont devenus beaucoup trop volumineux et techniques pour cela.
Les causes de l'avalanche législative actuelle sont suffisamment connues. Aujourd'hui, la réglementation vise, non plus tellement à constater le droit, mais plutôt à le modifier, un processus que l'on pourrait résumer par la formule « de la codification à la modification ». Actuellement, on attribue à la législation la faculté de réaliser les changements que l'on s'est délibérément fixés pour objectifs. En plus, l'émergence de l'État-providence et les progrès scientifiques et techniques obligent également les pouvoirs publics à intervenir davantage. L'apparition de législations relatives à l'environnement, aux développements biotechnologiques ou à la protection des consommateurs en est, par exemple, la conséquence.
Nombreux sont ceux qui estiment cependant que l'excès de réglementation pose problème. En effet, qui dit inflation dit aussi dévaluation. Le citoyen ne parvient plus à s'y retrouver dans l'écheveau législatif. Quand la loi bavarde, le citoyen n'y prête qu'une oreille distraite. Pire, le droit n'apparaît plus comme une protection, mais comme une menace. Roman Herzog, l'ancien président de la République fédérale d'Allemagne et brillant juriste, a exprimé son jugement sur la législation actuelle dans une formule à la fois brève et puissante : « des Guten zuviel » - « le trop nuit ».
Le second aspect de ce que j'ai appelé « la crise de la fonction régulatrice » est d'ordre qualitatif. Les lois sont souvent établies dans la hâte et leur qualité rédactionnelle en souffre. Elles se combinent parfois difficilement entre elles, quand elles ne se contredisent pas... Elles sont souvent rédigées en des termes obscurs, trop techniques, dans un langage incompréhensible et inaccessible pour le citoyen qui n'est pas juriste diplômé.
Certaines législations sont modifiées continuellement, sans parler des nombreux errata qui sont publiés ultérieurement. La stabilité de la loi n'est plus garantie. Francis Bacon a écrit que « La certitude est la première dignité de la loi ». Cette vérité de bon sens échappe trop souvent à tous ceux qui président aujourd'hui à la confection des lois.
Enfin, de nombreux textes désuets sont en léthargie sans que l'on songe à les supprimer. Contrairement à la démographie, notre législation est caractérisée par un taux de natalité élevé et un taux de mortalité quasi nul.
Ces deux évolutions - la surproduction législative et le déclin de la qualité de la législation - ont un impact négatif direct sur la qualité de notre état de droit démocratique, car elles conduisent, notamment, à une méconnaissance du droit et à une insécurité juridique.
Il ne fait aucun doute que le système institutionnel qui offre le plus de garanties en termes de qualité de la législation, est celui du bicamérisme. La double lecture d'un texte de loi par deux assemblées distinctes, composées d'élus aux profils différents, assure la meilleure protection du citoyen contre le risque d'arbitraire du gouvernement ou contre les improvisations législatives de circonstance. La navette parlementaire améliore la qualité de la production législative, parce qu'elle assure un plus grand respect du principe du contradictoire, laisse le temps de la maturation et permet à un nombre accru d'avis différents de s'exprimer. Le fait qu'une deuxième chambre puisse analyser un texte de loi d'un regard neuf, sans préjugé ni parti pris, n'est donc pas un luxe.
Il est vrai que le bicamérisme peut, parfois, ralentir le processus décisionnel. C'est une critique typique de notre époque où toute activité humaine est mesurée en termes de productivité. Mais la loi n'est pas et ne peut devenir un produit industriel soumis aux mécanismes de marché. La démocratie demande du temps.
De plus, le bicamérisme, par définition, ouvre la voie à la spécialisation. Il permet qu'une des deux assemblées, moins tributaire des contingences politiques, se consacre à cet engagement prolongé et laborieux que sont la réflexion et le contrôle de la qualité de la législation.
Si la coexistence de deux assemblées insère, à elle seule, la réflexion et la sagesse au coeur du processus législatif, rien n'empêche que les assemblées se munissent de renforts auxiliaires, susceptibles d'assurer un plus grand respect de la qualité de la législation.
Ainsi, la Belgique s'est dotée en 1946 d'un Conseil d'État, ayant la fonction de conseiller juridique du gouvernement et des Chambres législatives. Le Conseil émet des avis, dépourvus de caractère contraignant, sur tous les projets de loi émanant du gouvernement et, facultativement, sur les propositions de loi émanant d'un parlementaire.
Le Sénat de Belgique a cependant, lui aussi, quelques caractéristiques qui lui permettent de se concentrer sur la qualité de la législation. Ces caractéristiques ont trait à la composition, à la procédure législative et à l'organisation interne du Sénat.
Depuis 1922 déjà, certains sénateurs ne sont plus élus directement, mais cooptés. Grâce à la cooptation, le constituant espère privilégier, dans le recrutement du Sénat, le facteur de l'expérience et de la compétence. Je regrette cependant que ce but ne soit pas systématiquement atteint.
La catégorie des sénateurs cooptés a été maintenue lors de la réforme approfondie du Sénat de Belgique en 1993. Désormais, sur les 71 sénateurs, dix sont cooptés.
La réforme de 1993 a fait de la surveillance de la qualité de la législation une des missions principales du Sénat. Cette mission a donné lieu à une procédure législative nouvelle. Jusqu'en 1993, la Belgique avait un système bicaméral classique intégral, en vertu duquel un texte ne pouvait devenir loi que lorsque la Chambre et le Sénat l'avaient adopté. Aujourd'hui, ce bicamérisme pur et intégral ne subsiste que pour une partie de la législation : la Constitution et les lois concernant l'organisation de l'État, les institutions, le pouvoir judiciaire et les traités internationaux qui doivent d'ailleurs être examinés par le Sénat en priorité.
Pour le reste de la législation, on a toutefois élaboré une procédure entièrement nouvelle, qui a été conçue en fonction de la mission du Sénat relative à la qualité de la législation. Dans ces matières, lorsque la Chambre a adopté un projet de loi, il n'est plus transmis automatiquement au Sénat. Le Sénat dispose d'un délai de quinze jours pour l'évoquer. Pour ce faire, il suffit que quinze sénateurs, sur les 71, en fassent la demande, ce qui permet notamment à l'opposition seule d'évoquer une loi, à la suite de quoi le texte est soumis au Sénat. Il peut l'adopter tel quel ou l'amender ou le réécrire, ce qui est déjà arrivé, la Chambre ayant le dernier mot pour ces législations-là. Grâce à cette forme atténuée de bicamérisme, le Sénat ne doit plus se pencher sur tous les projets de loi, mais il peut faire une sélection stricte dans les textes qu'il souhaite examiner.
Lors de cette sélection, le Sénat peut se laisser guider par des critères de qualité. Il peut également fonder sa décision d'évoquer ou non, sur les avis d'un « comité de lecture », à savoir une cellule de fonctionnaires du Sénat qui soumettent les projets de loi adoptés par la Chambre à un examen de qualité sur les plans linguistique - nous sommes dans un pays bilingue et même trilingue -, légistique et juridico-technique. Cette évolution du bicamérisme belge a permis, en outre, à notre Sénat, en faisant un usage judicieux de son droit d'évocation, de remplir davantage un rôle de chambre de réflexion, c'est-à-dire de chambre qui se donne le temps, par rapport à l'actualité, qui relève plus de la Chambre des Représentants, d'analyser les législations fondamentales et les grands problèmes de société, comme par exemple, récemment, les délicates questions de bioéthique. C'est, par définition, le type même de matière qui se traite plus facilement au Sénat qu'à la Chambre des représentants.
Le Sénat a cependant jugé nécessaire de pousser le contrôle de la législation au-delà de la qualité rédactionnelle, de la légistique formelle ou des exigences classiques de sécurité juridique et d'égalité. De nos jours, on attend aussi du législateur qu'il définisse clairement les objectifs de son intervention et qu'il vérifie s'ils ne peuvent pas être atteints par d'autres voies, moins contraignantes que la loi. On attend du législateur qu'il fasse des lois applicables, effectives et efficientes. Bref, on attend de lui qu'il observe les principes de bonne législation, comme le gouvernement est tenu d'observer les principes de bonne administration et le juge, ceux de bonne juridiction.
Dans cette perspective, le Sénat a créé, l'an dernier, un service d'évaluation de la législation en son sein dont le rôle consiste à effectuer une évaluation technique préparatoire de la législation projetée et de la législation existante à la lumière des principes et exigences que j'ai mentionnés. Le service exécute ses tâches à la demande, sous l'instruction et l'autorité du Bureau du Sénat. L'évaluation elle-même, qui implique des choix d'opportunité et, donc, des choix politiques, demeure, bien entendu, la prérogative exclusive des sénateurs et du Sénat. En plus, le service est appelé à alimenter le Sénat avec des analyses de textes révélatrices d'imperfections législatives. À titre d'exemples, je peux citer les rapports annuels établis par le pouvoir judiciaire, les arrêts de la Cour d'arbitrage établissant l'inconstitutionnalité d'une loi ou les arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes ou de la Cour européenne des droits de l'homme. Le service a, enfin, pour mission de déblayer le paysage législatif, de voir si certaines lois ne sont pas désuètes et si l'on ne peut pas dégraisser l'arsenal législatif. Par le biais de la création de ce service, le Sénat belge a conféré désormais un caractère structuré à l'évaluation de la législation et en a fait une mission importante et permanente.
Mes chers collègues, je vous ai esquissé comment le Sénat belge tente d'exploiter les avantages structurels inhérents au bicamérisme pour veiller à la qualité de la législation. Ce travail, il est vrai, est intensif, se déroule loin du champ de vision des caméras et reste peu lucratif d'un point de vue électoral, ce qui préoccupe parfois nos collègues. Mais il est indispensable. En effet, c'est la probité professionnelle des parlementaires même qui l'impose. « Il n'y a pas la moindre comparaison », écrivait le professeur français Esmein, « entre le danger d'avoir une bonne loi en moins et celui d'avoir une mauvaise loi en plus. ». La citation de Descartes, selon laquelle « Quand on manie la loi, il convient de le faire avec une main tremblante » me semble également empreinte de sagesse, et bonne à méditer.
Nous allons poursuivre nos échanges, mes chers collègues, de façon à pouvoir comparer nos expériences respectives en termes de rapport à la démocratie. J'ai souhaité que notre réunion de ce matin se tienne en public, afin de démontrer de manière objective l'intérêt du bicaméralisme dans le domaine législatif. Cet après-midi, nous débattrons de tout sujet que vous souhaiteriez aborder, comme nous en avions créé la tradition lors de notre première réunion, en juin dernier.
Avant de céder la parole au premier intervenant, je voudrais excuser l'absence du nouveau président de la première Chambre des États généraux des Pays-Bas, M. Gerrit Braks. Il aurait beaucoup aimé participer à notre réunion, mais est retenu par les travaux de son assemblée, qui vit aujourd'hui une journée tout à fait particulière. Cela explique d'ailleurs également l'absence des vice-présidents du parlement hollandais.
M. Brian Mulloly, président du Sénat d'Irlande, nous demande aussi d'excuser son absence. Dans le courrier qu'il nous a adressé, il manifeste tout son intérêt pour notre institution, ce qui constitue un fait nouveau, ainsi que son regret de ne pas pouvoir participer à nos travaux. Il est donc probable que nos collègues irlandais soient parmi nous lors de notre prochaine réunion, qui se tiendra en Slovénie.
M. Gernot Mittler, ministre d'État, vice-président de la commission des Affaires européennes du Bundesrat allemand. - Tout d'abord, monsieur le président, permettez-moi, au nom du président du Bundesrat, qui est aussi, à présent, le bourgmestre de Berlin, de vous remercier très sincèrement pour votre invitation. Notre président, qui prendra ses nouvelles fonctions au début du mois prochain, vit une période de grande activité au Sénat. Il regrette beaucoup d'être dans l'impossibilité, pour les raisons précitées, de participer personnellement à nos travaux.
Je me réjouis pour ma part d'avoir, une nouvelle fois, le plaisir et l'honneur de représenter le président du Bundesrat.
Le thème dont nous traitons aujourd'hui revêt une très grande importance. Il doit, à juste titre, préoccuper tous ceux qui oeuvrent à l'élaboration et à l'application des lois.
La vie en société est déterminée par les règles qu'elle se fixe elle-même. La complexité toujours croissante de la vie, que ce soit en société ou celle des individus proprement dits, les interdépendances internationales et l'intégration dans l'Union européenne nous confrontent, en tant que législateurs, à de nouveaux défis.
Pour cette raison, il est de plus en plus important que nous nous penchions sur la qualité de nos lois et de nos règlements et que nous envisagions la possibilité de les améliorer dans les États membres de l'Union européenne où les législateurs doivent souvent se contenter de transposer le prescrit d'une directive européenne en droit national. Il faut toutefois prendre en compte la manière dont ces législations peuvent avoir une influence sur la qualité du travail législatif.
Permettez-moi de vous exposer brièvement le fonctionnement du Bundesrat et l'attention qu'il accorde à la qualité de la législation. L'article 15 de notre Constitution dispose que, par le biais du Bundesrat, les Länder participent à l'élaboration des lois et à la discussion des directives européennes. En 1949, nous avons opté pour le principe parlementaire fédéral. En effet, outre la division habituelle, il s'agissait d'avoir un autre type de répartition du pouvoir afin d'éviter tout abus. Sans négliger les compétences importantes des Länder, la législation est surtout prise en compte par le Bund.
Cependant, fondamentalement, l'application des lois est une compétence des Länder. Le Bundesrat qui constitue le lien entre le Bund et les Länder est un organe du Bund. Il se compose de représentants des Länder. C'est un organe du législatif, mais il se compose de représentants de l'exécutif des Länder car seuls les ministres-présidents des Länder, les bourgmestres et les sénateurs peuvent faire partie du premier organe. C'est ainsi que le Bundesrat, en fonction de sa structure, de son organisation et de ses tâches, par comparaison aux autres chambres, est absolument unique et s'explique par la tradition allemande. En effet, la Constitution de l'Assemblée de Francfort de 1848 voulait créer un Reich sur une base démocratique et prévoyait une maison des États.
Mais revenons à la situation actuelle. Le Bundesrat peut avoir une très grande influence sur le Bund. C'est la deuxième chambre législative. Conformément à notre loi fondamentale, le Bundestag est l'organe législatif au sens propre du terme. La loi fondamentale stipule que le Bundestag adopte les lois tandis que le Bundesrat participe à leur élaboration. Le Bundestag exprime la volonté des personnes tandis que le Bundesrat met en exergue la volonté des Länder. Le Bundesrat n'a pas la même valeur que le Bundestag, mais en raison des droits de participation, il est tout aussi important, au niveau de l'élaboration des lois.
Outre le droit d'initiative, à savoir proposer des lois auprès du Bundestag, sa tâche consiste principalement à contrôler les projets de loi. Le Bundesrat est le premier à pouvoir intervenir dans les discussions parlementaires. Il peut s'expliquer sur les propositions, ce qu'il fait sans aucune exception. Les représentants des Länder ont la possibilité, à un stade précoce, de prendre en compte les projets de loi du gouvernement fédéral et de proposer des amendements. Le Bundestag et le gouvernement doivent tenir compte du point de vue des Länder pour la suite de la procédure.
C'est ici qu'interviennent le contrôle de la qualité et, également, dans les délibérations, les expériences faites par les différentes administrations des Länder dans l'application des lois. La fonction de contrôle du Bundesrat dans le système fédéral devient dès lors très claire. Étant donné que les exécutifs des Länder sont proches de la pratique et des citoyens, il va de soi que le contrôle des textes de lois en ce qui concerne la qualité générale et la facilité d'application incombe particulièrement au Bundesrat. La position du Bundesrat ne lie pas encore le gouvernement fédéral et le Bundestag à ce stade du processus législatif. Cependant, ses points de vue ne peuvent être ignorés car ils sont un signal important, indiquant quel sera le dernier mot du Bundesrat lors des stades ultérieurs de la procédure. Le gouvernement fédéral énonce son point de vue sur la prise de position du Bundesrat par écrit dans un contre-avis. Le projet de loi, l'avis et le contre-avis sont ensuite soumis au Bundestag.
Le rôle du Bundesrat ne se limite pas au contrôle, au niveau de l'expérience administrative. Bien souvent, il se prononce sur des questions constitutionnelles. Ainsi, par exemple, il s'assure que le Bund dispose bien de la compétence législative pour les matières à régler et que l'on ne porte pas atteinte au droit originel des Länder, que la répartition des compétences prévue dans la Constitution entre le Bund et les Länder est respectée ou que les droits fondamentaux des citoyens ne sont pas mis en péril. L'incidence d'une initiative législative sur les finances des Länder peut aussi donner lieu à des propositions de modification.
Toutes les décisions législatives prises par le Bundestag doivent être soumises au Bundesrat. Celui-ci, s'il n'est pas d'accord, peut saisir le Comité de médiation. Il s'agit d'un comité prévu dans la Constitution et qui est constitué par un nombre égal de membres du Bundesrat et du Bundestag. Chaque Land y dispose d'une voix. Sa mission est de trouver une solution de compromis au cas où un projet de loi est contesté. Ce compromis doit pouvoir rassembler une majorité au Bundestag et au Bundesrat. S'il s'agit d'une loi où les intérêts des Länder sont particulièrement affectés et pour laquelle leur accord est indispensable sous l'angle de l'efficacité, cette loi ne peut jamais entrer en vigueur si le Bundesrat n'est pas d'accord, ce qui démontre le rôle très important que le Bundesrat joue en matière législative.
Permettez-moi de dire encore un mot du rôle du Bundesrat pour les questions européennes. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, notre droit national, en raison de l'intégration croissante de l'Union européenne, est de plus en plus influencé par les réflexions et les dispositions prises à Bruxelles. C'est le Conseil des ministres qui prend les décisions à ce niveau. Il est prévu que le gouvernement fédéral informe les Länder largement et au stade le plus précoce possible sur tous les projets de l'Union européenne. Le Bundesrat peut ainsi, après délibération en commission, faire connaître son avis. Lorsque les règles de droit européen concernent des questions relevant des compétences législatives des Länder ou concernent l'organisation de leur autorité et leur procédure administrative, le point de vue du Bundesrat est prépondérant. Cela signifie que la Constitution confère au Bundesrat le droit de prendre la décision finale.
Cela signifie que, fondamentalement, le Bundesrat a le dernier mot concernant la détermination de l'avis qui sera émis par l'Allemagne au Conseil des ministres. Bien entendu, il a pour obligation de tenir compte des intérêts de l'ensemble du Bund. En l'absence de concordance des points de vue entre le Bundesrat et le Bundestag, c'est le Bundesrat qui a le dernier mot, dès lors que la décision soit prise à la majorité des deux tiers.
J'ai essayé de vous expliquer le rôle du Bundesrat. Je suis convaincu que, sur le plan national comme sur le plan de l'Union européenne, nous nous pencherons encore longtemps sur ce thème. Vu l'accroissement de l'intégration européenne, il faudra également que nous nous penchions sur nos procédures, nos méthodes de travail et notre collaboration. Nous devons y réfléchir de manière intensive. Pour cette raison, une réunion de ce genre, où nous pouvons procéder à des échanges sur des systèmes très différents les uns des autres, revêt une très grande importance.
M. le président. - Je vous remercie, monsieur Mittler, de cette communication qui souligne bien l'apport du bicaméralisme dans un système fédéral. Il est particulièrement intéressant de voir comment vous avez trouvé des techniques de compromis entre le Bundestag et le Bundesrat. Le fait qu'en Allemagne, les Länder soient associés, très tôt dans le processus, à l'élaboration des normes européennes, me paraît fort enrichissant.
M. Alfred Schöls, président du Bundesrat autrichien. - Permettez-moi de vous remercier, monsieur le président, de nous avoir invités, nous, représentants de la deuxième chambre, et de nous donner ainsi la possibilité de participer à cet échange d'expériences, à une époque où se pose précisément, sur le plan européen, la question des finances, des endettements de l'État et de la possibilité de réaliser des économies.
Ce ne sont pas uniquement les populistes qui veulent économiser de l'argent dans certaines circonstances. Il faut examiner les questions sous différents angles. Dans mon pays - mais je pense que d'autres vivent cela dans leurs pays respectifs - la question est souvent posée sous l'angle financier. Certains se posent la question du « luxe » d'un système bicaméral. L'intervenant précédent, qui représente l'Allemagne, a mis en exergue l'importance de l'Union européenne et du rôle qu'y jouent nos organes respectifs. Il est dès lors très important que nous, représentants de la deuxième chambre, nous puissions nous rencontrer de façon à mettre au point des stratégies communes à dimension européenne. Nous ne pouvons commettre l'erreur de nous pencher uniquement sur nos propres questions en ignorant ce qui se passe au-delà des barrières de notre propre jardin.
Je suis très heureux qu'une telle conférence ait pu avoir lieu. Dans mon intervention, je mettrai bien entendu en avant la spécificité autrichienne. Je voudrais me pencher sur les questions qui nous ont été soumises avant la réunion.
Le Bundesrat autrichien, dans sa forme actuelle, ne possède pas la tradition d'autres sénats ou du Bundesrat allemand. En Autriche, après la guerre et après 1954, nous avons essayé de recréer un système bicaméral qui, dès le début, a connu des problèmes. Nous savions que tout le monde ne serait pas satisfait. À maintes reprises, notre président a critiqué le Bundesrat autrichien. Cependant, personne ne met en doute la qualité de la législation autrichienne et le Bundesrat y a contribué dans une large mesure.
Le Bundesrat accomplit également des tâches pour les Länder. On veut ainsi s'assurer que les Länder qui possèdent leur propre législation puissent rester autonomes et qu'il ne soit pas nécessaire de procéder à des modifications de la Constitution qui déboucheraient sur la création d'un organe central.
Le Bundesrat est un organe du Bund. Ses membres sont nommés par les parlements régionaux. La durée de leur mandat est comprise entre quatre et six ans. La Constitution de notre pays prévoit également que la présidence du Bundesrat change tous les six mois ; la rotation se fait par ordre alphabétique. Ainsi, c'est le Länd de Basse Autriche qui assure la présidence et c'est un représentant de Haute Autriche qui sera le prochain président. Les membres du Bundesrat bénéficient de l'immunité. Ils peuvent également intervenir contre toutes les lois adoptées par le Bund, à l'exception des lois budgétaires. Nous disposons donc d'un droit de veto. Lorsque nous l'utilisons, la première chambre doit se pencher à nouveau sur la question. Le Bundesrat ne peut cependant utiliser ce droit que contre l'ensemble des lois. Les décisions prises par le Conseil national ne sauraient être modifiées. Ainsi donc, le Bundesrat a une certaine influence sur la qualité de la législation et il doit contrôler le principe de subsidiarité.
Il va de soi que nous, parlementaires, sommes très préoccupés par la qualité de la législation. C'est pourquoi les présidents des trois fractions représentées au Bundesrat ont déposé une initiative au Conseil national - nous possédons ce droit d'initiative - dans le but de collaborer au processus législatif lors des négociations pour le Conseil national. Nous ne voulons donc pas intervenir lorsque la procédure est terminée au Conseil national mais bien dès le départ.
Le Bundesrat devrait avoir la possibilité de donner son avis et de le justifier. Avec le veto, lorsque la décision sera prise par le Conseil national, nous disposerons d'un instrument très important. Mais cela nécessite une modification de la Constitution et du règlement d'ordre intérieur du Conseil national. Pour le moment, des négociations ont lieu afin que ce point de vue soit pris en considération.
Monsieur le président, au début de la conférence, vous avez prononcé des paroles importantes. Nous nous trouvons dans un milieu de praticiens et nous vivons la situation que connaissent beaucoup d'autres sénats. En effet, personne ne veut un renforcement de la position de l'autre. Je crois que tous les groupes représentés au Bundesrat autrichien ont une tâche. Nous devons convaincre le gouvernement, indépendamment de sa composition, ainsi que les collègues de la première chambre. Il s'agit ici de la qualité de la législation. C'est une route longue et difficile et j'espère que lors d'une prochaine conférence, le représentant autrichien pourra signaler qu'une avancée importante a eu lieu.
M. le président. - Merci, monsieur le président Schöls, pour votre exposé, qui clarifie le rôle que doit jouer le Bundesrat pour veiller à ce que les Länder conservent leur autonomie.
J'ai, certes, compris que vous aviez le droit de veto par rapport aux législations votées par l'autre chambre, mais je n'ai pas compris si vous aviez ou non le droit d'amender directement vous-même les textes adoptés par l'autre chambre.
Par ailleurs, je m'inquiète quelque peu que votre présidence personnelle ne soit que de six mois, ce qui franchement rend votre situation fort peu confortable.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - Je tiens à remercier vivement le président De Decker de son invitation à participer à cette deuxième réunion de l'Association des sénats d'Europe.
Avant d'aborder le thème du débat proposé pour cette deuxième réunion, je souhaiterais formuler une petite remarque concernant les aspects affectant fortement notre liberté et la défense de nos valeurs fondamentales.
Le 31 mai de cette année, j'ai eu l'honneur de présider une délégation du Sénat espagnol rendant visite au Sénat de Belgique. Ce dernier a approuvé une très importante déclaration considérant que la violence et la terreur de l'État vont à l'encontre des valeurs politiques de l'Union européenne. Cette résolution, qui demandait d'ailleurs au gouvernement belge de persévérer dans la politique de condamnation et de refus de compromission avec les groupes extrémistes usant de la violence comme moyen politique, est pour nous transcendantal et exemplaire. Cette chambre a décidé cela bien avant le 11 septembre.
Monsieur le président, nous avons beaucoup apprécié cette attitude en Espagne et j'aimerais réitérer devant cette association mes profonds remerciements pour la sensibilité de la chambre que vous présidez face aux attaques terroristes en Espagne.
Nous pensons qu'il n'y a ni bons ni mauvais terroristes. Le terrorisme en tant que moyen d'obtention de résultats politiques est toujours condamnable. Vous l'avez proclamé de façon explicite et solennelle dans ce Sénat à l'initiative du sénateur Paul Galand du parti Écolo, et approuvé par 51 votes favorables et cinq abstentions. Je tiens à le souligner car cela a eu lieu bien avant que nous puissions imaginer l'horreur et la souffrance que des fanatiques allaient infliger à la Ville de New York et à celle de Washington.
Je ferai à présent quelques commentaires sur le sujet du débat proposé pour cette réunion. Selon notre Constitution, les cortes generales représentent le peuple espagnol et se composent du congrès des députés et du Sénat. En outre, elles exercent le pouvoir législatif de l'État, approuvent le budget et contrôlent le gouvernement.
Selon l'article 69, le Sénat est la chambre de représentation territoriale, mais il est aussi une chambre de nature parlementaire doté du pouvoir législatif. Bien que le Congrès des députés et le Sénat partagent le pouvoir législatif, ils le font dans des conditions différentes. Le Sénat est une seconde chambre. En tant que telle et conformément à notre Constitution, dès qu'une proposition ou un projet de loi a été approuvé par le Congrès, qui est la première chambre, son président - dans ce cas-ci, la présidente - doit en rendre compte au président du Sénat - dans ce cas-ci également une présidente - qui se charge de soumettre cette initiative à la délibération de la Chambre. La procédure législative au sein du Sénat suit un cheminement très similaire à celui de la Chambre, mais avec un certain nombre de particularités.
La première est la rigidité des délais. Selon notre Constitution, le délai maximum au Sénat est de deux mois pour exercer la fonction législative. Nous avons le droit d'amendement. Ce délai peut être réduit à 20 jours en cas d'application d'une procédure d'urgence. Ce délai est donc déterminé, et on ne peut nous accuser d'adapter le délai à la législation car le maximum est de deux mois et le minimum est de 20 jours.
La seconde caractéristique est ce que nous pourrions appeler la concordance et le consensus comme élément inspirateur. Je sais, chers collègues, que vous pensez que le consensus n'est pas toujours une garantie de qualité de la législation. C'est exact, mais il est aussi vrai que l'intervention du Sénat répond à la volonté de faire en sorte que le résultat final se rapproche le plus possible de l'unanimité. En ce sens, nous recherchons les terrains d'entente, spécialement par la présentation d'amendements de conciliation. Ces derniers doivent être signés par quatre groupes de la Chambre qui représentent au moins la majorité absolue. Tant en commission qu'en séance plénière, on recherche le consensus. Cette particularité nous conduit à une nouvelle caractéristique importante de la procédure législative au Sénat, à savoir l'intention d'amélioration technique de la législation.
Cette amélioration de la qualité constitue l'un des objectif des parlements, plus particulièrement des Sénats qui, en règle générale, examinent les textes législatifs en deuxième lieu, dans un contexte de moindre confrontation politique et en dehors de grand conflit médiatique. Le Sénat est davantage une chambre de réflexion.
En outre, le Sénat espagnol est conscient de la nécessité de rechercher des procédures parlementaires tendant à satisfaire aux exigences de qualité de la législation européenne. Il est donc indispensable d'encourager la mise en oeuvre d'instruments d'échange d'informations législatives entre nos parlements, cela par le biais des nouvelles technologies.
Traditionnellement, le système espagnol a toujours été un fidèle défenseur du bicaméralisme. Comme le Sénat belge, nous sommes des bicaméralistes traditionnels. Mais nous sommes la seconde chambre et cela ne réduit pas la fonction du Sénat dans le système constitutionnel espagnol parce que nous détenons nos propres pouvoirs. Le Sénat est la chambre de la représentation territoriale mais il intervient également dans la procédure législative.
L'avantage de diviser le législatif en deux chambres réside dans le fait que la seconde chambre peut jouer le rôle d'organe de réflexion et de perfectionnement des projets législatifs de la première.
Permettez-moi, chers collègues, de conclure cette intervention en louant l'initiative prise par le Sénat du Royaume de Belgique et par le président De Decker. En effet, cette réunion nous offre la possibilité d'affirmer l'importance de la deuxième chambre en Europe pour l'amélioration de la qualité des lois.
M. le président. - Je vous remercie, madame le présidente, pour cette communication. Je vous remercie également d'avoir eu la gentillesse de rappeler l'initiative qu'avait prise le Sénat belge, à travers son sénateur Paul Galand, de faire adopter, en mai dernier, une résolution condamnant le terrorisme en tant qu'action pseudo-politique.
La solidarité entre nos États à l'égard de pays qui, comme le vôtre, souffrent d'un terrorisme sauvage et aveugle - et j'allais ajouter criminel, voire imbécile - doit être totale. Les événements qui ont suivi démontrent encore plus combien cette solidarité doit être grande et absolue.
Lors de notre réunion de cet après-midi - lorsque chacun aura eu l'occasion d'intervenir sur le sujet que nous avons mis à l'ordre du jour - je vous propose que nous ayons un échange de vues sur cette matière essentielle de notre solidarité avec les pays qui subissent le terrorisme et de notre combat contre le terrorisme. Traditionnellement, nous parlons de sujets d'intérêt européen, en voilà un parmi d'autres que nous pourrions évoquer tout à l'heure.
Merci encore, madame Aguirre, pour votre exposé sur le rôle de votre Sénat qui est, dans votre pays, la chambre de représentation territoriale, dans le cadre de son rôle de chambre de réflexion et de perfectionnement de la législation.
Je vais maintenant donner la parole à notre président fondateur, M. Christian Poncelet, que je félicite tout d'abord pour sa réélection à la présidence du Sénat il y a quelques semaines. Nous sommes heureux de l'accueillir et de lui dire combien nous lui sommes reconnaissants d'avoir eu la bonne idée de nous « créer ».
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Monsieur le président, je voudrais tout d'abord vous remercier des propos aimables que vous avez prononcés à mon intention au moment de l'ouverture de nos travaux - j'y ai été sensible - et m'associer à la déclaration que vous venez de faire en écho à la déclaration de notre collègue et amie, Mme la présidente du Sénat d'Espagne, concernant le terrorisme. Je souscris totalement à ce que vous avez dit et je vous accompagne dans votre démarche.
Chers amis, madame la présidente, messieurs les présidents, d'emblée je voudrais vous dire, mes chers collègues, combien il m'est agréable de vous retrouver ici, à Bruxelles, pour cette nouvelle réunion de notre club, l'Association des sénats d'Europe qui est à présent une réalité.
Le mérite de ces sympathiques retrouvailles revient à notre ami Armand De Decker qui s'est courageusement porté volontaire pour assumer la relève de nos « réunions parisiennes » - il était nécessaire de nous décentraliser !
Qu'il soit chaleureusement remercié pour la qualité, l'efficacité et la générosité de son accueil.
Qu'il soit vivement félicité aussi pour la pertinence du thème inscrit à l'ordre du jour de cette deuxième réunion de notre association, à savoir les deuxièmes chambres, facteurs d'amélioration de la qualité de la législation. La pertinence de ce thème est évidente lorsque l'on se souvient que nos travaux, lors du Forum des sénats du monde que j'avais réuni à Paris le 14 mars 2000, avaient fait apparaître que l'un des traits principaux du patrimoine commun de nos deuxièmes chambres, au-delà de nos différences de nature, de configuration et de compétences, résidait précisément dans cet apport décisif à la qualité de la coproduction législative que constitue la garantie d'un double regard sur la loi. Ce que je viens d'entendre vient précisément le confirmer.
Une preuve a contrario de cette assertion nous est fournie par l'exemple des pays monocaméraux. En effet, pour retrouver cette fonction essentielle de cette nouvelle délibération dans le mécanisme de confection de la norme législative, ces démocraties unidimensionnelles n'hésitent pas à instaurer une navette entre deux commissions instituées en leur sein ou à obliger leur assemblée unique à délibérer, à nouveau, sur un texte au terme d'un certain délai de réflexion. On se rend compte qu'une deuxième analyse de la loi est nécessaire.
Enfin, une dernière preuve de la pertinence de notre thème d'aujourd'hui réside, si besoin en était, dans la vitalité du phénomène actuel de floraison de sénats à la surface du globe, dont le premier moteur est, sans conteste, pour les uns et pour les autres, la recherche d'une efficience législative accrue : mieux faire la loi.
C'est ainsi que tout récemment, le 7 novembre dernier, le président tunisien, M. Ben Ali, a annoncé la création d'une deuxième chambre dans son pays avec, pour seul motif, et je le cite, « l'enrichissement de la fonction législative et de la vie politique en général ». C'est certainement, et nous ne pouvons que nous en féliciter, l'amorce d'une démocratisation accrue.
Le décor étant planté, il m'appartient d'entrer dans le vif du sujet et de traiter de l'apport du Sénat français à l'amélioration de la qualité de la législation : comment opère-t-on chez nous ?
Certes, le souci de la qualité de la législation n'a pas joué un rôle déterminant dans l'instauration du bicamérisme en France, il y a plus de deux siècles.
Ce n'était pas la motivation essentielle. Il s'agissait avant tout, avec l'instauration d'une seconde chambre, de mettre un terme aux excès commis par une chambre unique, la Convention, qui avait fait régner la Terreur. Ce n'est qu'ensuite, mais très vite, que le bicamérisme est apparu comme un gage d'efficacité démocratique par, notamment, sa fonction d'amélioration de la production législative.
Il m'appartient donc de vous dire comment le Sénat de la République française, le Sénat d'aujourd'hui, le Sénat de l'an 2001, contribue effectivement et efficacement à l'amélioration de la législation française. Cet exercice sera facilité par le document sur la participation des chambres hautes à l'élaboration de la loi, réalisé dans la perspective de cette réunion par le service des affaires européennes du Sénat français. En effet, ce tableau comparatif des Sénats d'Europe souligne la place originale que tient le Sénat français dans la galaxie des secondes chambres. Il se situe entre, d'une part, le Sénat italien, élu au suffrage universel direct, qui détient des pouvoirs équivalents à la Chambre des députés, et, d'autre part, le Bundesrat allemand, représentant direct des Länder, qui dispose d'une compétence d'attribution.
La Constitution de 1958 assigne au Sénat une double mission spécifique : représenter les collectivités territoriales et représenter les Français à l'étranger, lesquels concourent bien souvent à un travail bénéfique pour l'économie française. Ces missions particulières constituent un double bonus constitutionnel qui se surajoute à la vocation première du Sénat, qui est celle d'une assemblée parlementaire à part entière. À ce titre, le Sénat apparaît comme un législateur de plein exercice et, plus encore, comme un bon serviteur de la loi.
Législateur de plein exercice, le Sénat dispose, à l'instar de l'Assemblée nationale, d'une compétence législative générale qui ne se limite pas aux questions des collectivités locales ni aux problèmes intéressant plus particulièrement les Français à l'étranger. Il est compétent pour tous les textes. Les pouvoirs du Sénat varient en fonction des différentes catégories de lois : lois constitutionnelles, lois organiques, lois ordinaires. Pour les lois constitutionnelles, c'est-à-dire les révisions des lois fondamentales, le Sénat est l'égal de l'Assemblée nationale. En effet, le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques avant d'être approuvé par référendum ou par le Parlement réuni en Congrès à Versailles. À cet égard, le Sénat fait un usage très raisonnable de son droit de veto. Il n'a en fait empêché qu'un seul projet de révision, en août 1984, sur l'extension du champ du référendum au domaine des libertés publiques car cette extension aurait eu pour conséquence indirecte de contourner le contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel. D'une manière générale, le Sénat a toujours cherché à maintenir le fil du dialogue avec l'Assemblée nationale, surtout pour les différentes révisions nécessitées par l'approfondissement de la construction européenne.
La construction européenne nous oblige à nous adapter et, par conséquent, à modifier certaines dispositions de la loi fondamentale.
En l'occurrence, c'est le Sénat qui a obtenu, en 1992, que soit introduite dans la Constitution la faculté, pour les deux assemblées, de voter des résolutions sur les projets ou propositions d'actes communautaires comportant des dispositions d'ordre législatif. C'est un exemple du bon usage de l'arme de dissuasion que représente le droit de veto du Sénat en matière constitutionnelle.
Enfin, il faut relever un point trop souvent ignoré : le Sénat a approuvé l'introduction dans la Constitution de la parité hommes-femmes dans la vie politique. À preuve, quoi que l'on ait pu dire ou écrire à ce sujet, le texte définitif de la révision résulte de la rédaction retenue par le Sénat en deuxième lecture. C'est le Sénat qui a modifié le texte initial, qui l'a amendé, complété. C'est ce texte qui a été soumis, en congrès, au parlement réuni à Versailles.
Pour les lois organiques, qui s'apparentent à des décrets d'application de la Constitution, le bicaméralisme est également mieux équilibré. Lorsque ces lois organiques ne concernent pas spécifiquement le Sénat, elles sont soumises à la procédure législative de droit commun, avec ses errements éventuels : la déclaration d'urgence, la réunion d'une commission mixte paritaire et, le cas échéant, le « dernier mot » de l'assemblée nationale. La commission mixte paritaire réunit, je le rappelle, sept sénateurs et sept députés, qui tentent de trouver un terrain d'entente pour la construction de la loi. Toutefois, en cas de désaccord entre les deux assemblées, le texte ne peut être adopté, en dernière lecture, par l'Assemblée nationale qu'à la majorité absolue de ses membres.
Le bicamérisme devient, en revanche, égalitaire pour « les lois organiques relatives au Sénat », qui doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées, sans possibilité de « dernier mot » de l'Assemblée nationale.
Pour les lois ordinaires, la Constitution loge l'Assemblée nationale et le Sénat à la même enseigne. C'est ainsi que l'article 34 de la loi fondamentale dispose, dans son premier alinéa, que « la loi est votée par le parlement », c'est-à-dire par l'Assemblée nationale et le Sénat, qui constituent les deux branches.
Bien plus, l'article 45 de la Constitution précise que « tout projet ou proposition de loi est examiné(e) successivement dans les deux assemblées du parlement en vue de l'adoption d'un texte identique. »
On peut déduire de cette rédaction que, pour le constituant de 1958, la poursuite de la navette - parfois longue - jusqu'à la réalisation d'un accord entre les deux assemblées représentait la procédure normale d'adoption de la loi.
En conséquence, la « procédure abrégée », avec la réunion, à la demande du gouvernement, d'une commission mixte paritaire et, en cas d'échec de cette commission, le dernier mot donné à l'Assemblée nationale, ne devait revêtir qu'un caractère exceptionnel.
Mais force est de constater que la pratique en a décidé autrement : l'exception est devenue plus fréquente, en raison de l'empressement des gouvernements, toutes tendances politiques confondues, à faire adopter leurs textes le plus rapidement possible. En définitive, le bicamérisme à la française est égalitaire... tant que le gouvernement n'en décide pas autrement.
Il ne faut toutefois pas exagérer cette tendance. En effet, les statistiques font apparaître que, sur tout le stock des lois, hors conventions internationales, adoptées depuis 1959, le dernier mot n'a été donné à l'Assemblée nationale que dans 13% des cas, pour un total de 2.800 lois. Le vote des lois par les deux assemblées demeure donc le principe et le « dernier mot », l'exception, en raison, bien sûr, de l'attitude raisonnable du législateur.
Sur une longue période, le bicamérisme à la française peut être raisonnablement qualifié de « bicamérisme équilibré » ou de « bicamérisme souple ».
Lors de leur examen par les assemblées, les textes sont discutés, article par article : chaque sénateur, au même titre que chaque député, peut présenter des amendements destinés à améliorer, compléter, voire à supprimer les dispositions du texte en discussion. Bon an, mal an, le Sénat examine chaque année plus de 5.000 amendements.
Le taux de reprise des amendements sénatoriaux par l'Assemblée nationale - et le gouvernement -, qui apparaît comme l'un des indicateurs principaux des apports du Sénat et de la bonne santé du bicamérisme, varie, selon les circonstances, entre 45% et 90%.
Les initiatives sénatoriales ne se limitent pas à l'amélioration ou à l'enrichissement des textes gouvernementaux, c'est-à-dire des projets de loi. Les sénateurs disposent, en outre, comme les députés, de l'initiative des lois, c'est-à-dire du pouvoir de déposer des propositions de loi. Cette faculté ne reste pas lettre morte et le Sénat en fait un usage régulier, surtout depuis l'instauration des séances mensuelles réservées au Parlement pour déposer ses propositions ou discuter de différentes questions. Ces séances sont appelées familièrement « fenêtres » ou « niches » parlementaires. C'est ainsi que l'on peut recenser 29 lois d'origine sénatoriale depuis 1995.
D'une manière générale, une loi sur dix a pour origine une proposition de loi sénatoriale.
Pour l'essentiel, les lois d'inspiration sénatoriale tentent de répondre aux préoccupations quotidiennes des Françaises et des Français dans des matières qui se heurtent aux résistances ou à l'inertie des ministères. Quelques exemples de lois sénatoriales illustrent cette assertion : l'introduction du bracelet électronique comme substitut aux courtes peines d'emprisonnement ou à la détention provisoire, l'organisation de la veille sanitaire en matière d'aliments, la prévention du phénomène sectaire, la légalisation des soins palliatifs, l'institution de la première prestation dépendance, la réforme de la prestation compensatoire en matière de divorce, la redéfinition de la responsabilité pénale des décideurs publics - les élus - ou privés, pour les délits non intentionnels...
Loin d'être conservateur, le Sénat joue bien souvent un rôle d'avant-garde, un rôle d'incubateur et d'accélérateur de réformes. D'une manière générale, et comme l'avait remarqué l'un de mes illustres prédécesseurs, Jules Ferry, le Sénat « n'est point l'ennemi des nouveautés généreuses, ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu'on les étudie mieux. »
C'est ainsi qu'à l'exception du PACS, auquel il préférait une légalisation du concubinage « tous azimuts », si j'ose dire, le Sénat a adopté toutes les grandes lois de société, celles qui précèdent ou accompagnent l'évolution des moeurs, comme le vote à 18 ans, la réforme du divorce, l'égalité des époux, l'interruption volontaire de grossesse, la contraception d'urgence, l'abolition de la peine de mort et la parité hommes-femmes en politique.
Le Sénat n'est donc pas une chambre d'opposition systématique : il apporte une contribution positive à la confection de la loi. Législateur de plein exercice et assemblée parlementaire à part entière, le Sénat est également un bon serviteur de la loi.
Au-delà des clichés que véhiculent parfois certains médias, le Sénat jouit en effet d'une image positive d'orfèvre législatif. Plusieurs facteurs expliquent cette réputation que je qualifierai de justifiée.
En premier lieu la proximité des sénateurs qui, élus au suffrage universel indirect par les élus locaux - les maires, les conseillers municipaux, les députés, les conseillers généraux et les conseillers régionaux -, sont au plus près des réalités de la vie locale et entretiennent une certaine distanciation par rapport aux circonstances et aux contingences politiques du moment.
C'est si vrai que, chez nous, un candidat au Sénat ne peut pas être, comme on le dit couramment, parachuté, désigné dans un département par les formations politiques. Il faut qu'il soit enraciné dans le terroir, qu'il connaisse les gens du terroir pour pouvoir appréhender leurs difficultés, leur situation et bien légiférer. Ce n'est pas le cas pour les députés.
Proche des réalités mais éloigné de l'écume des jours, le Sénat est une assemblée permanente qui dispose de la stabilité, gage de sérénité. Le Sénat français exerce à l'évidence une fonction modératrice inscrite dans la durée.
En second lieu, le travail en commission qui, davantage qu'à l'Assemblée nationale, représente chez nous un élément constitutif de la culture institutionnelle du Sénat. Chaque texte fait l'objet, en commission, d'un examen particulièrement minutieux, souvent précédé d'auditions diverses et de multiples investigations.
Bien faire la loi, c'est aussi la rendre plus intelligible et plus accessible à nos concitoyens qui sont censés ne pas l'ignorer. Telle est la raison pour laquelle le Sénat s'est investi, avec une foi de bénédictin, dans le processus de codification de nos lois.
Bien faire la loi, la rendre accessible mais aussi veiller à son application. À cet égard, le Sénat assure un suivi attentif des lois en surveillant avec vigilance la sortie des décrets d'application qui pourraient éventuellement déformer l'intention initiale.
Bien faire la loi, la rendre accessible, veiller à son application mais, enfin et surtout, évaluer ses effets. Pour ne pas lasser votre attention, je ne développerai pas ces trois points. Je répondrai aux questions qui pourraient éventuellement être posées à ce sujet.
Telle est, monsieur le président, mes chers collègues, mes chers amis, ma modeste contribution au thème qui nous réunit fort opportunément aujourd'hui. Il faut discuter de ces sujets, surtout si, comme cela commence maintenant à être admis, il faudra, un jour ou l'autre, envisager la construction d'un Sénat européen.
À l'évidence, la loi est un acte trop important pour être confié à une seule assemblée. Mais une bonne loi, c'est aussi un texte qui prend en compte les aspirations réelles de la société. Pour ce faire, il est nécessaire de mieux connaître ces aspirations car les citoyens doivent se reconnaître dans l'oeuvre législative de leurs représentants.
Le Parlement peut y parvenir avec un recours croissant aux nouvelles technologies de l'information qui permettra, en multipliant les contacts entre les citoyens et leurs représentants, d'instiller une dose de démocratie participative.
Cette démarche est importante car je dirai, en forme de conclusion et en paraphrasant Jean-Jacques Rousseau, que « si vous voulez que les lois demeurent, dans l'esprit de tous, la première des normes créatrices de l'État de droit, faites qu'on les aime. »
M. le président. - Je vous remercie, monsieur le président Poncelet, de cette profession de foi bicamériste qui vous caractérise. Je vous remercie également d'avoir souligné que le bicaméralisme se portait bien dans le monde. Le nombre de parlements bicaméraux ne cesse d'augmenter. Ils étaient une quarantaine à la fin des années 70, alors qu'on dénombre aujourd'hui plus de 70 sénats. Vous nous apprenez que la Tunisie est sur le point de se doter d'une deuxième chambre, ce qui souligne sa volonté d'une plus grande démocratisation de son système. Vous avez dit tout à l'heure que le Pérou et l'Ukraine envisageaient aussi d'instaurer une seconde chambre. Il importe de le rappeler et de le souligner.
Je tiens également à vous remercier pour le remarquable document que le services des Affaires européennes du Sénat français a établi sur la participation des chambres hautes à l'élaboration de la loi. Ce document de travail, qui explique le rôle des hautes assemblées dans tous nos pays, sera particulièrement utile à chacun d'entre nous et à chacun de nos parlements.
Je vous remercie enfin d'avoir rappelé le rôle essentiel que le Sénat français a joué dans l'élaboration d'un certain nombre de grandes législations. J'ai été frappé par le fait que le Sénat belge avait très souvent eu une attitude semblable. Dans notre pays, les grandes législations en matière de filiation, d'adoption, de divorce, de dépénalisation de l'avortement et, plus récemment, les législations relatives aux soins palliatifs, à l'euthanasie, au droit d'asile et à l'égalité entre hommes et femmes ont, à chaque fois, été des textes d'initiative sénatoriale. À chaque fois, le débat a été ouvert à l'initiative de sénateurs. Cet apport de nos assemblées mérite d'être souligné.
M. Lamberto Dini, vice-président du Sénat italien. - J'ai trouvé le document de travail préparé par le Sénat de la République française extrêmement utile pour cette rencontre parce qu'il contient un synopsis de la participation des Chambres hautes (Sénats) des treize pays membres de notre Association au processus législatif.
Ce document explique qu'en Italie - comme par ailleurs en Roumanie et en Suisse - les deux Chambres ont exactement les mêmes pouvoirs en ce sens qu'elles ont toutes les deux le droit de déposer et d'amender des « propositions de loi » et qu'aucun texte ne peut devenir loi s'il n'est pas adopté par les deux Assemblées.
Je ne m'arrêterai donc pas sur cet aspect, mais seulement sur l'action entreprise dans mon pays au cours de la dernière décennie pour améliorer la qualité de la législation, sur la base de l'impulsion qu'a donnée l'OCDE comme partie au débat sur l'excès de légifération dans les sociétés avancées, sur la déréglementation et sur les privatisations.
Auparavant, en Italie, le problème de la qualité de la législation en tant que tel n'avait pas de portée politique ni juridique, si bien que l'Italie était considérée - et je crois avec raison - un pays avec un excès de légifération. L'historien Paul Ginsborg, en exagérant, avait écrit : « L'Italie est piégée par 100.000 à 150.000 lois ». Néanmoins jusqu'à époque très récente le Parlement italien a continué de légiférer même dans des matières ou d'autres pays auraient eu recours à des normes relevant du domaine réglementaire.
À partir de la seconde moitié des années 90, l'Italie a entrepris une série d'initiatives parlementaires de réforme et de simplification du système normatif. L'OCDE même a reconnu dans son rapport « La réforme de la réglementation en Italie », publié en avril 2001, que l'Italie « Tout en partant en retard par rapport à nombre d'autres pays, a consacré les années 90 pour se « mettre au pas » des pays de la zone OCDE les plus avancés dans le domaine des réformes économiques et institutionnelles ». Ce rapport dit en outre que « La portée, la vitesse et l'importance des réformes structurelles menées par les différents Gouvernements ont été vraiment remarquables. Aujourd'hui l'Italie continue d'évoluer plus rapidement que nombre de pays pour compléter son programme de réforme ».
Mais quelles sont concrètement les démarches entreprises dans le cadre du processus de réforme de la réglementation (lié aux processus parallèles de déréglementation et de privatisation) pour améliorer la qualité de la législation ?
L'Italie a agi dans des domaines divers et avec des instruments divers. J'évoquerai à ce sujet :
L'instrument caractéristique de nombreuses interventions a été la délégation législative au Gouvernement utilisée au cours de ces dernières années avec une intensité et une ampleur sans précédent au point que dans la dernières législature (1996-2001) le nombre des décrets législatifs (adoptés à la suite d'une délégation au Gouvernement) a été presque égal à celui des lois.
Le transfert de fonction normative du Parlement au Gouvernement est une donnée commune à la majeure partie des pays OCDE.
Dans ce contexte, pourtant, le Rapport de l'OCDE souligne que « plus que dans la plupart des pays OCDE, en Italie le Parlement a joué un rôle actif dans la politique de réforme de la réglementation qu'a engagée le Gouvernement ».
Le Sénat italien n'exerce pas une fonction spécifique concernant la qualité de la législation, mais il contribue à remplir cette tâche avec la Chambre des députés et avec le Gouvernement. Je souligne qu'en Italie le Gouvernement joue un rôle important en matière d'initiative des lois dans le cadre de l'exercice de la fonction législative normale.
Mais c'est plus précisément dans le cadre des réformes législatives dans la seconde partie des années 90 que l'orientation et les directives exprimées par le Gouvernement ont eu leur importance spécifique.
Le Règlement du Sénat, qui régit l'exercice de la fonction législative, ne fait pas explicitement référence au thème de la qualité de la législation. Cependant cet objectif est poursuivi par le Sénat à travers deux instruments.
Les présidents de la Chambre des députés et du Sénat ont édicté :
En conclusion, le schéma logique sous-jacent à la réforme de l'Administration du Sénat dessine un scénario qui complète les nouveaux instruments et les procédures prévues pour la qualité de la législation, tout au long du parcours qui depuis la phase de proposition (définition et énonciation des objectifs, choix des instruments - AIR et ATN) conduit à l'élaboration du texte et ensuite à la vérification des résultats obtenus (Observatoire).
Je dois souligner que les termes et les formes dans lesquels cette réforme sera concrètement appliquée sont encore en voie de définition.
Par conséquent, les travaux pour l'utilisation de nouveaux instruments sont en cours. Dans le droit fil de ce qui se fait dans d'autres pays, ceux-ci entraîneront sans aucun doute une amélioration de la qualité de la législation italienne.
Je suis certain que la confrontation d'aujourd'hui sur les mesures mises en oeuvre par les Sénats dans d'autres pays membres de notre Association se traduira par un enrichissement pour tous et pour chacun de nous.
M. le président. - Il est intéressant d'entendre comment l'Italie entend améliorer la qualité de la législation et codifier l'ensemble des lois. Tous nos pays sont confrontés à des problèmes similaires.
Au Sénat belge, grâce à notre service d'évaluation de la législation, nous espérons être capables, dès que possible, de proposer la suppression de lois désuètes, obsolètes, dépassées. Il s'agit évidemment d'un travail de très longue haleine qui requiert des analyses poussées. Il est d'autant plus complexe qu'il est effectué « à l'envers ». Néanmoins, nous aurons aussi besoin du soutien de la Chambre des députés et du gouvernement. Une coordination est nécessaire si nous voulons « délégiférer ». Votre intervention était bien entendu fort intéressante à cet égard ainsi qu'au sujet du code des présidents d'assemblée. Cela me donne des idées...
Mme Jolanta Danielak, vice-présidente du Sénat polonais. - Il m'est très agréable de vous parler du rôle du Sénat de la Pologne dans la création du droit de mon pays. Dans certains pays comme la Pologne, on relance le débat sur le sens du fonctionnement du Sénat en tant que seconde chambre du parlement et sur l'opportunité de maintenir deux échelons parlementaires. Pourtant, en Pologne, le Sénat s'est révélé être une institution nécessaire. Il a démontré son caractère indispensable dans le processus législatif.
Le Sénat veille à la qualité du droit, corrige les erreurs législatives et permet un examen en profondeur, sans émotion, des points positifs et négatifs des lois. Tous les reproches que l'on adresse à une seconde chambre sont habituellement de nature politique. Peu de remarques substantielles sont formulées et elles ne sont pas trop importantes car il est difficile de contester les faits qui justifient nettement l'existence du Sénat. Les adversaires de la seconde chambre présentent aussi des arguments de nature financière mais les coûts d'entretien du Sénat, comparés à ceux des dommages causés par une absence du Sénat dans le processus législatif, si l'on adoptait des lois sans correction, sont incontestablement inférieurs.
J'essaierai donc de vous exposer cette thèse en me basant sur l'exemple du Sénat de Pologne. Celui-ci est fier de sa tradition de six cents ans. Cependant, il a été supprimé après la Seconde Guerre mondiale pour être rétabli en 1989, au début de la transformation du système politique. Les raisons de cette restauration ont été en partie politiques. Il s'agissait de procéder à des élections libres au moins dans une chambre car, à l'issue des accords de la table ronde, 65% des mandats à la Diète ont été préalablement réservés aux représentants du pouvoir de l'époque. La restauration du Sénat était également due à des raisons substantielles. Il fallait mettre en place des mécanismes qui permettraient de créer un droit meilleur en remplaçant le parlement monocaméral par un parlement bicaméral. On a alors décidé de confier au Sénat des attributions assez modestes répondant au concept de « chambre de réflexion ». Malgré cela, le Sénat a prouvé que son rôle dépassait largement le modèle du Sénat gardien du bon droit.
Les plus importantes compétences du Sénat portaient sur sa participation législative et consistaient à lui donner le droit d'initiative en cette matière et celui d'approuver, de modifier ou de rejeter les lois votées par le Sejm. Ce dernier pouvait cependant rejeter l'avis du Sénat à la majorité de deux tiers des voix et en présence d'au moins la moitié du nombre statutaire de députés.
À l'heure actuelle, le Sejm peut rejeter la position du Sénat à la majorité absolue des voix et en présence d'au moins la moitié du nombre statutaire de députés. En 1997, une nouvelle Constitution a été adoptée en Pologne et la place du Sénat a été maintenue dans le système.
Dans l'État juridique actuel, ses attributions sont, entre autres, les suivantes : le droit à l'initiative législative, son accord sur la convocation par le Sejm du président de la Chambre suprême de contrôle et du médiateur, c'est-à-dire de l'ombudsman, l'influence sur une série de décisions personnelles relatives aux fonctions importantes dans l'État, l'examen des informations venant du tribunal constitutionnel sur les problèmes importants résultant de l'activité de ce tribunal et de sa jurisprudence et, enfin, l'examen des rapports annuels du Conseil national de la radio-télévision et du médiateur en ce qui concerne l'activité de ces organes. Le Sénat donne aussi son accord sur la ratification des accords internationaux importants et peut aussi lever l'immunité des sénateurs et prendre des résolutions.
Le Sénat exerce la majorité de ses compétences avec le Sejm et le président de la République et constitue donc un élément très important du pouvoir législatif en Pologne. Le fait que la participation au processus législatif soit le devoir fondamental du Sénat est particulièrement important dans des pays qui, comme la Pologne, procèdent à la transformation de leur système par méthode évolutive. Si nous ajoutons à cela les aspirations de la Pologne relatives à l'arène internationale et sur tous les processus de négociations à l'adhésion à l'Union européenne, ce qui est lié au changement radical du droit dans tous les domaines de la vie, nous obtenons l'image complète des devoirs que le Sénat doit effectuer. Aujourd'hui, de nombreux objectifs législatifs qui se sont présentés vers 1989 sont déjà atteints. Mais un nombre considérable d'actes juridiques doivent encore être adoptés.
Permettez-moi de vous donner quelques chiffres. Au cours des quatre législatures du Sénat - et depuis peu, nous sommes dans la cinquième - le parlement a examiné plus de 1.000 lois : 250 durant la première législature, plus de 100 pendant la deuxième, presque 500 au cours de la troisième et plus de 650 durant la quatrième. Tous ces textes sont passés par les deux chambres du parlement. Mais le Sénat n'intervient dans le processus législatif qu'après la clôture des travaux sur les lois au Sejm. Il peut lui-même initier la procédure législative, ce qui renforce certainement son rôle dans les activités entreprises pour l'amélioration de l'État de droit qu'est la Pologne.
Les projets de loi présentés par le Sénat sont examinés sur motion de la commission du Sénat ou de dix sénateurs.
Une motion est déposée par requête orale au maréchal du Sénat. Elle est examinée en trois lectures. Il importe de souligner que le rapport de la commission, qui constitue la base de la deuxième lecture, contient les informations relatives à la conformité du projet de loi avec le droit communautaire.
En pratique, il est rare que la Sénat profite de son droit d'initiative législative. Jusqu'à présent, il a déposé plus de 70 projets de lois. Il faut cependant souligner que certains projets émanant du Sénat sont devenus les bornes milliaires du processus de transformation. Ce phénomène est illustré en Pologne par le projet de loi élaboré en 1990 par le Sénat restituant les pouvoirs locaux aux communes.
La forme la plus fréquente de l'ingérence du Sénat dans la mise en oeuvre de la loi réside dans le dépôt d'amendements qui ne se limitent pas à de menues corrections. Souvent, ils changent en profondeur le texte proposé par le Sejm.
Si, lors des travaux de mise en oeuvre de la loi, la commission du Sénat estime devoir introduire des changements législatifs dépassant la portée de la loi examinée, elle peut déposer une motion à cet effet.
En pratique, le Sénat profite souvent de la possibilité de présenter des amendements aux lois votées par le Sejm. Près de la moitié des lois - durant la quatrième législature, ce taux a même atteint 56% - sont renvoyées au Sejm avec des amendements.
Le nombre de lois amendées par le Sénat et rejetées dans leur entièreté par le Sejm est minime. En revanche, le nombre d'amendements déposés par le Sénat et retenus par le Sejm est en constante augmentation. Durant la dernière législature, plus de 70% des amendements déposés ont été adoptés. Cela témoigne de la grande qualité du travail du Sénat, de ses compétences et de la force substantielle de ses arguments.
En dehors de la possibilité d'introduire des amendements aux lois votées par le Sejm, le Sénat a aussi le droit de rejeter ces lois dans leur ensemble, mais il n'a que très rarement recours à cette possibilité. Cela ne s'est passé qu'une trentaine de fois durant la dernière législature.
Les données statistiques que je viens d'évoquer ne reflètent pas totalement l'image concrète du rôle du Sénat en tant qu'organe veillant à la qualité du droit normatif.
Il ne faut pas oublier que bon nombre de lois sont adoptées dans la hâte, sous la pression de la société qui attend une solution rapide aux problèmes concrets grâce à l'adoption d'une nouvelle loi ou aux amendements de lois existantes.
On peut donner beaucoup d'exemples de lois contenant des erreurs irréparables qui auraient été adoptées sans la participation du Sénat.
C'était le cas de la loi qui règle le principe de taxation, à laquelle le Sénat a ajouté la possibilité de déduire du brut imposable - de l'assiette de taxation - les dépenses relatives à l'éducation des enfants et, par exemple, de la loi amendant le code de travail, qui égalise la situation juridique des femmes et des hommes élevant leurs enfants jusqu'à l'âge de quatre ans.
Il importe d'ajouter que parfois le Sejm adopte une loi tout en prévoyant que le Sénat y introduira des amendements. Cette façon de procéder doit accélérer le travail législatif, surtout pour les lois qui suscitent de grandes différences d'opinion au sein du Sejm, comme la loi sur la nouvelle division administrative de la Pologne.
Pour clore cette revue des possibilités législatives du Sénat, il faut mentionner que le Sénat intervient également dans le changement éventuel de la Constitution. Si le Sejm adopte une loi qui modifie la Constitution, c'est le Sénat qui l'examine et l'adopte à la majorité absolue des voix, en présence d'au moins la moitié du nombre de sénateurs statutaires.
Mesdames et messieurs, le travail actuel du Sénat de Pologne m'autorise à constater que la seconde Chambre a une place importante dans chaque démocratie mûre. Le Sénat de Pologne joue bien son rôle. Il augmente la confiance de la société dans le droit de vote et garantit un processus législatif rigoureux. Il participe d'ailleurs activement à ce processus, ce qui est le plus important, et tente d'agir afin que les décisions soient aussi peu que possible « inspirées » par les partis politiques.
Le Sénat de Pologne suit toujours la raison d'État, le bien des citoyens et sa propre conviction élaborée sur base d'études substantielles des matières concernées. Il existe au Sénat un fort sentiment d'autonomie vis-à-vis du Sejm, ce qui génère des conséquences positives. La seconde Chambre devrait s'efforcer de conserver son indépendance, de ne pas céder aux pressions du gouvernement, ni de la Chambre des députés. C'est ainsi qu'elle obtiendra la reconnaissance des autres organes de l'État et le soutien de l'opinion publique.
M. le président. - Je vous remercie, madame la vice-maréchale, de votre exposé qui montre combien les pays qui ont retrouvé le chemin de la démocratie ont été attentifs à améliorer très rapidement leur système institutionnel et la procédure législative par l'instauration d'une seconde chambre, d'un Sénat, qui, par exemple, chez vous, joue déjà, après dix ans, un rôle tout à fait fondamental. Je pense que vous avez bien raison d'insister sur la nécessité pour les seconde chambres de veiller à leur indépendance, tant vis-à-vis de l'autre chambre que du gouvernement.
M. Paul Pacuraru, vice-président du Sénat roumain. - Chers collègues, je me limiterai à vous présenter une synthèse de la situation en Roumanie car les systèmes parlementaires des différents pays ont déjà été largement décrits.
En Roumanie, nous avons deux chambres, la Chambre des députés et le Sénat, ou Chambre supérieure. Il s'agit d'un système classique intégral, sans différence quant aux attributions des deux chambres. Cette organisation s'explique tout d'abord par la tradition politique puisque la Roumanie fonctionne sur la base du bicaméralisme depuis 1864. Nous sommes d'avis qu'il convient de disposer d'un filtre législatif entre les deux chambres. Par ailleurs, la volonté d'offrir aux groupes politiques des deux chambres la perspective d'un contrepoids destiné à corriger leurs points de vues respectifs sur divers projets de loi a été un autre argument en faveur du système bicaméral. Enfin, il fallait oublier le système monocaméral instauré par le Parti communiste, dans lequel la grande Assemblée nationale était purement décorative.
La Roumanie compte 140 sénateurs et 330 députés, élus dans les mêmes circonscriptions électorales mais par un nombre différent d'électeurs. Leurs compétences sont identiques. En ce qui concerne la procédure législative, chaque Chambre peut refuser d'adopter un projet de loi. Un projet est définitivement abandonné à la suite de deux rejets par une Chambre. Il existe aussi un système de médiation entre les deux chambres, les textes litigieux étant soumis à une commission de médiation, composée de sept sénateurs et de sept députés et chargée d'aboutir à un texte commun.
En ce qui concerne la qualité de la législation, l'option choisie par la Roumanie a été similaire à celle prise par la Pologne et par bon nombre d'autres pays, de l'Est surtout, car il était nécessaire de transformer de manière radicale le droit ainsi que l'organisation sociale et institutionnelle. Les besoins législatifs étaient immenses, ce qui explique le nombre considérable d'actes normatifs - plus de 1600 - approuvés par les deux Chambres au cours des onze dernières années. Cela soulève évidemment la question de la fiabilité des lois et de la qualité des actes normatifs. À cet égard, je vous exposerai les difficultés auxquelles nous sommes actuellement confrontés.
La première découle des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. En Roumanie, l'initiative législative appartient principalement, comme dans beaucoup d'autres pays, au gouvernement.
Il existe aussi une réglementation constitutionnelle en ce qui concerne la délégation législative. Tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, prennent dès lors de trop nombreuses ordonnances d'urgence, débattues ensuite dans les deux Chambres. Cela pose problème, parce que des projets émanant du gouvernement ne sont, en effet, pas toujours de bonne qualité. Il me faut donc évoquer la bureaucratie ministérielle ainsi que l'appareil même de l'administration, lequel ne trouve pas toujours les solutions et les formulations les meilleures. Lorsque le nombre de textes est très élevé, ce problème occasionne des difficultés supplémentaires, sur le plan de l'évaluation et des corrections éventuelles à apporter.
Un autre aspect influence la qualité de la législation : les sénateurs et les députés eux-mêmes. Notre système électoral repose sur l'existence de listes, accessibles aux « fidèles » de chaque parti, mais qui ne sont pas pour autant les meilleurs spécialistes... De ce fait, le parlement n'est pas toujours vu d'un très bon oeil par la population. En dix ans, nous avons beaucoup évolué, mais le système des listes électorales n'est pas très favorable pour la qualité et l'engagement des parlementaires dans leurs travaux.
Nous sommes également confrontés à un problème de procédure interne. Les sénateurs et les députés ont le droit d'introduire des amendements aux projets de loi, mais ce droit est limité dans le cadre du débat final, qui se déroule en séance plénière. L'efficacité du processus législatif s'en trouve accrue, puisqu'un grand nombre de projets peuvent ainsi être examinés à chaque séance mais au détriment, toutefois, de la qualité. Comme vous l'avez vous-même souligné, monsieur le président, l'activité législative ne peut être évaluée en terme de production mais, plutôt et surtout, en terme de qualité.
Cela signifie qu'une meilleure formulation, une meilleure solution, ne peuvent être introduites dans un texte de loi si le parlementaire en question n'a pas pu participer à la commission ad hoc, les amendements ne pouvant être déposés qu'en commission. Dans les faits, le nombre d'actes normatifs soumis au Sénat est très important. Il n'est dès lors pas toujours possible, matériellement, de lire et d'amender les textes. Or, en séance plénière, non seulement on se limite au débat général, mais seuls les sénateurs dont des amendements ont été rejetés en commission peuvent défendre les modifications qu'ils proposent.
Je voudrais attirer votre attention sur une autre question d'organisation interne. Nous, sénateurs, sommes - il faut bien le reconnaître - dépendants de l'appareil technique de la Chambre. Cet appareil - tant pour la Chambre que pour le Sénat - est difficile à former, car il requiert des capacités d'expertise, juridiques, organisationnelles, institutionnelles, linguistiques. Nous avons encore certains problèmes en la matière.
Le débat d'aujourd'hui est très important pour nous. En effet, le Sénat roumain réclame une importante réforme organisationnelle et administrative. Or, l'expérience italienne nous semble séduisante. En outre, nous envisageons actuellement la création d'une commission constitutionnelle au niveau des deux Chambres, afin d'adapter notre Constitution. En effet, en l'espace de dix ans, les transformations sociales et institutionnelles ont été très importantes dans la société roumaine.
La question du bicaméralisme s'inscrit dans cette réflexion globale. Ce système fait l'objet de critiques dont certaines ont aussi été formulées ici : lenteur, complications diverses, etc.
Personnellement, je suis un supporter du bicaméralisme, mais je pense que les deux Chambres doivent avoir des compétences différentes, ce qui permet d'éviter certains inconvénients. L'expérience des parlements basés sur des attributions différentes aux deux Chambres nous sera sans doute utile. Je pense que nous discuterons en profondeur de ces questions très importantes au cours de l'année prochaine.
M. le président. - Je vous remercie, monsieur le vice-président, pour cette intervention qui a abordé de nombreux sujets, notamment celui de la qualité des projets de loi. Nos parlements font souvent l'objet de critiques, mais on parle fort peu de l'autocritique dont devraient parfois faire preuve les gouvernements. Or, la qualité des projets de loi déposés est souvent discutable et c'est donc à ce stade que l'on constate déjà une dérive en termes de qualité législative. Les ministres appuient des textes qui ont souvent été rédigés par de très jeunes collaborateurs relativement peu expérimentés. Je le sais pour en avoir été un et cet exercice m'a appris beaucoup, mais c'était parfois un peu inquiétant.
Par ailleurs, vous avez évoqué la question du type d'élus et vous avez regretté que vos élections par listes conduisent au parlement les plus fidèles membres du parti, mais pas toujours les plus performants. C'est toute la question de la particratie. On pourrait réfléchir à la manière dont nos Sénats sont constitués. Par exemple, la procédure française d'élection indirecte réduit, me semble-t-il, l'influence de la particratie et renforce le poids des élus eux-mêmes. Je suppose que l'on ne traverse pas très facilement ce parcours de candidature au Sénat français ; il faut un réel soutien.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Mais nous sommes également confrontés à la présentation par listes qui conduit au défaut souligné par notre collègue roumain. Ce sont les organes qui imposent et le peuple souverain n'a guère de possibilités de choix. Le scrutin majoritaire à deux tours me semble préférable puisque chacun peut tenter sa chance.
M. le président. - Vous avez également évoqué mes propos de tout à l'heure, à savoir que la loi n'est pas un produit industriel. J'ajouterai même que la loi ne peut pas être non plus un moyen de communication. On a parfois le sentiment que les groupes ou partis politiques, ou les ministres, considèrent le dépôt d'une proposition de loi comme une façon de communiquer et comme si ajouter des lois aux lois était par définition positif, ce qui n'est absolument pas démontré. Cela mérite aussi une réflexion.
Quant à la lenteur du bicaméralisme, c'est un sujet important. En Belgique, par exemple, on constate que c'est rarement le Sénat qui est à l'origine de la lenteur de l'adoption d'une loi. La plus grande lenteur dans le processus d'élaboration de la loi se situe au sein du gouvernement. Dans un gouvernement de coalition, en effet, il faut d'abord mettre les partenaires d'accord avant de pouvoir consulter le Conseil d'État, ce qui est obligatoire. Après cela, le texte revient au gouvernement où il fait à nouveau l'objet d'amendements. Il part ensuite au Parlement. Quand il quitte la Chambre et arrive au Sénat, le Sénat dispose d'un délai relativement court pour l'examiner, soit deux mois, et c'est très rarement le Sénat qui est à l'origine de la lenteur législative. C'est un argument fallacieux, quand on critique les Sénats, d'utiliser, à mon sens, celui de la lenteur du bicaméralisme.
Enfin, vous avez évoqué la question de la spécialisation des Chambres. On pourrait peut-être en débattre entre nous tout à l'heure. Nous avons connu, jusqu'en 1993, le système italien : les deux Chambres avaient exactement les mêmes compétences. Mais on a spécialisé quelque peu les Chambres et je pense que cette décision est bonne. Est-il vraiment indispensable, par exemple, de soumettre les budgets à deux assemblées ? Il faut réfléchir à cette question, comme à d'autres sujets fort importants et fort intéressants.
M. Tone Hrovat, président du Conseil national de Slovénie. - Je voudrais tout d'abord vous dire que cette association des Sénats d'Europe, créée à l'initiative de Monsieur Poncelet, me réjouit. Nous disposons ainsi d'une amorce pour approfondir le bicaméralisme et garantir un niveau plus élevé de démocratie. Je remercie Monsieur De Decker de l'accueil très chaleureux qu'il nous a réservé à Bruxelles, capitale belge et européenne.
La réunion d'aujourd'hui est particulièrement importante pour les pays qui ne jouissent de la démocratie que depuis peu de temps mais qui, en même temps, se préparent à l'adhésion à l'Union européenne.
Madame la vice-présidente du Sénat polonais a dit que les Sénats sont surtout mis en cause pour des raisons politiques. Je dirais, quant à moi, que les raisons sont aussi pragmatiques. Le gouvernement est très efficace si les ministres sont très compétents, si la coalition est bonne et si la deuxième chambre est absente. Dans ce cas, toutefois, la démocratie est, elle aussi, absente.
Parmi les pays qui ne jouissent de la démocratie que depuis peu de temps, comme la Slovénie, il est très important de percevoir ici un signe de la nécessité d'un renforcement ultérieur de la démocratie, d'un approfondissement ultérieur du bicaméralisme, de la possibilité de soumettre la législation à un second point de vue et d'y apporter des corrections.
Je voudrais maintenant vous présenter le fonctionnement de la Chambre haute du Parlement slovène et du Conseil national qui n'a qu'une tradition récente. Il n'existe, en effet, que depuis dix ans.
Je voudrais évoquer quelques problèmes concernant son fonctionnement mais aussi le fonctionnement du Conseil national, en cette période au cours de laquelle il faut adopter la législation rapidement, en vue d'adhérer à l'Union européenne. Ces modifications exigent, non seulement des modifications de la législation, mais aussi une révision de la Constitution, ce qui peut constituer un écueil. On pourrait, en vue d'arriver à former un gouvernement plus pragmatique, nous débarrasser de certains éléments qui ne garantissent pas un niveau plus élevé de démocratie.
Étant donné que nous vous avons soumis un document exhaustif au sujet de notre système, je me contenterai d'attirer votre attention sur certains points. La Constitution de la République de Slovénie définit le pouvoir législatif avec deux Chambres : l'Assemblée nationale et la Chambre haute, le Conseil national. L'Assemblée nationale est l'assemblée des députés qui sont élus par listes et qui ont un mandat de quatre ans. Le Conseil national, en revanche, est élu selon des groupes d'intérêt, et ses représentants ont un mandat de cinq ans. L'Assemblée nationale représente donc les individus, les citoyens. Par contre, le Conseil national représente le vie intégrale dans l'espace slovène.
Le Conseil national peut, selon l'article 97 de la Constitution, proposer à l'Assemblée nationale des initiatives de loi. Il peut donc exiger que l'Assemblée nationale délibère à nouveau avant d'adopter des lois définitivement. Il peut exiger de l'Assemblée nationale l'organisation d'un référendum sur les questions qui sont réglementées par la loi. Il peut exiger également d'ordonner l'instruction des affaires à caractère public et aussi l'adoption d'une explication obligatoire de la loi. L'initiative législative du Conseil national veut d'abord corriger la législation existante mais aussi contribuer à un meilleur fonctionnement.
La majorité des lois présentées devant le Conseil d'État, retenues au niveau de la procédure législative, sont bloquées parce que le débat sur une loi ne peut être entamé tant que l'examen du texte précédent n'est pas terminé. C'est un des problèmes de notre système. Quand le texte passe dans l'autre assemblée, les députés peuvent continuer à bloquer les initiatives provenant du Sénat.
Le Conseil national émet aussi des avis qui sont ensuite soumis à l'Assemblée nationale mais il a pour vocation de défendre les intérêts de tous les groupes représentés.
Malgré les débats portant des lois et autres actes normatifs, on informe aussi les commissions du Conseil national. Le Conseil et ses organes collaborent avec les organes de travail de l'assemblée. Cette collaboration est très efficace lors de l'adoption de la législation. L'article sur le veto suspensif est très important. Ce veto relève de la compétence du Conseil national et est défini dans la Constitution.
Le Conseil national dispose d'un délai de sept jours pour demander à l'assemblée une dernière délibération de la loi avant sa promulgation. Il a utilisé cette compétence à quarante reprises environ. Dans la plupart des cas, après délibération à l'Assemblée nationale, les lois n'ont pas été adoptées. Les partisans ont été mis en minorité à la majorité absolue.
Le veto suspensif fait tomber intégralement la loi, même si les conseillers nationaux sont d'avis qu'elle n'est que partiellement défaillante ou incomplète. Or, comme le Conseil national n'a pas le droit d'amender, il ne dispose que du veto suspensif pour faire valoir son désaccord à l'égard des décisions de l'Assemblée nationale.
La légitimité et l'efficacité du veto suspensif peuvent être évaluées de deux façons, soit par le nombre de fois où le veto n'a pas été mis en minorité par l'Assemblée nationale, soit par le nombre de litiges constitutionnels où il a été démontré que les contestations du Conseil national ont été justifiées par l'avis de la cour constitutionnelle. C'est donc positif à l'égard de la position du Conseil national. Ce dernier a la faculté d'initier des litiges constitutionnels. Il est intéressant de constater que plus de la moitié des demandes en matière de litiges constitutionnels ont été soumises au Conseil, après que la loi ait été adoptée à l'Assemblée nationale.
Le Conseil national a fait valoir cette faculté dans 13 cas devant la cour constitutionnelle. La plupart du temps, cette dernière a reconnu que les dispositions de lois pour lesquelles le Conseil national avait demandé un réexamen étaient fondées. Ce résultat démontre la pertinence du veto suspensif et des litiges constitutionnels initiés par le Conseil national. La cour constitutionnelle n'a rejeté les arguments du Conseil national que dans trois cas.
Quel problème pose le veto du Conseil national ? La procédure du veto relève du règlement intérieur de l'Assemblée nationale ; par contre, elle n'est pas suffisamment réglée par la Constitution. Il faudrait donc prévoir une loi organique qui définisse mieux cette attribution du Conseil national.
Le Conseil national devrait donc posséder davantage de compétences concernant sa propre façon d'agir. La proposition que nous avons soumise à l'Assemblée nationale n'y a pas été adoptée. En outre, la coopération et le partage des compétences entre les deux Chambres du parlement sont uniquement organisés par le règlement de l'une de ces deux Chambres. Cela pose également un problème. Par ailleurs, ce droit de veto manque de flexibilité. Le Conseil national peut proposer de modifier uniquement quelques dispositions de la loi mais, à l'aide de son droit de veto, il peut rejeter l'intégralité de la loi. Nous pensons que le règlement intérieur ne devrait pas représenter un obstacle à l'expression du droit de veto.
Le traitement des litiges constitutionnels constitue une autre attribution du Conseil national. Pourtant, il existe un autre outil très important : la possibilité d'initier le référendum législatif. Toutefois, il est possible que cette compétence nous soit ôtée. Le référendum législatif est lui aussi réglé par la loi relative au Conseil national. La demande doit être motivée et soumise par écrit au Conseil. Elle peut y être adoptée à la majorité. Le référendum législatif, dans sa forme préliminaire comme dans sa forme ultérieure de confirmation, peut être initié à la demande de la plupart des membres du Conseil national, de la majorité des membres de l'Assemblée nationale ou d'au moins 40.000 électeurs.
Le Conseil national n'a pas beaucoup profité de cette compétence. Cette initiative est très indirecte. En pratique, elle peut avoir un poids plus important que le veto suspensif. Une pression très forte peut ainsi s'exercer sur l'Assemblée. Cette compétence permet au Conseil national de faire connaître indirectement sa volonté à l'Assemblée nationale.
Parmi les propositions de révision de la Constitution, certaines visent à supprimer les compétences du Conseil national lui permettant de demander le référendum législatif. De cette façon, on diminuerait les possibilités d'influence des citoyens et cela signifierait le déclin de la démocratie. C'est un des problèmes que j'ai voulu vous présenter.
Le Conseil national a encore quelques fonctions : l'initiative de l'instruction parlementaire, la présentation des lois obligatoires... etc. Hormis les débats lors des séances, le Conseil national organise aussi différentes délibérations, séminaires ou conférences. Il participe ainsi activement au développement de notre société, dans les domaines économique, social, politique et culturel et il fait des efforts pour régler différentes questions techniques ou professionnelles.
Les activités sont très diversifiées. Le Conseil d'État fait valoir différents avis sur l'initiative législative. Ces initiatives sont présentées dans le recueil. Il y a environ une centaine d'organisations et d'associations. De cette façon, le Conseil national essaie d'inclure le cercle le plus large de la société dans les différents débats menés dans les domaines de la vie sociale, afin d'atteindre un degré élevé de démocratie. On organise aussi le Conseil des jeunes.
Grâce à ses compétences législatives, le Conseil national participe à la procédure législative avec un transfert direct des avis des différents intérêts qu'il représente. Grâce à son fonctionnement, sa renommée est très importante dans la société auprès des représentants des différentes activités. Il offre des nouvelles possibilités par la participation des citoyens à différentes formes du travail, aux débats sur la stratégie de développement et sur l'avenir de la nation. Dans les développements ultérieurs de la démocratie, il représentera une passerelle entre la population et les organes constitutionnels.
Permettez-moi, chers collègues, de me réjouir de notre rencontre du 5 juin en Slovénie sur le thème des possibilités des Sénats dans les nouvelles démocraties. Dans ces dernières, grâce aux modifications de la législation, on pourra assez rapidement mettre en place le système bicaméral.
M. le président. - Je remercie M. Hrovat de son intervention qui rappelle combien, pour les nouvelles démocraties, le bicaméralisme est un gage de bonne démocratie.
Je pense aussi que votre système est fort intéressant, monsieur Hrovat, et qu'il peut inspirer d'autres Sénats. En effet, votre Sénat, composé de groupes professionnels, donc de représentants de la société civile, vous amène à organiser des conférences, des consultations, des colloques sur des sujets qui font ensuite l'objet de législations. Certains de nos Sénats procèdent de cette façon, d'autres se comportent davantage comme les Chambres des députés qui se privent souvent de ces auditions, de ces colloques et de ces concertations avec la société civile et les professionnels. Votre système a des aspects qui sont en tout cas enrichissants pour nous, de même que vos différents systèmes d'avis, de veto suspensif, d'évaluation de la constitutionnalité des lois et des référendums législatifs.
Nous vous remercions encore de votre invitation puisque la prochaine réunion aura lieu dans votre pays au mois de juin prochain.
Mme Françoise Saudan, présidente du Conseil des États suisse. - Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord, monsieur le président, de vous remercier chaleureusement pour votre invitation. Au-delà de l'importance des sujets que nous avons traités - tant à Paris l'année dernière qu'à Bruxelles - pour le renforcement de nos démocraties, ces réunions nous donnent l'occasion de nous rencontrer et c'est particulièrement important et précieux à mes yeux étant donné les périodes troublées que traverse le monde actuel.
Les parlements ont de multiples fonctions. L'une des plus importantes est la fonction législative. Le processus législatif s'est intensifié. Comment la qualité de la législation peut-elle être maintenue ? Quelle est la contribution particulière du Conseil des États de mon pays ?
Les deux chambres qui forment le parlement helvétique, le Conseil des États élu au système majoritaire et le Conseil national au système proportionnel ont des compétences législatives identiques. Le processus législatif commence une fois au Conseil des États, l'autre fois au Conseil national selon la décision que prennent les présidents respectifs des deux conseils. Nous ne connaissons pas ce que vous connaissez dans bien des pays, une forme de hiérarchie entre les différentes législations.
Ce système bicaméral parfait conduit à ce que chaque conseil examine le travail législatif de l'autre et peut ainsi l'améliorer. Il conduit également à une procédure dite de navette, que vous connaissez également. La particularité de notre système helvétique, c'est que nous sommes en quelque sorte condamnés à nous mettre d'accord faute de quoi la loi n'est pas adoptée ou n'est pas modifiée. On pourrait dire, sous une forme humoristique, que quatre yeux ont une vue plus perçante que deux !
En outre, les deux chambres sont composées de manière différente. Cela signifie que le deuxième conseil examine les lois différemment. En effet, votre approche n'est pas la même si vous êtes élu à travers un système proportionnel où votre appartenance politique est plus importante que lorsque vous êtes élu, comme moi, au système majoritaire et que vous représentez une collectivité publique.
Mais cela signifie également, comme je vous l'ai dit, que nous devons nous entendre et que nous avons, en dernière instance, une commission de conciliation regroupant les membres de la commission du Conseil d'État et du Conseil national qui doivent se mettre d'accord pour qu'une loi soit modifiée ou adoptée.
Je vous rassure tout de suite : depuis que je suis membre du Parlement, nous sommes toujours arrivés à un accord et, selon mon secrétaire général, il est arrivé trois ou quatre fois, dans l'histoire de la Confédération, que la commission de conciliation ne trouve pas de solution acceptable pour les deux chambres.
La sécurité du droit nous impose, dans un pays tel que le nôtre, d'une richesse exceptionnelle puisque nous disposons de quatre langues nationales, à savoir l'allemand, le français, l'italien et le romanche dont trois langues officielles, de créer une instance qui examine, sous l'angle purement formel, la législation telle qu'elle ressort des débats des chambres. Cette commission de rédaction compte douze membres : six membres de chaque conseil - premier équilibre qui doit être respecté - en même temps que quatre membres représentant chacune des langues officielles, c'est-à-dire quatre élus de langue allemande, quatre de langue française et quatre de langue italienne. La proportionnalité est parfaite également à ce niveau. Cette commission de rédaction met au net les textes législatifs, notamment lorsque les chapitres et dispositions d'un projet ont été fortement modifiés par des propositions d'origine parlementaire. L'utilisation correcte des expressions et la concordance des textes dans les langues nationales sont d'une grande importance pour la sécurité du droit.
Une autre particularité que vous connaissez tous est que notre Parlement est constitué de miliciens. En conséquence, presque tous continuent d'exercer leur activité professionnelle. Ainsi, le premier vice-président du Conseil des États est avocat, le second que vous aurez pratiquement tous l'occasion de connaître puisque comme vous le savez, nous ne restons en fonction qu'une année, est professeur de physique et moi-même, je dirige une entreprise familiale aux côtés de mon mari.
Au Conseil des États, néanmoins, les juristes sont très nombreux. Je tiens à souligner que d'une manière générale, cette conception de milice nous permet d'apporter un concours appréciable et un angle d'approche du processus législatif différent d'un parlement qui serait exclusivement composé de professionnels. Nous apportons, dans le cadre du processus législatif, notre expérience professionnelle, notre expérience de terrain. Ainsi le parlement n'est pas uniquement dépendant des travaux préparatoires effectués par le gouvernement et l'administration, ce qui, dans la pratique, se traduit fréquemment par le dépôt d'amendements, soit en commission, soit en séance plénière.
Le Conseil des États est souvent qualifié, en Suisse, de Chambre de réflexion. J'ai constaté que cette expression était aussi utilisée pour le Sénat de Belgique et pour bien d'autres Sénats aujourd'hui représentés dans cette salle. En Suisse, on constate une profonde différence entre les débats qui ont lieu au Conseil national et au Conseil des États. Les procédures suivies lors des débats parlementaires sont beaucoup plus rigides au Conseil national étant donné que celui-ci est composé de deux cents membres. Nous avons l'avantage, au Conseil des États, de n'être que 46 membres et d'avoir une procédure de traitement des textes législatifs en séance plénière beaucoup plus légère. En conséquence, chacun dispose d'une grande liberté de parole, chacun peut intervenir très librement dans les débats et l'opinion se forme souvent au cours des débats en séance plénière. J'ose affirmer que cela favorise également la qualité de la législation.
La législation, nous le savons, n'est jamais parfaite. L'application des lois fait apparaître des lacunes et, parfois, des erreurs. C'est particulièrement vrai dans un pays fédéral comme la Suisse, pays multiculturel, multilinguistique. Cela pose parfois des problèmes, d'autant plus que ce sont les collectivités territoriales, les cantons, qui sont chargés de l'application des lois fédérales. C'est pourquoi notre nouvelle Constitution fédérale du 18 avril 1999 contient une compétence expresse du parlement à l'article 170. Cette disposition impose à l'avenir aux commissions parlementaires le devoir de s'occuper davantage de l'aspect pratique des choses, c'est-à-dire de l'application des lois. Nous avons créé, au sein des services du parlement, une petite équipe de scientifiques chargée du contrôle parlementaire, en particulier de l'évaluation de l'efficacité des lois. Il s'agit d'une équipe modeste, composée de cinq personnes, qui s'occupe d'examiner la manière dont les lois fédérales sont appliquées dans toutes les régions du pays. Elle prépare à l'intention des commissions de gestion des propositions d'amélioration de la législation. Les commissions, ainsi que des membres individuels du parlement, ont le droit d'exiger du gouvernement des révisions législatives. Ils peuvent également proposer leurs propres projets.
Enfin, dernière particularité, nous sommes dépourvus de Cour constitutionnelle. Notre plus haute instance juridique, le Tribunal fédéral, n'a pas la possibilité d'examiner la constitutionnalité des lois fédérales. Cela est justifié par le fait qu'un référendum peut être demandé contre les lois fédérales. En effet, une des caractéristiques du système institutionnel de la Suisse est le droit d'initiative. Le peuple peut nous demander de légiférer ou de modifier une loi. Le peuple peut aussi s'opposer à une législation adoptée par le parlement. Cela ne va pas sans mal car, parfois, la légitimité du parlement fédéral, élu par le peuple lui-même, est remise en cause. Dès lors, nous apportons un soin extrême aux procédures de modification des lois ou à l'établissement d'une nouvelle législation, ces dernières faisant toujours l'objet d'une vaste procédure de consultation en amont du travail parlementaire. Dans notre système institutionnel, il n'est pas jugé admissible qu'une cour de quelques personnes puisse déclarer nulle une loi adoptée part la majorité des électeurs. La qualité de la législation est donc d'autant plus importante à nos yeux.
Je suis personnellement convaincue que le système bicaméral de la Suisse contribue de manière significative à la qualité de la législation. Le Conseil des États et ses membres prennent à coeur et au sérieux leur rôle de législateurs.
Chers collègues, j'ai été particulièrement heureuse de vous entendre car je me rends compte que ce souci est partagé par tous les membres du Sénat. Je me réjouis d'entendre encore notre collègue tchèque et notre collègue luxembourgeois.
Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je participe pour la deuxième fois à une telle réunion. Je trouve ces rencontres fondamentales et très enrichissantes.
M. le président. - Je vous remercie pour votre exposé, que j'ai également trouvé très enrichissant. Le fait que votre Sénat ne compte que quarante-six membres et que cela contribue, selon vous, à améliorer la qualité de vos travaux constitue, par exemple, un élément important à nos yeux. Le fait que des séances plénières réunissant un nombre aussi réduit de sénateurs vous permettent de mener des débats de qualité et d'une grande liberté peut paraître surprenant vis-à-vis de parlements - je pense par exemple à l'Italie et à la France - comptant de très nombreux représentants.
La commission de rédaction constitue également un élément intéressant. Le Sénat français compte aussi une commission de concertation avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire, qui se réunit lorsque des désaccords s'expriment concernant des amendements.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Tout à fait. Elle comprend sept sénateurs et sept députés.
M. le président. - Les représentants sont toujours les mêmes ?
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Non, ils varient selon la matière.
M. le président. - Autre élément intéressant : ce que vous appelez les parlementaires « miliciens », c'est-à-dire non professionnels, ayant une profession en dehors du Sénat. Votre assemblée compte ainsi environ 50% de juristes. J'en suis bien sûr, en tant que juriste, particulièrement flatté, et je trouve cela important, au vu du travail que nous avons à accomplir.
Enfin, votre commentaire sur le droit d'initiative de la population a également retenu mon attention. C'est un des sujets traités par la commission du Renouveau politique, que je préside avec un collègue de la Chambre. Pour le moment, en Belgique, seuls le parlement et le gouvernement ont le droit d'initiative. Élargir ce droit est une démarche intéressante, qui mérite réflexion.
M. Petr Pithart, président du Sénat de la République tchèque. - Il y a trois raisons fondamentales qui justifient l'existence d'une seconde chambre. La première est l'ambition d'assurer une représentation plus diversifiée de la société, que ce soit la représentation des États fédérés ou de la fédération, des régions, des minorités linguistiques ou religieuses, voire même des professions ou corporations. La deuxième raison a trait à la division, au contrôle et à l'équilibre du pouvoir. La troisième concerne la qualité de la législation.
Je voudrais, dans un souci de précision, m'adresser à vous dans ma langue maternelle.
Je représente, ici, le Sénat le plus « jeune » et peut-être aussi le plus « petit ». Même si l'ordre alphabétique a été respecté, du côté gauche de l'hémicycle se trouvent les États membres de l'Union européenne, et du côté droit, les pays candidats ainsi que les membres futurs. Quelle coïncidence, n'est-ce pas ?
Dans notre pays, qui était, au départ, la Tchécoslovaquie, la deuxième Chambre a été fondée en 1920. Par la suite, en 1968 puis en 1992, nous avons connu des réformes. Au départ, cela avait été créé pour la nouvelle république tchèque devenue indépendante. Mais en 1968, à l'époque de la République de Tchécoslovaquie fédéralisée sur la base de deux républiques et composée de deux chambres pour former finalement une nation unique, la Tchécoslovaquie, on a décidé de renforcer la deuxième chambre. L'argument était le degré de représentativité. On a choisi pour nom « La maison des Nations », ce qui est assez typique.
Ensuite, après l'indépendance de la République tchèque, nous voulions bien entendu nous concentrer sur la qualité législative et sur la redistribution des pouvoirs.
Cependant, la qualité de la législation était, je crois, la deuxième raison importante qui a favorisé la création du Sénat tchèque. Ceux qui y étaient favorables étaient souvent de grands admirateurs de la qualité législative. C'est la raison pour laquelle nous avons adapté notre Sénat. Nous avons subdivisé les travaux. Nous avions d'une part l'assemblée gouvernementale et, d'autre part, l'assemblée parlementaire qui se penchaient, notamment au Sénat, sur le comportement des être humains d'où l'exclusion de sujets tels que le budget de l'État. Je pense que nous avons également été à la base de l'inspiration du système italien.
Nous nous concentrons surtout sur la législation, à quelques exceptions près. Nous avons deux rôles essentiels. D'abord, nous sommes là pour stabiliser les choses ; nous recherchons toujours un consensus. Ce fut le cas, par exemple, au cours des débats relatifs aux lois qui doivent être approuvées par les deux chambres, notamment en ce qui concerne la Constitution. Notre deuxième consiste à agir en tant que correcteur de la Chambre. Notre rôle est d'attirer son attention sur les imperfections de la législation, mais également pour mettre en doute certaines décisions prises. Le principe est très simple : chez nous, tous les projets de loi sont d'abord présentés à la Chambre des représentants, y compris ceux initiés par le Sénat. Ce dernier peut uniquement déposer des propositions de loi en tant que globalité. Il y a moins de cinq ans que nous existons et nous avons déjà profité de cette opportunité à 20 reprises. La Chambre des représentants transmet ensuite le projet de loi au Sénat qui, en théorie, dispose de trente jours pour prendre une décision, soit approuver la proposition, la rejeter ou la renvoyer à la Chambre avec des amendements. On peut également décider de ne pas traiter le sujet. Une fois passé le délai de trente jours, on considère que le projet ou la proposition est approuvé, sauf si une décision contraire est prise.
La possibilité de ne pas prendre en considération la proposition ou le projet de loi nous donne l'opportunité de nous concentrer davantage sur certains points qui nous semblent essentiels. Cependant, le rôle que nous exerçons et les changements de la culture légale et politique nous ont poussés à abandonner des règles bien définies, bien préparées qui nous menaient, via un champ politique, avec des amendements partiels, vers ce que l'on appelle maintenant une tornade législative.
Nous traitons, chaque année, des centaines d'amendements, de propositions et de projets. Notre rôle est donc très important.
En théorie, nous sommes là pour présenter des amendements. Les théoriciens disent que ce système porte atteinte à l'ordre juridique et n'a plus véritablement de fondements, alors que de nombreux avocats sont heureux de pouvoir naviguer en des eaux aussi troubles. Souvent, en fait, le Sénat revoit les projets. Parfois, évidemment, cela implique des risques d'erreur et c'est la raison pour laquelle il est impossible au Sénat d'ignorer des catégories entières de lois, puisque, au bout du compte, la loi peut toujours être stoppée par le veto du président de la République.
Revenons-en maintenant aux décisions individuelles du Sénat. Nous tenons à avoir la possibilité de rejeter une proposition, laquelle est alors à nouveau soumise au vote de la Chambre. Si tous les représentants ont voté à la majorité absolue en faveur de la proposition, la loi est adoptée. En cas de proposition amendée, la Chambre peut approuver les amendements à la majorité simple. Elle peut aussi approuver à nouveau à la majorité absolue son propre texte original. Si on n'arrive pas à une décision, quelle qu'elle soit, le projet n'est pas adopté.
Il apparaît clairement que ce modèle n'est pas très exigeant. On ne recherche pas de consensus. Les représentants doivent soit approuver les amendements apportés par le Sénat, soit les rejeter.
La Constitution définit par ailleurs le cadre plus compliqué de ce que l'on appelle la « navette parlementaire ». La navette a lieu lorsque les projets requièrent l'approbation des deux chambres, c'est-à-dire lorsque les périodes de trente jours ne sont pas applicables. Cependant, nous négocions toujours, à l'heure actuelle, la mise en oeuvre de cette législation. Apparemment, les députés ne l'exigent pas véritablement. Si on leur renvoie un projet avec des amendements, ils votent uniquement sur la proposition du Sénat et, si celle-ci n'est pas approuvée, le processus législatif s'arrête et prend fin sans être couronné de succès.
Le Sénat a également mené une étude à long terme de la Constitution. Cette étude a duré de 1996 à la fin du mois de septembre. Nous avons étudié de très nombreuses lois, dont certaines ont fait l'objet d'amendements. Seize lois ont d'ailleurs été rejetées. Nous avons relevé des contradictions qui, dans 118 cas, étaient évidentes.
Si on considère les amendements sénatoriaux approuvés à la Chambre, le taux de réussite du Sénat est de 60%. Si nous ne nous débrouillons pas mal, il est donc toujours possible d'améliorer la situation. C'est pourquoi nous avons créé un comité spécifique qui s'occupe de gérer les relations entre les deux chambres. Ce comité qui essaie, entre autres, d'harmoniser le système de navette pour les lois électorales et constitutionnelles qui est limitée à la durée du mandat de la Chambre. En particulier, nous avons, voici sept semaines, déposé notre propre proposition substantielle de modification de la Constitution, en ce qui concerne le statut du président de la République, la Cour de justice mais également les deux chambres du Parlement.
Nous avons proposé d'introduire une catégorie de lois organiques qui mettraient en oeuvre la Constitution eu égard au statut constitutionnel, ce qui requerrait le consentement des deux chambres. Les lois organiques et constitutionnelles pourraient être soumises aux deux chambres. Elles seraient traitées via le système de la navette et, pourquoi pas, selon la procédure de conciliation. Le délai pourrait être étendu ; on pourrait envisager trente jours supplémentaires.
Nous recommandons d'introduire une forme plus usuelle qui requerrait non pas une majorité absolue, mais une majorité des trois quarts des députés, avec la possibilité du veto. En cas de veto du président de la République, il y aurait renvoi aux deux chambres. À l'heure actuelle, en cas de veto, le texte est uniquement renvoyé à la Chambre. Nous ne demandons pas un changement fondamental dans les relations entre les deux chambres mais nous voulons que le Sénat soit équipé d'instruments légèrement plus pointus pour son activité législative. Actuellement, on se préoccupe surtout des règles de la gouvernance mais, à cet égard, notre Constitution concise n'a pas toujours repris chacun des détails. Nous devons en revenir au début, c'est-à-dire à un équilibre des pouvoirs.
Pour conclure, je voudrais féliciter le président Poncelet pour ses idées fantastiques. Nous avons d'ailleurs mis en place un atelier sur le bicamérisme de haut niveau. Je remercie également notre président pour l'atmosphère de travail très agréable.
M. le président. - Je vous remercie de votre intervention. Il est intéressant de voir combien les nouveaux Sénats se battent pour se faire reconnaître et respecter, pour s'imposer dans leur pays. Le fait que plus de 60% des amendements que vous adoptez soient repris par la Chambre démontre non seulement la qualité du travail réalisé par votre Sénat mais prouve aussi que la Chambre le reconnaît.
Je passe maintenant la parole à notre membre observateur qui, à l'initiative du président Poncelet, participe depuis le début à nos travaux et ce, à juste titre. Le Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg n'est pas une assemblée législative, mais joue un rôle fort important dans l'élaboration de la législation du Luxembourg. Je remercie M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État, d'être parmi nous avec le secrétaire général, M. Marc Besch, que nous avons déjà eu l'occasion d'entendre à Paris.
M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg. - Permettez-moi d'exprimer la gratitude du Conseil d'État luxembourgeois de pouvoir participer, à titre d'observateur, aux échanges de vues et aux travaux dans le cadre de l'Association des Sénats d'Europe. Cela nous donne l'occasion de profiter aujourd'hui de l'expérience acquise à l'étranger dans une matière qui nous concerne également de très près, à savoir la qualité des textes.
La première Constitution démocratique au Luxembourg, qui remonte à 1848, n'a pas retenu l'institution d'un Sénat, vu l'exiguïté du territoire. Conscient toutefois de la faiblesse due à l'absence d'une instance de contrôle du texte législatif, le constituant avait prévu une commission législative au sein du Parlement. Or, ce système s'est rapidement avéré insuffisant et inefficace, et la mission de travailler à l'amélioration des lois a nécessité la création d'un organisme spécialisé et indépendant, à savoir le Conseil d'État luxembourgeois qui fut créé en 1856.
L'idée de base de cette institution était que - je cite ici un extrait de l'exposé des motifs - « pour la législation, le Conseil d'État tiendra lieu d'une deuxième chambre. Son action deviendra une garantie pour la maturité des lois ». La qualité de la législation a donc, dès sa création, été l'une des missions du Conseil d'État.
Quelles sont les attributions de ce Conseil d'État et comment fonctionne-t-il ? Depuis le 1er janvier 1997, le Conseil d'État n'a plus sa fonction juridictionnelle en matière administrative. Depuis la même date, il a été investi de manière explicite de la mission de contrôle a priori de la conformité des projets de lois et règlements par rapport aux normes de droit supérieur. Le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois a, par la même occasion, été confié à une cour constitutionnelle. Le Conseil d'État émet son avis sur tous les projets et propositions de loi, sur les amendements y afférents, ainsi que sur toutes autres questions qui lui sont déférées par le gouvernement ou par les lois. Sa mission est donc en fait très large.
Si le Conseil d'État estime un projet de loi, une proposition de loi ou un projet de règlement grand-ducal contraire à la Constitution, aux conventions et aux traités internationaux, ainsi qu'aux principes généraux du droit, il doit en faire mention dans son avis. Il s'entend qu'il ne néglige pas, dans ses avis, l'aspect de la qualité des textes.
En ce qui concerne le droit d'initiative, dans la mesure où le Conseil d'État peut appeler l'attention du gouvernement sur l'opportunité d'une nouvelle loi, de nouveaux règlements ou de modifications à introduire dans les lois et règlements existants, il dispose d'un pouvoir sui generis en matière législative et réglementaire.
Par ailleurs, le premier ministre a le droit de provoquer des conférences entre le gouvernement et le Conseil d'État sur des questions de législation et de haute administration.
Quelles sont ses attributions en matière législative ? En principe, l'avis du Conseil d'État est demandé par le gouvernement avant qu'un projet de loi ne soit présenté à la chambre des députés. Ce avis est donné dans un rapport motivé, contenant des considérations générales, un examen du texte du projet et, le cas échéant, un contre-projet comprenant également une analyse sur la forme et le fond du texte
Théoriquement, tous les projets et propositions de loi doivent subir deux votes successifs de la Chambre des députés sur l'ensemble de la loi. Entre les deux votes, il faut un intervalle de trois mois au moins. Toutefois, la Chambre peut dispenser les textes du second vote, mais cette disposition ne devient effective que si le Conseil d'État se déclare d'accord, ce qui en pratique est le plus souvent le cas. En fait, le Conseil d'État dispose ici d'un veto suspensif pendant trois mois.
En matière réglementaire et administrative, les projets de règlement pour l'exécution des lois et traités ne peuvent en principe être soumis au Grand-Duc qu'après que le Conseil d'État a rendu son avis. En cas d'urgence, apprécié par le Grand-Duc, le gouvernement peut cependant se dispenser de l'avis du Conseil d'État. Tel n'est cependant pas le cas si la loi exige formellement l'avis du Conseil d'État.
En ce qui concerne la composition du Conseil d'État, j'ai apprécié le terme « milicien » utilisé par la présidente suisse. Nous sommes 21 membres désignés pour quinze ans par le Grand-Duc, dont onze au minimum doivent être juristes. Les 21 conseillers ont tous une autre profession. Conseiller d'État n'est pas une profession à part. La durée du mandat relativement longue et l'expérience professionnelle de chacun contribuent à une grande indépendance des membres par rapport au parlement et au gouvernement, ce qui se reflète dans les avis.
Nous rédigeons nous-mêmes nos avis. Nous ne disposons d'aucun staff pour ce faire. Telle est la contribution du Conseil d'État à l'oeuvre législative au Luxembourg.
M. le président. - Je vous remercie de cet exposé qui redéfinit votre rôle exact. Celui-ci est assez ambigu dans la mesure où vous pouvez aller jusqu'à rédiger un contre-projet, ce qui est une démarche de nature quasi-politique ou quasi-législative. Par ailleurs, votre procédure prévoit deux votes dans votre chambre unique à trois mois d'intervalle que vous pouvez, le cas échéant, « libérer ».
Je vous propose tout d'abord, chers collègues, de poser vos questions. Ensuite, nous passerons à la deuxième partie de nos travaux, ce qui permettrait de discuter avec notre ami slovène de la prochaine réunion et du thème de celle-ci. Enfin, nous pourrions aborder l'un ou l'autre sujet. J'avais proposé d'organiser un échange de vues et de le consacrer au terrorisme et au rôle que nos Sénats pourraient jouer dans le combat contre le terrorisme.
Quelqu'un souhaite-t-il poser une question ?
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Notre collègue et ami du Luxembourg nous a expliqué que les conseillers d'État étaient désignés pour quinze ans. Cela me donne des envies, bien entendu, même si je suis élu pour neuf ans. Mais, au cours de ces quinze ans, existe-t-il une possibilité de révocation ou de dissolution ?
M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg. - Il s'agit de quinze ans fermes. Ce qui ne veut pas dire que le Grand Duc, qui nous nomme, ne peut dissoudre le Conseil d'État. Mais, pour cela, des raisons sérieuses seraient nécessaires.
M. le président. - Je présume que certains conseillers peuvent démissionner pour des raisons de convenances personnelles.
M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg. - C'est très rare. C'est une fonction qui demande beaucoup de travail, mais aussi qui revêt certains honneurs. Par ailleurs, un membre du Conseil d'État peut être révoqué par le Conseil s'il n'est plus digne de sa fonction.
M. le président. - Je pense que ce débat sur l'apport des deuxièmes chambres à la qualité des législations a été particulièrement fructueux. Je me réjouis déjà de pouvoir le publier, l'éditer et le distribuer. Ce sera très utile dans de nombreux pays.
Notre prochaine réunion aura lieu en Slovénie, en juin ou en juillet. Je donne donc volontiers la parole à M. Hrovat qui va reprendre la présidence de notre association dès aujourd'hui.
M. Tone Hrovat, président du Conseil national de Slovénie. - Chers collègues, je me réjouis du fait que vous m'ayez confié cette mission et de notre rencontre qui aura lieu l'année prochaine. Nous avions initialement prévu cette réunion pour début juin, mais nous nous sommes rendu compte qu'il vaudrait mieux l'organiser à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet.
Je serai très heureux de recevoir vos suggestions et propositions de thèmes. Le thème de la réunion que vous avons envisagée est « Les problèmes du bicaméralisme dans les nouvelles démocraties ». Nous croyons très important de nous concentrer sur la problématique qui freine le bicaméralisme et la démocratie, surtout quand celle-ci est très récente. Il reste beaucoup à faire pour approfondir et développer la démocratie. Je me réjouis de votre coopération le jour de la réunion, mais je vous propose aussi de vous présenter notre petit pays, notre Slovénie, que certains d'entre vous connaissent déjà.
M. le président. - Nous vous remercions pour votre invitation à visiter votre pays, au-delà de notre stricte réunion de travail, et je pense que beaucoup d'entre nous serons ravis de retrouver ou de découvrir votre pays qui a la réputation d'être particulièrement beau et accueillant.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Je voudrais faire remarquer que nous nous réunirons dans une jeune république qui n'appartient pas à l'Union européenne, et c'est volontaire de notre part. Nous nous sommes déjà réunis dans une république occidentale, nous nous réunirons dans une république de l'Europe centrale et nous reviendrons ensuite en Occident puisque nous serons accueillis par l'Espagne. Nous voulons par là montrer notre volonté d'associer tous les Sénats de l'Europe, sans se limiter à l'Union européenne, et de voir ceux qui sont en périphérie nous rejoindre le plus rapidement possible pour construire cette Europe que nous avons qualifiée ce matin de démocratique, de forte et de prospère, au bénéfice de toutes les populations. Le thème qui avait été annoncé me paraissait un peu limité.
M. le président. - Notre collègue propose comme thème : « Les problèmes du bicaméralisme dans les nouvelles démocraties ». Je comprends votre remarque, monsieur Poncelet. Il est vrai que les nouvelles démocraties seront heureuses de pouvoir exprimer les difficultés qu'elles rencontrent dans l'installation du bicaméralisme. Cependant, je crains que les autres trouvent le sujet trop limité par rapport à leurs propres préoccupations. On pourrait peut-être traiter un sujet plus large qui donne l'occasion aux nouvelles démocraties de bien expliquer leurs propres problèmes, mais en élargissant la définition du thème. Je suggère de parler, mais vous en êtes le maître, monsieur Hrovat, des Sénats dans leurs relations entre les pouvoirs dans leur pays.
Très souvent, le problème de vos nouveaux Sénats réside dans leurs rapports avec leur Chambre des députés, avec le Conseil des ministres et avec une Cour judiciaire ou, parfois, une Cour constitutionnelle.
Cela élargirait l'intitulé du sujet tout en rencontrant vos préoccupations.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Je retiens cette suggestion qui élargit le débat puisqu'il s'agit du rôle du Sénat dans la démocratie.
M. le président. - La place du Sénat dans l'équilibre des pouvoirs.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Son rôle peut être différent, tout en s'inscrivant dans la démocratie et son développement.
M. Tone Hrovat, président du Conseil national de Slovénie. - Nous avons proposé d'aborder ce thème parce que nous croyons que la démocratie est d'abord garantie par le système multipartite et, ensuite, par le bicamérisme. Votre proposition d'élargir le thème est donc bien conforme à notre proposition de départ.
M. le président. - S'il n'y a pas d'objections, le thème de discussion pourrait être : « la place des Sénats dans l'équilibre des pouvoirs démocratiques ».
M. Petr Pithart, président du Sénat de la République tchèque. - Je suis un des représentants d'un Sénat d'une nouvelle démocratie et je partage pleinement le point de vue exprimé.
L'accent est mis sur la tâche du Sénat dans les nouvelles démocraties et je crois que l'on pourrait parler du Sénat dans un système d'équilibre et de contrôle. Cela me semble être un sujet proche de tout ce qui a été exprimé ici.
M. le président. - Je pense que cela fait l'unanimité. Il en sera donc ainsi et je vous en remercie.
Mme Aguirre souhaitait prendre la parole au sujet de la prochaine réunion qui, après la Slovénie, se tiendra en Espagne.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - Quand je vous ai entendu demander s'il y avait des candidats pour la prochaine réunion, j'ai constaté, à la lecture de la procédure, que cela avait déjà été décidé.
Nous serons très contents de vous accueillir en Espagne.
M. Gernot Mittler, ministre d'État, vice-président de la commission des Affaires européennes du Bundesrat allemand. - Si vous le permettez, je voudrais formuler un commentaire sur le thème que nous avons choisi pour notre prochaine réunion, thème que, par ailleurs, j'estime très intéressant, et vous faire part d'une préoccupation.
Je me demande si nous sommes suffisamment concrets. Aujourd'hui et lors des réunions précédentes, nous avons parlé d'un sujet. Le thème de la prochaine réunion peut-il être considéré comme un prolongement de ce dont nous avons discuté jusqu'à présent ? Sont ici représentés un certain nombre de pays qui ne sont pas encore membres de l'Union européenne et que l'on appelle les « jeunes démocraties ». Ils connaissent un problème spécifique s'agissant de la délimitation des compétences des différents niveaux.
Si nous voulons aider ces pays à aller de l'avant, nous devons agir en ce sens, mais au-delà de la réunion qui aura lieu en Slovénie, nous devons voir si nous pouvons aller plus loin nous-mêmes. Je crains que non. Je crois que dans un avenir très proche, nous ne pourrons perdre de vue que nous avons des points de départ différents, d'où la nécessité de voir où nous voulons aller et de définir l'objectif de cette réunion des Sénats.
La réunion en soi a énormément de valeur. Elle est également l'occasion d'établir des contacts personnels de pays à pays. Cependant, je crois que nous devons essayer de nous montrer un peu plus concrets dans la définition de nos tâches, de nos objectifs, de la façon de les atteindre.
Je n'ai pas de proposition concrète à vous soumettre. Je voudrais me limiter à une suggestion : nous pourrions nous tourner vers le président de cette assemblée et vers le futur président qui nous recevra, pour leur demander, ainsi qu'à M. Poncelet, qu'ils se rencontrent d'ici la prochaine réunion, de façon à préciser les tâches futures de notre association
Je crois que, de cette façon, nous pourrions dépasser les échanges d'expérience, que je considère comme étant très importants. Ce serait une façon de déterminer le contenu des objectifs, des buts, des instruments qui nous permettent d'y arriver. Je pense que ce serait une manière d'aller de l'avant. Tel est l'unique commentaire que je désirais formuler à l'attention de l'assemblée.
M. le président. - Je comprends très bien la préoccupation de notre collègue allemand. Il est vrai que nos deux premiers thèmes étaient relativement académiques. Or, nous sommes des femmes et des hommes politiques qui devons aussi rencontrer des problèmes plus concrets que les questions de rapports de pouvoirs.
Je crois que nous pourrions prévoir deux thèmes à chaque réunion, un premier thème, propre à la spécificité des Sénats, et un deuxième thème, beaucoup plus politique. Je souhaiterais, par exemple, que nous puissions à présent aborder la question du terrorisme. La prochaine réunion, qui se tiendra en Slovénie, pourrait donc comporter deux thèmes, à savoir celui que nous avons déjà décidé et un autre thème, que nous pourrions choisir à une date plus proche de la réunion, en fonction de l'actualité politique du moment. Notre association poursuit plusieurs objectifs : défendre le bicaméralisme, aider les nouvelles démocraties à s'inscrire dans le débat démocratique et institutionnel, aider concrètement à la construction de l'Europe. Ce dernier aspect pourrait amener des thèmes spécifiques. Nous pourrions, par exemple, si une majorité d'entre nous le souhaite, évoquer le bicaméralisme européen. De toute façon, nous pourrions ajouter tout thème que nous jugerions utile dans le cadre de la situation politique prévalant au moment d'une de nos réunions. Nous sommes, par définition et par nature, une institution démocratique. Je vous invite donc à exprimer vos sentiments quant à cette proposition, à mon avis justifiée, de notre collègue allemand.
M. Tone Hrovat, président du Conseil national de Slovénie. - J'ai récemment proposé, en ma qualité de représentant d'une jeune démocratie, d'examiner les fondements des régimes démocratiques. J'ai misé sur le courage des démocraties établies depuis un certain temps pour débattre des normes démocratiques dans les pays membres de l'Union européenne. Ce thème m'intéresse énormément. Je crois que M. Poncelet a, lui aussi, manifesté son souhait d'évoquer ce thème très actuel. Je suis néanmoins aussi disposé à accueillir favorablement les suggestions de M. Mittler.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Je trouve l'idée de notre collègue du Bundesrat fort séduisante. Nous devrions effectivement inviter les représentants des jeunes démocraties de l'Europe de l'Est à nos travaux en qualité d'observateurs. Ils pourraient se rendre compte de la manière dont nous travaillons, de la nature des relations que nous tissons entre nous ; ils pourraient mesurer les avantages et les inconvénients du bicaméralisme. Tout cela devrait les inciter à agir au sein de leurs pays respectifs en vue de stimuler la création de Sénats.
La question du bicamérisme à l'échelon européen doit, à mon sens, être inscrite sans trop tarder à notre ordre du jour. J'ai entendu plusieurs chefs d'État importants, dont M. Schröder, parler du Sénat européen. En France, nous avons également abordé cette question. Nous devrions donc consacrer une partie de nos travaux à ce sujet, qui ne rencontre pas d'opposition pour le moment.
M. le président. - Nous retenons la remarque de notre collègue allemand, et restons en contact avec le président pour développer l'ordre du jour de notre prochaine réunion. Nous pourrions, comme le suggère M. Poncelet, inviter au titre d'observateurs les États de l'Europe de l'Est qui fonctionnent sans le bicaméralisme.
Je propose, chers collègues, que nous abordions maintenant la question de la lutte contre le terrorisme. À la suite de la remarque formulée, ce matin, par Mme Aguirre, et dans le cadre des événements tragiques qui se sont déroulés aux États-Unis, de tels actes terroristes interpellant tous les défenseurs d'une certaine forme de démocratie et de liberté, il serait, me semble-t-il, intéressant que nous consacrions une partie de notre discussion à la lutte contre le terrorisme et à la manière dont les Sénats pourraient y apporter leur contribution. C'est évidemment un vaste sujet, mais un échange de vues, aussi limité soit-il, pourrait faire jaillir l'une ou l'autre idée intéressante.
J'ai fait préparer le texte de la résolution qui fut adoptée, ici, en mai dernier, en votre présence, madame Aguirre. Cette résolution concerne la lutte politique au sein de l'Union européenne contre le recours à la violence et le terrorisme, notamment au Pays basque espagnol, auquel nous pensions surtout à l'époque. Nous devons d'ailleurs continuer à y penser, car n'oublions pas que, pratiquement chaque semaine, des démocrates sont assassinés en Espagne par des terroristes qui prétendent vouloir poursuivre des objectifs politiques par le meurtre et l'assassinat. Il s'agit d'une attitude totalement indéfendable, qui mérite que nous accordions tout notre intérêt à cette question.
Je demanderai que ce texte soit distribué pour information. Il serait peut-être utile qu'un débat à ce sujet soit mené dans vos Sénats respectifs, à l'initiative d'un parlementaire ou d'un groupe politique, pour manifester une solidarité active à l'égard d'un pays de l'Union qui subit le terrorisme d'une manière particulièrement sauvage.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - Je voudrais commencer par vous réitérer mes remerciements, monsieur le président. Il est très important pour nous qu'un pays comme la Belgique se soit décidé à approuver - à une très grande majorité - cette déclaration.
Lors des discussions que nous avons eues, en commission, avec vos collègues, nous leur avions expliqué que l'organisation terroriste ETA était apparue sous la dictature militaire de Franco, laquelle a duré quarante ans. Pendant cette période, 35 personnes ont été assassinées. Cependant, depuis que l'Espagne est un État démocratique, c'est-à-dire depuis vingt-deux ans seulement, nous déplorons 880 assassinats. La victime de la semaine dernière était un juge de Bilbao. La précédente était un représentant - basque également - démocratiquement élu du parti socialiste. Ces personnes ont été assassinées pour ne pas avoir été du côté des nationalistes radicaux.
Lors de la naissance de notre démocratie, en 1978, on pensait qu'une large autonomie accordée au gouvernement basque constituait une solution. N'oubliez pas que le pays basque dispose d'une assemblée législative élue qui a le pouvoir de décision sur tous les sujets, à l'exception de la Défense et des Affaires étrangères.
Parfois, il peut être tentant de considérer l'ETA, comme l'ont fait curieusement les journaux américains la semaine passée, comme une organisation séparatiste ou indépendantiste. Bien sûr, elle l'est, mais elle est aussi terroriste parce qu'elle veut imposer ses objectifs par la violence et l'assassinat. La tentation existe également de comparer le problème basque à celui de l'Irlande du Nord. Mais n'oublions pas que dans ce cas, les deux parties s'affrontent, ce qui n'est plus le cas chez nous depuis 22 ans. Chez nous, une seule partie s'attaque à l'autre en tuant, notamment, des démocrates du Parti populaire et du Parti socialiste, des juges, des policiers... etc.
Je tiens à remercier le Parlement belge pour sa prise de position du mois de mai dernier. C'était la première fois qu'il nous manifestait sa solidarité et ce - était-ce prémonitoire ? -, bien avant l'intervention terroriste du 11 septembre.
M. le président. - Dans le passé, la Belgique n'a pas toujours été exemplaire à ce sujet. À certaines époques, des gouvernements ont refusé d'extrader des terroristes ou des complices de terroristes basques vers l'Espagne, alors qu'elle faisait déjà partie de l'Union européenne. Cette attitude était totalement inacceptable.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Ce n'était pas seulement le cas de la Belgique.
M. le président. - Certes. Je suis donc très heureux que le Sénat belge ait pu, par ce vote, corriger des erreurs préalables. Nous devrions peut-être réfléchir aux initiatives que nos assemblées pourraient prendre dans le domaine des législations relatives au terrorisme. De nombreuses matières sont concernées : le trafic d'armes, le blanchiment d'argent et toutes sortes d'activités criminelles annexes. Nous pourrions participer à la recherche de solutions.
Une des premières choses que nous pourrions faire, que nous soyons ou non déjà membres de l'Union européenne, c'est d'essayer d'avoir une définition commune du terrorisme. La plus haute instance de l'Union européenne a décidé que cette dernière tenterait d'arrêter une définition commune du terrorisme quoique l'exercice s'avérât relativement difficile sur le plan juridique.
Cette définition commune est indispensable pour que nous puissions, par exemple, procéder plus facilement à des extraditions dans le cadre d'enquêtes judiciaires, pour rendre plus aisée une action des parquets nationaux ou pour mener à la création d'un parquet européen consacré au terrorisme. Les Sénats de l'Union européenne pourraient travailler dans ce sens ainsi que ceux dont les pays ne sont pas membres de l'Union européenne mais sont également concernés par le terrorisme.
Je songe à certains pays. Par exemple, l'Allemagne, à une certaine époque, a été frappée par un terrorisme politique très grave. L'Italie a vécu dans la peur et la connaît parfois encore. Certains de nos collègues, dont madame Aguirre, doivent être accompagnés en permanence de gardes de corps.
Madame Aguirre, n'est-il pas vrai que vous vivez avec trois ou quatre gardes du corps ? Chaque mandataire important de votre pays vit tout le temps en compagnie de gardes de corps.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - Le Parlement basque compte 95 députés. Tous les élus du Parti socialiste ou du Parti populaire disposent de gardes de corps en permanence. Ce n'est curieusement pas le cas du gouvernement basque.
M. le président. - Vous voyez l'influence que le terrorisme peut avoir sur la vie quotidienne et sur la psychologie : être obligé, comme mandataire démocratique d'un pays démocratique, de vivre sous la menace. Une telle situation est inadmissible. Nous devons dès lors nous entraider pour trouver la plus efficace des réponses.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - L'Espagne va exercer la présidence de l'Union européenne à partir du 1er janvier prochain. L'une de nos priorités sera d'adopter des mesures visant à définir un espace commun de liberté, de sécurité et de justice. Ce qui veut dire que si nous reconnaissons mutuellement que nos pays sont démocratiques ainsi que nos systèmes judiciaires, l'extradition ne sera peut-être plus toujours nécessaire.
Sur le plan bilatéral, nous avons déjà signé des accords d'extradition avec l'Italie, la France et la Grande-Bretagne. Notre gouvernement travaille sur le plan bilatéral, mais je pense qu'il serait bien, lorsque la définition du terrorisme sera adoptée, que, dans toute l'Union européenne, un criminel dont l'extradition est demandée par un autre pays soit immédiatement remis à la justice de ce pays.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Il faut faire vite pour prendre certaines dispositions. Madame la présidente du Sénat espagnol vient de le dire, certains pays ont conclu des accords d'extradition. Certains ont signé ces accords depuis le 11 septembre.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - Tous.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Par conséquent, le 11 septembre a eu un effet psychologique. Il a accéléré la démarche. Sachant que nous pouvons avoir de défaillances de mémoire, nous, citoyens européens, il serait urgent de prendre les dispositions nécessaires tant qu'on se souvient encore de cet événement.
La France vient d'ailleurs de prendre des mesures importantes dans le cadre de son administration : extradition, gel des comptes, ouverture des coffres, contrôle permanent de la population. Tout cela ne se fait pas sans difficulté mais vient d'être voté. Nous allons dans le sens d'une définition du terrorisme mais cet espace judiciaire et démocratique est indispensable pour que, très rapidement, tout terroriste découvert soit immédiatement sanctionné.
M. le président. - Je pense qu'il a été décidé que, si les gouvernements n'avaient pas trouvé le terrain commun de la définition du terrorisme avant le Sommet de Laeken, les chefs d'État et de gouvernement le feraient au cours même du Sommet.
Quand bien même les chefs d'État et de gouvernement l'auraient décidé, il faudra que nos parlements ratifient cette décision et la traduisent dans la législation de nos pays. Nous avons à cet égard un rôle particulier à jouer pour que cela se fasse le plus efficacement et rapidement possible.
Mme Françoise Saudan, présidente du Conseil des États suisse. - Notre pays, l'Allemagne et l'Italie, ne sont pas concernés par la même forme de terrorisme que l'Espagne, l'Irlande ou même la France et la Corse. Dans certains pays, le terrorisme a un aspect politique beaucoup plus prononcé. Nous n'avons pas connu ce genre d'événement tragiques mais nous avons connu une communauté qui ne voulait plus faire partie d'une communauté territoriale. Il y a eu des coups de feu sans victime. Il a fallu un très long processus pour que la 26e entité territoriale se crée dans notre pays, soit le canton du Jura. Cette procédure, non prévue par notre Constitution, a pris du temps et fut un véritable apprentissage.
Définir le terrorisme est une chose, mais si on ne met pas en place des outils communs qui fonctionnent dans l'espace judiciaire commun et en dehors de l'Union européenne, on en restera au stade des voeux pieux alors que la situation est très grave.
Je suis frappée par le fait qu'il ait fallu les attentats du 11 septembre pour que nos amis anglais, qui sont très prompts à donner des leçons au monde entier dans certains domaines, commencent à réfléchir à leur système judiciaire qui bloquait l'extradition d'une personne légitimement soupçonnée. Pour mon pays, c'est un champ de réflexion énorme car il faudra nous intégrer absolument dans un tel système. Faut-il le faire par la voie de l'entraide judiciaire ou faut-il passer à un stade supérieur pour être efficace ? Nous sommes très attentifs aux domaines où nous pouvons intervenir.
Par exemple, immédiatement après avoir reçu des informations du gouvernement américain, nous avons bloqué tous les comptes et perquisitionné dans des sociétés proches d'Al-Qaeda. Ce sont des actes de bonne volonté qui doivent être efficaces.
Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol. - Comme je l'ai dit ce matin, il est difficile de distinguer les sortes de terrorismes, notamment le terrorisme peu politique du terrorisme très politique mais tous utilisent la violence pour imposer des décisions politiques et sont donc également rejetables.
M. Gernot Mittler, ministre d'État, vice-président de la commission des Affaires européennes du Bundesrat allemand. - Je pense aussi qu'il n'y a pas moyen de justifier l'utilisation de la violence, qu'elle soit religieuse, nationaliste ou ethnique. Il ne faut pas perdre de vue que depuis vingt ans, l'Espagne est confrontée au terrorisme.
J'essaie de comparer la situation espagnole à celle de mon propre pays. Chez nous, l'hystérie aurait régné depuis longtemps. Nous constatons que l'Espagne, jeune démocratie, relève le défi et résiste parce que des personnes innocentes sont menacées et assassinées.
Face à cette attitude sans précédent, je crois qu'il faudrait faire preuve de solidarité, au-delà de la décision prise par le Sénat belge.
Je serais en faveur d'une telle position, mais à l'heure actuelle, et plus particulièrement après le 11 septembre, les médias regorgent de messages de solidarité. Les auteurs des attentats ne semblent pas réagir à ceux-ci. Si nos amis espagnols estiment cependant qu'il s'agit d'un appui à leur apporter, nous pourrions aussi leur exprimer notre solidarité.
Nous avons eu précédemment un débat fondamental sur le terrorisme politique mais j'en reviens à mon point de départ, à savoir qu'il n'existe aucun moyen de justifier ou de légitimer le terrorisme. En tant que démocrates, je crois que nous devons refuser de participer aux débats qui tentent d'établir des différences entre les niveaux de terrorisme.
Il n'y a pas moyen d'évaluer le terrorisme, même si l'on sait que des circonstances différentes peuvent y mener. Nous sommes toujours le défenseur de la liberté de quelqu'un d'autre. Certains défenseurs de la liberté n'ont l'occasion d'attirer l'attention sur eux qu'en perpétrant des actes de violence. Dans les pays membres de l'Union européenne, dans les pays qui respectent la démocratie et dont le nombre s'est accru au cours des douze dernières années, il faut rester ferme et les démocrates ne peuvent absolument pas s'écarter les uns des autres.
M. le président. - C'était une contribution importante. Il faut rappeler ce que Mme Aguirre disait tout à l'heure : depuis que la démocratie est revenue en Espagne, plus de 880 personnes ont été assassinées pour des raisons de combat pseudo-politique. C'est inimaginable et le président du Bundesrat a raison de souligner l'admiration que l'on doit porter à une démocratie qui résiste à des actes d'une telle barbarie et à ce point inacceptables.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Après l'intervention de notre collègue allemand, je pense qu'il nous est difficile de nous séparer sans dire un mot. En effet, les sujets que nous avons traités sont très intéressants dans le cadre du développement de nos démocraties respectives mais il y a un grand sujet d'actualité qui est le terrorisme. La Constitution de certains pays, dont la France, interdit de voter des résolutions. Mais rien ne nous interdit, en tant qu'association des Sénats d'Europe, de rédiger une motion condamnant le terrorisme et demandant que toutes les mesures soient prises pour combattre ce fléau du XXIe siècle, cette barbarie moderne, par les moyens démocratiques les plus efficaces.
M. le président. - J'y réfléchissais. Nous n'avons pas préparé de texte. Nous pouvons néanmoins en arrêter le principe. Nous pourrions rendre plus général le texte de la proposition de résolution belge qui visait plus particulièrement le Pays basque.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - À mon sens, il serait prétentieux de vouloir élaborer un texte maintenant. Nous pourrions annoncer à la presse que le principe d'une motion a été décidé et que nous en rédigerons le texte plus tard.
M. le président. - Il vous sera ensuite transmis et nous le publierons dès que nous aurons l'accord de tous. Ce texte sera très général.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Très serré, très ferme et très simple.
M. Alfred Schöls, président du Bundesrat autrichien. - Je ne dispose pas d'une formulation précise à vous proposer. Cependant, je crois que nous devrions indiquer dans cette motion que nous acceptons les cultures et les religions différentes. Ces différences ne peuvent être une justification du terrorisme. Vous savez tous à quoi je fais référence. C'est un constat important pour l'Union européenne.
M. Christian Poncelet, président du Sénat français. - Il faudrait donc inclure la notion du respect des cultures et des religions.
M. le président. - Tout à fait. Je vous enverrai un projet de texte par fax dès demain. Je vous remercie de nous renvoyer votre accord ou vos amendements dans le plus court délai possible.
Je vous remercie de votre participation à cette deuxième réunion de notre association. Je me réjouis de vous retrouver tous en Slovénie l'été prochain.
à l'unanimité,