2-1171/1 (Sénat)
1851/001 (Chambre)

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Sénat et Chambre des Représentants de Belgique

SESSION DE 2001-2002

19 JUILLET 2002


Rapport d'activité 2001 du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité (Comité R)


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION CHARGÉE DU SUIVI DU COMITÉ PERMANENT DE CONTRÔLE DES SERVICES DE RENSEIGNEMENTS ET DE SÉCURITÉ (Sénat) ET DE LA COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DE L'ACCOMPAGNEMENT PARLEMENTAIRE DU COMITÉ PERMANENT DE CONTRÔLE DES SERVICES DE POLICE (Chambre)

PAR MME LIZIN (S), MM. VANDENBERGHE (S), VAN PARYS (Ch) ET BACQUELAINE (Ch)


SOMMAIRE

  1. Exposé introductif de M. Delepière, président du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité (Comité R)
  2. Discussion générale
  3. Discussion des enquêtes de contrôle
    1. Audit de la Sûreté de l'État (titre I.3.1 du rapport d'activité 2001)
    2. Enquête de contrôle concernant le fonctionnement des services de renseignements belges dans la gestion d'éventuelles informations dans un contexte préalable à la passation d'un marché international (affaire Tractebel) (titre I.3.2)
    3. Activités du secteur privé dans la sphère du renseignement (titre I.4.1.)
    4. Rapport complémentaire d'enquête à la demande des commissions du suivi P et R concernant le « rapport sur l'enquête relative au SGR à la suite d'une plainte de particulier » (titre II.A., chapitre 6)
    5. Protection du potentiel scientifique et économique (titre II.A., chapitres 5 et 7)
    6. Rapport de l'enquête sur la manière dont les services de renseignement s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes (titre II.B., chapitre 1er)
    7. Rapport de l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État a assuré le suivi de l'abattoir islamique de Gembloux (titre II.B, chapitre 2)
    8. Propositions de mesure législatives et autres à prendre en matière de services de renseignements (titre III, chapitre 2)
    9. Document de travail relatif aux conditions d'octroi éventuel à la Sûreté de l'État et au SGR de l'autorisation de procéder à des interceptions de sécurité (titre III, chapitre 3)
  4. Recommandations des commissions du suivi
    Annexe : Rapport d'activité 2001 du Comité R
  5. Introduction
  6. Les enquêtes de contrôle
    1. Enquêtes à la requête du Parlement ou des ministres
    2. Enquêtes à l'initiative du Comité R
    3. Enquêtes à l'initiative du service d'Enquêtes
    4. Plaintes de particuliers et dénonciations
  7. Notes d'information au Parlement
  8. Composition et fonctionnement du Comité permanent R
    1. Composition
    2. Le greffier
    3. Le service d'Enquêtes
    4. Le personnel administratif
    5. Les activités
    6. Les moyens financiers
    7. Activités communes avec le Comité P
    8. Participation au cours de l'année 2001 du Comité R à des réunions de travail, séminaires, conférences et colloques

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. DELEPIÈRE, PRÉSIDENT DU COMITÉ PERMANENT DE CONTRÔLE DES SERVICES DE RENSEIGNEMENTS ET DE SÉCURITÉ (COMITÉ R)

Les attentats du 11 septembre 2001 ont incontestablement suscité une prise de conscience de la nécessité d'un renseignement efficace. Ces événements sont intervenus au moment où la Belgique assurait la présidence de l'Union européenne et où la Sûreté de l'État assurait surtout des missions de protection à un rythme très soutenu, ce qui l'a contrainte à dégarnir certaines de ses sections qui font du recueil d'informations. Le Comité R a déjà eu l'occasion de parler, à ce sujet, de la section chargée du potentiel scientifique et économique qui avait dû être temporairement fermée, au même titre que d'autres. Elle est réactivée depuis février 2002. Les deux missions « protection » et « renseignement » sont reprises dans la loi organique; l'une et l'autre sont primordiales.

Le renseignement a fait l'objet d'une série d'enquêtes reprises dans le présent rapport. Pour en citer quelques-unes : l'enquête sur l'ETA, le DHKP-C, l'islamisme radical. Ces enquêtes soulignent que la Belgique, tout en étant un petit pays, peut constituer un centre important et stratégique, non seulement pour des activités menées à l'étranger, mais aussi pour des activités susceptibles de présenter une menace pour la sécurité intérieure.

La capitale de notre pays, où de nombreuses institutions européennes et internationales ont établi leur siège, est un terrain neutre qui attire aussi des organisations politiques représentatives étrangères dont certaines entretiennent des liens avec des groupements nationaux qui n'hésitent pas à recourir à la violence.

Toutes ces enquêtes ont montré certaines lignes communes. La première est qu'il existe effectivement un suivi de ces mouvements en Belgique, par nos services de renseignements. Mais l'on constate aussi que ce suivi se fait souvent de manière générale et d'une façon plus réactive que proactive. Le terme « proactif » doit être entendu dans le sens de « prévention des menaces », lesquelles ne sont pas nécessairement les plus extrêmes, comme le terrorisme, mais aussi d'autres plus insidieuses, plus évolutives et qui se situent à court, moyen et long termes.

Si toutes ces enquêtes livrent des informations souvent pertinentes et éventuellement utilisables soit dans le cadre de dossiers judiciaires nationaux soit dans le cadre d'échanges d'informations avec des services de renseignements amis, on constate par contre qu'une dimension semble souvent faire défaut, à savoir celle d'une analyse stratégique de menaces à court, moyen et long termes et surtout, sa transmission aux responsables politiques. Ce fait a souvent été admis au cours de conversations que nous avons eues avec des représentants de la Sûreté de l'État. Ils reconnaissent effectivement que, par manque de moyens et d'analystes, il leur est difficile de pratiquer ce type d'analyse que nous considérons pourtant, non pas comme prioritaire, mais comme aussi importante que le recueil d'informations pouvant servir immédiatement ou ultérieurement à des fins de poursuites ou de recherches par les services de police.

Le Comité R a en effet constaté que les nombreux rapports et notes transmis aux ministres contiennent une quantité importante d'informations.

Le Comité a aussi pris connaissance de plusieurs de ces rapports. Comme ils ont parfois un contenu à caractère très général et que leurs conclusions sont parfois ambiguës, il s'interroge sur leur lisibilité et sur l'utilité directe qu'ils peuvent avoir pour les autorités politiques. Il est par exemple dommage que la Sûreté de l'État, dont les enquêtes et les analyses sont principalement axées sur le terrorisme islamique, ne consacre pas assez de temps ni de moyens à une analyse approfondie de la stratégie à long terme de ces groupes. Il est dommage que la Sûreté de l'État n'ait pas encore analysé dans quels sens ces groupes essaieront de se profiler dans les années à venir sur l'échiquier politique belge.

Cela signifie aussi qu'une évaluation permanente, pondérée et à long terme, non seulement en matière d'intégrisme islamiste, mais aussi d'autres menaces visées par la loi, doit être effectuée, pour placer tous les faits, même ceux récoltés immédiatement et qui peuvent servir de manière opérationnelle, dans leur juste contexte, tant sur le plan international que sur le plan de la sécurité intérieure. Il s'agit de trouver le bon équilibre entre la confiance dans la sécurité et la vigilance critique.

De toutes ces enquêtes, le Comité a conclu que cet équilibre est loin d'être atteint à ce stade. Ce constat ne vise toutefois pas seulement la situation belge. C'est également le cas dans d'autres pays auxquels nous pouvons difficilement nous comparer par la taille, le nombre et la dimension de services. La CIA et le FBI sont soumis à de fortes critiques aux États-Unis, pour avoir eu des informations ponctuelles et vraisemblablement n'avoir pas pu les utiliser, les analyser ou les transmettre en temps utile. Le problème soulevé n'est certainement pas une critique adressée uniquement aux services. Le Comité R agit dans un sens constructif, afin d'éviter que ce genre de choses ne se produise à l'avenir et dans le but de trouver les moyens pour améliorer l'analyse des informations recueillies.

L'équilibre est loin d'être atteint et cette situation est amplement illustrée par l'enquête relative à la protection du potentiel scientifique et économique. Le rapport actuel reprend notamment le cas de la firme Lernout et Hauspie et le peu d'intérêt qu'elle a suscité tant auprès du SGR que de la Sûreté de l'État. Cela a été justifié par le manque de moyens ou le manque de définition de la mission par le Comité ministériel. Bien que ces justifications ne soient pas dénuées de fondement, elles sont tout de même discutables dans la mesure où une partie du contrôle du Comité R doit viser les aspects d'efficacité et de coordination. La loi existe et certaines priorités doivent être données, notamment dans ce domaine.

En ce qui concerne transmission d'information et analyse, il est intéressant de souligner que dans cette affaire, aucun rapport n'a été établi à destination des autorités. Il convient de s'entendre : le Comité R ne prétend pas qu'il y a eu une quelconque interférence ou que le système Échelon aurait écoûté Lernout et Hauspie. Le Comité R constate seulement que la possibilité existe.

Le Comité R partage les propos d'un des membres de la Sûreté de l'État qui s'est occupé de ce dossier. Le problème réside dans le fait que la suggestion de cet agent n'a jamais été suivie d'effets au sein de sa hiérarchie. Le rédacteur d'un des rapports examinés par le Comité s'exprime ainsi : « Il paraît indiqué que le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité se penche sur le cas de Lernout et Hauspie et considère celui-ci comme un cas d'école pour élaborer les lignes de défense du potentiel économique et scientifique. Cela permettrait de préciser avec la clarté nécessaire la compétence de la Sûreté de l'État et les actions possibles en rapport avec cette matière. »

Il existe plusieurs exemples de ce type dont le Comité R tire un premier constat : si nous mettons l'accent sur certains points négatifs, il faut souligner l'existence d'un potentiel tout à fait remarquable au sein de la Sûreté de l'État. Le Comité R regrette que l'intérêt porté à ces questions par des gens de la base, qui recueillent le renseignement et en font l'analyse, ne débouche sur rien et que leurs suggestions se perdent dans un circuit que le Comité R essaye de retracer aujourd'hui, au travers de l'audit. Il semble que le problème essentiel soit une forme aiguë de carcan administratif. Le Comité R a déjà abordé précédemment les causes de cette situation. On a parlé du manque de personnel auquel le Comité ajouterait un manque d'utilisation optimale de ce personnel. Il y a bien sûr un manque de moyens tant techniques que légaux. M. Delepière se réfère d'ailleurs au rapport que le Comité R a rédigé à l'intention du Parlement et des ministres, après les attentats (in fine du rapport annuel).

Si, en 2002, le contrôle s'est porté davantage sur la Sûreté de l'État que sur le SGR, c'est parce que des signaux tout à fait objectifs émanaient de ce service. Le Comité R a été contraint de recourir au système de l'audit, étant donné qu'une série d'enquêtes de contrôle montraient des signes évidents de dysfonctionnement et surtout de malaise. L'enquête de contrôle en tant que telle ne permettait pas d'embrasser le système dans son ensemble, ce que l'audit a pour fonction de faire.

Les conclusions du rapport de l'expert après la seconde phase confirment les premiers symptômes et l'enquête d'opinion qui avait été faite :

« En effet, lorsqu'il a été dit, dans la première phase, qu'il y a beaucoup de paperasserie, que l'on vit sur une île, que l'on ne sait pas très bien quelle est la politique, que la gestion du personnel pose problème, on retrouve le substrat objectivé de tout cela chez les dirigeants actuels. De fait, l'élément logistique est relativement lourd et, sauf au sein même des sections, la communication interne est quasi inexistante en ce sens qu'elle ne fonctionne pas entre les sections, ni entre celles-ci et les services d'études ou l'administration centrale. De fait aussi, la politique du personnel est insuffisante . »

Le Comité souhaite que toute cette problématique soit relativisée. La mise en exergue de certains dysfonctionnements ne doit surtout pas nous amener à sous-estimer le travail de la Sûreté de l'État. Le rôle crucial du renseignement entraîne un degré d'exigences qui nous amène aujourd'hui à souligner des dysfonctionnements. Le but est de les dépasser et d'apporter une dimension positive au contrôle. Par ailleurs, un dialogue est nécessaire entre les services de renseignement et les autorités ­ politiques, administratives, policières et judiciaires; une plus grande prise de conscience de l'importance du renseignement serait utile à cet égard.

Outre le rôle légal attribué au Comité en matière de défense des droits constitutionnels et légaux des citoyens et en matière de contrôle de l'efficacité et de la coordination des services, le Comité a également pour devoir de susciter le débat et de l'alimenter. Les services doivent dès lors accepter ­ ils le font d'ailleurs mieux que par le passé ­ de dialoguer de façon constructive et de ne pas interpréter tout à fait négativement les critiques ou remarques formulées par le Comité.

Pour illustrer la nécessité impérieuse de disposer, en plus des autres services de sécurité, d'un service national de renseignement performant, M. Delepière rappelle qu'il y a lieu de réaliser une analyse effective et permanente des menaces à moyen et à long terme, qui résultent des phénomènes transfrontaliers tels que celui de la diffusion d'armes nucléaires, d'armes bactériologiques et d'armes chimiques, celui du terrorisme international, celui des organisations criminelles et celui des sectes dangereuses. Ces organisations se sont adaptées aux nouveaux défis du renseignement moderne, non seulement par la globalisation et le développement des nouvelles techniques d'information et de communication mais aussi par le biais des réseaux de traite des êtres humains. Grâce à ces réseaux, le crime organisé peut développer n'importe quelle activité, et ce, au détriment des droits fondamentaux de la personne en particulier et de la démocratie en général.

Au travers de ces recommandations, le Comité vise non pas à saper le travail des services mais à l'améliorer et à permettre à ces services de s'intégrer dans une meilleure conception du renseignement, non seulement à leur niveau mais également au niveau de la société. C'est la raison pour laquelle le Comité a rappelé une de ses recommandations, reprise dans le rapport, à savoir la mise en place d'un coordinateur du renseignement, interface entre les services et les responsables politiques, non pas sur le plan opérationnel mais sur le plan des synthèses thématiques de documents, permettant d'avoir une vue, de façon préventive, sur certaines stratégies qui à terme peuvent constituer des menaces pour notre sécurité intérieure.

Autre élément dans le sens de cette prévention : une plus grande transparence. Sur la base d'exemples d'autres pays européens, le Comité R suggère que les services de renseignement établissent un rapport annuel. Le rapport du BVD (Binnenlandse Veiligheidsdienst des Pays-Bas) qui fait largement écho à une menace du type islamisme radical. Il n'y a là aucune réserve sur la manière dont les services informent en général l'opinion publique, les ministres et le Parlement.

Ce besoin de transparence ne doit pas faire oublier l'application de la loi sur les classifications. Dans ce domaine, de nombreux rapports publiés en 2002 montrent la nécessité de procéder à un important travail de sensibilisation. Par ailleurs, les services de renseignements déplorent ne pas toujours être tenus au courant du niveau d'habilitation de sécurité dont disposent les destinataires de leurs informations.

Le Comité R attire l'attention sur le fait qu'à l'heure actuelle, un plaignant doit attendre la publication du rapport annuel pour trouver une réponse à sa plainte. Souvent, ce rapport, de nature générale, ne le satisfait pas : la personne qui dépose une plainte s'attend, d'une certaine manière, non seulement à être informée mais également à disposer de moyens pour éventuellement défendre ses droits auprès d'autres instances. Ce problème se posera de plus en plus souvent à l'avenir : il concerne l'accès du plaignant non pas aux informations confidentielles, classifiées ­ matière réglée par la loi ­ mais l'accès à d'autres aspects du dossier qui pourraient permettre au plaignant de réclamer des dommages et intérêts en justice. Le rapport mentionne un cas concernant une naturalisation : le service de renseignement a reconnu avoir transmis au parquet des informations inexactes. Le Comité R se situe à une certaine limite en la matière. Le Comité R a une mission de contrôle; d'une part, le fait que des dysfonctionnements soient signalés doit permettre de prendre des mesures générales, mais d'autre part, les plaintes vont également mettre en lumière d'autres problématiques. Il conviendra d'y être attentif.

Les recours en matière d'habilitations de sécurité ont continué à être déposés au Comité. Une nouvelle dimension est en train de se mettre en place : les habilitations pour les personnes morales.

L'autorité nationale de sécurité élabore des règles plus strictes que celles existant auparavant, de manière à pouvoir délivrer les habilitations en meilleure connaissance de cause.

Cet aspect est lui aussi susceptible de mener à plus de recours.

Le Comité R constate qu'il y a toujours à peu près le même nombre de recours de la part de requérants militaires à l'encontre du SGR.

Par contre, très peu de recours, voire aucun sont introduits par des membres de la Sûreté de l'État.

Le Comité R ignore quelle conclusion en tirer. M. Delepière a reçu deux personnes qui envisageaient d'introduire un recours ­ elles avaient des arguments à faire valoir ­ mais se sont finalement abstenues car elles craignaient que l'on ne prenne des sanctions administratives à leur encontre.

M. Delepière souligne que les documents repris dans le rapport annuel ont, dans un premier temps, été examinés par le Comité qui a voulu s'assurer qu'il n'y avait là aucun élément de nature classifiée. Certains rapports sensibles, comme celui concernant les activités extrémistes islamistes, ont fait l'objet d'un échange de vues avec les fonctionnaires de la Sûreté concernés. Une première discussion a eu lieu devant le Comité afin que les éléments les plus sensibles ne soient pas repris dans un rapport susceptible d'être diffusé dans le public; ensuite, le rapport a été examiné une première fois par des fonctionnaires de la Sûreté de l'Etat et certaines de leurs observations ont été prises en compte. C'est après avoir franchi ces deux stades que le rapport a été communiqué.

Le Comité R est confronté à un problème concernant la publication du rapport d'enquête sur l'islamisme radical. Le Comité a reçu un premier courrier de la Sûreté de l'Etat, indiquant que « la Sûreté de l'État n'avait aucun problème de principe quant à la publication du rapport sur l'islamisme radical » mais soulignant qu'« il faudrait faire attention à ne pas dévoiler des méthodes utilisées par la Sûreté de l'État » et proposant de nous faire parvenir dans le meilleur délai quelques observations à ce sujet.

Après, le Comité a eu connaissance de deux autres documents, un communiqué de presse du cabinet de M. le ministre de la Justice selon lequel il y aurait un échange de vues entre le Comité et le cabinet de la Justice et le second, une nouvelle note de la Sûreté qui avait transité par le cabinet de la Justice, signalant que, contrairement à la note précédante, il n'était pas opportun de dévoiler le rapport en l'état et qu'un nouvel échange de vues était nécessaire à ce sujet. Le Comité R ne situe plus très bien la position de la Sûreté de l'État ni celle du ministre de la Justice qui semblent assez variables dans le temps. Pour la forme, M. Delepière signale que ces rapports d'enquête ont été adressés le 21 mars 2002 au ministre concerné et que la loi prévoit un délai d'un mois pour faire parvenir l'avis.

Après que le SGR eut examiné le rapport ­ les services de renseignement le font toujours ­ le ministre de la Défense nationale a fait savoir qu'il ne voyait aucune objection à ce que le rapport soit publié.

Pour ce qui concerne le Comité R, il s'est d'abord occupé de la question de l'information des commissions du suivi et de la communication du rapport. À ce stade, rien n'a été publié puisque le Comité R attend l'approbation du document et doit y joindre les réactions des différents ministres. À moins que d'autres éléments n'interviennent au cours de la discussion et compte tenu de la diffusion de nombreuses informations sensibles, le Comité voit difficilement comment établir un autre rapport. En retirant un maximum de références à la Sûreté de l'État, on aboutirait à un rapport tout à fait différent.

Le Comité R a rédigé un résumé d'une dizaine de pages qui contient l'essentiel des éléments ­ donc, pas le détail des différents groupements ni des informations transmises par la Sûreté ­, à savoir l'introduction, la description de la méthode de travail et les conclusions.

Le Comité R estime que l'on ne peut établir des rapports de synthèse sans susciter des réactions émotionnelles et que le problème est suffisamment aigu pour en faire rapport aux deux commissions.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Vandenberghe pense que les événements du 11 septembre 2001 ont eu un impact comparable à celui de l'affaire Dutroux, mais sur un autre plan. Après l'affaire Dutroux, on s'est dit qu'il fallait redéfinir la mission des services de police en matière de sécurité et d'investigation. Après les attentats du 11 septembre 2001, on a été amené également à considérer sous un autre angle le respect des obligations en matière de sécurité publique. Les commissions parlementaires du suivi ont à cet égard une responsabilité politique spécifique.

Les rapports annuels du Comité R fournissent aux commissions du suivi une image nuancée du fonctionnement de la Sûreté de l'État et du Service général du renseignement et de la sécurité (SGR) ainsi que des valeurs que ces services protègent. La loi organique réglant le contrôle des services de renseignements a été conçue pour empêcher ces services de constituer un danger pour la démocratie. Il est positif que les rapports annuels du Comité R montrent également de quelle manière les services de renseignements défendent et protègent la démocratie, raison pour laquelle ils ont été créés d'ailleurs.

La démarche du Comité R accroît l'attention du Parlement et renforce le contrôle démocratique. Ce sont là, en soi, des éléments très positifs.

M. Vandenberghe estime toutefois qu'il est utile et nécessaire de délimiter précisément le rôle des différents acteurs que sont dans ce domaine les services de renseignements, le ministre responsable, le Comité R et les commissions du suivi. Le fait que le gouvernement demande qu'une partie du rapport annuel ne soit pas publiée démontre qu'une telle délimitation des compétences respectives est nécessaire et que chacun doit jouer son rôle.

En ce qui concerne par exemple la classification et la consultation des dossiers classifiés, la loi oblige le Comité R à écarter ces éléments de ses rapports. Il est toutefois possible également que le Comité R ne soit pas complètement informé. La classification peut aussi engendrer des abus si elle sert à priver le Parlement de certains éléments. À cet égard, l'intervenant renvoie à la note classifiée de la Sûreté de l'État et que les commissions du suivi ne peuvent donc pas consulter, qui doit appuyer la demande du ministre de la Justice de ne pas publier une partie du rapport annuel.

Il rappelle que la Sûreté de l'État est également investie d'une mission dans la lutte contre les organisations criminelles. Certes, le rapport annuel fait référence à la protection du potentiel économique et scientifique (notamment le rapport Lernhout et Hauspie), mais l'intervenant demande que le Comité R expose globalement de quelle manière la Sûreté de l'État s'acquitte de sa mission en matière de lutte contre la criminalité organisée.

Mme Lizin estime que le rapport annuel du Comité R fait preuve d'une véritable réflexion sur des problèmes préoccupants.

M. Hordies estime que le rapport fait preuve de l'accroissement de travail du Comité R et de la collaboration qui s'installe entre l'instance de contrôle et les services de renseignements depuis le début de la législature.

À propos des suites du 11 septembre 2001, dont on a dit, à juste titre, que l'objectif était de démolir les démocraties occidentales, M. Hordies souligne qu'il faut rester attentif à ce que les conclusions opérationnelles ne constituent pas des atteintes aux valeurs démocratiques. Cela implique qu'il faut organiser un débat sur les propositions du Comité R concernant les moyens à mettre à la disposition de nos services (notamment les écoutes administratives). Il est clair qu'on ne doit pas être naïf et qu'une certaine prudence s'impose. À ce propos, il se réfère à la révélation que ce sera une société israélienne qui installera la centrale d'écoute de la police (enquête « Nice »). Il pourra difficilement accepter que ce soit la même firme ou la même centrale qui effectuera les écoutes éventuelles pour les services de renseignements.

La commission du suivi du Comité R du Sénat préfère que de tels systèmes d'écoutes soient installés par des entreprises européennes et cela à la lumière de tout ce que la commission a appris sur Echelon.

M. Hordies constate que bien souvent les rapports d'enquête reproduits au rapport annuel montrent un manque de perspicacité, de proactivité de la part de nos services de renseignements. À titre d'exemple il cite les rapports relatifs a la protection de notre potentiel économique et scientifique (L&H, centre de recherche à Liège), le rapport « Erdal » et les rapports sur l'extrémisme islamique.

M. Van Parijs déclare que le rapport annuel du Comité R révèle clairement que le contrôle parlementaire des services de renseignements commence à porter ses fruits. Ce rapport annuel est un document remarquable, qui pourra servir, à l'avenir, de modèle en matière d'organisation du contrôle et de transmission des informations au Parlement pour permettre à ce dernier de prendre des décisions.

L'intervenant apprécie tout particulièrement que le Comité R ait eu le courage de briser le tabou de l'extrémisme islamiste dans notre pays.

Il apparaît, comme fil conducteur du rapport annuel, que c'est surtout la Sûreté de l'État qui n'est pas en mesure de remplir ses missions légales, et ce pour deux raisons. La première est le manque de moyens techniques et humains. La deuxième est le manque d'initiatives de la part du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité.

En ce qui concerne le premier problème, la balle est dans le camp des hommes politiques. Si l'on informe le Parlement que la Sûreté de l'État n'est pas en mesure de remplir ses missions légales en raison d'un manque d'effectifs et de moyens techniques, il ne suffit pas de faire ce constat. En analysant le budget du département de la Justice à l'issue du contrôle budgétaire, on constate que les crédits de personnel de la Sûreté de l'État diminuent, alors que l'on pourrait s'attendre à ce qu'ils augmentent au vu des rapports du Comité R.

En ce qui concerne la seconde cause, il tire la même conclusion que le Comité R, à savoir que le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité ne remplit pas sa mission. Il est particulièrement intéressant de rappeler, une fois encore, les missions du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité (1) :

1. établir la politique générale du renseignement;

2. déterminer les priorités des services de renseignements;

3. coordonner les activités des services de renseignements.

On peut difficilement reprocher à la Sûreté de l'État de ne pas se voir attribuer de priorités par le comité ministériel.

Voilà pourquoi M. Van Parijs tient à savoir quelles sont les décisions que le comité ministériel a prises ces derniers temps, afin que l'on puisse évaluer le zèle qu'a mis la Sûreté de l'État à mettre en oeuvre les priorités du gouvernement.

Cela vaut d'ailleurs aussi pour la manière dont le Comité ministériel a exécuté les missions que lui assigne la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignements et de sécurité :

1. fixer les modalités de la communication des renseignements aux ministres, aux autorités judiciaires et administratives et aux services de police compétents;

2. définir le mode de recherche, d'analyse et de traitement du renseignement en matière de sûreté intérieure de l'État, de pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel, de sûreté extérieure de l'État et de relations internationales, de potentiel scientifique ou économique.

Il ressort des rapports du Comité R que des points tels que la question de savoir, d'une part, quelles informations sont à transmettre aux ministres compétents et aux autorités judiciaires et, d'autre part, de quelle manière elles doivent l'être, constituent des problèmes récurrents.

On pourra encore se plaindre pendant des années que les services de renseignements ne remplissent pas correctement leur mission de protection du potentiel économique et scientifique. C'est pourquoi les commissions du suivi, et le Parlement dans son ensemble, doivent d'abord insister pour que le Comité ministériel remplisse correctement ses missions légales.

M. Van Parijs demande, d'autre part, quelle suite le Parlement doit donner au constat qui est fait dans le rapport annuel, selon lequel au moins la Sûreté de l'État ne fonctionne pas correctement. En effet, il ne suffit pas de constater que l'on n'est pas suffisamment protégé contre l'espionnage économique ou scientifique ou que notre pays abrite des mouvements islamiques extrémistes qui constituent une menace pour notre démocratie. Il ne suffit pas de constater que la Sûreté de l'État n'est pas capable de faire des analyses permettant de définir des options politiques à moyen et à long terme en ce qui concerne toute une série de phénomènes.

M. Van Parijs souligne enfin que le Conseil des ministres a chargé le premier ministre et le ministre de la Justice de préparer une note sur l'avenir de la Sûreté de l'État. Au vu du contenu du rapport annuel et des conclusions provisoires de l'audit en cours, le gouvernement se doit bien évidemment de prendre une série d'initiatives.

À titre personnel, l'intervenant ne peut cependant pas admettre que l'on commence par affaiblir la Sûreté de l'État en ne lui donnant ni les instructions ni les moyens nécessaires, pour ensuite mettre son avenir en question.

Il est tout aussi inadmissible d'intégrer la Sûreté de l'État dans la police fédérale. Il estime que les commissions du suivi doivent faire comprendre au gouvernement que la Sûreté de l'État a une mission spécifique, qui diffère de celle des services de police et qui doit continuer à exister en tant que telle. D'un point de vue démocratique, il n'est d'ailleurs pas souhaitable que le service de renseignements fonctionne dans le giron d'un service de police.

Il serait aussi préférable que la Sûreté de l'État reste sous la tutelle du ministre de la Justice; ce serait en effet une erreur de confier cette tutelle au ministre de l'Intérieur, étant donné que celui-ci assume déjà la pleine et entière compétence pour ce qui est des services de police. La tutelle que le ministre de la Justice exerce sur la Sûreté de l'État est donc un contrepoids nécessaire pour permettre un contrôle démocratique correct. Les commissions du suivi doivent éviter de se trouver, à un moment donné, confrontées à une décision du Conseil des ministres qui ne serait pas conforme à leur vision des choses.

M. Coveliers souligne lui aussi l'excellente qualité du rapport annuel du Comité R. Pour illustrer ce point, il revient sur l'origine des comités de contrôle. Ces deux comités ont été créés à la suite du rapport de la première Commission sur la criminalité organisée en Belgique, laquelle avait mis en exergue la nécessité de contrôler les services de police et de renseignements. C'est précisément au cours de cette enquête qu'est née l'impression que les services de police et de renseignements formaient un enchevêtrement inextricable.

En 1991, on a choisi de faire clairement la distinction entre les services de police, qui ont principalement pour but de protéger le citoyen, et les services de renseignements, qui sont au service de l'autorité publique pour lui fournir des renseignements.

La question des priorités des services de renseignements est pertinente dans le cadre de cette mission spécifique et parce que le risque de dérives antidémocratiques y est plus grand. Le Conseil des ministres planche lui aussi sur les missions futures des services de renseignements. Sur la base des priorités à dégager, il faudra examiner quels sont les moyens dont les services de renseignements doivent disposer.

Personnellement, il est convaincu que les services de renseignements ont un rôle à jouer dans une société démocratique. Il y a évidemment certaines missions à remplir par un service de renseignements militaire. Mais il faut également définir les missions du service de renseignements civil dans le cadre des besoins d'une société démocratique. L'une d'elles consiste à tenir à l'oeil ceux qui menacent cette société.

La question des moyens doit être tranchée en fonction de ces missions. Il ne faut dès lors pas envisager la question des écoutes téléphoniques administratives de manière abstraite, mais bien en fonction des missions de la Sûreté de l'État. Les écoutes téléphoniques et les autres moyens d'action dont on pourrait doter les services de renseignements ont donc clairement une autre finalité que les écoutes téléphoniques pratiquées par les services de police.

M. Coveliers rappelle que depuis la chute du Mur de Berlin, on a plutôt eu tendance à démanteler les services de renseignements parce que les anciennes priorités étaient devenues beaucoup moins pertinentes. Le mérite du rapport annuel est d'évaluer une série de menaces qui sont au contraire suffisamment sérieuses pour que les services de renseignements les suivent de près.

Dans ce contexte, il a été frappé tout d'abord par l'affaire Tractebel. L'analyse du sénateur Vandenberghe sur l'arrêt rendu par la chambre des mises en accusation dans cette affaire est frappante. Cet arrêt rend tout contrôle extérieur impossible, car il neutralise sans motivation convenable la possibilité de saisie prévue par la loi. Dans l'affaire Erdal également, tout contrôle est impossible.

Les rapports de contrôle concernant la menace que constitue l'extrémisme musulman sont importants aussi parce qu'ils abordent un thème qui doit figurer parmi les priorités des services de renseignements. Il peut arriver que des groupes fondamentalistes ayant une vision monoculturelle du monde fassent un usage abusif des religions, de toutes les religions. Il faut tenir compte de ces groupes lorsqu'on fixe les priorités des services de renseignements.

En conclusion, M. Coveliers déclare que le rapport annuel du Comité R répond beaucoup plus au but initial du législateur, lorsque celui-ci a créé les comités en 1991. Les comités n'ont pas tellement une fonction de médiation, ils ne sont pas l'endroit où l'on fait rapport du traitement des plaintes reçues; ils ont été créés pour qu'ils contrôlent globalement les services de police et de renseignements, dans le souci de préserver la démocratie et de veiller au respect des principes constitutionnels par les services contrôlés. Les autorités compétentes doivent définir des priorités qui serviront de fil conducteur aux services de renseignements. Dans cette optique, on peut affirmer que le rapport annuel du Comité R est très pertinent et qu'il importe de le publier in extenso.

M. Delepière regrette que le Comité ministériel qui a la détermination de la politique générale du renseignement et de la sécurité dans ses attributions, ainsi que le Collège du renseignement et de la sécurité, ne relèvent pas de l'article 33 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements. Il s'ensuit que le comité ne peut pas disposer des directives émises par ces deux organes. Toutefois, comme ni le Comité ni le Collège n'avaient apparemment émis la moindre directive à la mi-mai 2002, le problème semble encore théorique pour l'instant.

M. Delepière signale également que dans le dossier « Nice », un rapport complémentaire est en préparation. On y rend notamment compte d'une réunion qui a eu lieu au cabinet du ministre de la Justice, à laquelle le Comité P a également participé. Les éléments fournis au cours de cette réunion ont montré que les mesures de précaution qui ont été prises étaient suffisantes, d'une part, et que la Sûreté de l'État a été associée dès le départ à ce dossier et qu'elle n'a formulé aucune remarque, d'autre part.

En ce qui concerne la question du sénateur Vandenberghe concernant le rôle de la Sûreté de l'État dans la lutte contre la criminalité organisée, M. Delepière répond que la Sûreté a d'emblée attiré l'attention sur le fait que la lutte contre la criminalité organisée constituait une nouvelle mission et qu'elle ne disposait pas du personnel nécessaire pour la remplir. Dans un premier temps, le Comité permanent R n'a donc pas insisté. Toutefois, depuis peu, on a commencé à interroger les services extérieurs, notamment en ce qui concerne la méthode suivie et les contacts avec les services de police. Le but est de réunir ces données ­ le cas échéant ­ en collaboration avec le Comité permanent P ­ et d'avoir ainsi une vue globale du phénomène.


Les commissions du suivi ont, dans le cadre de l'examen du présent rapport annuel, pris connaissance de l'existence d'une note confidentielle, du 31 mai 2002, de la Sûreté de l'État au Comité R, invitant celui-ci à ne pas publier dans sa forme actuelle le rapport relatif à l'extrémisme islamique, pour la raison qu'il ne serait pas opportun de divulguer certains renseignements confidentiels. Cette note a été transmise au Comité R, par l'intermédiaire du cabinet du ministre de la Justice, le 3 juin 2002, veille de l'examen par les commissions du suivi.

Celles-ci constatent que l'attitude de la Sûreté de l'État et du cabinet de la Justice concernant le rapport sur cette enquête de contrôle prête à confusion.

Le rapport sur l'enquête de contrôle a été transmis pour avis au ministre compétent le 21 mars 2002. L'article 37 de la loi organique du 18 juillet 1991 dispose que le ministre de la Justice a un mois pour émettre cet avis, après quoi le Comité R décide lui-même de rendre public tout ou partie de son rapport. Les commissions du suivi constatent que ni le ministre ni les services compétents n'ont émis d'observations dans le délai prévu par la loi.

Les commissions du suivi ont reçu le rapport de contrôle le 16 avril 2002.

Le lundi 27 mai 2002, la commission du suivi du Sénat a organisé une réunion avec les chefs de cabinet du premier ministre et des ministres de la Justice et de l'Intérieur, ainsi qu'avec M. Buyse, administrateur général adjoint de la Sûreté de l'État, pour permettre au gouvernement de réagir aux conclusions de cette enquête de contrôle avant qu'elle ne soit examinée dans le cadre de la discussion du rapport annuel. À ce moment-là non plus, aucune objection n'a été émise à l'encontre de la publication du rapport de contrôle.

Le vendredi 31 mai 2002, le Comité a reçu une première lettre de M. Buyse, administrateur général adjoint de la Sûreté de l'État, dans laquelle il communiquait n'avoir pas d'objections de principe à ce que l'on publie le rapport sur l'enquête de contrôle. Il demandait toutefois qu'on ne laisse pas subsister dans le rapport des éléments susceptibles de révéler les méthodes de travail de la Sûreté de l'État.

M. Delepière souligne que le rapport a été soigneusement épuré de toute information classifiée ou sensible.

Le lundi 3 juin 2002, le Comité a cependant reçu, par l'intermédiaire du cabinet du ministre de la Justice, une note confidentielle de Mme Timmermans qui demandait de ne pas publier le rapport sous sa forme actuelle.

En dépit de la requête expresse de M. De Man, les commissions du suivi constatent qu'elles ne peuvent pas prendre connaissance des arguments avancés par la Sûreté de l'État dans la note du 31 mai 2002, car il s'agit d'un document classifié au sens de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

Les commissions du suivi déplorent cependant le fait qu'elles ne puissent pas être informées des arguments développés dans la note de la Sûreté de l'État pour empêcher la publication du rapport de contrôle. Il s'ensuit qu'elles ne peuvent pas tenir compte du contenu de la note et estiment qu'il n'existe pas d'arguments pour ne pas publier le rapport dans sa forme actuelle. Donner suite à la requête exprimée dans la note de la Sûreté de l'État entraînerait en effet un renversement des rôles : il n'appartient pas à l'instance contrôlée de déterminer ce qu'un organe de contrôle parlementaire publie ou non. Seules les considérations de sécurité graves pourraient constituer une raison d'empêcher une publication éventuelle. De telles considérations ne peuvent cependant pas être invoquées par le service concerné, mais par le ministre compétent ou, éventuellement, par le premier ministre.

La commission du suivi du Sénat a déjà consacré trois réunions à l'examen de cette enquête de contrôle et le gouvernement a largement eu le temps d'émettre ses éventuelles objections à ce moment-là. Les arguments qui sont avancés dans une note classifiée ne sont pas admissibles pour une commission parlementaire du suivi. Les commissions parlementaires du suivi décident que le Comité R peut publier le rapport sur l'enquête de contrôle dans sa forme actuelle.

III. DISCUSSION DES ENQUÊTES DE CONTRÔLE

1. Audit de la Sûreté de l'État (titre I.3.1 du rapport d'activité 2001)

Mme Lizin souligne l'importance de continuer l'audit de la Sûreté de l'État afin d'établir avec précision les conditions de changement. Bien qu'elle n'ait pas l'impression que la déstabilisation actuelle du service empêche son fonctionnement, elle a le sentiment que le moindre élément négatif est considéré comme une critique sur le travail du service.

M. Hordies estime que la pénurie de personnel au sein de la Sûreté de l'État doit être examinée à la lumière des résultats de l'audit.

M. Delepière rappelle que la première phase de cet audit se composait d'un sondage d'opinion auprès du personnel de la Sûreté de l'État.

La deuxième phase doit permettre d'objectiver les données recueillies. On a examiné en particulier dans quelle mesure les définitions données sur papier aux missions correspondent à la réalité. Le rapport d'experts qu'on vient de recevoir montre qu'il existe un véritable problème de gestion à divers niveaux, d'une part, et un excès de bureaucratisation dû au nombre élevé de contrôles des agents sur le terrain, d'autre part. En outre, on attire l'attention sur le fait que les services extérieurs ont largement répondu, contrairement aux services administratifs, où la collaboration est sensiblement inférieure. On entend transmettre ce document avant les vacances parlementaires au gouvernement et aux commissions du suivi.

M. Tony Van Parys insiste pour que le gouvernement dispose du rapport avant de discuter, le 23 mai 2002, la note qui a été demandée concernant l'avenir de la Sûreté de l'État.

M. Hugo Vandenberghe estime que les commissions du suivi doivent également pouvoir disposer du rapport en question. En effet, il serait inimaginable que le gouvernement soit le seul à disposer de ces données.

2. Enquête de contrôle concernant le fonctionnement des services de renseignements belges dans la gestion d'éventuelles informations dans un contexte préalable à la passation d'un marché international (affaire Tractebel) (titre I.3.2)

En ce qui concerne l'enquête de contrôle dans l'affaire Tractebel, M. Vandenberghe rappelle que la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles a rendu un arrêt le 28 juin 2001, la Sûreté de l'État ayant eu pour la première fois recours à la procédure prévue à l'article 38, § 2, de la loi du 30 novembre 1998. Cette procédure permet au chef d'un service de renseignements de faire opposition à la saisie judiciaire de documents classifiés en introduisant une requête devant la chambre des mises en accusation. Cet arrêt est en tout cas une primeur, mais force est toutefois de se demander s'il constitue également un précédent.

Au cours de la discussion du projet qui devait devenir la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignements et de sécurité, on a débattu longuement des passerelles entre les instructions judiciaires et la Sûreté de l'État, sans toutefois trouver de solution satisfaisante au problème. Il subsiste donc une zone d'ombre, notamment quand la Sûreté de l'État dispose d'informations importantes pour des instructions. Dans l'affaire Tractebel, les enquêteurs ont estimé qu'ils devaient pouvoir prendre connaissance de certains documents de la Sûreté de l'État et celle-ci s'y est opposée selon les conditions prévues par la loi.

La chambre des mises en accusation s'est bornée, dans son arrêt, à répéter les conditions de la loi. Cependant, il lui appartient d'examiner ces conditions et de donner une motivation qui satisfasse à l'obligation de motivation prévue dans la Constitution et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt ayant également des conséquences pour la procédure pénale. La motivation doit donc être pertinente et on doit pouvoir déduire de la décision qu'elle est rationnelle. En effet, la motivation constitue une garantie démocratique contre les décisions arbitraires. L'arrêt ne peut donc se contenter de constater que les conditions sont réunies sans que l'on puisse déduire quels sont les arguments de fond. Cette obligation de motivation est détaillée dans plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.

On ne comprend pas très bien non plus pourquoi le délai de 15 jours prévu à l'article 38, § 2, a été dépassé de plusieurs mois.

L'inquiétude du Comité R concernant ce dossier est tout à fait justifiée du point de vue de l'État de droit et cela vaut la peine de continuer à le suivre.

Mme Lizin estime que le recours à l'article 38 donne un sentiment très particulier par rapport au dossier Tractebel.

M. Jean-Claude Delepière annonce que son comité entamera sous peu l'examen de la documentation dont il dispose, pour établir dans quelle mesure les raisons que la Sûreté de l'État a avancées dans les requêtes qu'elle a introduites en vue de l'application de l'article 38, § 2, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité étaient justifiées.

Il considère par ailleurs que le traitement différent des mêmes données prouve qu'il y a un manque de coordination entre les autorités judiciaires.

Il confirme en outre que l'arrêt du 28 juin 2001 de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles ne comportait aucune motivation.

Enfin, M. Delepière considère que force est de constater ­ même en envisageant des délais réalistes ­ que la chambre des mises en accusation susvisée a trop largement dépassé le délai légalement imparti pour l'examen de telles requêtes.

3. Activités du secteur privé dans la sphère du renseignement (titre I.4.1.)

Mme Lizin estime que la prolifération du secteur privé dans les activités de renseignement est un élément significatif sur le territoire belge. Elle demande s'il serait possible de dresser un inventaire des sociétés qui sont actives en ce domaine en Belgique.

M. Vande Walle, conseiller au Comité permanent R, répond que la plupart de ces services font partie de groupes internationaux et que leur fonctionnement ne se concentre pas sur la Belgique en tant que telle.

Il considère dès lors qu'il convient, dans ce contexte, d'établir une typologie des services offerts plutôt que d'inventorier les entreprises concernées.

M. Delepière ajoute que l'on examinera sans doute cette problématique en collaboration avec le Comité permanent P.

4. Rapport complémentaire d'enquête à la demande des commissions du suivi P et R concernant le « rapport sur l'enquête relative au SGR à la suite d'une plainte de particulier » (titre II.A., chapitre 6)

M. Hordies rappelle que la demande des commissions du suivi visait uniquement à trouver une réponse claire et nette sur le classement et la conservation du dossier concret établi par le SGR comme suite à une enquête de sécurité au cabinet du ministre de la Défense de l'époque. Cette question doit être située dans un souci plus large concernant la politique de classification et de conservation des dossiers des services de renseignements.

Il propose d'organiser un échange de vues avec la Sûreté de l'État et le SGR sur cette matière pour leur poser une série de questions très précises.

M. Delepière répond que ce dossier a clairement montré qu'une étude à la fois de l'ancienne et de l'actuelle méthodologie du SGR s'impose, pour ce qui est tant de l'archivage que de la destruction d'archives.

5. Protection du potentiel scientifique et économique (titre II.A., chapitres 5 et 7)

Mme Lizin fait remarquer que récemment encore un autre centre de recherche, qui se trouve sur le même site de l'Université de Liège que celui dont il est question au chapitre 7 du présent rapport (2), a été l'objet d'un vol de disque dur. Ces infractions ne sont pas le travail d'un informaticien intellectuel qui essaie de pénétrer un système informatique mais de criminels bien organisés qui savent ce qu'ils cherchent et qui disposent des moyens matériels pour l'obtenir.

Il est donc clair qu'en matière de protection des informations économiques, nous sommes confrontés à un vide. Nos deux services de renseignements doivent absolument augmenter leurs efforts pour la lutte contre ce type de criminalité scientifique et économique.

M. Hordies estime que le rapport « Lernout et Hauspie » (3) illustre bien l'absence de vigilance préalable dans le chef de nos services de renseignements. Cette même absence de vigilance est également démontrée par les intrusions dans le centre de recherche à Liège.

À propos de cette dernière enquête, le ministre de la Défense se réfère dans sa réponse au rapport à une directive du 21 mai 2001, approuvée par le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité, relative aux modalités du contrôle de l'exécution de la mission de l'officier de sécurité. Il demande si cette directive reprend l'obligation de rapporter tout incident au SGR, proposée par le Comité R.

M. Delepière examinera cette demande.

6. Rapport de l'enquête sur la manière dont les services de renseignement s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes (titre II.B., chapitre 1er)

M. Vandenberghe estime que c'est au Comité R que revient le mérite d'avoir fait rapport au sujet de cette problématique. Le rapport proprement dit et l'exposé introductif de M. Delepière ont esquissé une série de possibilités d'aborder cette problématique d'une manière plus proactive et de privilégier une analyse stratégique. Les conclusions du comité à propos de la capacité d'analyse insuffisante sont d'ailleurs conformes à la conclusion de la commission d'enquête sur la Criminalité organisée (1996-1998), selon lesquelles, d'une part, la lutte contre la criminalité pèche par un manque d'analyse stratégique et de perspective et, d'autre part, l'approche du phénomène est beaucoup trop incidente. Les commissions du suivi doivent examiner quelles mesures urgentes il y a lieu de prendre pour changer la façon d'aborder les choses.

M. Vandenberghe signale toutefois que le problème de l'extrémisme islamique ne peut pas être ramené à un problème ne concernant que la Sûreté de l'État. Le problème s'inscrit dans un contexte beaucoup plus large : la politique étrangère, la politique d'intégration, la politique des villes. Il faut donc s'attaquer au problème dans sa globalité, y compris au niveau international. Il ne faut pas susciter l'illusion que l'on pourrait résoudre le problème en se contentant de renforcer la Sûreté de l'État.

Mme Lizin fait remarquer que l'analyse de l'extrémisme ne peut toutefois pas exclusivement être orientée sur l'extrémisme musulman. Il y a en effet toutes sortes d'extrémisme : il y a aussi des groupes d'extrémistes juifs ou d'autres religions. Il y a certainement des services de renseignements liés aux deux types d'extrémisme actifs sur notre territoire. Ces services doivent sentir une surveillance des autorités belges à l'égard de leurs diverses manoeuvres. Elle estime que le soutien de certaines ambassades à ces mouvements extrémistes doit être surveillé. Il faut également examiner quelles connexions existent. C'est ainsi qu'elle voudrait voir éclaircies dans un futur rapport les activités du Mossad et Shin Bet sur notre territoire.

À propos des événements du 11 septembre 2001, Mme Lizin rappelle que le Congrès américain débat actuellement des multiples erreurs commises par leurs services de renseignements et de police qui jettent un doute sur la note en bas de page nº 25 (4). Il y a aussi des articles qui prétendent exactement l'inverse et qui affirment que certaines informations ont été bloquées par certains services Israéliens. Ce qui est par contre certain, c'est que des données très précises ont été fournies à Washington par les Français déjà en 2000 par le biais du legal attaché du FBI près de l'ambassade à Paris. C'est à Washington que l'information n'a pas été transmise correctement.

M. Hordies aurait souhaité avoir plus de détails quant aux sources de ce rapport et plus d'exemples de discours tenus et de tracts diffusés par les organisations extrémistes, à moins que le comité ne puisse pas les publier, parce que les informations en question sont classifiées.

M. Van Parijs souhaite obtenir de plus amples informations sur un certain nombre de points. Le rapport de l'enquête de contrôle indique par exemple que des organisations extrémistes font pression sur les hommes politiques dans le cadre de la procédure de naturalisation. Il considère comme particulièrement important que le Parlement obtienne des précisions à cet égard.

Il est aussi question d'une influence comparable sur les pouvoirs publics fédéraux et sur la magistrature. Ces constatations sont à ce point préoccupantes que les commissions du suivi et le Parlement doivent obtenir davantage d'informations à ce sujet.

Il en va de même de l'affirmation selon laquelle 10 % des mosquées diffusent des idées inconciliables avec nos convictions démocratiques. Il souhaiterait savoir quelles sont les mosquées qui diffusent de telles idées et informations.

Enfin, le rapport constate à plusieurs reprises que l'administration des Établissements pénitentiaires ne fournit aucune information sur la présence d'influences islamistes extrémistes dans les prisons. Il aurait aimé savoir ce qu'on lui reproche exactement et ce que l'on peut faire pour contraindre l'administration des Établissements pénitentiaires à fournir effectivement des renseignements.

M. De Man constate qu'il existe une certaine réticence à communiquer des informations sur les mouvements islamistes extrémistes. Il demande si cette gêne procède de ce que l'on a coutume d'appeler le « politiquement correct » ou si cela tient au fait qu'il existe, depuis des années, un accord entre nos services de sécurité et ces organisations pour ne pas se prendre en grippe mutuellement. Depuis le milieu des années 90 court en effet une rumeur tenace selon laquelle il y aurait un accord entre les services de sécurité (ou les ministres compétents) pour ne pas inquiéter ces organisations extrémistes en Belgique aussi longtemps qu'elles n'entreprennent aucune action dans notre pays (attentats, actes de violence) (cf. Achmed Zaoui qui a pu quitter librement la Belgique).

Le rapport du Comité R fait mention du mouvement des prédicateurs Tabligh. Les « Tablighi » sont présents notamment dans nos prisons, tant parmi les détenus que parmi les aumôniers. Ils accompagnent et guident aussi les toxicomanes d'origine maghrébine. M. De Man aimerait savoir de combien de personnes il s'agit. On a apparemment l'intention de les subventionner de plus en plus en Belgique. Comment nos services de renseignements réagissent-ils face à ce mouvement ?

M. De Man revient aussi sur la constatation selon laquelle ces mouvements extrémistes tentent de faire du lobbying auprès des partis politiques et des syndicats. Selon la Sûreté de l'État, il s'agit notamment de demandes de naturalisation, de demandes de subventions pour les mosquées ­ 75 mosquées sont déjà subventionnées, des dizaines d'autres le seront ultérieurement. La Sûreté de l'État sait-elle si ce travail de lobbying a été payant ? Les naturalisations de personnes déterminées ont-elles été favorisées ? Compte tenu de ce qui s'est passé ces derniers mois en commission des Naturalisations de la Chambre, il suppose que l'on peut effectivement parler d'influence. Dans quelle mesure est-on parvenu à faire aboutir des demandes de subvention pour certaines mosquées ?

Le rapport mentionne également qu'avant le 11 septembre 2001, la Sûreté de l'État, bien qu'elle ait suivi la question, n'avait manifestement pas encore pu recueillir de renseignements suffisants pour pouvoir prévenir les autorités et éviter que de jeunes islamistes ne soient recrutés en Belgique pour les camps d'entraînement en Afghanistan.

Entre-temps, nous avons également appris que deux Belges ont été arrêtés en Afghanistan et emprisonnés sur la base américaine située à Cuba. Combien de ces jeunes islamistes sont partis pour des camps d'entraînement à l'étranger et quelle sera, à l'avenir, l'attitude de nos services de renseignements en la matière ? Ces personnes mènent une guerre contre une coalition militaire dont la Belgique fait partie.

M. Coveliers estime que ce rapport de contrôle a le mérite d'attirer pour la première fois l'attention sur la menace que constituent certains groupes islamistes. Il est évident que l'islam n'a pas le monopole des tendances fondamentalistes. La menace fondamentaliste peut également émaner d'autres religions. Pendant longtemps, il y a eu une résistance politique à aborder ce problème.

Au demeurant, ce rapport n'est pas le seul à l'aborder. C'est ainsi que M. Spreutels, président de la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), a déclaré qu'on examine actuellement 34 dossiers concernant le financement de l'extrémisme fondamentaliste. Cette déclaration correspond aux constatations de l'enquête de contrôle en question.

Ce rapport doit être l'occasion, pour le pouvoir exécutif, de réorienter les priorités et les moyens de la Sûreté de l'État (par exemple, d'engager des personnes qui parlent l'arabe). Les événements de septembre 2001 prouvent en effet parfaitement qu'il s'agit d'une menace réelle.

Enfin, il ne voit aucun problème à ce que le rapport soit publié dans sa forme actuelle. Toutefois, il souhaite que l'on approfondisse la question de l'influence exercée sur la politique et la magistrature. Il est évident que cette enquête ne doit pas se limiter aux mouvements islamistes. Toutefois, il est bon d'être conscient de ce risque d'influence.

M. De Decker observe que le rapport fait allusion à la lutte entre forces fondamentalistes et modérées dans la conquête du pouvoir au sein de l'organe de gestion du culte musulman en Belgique. Cela est un élément très important du rapport et il demande au Comité R de commenter cette partie du rapport et de décrire ce que l'on peut faire en cette matière. Régulièrement, la Sûreté de l'État refuse des personnes désignées pour siéger dans ces organes, ce qui mène à un blocage. Un article dans le Figaro montre que la France connaît exactement le même problème avec l'organisation du culte islamique et la même lutte entre forces modérées et fondamentalistes.

Il voudrait également que le Comité R fasse un commentaire sur le travail de la Sûreté de l'État concernant les procédures de naturalisation. La Sûreté de l'État regrette que la magistrature ne tienne pas assez compte de ses avis.

M. Vande Walle précise que les sources des informations dont il appert que certains dépositaires de l'autorité publique ont subi des pressions, ne peuvent pas être divulguées. Il faut cependant se garder de considérer que ce phénomène est unilatéralement négatif.

M. Hordies insiste pour que l'on divulgue au moins les données obtenues de sources publiques.

M. Delepière précise que certaines données proviennent de personnes qui ont explicitement demandé à bénéficier du couvert de l'anonymat. Ce n'est qu'après avoir reçu cette garantie, qu'elles ont fait des déclarations dont il appert que des pressions ont été exercées sur des membres de la magistrature et ­ en ce qui concerne la problématique de la naturalisation ­ sur certains hommes politiques. Les informations recueillies de cette manière ont par ailleurs été confirmées par la Sûreté de l'État.

Ce service n'enquête pas systématiquement sur les personnes engagées par les diverses mosquées. La pénurie de personnel empêche en effet toute action proactive, même si les rumeurs dans ce contexte ne sont pas rares.

M. Delepière souligne enfin que le rapport de contrôle du Comité R ne concerne évidemment pas la religion islamique comme telle, mais qu'il contient une mise en garde contre l'action de certains groupes fondamentalistes qui se cachent derrière cette religion. Les activités légales de ces organisations ne sont que le sommet de l'iceberg et le véritable danger réside dans leurs activités occultes. La préoccupation du Comité R ne concerne bien sûr pas uniquement la mouvance islamiste, mais aussi les fraudeurs, la criminalité organisée, etc. C'est pourquoi il est recommandé de concevoir une typologie applicable à chacun de ces phénomènes.

M. De Man déplore que certaines questions soient toujours sans réponse. On ne sait par exemple toujours pas avec précision quelles sont les mosquées qui prêchent l'extrémisme. Comme il s'agit là d'un sujet extrêmement sensible pour l'opinion publique, ces informations doivent être communiquées aux commissions du suivi.

M. De Smedt, membre du Comité R, rappelle que le comité n'est pas un service de renseignements. Sa mission se limite à exercer un contrôle au nom du Parlement sur les services de renseignements. En effet, pour pouvoir maintenir le niveau du rapport d'activité, il faut que les compétences des différents acteurs soient clairement définies.

M. Van Parijs adhère à ce point de vue. Il estime en revanche que le Parlement doit avoir la possibilité de veiller à ce que les mosquées reconnues par les pouvoirs publics ne soient pas le théâtre de pratiques inadmissibles dans une société démocratique.

M. De Decker estime que le Parlement ne doit pas appréhender jusque dans ses moindres détails un phénomène nuisible pour pouvoir jouer son rôle.

7. Rapport de l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État a assuré le suivi de l'abattoir islamique de Gembloux (titre II.B, chapitre 2)

Ce rapport apprend à M. De Man que le gouvernement wallon avait l'intention de participer, à concurrence de 25 millions de francs, à la relance de l'abattoir islamique de Gembloux. L'intervenant estime que quand on lit la suite du texte, on est bien forcé de se poser une série de questions. La région a-t-elle finalement concrétisé cette intention ?

L'éventualité d'une intervention de la Région wallonne n'a suscité aucune réaction de la part de la Sûreté de l'État. Cela lui semble tout de même très singulier, étant donné que l'article 19 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignements et de sécurité permet à ce service de communiquer des données à des autorités administratives compétentes conformément aux finalités de ses missions. Chacun a manifestement été laissé dans l'incertitude sur ce qui se passe autour de cet abattoir.

8. Propositions de mesure législatives et autres à prendre en matière de services de renseignements (titre III, chapitre 2)

M. Vandenberghe attire l'attention sur le fait que le Comité R formule des propositions soigneusement élaborées dans ce chapitre. Les Commissions du suivi doivent accorder l'attention nécessaire à ces propositions, qui donnent un aperçu global des mesures qu'on pourrait prendre pour améliorer le fonctionnement des services de renseignements et le contrôle de ceux-ci.

9. Document de travail relatif aux conditions d'octroi éventuel à la Sûreté de l'État et au SGR de l'autorisation de procéder à des interceptions de sécurité (titre III, chapitre 3)

M. Vandenberghe attire également l'attention sur le problème des écoutes téléphoniques administratives ­ un problème qui n'est toujours pas résolu. La Sûreté de l'État est le seul service en Europe qui ne peut pas utiliser cette technique, alors qu'on a souligné clairement, dans le rapport sur la criminalité organisée, l'importance des écoutes téléphoniques administratives dans la lutte contre la criminalité organisée (5). Sans écoutes téléphoniques, il n'est pas possible de recueillir suffisamment d'informations. Évidemment, les abus sont possibles, mais rien n'empêche de soumettre les écoutes téléphoniques administratives à un contrôle, qui pourrait être exercé, par exemple, par un juge d'instruction.

En tout cas, c'est un point dont il faut discuter d'urgence. Le fait que certaines informations ne peuvent pas être recueillies, parce que les services ne disposent pas des moyens adéquats, fait peser une lourde responsabilité sur ceux qui sont compétents pour octroyer ces moyens.

IV. RECOMMANDATIONS DES COMMISSIONS DU SUIVI

1. Les commissions du suivi demandent au gouvernement de lui communiquer les décisions que le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité a prises en application des arrêtés royaux du 21 juin 1996 et de la loi du 30 novembre 1998.

Il s'agit des décisions que le comité ministériel doit prendre pour donner corps aux missions légales des services de renseignements, à savoir :

­ définir la politique générale du renseignement, fixer les priorités des services de renseignements et organiser la coordination de leurs activités;

­ fixer les conditions de la communication visée à l'article 19, alinéa 1er, de la loi du 30 novembre 1998, c'est-à-dire la communication des renseignements aux ministres et aux autorités administratives et judiciaires concernées, aux services de police et à toutes les instances et personnes compétentes;

­ fixer les conditions de la coopération visée à l'article 20, § 1er, de la loi du 30 novembre 1998, c'est-à-dire la coopération avec les autres services belges, les services de renseignements étrangers et les autorités judiciaires et administratives;

­ définir, conformément à l'article 7, 1º, de la loi du 30 novembre 1998, le potentiel scientifique ou économique dont la protection est confiée à la Sûreté de l'État.

2. Les commissions du suivi demandent au gouvernement de prendre au sérieux la menace représentée par l'islamisme radical, à propos de laquelle le Comité R constate :

­ que le Comité R n'est pas convaincu que la Sûreté de l'État soit parvenue à sensibiliser les autorités politiques à cette menace;

­ que cette menace consiste en ce que l'islamisme radical diffuse des points de vue autoritaires ou totalitaires de nature politique et confessionnelle, qui sont contraires aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit;

­ que l'islamisme radical s'oppose ainsi à toute forme d'intégration véritable et menace la politique d'accueil et d'intégration. Ce sont surtout les jeunes maghrébins et turcs de la deuxième et de la troisième génération qui risquent d'être les victimes de cette menace.

Les commissions du suivi demandent au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre cette menace.

Il faut permettre en particulier à la Sûreté de l'État de récolter et d'analyser des renseignements relatifs aux activités des mouvements islamistes radicaux en Belgique. Cette analyse, effectuée par des analystes spécialisés, doit permettre d'appréhender la stratégie déployée à court, à moyen et à long terme par l'islamisme radical en vue d'étendre son influence au domaine politique, économique et social en Belgique.

À titre ponctuel, les commissions du suivi recommandent au gouvernement de charger l'administration pénitentiaire de fournir à la Sûreté de l'État des renseignements sur l'influence islamiste radicale dans les prisons.

3. D'une manière générale, les commissions du suivi recommandent de mettre à la disposition des services de renseignements les moyens personnels et techniques nécessaires pour qu'ils puissent remplir convenablement leurs missions légales.

Cet objectif suppose que le cadre du personnel soit complètement pourvu, qu'il soit élargi et que les services de renseignements soient autorisés à effectuer, à des conditions strictes, des interceptions de sécurité.

Le recrutement urgent d'agents polyglottes maîtrisant des langues étrangères telles que l'anglais, l'allemand, l'arabe, l'italien ou le russe est une nécessité absolue.


Le présent rapport ainsi que les recommandations ont été admis à l'unanimité des membres des commissions du suivi.

Les rapporteurs, Les présidents,
Anne-Marie LIZIN. Armand DE DECKER.
Hugo VANDENBERGHE. Herman DE CROO.

Tony VAN PARYS.

Daniel BACQUELAINE.


ANNEXE

RAPPORT D'ACTIVITÉ 2001 DU COMITÉ PERMANENT R


TITRE I

INTRODUCTION

Aperçu général

1. Préambule

Un rapport annuel est le meilleur moyen pour une institution publique de rendre compte de ses activités. A ce titre, le Comité permanent R étant un organe de contrôle dépendant du Parlement, il faut distinguer trois objectifs différents : le compte rendu de ses propres activités, le fonctionnement des services sur lesquels son contrôle s'exerce mais aussi les problématiques qui sont mises en évidence par ce contrôle et par ce fonctionnement.

Ces trois objets sont traités dans le cadre des enquêtes de contrôle effectuées par le Comité R au cours de l'année 2001 et qui sont reprises dans le présent rapport.

La finalité d'un contrôle externe ne réside pas dans la seule constatation d'éventuels problèmes ou dysfonctionnements mais dans la recherche de solution à ceux-ci. La spécificité du Comité permanent R comme collège indépendant et pluraliste est de faire rapport aux représentants de la Nation et de leur permettre ainsi de rechercher les voies les plus adaptées pour répondre aux éventuels problèmes de dysfonctionnements constatés.

Cette mission de contrôle tout aussi passionnante que délicate comprend deux aspects :

­ la protection des valeurs que la société a érigées en valeurs fondamentales et plus particulièrement les droits que la Constitution et la loi reconnaissent aux citoyens;

­ l'efficacité et la coordination des services de renseignements auxquels la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité impose dans l'exercice de leurs missions de veiller au respect et de contribuer à la protection des droits et libertés individuels, ainsi qu'au développement démocratique de la société (article 2).

2. Généralités

2.1. Les enquêtes de contrôle

Du 1er janvier au 31 décembre 2001, le Comité permanent de contrôle des services de renseignement et son service d'Enquêtes ont eu en traitement un total de 33 enquêtes, dont 18 ont été ouvertes au cours de la même période. Parmi ces dernières enquêtes, 10 ont été ouvertes sur initiative du Comité R, trois à la suite de plaintes de particuliers et cinq à la demande des assemblées parlementaires.

Ces enquêtes concernent pour 10 d'entre elles uniquement la Sûreté de l'État et pour 3 d'entre elles uniquement le service général du Renseignement et de la sécurité des Forces armées. Les cinq enquêtes restantes sont relatives à des matières qui relèvent de la compétence des deux services.

À la date de clôture du présent rapport, 15 enquêtes de contrôle sont toujours ouvertes et en traitement, soit que des devoirs complémentaires sont encore à exécuter par le service d'Enquêtes, soit que celui-ci ait transmis les résultats de ses investigations au Comité permanent R qui prépare un rapport destiné, comme l'article 33, alinéa 3, de la loi organique de contrôle le prévoit, aux ministres concernés ainsi qu'à la Commission sénatoriale de suivi.

Les rapports d'enquêtes déjà transmis aux ministres de la Justice et de la Défense nationale, ainsi qu'au Parlement sont repris sous le titre II du présent rapport général d'activités 2001.

2.2. Les notes d'informations

En marge des enquêtes de contrôle et suite aux événements du 11 septembre 2001 et à la présidence belge de l'Union européenne, le Comité permanent R a également dressé, le 8 octobre 2001, à destination des membres de la commission parlementaire d'accompagnement du Comité R, ainsi qu'à destination des ministres de la Justice et de la Défense nationale une « brève évaluation de l'efficacité actuelle des services de renseignement ». Cette première note a été suivie d'un « complément d'évaluation de l'efficacité actuelle de la Sûreté de l'État » du 14 novembre 2001.

Un « État des enquêtes en cours qui concernent l'activité des services de renseignement en rapport avec l'extrémisme islamique » a également été joint à la note précitée du 8 octobre 2001.

Ces enquêtes ont entre temps fait l'objet de rapports qui se trouvent reproduits au titre II (voir l'enquête sur la manière dont les services de renseignement s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes » et « l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'Etat a assuré le suivi de l'abattoir islamique de Gembloux »).

Ces rapides analyses dictées par les événements, ont fait apparaître notamment en substance que face aux missions définies par la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, les moyens humains, techniques et légaux de la Sûreté de l'État, en ordre principal, et du SGR, dans une certaine mesure, restent insuffisants.

Le contenu de ces notes est repris intégralement sous le titre III du présent rapport.

La Commission permanente du Sénat chargée du suivi du Comité permanent R réunie le 10 octobre 2001 a également demandé au comité de lui soumettre une liste de mesures législatives et autres qui seraient de nature à améliorer l'efficacité des services de renseignements belges, tout en préservant les droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes.

Le Comité permanent R a adressé le texte de ces propositions le 30 octobre 2001 (voir titre III).

Il a notamment insisté dans cette note sur une proposition qu'il avait déjà faite précédemment en 1995 de mettre en place dans notre pays un coordinateur du renseignement chargé de faire parvenir au Comité ministériel du renseignement, aux ministres compétents ou aux autorités judiciaires et administratives concernées, la production des services de renseignement sur des matières jugées prioritaires ou d'intérêt commun.

Le Comité permanent R estime en effet que la transmission d'analyses pertinentes aux responsables politiques et économiques est plus que jamais une des finalités essentielles des services de renseignement dans la politique de sécurité du pays.

Le Comité permanent R a d'autre part insisté sur la nécessité d'insérer une nouvelle disposition dans l'article 33 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements, de manière à ce que tous les arrêtés, règles, directives et mesures prises par les autorités gouvernementales et qui concernent les services de renseignement figurent parmi les documents à transmettre d'initiative au Comité permanent R. La liste de ces textes se trouve reprise en annexe à la note précitée et comprend notamment les directives et décisions du Comité ministériel du renseignement.

Dans le contexte de la problématique des écoutes administratives, le Comité permanent R a également transmis à sa commission de suivi « un document de travail relatif aux conditions d'octroi à la Sûreté de l'État et au SGR de l'autorisation éventuelle de procéder à des interceptions de sécurité » (voir titre III).

À plusieurs reprises, le Comité permanent R a recommandé que ce type de moyens soit mis à la disposition des services de renseignement belges (voir rapport d'activités 2000 ­ p. 56). Il a également insisté pour que ces techniques fassent l'objet d'un contrôle démocratique efficace.

Le Comité permanent R souligne qu'il ne faut pas négliger pour autant le recueil du renseignement par des moyens humains (Humint). Le renseignement technique et le renseignement humain ne s'opposent pas, ils se complètent.

2.3. Les rapports d'enquêtes complémentaires

Enfin, le Comité permanent R a dressé des rapports complémentaires concernant des enquêtes ayant déjà fait l'objet de son rapport général d'activités précédent, à savoir : « L'enquête sur la manière dont les services de renseignement ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge » (voir rapport d'activités 2000 ­ p. 60 à 65), « L'enquête sur le fonctionnement de nos services de renseignement dans un trafic d'armes révélé au Comité R par une source ouverte » et « l'enquête de contrôle concernant le SGR suite à la plainte d'un particulier » (voir rapport d'activités 2000 ­ p. 169 à 171).

2.4. Les enquêtes judiciaires

L'article 40 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement prévoit que le Service d'enquêtes du Comité permanent R « d'initiative ou sur réquisition du procureur du Roi, de l'auditeur militaire ou du juge d'instruction compétent, effectue, en concurrence avec les autres officiers et agents de police judiciaire et même avec un droit de prévention sur ceux-ci, les enquêtes sur les crimes et délits à charge des membres des services de renseignements ».

Dans le cadre de cette compétence, le service d'Enquêtes du Comité R a traité au cours de l'année écoulée quatre dossiers judiciaires, dont trois sont actuellement terminés.

L'affaire la plus importante des trois, et qui fait actuellement l'objet d'une enquête de contrôle dont il est par ailleurs question au point 3.2. ci-dessous, concernait les rapports de la Sûreté de l'État avec l'appareil judiciaire. Elle a nécessité de nombreux devoirs, mais surtout l'élaboration d'un programme informatique spécifique afin de permettre l'exploitation de nombreux documents saisis par le magistrat instructeur.

La seconde et la troisième de ces enquêtes sont relatives respectivement à des faits supposés de violation du secret de la correspondance et à une plainte pénale d'un particulier concernant des faits présumés de harcèlement. Le volet judiciaire de ces deux affaires dépendra des décisions qui seront prises par le parquet de poursuivre ou de classer sans suite.

Le Comité R compte demander accès aux dossiers judiciaires afin d'ouvrir d'éventuelles enquêtes de contrôle dans ces deux derniers dossiers.

Une quatrième enquête judiciaire toujours en cours, et nécessitant d'importants devoirs, concerne une affaire de compromission relative à la divulgation de renseignements classifiés en application de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité (6).

Comme pour les cas précédents, le Comité permanent R demandera accès au dossier après clôture de l'information judiciaire et évaluera l'opportunité d'ouvrir à son tour une enquête de contrôle.

3. La situation particulière de certaines enquêtes en cours

3.1. L'audit de la Sûreté de l'État

Dans le cadre de sa mission légale de contrôle de l'efficacité des services de renseignement, le Comité permanent R a ouvert, fin 1999 et début 2000, trois enquêtes relatives à d'éventuels dysfonctionnements au sein de la Sûreté de l'État.

Ces enquêtes ont été lancées d'initiative par le Comité permanent R et dans un premier temps sur la base d'informations parues dans la presse. Ces informations provenant vraisemblablement de l'intérieur même de cette administration faisaient notamment état d'un malaise général au sein de ce service de renseignement susceptible de nuire à son bon fonctionnement.

Au-delà des constatations ponctuelles propres à chacune de ces enquêtes, le Comité permanent R a été interpellé par le climat de démotivation générale qui semblait se dégager de celles-ci. Cet élément confirmé par d'autres informations parvenues à la connaissance du Comité ne pouvait en tant que tel être traité efficacement dans le cadre d'enquêtes classiques.

Chargé notamment du contrôle pour compte du pouvoir législatif de l'efficacité de la Sûreté de l'État et du SGR, le Comité permanent R se doit d'être attentif à tout ce qui peut menacer cette efficacité et à en faire rapport aussi bien au Sénat, à la Chambre des représentants, qu'aux ministres concernés (articles 1 et 35 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements).

Le Comité permanent R a d'autre part toujours veillé à ne pas dépasser le cadre de ses compétences légales et à ne pas s'immiscer dans la gestion opérationnelle des services de renseignement sur lesquels il exerce un contrôle.

Il a tenu compte aussi du fait que tout changement dans n'importe quel service ou administration est toujours susceptible de rencontrer des mécontentements voire même des résistances.

Le Comité permanent R, conscient tout à la fois du danger de tirer des conclusions définitives sur la base d'informations parcellaires mais aussi de l'aspect révélateur d'une série de symptômes concordants révélés notamment par les enquêtes précitées, a donc décidé, dans la foulée de l'enquête ouverte le 24 octobre 2000 sur les ressources humaines des services de renseignement toujours en cours, de faire procéder à un audit général de ce service.

Pour réaliser cet audit, le Comité permanent R a fait appel à la collaboration de deux experts de l'ancien bureau ABC (Advies Bureau Conseil) dépendant du ministère de la Fonction publique.

Ce faisant, le Comité permanent R n'a nullement eu l'intention de remettre par ailleurs en question l'appel de la direction de la Sûreté de l'État d'étendre ­ ou du moins ­ de pouvoir compléter son cadre en personnel. Ceci dit, il rappelle que l'efficacité d'un service est la résultante de facteurs multiples : moyens légaux, budgets, ressources humaines, formation, motivation, atmosphère de travail. L'ensemble constitue un équilibre complexe.

Les résultats de la première partie de l'audit ont déjà été communiqués aux commissions de suivi ainsi qu'au ministre de la Justice. La seconde partie est toujours en cours au moment de l'approbation du présent rapport général d'activités.

3.2. Enquête de contrôle concernant « le fonctionnement des services de renseignement belges dans la gestion d'éventuelles informations dans un contexte préalable à la passation d'un marché international (Affaire Tractebel).

Dans son rapport général d'activités 2000, le Comité permanent R faisait état d'une enquête judiciaire dont son service d'Enquêtes avait été chargé dans le contexte d'une instruction déjà en cours pour autre cause au parquet de Bruxelles.

Cette enquête judiciaire intervenait en marge de l'enquête de contrôle ouverte le 22 mai 2000 sous le titre repris sous rubrique.

Le Comité permanent R signalait à l'occasion de cette enquête judiciaire que pour la première fois depuis l'entrée en vigueur de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, il avait été fait application de la procédure prévue à l'article 38, § 2, de cette loi. Cette procédure prévoit pour le chef d'un service de renseignement la possibilité de faire opposition à la saisie judiciaire de documents classifiés en introduisant une requête devant la chambre des mises en accusation.

En l'espèce, les raisons de cette opposition mentionnées dans la notification pour information faite en vertu de la loi au président du Comité permanent R par le chef du service concerné, étaient les suivantes : « l'atteinte qui pourrait être portée aux relations internationales et le danger pour une personne physique ».

Deux requêtes furent déposées dans ce sens le 31 octobre 2000 et le 5 décembre 2000.

La chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles a rendu son arrêt le 28 juin 2001.

Par cet arrêt, la cour a reçu les deux requêtes en mainlevée des saisies opérées et les a déclarées fondées sur la base des motifs invoqués « qui trouvent leur fondement légal dans les articles 13, 18, 38, § 2, et 43 de la loi du 30 novembre 1998 en ce qui concerne la sécurité des informateurs et dans la règle bien établie « dite du tiers service » dont la violation risquerait effectivement d'affecter la communication et l'échange de renseignements entre les services belges et étrangers ­ lesquelles sont indispensables pour permettre à la partie requérante de réaliser pleinement les objectifs que la loi lui assigne; à cette fin, la partie requérante a, comme elle s'y était engagée le 27 novembre 2000 sollicité l'accord formel de ses correspondants étrangers pour la production en justice de certaines des pièces saisies concernées par la règle « du tiers service » en obtenant, dans certains cas, une réponse positive; les réponses négatives imposent une stricte application de cette règle du « tiers service ».

La Cour signale enfin : « qu'il échet d'observer qu'avec l'accord du correspondant étranger, la partie requérante a pu transmettre au magistrat instructeur les informations contenues dans les documents classifiés sans que ces documents puissent, comme tels, être transmis à ce dernier ».

Si l'enquête de contrôle précitée du Comité permanent R est toujours en cours, celui-ci observe cependant à ce stade, au vu de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation que :

­ le délai de quinze jours prévu par l'article 38, § 2, alinéa 2, dans lequel la chambre des mises en accusation doit statuer a été largement dépassé (8 mois pour la première requête et 7 mois pour la seconde);

­ l'arrêté n'indique nullement comment les motifs avancés dans la requête, à savoir : « l'atteinte qui pourrait être portée aux relations internationales et le danger pour une personne physique » ont été évalués et rencontrés en fait;

­ le juge d'instruction n'a pas eu accès, dans le cadre de la procédure, aux pièces classifiées, alors que l'article 38 § 2, alinéa 3, le mentionne parmi les personnes habilitées à en prendre connaissance.

Force est donc de constater que cette première décision judiciaire n'apporte en la matière aucun élément de nature à éclairer le débat quant au fond et ne peut donc pas faire jurisprudence en la matière, le Comité R ayant en effet le sentiment à la lecture de l'arrêt que celui-ci se contente de réaffirmer l'existence « in abstracto » des motifs invoqués sans les évaluer « in concreto ».

De surcroît, le Comité R constate encore que :

­ la demande d'autoriser la communication de certaines informations au juge d'instruction n'a été faite qu'à l'occasion de la procédure devant la cour d'appel, ce qui semble indiquer qu'au préalable la Sûreté de l'État n'avait pas jugé utile ­ pour des raisons qui restent à déterminer ­ d'envisager la transmission de ces éléments aux autorités judiciaires;

­ le service d'Enquêtes du Comité R a relevé que certaines informations classifiées et faisant l'objet de la procédure de recours prévue à l'article 38 précité, étaient d'autre part également reprises dans d'autres documents saisis n'ayant pas fait l'objet de cette procédure. C'est ainsi que certaines pièces frappées d'embargo par l'arrêt de la cour d'appel se retrouvent par ailleurs à la libre disposition du magistrat instructeur.

Le Comité R a reçu le 8 août 2001, l'autorisation du procureur général près la cour d'appel de Bruxelles de consulter le dossier judiciaire. Il poursuit donc actuellement l'enquête de contrôle principalement dans deux directions : la collaboration avec les autorités judiciaires (et plus particulièrement la mise en oeuvre du protocole confidentiel d'accord du 22 juin 1999) (7) et la communication d'informations relevantes, en temps utile, aussi bien à ces autorités qu'aux autorités politiques.

En ce qui concerne ce dernier aspect, il apparaît déjà que cette communication d'informations disponibles n'a pas eu lieu dans la présente affaire ni à destination de l'entreprise concernée, ni à destination du Premier ministre de l'époque. Il conviendra bien entendu d'en mettre en évidence les raisons.

Si le fonctionnement optimal de ces deux axes essentiels, que sont la collaboration et la communication, est requis dans tous les domaines de compétences des services de renseignement, il l'est avec d'autant plus d'acuité dans la lutte contre le terrorisme, les organisations criminelles et la défense du potentiel scientifique et économique du pays.

Au vu de ces impératifs et nonobstant l'arrêt de la chambre des mises en accusation de Bruxelles dans le cas d'espèce, le Comité permanent R estime qu'une réflexion de principe devrait être initiée quant à l'application de la « règle du tiers » qui fonde la collaboration internationale entre les services de renseignement et qui interdit que sans autorisation préalable du service qui a donné les informations, celles-ci soient communiquées aux autorités politiques et judiciaires nationales du pays qui les reçoit.

Le Comité R rappelle à ce sujet que le principe de la communication des données consacré par le législateur (article 19, alinéa 1er, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité) n'implique pas automatiquement l'usage de celles-ci (par exemple dans une procédure judiciaire) ou leur diffusion publique.

Le Comité R estime aussi qu'avant d'en arriver à des procédures contentieuses du type de celles prévues par l'article 38 précité, qui doivent lui semble-t-il rester l'exception, la coopération entre les services et les différentes autorités, que le législateur a voulu aussi efficace que possible, passe nécessairement, au-delà du respect des accords formels indispensables d'autre part, par la mise en oeuvre d'un dialogue ouvert et constructif.

L'application stricte et sans nuance de cette règle apparaît au Comité R non seulement comme un obstacle potentiel au contrôle démocratique national, mais également, le cas échéant, au bon déroulement d'enquêtes judiciaires importantes. Il faudrait donc certes assouplir l'application de cette règle, tout en étant conscient qu'une telle évolution se heurte au conservatisme dominant dans les services de renseignement. Ceux-ci travaillent d'abord et surtout en fonction des intérêts nationaux.

4. Autres problématiques

4.1. Les activités de renseignement

Dans le cadre de son rapport précédent, le Comité R avait principalement mis en évidence la problématique de la sécurisation de l'information face aux menaces potentielles que représente tout système d'interception globale (voir rapport d'activités 2000, pp. 29 à 60).

Il avait également souligné l'importance de donner les moyens nécessaires à la Sûreté de l'État pour lui permettre de remplir sa nouvelle mission de protection du potentiel scientifique et économique du pays (voir rapport d'activités 2000, pp. 112 à 150).

Des enquêtes plus récentes (voir le rapport intermédiaire relatif à l'enquête de contrôle initié à la demande du Parlement dans le dossier « Lernout & Hauspie » et « l'enquête sur la manière dont les services de renseignement ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentatives d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge » (voir rapport d'activités 2000, pp. 60 à 65), ont montré que des activités scientifiques et économiques de pointe établies dans notre pays sont susceptibles de susciter l'intérêt de personnes ou d'entités étrangères et de constituer des cibles potentielles pour des activités d'espionnage économique.

Le Comité R constate toutefois que nos services de renseignement et particulièrement la Sûreté de l'État, dont c'est une des missions, ne sont toujours pas en mesure de répondre efficacement à ces nouveaux défis et ce pour des raisons diverses comme le manque de moyens humains, techniques et légaux, l'absence de directives en la matière du Comité ministériel du renseignement, et d'une manière générale sans doute aussi d'un manque de sensibilisation dans notre pays pour les problématiques du renseignement et de sécurité.

À de nombreuses reprises, le Comité R s'est demandé à ce sujet, notamment en ce qui concerne le service de renseignement civil, si les analyses transmises aux diverses autorités répondaient bien toujours qualitativement aux attentes des destinataires ? À l'inverse, on pourrait également se demander si les services de renseignement savent toujours bien ce que les décideurs attendent d'eux ?

Le Comité R a constaté à de nombreuses reprises que le problème ne réside pas dans le manque d'informations mais dans le manque ou l'insuffisance d'analyse de ces informations, qu'elles soient recueillies via les sources ouvertes ou via d'autres moyens complémentaires comme le recours à des sources humaines.

Le Comité a certes conscience de la difficulté des missions de renseignement qui doivent aujourd'hui plus qu'hier appréhender des menaces diverses et qui évoluent rapidement, mais il est tout aussi conscient du fait que le renseignement doit être davantage intégré dans le processus décisionnel.

Une trop grande distance entre le renseignement et la décision engendre à la limite l'inutilité du premier et par voie de conséquence sa perte de qualité et de crédibilité tandis qu'elle engendre à terme une moins-value du second.

L'enquête de contrôle « sur la manière dont les services de renseignement s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes » du présent rapport d'activités ainsi que celle « relative à la manière dont la Sûreté de l'État a assuré le suivi de l'abattoir islamique de Gembloux » illustrent bien à différents égard cette problématique et plus précisément la différence entre le renseignement de situation qui cadre davantage dans une logique judiciaire, policière ou de sécurité publique immédiate et le renseignement stratégique davantage tourné vers l'analyse à long terme permettant des prises de décision de nature politique.

Ces enquêtes mises à part et outre la protection du potentiel scientifique et économique, il suffit encore de citer l'analyse effective et constante qui doit être faite des menaces à moyen et à long terme en relations avec les thèmes transnationaux comme la prolifération des armes NBC, le terrorisme international, les organisations criminelles et les organisations sectaires nuisibles, pour illustrer l'impérieuse nécessité de disposer à côté des autres services de sécurité, de services de renseignement nationaux performants.

Ces services doivent être adaptés le mieux possible aux nouveaux défis générés par les évolutions du renseignement contemporain face non seulement à la globalisation et aux développements des nouvelles technologies informatiques et de communication, mais aussi face à la mise en place de réseaux de trafic d'êtres humains dont l'exploitation par le crime organisé permet d'installer et d'étendre les activités de toute nature de celui-ci au détriment des droits fondamentaux des personnes en particulier et de la démocratie en général.

À côté des activités des services de renseignement officiel, le Comité permanent R a déjà fait part précédemment de sa préoccupation devant l'accroissement des activités du secteur privé dans la sphère du renseignement ou dans des domaines connexes.

De plus en plus nombreuses sont aussi les sociétés privées qui se spécialisent au profit de grands groupes industriels, (notamment de l'armement) dans l'intelligence économique ou dans l'investigation financière. Certaines d'entre elles procèdent pour le compte de leurs clients à de véritables enquêtes de sécurité préalables à l'embauche de personnes.

La nécessité d'un débat juridique et d'un contrôle sur la légalité des activités privées d'intelligence se fait donc plus pressante à mesure que les offres de renseignement économique privé se multiplient.

Comme l'a souligné la Commission de la protection de la vie privée, même l'exploitation des sources ouvertes, c'est-à-dire celles pratiquées à partir d'informations accessibles au public, n'exclut pas le respect de certaines règles de droit.

Le Plan fédéral de sécurité évoque la possible contribution que les Comités permanents de contrôle des services de police et de renseignements pourraient apporter en la matière dans les limites de leur mission légale.

Comme les Commissions de suivi en ont convenu à l'occasion de l'approbation du rapport général d'activités 2000, le Comité R examinera au cours de l'année 2002, la problématique des entreprises de renseignements privées et la réaction des services de renseignements dans ce domaine (8).

4.2. L'information du plaignant

Actuellement, la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements ne prévoit qu'une disposition relative à l'information des personnes qui introduisent une plainte auprès des comités.

Il s'agit, en ce qui concerne le Comité permanent R, de l'article 34 qui prévoit la notification d'une décision motivée au plaignant « lorsqu'une plainte ou une dénonciation est manifestement non fondée » et que le Comité a décidé de ne pas y donner suite.

Pour le surplus, le Comité permanent R applique les dispositions de l'article 66 de son règlement d'ordre intérieur qui édicte la possibilité pour le Comité de publier tout ou partie de ses rapports.

Il y est notamment précisé que pour décider d'une telle publication, le Comité tient notamment compte : « du droits des plaignants de connaître la suite qui a été réservée à leur plainte ».

Ce critère n'est cependant pas le seul à prendre en considération puisque les dispositions réglementaires précitées prévoient également, pour une éventuelle publication et donc pour une éventuelle communication au plaignant, de tenir compte :

­ du préjudice qui pourrait être fait au bon fonctionnement des services de renseignement nationaux et étrangers;

­ de la protection de la vie privée et de la préservation de l'intégrité physique des personnes;

­ de la coopération internationale entre différents services;

­ du droit des citoyens de s'assurer du bon fonctionnement des services de renseignement.

En tout état de cause, certains éléments ne peuvent jamais être communiqués, comme : l'identité du dénonciateur dans les cas prévus par l'article 40, alinéa 4, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements, les informations et documents communiqués aux Présidents des Comités dans les cas prévus aux articles 48 § 2, alinéa 3, et 51, alinéa 2, de la même loi organique, les copies des pièces et informations judiciaires transmises aux comités en application de l'article 38, alinéa 2, de la loi organique (sauf autorisation expresse du procureur général ou de l'auditeur général) et enfin, les données ou documents qui sont transmis par les services de police et de renseignements étrangers aux autorités belges et qui possèdent un degré de classification « secret » ou un degré supérieur.

À l'occasion de certaines enquêtes particulières, et nonobstant les dispositions pré rappelées, le Comité permanent R s'est toutefois posé la question de principe relative à l'étendue des informations à communiquer au plaignant.

Il est concevable en effet que celui-ci, au delà des conclusions publiques du comité auquel il a uniquement accès, désire, le cas échéant, pouvoir utiliser d'autres éléments du dossier d'enquête pour faire valoir in concreto ses droits, à titre individuel, par d'autres moyens légaux.

Il est évident que la loi du 11 décembre 1998, relative à la classification et aux habilitations de sécurité apporte bien entendu la réponse en ce qui concerne les éventuels éléments classifiés du dossier : seules les personnes titulaires de l'habilitation du degré requis et justifiant du « need to know » peuvent y avoir accès.

L'article 29 du Code d'instruction criminelle qui s'applique au Comité R et à son service d'Enquêtes et qui impose à « toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui, dans l'exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit ... d'en donner avis sur-le-champ au procureur du Roi ... et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ... » constitue une autre possibilité pour le plaignant de faire, par la suite, valoir ces droits dans cette éventualité.

Par ailleurs et pour être complet, il convient aussi de rappeler que le Comité R dépend du pouvoir législatif et qu'il n'est donc pas une autorité administrative pour laquelle la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) peut être saisie (9).

De même l'article 3, § 4, de la loi relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel vise le Comité permanent R parmi les services qui ne sont pas soumis notamment au droit d'accès direct de la personne concernée par un traitement de données.

L'ensemble de ces considérations montrent à quel point la recherche d'une décision équilibrée en la matière peut se révéler difficile et ne pas répondre toujours et nécessairement à l'attente concrète et personnelle des citoyens par rapport à l'un des objectifs fondamentaux de la loi du 18 juillet 1991, organique du contrôle des services de police et de renseignements, à savoir : « le contrôle ... sur la protection des droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes ... ».

Le Comité permanent R s'interroge sur la nécessité d'un débat qu'il conviendrait d'avoir afin de compléter les textes légaux et réglementaires en la matière.

4.3. Les activités d'organe de recours du Comité permanent R

Institué organe de recours en matière d'habilitation de sécurité par la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, le Comité permanent R a commencé à exercer cette nouvelle mission le 1er juin 2000, date d'entrée en vigueur des dispositions légales précitées.

Une première évaluation de cette activité a fait l'objet d'un chapitre du rapport annuel d'activités 2000 (pp. 17 à 25).

Une première constatation s'impose : le nombre de recours a diminué par rapport au 20 recours qui ont été introduits au cours de la période de quatre mois allant de septembre à décembre 2000. La moyenne de 5 recours par mois pour le dernier tiers de l'année 2000 est passé, en 2001, à un ou deux recours mensuels. Cette tendance se confirme pour l'année 2002 : 6 recours ont été introduits durant le premier trimestre de l'année.

Sur les seize recours portés en 2001 devant le Comité R, onze concernaient le SGR en sa qualité d'autorité de sécurité compétente « pour les personnes qui relèvent du ministre de la Défense nationale et pour les candidats à un emploi au sein du Ministère de la Défense nationale (10) », un concernant la Sûreté de l'État en sa qualité d'autorité de sécurité « pour les membres du personnel de ce service et les candidats à un emploi dans ce service (11) » et quatre concernaient l'autorité nationale de sécurité.

Le Comité permanent R agissant comme organe de recours a rendu quatre décisions concluant à la recevabilité mais à l'absence de fondement du recours, trois décisions infirmant le refus de délivrance de l'habilitation ou le retrait de celle-ci, et prononçant la délivrance du degré de sécurité requis et enfin huit décisions concluant au renvoi du dossier à l'autorité de sécurité pour complément d'enquête et prise d'une nouvelle décision endéans un délai prescrit. Ces dernières décisions ont entraîné dans trois cas l'octroi de l'habilitation demandée et dans deux cas le maintien par l'Autorité nationale de sécurité du refus. Dans les trois cas restant, le délai de révision de la décision après enquête complémentaire est toujours en cours. Un recours ouvert en 2001 est toujours pendant devant le Comité R.

Le nombre de décisions aboutissant à une demande de complément d'enquête s'explique par le fait que comme cela a déjà été signalé l'année précédente, les auditions des requérants par l'organe de recours font apparaître que souvent, après avoir pu prendre connaissance du dossier de l'enquête de sécurité les concernant, ces requérants font valoir des éléments complémentaires dont l'organe de recours ne peut souvent évaluer la pertinence sans demander aux autorités de sécurité concernées d'effectuer de nouveaux devoirs, d'entendre l'intéressé et de revoir leur décision.

Les devoirs complémentaires visent dans la plupart des cas l'obtention d'informations concernant les qualifications pénales non autrement précisées dans les enquêtes de sécurité, surtout lorsque ces qualifications purement génériques proviennent de bases de données policières et n'ont donné lieu à aucune décision de justice coulée en force de chose jugée.

Afin d'évaluer le degré de fiabilité d'un requérant dans le cadre de la législation existante, le Comité R estime en effet qu'il peut être opportun et pertinent, dans ces cas, de disposer de davantage d'éléments relatifs aux circonstances de fait et au comportement du requérant par rapport à celles-ci.

Le seul but d'une enquête de sécurité est en effet de jauger la capacité d'une personne ayant accès à des informations classifiées à n'en faire usage qu'en exécution stricte des règles de sécurité.

La règle fondamentale suivie par le Comité R en sa qualité d'organe de recours est de vérifier à son tour si l'évaluation individuelle du requérant sur le plan des critères de fiabilité a bien été faite par l'autorité de sécurité compétente sur la base d'éléments suffisamment concrets, établis, pertinents et actuels.

Un autre aspect de ces devoirs complémentaires est de mettre en évidence l'importance de la prise en compte des droits de la défense que le législateur a introduite en matière de délivrance des habilitations de sécurité en prévoyant à de nombreux égards le caractère contradictoire des procédures, notamment au niveau du recours devant le Comité permanent R.

C'est ainsi que le requérant et son conseil peuvent consulter au greffe de l'organe de recours le rapport d'enquête et, le cas échéant, le dossier de l'enquête de sécurité (12).

Une exception est cependant prévue par la loi du 11 décembre 1998 portant création d'un organe de recours en matière d'habilitations de sécurité. Il s'agit des informations dont la divulgation peut porter préjudice à la protection des sources, à la protection de la vie privée ou à l'accomplissement des missions des services de renseignement et de sécurité. Sur demande du service de renseignement et de sécurité, l'organe de recours peut décider que ces informations sont secrètes et qu'elles ne pourront être consultées ni par le requérant, ni par son avocat (13). Cette décision n'est selon la loi susceptible d'aucun recours.

L'organe de recours a toutefois pris l'option de principe d'avertir, le cas échéant, le requérant de l'existence d'une telle décision. Il a estimé tenir compte ainsi à la fois des impératifs de la loi du 11 décembre 1998 en matière de classification et d'habilitations de sécurité, du nécessaire équilibre entre les droits individuels et ceux de la collectivité et de la transparence dans l'information complète du requérant.

Outre le cas des personnes physiques, il convient enfin de rappeler que « dans les cas déterminés par le Roi, la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité s'applique également aux personnes morales » (article 13, 2º).

Afin de s'assurer qu'une personne morale présente des garanties suffisantes, quant aux moyens matériels, techniques ainsi qu'aux méthodes utilisées pour protéger ces données et quant à la discrétion, la loyauté et l'intégrité de ses organes et préposés susceptibles d'avoir accès à ces données, il est nécessaire que des procédures efficaces soient mises en place.

En sa qualité d'organe de recours en matière d'habilitation de sécurité, le Comité permanent R a été invité à participer comme observateur aux diverses réunions organisées par l'Autorité nationale de sécurité afin de mettre ces procédures en place.

Cet aspect de la sécurité relatif aux personnes morales est, sans doute, amené à prendre un essor particulier dans l'avenir compte tenu de l'impact d'une telle législation dans le domaine de la concurrence entre certaines entreprises privées.

Une évaluation des moyens, déjà limités, mis en service par la Sûreté de l'État et par le SGR pour la réalisation des enquêtes de sécurité dans ce secteur sera sans doute nécessaire dans un avenir rapproché.

TITRE II

LES ENQUETES DE CONTROLE

A. Enquêtes à la requête du Parlement ou des ministres

CHAPITRE 1 : rapport sur la participation de la Sûreté de l'État aux réunions ILETS (International Law Enforcement Telecommunications Seminar)

1. Introduction

Le rapport intitulé « Interception Capabilities 2000 » présenté au groupe STOA du Parlement européen, et consacré principalement au système d'interception « Echelon » mentionne incidemment l'existence d'une organisation dénommée « International Law Enforcement Telecommunications Seminar ». Selon ce rapport, cette organisation aurait été créée par le FBI dans le but d'amener les fabricants de matériel téléphonique, ainsi que les opérateurs des nouveaux systèmes de communication à prévoir, dès l'origine, des capacités d'écoutes pour les services de police et de sécurité nationale dans un cadre judiciaire. Ce forum rassemblerait les polices des États-Unis, du Canada, d'Australie, de Nouvelle-Zélande et de la plupart des pays de l'Union européenne. L'organisation britannique « Statewatch » qui milite pour la défense des droits et libertés pense pour sa part que les séminaires ILETS ont pour objectif réel de légitimer et de faciliter la surveillance électronique globale dans le monde à l'instigation de l'Union européenne et des services de renseignement américains.

Ce rapport STOA a éveillé un intérêt parlementaire évident, non seulement au sein du Parlement européen, mais aussi aux États-Unis et notamment, en France, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas dont les parlements nationaux ont examiné différents rapports sur la question. En Belgique, le Parlement a chargé en 1999 le Comité permanent R de mener une enquête sur « la manière dont les services belges de renseignement réagissaient face à l'éventualité d'un système Echelon d'interception des communications téléphoniques et fax en Belgique. » Dans le cadre de cette enquête menée au cours des années 1999 et 2000, le Comité permanent R a questionné la Sûreté de l'État pour savoir notamment si elle avait participé aux rencontres internationales ILETS et dans quel but.

Il en ressort qu'un membre de la Sûreté de l'État a effectivement participé à trois séminaires ILETS (International Law Enforcement Telecommunications Seminar) en 1997, 1998 et 1999.

Le 7 novembre 2000, le Comité permanent R a présenté un rapport partiellement consacré à ce sujet aux commissions permanentes du Sénat et de la Chambre des représentants chargées du suivi des Comités permanents P et R (14).

Dans ce rapport, le Comité permanent R a annoncé son intention de poursuivre cette enquête pour tenter de préciser davantage l'objet exact des conférences ILETS ainsi que les raisons de la participation de la Sûreté de l'État à ces rencontres internationales.

2. Procédure

L'intérêt du Comité permanent R pour la participation de la Sûreté de l'État aux séminaires ILETS se situe d'abord dans le cadre de l'enquête qu'il a mené sur la manière dont les services belges de renseignement réagissent face à l'éventualité d'un système américain « Echelon » d'interception des communications téléphoniques et fax en Belgique. Cette première enquête a été ouverte le 12 novembre 1998.

Le 7 novembre 2000, les commissions permanentes du Sénat et de la Chambre des représentants, chargées du suivi des Comités permanents P et R ont examiné et discuté le troisième suivi du rapport complémentaire sur l'existence éventuelle d'un système américain « Echelon » d'interception des communications téléphoniques et fax en Belgique. La section de ce rapport consacrée à la participation d'un membre de la Sûreté de l'État aux séminaires ILETS a été discutée en présence de l'administrateur général de ce service, ainsi que de la personne intéressée. À cette occasion, les commissions ont clairement manifesté leur souhait d'être davantage informées sur les objectifs des conférences ILETS.

Le 14 novembre 2000, faisant suite à l'intérêt particulier des commissions permanentes du Sénat et de la Chambre des représentants sur la question, le Comité permanent R a décidé de traiter la participation de la Sûreté de l'État aux séminaires ILETS dans une enquête distincte de la problématique « Echelon ».

Un rapport destiné aux commissions permanentes de la Chambre des représentants et du Sénat, chargées du suivi du Comité permanent R a été remis aux Présidents de la Chambre des représentants et du Sénat. Cette version est confidentielle au sens de l'article 33, alinéa 3, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements; elle est revêtue de la mention « diffusion restreinte » en application de l'article 20 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

Le présent rapport non classifié a été approuvé le 25 janvier 2002.

3. Les séminaires ILETS

L'objectif des rencontres ILETS est de constituer un lieu de discussion et de coopération au sein duquel les développements, les problèmes et les solutions possibles en matière d'interceptions légales des télécommunications puissent être abordés à un niveau international. L'objectif est de favoriser, tant à travers les conventions et directives de l'Union européenne qu'à travers les législations nationales, la collaboration internationale en matière d'interceptions de télécommunications.

Les recommandations issues des séminaires ILETS sont donc communiquées aux gouvernements des services participants, aux autorités de l'Union européenne, ainsi qu'à l'Union internationale des télécommunications (International Telecommunication Union ­ ITU) et à l'Institut européen des standards de télécommunications (European Telecommunication Standards Institute ­ ETSI). Mais c'est de chaque gouvernement national et du Conseil de l'Union européenne dont dépendent finalement la prise en considération, l'adoption et la mise en oeuvre de ces recommandations.

L'intention affirmée est de promouvoir la collaboration internationale dans la lutte contre la grande criminalité et d'y traiter ces matières dans le cadre des directives européennes et des législations nationales protégeant les droits de l'homme et du citoyen, y compris son droit à la vie privée.

ILETS se présente comme une rencontre informelle de services ne reposant sur aucune résolution ou directive émanant d'une organisation internationale ou d'un groupe de pays. Néanmoins, le Comité permanent R considère que la « déclaration d'intention concernant la surveillance légale des télécommunications » signée par les autorités américaines et par le secrétariat général du Conseil de l'Union européenne et présentée à la signature des autres participants le 25 octobre 1995 (document Enfopol nº 112) constitue un acte légitimant l'existence d'ILETS. Ce document prévoit de mettre au point des mesures techniques d'interception de télécommunications en concertation avec des États non soumis aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme et des directives de l'Union européenne en ce domaine. Comme le fait remarquer la Commission belge de protection de la vie privée, le statut juridique de ce texte n'est pas clair et il ne constitue pas, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une mesure accessible au citoyen, dans la mesure où il ne fait l'objet d'aucune publication.

Des membres de la police fédérale belge assistent aux réunions d'ILETS; seul ce corps de police possède une compétence légale pour procéder à des interceptions de télécommunications dans notre pays et lui seul possède une expérience pratique en la matière. Un représentant de la Sûreté de l'État assiste également aux réunions d'ILETS en qualité d'observateur, ceci, avec l'aval du ministre de la Justice et dans la perspective de l'adoption par le Parlement belge d'une prochaine législation autorisant les interceptions de sécurité.

Les travaux de l'Union européenne et d'ILETS en la matière concernent essentiellement la coopération des services de police et de sécurité pour l'exécution d'interceptions dans un cadre légal. Ce n'est que dans ce domaine que les États membres de l'UE peuvent collaborer sur la base de ces traités.

Or en insérant dans le traité UE un titre « Politique étrangère et de sécurité commune », on a créé la possibilité d'une coopération entre services de renseignement sur le plan européen. Néanmoins, il n'a pas encore été fait usage de cette possibilité alors que les législations de certains des pays participant à ILETS, y compris la Belgique, permettent de procéder à des interceptions militaires ou de sécurité à l'étranger.

Par ailleurs, si l'harmonisation et la standardisation des techniques d'interception, objectifs poursuivis par ILETS, ne sont pas intentionnellement destinées aux interceptions globales de type « SIGINT », elles ne peuvent cependant que leur être propices. Toute possibilité technique d'accès, même légalement réservée aux services officiels de police et de renseignement, constitue en effet un risque potentiel pour des écoutes illégales ou contraires aux intérêts nationaux.

Si donc chaque pays, et particulièrement un petit pays comme la Belgique, est en mesure de profiter des avantages de standards internationaux d'écoutes, notamment dans la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, ces mêmes pays sont aussi susceptibles d'en pâtir dans des domaines tels que, par exemple la protection du patrimoine scientifique et économique, si l'utilisation de ces standards est détournée à des fins illégitimes d'espionnage, notamment dans le domaine économique.

Sachant donc qu'un abus ne peut jamais être totalement exclu, la recherche d'une harmonisation des spécifications techniques sur l'interception des télécommunications apportera cependant une plus grande efficacité dans la lutte internationale contre la criminalité organisée.

Quant à savoir si l'on considère cette démarche de manière positive ou négative, cela dépend beaucoup de la confiance que l'on accorde à son propre État de droit. L'harmonisation technique au niveau international n'affecte nullement les conditions légales d'interception qui restent régies par un droit purement national.

Mais la question est aussi de savoir si les pays participants à ILETS seront un jour en mesure de développer et d'appliquer leurs « International Users Requirements » dans le cadre d'un système de contrôle international des interceptions ?

4. Conclusions sur la participation de la Sûreté de l'État à ILETS

Le Comité permanent R estime qu'en participant comme observateur aux réunions d'ILETS, la Sûreté de l'État :

­ ne s'écarte pas des missions que lui attribuent les articles 7 et 8 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité,

­ ne met pas en péril les droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes.

Le Comité permanent R estime en effet que l'absence d'une loi permettant à la Sûreté de l'État de recourir à des interceptions de sécurité pour recueillir le renseignement ne peut empêcher ce service de se tenir informé des développements technologiques et de l'environnement juridique international en cette matière.

Le Comité permanent R rappelle d'ailleurs qu'il est favorable à l'octroi à la Sûreté de l'État d'une capacité légale d'interception aux fins de recueillir le renseignement relatif aux menaces définies par la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

Ce moyen d'action supplémentaire doit être soumis à des conditions claires et à un contrôle strict de la part d'un organe indépendant.

Disposer de la capacité légale et technique de procéder à des interceptions de télécommunications donne aussi la capacité de déceler les menaces en la matière et de s'en protéger.

Le Comité permanent R comprend en outre les raisons qui motivent la discrétion dans laquelle se déroulent les réunions d'ILETS. En effet, les données qui y sont échangées à propos des techniques d'interception des télécommunications risqueraient d'être exploitées par les milieux criminels si elles étaient rendues publiques. Ceci n'empêche pas le Comité permanent R de penser qu'il serait néanmoins souhaitable que l'existence et les objectifs d'ILETS fassent l'objet d'une plus grande transparence aux yeux de l'opinion publique.

5. Recommandations

Le Comité permanent R réitère les recommandations qu'il a formulées à la suite de l'ensemble de ses rapports sur la question « Echelon » (15) :

­ Donner comme mission à la Sûreté de l'État et au SGR de collaborer en vue de recueillir toute information disponible (de sources ouvertes et autres) sur les menaces d'interception de communications dirigées contre la Belgique.

­ Donner à ces services de renseignement les moyens légaux, techniques et humains nécessaires pour accomplir cette mission :

a) Les moyens légaux, c'est-à-dire un cadre légal pour procéder de manière sélective et strictement contrôlée à des repérages, à des écoutes et à des interceptions de communications sur le territoire national. Une telle capacité doit cependant être assortie de garanties rigoureuses de responsabilité pour les droits et libertés des citoyens, et soumise au contrôle effectif d'un organisme indépendant.

b) Les moyens techniques et humains, c'est-à-dire des experts externes, des informaticiens, des ingénieurs en télécommunications, des spécialistes en cryptographie, des analystes, des traducteurs et interprètes, etc.

­ Mettre en oeuvre le principe général de précaution dans l'élaboration d'une politique globale et centralisée de sécurité de l'information.

­ Charger un service d'apporter une solution à l'ensemble de la problématique de la sécurisation de l'information.

À cet égard, le Comité permanent R appuie l'idée de mettre en place en Belgique une unité centrale d'interception, commune aux services de police et aux services de renseignement.

Le Comité partage en effet l'opinion que si les procédures doivent être différentes selon les besoins des services de police et ceux des services de renseignement, les moyens techniques à mettre en ouvre, les stratégies et les modes d'exploitation sont les mêmes. La mise en commun des moyens techniques et des compétences humaines profiterait à chacun des services tout en permettant des économies financières. La technologie actuelle de l'information permet de tenir compte des particularités et des besoins spécifiques de chaque service.

6. Réaction du ministre de la Justice

Par lettre du 4 février 2002, dont le contenu est reproduit ci-après (16), le ministre de la Justice a fait connaître la réaction de la direction générale de la Sûreté de l'État au présent rapport :

« Le Comité R réitère les recommandations qu'il a formulées précédemment dans son rapport concernant l'affaire « Echelon », à savoir une collaboration entre la Sûreté de l'État et le SGR en vue de recueillir toute information disponible sur les menaces d'interception de communications dirigées contre la Belgique. Il recommande également de donner aux services belges de renseignement les moyens légaux, techniques et humains nécessaires pour accomplir cette mission.

La Sûreté de l'État ne peut qu'applaudir à ces recommandations. La nécessité d'une réglementation légale pour les services belges de renseignement et de sécurité existe réellement. Compte tenu de l'évolution de la technologie hyper sophistiquée des moyens de communication, il semble que l'utilisation des sources traditionnelles n'est pas toujours suffisante pour que les services de renseignement puissent remplir leurs objectifs légaux, par exemple dans la lutte contre le terrorisme.

Il convient de noter que, suite aux attentats aux États-Unis du 11 septembre 2001, et dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, la Sûreté de l'État a rédigé un avant-projet de loi relatif à l'identification, au repérage, à l'écoute et à l'enregistrement des communications et télécommunications privées à des fins de renseignement. Cet avant-projet de loi est inspiré de la loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et télécommunications privées, modifiée par la loi du 10 juin 1998.

Une collaboration efficace dans l'échange d'informations sur les menaces d'interceptions ne pourra se mettre réellement en place entre la Sûreté de l'État et le Service général du renseignement et de la sécurité des Forces que s'il existe un cadre légal.

Enfin, d'un point de vue technique, la Sûreté de l'État ne peut que se ranger aux recommandations du Comité permanent R.

Signé : G. Timmermans ­ Administrateur général

CHAPITRE 2 : Rapport concernant l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État gère l'information dans une affaire en relation avec le terrorisme

1. Introduction et procédure

Cette enquête a été ouverte le 1er février 2001 à la demande des Commissions de suivi des Comités P et R, réunies le 17 janvier 2001.

Cette demande résulte du contexte des événements qui ont suivi l'arrestation en Belgique d'un groupe de personnes liées à l'extrême gauche turque en possession de matériel clandestin, et notamment l'intrusion au domicile d'un membre de la Chambre des représentants, de sympathisants de ce groupe.

Cette demande d'ouverture d'enquête a été confirmée par courrier des Assemblées législatives nationales du 5 février 2001 signé par les deux présidents, MM. De Croo et De Decker.

Une version de ce rapport portant la mention « Diffusion restreinte » destinée uniquement au ministre de la Justice et aux membres des Commissions de suivi de la Chambre des représentants et du Sénat a été approuvée le 25 janvier 2002 par le Comité R.

La présente version destinée à être rendue publique a été approuvée le 25 janvier 2002 par le Comité R.

2. Les évènements concernés par l'enquête

2.1. L'arrestation à Knokke

À la suite d'un début d'incendie dans un appartement à Knokke, en septembre 1999, la police découvrit que les trois locataires possédaient des armes, des faux papiers, des explosifs et du matériel radio (17). Parmi ceux-ci figurait F. Erdal, soupçonnée par la justice turque d'être membre du DHKP-C et d'avoir participé aux assassinats commis à Istanbul le 9 janvier 1996, dans les locaux du holding Sabanc. Elle fut incarcérée à la prison de Bruges, tandis qu'elle introduisait une demande d'asile politique, lequel lui fut ensuite refusé (18).

2.2. L'incident survenu à Anvers au domicile du député H. Coveliers

Un seul article de presse relate l'action menée à l'encontre de M. Hugo Coveliers, avocat, député et chef de groupe VLD à la Chambre des représentants. Début septembre 2000, sa maison familiale, sise à Anvers, fut envahie par une dizaine de militants du DHKP-C, qui scandaient des slogans en faveur d'Erdal. Le député H. Coveliers avait déclaré à la presse que pour lui, un meurtre était un meurtre, qu'il devait être jugé, et que la Belgique ne pouvait être une terre d'asile pour de tels terroristes (19).

3. Les questions posées à la Sûreté de l'État

D'une manière générale, l'enquête consistait à contrôler depuis quand et de quelle manière la Sûreté de l'État suivait les activités de l'extrême gauche turque en Belgique et plus précisément du DHKP-C. Il importait également de vérifier les renseignements dont les services de la Sûreté de l'État avaient disposé sur la présence dans notre pays des personnes arrêtées, ainsi que sur l'intrusion organisée au domicile d'un parlementaire et, le cas échéant, de savoir quelles autorités en furent les destinataires et à quel moment.

Le Comité R avait également eu l'attention attirée par le contenu d'une séquence de l'émission télévisée « Au nom de la loi » du 31 janvier 2001 diffusée sur la RTBF, au cours de laquelle le responsable du DHKP-C avait officiellement revendiqué le jet de Cocktails Molotov en 1992 contre les bureaux des Turkisch Airlines à Bruxelles.

Le Comité avait été interpellé par le fait que le représentant de la Sûreté de l'État avait, pour sa part, déclaré au cours de la même émission que le mouvement respectait la loi en Belgique et ne s'y livrait à aucune action criminelle.

Selon « Mondes rebelles ­ L'encyclopédie des acteurs, conflits & violences politiques-édition 2001 (20) » le DHKP-C (Front du parti de libération du peuple révolutionnaire ex Dev Sol ­ La gauche révolutionnaire) voit le jour en 1978. Il apparaît comme la branche terroriste de l'Organisation de la voie révolutionnaire (Dev Sol), la plus importante structure d'opposition de gauche implantée à l'université. Dev Sol comprend entre 4 000 et 7 000 militants, issus pour la plupart des milieux défavorisés des bidonvilles, en particulier à Istanbul et Izmir. Ses membres luttent pour une Turquie marxiste-léniniste et dénoncent l'impérialisme américain. Sur le plan opérationnel, ils se répartissent en une pléiade de comités à compétence géographique (provincial, régional, de district, de ville, de village) qui prennent en charge les actions de guérilla au niveau local. Les opérations militaires de grande envergure sont confiées à des structures spécialisées, les « unités révolutionnaires armées ». L'orientation anti-impérialiste et anti-américaine du mouvement s'est traduite au moment de la guerre du Golfe par un regain d'attentats à l'explosif contre des intérêts de pays membres de la coalition occidentale, ainsi que par des assassinats de ressortissants de ces mêmes États. Les services de police et de renseignement ainsi que les militaires turcs sont également des cibles privilégiées. Au total, ces organisations sont désormais groupusculaires et ne peuvent plus peser sur la situation politique en Turquie, même si le DHKP-C joue un rôle central dans les grèves de la faim récurrentes des prisonniers politiques dont la dernière s'est déclenchée au mois de novembre 2000. La gestion très ferme de ce conflit par les autorités turques a entraîné la résurgence de quelques actions terroristes, comme par exemple un attentat suicide en plein centre d'Istanbul au mois de septembre 2001, revendiqué par le DHKP-C, entraînant trois morts.

4. Les réponses fournies par la Sûreté de l'État

D'une manière générale et en substance, la Sûreté de l'État signale que la problématique de l'extrême gauche turque, dont le DHKP-C ne constitue qu'un aspect, est suivie depuis son apparition en Europe occidentale. Toutefois, des actes de terrorisme, au sens strict du mot, liés aussi bien aux activités de ces groupes qu'aux conflits les opposant ­ comme cela s'est produit, au milieu des années 90 dans les pays voisins de la Belgique comme la France et l'Allemagne ­ n'ont jamais eu lieu chez nous.

Mis à part cet aspect, il y a des formes individuelles de violence (spontanée ou structurelle) qui peuvent survenir à l'occasion par exemple de manifestations, mais qui ne résultent pas d'ordres donnés par l'organisation.

La Sûreté de l'État précise que si le DHKP-C est considéré comme une organisation terroriste par les autorités turques, ce jugement doit être nuancé en ce qui concerne l'Europe. En effet, les militants veillent dans leurs actions publiques (manifestations, distribution de tracts, fêtes, ...) à respecter les lois des pays d'accueil. Elle signale également que depuis quelques années, et à l'instar d'autres groupes, le DHKP-C a ouvert un bureau de représentation à Bruxelles. Ce bureau dirige les activités de lobbying politique actif et de propagande. Dans le cadre de ces activités les normes légales sont respectées.

La Sûreté de l'État se doit donc de constater que, pour ce type d'actions, les problèmes qui pourraient se poser relèvent uniquement du maintien de l'ordre public.

En ce qui concerne d'autres formes d'activités que l'on peut considérer comme des appuis logistiques au mouvement (le financement, la transmission d'informations, la propagande idéologique, le soutien à des membres, ...) la Sûreté indique que certaines d'entre elles pourraient, le cas échéant, recevoir une qualification pénale. Mais, comme cela arrive souvent dans de telles situations, les autorités ne sont confrontées au problème que suite à la connaissance qu'elles peuvent avoir des cas d'espèce. En réalité, il est rare que des poursuites pénales soient exercées.

Enfin, la Sûreté de l'État souligne qu'il existe clairement des activités clandestines qui la plupart du temps restent inconnues même des sympathisants du mouvement. Le cas de l'arrestation du groupe de personnes en Belgique est à cet égard exemplatif. Ce groupe qui a été intercepté en possession de matériel clandestin (armes, documents d'identité, ...), travaillait en dehors des structures du DHKP-C.

Se référant d'autre part à la séquence de l'émission « Au nom de la loi » précitée, la Sûreté de l'État explique que la réponse faite par son représentant doit être comprise en tenant compte des précisions suivantes.

Les structures complexes du DHKP-C et les activités de membres individuels ou de groupes sympathisants, sont toutes considérées par les autorités turques comme étant de nature terroriste.

La Sûreté de l'État doit quant à elle faire preuve de l'objectivité nécessaire. C'est la raison pour laquelle différentes nuances sont apportées concernant les diverses activités mises en évidence. Il faut également tenir compte d'un certain nombre de sensibilités.

C'est ainsi que les communautés turque et kurde en Belgique renferment en leur sein toutes les tendances politiques du pays d'origine, c'est-à-dire aussi bien les tendances officielles, que nationalistes et fondamentalistes, ainsi que celles liées à l'extrême gauche et au problème kurde. Ce milieu complexe possède sa propre existence et les diverses tendances sont actives dans de petites entités géographiques (comme les quartiers de nos grandes villes par exemple) (21). L'ensemble constitue un creuset où la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres. La Sûreté de l'État veille donc de son mieux à permettre le maintien d'un calme relatif dans ces communautés.

À ce sujet, la Sûreté de l'État souligne que les déclarations de son représentant enregistrées au cours du programme « Au Nom de la Loi » n'ont pas suscité de réaction des parties concernées. Le caractère nuancé des propos y a contribué.

Sur base des documents mis à la disposition du service d'Enquêtes du Comité R, il a été constaté par celui-ci que d'une manière régulière la Sûreté de l'État a informé les autorités belges de la problématique de l'extrémisme turc d'extrême gauche dans notre pays et plus particulièrement depuis l'arrestation d'un groupe clandestin dans notre pays.

En ce qui concerne l'intrusion au domicile d'un parlementaire, il apparaît que la Sûreté de l'État a été avertie par la gendarmerie d'Anvers de cet incident qui s'est déroulé le 7 septembre 2000.

5. Les constatations du Comité permanent R

La Sûreté de l'État a suivi de manière régulière et générale la problématique de l'extrême gauche turque en Belgique.

Les faits ponctuels concernant l'arrestation du groupe clandestin, ainsi que l'incident concernant l'intrusion au domicile du parlementaire concerné ont été portés à la connaissance de la Sûreté de l'État par les services de police après leur survenance.

Aucun élément n'indique que des informations préalables concernant ces événements particuliers étaient en la possession de la Sûreté de l'État avant l'intervention des forces de l'ordre.

La Sûreté de l'État a toutefois mis, après l'arrestation du groupe clandestin, une priorité sur le suivi de cette affaire dans un contexte général, comme en témoigne le nombre croissant des rapports classifiés et non classifiés répertoriés par le service d'Enquêtes du Comité R au cours de cette période.

Les autorités politiques, administratives et judiciaires ont ainsi été informées des analyses faites sur la base des informations récoltées.

Il convient de souligner d'une manière générale et au niveau des moyens humains dont la Sûreté dispose, entre autres pour les matières touchant le Pakistan, l'Extrême-Orient, l'Asie mineure (Turquie et Kurdistan), que ce service connaît à l'heure actuelle un déficit en personnel.

En ce qui concerne, les autres moyens dont dispose la Sûreté, il convient de relever, à titre exemplatif, qu'en l'absence de législation en la matière, la Sûreté de l'État a été dans l'impossibilité d'identifier un numéro de GSM communiqué par un autre service étranger (22).

Compte tenu des moyens disponibles, il apparaît donc que les services compétents de la Sûreté de l'État ont suivi la situation de la façon la plus adéquate possible.

Toutefois force est de constater que la Sûreté de l'État semble être intervenue sur les faits concernés de manière essentiellement réactive et non pas proactive, cette dernière forme d'action apparaissant au Comité R comme un des aspects essentiels des missions d'un service de renseignement (23).

Dans la loi organique du 30 novembre 1998, organique des Services de renseignement et de sécurité, il est précisé en effet à l'article 7 que la Sûreté de l'État a pour mission de rechercher, d'analyser et de traiter le renseignement relatif à toute activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l'État et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel, la sûreté extérieure de l'État et les relations internationales, le potentiel scientifique ou économique défini par le Comité ministériel ou tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel.

L'article 8 de la même loi décrit ce que l'on entend par « activité qui menace ou pourrait menacer », à savoir : « toute activité, individuelle ou collective, déployée à l'intérieur du pays ou à partir de l'étranger, qui peut avoir un rapport avec ... le terrorisme ...; en ce compris la diffusion de propagande, l'encouragement ou le soutien direct ou indirect, notamment par la fourniture de moyens financiers, techniques ou logistiques, la livraison d'informations sur des objectifs potentiels, le développement des structures et du potentiel d'action et la réalisation des buts poursuivis. »

Aux termes du même article 8, on entend par terrorisme : le recours à la violence à l'encontre de personnes ou d'intérêts matériels, pour des motifs idéologiques ou politiques, dans le but d'atteindre ses objectifs par la terreur, l'intimidation ou les menaces.

Sur la base des constatations de l'enquête, il apparaît au Comité R que le nombre important et la diversité des destinataires des notes d'analyse produites par la Sûreté de l'État, dont certaines font l'objet d'une classification au sens de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, a pour conséquence, en pratique, que ce service n'a aucun contrôle sur le nombre exact de personnes qui ont accès aux textes classifiés, ainsi que sur le respect même de cette classification.

De manière corollaire, le Comité R se demande si tous les destinataires des notes et analyses de la Sûreté de l'État appliquent bien la loi sur la classification, en suivant non seulement l'esprit de la loi, mais également sa lettre. Cette constatation qui ne résulte pas seulement de la présente enquête, mais aussi d'autres dossiers n'est sans doute qu'un des éléments qui témoignent de la difficulté de mettre en ouvre une véritable culture de la sécurité des informations à tous les niveaux (24).

Si, comme le rappelle Rémy Pautrat (25) : « il faut se placer résolument dans une culture d'anticipation qui passe par le partage de l'information » et que « c'est en croisant systématiquement les expertises entre services puis avec des personnalités de l'extérieur chaque fois que possible, plutôt qu'en restant seul et en ne partageant rien, qu'on a le plus de chance de ne pas se tromper », une telle communication ne peut se faire que si le cycle du renseignement répond à la nécessité de protéger l'information.

En tenant compte des diverses autorités qui sont concernées et qui n'ont sans doute pas les mêmes intérêts et les mêmes priorités au même moment, le Comité R se pose également la question de savoir si nonobstant l'existence de structures comme le Comité ministériel du renseignement et le Collège du renseignement, il existe une véritable coordination du renseignement en Belgique. Qui décide, par exemple, d'une manière générale des limites qui ne peuvent être dépassées sur le territoire national, dans ses actions, par une organisation qui, sans être « terroriste » sur le territoire de l'Union européenne, dispose d'une structure complexe susceptible d'intégrer à la fois des activités légales, mais également des activités illicites et clandestines ?

Dans le contexte de l'approche du terrorisme tel qu'il est appréhendé désormais depuis les événements du 11 septembre 2001, cette question revêt sans doute une importance toute particulière (26).

Enfin, en se référant à la pratique d'autres services de renseignement tant européen qu'étranger, le Comité R se demande si un effort de communication ne devrait pas être entrepris à l'égard de la société civile, en ce qui concerne les activités et les sujets traités par les services de renseignement (27). Plus particulièrement en ce qui concerne le DHKP-C, le Comité note que le Binnenlandse Veiligheidsdienst néerlandais (BVD) consacre, entre autres sujets, un point particulier de son dernier rapport annuel 2000 (pp. 36 et 37) à ce mouvement.

On peut y lire notamment : « Het internationale karakter van deze terroristiche beweging en de wil en het vermogen om op ontoelaatbare wijze te reageren op ontwikkelingen in Turkije maakt ook in de toekomst aandacht van de BND voor de DHKP-C nodzakelijk (28). »

6. Conclusions

La Sûreté de l'État, avec les moyens limités dont elle dispose, a informé les autorités concernées comme cela lui est en principe imposé par l'article 19 de la loi du 30 novembre 1998, organique des services de renseignement et de sécurité. Il faut toutefois noter que dans le cadre de la présente enquête, les informations fournies apparaissent avoir été de nature davantage réactive que proactive, notamment sur la présence de Mme Erdal en Belgique, ainsi que sur l'action au domicile et dans les bureaux du député Coveliers.

Une telle constatation constitue sans doute l'illustration d'un symptôme plus général lié semble-t-il, en partie, à un manque chronique de moyens, aussi bien humains que légal et technique, et cela dans une période où, plus que jamais, les activités de renseignement reprennent une dimension essentielle (29) dans le sens de la définition donnée à l'article 8 de la loi du 30 novembre 1998 précitée : la recherche, l'analyse et le traitement du renseignement relatif à toute activité qui menace ou pourrait menacer la Sûreté intérieure de l'État et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel, la Sûreté extérieure de l'État et les relations internationales, le potentiel scientifique ou économique défini par le Comité ministériel ou tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel.

Dans ce contexte, l'évolution de la médiatisation et de la communication impose aussi aux services de renseignement de ne plus se limiter à simplement réagir ponctuellement aux initiatives ou aux questions des médias sur certains sujets de l'actualité immédiate, mais d'anticiper en donnant à la société civile des informations d'ordre général sur l'ensemble des activités de renseignement faisant ainsi mieux connaître le rôle de ces services dans la structure et le fonctionnement démocratique de notre société. Une telle manière de procéder semble répondre à un besoin incontournable d'une certaine transparence dont l'absence peut aujourd'hui devenir, même à tort, synonyme de méfiance, voire de manque d'efficacité. Le Comité R constate que des services européens comme le BVD néerlandais et le BfV allemand suivent cette pratique en éditant, chaque année, un rapport d'activités.

Si une meilleure visibilité des activités de renseignement est dans une certaine mesure souhaitée et souhaitable, il n'en reste pas moins vrai que celles-ci nécessitent également l'application de règles strictes de classification sans lesquelles ces activités ne pourraient tout simplement pas exister. La loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité a formalisé de manière récente cette situation dans notre pays. Toutefois, outre les constatations faites dans le cadre de la présente enquête, le Comité R a déjà pu relever à d'autres reprises que l'importance d'une telle réglementation ne semble pas toujours être perçue à sa juste valeur dans sa mise en pratique.

7. Recommandations

Le Comité R recommande une fois de plus de donner les moyens nécessaires, aussi bien sur le plan humain que sur le plan technique, permettant à la Sûreté de remplir efficacement toutes les missions qui sont définies par la loi organique du 30 novembre 1998 (30).

Au vu des constatations relevées ci-dessus en conclusion concernant le problème de la classification, le Comité R appelle à une mise en application plus conséquente de la loi en la matière.

Le Comité R recommande que nos services de renseignement, comme c'est le cas notamment en Europe en Allemagne et aux Pays-Bas, établissent un rapport annuel de leurs activités à destination du gouvernement et du parlement.

Le Comité R rappelle sa proposition de mettre en place un coordinateur du renseignement qui disposerait d'une vue d'ensemble de la production des services opérationnels. Son rôle serait de recevoir les rapports des services de renseignement dans les domaines jugés prioritaires par le Comité ministériel et d'en produire des synthèses périodiques ou thématiques destinées au Chef de l'État, au Comité ministériel ou aux autres ministres et autorités judiciaires concernées. Sans être opérationnelle, sa tâche consisterait à être une sorte de conseil de sécurité du gouvernement.

CHAPITRE 3 : Rapport relatif à l'enquête de contrôle sur la manière dont les services de renseignement ont géré l'information relative à l'assassinat du président Laurent Désiré Kabila

1. Introduction et procédure

Lors de la réunion plénière du 1er février 2001, le Comité R a, sur demande expresse du Parlement, ouvert une enquête « sur la manière dont les services de renseignements gèrent l'information en relation avec l'assassinat du Président de la République démocratique du Congo, M. Laurent Désiré Kabila ».

Le 14 février 2001 une apostille fut adressée au Service d'enquêtes aux termes de laquelle il convenait de se renseigner tant auprès du SGR que de la Sûreté de l'État pour savoir si ces services avaient obtenu des informations relatives au dessein d'abattre le chef de l'État congolais, et ce, dès avant le scénario qui devait aboutir le 16 janvier 2001.

Dans l'affirmative, il importait également de savoir depuis quand nos services avaient connaissance de rumeurs relatives au projet d'assassinat de M. Laurent Désiré Kabila et de connaître les raisons de cet intérêt.

Ces rumeurs étaient-elles inquiétantes, pouvait-on imaginer qu'elles étaient fondées et que le but poursuivi était de déstabiliser une région d'Afrique centrale déjà très éprouvée en raison de conflits permanents.

Le service d'Enquêtes était également chargé de déterminer si une collaboration avait existé entre la Sûreté de l'État et le SGR eu égard à l'actualité d'une part et au protocole d'accord d'autre part.

2. Résultats de l'enquête

2.1. À la Sûreté de l'État

L'enquête effectuée par le service d'Enquêtes du Comité R indique que depuis la prise de pouvoir par feu le président Laurent Désiré Kabila, en mai 1997, la Sûreté de l'État a été informée par des sources diverses, de coups d'État et de conspirations possibles contre le régime congolais.

Des enquêtes approfondies à propos de ces rumeurs ont été effectuées par ce service. Les autorités furent informées déjà en décembre 1997 de l'analyse de ces menaces.

En 1998 et en 1999, les rumeurs de coup d'État, dont certaines trouvaient leur origine dans les campagnes de désinformations diligentées par certains services de renseignement impliqués dans le conflit, se sont amplifiées. Certains de ces plans étaient ébauchés depuis Bruxelles par des opposants qui n'avaient toutefois pas les moyens financiers et humains pour aboutir.

En septembre 2000, une note adressée aux autorités compétentes ainsi qu'au SGR signalait qu'un groupe d'anciens militaires congolais proches de l'ancien président Mobutu, échafaudait en Belgique et en France des plans pour renverser le régime de Laurent Désiré Kabila.

Après l'assassinat, des informations sur une possible implication de ce groupe ont été communiquées à la Sûreté de l'État. Plusieurs notes ont été rédigées.

Depuis le début de décembre 2000 et selon la Sûreté de l'État la pression augmentait sur le régime du Président Laurent Désiré Kabila. Les causes les plus importantes en étaient diverses (entre autres la tension croissante entre le président angolais et le président Laurent Désiré Kabila qui refusait d'appliquer les accords de Lusaka; l'augmentation de la pression militaire des rebelles et de leur chef J.P. Bemba cherchant à se rapprocher de la France; l'augmentation de la pression diplomatique de la part des Nations unies, de l'Union européenne, de la Belgique ... sur les parties belligérantes).

Pour la Sûreté de l'État, l'analyse pure de ces faits montre que le président Laurent Désiré Kabila était considéré par tous, opposants et partisans, comme le principal obstacle à un règlement de paix. Au cours de cette période, surgissent diverses rumeurs qui firent allusion à une conspiration mondiale (USA, France, Angola, Ouganda, Belgique, militaires congolais mécontents ...) dirigée contre le président Laurent Désiré Kabila.

Une réunion entre les analystes de la Sûreté de l'État et du SGR a eu lieu à la mi-décembre 2000, au cours de laquelle les développements possibles de la situation de la République démocratique du Congo ont été abordés.

Les deux services étaient d'avis que des actions contre le président Laurent Désiré Kabila étaient possibles sans toutefois pouvoir préciser quand elles auraient lieu et qui en seraient les auteurs.

Après l'attentat, des mesures ont été prises afin d'assurer un échange rapide et efficace des informations entre la Sûreté de l'Etat et le SGR.

Une réunion de coordination a encore été organisée en février 2001 pour approfondir l'analyse de la situation.

En ce qui concerne les échanges des informations avec les correspondants étrangers, la Sûreté de l'État dit avoir constaté une fois de plus que l'évolution en Afrique centrale reste un point sensible. Sur place, les intérêts de pays, qui coopèrent en d'autres domaines, sont divergents.

Il serait même concevable précise la Sûreté de l'État que, selon des sources du SGR, un pays ami et voisin aurait participé à la campagne anti-Belge qui se déroule actuellement en République démocratique du Congo.

D'après un analyste de la CIA rencontré par la Sûreté de l'État, le service américain aurait été totalement surpris par l'attentat perpétré contre le président Laurent Désiré Kabila.

2.2. Au SGR

2.2.1. Généralités

L'Afrique centrale, la région des Grands Lacs, ainsi que la République démocratique du Congo constituent une priorité pour le SGR déjà en temps normal.

L'article 11 § 2 alinéa 4 de la loi du 30 novembre 1998 stipule que le SGR doit organiser le renseignement pour assurer la sécurité des expatriés belges dans le monde.

Le SGR cultive également son expertise en cette matière dans le but d'obtenir des échanges avec les services de renseignement amis. Cette expertise est reconnue par de grands services de renseignement dans le monde avec lesquels existent des échanges de renseignement en la matière. L'intérêt du SGR porte également sur le problème des diamants et des armes dans ce domaine.

Tous les produits du SGR traitent aussi de la problématique de l'Afrique centrale.

C'est le cas pour les rapports généraux écrits quotidiens et hebdomadaires ainsi que pour les rapports qui sont dictés par l'actualité (l'assassinat du président Laurent Désiré Kabila par exemple) qui sont adressés aux différents destinataires.

Le SGR traite aussi régulièrement de ce sujet au cours des briefings organisés avec les autorités militaires et ministérielles (Défense nationale et Affaires étrangères).

2.2.2. Les renseignements du SGR en rapport avec un éventuel coup d'État

Le SGR obtient périodiquement des informations sur la possibilité de coups d'État. Toutefois, le scénario des événements du 16 janvier 2001 ne fut pas prévu par le SGR faute d'élément concret de nature à justifier l'élaboration de cette thèse. La date n'était pas davantage prévisible.

Les rumeurs au sujet de l'assassinat du président Laurent Désiré Kabila furent nombreuses, mais il était difficile d'évaluer la possibilité de concrétisation de ces rumeurs.

2.2.3. Les sources d'information du SGR

Outre les sources traditionnelles, à l'occasion de la crise suscitée par l'assassinat du président Laurent Désiré Kabila, le SGR a augmenté l'activité des attachés de Défense aussi bien en Afrique qu'ailleurs dans le monde.

2.2.4. La collaboration avec les autres services

D'une manière générale, il n'y a pas eu d'action proactive avec l'appareil judiciaire dans la crise liée à l'assassinat du président Laurent Désiré Kabila.

La collaboration avec la Sûreté de l'État est régulière dans cette matière et elle a donc fonctionné également dans le contexte de ces événements particuliers.

3. Conclusions

3.1. Si aucun des deux services n'a disposé d'informations précises avant la survenance de l'assassinat du président Laurent Désiré Kabila, il semble que tant la Sûreté de l'État que le SGR ont réagi promptement après les faits. L'évolution de la situation générale était d'ailleurs déjà suivie et évaluée en permanence.

3.2. Les autorités politiques et militaires du Royaume ont été régulièrement informées dès le début de la crise. Le SGR a d'autre part envoyé une antenne à Brazzaville dans les 24 heures de l'attentat afin d'évaluer la nécessité éventuelle d'une opération militaire.

3.3. La collaboration entre la Sûreté de l'État et le SGR semble avoir bien fonctionné.

3.4. Les enquêteurs du Comité R ont pu avoir connaissance de documents classifiés se rapportant aux événements concernés. En ce qui concerne la Sûreté de l'État, ceux-ci confirment les constatations reprises ci-avant.

3.5. Le Comité R constate toutefois qu'en ce qui concerne le SGR, tous les documents transmis en copie par ce service concernent la période postérieure à l'assassinat du Président Laurent Désiré Kabila.

Le Comité R a donc chargé son service d'Enquêtes de demander accès aux documents antérieurs et de lui faire rapport.

Ce complément d'enquête fera l'objet, dans les limites permises par la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, d'un rapport subséquent adressé aux Commissions parlementaires de suivi ainsi qu'au ministre de la Défense nationale.

3.6. Le Comité R a constaté également à l'occasion de la présente enquête que la Sûreté de l'État est dans l'impossibilité de contrôler si tous les destinataires des notes classifiées sont bien titulaires de l'habilitation de sécurité requise.

4. Réactions des ministres

Par courrier du 2 mai 2002, le ministre de la Défense nationale « a pris acte du fait que le Comité R désirait continuer son enquête en ce qui concerne les documents éventuels du SGRS antérieurs à l'assassinat du président Kabila » et a indiqué qu'il n'avait pas d'objection à ce que le rapport d'enquête soit publié tel quel dans le rapport annuel d'activités 2001.

Par courrier du 26 avril 2002, le Chef du Cabinet du ministre de la Justice a fait parvenir au Comité R les remarques de la Sûreté de l'État concernant le rapport.

La Sûreté de l'État déclare adhérer totalement à la constatation du Comité R selon laquelle elle est dans l'impossibilité de contrôler si tous les destinataires (cabinets ministériels, administrations) des notes classifiées sont bien détenteur de l'habilitation de sécurité requise.

La Sûreté de l'État a constaté plusieurs fois dans le passé que des personnes qui adressaient des demandes d'informations à ce service avaient négligé de demander une habilitation de sécurité.

La même constatation a été faite par la Sûreté de l'État pour des personnes qui prennent part à des réunions à l'occasion desquelles des données sont échangées.

L'administrateur général de la Sûreté de l'État ajoute enfin qu'il serait utile que les personnes et les services qui s'adressent régulièrement à la Sûreté de l'État pour obtenir des informations, soient sensibilisées à la nécessité de demander des habilitations de sécurité.

CHAPITRE 4 : Rapport d'enquête relatif à la manière dont la Sûreté de l'État à géré l'information au sujet de l'ETA

1. Procédure

Lors de sa réunion plénière du 1er février 2001 et sur requêtes des Commissions de suivi P et R réunies le 17 janvier 2001, le Comité permanent de contrôle des services de renseignements a ouvert une enquête intitulée : « enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État gère l'information relative à l'ETA ».

Par apostille du 13 février 2001, le président du Comité a demandé au chef du service d'Enquêtes de déterminer si la Sûreté de l'État s'était intéressée aux activités de l'ETA en Belgique et dans l'affirmative, de déterminer depuis quand et de connaître les centres d'intérêt de ce service relatifs à cette matière.

Les questions suivantes étaient également posées :

­ la Sûreté a-t-elle également obtenu des informations par un autre canal que les sources ouvertes ? Dans l'affirmative, lesquelles ? Quelles analyses la Sûreté de l'État a-t-elle effectuées et à quelle(s) autorité(s) les a-t-elles adressées ? A-t-elle établi des contacts à ce propos avec des services étrangers ? A-t-elle également eu des contacts avec des informateurs habituels, des services de police ou des autorités judiciaires ?

Le Comité R, se référant également à divers articles récents parus dans la presse qui faisaient notamment état d'une réunion, en mai 2001, en Belgique, de dirigeants de l'ETA, désirait enfin vérifier si la Sûreté disposait d'éléments au sujet de cette information (voir infra le point 2.2.5).

Un rapport « diffusion restreinte » destiné au ministre de la Justice et aux Commissions de suivi a été approuvé le 22 février 2002 par le Comité R.

Le présent rapport destiné à la publication dans le rapport général d'activités 2001 du Comité R a été approuvé le 22 février 2002.

Par courrier du 27 mars 2002, le ministre de la Justice a fait part au Comité R des observations de la Sûreté de l'État concernant le présent rapport. Ces observations ont été intégrées dans le texte ou en note de bas de page.

2. Les résultats de l'enquête

2.1. Les réponses de la Sûreté de l'État

Les réponses fournies par la Sûreté de l'État au service d'Enquêtes du Comité R indiquent que :

­ La Sûreté de l'État s'intéresse à la problématique de l'ETA depuis quelques dizaines d'années. Depuis l'instauration d'un régime démocratique en Espagne, en 1975, l'ETA a évolué d'un mouvement de résistance basque vers un groupe purement terroriste.

En Belgique, avec une présence espagnole relativement importante, on a constaté relativement vite l'apparition de groupes de sympathisants issus pour la plupart de l'extrême gauche espagnole.

­ La Sûreté de l'État se trouvait confrontée au début des années 80 à la formation, sur le territoire belge, de réseaux de ventes d'armes destinées à l'ETA. En coopération avec les autres services de renseignements de l'Europe occidentale la Sûreté de l'État réussissait à mettre un terme à plusieurs de ces trafics.

­ Par la suite la Sûreté de l'État a continué à surveiller les sympathisants connus et les comités de soutien qui avaient été formés entre-temps, ceci dans l'intention de prévenir éventuellement de nouvelles activités criminelles, de recueillir des informations sur les activités publiques (par exemple : manifestations devant l'ambassade espagnole) et de tracer les réseaux de contact avec le mouvement en Espagne.

­ Début des années 90, après qu'un membre d'Herri Batasuna, l'émanation politique de l'ETA, ait été élu parlementaire européen, ce mouvement a ouvert un bureau à Bruxelles (31). Ce bureau s'est bien vite transformé en un centre d'où l'ETA et Herri Batasuna coordonnaient et développaient leurs activités.

En cela l'ETA était une sorte de « trendsetter » puisque plusieurs groupements de ce genre ont entre-temps découvert Bruxelles et ont commencé à l'apprécier comme un terrain idéal pour leurs activités de propagande et de lobbying. Ces activités sont également suivies par la Sûreté de l'État, en veillant bien à ce que les activités parlementaires ne fassent jamais l'objet d'enquêtes quelconques.

­ Ces dernières années la Belgique a été choisie plusieurs fois comme point de chute ou d'établissement de membres de l'ETA, se présentant comme des exilés venant d'Amérique latine. Ces personnes, actives dans la propagande de l'ETA contre l'Espagne, résident toujours et sous différents statuts dans notre pays.

­ Entre-temps, elles ont aussi commencé à occuper des fonctions au bureau ou pour le compte de Herri Batasuna à Bruxelles. En outre, leur présence a donné lieu plusieurs fois à des tensions (juridiques) avec l'Espagne.

­ Le bureau d'Herri Batasuna reste important. Actuellement, il constitue un relais vers le Parlement européen.

Sur la base de ces premières informations, le service d'Enquêtes du Comité R a demandé des précisions complémentaires sur des points particuliers, comme l'exploitation des sources non ouvertes, les notes d'analyses, les contacts avec les services étrangers.

2.2. Les informations complémentaires

2.2.1. Les informations provenant de sources non ouvertes

La Sûreté de l'État a souvent obtenu des informations de sources non ouvertes pendant cette période de plus de vingt ans. Il s'agit plus particulièrement d'informations propres à un service de renseignements mais également de données obtenues d'autorités judiciaires, d'autres administrations et de la police.

En plus, il s'agit d'un échange d'informations puisque notre service de renseignement national a également transmis et transmet toujours des données utiles à ces autorités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Vu la diversité des informations et la longue période qu'elles couvrent, il est bien entendu impossible de donner un relevé détaillé de ces informations.

2.2.2. Les notes d'analyses

Les analyses faites ont été adressées à un grand nombre d'autorités potentiellement intéressées.

Des notes d'informations sur les développements généraux de l'ETA et de Herri Batusuna en Belgique ou ayant une répercussion pour le pays ont été dressées pour les autorités politiques, comme les ministres de la Justice, de l'Intérieur, des Affaires étrangères.

Des informations concernant des faits qui pouvaient donner lieu à des poursuites judiciaires ont été communiquées, suivant la situation, soit aux procureurs du Roi compétents soit au magistrat national.

Des données utiles concernant des dossiers difficiles d'exilés ETA ont naturellement été communiquées à l'Office des étrangers ou au Commissariat général des réfugiés ou apatrides.

2.2.3. Les contacts avec les services étrangers

Dans le cadre de cette problématique, il y a eu ipso facto des contacts avec des services étrangers.

Les succès contre les trafics d'armes mentionnés ci-dessus n'ont d'ailleurs été possibles que grâce à la coopération intense entre la Sûreté de l'État et plusieurs autres services.

2.2.4. Les autres constatations du service d'enquêtes du Comité R

De nombreuses notes et rapports ont été rédigés par la Sûreté de l'État au cours de la période qui s'étend de janvier 2000 à août 2001 à l'attention des autorités belges et des correspondants étrangers.

D'une manière générale et en ce qui concerne notamment les relations éventuelles de Herri Batasuna avec certains mouvements politiques belges, et selon la Sûreté de l'État, la situation a évolué considérablement depuis les années 80 et 90. Il n'était pas rare à l'époque que l'un ou l'autre cacique de partis nationalistes flamands soutienne les manifestations organisées par les autonomistes basques.

La Sûreté constate à présent que le soutien à ces manifestations est essentiellement le fait de mouvements considérés comme nettement plus à gauche tels que le PTB (32), ce qui, pour la Sûreté de l'État, est plus logique dans la mesure où Herri Batasuna défend lui aussi des « thèses de gauche ».

Selon la Sûreté de l'État, ces groupes politiques manifestent un intérêt pour des mouvements comme l'ETA en raison respectivement soit des aspects nationaliste et séparatiste, soit de la tendance marxiste révolutionnaire qui appelle à la création d'un État basque et socialiste.

2.2.5. Les informations parues dans la presse en juillet 2001

Le service d'Enquêtes a abordé également l'écho fait par les médias à une réunion qui aurait été tenue sur notre territoire par des leaders de l'ETA.

C'est ainsi que selon La Libre Belgique du 23 juillet 2001, « l'organisation séparatiste basque ETA, responsable de onze morts depuis le début de l'année, a décidé de poursuivre l'action violente à l'issue d'une réunion qui se serait tenue en Belgique après les élections basques du 13 mai » (33). Toujours selon la même source, cette révélation émanait du ministère basque de l'Intérieur Javier Balza.

Le journal « De Morgen » du même jour indiquait sous le titre « ETA belegde historische vergadering », « op Binnenlandse Zaken in Brussel, zegt men de zaak in nauwe samenwerking met de Spaanse autoriteiten te zullen onderzoeken ».

Le quotidien « Het Laatste Nieuws » précisait : « Het geheime treffen in België was een van de eerste « plenaire vergaderingen » van de ETA in twintig jaar, schrijven enkele Spaanse kranten. Waar de ETA-leiders in België bij elkaar zijn gekomen is niet bekend. Het ministerie van Binnenlandse Zaken in Brussel en de Belgische Staatsveiligheid onderzoeken de zaak ... ».

Le journal « De Morgen » citant les propos du chef du Cabinet du ministre de l'Intérieur ajoutait à ce propos : « Hoe dan ook behoort de tijd dat België door Spanje een belangrijke rol als uitvalsbasis van de ETA werd toegedicht tot het verleden. Recent zijn er, onder meer naar aanleiding van Euro 2000, meerdere succesvolle ontmoetingen geweest met de autoriteiten in Madrid en met leden van het Spaanse Parlement, zowel op vlak van Binnenlandse Zaken als Justitie. Tussen België en Spanje bestaan goed afspraken en de samenwerking is totaal. De mededeling van een Baskische minister dat de Eta in ons land zou hebben vergaderd zonder dat die vergadering is gedetecteerd, is dan ook verrassend ».

Il a été précisé par la Sûreté de l'État au Comité R qu'à ce jour aucun élément recueilli par les services extérieurs ne permettait de donner le moindre crédit à cette information.

La Sûreté de l'État a rédigé une note de synthèse à ce sujet à l'intention des autorités.

La Sûreté de l'État a interrogé son homologue espagnol à chaque fois que la presse espagnole, reprise par les médias belges, faisait allusion au fait que la Belgique serait une base arrière ou un lieu de réunion pour l'ETA. Il a été répondu qu'il s'agissait de communiqués de presse non fondés provenant de journaux de moindre qualité.

3. Conclusions

3.1. Les investigations menées à l'intervention du service d'enquêtes du Comité R ont permis d'établir que la Sûreté de l'État exerce un certain suivi concernant cette problématique.

3.2. Par ailleurs, il semble que de bonnes synergies existent à ce sujet avec les services espagnols ainsi qu'avec d'autres services européens.

3.3. Le Comité permanent R relève à ce sujet que dans le rapport du 3 juillet 2001 de la commission des Affaires intérieures et des Affaires administratives du Sénat, M. Raphael Martinez, attaché de l'Intérieur à l'ambassade d'Espagne, confirme cette conclusion lorsqu'il déclare que « la collaboration avec les services de sécurité et de police belges est très efficace et que les services entretiennent de bonnes relations (Sénat de Belgique ­ session 2000-2001 ­ doc. nº 2-774/1 ­ pp. 21, 22 et 23) (34). Il relève toutefois que d'une manière générale en matière de lutte contre le terrorisme « de nombreux problèmes subsistent, en Belgique, sur le plan législatif » (35).

La commission des Affaires intérieures et des Affaires administratives du Sénat souligne notamment à ce propos et en conclusion de son rapport que la Sûreté de l'État, parmi d'autres services concernés par la lutte contre le terrorisme en général, a plaidé pour qu'on lui octroie « des possibilités supplémentaires en ce qui concerne l'utilisation de moyens techniques (écoûtes téléphoniques,...) et l'accès à certaines données. Bien que la commission ne soit pas insensible aux arguments avancés par les représentants de la Sûreté de l'État, elle souligne que contrairement à ce qui se passe pour les services de police, il n'y a aucun contrôle sur ce type d'activités. À cet égard, la commission estime que le Comité R est bien placé pour remplir pareille mission et contrôler l'utilisation de ces techniques spéciales d'enquête, celles-ci devant toutefois être clairement délimitées ».

3.4. Si la Sûreté de l'État demeure dans l'incertitude au sujet d'une réunion tenue par des dirigeants de l'ETA en Belgique en mai 2001, il n'en reste pas moins vrai que la capitale de notre pays, où siègent de nombreuses institutions internationales et européennes, représente un terrain « neutre » propice à l'installation de certains mouvements étrangers de représentation politiques entretenant parfois des liens avec des organisations nationales ayant recours à des méthodes violentes.

Cette constatation constitue un élément supplémentaire qui plaide en faveur du renforcement des moyens légaux, techniques et humains de la Sûreté de l'État déjà évoqué par ailleurs.

CHAPITRE 5 : Rapport intermédiaire relatif à l'enquête de contrôle initiée à la demande du Parlement dans le dossier « Lernout & Hauspie »

1. Introduction

Depuis quelques temps, et en particulier depuis les résultats d'enquêtes précédentes (36) en la matière, le Comité permanent R s'intéresse aux interactions possibles entre le secteur des technologies de pointe et celui du renseignement.

Dans le contexte de ce suivi, le Comité permanent R a adressé le 13 décembre 2000 aux responsables de la Sûreté de l'État et du SGR le courrier suivant :

« Le quotidien « De Financieel Economische Tijd » publie ce mercredi 13 décembre 2000, un article intitulé « LHS verstrikt in spionagenetwerken » qui a retenu l'attention du Comité R.

Celui-ci aimerait bien sûr connaître votre réaction et celle de votre service au sujet notamment de la crédibilité de toutes les informations touchant les domaines visés par vos compétences.

Le Comité R aimerait ensuite savoir si ces informations ou certaines d'entre elles étaient connues de vos services, entre autres l'existence du « Dragon System », du « Defense Advanced Research Projects Agency » (Darpa) et de son utilisation à des fins militaires, de renseignement et d'espionnage, l'existence de son homologue européen, le projet « Sensus » qui serait utilisé par les services de police et de renseignement européens et la réaction de « mécontentement des services de renseignement américains et en particulier de la NSA » suite à la reprise de « Dragon » par Lernout & Hauspie ?

Un système du type Échelon est également évoqué par les auteurs de l'article.

Pourrait-on concevoir que le cas de Lernout & Hauspie puisse s'apparenter, toute proportion gardée, aux exemples français d'Airbus et de Thomson auxquels la NSA se serait intéressée via un système d'interception global, quel que soit son nom de code ?

Dans le cadre de la défense du potentiel scientifique ou économique, qu'il soit de nature civile, de nature militaire ou éventuellement de nature mixte, votre service a-t-il eu, ou a-t-il encore, d'une manière ou d'une autre, un intérêt ou des contacts avec « Lernout & Hauspie »?

Enfin, le cas échéant, y a-t-il eu des rapports ou d'autres échanges concernant ces informations adressés à des autorités belges ou étrangères ?

Par lettre du 5 février 2001, signée par les présidents de la Chambre des Représentants et du Sénat, le Comité permanent R a d'autre part été chargé d'une enquête concernant « Lernout & Hauspie » visant à contrôler « si nos services de renseignement avaient examiné la possibilité d'une manipulation par des services étrangers » dans cette affaire.

À cette demande se sont ajoutées également les quatre questions suivantes posées par le sénateur F. Lozie :

« Les services de renseignement belges sont-ils au courant d'un éventuel apport de l'entreprise flandrienne dans le projet Échelon ?

Les services de renseignement belges considèrent-ils possible l'hypothèse selon laquelle la NSA est prête à déstabiliser économiquement Lernout & Hauspie pour garder cette technologie dans les mains des américains ?

Les services de renseignement belges peuvent-ils confirmer que le secret qui entoure la présence d'une série d'investisseurs dans des entreprises satellites de Lernout & Hauspie est lié à l'implication directe à ce niveau de services de renseignement militaires américains ou d'entreprises américaines qui traditionnellement agissent sur ordres des autorités américaines ?

Les services de renseignement belges peuvent-ils considérer que la reprise du know-how spécifique de la technologie du langage de la firme Lernout & Hauspie par une multinationale européenne telle que Philips, par exemple, constituerait une opportunité pour renforcer un service européen de renseignement face à la domination actuelle des services de renseignement américains au sein de l'OTAN ? ».

Les Présidents de la Chambre des représentants et du Sénat ont été informés de l'ouverture de l'enquête par courrier du 2 février 2001.

Les ministres de la Justice et de la Défense nationale ont été avertis de l'ouverture de la présente enquête par courrier du 13 février 2001.

Le service d'Enquêtes du Comité permanent R a remis le résultat de ses investigations le 17 juillet 2001.

Le Comité permanent R a approuvé le présent rapport intermédiaire le 9 novembre 2001.

2. Les éléments d'information obtenus par consultation des sources ouvertes

Selon la définition qui en est donnée sur le site Internet qui lui est consacré :

« DARPA (Defence Advanced Research Project-Agency) is the central research and development organization for the Departement of Defense (DoD).

It manages and directs selected basic and applied research and development projects for DoD, and pursues research and technology where risk and payoff are both very high and where success may provide dramatic advances for traditional military roles and missions » (32).

Selon des informations parues dans le « Financieel Economische Tijd » du 13 décembre 2000, qui rapporte les paroles du juge américain Judith Markowitz, le « Darpa Sur-project » avait un effet énorme sur le développement de la technologie du langage.

Elle attire l'attention sur le fait que l'un des systèmes les plus évolués, le « Dragon system » de la « CMU Carnegie Mellon University » à Pittsburgh, a été développé dans le cadre de Darpa.

Selon Alain Jennotte du journal Le Soir « Dragon system » était un des principaux concurrents en matière de reconnaissance vocale de « Lernout & Hauspie ». Avec cette acquisition, c'est, selon lui, pas moins de 220 ingénieurs et scientifiques qui sont venus s'ajouter aux spécialistes de « Lernout & Hauspie ».

Fondé en 1982 « Dragon » dispose en outre d'un portefeuille de clients des mieux fournis, dans lequel on compte Citibank, Boeing, Compaq ou encore Sony et Peugeot. Il fut l'un des premiers à commercialiser un logiciel de reconnaissance permettant à l'utilisateur d'adopter un débit naturel tout en disposant d'un important vocabulaire de base (http : //doc.lesoir.be).

« Dragon System » était donc devenu une des LDC's (Langage Development Company's) de Lernout & Hauspie. Cette technologie vocale reconnaît la voix et permet de communiquer avec un ordinateur d'une manière telle que les mots prononcés apparaissent à l'écran sous la forme d'un texte.

D'après le « Financieel Economische Tijd » du 13 décembre 2000, des modules de traduction en langues arabe, hindi, urdu et farsi avaient déjà été développés pour les écoûtes radio lors de la guerre du Golfe.

Un an auparavant l'armée américaine avait utilisé, toujours d'après le « Financieel Economische Tijd », la technologie « Dragon » en Bosnie.

Dans le même ordre d'idée, le quotidien « De Standaard » du 30 décembre 2000 souligne que de nombreuses questions restent ouvertes et notamment celles de savoir pourquoi les « LDC's » ont développé des solutions pour des langues comme par exemple l'Hindi et le Farsi qui ont peu d'intérêt sur le plan commercial (37).

À l'appui de l'affirmation selon laquelle la présence de Janet Baker et d'Alex Waibel (deux top-managers de Dragon) dans le conseil d'administration d'un groupe flamand ne plaisait pas aux services de renseignement américains et en particulier à la NSA, le numéro du « Financiel Economische Tijd », déjà cité, renvoie au site Internet de « DARPA ».

D'après cette source d'informations, les documents que l'on trouve sur Internet ne laissent subsister aucun doute quant au fait que cette technologie est développée pour des applications militaires et pour les besoins des services de renseignement.

En rappelant dans son édition du 27 janvier 2001, que « la SEC (la Security Exchange Commission), le gendarme boursier américain procédait également à une enquête sur le rachat par Lernout & Hauspie des sociétés « Dragon Systems » et Dictaphone, le Soir magazine soulignait que Lernout & Hauspie en rachetant ces sociétés avaient mis la main sur des contrats passés avec des sociétés et des organismes aux activités très sensibles comme le renseignement et la technologie spatiale et militaire. Selon certains observateurs, cela pourrait bien expliquer que les attaques contre Lernout & Hauspie soient venues des États-Unis où l'on n'aurait pas vu d'un très bon oeil cette intrusion dans un domaine considéré comme chasse gardée ».

Sur le site « DARPA » (le Comité permanent R a eu accès à cette information sur le website après une courte consultation d'internet), le « new continuous speech dictation product » de Dragon y est présenté comme « a direct result of the DARPA goal of making this technology avalaible on handheld devices ».

L'accent est mis sur le fait que « the results of DARPA's current efforts are a range of speech understanding technologies that are being adopted in both commercial and military systems ».

Il est également mentionné sur ce site que : « Often the best way to transition a technology into DoD (Department of Defence) is to transition it to commercial industry so that is can be made available to DoD in the form of commercial off-the-shelf products and services ».

Le quotidien « De Standaard » du 30 décembre 2000 rapporte que selon une personne concernée, « le BND (Bundesnachrichtendienst), le service de renseignement allemand, dispose d'une cellule qui s'occupe de technologie du langage, celle-ci offrant, par exemple, des perspectives intéressantes en matière de lutte internationale contre le terrorisme et la criminalité organisée. Stephan Bodenkamp suit, en qualité de directeur technique au sein de cette cellule, le marché de cette technologie.

Il coordonne aussi le projet « Sensus » qui est subsidié par la Commission européenne et qui a comme but la mise en place d'un système d'échange d'informations entre les polices européennes (Europol). Bodenkamp travaillerait officiellement pour l'« Amt für Auslandsfragen » AFA à Munich, une administration qui serait une couverture pour le BND. L'implication du BND semble être confirmée par un jugement d'un tribunal de Munich ....

S. Bodenkamp a été condamné pour la falsification d'un contrat avec une entreprise allemande de technologie. Du jugement, il apparaît que la véritable identité de l'intéressé est Christoph Klonowski et qu'il travaille à temps plein pour le BND ».

Dans son édition du 27 janvier 2001, le quotidien « De Standaard » annonçait également à ce sujet : « qu'une commission de contrôle du« Bundestag », le parlement allemand, se penchait sur l'implication du service secret allemand dans la création de sociétés start-up proche de Lernout & Hauspie ....

La commission parlementaire devait notamment contrôler dans quelle mesure Bodenkamp/Klonowski avait agi sur ordre du BND. Certaines sources ont minimalisé cette participation, mais il semble que le service n'ait pas voulu se distancier publiquement de son collaborateur. »

Toujours concernant « Sensus », on peut lire dans le journal « De Morgen » du 10 mars 2001 que « la Commission européenne finance depuis 1999 ce projet. Celui-ci ouvre dans le même sens aussi bien pour Europol, les services de renseignement, les États membres que pour le secteur industriel, à savoir : rattraper le retard par rapport aux États-Unis. Pour cela, la collaboration est intense entre les autorités et le secteur privé. Officiellement, il est actuellement reconnu qu'il s'agit de projets destinés à développer les technologies permettant de faciliter la collaboration transfrontalière entre les instances de police et de sécurité ».

Enfin, des affaires liées au monde du renseignement sont évoquées par la presse. C'est le cas non seulement de l'intervention de Klonowski, alias Bodenkamp déjà mentionnée ci-dessus, mais c'est également le cas d'un ingénieur français (entré en fonction chez Lernout & Hauspie, en octobre 2000, à une époque où l'entreprise était déjà en difficulté) et qui aurait détourné des informations sensibles au préjudice de Lernout & Hauspie (« Het Laatste Nieuws » du 5 janvier 2001).

Il est enfin fait référence à l'aveu par un ex-dirigeant de Lernout & Hauspie, de la collaboration de l'entreprise depuis les années 90 avec des ex-agents du KGB (« Humo » du 13 mars 2001). C'est ainsi que cet ancien cadre déclarait : « Ik ben in contact gekomen met een paar ex-KGB'ers die Lernout & Hauspie konden leveren wat onze firma zocht... »

3. Démarches entreprises

Dans un premier temps, les deux services de renseignement, Sûreté de l'État et SGR, ont été interrogés sur la base d'un questionnaire écrit.

Dans un second temps, le service d'enquêtes du Comité permanent R a pris connaissance des rapports classifiés ou non en possession de la Sûreté de l'État.

4. Les réponses du SGR et la Sûreté de l'État au questionnaire

4.1. Le SGR

Le SGR n'est pas au courant d'une éventuelle participation de Lernout & Hauspie au projet Échelon.

Le SGR ne dispose d'aucun indice pour considérer que la NSA serait intervenue pour déstabiliser l'entreprise sur le plan économique.

Le SGR n'a aucune idée de l'existence d'un lien entre des filiales de Lernout & Hauspie et les services de renseignement américains.

La question relative à la propriété de la technologie du langage semble hors de propos pour le SGR. Les intérêts commerciaux sont sans nul doute beaucoup plus importants que l'hypothétique influence des services de renseignement.

L'importance des possibilités actuelles de la technologie du langage dans le monde du renseignement ne doit certainement pas être surestimée.

4.2. La Sûreté de l'État

Des informations transmises par ce service, on peut retenir en substance les éléments de réponses suivants :

L'essentiel de l'information disponible à la Sûreté de l'État concernant les développements de l'affaire Lernout & Hauspie est actuellement issue des sources citées par le Comité permanent R. La Sûreté de l'État n'est pas davantage au courant d'une éventuelle implication de Lernout & Hauspie dans Échelon.

Il serait peu vraisemblable que certains services de renseignement aient eu intérêt à voir Lernout & Hauspie « capoter ».

Concernant la fiabilité de toutes les informations qui ont été diffusées par les médias, il est pour le moment difficile de se prononcer.

La Sûreté de l'État a appris l'existence du « Dragon System » de « DARPA » et « Sensus » par la consultation des sources ouvertes.

À l'heure actuelle, la Sûreté de l'État ne peut étayer davantage la référence au système Échelon, la comparaison avec des affaires comme Airbus et Thomson et, en d'autres termes, la possibilité de recourir à une telle technologie à des fins d'espionnage économique (missions offensives de renseignement en matière économique et scientifique) qu'elles soient civiles ou militaires.

Potentiellement le risque d'espionnage existe. De telles opérations pourraient en effet être mises sur pied par d'autres pays dont le cadre légal prévoit la possibilité d'effectuer des activités de renseignement en dehors de leur territoire et qui disposent pour ce faire des moyens juridiques et opérationnels nécessaires.

Il est clair que dans l'avenir, des puissances étrangères et des organisations privées feront de plus en plus appel au soutien de technologies de pointes pour mener de telles opérations.

Au sujet des raisons justifiant l'anonymat des investisseurs, le service ne peut fournir aucune explication définitive. Il ne lui est pas possible non plus de confirmer ou d'infirmer les hypothèses selon lesquelles le recours à la confidentialité serait lié à des aspects contractuels ou légaux ou bien qu'il serait invoqué pour dissimuler des faits de nature criminelle. Il est toutefois à remarquer que l'Allemand Klonowski, alias Bodenkamp, a lié des relations juridiques et commerciales avec les LDC's (Langage Development Company's) sous un faux nom.

5. Les rapports établis par la Sûreté de l'État

Le Comité permanent R a constaté que quinze rapports ont été établis par les services extérieurs de la Sûreté de l'État en relation avec l'affaire Lernout & Hauspie sur une période allant de novembre 2000 à mai 2001.

Quatre de ceux-ci sont classifiés « Confidentiel ». Un de ces rapports est classifié « Secret ». Le Comité permanent R a pris connaissance de ces quinze rapports.

Le Comité permanent R retient particulièrement le contenu d'un des rapports non classifié duquel il apparaît que le ministère des Affaires économiques considère que la protection de notre potentiel économique et scientifique s'applique à chaque activité économique et scientifique localisée sur notre territoire, même s'il s'agit d'une entreprise étrangère.

Dans cette approche, il faut accorder une importance particulière à la notion de « valeur ajoutée » sur le plan économique (PIB et PNB) et sur le plan social (emploi). À cet égard des cas précis sont donnés qui révèlent que les intérêts économiques de la Belgique ont été compromis ou menacés par une concurrence déloyale ou par des activités mafieuses.

Les affaires Lernout & Hauspie et Tractebel sont notamment citées parmi d'autres à titre d'exemples. En ce qui concerne la première, s'il y a eu des malversations comptables, il semble que le groupe gênait certains concurrents européens et américains.

Dans tous ces dossiers le ministère des Affaires économiques aurait souhaité recueillir les évaluations de la Sûreté de l'État avant de prendre une décision. Ce département est demandeur dans ce domaine vis-à-vis des services de renseignement.

D'autres informations contenues dans d'autres rapports non-classifiés vont notamment dans le même sens que ce qui a été mis en évidence lors de la consultation par le Comité permanent R des sources ouvertes (voir le point 2 ci-dessus), à savoir :

­ qu'outre les irrégularités comptables et le laxisme de la direction, des sociétés concurrentes dans ce secteur pourraient avoir été à l'origine de manoeuvres douteuses destinées à pousser définitivement cette entreprise, reconnue comme un fleuron mondial, vers la faillite ou la fermeture;

­ que certains chercheurs se sont interrogés sur la provenance des fonds nécessaires au financement d'études sur des langues moins usitées comme l'urdu, le farsi, le tamil alors qu'il n'existe pas encore un réel marché pour ces produits;

­ qu'une affaire d'espionnage industriel concernait un ingénieur français ayant, après trois mois, donné sa démission après avoir détourné via son PC des informations appartenant à Lernout & Hauspie pour le compte d'une société française pour laquelle il travaillait précédemment, cette société développant des activités identiques à Lernout & Hauspie et entretenant des contacts avec les services de renseignement français; que Lernout & Hauspie a porté plainte pour ces faits et l'a ensuite retirée;

­ que « Sensus » est un projet de sécurité européen, patronné par la Commission européenne, ayant pour finalité la lutte contre la criminalité organisée internationale grâce à la collaboration de services officiels de sécurité européens et internationaux; « Sensus » fait appel à la technologie vocale, au traitement de données linguistiques multiples, à la visualisation intelligente et à la communication; que sur le site Internet, Stephan Bodenkamp apparaît en qualité de coordinateur entre les instances européennes (la Commission) et la « Amt Fûr Auslandsfragen »; que selon le « Standaard », cet organisme sert de couverture au BND; que plusieurs articles de presse ont fait état de ce que Bodenkamp serait un agent du BND;

­ qu'aux États-Unis, Dragon Systems, une filiale de Lernout & Hauspie a été chargée de développer un projet pour les autorités américaines;

­ que durant la guerre du Kosovo, l'armée américaine a utilisé du software Lernout & Hauspie appelé « Système dialogue » permettant au moyen d'un ensemble de phrase types et de questions classiques de se faire comprendre par la population locale dans la plupart des langues des Balkans;

­ qu'en juin 2000, la société Lernout & Hauspie Apptek (machine translation), établie à Washington, a également été sollicitée par les autorités américaines afin de réaliser des projets concernant deux langues : le turc et le farsi;

­ qu'un collaborateur de Lernout & Hauspie a été invité à Washington en 1999 à une entrevue en matière de technologie vocale, qu'à cette occasion des entretiens ont eu lieu avec des membres de la communauté du renseignement américain, du FBI, de la CIA et de la NSA;

­ qu'en ce qui concerne des contacts avec d'anciens agents du KGB, Bodenkamp est à nouveau cité; que d'autre part ces contacts auraient bien eu lieu, mais n'auraient pas été concrétisés;

­ qu'en mars 1999, un représentant du gouvernement israélien est venu sur le site de Lernout & Hauspie avec ses collaborateurs. Il s'est intéressé à la technologie du langage en relation avec la traduction des langues arabes.

6. Constatations du Comité R

6.1. Concernant la réponse du SGR

Une explication est particulièrement mise en exergue pour justifier l'absence d'éléments de réponse aux questions posées.

Elle consiste dans le fait que le SGR est uniquement actif, en application de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, à l'égard d'entreprises qui exécutent des conventions passées avec le ministère de la Défense nationale.

Le SGR intervient également dans ce domaine à la demande du ministre de la Défense nationale, de pays tiers ou d'organisations avec lesquels la Belgique est liée en vertu de traités ou de contrats.

Le Comité R constate toutefois en l'espèce qu'au vu de divers éléments repris ci-dessus l'intérêt militaire des recherches effectuées dans le secteur d'activités de l'entreprise belge Lernout & Hauspie semble devoir être pris en considération.

Des informations provenant de sources ouvertes n'ont pas retenu l'attention du SGR, celui-ci ne s'estimant pas compétent sur base de la description de la mission confiée à ce service par la loi précitée.

Le Comité permanent R n'a pas connaissance à ce stade de l'enquête de l'existence de communication d'informations recueillies par la Sûreté de l'Etat au SGR.

Le Comité permanent R rappelle à cette occasion l'existence d'un protocole d'accord conclu le 20 février 1997 entre les deux services qui devrait favoriser l'échange d'informations notamment dans des domaines où il est difficile a priori de dire si des intérêts de nature militaire ne sont pas également en jeu, ce qui pourrait également fonder la compétence du SGR sur la base de l'article 11 de la loi organique précitée, celui-ci visant entre autre la recherche, l'analyse et le traitement du renseignement relatif à tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel du renseignement.

Comme cela résultait déjà de l'enquête concernant un centre de recherche belge (cf. : rapport annuel d'activités 2000, p. 60, et le dernier rapport complémentaire à ce sujet du 4 octobre 2001), le Comité permanent R s'interroge sur la réalité d'une protection efficace d'une partie du potentiel économique et scientifique ayant une implication possible dans le domaine militaire.

Personne ne peut nier que c'est grâce à la qualité et à la plus-value de leur « know how » que des entreprises belges ont réussi à passer des contrats internationaux et à se situer en tête de leur spécialité au niveau mondial.

Cela semble avoir été incontestablement le cas de Lernout & Hauspie, indépendamment des conséquences judiciaires du management.

Une seconde considération émise par le SGR à la fin de sa réponse écrite, à savoir que : « La question relative à la propriété de la technologie du langage semble disproportionnée; que les intérêts commerciaux sont sans nul doute beaucoup plus importants que l'hypothétique influence des services de renseignement » et que « l'importance des possibilités actuelles de la technologie du langage dans le monde du renseignement ne doit certainement pas être surestimée » interpelle également le Comité permanent R qui ne partage pas cette analyse.

Il apparaît en effet aujourd'hui, comme en témoignent, entre autres, les rapports établis par les services extérieurs de la Sûreté de l'État auxquels le Comité permanent R a eu accès, que les techniques de reconnaissance vocale et de traduction s'intègrent de manière capitale dans la problématique de l'interception aussi bien globale que ciblée des télécommunications.

Une telle problématique concerne aussi bien les services de police que les services de renseignement civils et militaires.

6.2. Concernant la réponse de la Sûreté de l'État

Le Comité permanent R constate qu'il semble y avoir une approche différente entre le contenu de cette réponse au questionnaire et le contenu des rapports établis par les agents des services extérieurs de celle-ci.

Le Comité permanent R constate en effet que la réponse officielle de la Sûreté de l'État, se contente d'attirer principalement l'attention du Comité R, comme cela avait déjà été le cas précédemment, sur l'absence de moyens en personnel et sur l'absence de directives du Comité ministériel concernant la nouvelle mission de la Sûreté de l'Etat.

Il apparaît clairement des rapports dont le Comité permanent R a eu connaissance, comme cela avait déjà été constaté dans l'enquête sur un centre de recherche belge publié dans le précédent rapport annuel du Comité R, qu'à la base et en l'état des moyens actuellement disponibles, la volonté existe de réaliser ­ ne fût-ce qu'à titre prospectif ­ un travail de recueil d'informations (38) et de renseignements dans le cadre de la défense du potentiel économique et scientifique.

L'utilité et aussi la nécessité d'une telle action sont encore à souligner par la constatation que d'une manière générale le ministère des Affaires économiques est demandeur de telles informations (voir point 5 ci-dessus).

Dans le même ordre d'idée, le rédacteur d'un des rapports examinés par le Comité permanent R a fait à sa hiérarchie la proposition suivante :

« Il paraît indiqué que le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité se penche sur le cas de Lernout & Hauspie et considère celui-ci comme un cas d'école pour élaborer les lignes de la défense du potentiel économique et scientifique. Cela permettrait de préciser avec la clarté nécessaire la compétence de la Sûreté de l'Etat et les actions possibles en rapport avec cette matière. »

En l'état actuel de l'enquête, le Comité permanent R se doit de constater que cette judicieuse proposition semble être restée à ce jour sans suite effective.

Une nouvelle fois, des questions se posent également suite à la constatation de l'absence d'une analyse pertinente des informations recueillies et donc a fortiori de l'absence de communication de telles analyses à destination des autorités ou des services qui pourraient y avoir intérêt.

Ou bien, toutes les informations n'ont pas été transmises aux responsables internes, ou bien c'est la communication vers l'extérieur qui est déficiente. Le Comité permanent R se propose de vérifier ces éléments.

Cette constatation pose en l'occurrence le problème du contrôle interne du flux d'informations, de l'analyse de celles-ci et de la communication du renseignement, notamment, comme c'est le cas en l'espèce, en matière de défense du potentiel scientifique et économique.

Au stade actuel de l'enquête le Comité permanent R constate :

­ qu'il existe des indices selon lesquels on ne peut pas exclure d'emblée que des services de renseignement étrangers aient pu s'intéresser, à différents moments et pour des raisons diverses, aux activités de Lernout & Hauspie;

­ que le cas d'espèce semble donc concerner le contexte aussi bien du contre-espionnage que celui de la défense du potentiel scientifique et économique du pays; que l'intérêt militaire du secteur considéré n'est pas a priori à négliger;

­ que la Sûreté de l'État et le SGR n'ont montré que peu ou pas d'intérêt pour l'affaire sur la base de justifications non dénuées de fondement, mais néanmoins discutables dans l'optique du Comité permanent R lorsqu'il considère les aspects d'efficacité et de coordination des services en matière de défense du potentiel scientifique et économique du pays;

­ qu'aucun rapport d'analyse n'a apparemment été produit par la Sûreté de l'Etat à destination des autorités intéressées;

­ que parmi celles-ci, le Comité permanent R identifie au moins le ministère des Affaires économiques qui, d'une manière générale, est demandeur dans ce domaine d'une expertise de la Sûreté de l'État;

­ qu'aucun échange de vues ou d'informations ne s'est concrétisé entre les deux services de renseignement;

­ qu'au moment d'approuver le présent rapport, les activités de recueil, d'analyse et de traitement de l'information relatives à la protection du potentiel scientifique et économique viennent d'être temporairement suspendues par la direction de la Sûreté de l'Etat, les agents chargés de cette mission dans les services extérieurs et les services d'analyse ayant été réaffectés à des missions prioritaires du moment;

­ le ministre de la Justice a été informé de cette décision par l'administrateur général de la Sûreté de l'État.

7. En conclusion

Au-delà de la problématique même du renseignement, le Comité permanent R considère en l'occurrence qu'il s'agit davantage d'un problème lié à la sécurité industrielle. Dans cette optique, il y a lieu de mettre l'accent sur l'analyse des risques et sur l'aspect préventif.

À ce sujet, le Comité R se réfère à l'exemple américain. C'est ainsi que le FBI surveille de manière particulièrement attentive les firmes de communication étrangères qui cherchent à s'implanter aux Etats-Unis.

Le FBI redoute en effet que ces opérateurs étrangers ne profitent de leur contrôle sur des réseaux américains pour mettre sur écoûte des entreprises pour le compte des services de renseignement de leurs pays.

De même, le FBI surveille les opérations de prise de contrôle d'entreprises américaines par des groupes étrangers dans le cadre d'une loi fédérale qui permet au président des États-Unis d'interdire toute acquisition « pouvant affecter la sécurité nationale ».

La loi « Economic Espionage Act » de 1996 permet au FBI et à d'autres agences fédérales de pratiquer des interceptions de communications à des fins de contre espionnage économique.

Le Comité permanent R rappelle donc les recommandations faites à l'occasion non seulement du « rapport de l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État s'acquitte de sa nouvelle mission de protection du potentiel scientifique et économique » (voir rapport annuel 2000, pp. 112 et suivantes), mais aussi celles faites à l'occasion du « rapport d'enquête sur la manière dont les services de renseignement ­ Sûreté de l'État et SGR ­ ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentatives d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge » (voir rapport annuel d'activités 200, pp. 60 et suivantes).

Il s'inquiète des constatations faites à l'occasion de la présente enquête qui confirment ses premières conclusions à la suite des deux enquêtes précitées, alors qu'aucune directive concernant la matière de la défense du potentiel scientifique et économique n'est encore intervenue à sa connaissance et que la direction de la Sûreté de l'État vient de prendre la décision de suspendre, temporairement, mais totalement l'exécution de cette mission essentielle (39).

Le Comité permanent R se propose de poursuivre la présente enquête et d'informer comme la loi le prévoit le Parlement et les ministres concernés de tout nouvel élément.

8. Réactions des ministres

Les réactions du ministre de la Justice et du ministre de la Défense nationale sont reprises dans le « rapport complémentaire relatif à l'enquête L & H ».

Suite à ce complément, le ministre de la Défense nationale a rappelé, par courrier du 30 avril 2002, les commentaires déjà formulés et a précisé qu'il n'avait pas d'objection à ce que le rapport soit repris tel quel dans le rapport d'activités 2001 du Comité.

Quant au ministre de la Justice, il a communiqué par courrier du 7 mai 2002 les observations de la Sûreté de l'État.

En substance celle-ci attire l'attention sur le fait que les éléments mentionnés dans le rapport complémentaire peuvent aussi bien reposer sur des vérités que sur une tentative des personnes poursuivies en Belgique pour faux en écritures et manipulation de cours de diminuer leurs responsabilités dans la faillite de l'entreprise. Ce dont le Comité R est tout à fait conscient.

La Sûreté reconnaît toutefois que la considération principale du Comité R concerne le peu d'intérêt manifesté par la Sûreté de l'État pour l'affaire Lernout & Hauspie. La Sûreté de l'Etat admet qu'il y un fond de vérité dans cette constatation et que dans ce dossier elle n'a pas pu apporter ce qu'elle aurait elle-même voulu.

Les raisons ont déjà été soulignées précédemment, à savoir : « L'absence d'une définition par le Comité ministériel de la défense du potentiel économique et scientifique, le manque chronique de personnel et la suspension des activités de la section compétente de la mi-octobre 2001 à la mi-février 2002, suite aux priorités survenues après les attentats du 11 septembre 2001. »

La Sûreté de l'Ètat fait également état d'un intérêt pour cette affaire dès novembre 2000 et d'une série de notes et de lettres sur le sujet transmises aussi bien au magistrat national, au ministre de la Justice et au Comité R. Ces éléments sont déjà développés dans le rapport du Comité I.

Rapport complémentaire relatif à l'enquête
« Lernout & Hauspie »
(21)

1. Les réactions du ministre de la Justice et du ministre de la Défense nationale au premier rapport du Comité R

Le présent rapport est complémentaire à celui relatif à l'enquête ouverte à la demande du Parlement et qui a fait l'objet d'un premier rapport intermédiaire envoyé le 20 novembre 2001 aux présidents du Sénat et de la Chambre des représentants de même qu'aux ministres de la Justice et de la Défense nationale.

Le 30 novembre 2001, le cabinet du ministre a envoyé un rapport classifié « confidentiel » contenant les remarques de la Sûreté de l'État sur le rapport intermédiaire.

Compte tenu de cette classification, il n'est pas possible de reproduire ici cette réponse. En fait, on peut la résumer en disant qu'elle nuance quelque peu les constatations du Comité R sur les activités restreintes de la Sûreté de l'État dans ce dossier, sans toutefois réfuter les constatations au fond.

Le 29 janvier 2002, le ministre de la Défense nationale a transmis ses observations.

Sa thèse revient à dire que le point de vue du Comité R, selon lequel cette technologie est également d'intérêt militaire et mérite à ce titre l'attention du SGR, ne correspond pas à la loi sur les services de renseignements, du moins aussi longtemps que le Roi n'aura pas pris d'arrêté d'exécution dans ce sens.

Il déclare également : « Ne faudrait-il pas plutôt définir qu'il existe un intérêt militaire réel lorsque la recherche scientifique est effectuée par les Forces armées ou pour les Forces armées sur [la] base d'un contrat conclu par des centres de recherches ou des firmes civiles » ...

De plus, ce courrier souligne la constatation que plusieurs affirmations ne sont manifestement basées que sur des sources ouvertes dont la fiabilité ne peut être établie avec certitude (voir plus loin).

Le Comité R l'admet volontiers, étant donné qu'il n'est pas un service de renseignements en soi. Dans le présent rapport complémentaire, les sources ouvertes seront d'ailleurs complétées par le témoignage d'un insider.

En ce qui concerne la compétence du SGR par rapport à cette technologie et à d'autres technologies de pointe en général, le point de vue du Comité R sera précisé plus avant dans les recommandations.

2. Témoignage d'un insider

Préambule

Le Comité R a reçu le témoignage d'une personne qui, de par la situation qu'elle occupe, a pu fournir des éléments complémentaires dans le cadre de cette enquête.

Cette personne souhaitait au départ garder l'anonymat, mais elle a ensuite elle-même accordé à la presse une interview dans laquelle elle présente l'information reprise ci-dessous de manière quasi identique. Elle reconnaît d'autre part dans le même article avoir été interrogée par le Comité R.

D'après l'intéressé : « L & H possédait au printemps 2000 une connaissance technologique cumulée permettant de fournir des outils de reconnaissance vocale, de traduction automatique, de synthèse et de compression de parole dans un grand nombre de langues. Il s'agissait donc de beaucoup plus que de quelques gadgets équipant un PC ou un GSM.

Ces technologies que L & H possédait pour les avoir développées elle-même ou pour les avoir rachetées à d'autres n'avaient sans doute rien d'unique, mais la combinaison des divers aspects faisait du groupe yprois un des principaux acteurs du marché. Autre élément intéressant : le ministère américain de la Défense (DoD), agissant par l'intermédiaire du DARPA cité dans le premier rapport, avait investi dans ces technologies, notamment dans la firme DRAGON, devenue filiale de L & H.

L & H avait également acquis l'entreprise ISI qui possède une technologie permettant la reconnaissance visuelle des personnes tout en vérifiant ce que cette personne dit. ISI est une autre spin-off de DARPA. Le financement de APTECH pour la traduction au départ du coréen et de l'arabe provenait également du DoD.

Ces technologies devaient toutefois encore franchir le cap du développement commercial avant de générer des profits.Le financement constituait une affaire délicate. Les quelque 10 milliards de dollars estimés nécessaires provenaient notamment d'investisseurs du Proche-Orient (à l'époque, des contacts ont également été pris avec des financiers russes, mais ces contacts n'ont finalement pas abouti).

L'origine de ces fonds suscitait la méfiance des Américains. »

D'après notre témoin : « L & H ne s'était pas rendu compte que ce que l'entreprise considérait comme un investissement d'affaires fondé sur l'intérêt des investisseurs pour les langues de cette région, les autorités américaines l'ont ressenti comme une menace dès lors que L & H achetait une technologie américaine pour le compte de personnes jugées non fiables. »

L'interlocuteur du Comité R considère qu'il s'agit là d'une première erreur stratégique.

D'après lui : « les entreprises américaines qui s'étaient liées avec L & H n'auraient pas été félicitées pour ce rapprochement. MM. Baker et Bamberg de Dragon ont été convoqués à Washington au DoD où ils ont « été sermonnés », comme ils le lui ont expliqué par après. L'ISI aurait subi le même sort et à Washington, on leur aurait reproché en termes peu amicaux d'avoir vendu leur affaire à des Belges ».

D'après le témoin : « L & H n'était pas vraiment intéressée par le secteur de la sécurité, mais plutôt par les vastes possibilités commerciales. Tout ceci malgré les avertissements de M. Bodenkamp qui avait recommandé aux dirigeants de l'entreprise d'avoir un entretien avec Washington. »

L'interlocuteur du Comité R qualifie de deuxième erreur d'appréciation le fait que cet entretien ait eu lieu par la suite (trop tard) et à un trop bas niveau.

En Europe aussi, d'après lui, « l'intérêt de L & H ne se portait pas sur les applications sécuritaires qui étaient laissées à Saillabs. En outre, M. Bodenkamp avait attiré dès 1999 l'attention des dirigeants de L & H sur le fait que le système Echelon s'intéressait à eux »!

Ce témoin est convaincu que « les journalistes du Wall Street Journal possédaient des informations qu'ils ne pouvaient avoir obtenues qu'au moyen d'un système comme Echelon. Évidemment, on ne pourra pas en apporter la preuve ». Il existe d'autres possibilités pour obtenir des informations et c'est ainsi que notre témoin confirme « l'incident avec l'ingénieur français attaché à l'université de Toulouse, qui avait été suspecté en janvier d'avoir volé le code de la synthèse vocale.

À deux reprises au moins, des personnalités politiques de premier plan ont été averties du danger que pouvait représenter Echelon pour l'entreprise. »

Les suites intervenues, si suite il y a eues, ne sont pas connues du témoin.

Interrogé à propos des développements au niveau de langues exotiques telles que l'urdu, le farsi, etc., notre interlocuteur a déclaré « qu'à son avis, en ce qui concerne L & H, leur intérêt était uniquement lié à des projets commerciaux. Ces langues donnent accès à d'énormes marchés offrant d'importants potentiels surtout pour les applications GSM ».

Les entretiens avec ce témoin ont aussi finalement débouché sur le constat incontestable qu'il fait « que la plus grande partie de la technologie existante au sein du groupe L & H a été transférée ou est retournée pour l'essentiel aux Etats-Unis. Hormis les connaissances spécifiques de quelques entreprises telles que SAIL-Labs et Knexys, tout le reste a été perdu pour l'Europe, y compris le savoir-faire acquis, et qui plus est, parfois à des conditions très favorables. »

3. Conclusions et recommandations

Le Comité R souhaite souligner qu'il n'a ni pour rôle ni pour objectif de collecter des informations permettant de répondre à la question de savoir si l'échec de L & H a été influencé par la présence ou l'intervention de services de renseignements étrangers.

Le Comité R souhaite apporter des éclaircissements sur la question de savoir si nos services de renseignements auraient dû s'intéresser à cette activité économique. On pourrait répondre à cette question en illustrant l'intérêt qu'y portaient des services de renseignements étrangers.

En ce sens, il s'avèrait utile de disposer de renseignements complémentaires.

Il en ressort en effet qu'en acquérant les firmes Dragon, ISI et Aptech, la société L & H est entrée en possession d'une importante technologie qui était financée par le DoD (Department of Defence, USA). Relevons que pour le DoD, le transfert de cette technologie entre des mains belges ne devait pas constituer en soi un problème insurmontable, la Belgique étant une nation amie avec laquelle les États-Unis entretiennent des liens juridiques par le biais de conventions et de traités internationaux.

Par ailleurs, il ressort du dossier que des contacts existaient entre L & H et l'administration américaine. Le témoin a cependant admis que L & H a commis l'erreur de faire appel à des capitaux arabes pour l'exploitation commerciale ultérieure de la technologie.

À en juger par les renseignements disponibles concernant certains candidats investisseurs, le Comité R peut comprendre que les services américains auraient éventuellement réagi.

Les renseignements complémentaires confirment donc l'intérêt de la technologie de la reconnaissance vocale dans le domaine militaire et dans celui des renseignements, ce qui renforce la nécessité pour nos services de renseignements de s'y intéresser de manière effective.

Le Comité R estime avoir ainsi répondu aux questions relevant de ses compétences.

CHAPITRE 6 : Rapport complémentaire d'enquête à la demande des Commissions de suivi P et R concernant le « rapport sur l'enquête relative au SGR à la suite d'une plainte d'un particulier » (rapport général d'activités 2000 du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité (titre II ­ partie D ­ chapitre 1er).

1. Introduction

1.1. Le Comité permanent R a publié dans son rapport d'activités 2000 (p. 159) les résultats relatifs à une enquête de contrôle concernant le SGR suite à une plainte de particulier.

Cette enquête résultait d'une plainte d'un membre des Forces armées belge qui estimait avoir été la victime d'abus de la part du service général de Renseignement et de Sécurité des Forces Armées (SGR), à l'occasion d'un contrôle de la sécurité du système informatique dans le service où l'intéressé avait été détaché.

1.2. Il est rappelé qu'en exergue à ce rapport, figurait l'avertissement suivant :

« En vertu de l'article 37 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement et pour des raisons tenant à la confidentialité, ainsi qu'au respect de la vie privée des personnes, le Comité permanent R a décidé de ne publier qu'une partie succincte du rapport (21 pp.) adressé au ministre de la Défense nationale compétent ainsi qu'au Sénat, comme la loi précitée le prévoit en son article 33, alinéa 3 ».

1.3. Les résultats de l'enquête de contrôle ont été discutés au sein des Commissions de suivi P et R et il a été demandé au Comité R d'ouvrir une enquête complémentaire au sujet de la destination donnée au dossier relatif à l'intervention du SGR dans l'affaire précitée (voir rapport d'activités 2000 du Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité ­ Sénat et Chambre des représentants de Belgique ­ session 2000-2001 ­ 10 octobre 2001 Sénat, nº 2-867/1, Chambre Doc. nº 50 ­ 1434/001 pp. 7 à 10).

1.4. Pour mémoire, il faut rappeler qu'à ce stade de ses investigations le Comité R avait dû notamment constater dans ses conclusions et recommandations :

« qu'aucun dossier de cette enquête informatique n'était conservé dans les archives du SGR. Une telle procédure est bien certainement contraire à l'esprit de la loi du 18 juillet 1991 et est en pratique de nature à entraver et même à empêcher tout contrôle ultérieur.

En l'absence d'un dossier complet et inventorié; le Comité R ne peut en effet s'assurer a posteriori qu'in tempore non suspecto le comportement des membres des services de renseignement s'inscrivait bien dans le cadre légal des missions spécifiques d'un tel service ».

1.5. Le 22 mai 2001, dans le contexte du complément d'enquête demandé par les Commissions de suivi P et R, le service d'Enquêtes du Comité R s'est rendu au SGR avec pour missions : « de vérifier l'état actuel de la situation concernant l'absence d'archives complètes et inventoriées au SGR en relation avec l'intervention de ce service au cabinet du ministre de la Défense nationale au début de l'année 1999 ».

Le service d'Enquêtes du Comité R était également chargé de faire rapport à ce sujet. Il était en effet précisé, à destination des enquêteurs du comité, que « si la situation devait avoir changé depuis les premières constatations, il conviendrait de connaître le contenu de l'éventuel dossier (y compris les pièces classifiées), la provenance des pièces et la (ou les) date(s) de rentrée de celles-ci au SGR. Qu'est-il advenu également d'auditions qui auraient été faites à l'époque de membres du personnel du cabinet du ministre de la Défense nationale alors en fonction ? Des procès verbaux d'auditions auraient-ils été dressés et le cas échéant que sont-ils devenus ? »

1.6. L'ancien chef du SGR a été entendu le 19 juillet 2001 par deux membres du Comité R concernant les motifs et les circonstances se rapportant au retrait du dossier litigieux des archives du SGR, au moment de son départ de ce service.

Le présent rapport complémentaire a été approuvé par le Comité permanent R, lors de sa réunion plénière du 22 février 2002.

2. Les résultats de l'enquête sur place du 22 mai 2001

2.1. Le service d'Enquêtes du Comité R a dressé rapport de sa visite au SGR le 22 mai 2001.

Ce rapport mentionne qu'il a d'emblée été précisé aux enquêteurs par l'actuel chef du SGR, que la situation concernant le dossier litigieux était inchangée, à savoir que les pièces relatives à l'enquête du SGR effectuée à la demande du ministre de la Défense nationale au cabinet de ce département, avaient été transmises par son prédécesseur à son autorité hiérarchique directe, le chef de l'état-major des Forces armées belges.

Sur interpellation du service d'Enquêtes du Comité R, l'actuel chef du SGR a confirmé qu'il n'avait pas été mis en possession de ces documents et qu'il avait cru comprendre d'un entretien avec son prédécesseur que ceux-ci auraient pu être détruits.

2.2. Le service d'Enquêtes du Comité R rappelle à ce sujet les constatations antérieures selon lesquelles :

­ les pièces relatives à cette affaire avaient été transmises en vue de leur conservation par l'ancien chef du SGR au chef d'état-major des Forces armées;

­ ces pièces ont été retirées de l'état-major par l'ancien chef du SGR pour lui permettre à l'époque de répondre à l'audition du service d'Enquêtes du Comité R et de les soumettre à celui-ci. Il était déjà signalé dans le rapport transmis le 15 février 2001 au président du Sénat et au ministre de la Défense nationale qu'à l'exception des documents relatifs aux instructions données par le ministre, aux résultats de l'enquête de sécurité informatique et aux recommandations du SGR dans cette matière, ni le service d'Enquêtes du Comité R, ni le Comité R lui-même n'ont eu accès à un dossier en tant que tel, celui-ci ne se trouvant pas archivé au SGR, seul service des Forces armées à l'égard duquel le Comité R a légalement une compétence de contrôle (41).

­ Ces documents après exploitation par le service d'Enquêtes du Comité R ont été restitués à l'ancien chef du SGR contre accusé de réception;

2.3. En ce qui concerne des auditions qui auraient eu lieu à l'époque de l'enquête du SGR au cabinet de la Défense nationale, le service d'enquêtes du Comité R signale que l'actuel chef du SGR ne peut apporter une réponse.

Il apparaît toutefois d'un document « classifié » transmis par l'actuel chef du SGR au Comité R le 22 mai 2001, que « des interviews des personnes susceptibles de fournir les informations nécessaires à l'appréciation de la situation » étaient prévues dans la méthode de travail relative au « diagnostic de sécurité » du cabinet de la Défense nationale.

Le chef actuel du SGR fait toutefois remarquer que ce document ne concerne qu'une étude relative à la problématique de la sécurité et qu'il n'y apparaît aucun lien avec les événements dénoncés par le plaignant.

Le Comité R constate en effet que ce document a uniquement pour thème la sécurité technique du cabinet de la Défense nationale et qu'il ne révèle de près ou de loin aucun élément concernant directement les faits ayant motivé la plainte initiale adressée au Comité R le 29 avril 1999.

3. L'audition de l'ancien chef du SGR

3.1. Le jeudi 19 juillet 2001, l'ancien chef du SGR actuellement représentant permanent de la Belgique auprès du Comité militaire de l'OTAN à Bruxelles a été entendu par deux membres du Comité R.

3.2. Cette audition résultait de la demande des Commissions de suivi P et R (voir 1.3. ci-dessus) et de la constatation selon laquelle, bien que le Comité R soit entré en possession de copies de pièces classifiées « Très secret » et relatives à la sécurité informatique du cabinet de la Défense nationale, rédigées par le SGR suite à son intervention au cabinet à la demande du ministre de l'époque, il ne ressortait pas clairement de l'enquête menée pourquoi un dossier constitué par le SGR n'avait pas été conservé dans les locaux de ce service, mais déposé dans un coffre-fort de l'État-major de l'armée.

3.3. L'ancien chef du SGR a expliqué les raisons qui l'ont amené à effectuer pareil dépôt.

Selon lui, « le dossier devait être considéré sous deux angles : l'un purement technique, s'agissant d'un rapport à caractère de sécurité informatique marqué, l'autre plus global en ce que ce rapport, bien que rédigé avec l'expertise du SGR, concernait plus directement la Défense nationale dans son ensemble : à savoir le ministre de la Défense nationale et son cabinet et indirectement le chef de l'état-major général, mon supérieur hiérarchique ».

Il a donc pris l'initiative de déposer dans le coffre de l'état-major général, dans une enveloppe sécurisée, le rapport classifié de l'enquête effectuée par le SGR.

S'agissant en outre d'une affaire sensible en raison, non du contenu technique proprement dit, mais d'éléments de vie privée étant apparus en cours d'expertise, il a estimé que ce document serait plus à l'abri d'indiscrétions dans un coffre de l'état-major qu'aux archives du SGR.

Il ne s'est ouvert de ce choix à personne au sein du SGR, où seuls lui-même et le commandant C. étaient informés du contenu du rapport en vertu du « need to know », ce qui explique que son successeur, n'ait pu ­ lors de l'enquête ­ indiquer au Comité R « où se trouvait ce dossier, ni même s'il existait encore ».

L'ancien chef du SGR explique que : « lorsqu'il fût convoqué pour une première audition par le chef du service d'Enquêtes en date du 7 janvier 2000, il alla chercher ce dossier dans le coffre de l'état-major général et en a remis copie, classifiée aux enquêteurs. L'original lui ayant été restitué à sa demande, il le conservera alors personnellement, en lieu sûr, jusqu'à ce jour, 19 juillet 2001, où il s'en est muni en prévision de son audition ».

À la suite de son audition, conformément aux suggestions du Comité R et sous réserve de l'accord du chef de l'état-major général, l'ancien chef du SGR s'est engagé à remettre ce dossier original à son successeur accompagné d'un courrier explicatif lui recommandant de l'abriter dans des conditions de sécurité supérieures à celles des archives du SGR.

L'ancien chef du SGR a confirmé en conclusion que le SGR n'avait rédigé aucun autre rapport que le rapport technique dont copie avait été délivrée au Comité R et dont l'original devrait être prochainement entreposé dans les locaux du SGR dès l'accord du chef d'état-major.

3.4. Il a confirmé à plusieurs reprises, notamment après les articles parus dans la presse, n'avoir jamais possédé d'autres dossiers que le rapport technique et n'avoir par conséquent fait détruire aucun document en rapport avec l'affaire dénoncée par le plaignant.

3.5. Par courrier du 31 juillet 2001, l'ancien chef du SGR a averti le Comité R que début septembre 2001, compte tenu de la période de vacances, le dossier concernant la problématique de la sécurité informatique au cabinet de la Défense nationale, serait transmis au chef du SGR en lui demandant de le classer selon son degré de classification et en application stricte du principe du « need to know »

4. L'enquête complémentaire sur place du 20 février 2002

À la demande du Comité R, le service d'Enquêtes s'est rendu le 20 février 2002 au SGR. Il y a constaté la présence des pièces transmises par l'ancien chef de ce service le 4 septembre 2001. Celles-ci correspondent aux documents présentés le 7 janvier 2000 par l'ancien chef du SGR lors de son audition par le service d'Enquêtes du Comité R.

Ces documents sont ceux qui avaient déjà été présentés par l'ancien chef du SGR au service d'enquêtes du Comité R.

Pour rappel, il s'agit :

1. D'une note manuscrite du ministre de la Défense nationale du 23 décembre 1998 adressée au SGR qui mentionne :

« Je souhaite disposer, pour le 15 janvier, d'un rapport circonstancié sur tous les aspects de la sécurité et de la confidentialité relatifs au fonctionnement du réseau informatique installé rue Lambermont ... » (document remis par le lieutenant-général CSGR le 14 janvier 2000).

2. D'une note du 28 décembre 1998 pour le SGR décrivant de façon précise l'objet de la mission à savoir :

Sur base des éléments déjà recueillis approfondir l'aspect :

a) organisation et le fonctionnement du réseau informatique du cabinet et de ses liaisons externes avec le cabinet vice-premier et énergie. Examiner les faiblesses, etc

b) sur base de cette analyse globale, formuler des propositions.

c) en plus de ces mesures, réaliser une étude au sujet de la sécurité interne du cabinet de la Défense : contrôle d'accès, la protection des documents classifiés et sensibles, la protection du trafic téléphonique. Formuler des adaptations en faisant la distinction entre les mesures justifiées par l'extrême urgence et celles à plus long terme.

NB : Les points a et b (informatique) ont été exécutés par le Cdt(...) et le rapport a été remis au service d'Enquêtes du Comité R en date du 14 janvier 2000.

Le point c, en fait l'application du règlement de sécurité IF5, a été exécuté par un autre membre du SGR en collaboration avec un membre du cabinet de la Défense nationale. Cet aspect de la mission était de la compétence de la sécurité industrielle. Le rapport de mai 99 a été transmis au service d'Enquêtes le 22 mai 2001 (voir point 2.3. ci-dessus ­ devoir complémentaire d'enquête du 22 mai 2001).

3. Une note du ministre au SGR du 4 janvier 1999 :

« Le ministre demande de détruire les informations stockées sur le serveur de courrier électronique lorsqu'elles ne seront plus utiles à l'enquête ».

4. Un rapport initial de l'audit de sécurité informatique du cabinet du ministre transmis le 3 février 1999 par l'ancien chef du SGR.

5. Une note de l'ancien chef du SGR, le 18 février 1999 adressée au chef de l'état-major général concernant la problématique InfoSec. Dans celle-ci, il l'informe notamment que « l'officier informaticien, système manager du réseau SGR travaille au cabinet de la Défense à temps plein dans le cadre de l'audit ».

6. Une note du 4 mars 1999 du ministre au SGR. « Il enjoint au SGR, en concertation avec le chef de l'État-major général, de prendre les mesures qui s'imposent en vue de mettre en oeuvre les recommandations figurant au paragraphe 6 du rapport dans les meilleurs délais (celles-ci concernent le personnel, l'organisation, l'architecture du réseau, la mise en oeuvre des moyens, la sécurité et le passage à l'an 2000). »

7. Une fiche transmise le 8 mars 1999 par le CSGR à l'état-major général. « Il l'informe des ordres du ministre, situe le « dossier » dans son contexte exact et pose les éléments du problème. »

De fait CSGR n'a pas la compétence pour prendre des mesures administratives, statutaires et disciplinaires à l'encontre du personnel en charge du réseau informatique du MDN en place au cabinet.

5. Les conclusions et recommandations du Comité R

5.1. Le Comité permanent R confirme que le dossier ayant actuellement réintégré le SGR ne contient aucune pièce permettant a posteriori de contrôler les faits litigieux qui se situent en dehors ou en marge de l'intervention du SGR dans le cadre de l'audit de sécurité, tels que ceux-ci ont été décrits par le plaignant.

Le Comité R rappelle toutefois que ces faits ont été communiqués, par ses soins, aux autorités judiciaires avant toute enquête de contrôle et que ces dernières autorités n'ont décelé aucun élément constitutif d'infraction pénale dans les faits rapportés par le plaignant à charge des membres du SGR.

Sur base du dossier judiciaire et des auditions faites par le service d'Enquêtes du Comité R, l'enquête de contrôle subséquente a visé à reconstituer dans la pratique le déroulement de l'intervention du SGR au cabinet de la Défense nationale, non seulement en ce qui concerne l'audit général de la sécurité informatique, mais aussi en ce qui concerne les griefs formulés par le plaignant.

Les conclusions et recommandations suivantes ont été formulées à la suite de cette enquête :

1. Le Comité R est conscient du contexte relationnel particulier et délicat dans lequel le SGR a été amené à intervenir. Il souligne de nouveau, comme cela a déjà été fait en remarques liminaires au présent rapport, que les autorités judiciaires n'ont décelé aucun élément constitutif d'infraction pénale dans les faits rapportés par le plaignant à charge des membres du SGR.

Il convient de souligner également que sur la base des rapports classifiés d'audit informatique rédigés par le SGR à l'attention du ministre de la Défense nationale de l'époque, le Comité R a pu constater que la réalité du travail accompli s'inscrit parfaitement dans le contexte de la mission de sécurité et de recommandations demandée par le ministre à ce service.

Il ne ressort de ces documents très complets aucun élément tendant à accréditer que le SGR serait sorti, à l'un ou l'autre moment de son rôle légitime dans ce domaine.

Le Comité ajoute que le comportement même du plaignant, officier supérieur de son état, tel qu'il apparaît de certains faits, reconnus par lui, comme la destruction volontaire d'un ordinateur du cabinet de la Défense nationale, la surveillance et la filature des personnes pour des raisons de nature strictement privée, l'amène à émettre des réserves au moins sur une part des versions qu'il a données a posteriori de certains faits auxquels il semble lui-même avoir activement participé.

2. Nonobstant ces réserves et sur la base des résultats de l'enquête de contrôle, le Comité R constate toutefois que si l'intervention du SGR était bien justifiée dans son principe par le mandat donné par le ministre de la Défense nationale de l'époque, ainsi que par la mission de sécurité qui incombait à ce service et qui a d'ailleurs été confirmée par la loi du 30 novembre, organique des services de renseignement et de sécurité dans son article 11, et que cette mission a été sur ce point correctement remplie, par contre certaines questions restent posées quant au danger que représente l'utilisation de certains procédés au cours de telles interventions et en l'absence d'un cadre légal approprié.

Le Comité R rappelle que, comme tout au long de cet exposé, il ne retient pour ce faire que les faits qui semblent avérés sur la base des déclarations des personnes entendues par son service d'Enquêtes, aussi bien dans le cadre de l'enquête judiciaire, dont il a eu connaissance a posteriori, que dans celui de l'enquête de contrôle.

Il exclura, au bénéfice du doute, les actes de fouille approfondie qui matériellement ont bien eu lieu dans certains locaux du cabinet de la Défense nationale, ainsi que les actes reconnus de surveillance et de filature, qui, ont été le fait d'un intervenant étranger au SGR, se prétendant, à tort ou à raison, couvert par ce service. Ces éléments sont toutefois exemplatifs des risques que de telles situations représentent pour les droits fondamentaux des citoyens.

Ainsi et de manière générale, il semble au Comité R que dans le cas d'espèce l'aspect purement « défensif » de l'intervention du SGR en matière de sécurité pourrait avoir glissé, à plusieurs reprise, vers une protection davantage offensive, dont les limites sont devenues imprécises, notamment dans le cadre d'une recherche « pro active » visant à déterminer non seulement la source des attaques du système, mais sans doute aussi le ou les auteurs de ces attaques.

Ce dernier aspect en l'état actuel de la législation est de la compétence exclusive des services de police.

Le Comité R constate à ce stade que dans le contexte qui a été décrit et tout en garantissant également la confidentialité qui était à tout prix recherchée, l'intervention, simultanée ou non, des autorités judiciaires impliquant le contrôle de la procédure par un magistrat aurait normalement permis d'éviter qu'une certaine confusion ne s'installe concernant les limites exactes de l'intervention du SGR à propos de laquelle des précisions ont été données ci-dessus (42).

3. Le danger de dépassement de ces limites pourrait également être illustré par les contrôles des ordinateurs et principalement par la prise de connaissance du contenu de messages à caractère personnel, tel que cela a été fait de manière intrusive à l'égard de certains collaborateurs du cabinet de la Défense nationale. Le Comité R se réfère à ce sujet, sans autre commentaire, à un avis rendu d'initiative le 3 avril 2000 ­ soit après les faits ­ par la Commission de la protection de la vie privée. Dans cet avis, la commission considère notamment que même lors d'un contrôle effectué par l'employeur, « la prise de connaissance du contenu des courriers électroniques est excessive, et contraire aux dispositions légales mentionnées supra (43), de la même façon que le ferait l'écoûte et/ou l'enregistrement des communications téléphoniques de l'employé ». Rappelons que pour ces dernières écoûtes la décision d'un juge d'instruction dans le cadre d'un dossier judiciaire est légalement exigée et encore doit-il s'agir d'infractions d'une gravité particulière, lorsque aucun autre moyen efficace ne peut être utilisé.

4. En ce qui concerne l'intervention du SGR à l'égard du plaignant au cours de la journée du 12 février 1999, les circonstances de celle-ci démontrent d'elles-mêmes que la simple interprétation qui peut en être donnée à l'occasion d'un dépôt de plainte, qu'elle soit d'ailleurs de bonne ou de mauvaise foi, est suffisante pour en proscrire radicalement l'usage, en raison des doutes qui pourraient légitimement naître et donner à ces méthodes une coloration policière inacceptable. Les termes mêmes utilisés par les différentes personnes concernées sont à ce propos éloquents et ne nécessitent pas d'autres commentaires.

5. Enfin, le Comité R ne peut que constater qu'aucun dossier de cette enquête n'était conservé dans les archives du SGR. Une telle procédure est bien certainement contraire à l'esprit de la loi du 18 juillet 1991 et est en pratique de nature à entraver et même à empêcher tout contrôle ultérieur. En l'absence d'un dossier complet et inventorié, le Comité R ne peut en effet s'assurer a posteriori qu'in tempore non suspecto le comportement des membres des services de renseignement s'inscrivaient bien dans le cadre légal des missions spécifiques d'un tel service.

Recommandations

La loi organique du 30 novembre 1998 prévoit pour le SGR une série de missions parmi lesquelles, outre l'aspect du renseignement, on trouve : « la protection des systèmes informatiques et de communications militaires ou ceux que le ministre de la Défense nationale gère ».

Il est clair pour le Comité permanent R, comme pour l'actuelle direction du SGR, que toutes ces missions et en particulier celles qui sont soulignées ci-avant nécessitent, pour garantir à la fois l'efficacité des services et la protection des droits fondamentaux des citoyens l'élaboration d'un cadre légal complémentaire suffisamment clair et précis pour permettre, notamment dans le contexte de la sécurité informatique, d'identifier et de neutraliser toute tentative d'intrusion dans les systèmes des Forces armées et du ministère de la Défense nationale, sans empiéter, d'aucune manière sur les compétences propres des autorités judiciaires.

Le Comité permanent R se doit également de rester conséquent avec lui-même. Il n'oublie pas qu'il rappelle régulièrement la nécessité de doter les services de renseignement et de sécurité de compétences légales élargies, de matériel performant et de davantage de personnel spécialisé.

La raison n'est autre que de permettre à ces services de se hisser à un niveau d'efficacité supérieur à celui qu'ils sont actuellement susceptibles de mettre en oeuvre. Le présent dossier, pour lequel le Comité R a cherché à chaque ligne à faire la part du subjectif et de l'avéré, sans jamais prendre parti pour l'une ou l'autre des thèses en présence, a eu le grand mérite d'attirer son attention sur les risques liés aux dérapages potentiels.

Il va de soi que le perfectionnement de l'outil doit aller de pair avec un perfectionnement du contrôle de l'usage de celui-ci. Il est en effet incontestable que les atteintes et les dommages occasionnés par un éventuel dysfonctionnement d'un outil performant seront d'autant plus conséquents.

Dans cette optique, le Comité permanent R recommande dès lors de doubler l'attribution par le législateur de moyens complémentaires aux services de renseignement et de sécurité d'un contrôle adéquat et effectif en matière d'usage de ces moyens. »

5.2. Le Comité R relève que les constatations faites à l'occasion de la présente enquête complémentaire confirment l'ensemble des conclusions de son premier rapport.

Il souligne, pour autant que de besoin, que l'intervention du SGR au cabinet de ce Ministère au cours de la période allant de la fin de l'année 1998 aux premiers mois de l'année 1999, s'est certes déroulée dans un contexte de contrôle de la sécurité, notamment au niveau informatique, mais aussi dans le contexte de problèmes de nature plus fondamentalement personnelle qui sont à la base de la plainte initiale.

C'est essentiellement en regard de ce second aspect de l'enquête et plus spécialement de l'intervention du SGR, à partir de la fin du mois de janvier 1999, à l'égard du plaignant que notamment l'absence de constitution ou de présentation in tempore non suspecto d'un dossier complet (qui aurait relaté de manière contemporaine le déroulement de tous les aspects de l'intervention du SGR et qui aurait été disponible dès le début de l'enquête judiciaire et ensuite au cours de l'enquête de contrôle) pose problème, comme cela a d'ailleurs été constaté en d'autres termes dans les conclusions du premier rapport du Comité R (voir point 4 du passage cité ci-dessus).

5.3. Aux recommandations qui sont reprises au point 5 de son premier rapport (voir point 5 du passage cité ci-dessus), le Comité R ajoute que sur le plan des principes, il rappelle qu'il a précédemment, et à plusieurs reprises, recommandé que les dossiers du SGR soient côtés et inventoriés. Le respect d'une telle procédure est incontestablement de nature à permettre au contrôle légalement institué de se dérouler a posteriori dans les meilleures conditions possibles en rencontrant aussi bien les intérêts des plaignants que ceux des services contrôlés.

6. Réaction du ministre de la Défense nationale

Par lettre du 27 mars 2002, le ministre de la Défense nationale a fait savoir au Comité R qu'il marquait son accord quant à la publication du présent rapport.

CHAPITRE 7 : Rapport complémentaire de l'enquête « sur la manière dont les services de renseignement (Sûreté de l'État et SGR) ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge »

1. Introduction

Le 19 juillet 2000, des parlementaires membres des commissions du Sénat et de la Chambre des représentants chargés respectivement de l'accompagnement des Comités permanents R et P ont demandé au Comité permanent R de s'intéresser à d'éventuelles tentatives d'intrusions dans le système informatique d'un centre de recherche belge dont ils avaient eu vent. Cette demande s'inscrivait dans le cadre de l'examen par lesdites commissions du rapport d'enquête sur la manière dont les services belges de renseignement réagissaient face à l'éventualité d'un système américain « Echelon » d'interception des communications téléphoniques et fax en Belgique.

Faisant suite à cette demande, le Comité permanent R a mené une enquête dont les conclusions, rendues publiques dans son rapport d'activités 2000 (44), sont les suivantes :

« Cette affaire est exemplative car elle démontre qu'il existe en Belgique des centres de recherches susceptibles d'être une cible intéressante non seulement pour l'espionnage économique et/ou technologique, mais également pour l'espionnage militaire. La protection du potentiel scientifique et économique du pays est l'une des nouvelles missions de la Sûreté de l'État. Le maintien de la sécurité militaire, celle des installations, des systèmes informatiques et de télécommunications qui intéressent la Défense nationale, est la mission du SGR. Or, les tentatives d'intrusion et le vol au centre de recherche ne sont parvenus aux oreilles de la Sûreté de l'État que de manière fortuite. Le SGR n'en a été informé qu'à la suite de la présente enquête.

Si la Sûreté de l'État s'est activement investie à recueillir des informations sur cette affaire, le Comité permanent R regrette la passivité du SGR en la matière. Les deux services n'ont pas collaboré. »

Le Comité permanent R a regretté qu'aucune suite n'ait été donnée aux demandes d'aide et propositions de collaboration entre le milieu scientifique et la Sûreté de l'État. Aucun service ne dispose en effet des compétences nécessaires pour assurer la sécurisation des systèmes informatiques des centres de recherche.

Le Comité permanent R a aussi regretté que l'intéressant travail de recueil de renseignements par les services extérieurs de la Sûreté de l'État n'ait trouvé aucun débouché vers une quelconque autorité judiciaire, politique ou administrative compétente dans les matières traitées. Dans cette affaire, le Comité a constaté l'absence d'application de l'article 19, alinéa 1, de la loi du 30 novembre 1998, organique des services de renseignement et de sécurité (45).

2. Procédure

L'enquête initiale « sur la manière dont les services de renseignement (Sûreté de l'État et SGR) ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge » a été initiée le 23 août 2000.

Le Comité permanent R ayant estimé que les premières constatations de cette enquête suscitaient de nouvelles interrogations sur la manière dont la Sûreté de l'État et le SGR avaient traité le cas du centre de recherche, une nouvelle mission fut adressée au chef du service d'Enquêtes le 14 février 2001.

Le présent rapport complémentaire a été approuvé le 7 septembre 2001.

L'administrateur général de la Sûreté de l'État a réagi au présent rapport le 6 novembre 2001 (voir point 9).

3. Rappel des faits ayant donné lieu à l'ouverture d'une enquête

Alors qu'il venait de conclure en 1999 un contrat important de fourniture d'un certain matériel d'expérimentation avec un pays étranger, le centre de recherche dont question dans la présente enquête a été la cible de tentatives d'intrusions dans son système informatique dont la direction situe la provenance en Allemagne et aux États-Unis (Washington). Ces tentatives d'intrusions électroniques furent suivies d'une effraction dans les bâtiments du centre au cours de laquelle des ordinateurs ont été manipulés et des composants informatiques volés.

À l'occasion de l'enquête judiciaire menée sur ce vol avec effraction, un inspecteur de la Sûreté de l'État a commencé à s'intéresser au cas du centre de recherche.

Selon le directeur du centre, ce ne seraient pas tant des données technologiques qui auraient été la cible de ces intrusions, car le centre ne détient aucune information sensible de haute technologie. Ce seraient plutôt les données commerciales du marché conclu avec l'étranger qui auraient été visées. Néanmoins, le Comité permanent R a estimé que le centre pouvait aussi être une cible intéressante pour l'espionnage militaire vu sa participation à un programme militaire international. C'est pourquoi le comité a décidé d'impliquer aussi le SGR dans l'enquête menée.

Pour rappel, le directeur du centre de recherche a souhaité que le nom de son institution n'apparaisse pas dans un rapport public du Comité permanent R.

4. Rappel des principales constatations du Comité permanent R

4.1. Les constatations auprès de la Sûreté de l'État

La Sûreté de l'État s'est intéressée au centre de recherche à partir du mois d'octobre 1999. Le vol du matériel informatique, ainsi que les tentatives d'intrusion dans son système informatique ont été l'occasion pour la Sûreté de l'État d'entrer en contact avec ce centre de recherche. Cet intérêt trouve bien son fondement dans deux des missions légales attribuées à la Sûreté de l'État, à savoir rechercher, analyser et traiter le renseignement relatif à des menaces telles que la prolifération et l'espionnage économique et scientifique (articles 7 et 8 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

Deux inspecteurs de la Sûreté de l'État ont rédigé plusieurs rapports sur cette affaire en 1999 et 2000.

Plusieurs rapports portent sur les mesures de sécurité informatique mises en oeuvre par le centre de recherche ainsi que sur les méthodes d'attaques qui ont été utilisées contre son système informatique.

L'inspecteur de la Sûreté de l'État en charge de l'enquête a notamment suggéré que son service puisse sensibiliser le monde scientifique à la valeur de l'information piratée et aux règles de sécurité pour l'échange de données. Néanmoins, la Sûreté de l'État ne disposant ni des moyens humains, ni des compétences techniques nécessaires, elle n'a pas pu pourvoir à cette tâche.

Ces rapports sont restés strictement internes à la Sûreté de l'État. Aucun d'eux n'a été transmis pour information à quelque autorité politique, administrative ou judiciaire que ce soit. Le Comité permanent R a pourtant estimé que certaines informations et recommandations contenues dans les rapports de la Sûreté de l'État pouvaient être déclassifiées et utilement communiquées à certaines autorités.

Par ailleurs, la Sûreté de l'État n'a établi aucun contact avec le SGR sur cette affaire, alors que ce dernier était lui aussi intéressé par certains de ses aspects. En ce sens, le SGR et la Sûreté de l'État n'ont pas fait application de leur devoir de collaboration prescrit par l'article 20 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

4.2. Les constatations auprès du SGR

Le SGR connaissait en effet le centre de recherche pour lui avoir délivré une habilitation de sécurité dans le cadre de contrats conclus avec le ministère de la Défense nationale. Cet intérêt trouve son fondement dans les missions attribuées au SGR par l'article 11 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

Le SGR a déclaré ne pas avoir été mis au courant des incidents de sécurité du centre de recherche autrement que par le déclenchement de la présente enquête.

Le SGR a justifié son absence d'intervention dans cette affaire en acceptant, sans les vérifier, les explications du responsable de la sécurité du centre de recherche qui a déclaré que les incidents n'avaient pas affecté l'activité « Défense » du centre. Le SGR n'a pas estimé utile de vérifier le bien fondé de cette allégation.

Le SGR a également justifié son absence d'intervention par le manque de moyens humains qualifiés dont il dispose.

Le fait pourtant que le centre de recherche participait à un projet international de développement militaire auquel le gouvernement belge était en passe de s'associer n'a pas attiré spécialement l'attention du SGR.

4.3. Les constatations en ce qui concerne la collaboration avec les services de police et le ministère public

Le Comité permanent R a constaté que c'était de manière informelle et même fortuite que la Sûreté de l'État avait recueilli auprès de la police une information concernant le vol avec effraction commis au centre de recherche.

Au niveau policier, le vol au centre de recherche a été traité sous le registre principal de « vol à l'aide d'effraction et escalade » et encodé comme tel. Si ce traitement correspond bien à la qualification pénale des faits constatés, il ne rend pas compte de l'intention sous-jacente éventuelle d'espionnage; il ne permet pas non plus une exploitation statistique, analytique et criminalistique spécifique de ce phénomène au niveau national, voire international.

À la connaissance du Comité permanent R, il n'existe pas au sein du ministère public de notice permettant de relier les procès-verbaux dressés à l'occasion des faits précités au thème de l'espionnage économique ou scientifique.

5. L'avis des ministres compétents

Le rapport qui précède, approuvé le 13 mars 2001, a été adressé aux ministres compétents (ministre de la Justice et ministre de la Défense nationale) le 16 mars 2001 afin de recueillir leurs avis préalables en vue de sa publication, ceci conformément à l'article 37 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements.

5.1. L'avis du ministre de la Justice

M. Verwilghen, ministre de la Justice a communiqué son avis au Comité permanent R par lettre du 11 avril 2001. Celui-ci déclare se rallier au point de vue exprimé par l'administrateur général de la Sûreté de l'État dans une note du 5 avril 2001. Dans cette note, l'administrateur général confirme que la Sûreté de l'État n'a pas encore reçu de directive de la part du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité concernant la manière d'exécuter sa mission de protection du potentiel scientifique et économique. Le projet de définition de cette notion que la Sûreté de l'État a élaboré après concertation avec le cabinet du ministre des Affaires économiques et celui du ministre des télécommunications, fait encore l'objet de discussions au sein du Collège du renseignement et de la sécurité.

5.2. L'avis du ministre de la Défense nationale

Monsieur André Flahaut, ministre de la Défense nationale a fait connaître son avis sur les conclusions de l'enquête du Comité permanent R par courrier du 25 avril 2001. Il insiste pour qu'une confusion ne soit pas faite entre deux missions distinctes du SGR :

­ d'un côté, la mission légale reprise dans la loi organique des services de renseignement, en particulier la protection du secret des systèmes informatiques et de communications militaires ou ceux que le ministre de la Défense gère;

­ de l'autre côté, le contrôle dans les firmes agréées travaillant au profit de la Défense dans lesquelles des informations classifiées sont détenues ou traitées, mission issue de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

En ce qui concerne le centre de recherche, c'est surtout dans le cadre de la seconde mission que le SGR est intervenu, la protection du potentiel scientifique ou économique étant une mission légale de la Sûreté de l'État prévue dans la loi organique.

6. Prolongements de l'enquête

Sur requête du Comité permanent R, le service d'Enquêtes R a fait parvenir une série de questions complémentaires aux responsables de la Sûreté de l'État et du SGR par courriers du 1er mars 2001.

6.1. Prolongements de l'enquête à la Sûreté de l'État

Dans une lettre adressée le 28 mars 2001 au chef du service d'Enquêtes du Comité permanent R, la Sûreté de l'État a fait savoir qu'elle avait « réagi par une démarche de prospection le 26 septembre 2000, à l'invitation de (xxx), en vue d'une sensibilisation à (sa) nouvelle mission ». À la suite de cette rencontre, les mesures nécessaires auraient été prises au sein du centre de recherche, notamment en constituant un groupe de travail chargé d'examiner les mesures de sécurité à prendre. Sur base de son expérience spécifique, la Sûreté de l'État se déclare disposée à collaborer avec les responsables pour attirer leur attention sur des problèmes ponctuels de sécurité en ne pouvant toutefois pas se porter garante de l'exécution des mesures prises par ceux-ci, tant sur le plan des systèmes d'information que de l'infrastructure et du personnel.

La Sûreté de l'État considère également que sa mission légale est de recueillir, de traiter et d'analyser le renseignement de sécurité, mais non d'assurer elle-même la sécurité des systèmes d'informations. Elle ne peut donc s'engager à acquérir elle-même les compétences humaines et techniques nécessaires à remplir une telle mission qui relève plutôt des compétences du gouvernement fédéral. Ce service déclare d'ailleurs qu'il offre son expertise extérieure au projet Fedict qui tend à la mise sur pied d'un organe chargé de la sécurité des systèmes d'information.

Pour la Sûreté de l'État, il est donc clair qu'en cette matière, les tâches de prospection et celles en rapport avec ses missions traditionnelles mises à part, elle ne peut encore s'engager dans la voie du recueil de renseignements qu'avec prudence, et ce, aussi longtemps qu'elle n'aura pas reçu les directives nécessaires du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité.

6.2. Prolongements de l'enquête au SGR

Par rapport aux conclusions du rapport du Comité permanent R, un responsable du SGR confirme qu'il n'a pas jugé utile d'investiguer plus avant sur cette affaire.

La raison en est l'insuffisance de ses effectifs d'une part, le fait que pour lui, l'aspect « défense » n'était pas concerné, d'autre part. En effet, l'officier de sécurité du centre de recherche avait indiqué au SGR qu'aucune intrusion n'avait été constatée dans le local agréé pour la conservation de documents classifiés. Par ailleurs, le SGR ignorait alors que le centre de recherche testait un équipement militaire d'un pays étranger. En effet, le centre ne l'avait pas signalé au SGR, d'une part, le gouvernement belge ne participait pas encore à ce programme à cette époque, d'autre part.

Le SGR n'a donc établi aucun contact avec les services et autorités judiciaires. En effet, selon son appréciation, il n'y avait pas lieu de le faire puisqu'il s'agissait d'un simple vol, déjà rapporté aux autorités judiciaires locales, et que ni les documents ni les activités « défense » n'étaient concernées.

Par ailleurs, assurer la protection du potentiel scientifique ou économique des entreprises, même vis-à-vis de celles qui travaillent dans le domaine de la défense nationale, n'est pas une des missions du SGR. Sa tâche est d'effectuer, en collaboration avec l'Autorité nationale de sécurité, les enquêtes de sécurité concernant les firmes agréées travaillant pour le ministère de la Défense ainsi que leurs membres du personnel pour lesquels le « besoin d'en connaître » existe et à vérifier que ces entreprises possèdent bien les installations nécessaires pour détenir des documents et du matériel classifié, ce qui était le cas en l'espèce. Un contrôle ponctuel du centre de recherche devra toutefois être effectué.

Avec son effectif actuel, le SGR s'occupe par priorité des demandes d'habilitations de sécurité. Or, le nombre d'enquêtes de sécurité tend à croître depuis le vote de la loi 11 décembre 1998 relative à la classification et les habilitations de sécurité. En effet, être candidate à un marché avec la Défense nationale est à présent un motif suffisant pour une entreprise pour solliciter une habilitation de sécurité. De même, alors qu'auparavant la tendance des entreprises était de limiter au strict minimum le nombre de membres de leur personnel titulaires d'une telle habilitation, celles-ci tendent à présent à en désigner le plus possible. Le SGR doit donc examiner qui, au sein de la firme demanderesse, est réellement susceptible d'être en contact avec des documents ou du matériel classifié, (cadres, informaticiens, ouvriers, personnel de nettoyage, etc.) de manière à limiter au nombre nécessaire les requêtes d'habilitations de sécurité.

Malgré l'augmentation considérable de la charge de travail depuis la mise en vigueur de la loi précitée, le personnel du SGR n'a pas été augmenté. En attendant, le SGR mise sur la prévention en instruisant les officiers de sécurité des entreprises et en établissant avec eux des relations de confiance. Un projet de directive à leur intention est en préparation.

Étant donné que le SGR n'a pas été immédiatement informé par l'officier de sécurité du centre de recherche des incidents décrits plus haut au motif que les activités intéressant la défense n'avaient été atteintes, le Comité permanent R a demandé au SGR s'il appartenait en principe à l'officier de sécurité d'une firme privée, qui est en quelque sorte juge et partie, d'apprécier la nécessité d'aviser ce service en cas d'accident.

Réponse du SGR : « Le SGR est d'avis que cette manière de procéder est adéquate. De plus, au regard de l'article 13 de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, ainsi que de l'article 19 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de ladite loi, il incombe à l'officier de sécurité de procéder à une enquête administrative interne lorsqu'un incident de sécurité lui est signalé. Enfin, si cette personne a un doute quant à la nécessité d'informer le SGR, elle est invitée à prendre contact par téléphone avec (xxx). »

En conclusion, le SGR reconnaît quand-même que cette affaire aurait pu être suivie avec davantage d'attention si ce service disposait des moyens humains nécessaires.

7. Conclusions

L'affaire de centre de recherche démontre qu'il existe en Belgique des centres de recherches détenteurs d'un potentiel scientifique et économique important et qui sont susceptibles d'être une cible intéressante non seulement pour l'espionnage économique et/ou technologique, mais également pour l'espionnage militaire s'ils collaborent en sus à des programmes militaires de haute technologie.

Cette affaire met en lumière un déficit de moyens humains aussi bien à la Sûreté de l'État pour l'exécution de sa nouvelle mission de protection du potentiel scientifique et économique du pays, qu'au SGR qui est chargé du maintien de la sécurité militaire, celle des installations, des systèmes informatiques et de télécommunications qui intéressent la Défense nationale. Ce déficit de moyens humains, qui est certainement le résultat d'une politique délibérée de restrictions des recrutements dans la fonction publique, ne devrait cependant pas empêcher les services de renseignement de prendre les mesures de management nécessaires pour réaffecter du personnel à l'exercice des missions découlant de leur loi organique du 30 novembre 1998 et de la loi du 11 décembre1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

Par ailleurs, l'intéressant travail de recueil de renseignements pourtant fourni par la Sûreté de l'État n'a trouvé aucun débouché vers une quelconque autorité judiciaire, politique ou administrative comme le permet pourtant l'article 19 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

Cette carence de moyens humains et techniques, liée à l'absence de directive de la part du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité, a aussi empêché la Sûreté de l'État de s'investir dans une collaboration pourtant souhaitée par les milieux scientifiques, en vue d'améliorer la sécurité du système informatique du centre de recherche.

Cette affaire met également en lumière l'importance du rôle d'un officier de sécurité dans une entreprise privée ainsi que la difficulté dans laquelle celui-ci peut se trouver d'avoir à déterminer la priorité parmi des intérêts privés et publics qui ne sont peut-être pas toujours concordants.

En effet, si le SGR a été informé des incidents de sécurité au centre de recherche, ce n'est qu'à l'occasion de la présente enquête menée par le Comité permanent R. L'officier de sécurité du centre de recherche avait quant à lui estimé, à tort ou à raison, que ces incidents n'affectaient pas le secteur « défense » de ce centre et il n'avait donc pas jugé opportun d'en avertir le SGR. Ce service est même d'avis que cette manière de procéder était adéquate. Le SGR n'a jamais mis en doute cette explication donnée par l'officier de sécurité et il justifie sa non-intervention par un manque de moyen, d'une part, par sa non-compétence en matière de protection du potentiel scientifique et économique, d'autre part.

Au regard de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, ainsi que de l'article 19 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de ladite loi, il incombe à l'officier de sécurité de procéder à une enquête administrative interne lorsqu'un incident de sécurité lui est signalé. Il doit en outre informer « la personne qui dirige l'administration, le cabinet, le service, l'organisme où l'entreprise où il veille à l'observation des règles de sécurité ». Force est de constater que cet article 19 ne fait pas obligation à l'officier de sécurité d'une firme privée travaillant pour la Défense nationale d'informer le SGR. Selon ce service, si l'officier de sécurité a un doute sur la nécessité d'informer le SGR, il est invité à le contacter par téléphone.

Or, ce raisonnement aboutit à laisser l'officier de sécurité seul juge de l'opportunité de prévenir le SGR. Le Comité permanent R se pose alors la question de savoir quel intérêt pèsera le plus dans la décision de l'officier de sécurité : celui de la sécurité des informations et matériels classifiés détenus par l'entreprise ou bien l'intérêt économique de cette entreprise, à laquelle appartient l'officier de sécurité, de ne pas ébruiter des incidents de sécurité ?

Le Comité permanent R est d'avis qu'un officier de sécurité, salarié d'une entreprise privée, ne dispose pas de l'indépendance nécessaire pour prendre une telle décision. Le comité pense qu'une directive devrait exister pour enjoindre l'officier de sécurité de communiquer systématiquement au SGR tout rapport de compromission.

À défaut d'obligation en ce sens dans l'article 19 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, le projet de directive destiné aux officiers de sécurité des entreprises qui est en cours d'élaboration devrait prévoir cette instruction.

8. Recommandations

Le Comité permanent R réitère les recommandations qu'il a formulées à l'issue de sa première enquête « sur la manière dont les services de renseignement (Sûreté de l'État et SGR) ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge ». À savoir que la conclusion d'un accord entre les autorités judiciaires et les services de renseignement, dans le cadre de l'article 14 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, devrait notamment viser à faciliter les échanges d'informations sur l'espionnage militaire, économique et scientifique entre ces autorités.

Dans un tel cadre, le Comité permanent R suggère que le Collège des procureurs généraux envisage la création d'une notice spécifique relative à l'espionnage économique et scientifique. Celle-ci s'ajouterait aux notices classiques du droit pénal commun.

Dans l'attente d'une directive du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité sur la protection du potentiel scientifique et économique, le Comité permanent R rappelle également ses recommandations :

­ de donner aux services de renseignement les moyens techniques et humains nécessaires pour accomplir leurs nouvelles missions (en leur permettant notamment de faire appel à des experts externes comme des informaticiens, des ingénieurs en télécommunications, des spécialistes en cryptographie, des analystes, etc.);

­ de mettre en oeuvre le principe général de précaution dans l'élaboration d'une politique globale et centralisée de sécurité de l'information;

­ d'envisager la mise en place d'un service chargé d'apporter une solution à l'ensemble de la problématique de la sécurisation de l'information.

Enfin, le Comité permanent R recommande d'inclure dans l'article 19 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité une nouvelle obligation dans le chef de l'officier de sécurité d'une entreprise travaillant pour la Défense nationale, à savoir celle de communiquer systématiquement au SGR tout rapport se rapportant à un incident de sécurité.

À défaut d'obligation, une directive en ce sens devrait tout au moins être donnée aux officiers de sécurité.

9. Réactions de la Sûreté de l'État

Le 21 novembre 2001, le chef de cabinet du ministre de la Justice a fait connaître au Comité R la réaction de Mme Timmermans administrateur général de la Sûreté de l'État au présent rapport.

1. Le Comité R a notamment constaté un manque de collaboration entre les autorités judiciaires et les services de renseignement. Il recommande donc la conclusion d'un accord entre les autorités judiciaires et les services de renseignement dans le but de favoriser l'échange d'informations entre ces autorités en matière d'espionnage militaire, économique et scientifique.

En effet, les articles 14, 19 et 20 de la loi organique du 30 novembre 1998 des services de renseignement et de sécurité régissent la communication de données et la collaboration entre les différents services et autorités. Un accord de collaboration a été conclu entre les autorités judiciaires et les services de renseignement, à savoir la circulaire nº 13/99 du Collège des procureurs généraux, ainsi qu'un protocole d'accord entre la Sûreté de l'État et le service général du Renseignement et de la Sécurité de l'armée.

La Sûreté de l'État n'a toutefois encore reçu aucune directive du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité relative à la manière dont le service devrait mener sa tâche en matière de protection du potentiel scientifique et économique. Le projet de définition de la notion qui a été élaboré par la Sûreté de l'État après concertation avec le cabinet du ministre des Affaires économiques et du ministre des Télécommunications, est toujours en discussion au Collège du renseignement et de la sécurité. Aussi longtemps que la Sûreté de l'État n'aura pas reçu les directives nécessaires de la part du Comité ministériel, elle ne pourra mener que très prudemment dans cette matière des activités relatives à la collecte de renseignements. C'est donc sur la base de ce raisonnement que la Sûreté de l'État s'est montrée très prudente avec les renseignements recueillis sur le centre de recherche et avec la transmission de ces informations à d'autres autorités et instances et qu'elle n'a pas appliqué les protocoles d'accord et les dispositions légales relatives à l'échange d'informations et à la collaboration entre les différentes autorités et instances.

Si le Comité R estime qu'un accord spécifique devrait être conclu entre les autorités judiciaires et les services de renseignement pour favoriser, entre ces autorités, en particulier l'échange d'informations sur l'espionnage militaire, économique et scientifique, cela ne sera possible que dès l'instant où le Comité ministériel aura établi les directives nécessaires en cette matière.

2. Par ailleurs, le Comité R a constaté un manque de personnel à la Sûreté de l'État pour l'exécution de sa nouvelle mission en matière de protection du potentiel scientifique et économique du pays. Selon le Comité R, le manque de personnel ne devrait pas empêcher la Sûreté de l'État, au niveau du management, de prendre les mesures nécessaires pour réaffecter les membres de son personnel et les charger de l'exécution de ses missions légales.

Actuellement, l'effectif du personnel de la Sûreté de l'État est insuffisant pour pouvoir effectuer correctement toutes les tâches assignées, surtout dans le cadre des conséquences des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Il a donc été décidé de prendre des mesures temporaires pour renforcer les services d'études et les sections des services extérieurs, qui sont actuellement prioritaires. Durant quatre mois (du 5 novembre 2001 à février 2002), plusieurs membres du personnel sont temporairement affectés à un autre service d'étude ou section. Cependant, plusieurs autres services d'étude et sections se trouvent ainsi temporairement arrêtées, comme la protection du potentiel économique et scientifique.

De plus, le cadre aussi bien des services administratifs que des services extérieurs est étoffé. Pour les services administratifs, l'on est occupé à recruter 15 fonctionnaires statutaires des niveaux 1, 2+ et 2. Le personnel rejoindra probablement le service dans les prochains mois. Trente cinq agents vont être recrutés pour les services extérieurs. Il faut toutefois encore adapter à cet effet l'arrêté royal concernant les conditions de recrutement. La procédure d'adaptation est en cours. L'examen de recrutement sera ensuite immédiatement organisé.

Cette extension du cadre s'avère toutefois insuffisante pour résoudre tous les problèmes. Il manque toujours du personnel pour pouvoir exécuter correctement toutes les tâches. Le personnel des services extérieurs aura presté 40 000 heures supplémentaires à la fin de l'année 2001, pour lesquelles il faut encore trouver une solution. Des discussions sont en cours pour obtenir une extension du cadre pour la Sûreté de l'État.

(signé) G. Timmermans.

Administrateur général.

10. Réactions du ministre de la Défense nationale

Le 11 décembre 2001, le ministre de la Défense nationale a adressé la lettre suivante au Comité permanent R :

« J'accuse bonne réception de votre rapport complémentaire dans l'enquête de contrôle relative à la manière dont les services de renseignement ont réagis à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge.

Bien que je n'ai pas de remarques à formuler au sujet du rapport en général et des recommandations y figurant en particulier, je tiens cependant à formuler quelques considérations sur la problématique générale de la protection du patrimoine économique et scientifique.

En comparant les missions de la Sûreté de l'État et du SGR reprises respectivement aux articles 7 et 11, § 1, de la loi organique des services de renseignements, il apparaît clairement que la mission de la protection du patrimoine économique et scientifique incombe à la Sûreté de l'État. Toutefois, je reconnais que, dans la description des missions du SGR qui figure au deuxième paragraphe de ce même article 11, il est question du patrimoine national et du potentiel économique du pays. Il y a donc non seulement une différence dans les termes, mais la définition précise également que l'atteinte décrite doit être exécutée par des moyens de nature militaire, ce qui exclut qu'elle se passe en temps normal de paix.

Hors du cadre des habilitations de sécurité pour des personnes morales (firmes, institutions, etc.), le SGR, d'après l'article 11, § 3, de la loi organique n'est compétent que pour recueillir des informations sur des personnes relevant d'entreprises qui exécutent des contrats conclu avec le ministre de la Défense, avec des organisations militaires internationales ou avec des pays tiers en matière militaire. Le deuxième alinéa du même article stipule que le SGR ne peut prendre des mesures de protection industrielle qu'à la demande du ministre de la Défense, de pays tiers ou des organisations avec lesquelles la Belgique est liée par traité, convention ou contrat.

Je tiens également à signaler que le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité du 21 mai dernier a approuvé la directive relative aux modalités du contrôle de l'exécution de la mission de l'officier de sécurité qui a été prise en exécution de l'article 9 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

Finalement, je vous signale que la recommandation d'envisager la mise en place d'un service chargé d'apporter une solution à l'ensemble de la problématique de la sécurisation de l'information a trouvé un début de solution par la décision du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité du 21 septembre 2001 qui prend des initiatives dans ce sens. »

(signé) A. Flahaut (ministre de la Défense).

B. Enquêtes à l'initiative du Comité R

CHAPITRE 1 : Rapport de l'enquête sur la manière dont les services de renseignement s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes

1. Introduction

Lorsque le Comité permanent R a décidé d'ouvrir sa première enquête de contrôle « sur l'un des sujets traités par la Sûreté de l'État » au mois de novembre 1998 (46), nul ne pouvait encore prévoir que les terribles attentats perpétrès le 11 septembre 2001 aux États-Unis allaient ranimer les questions que d'aucuns se posent sur la présence dans notre pays de groupes extrémistes ou terroristes d'inspiration islamiste. Car, de l'aveu même du ministre de l'Intérieur, il ne fait plus aucun doute que l'Europe occidentale sert à la fois de base arrière et de lieu d'action à des mouvements suspects entretenant parfois des liens avec des milieux criminels. Il leur est en effet facile d'y exploiter les libertés démocratiques afin d'organiser leurs activités. La présence de groupes islamistes extrémistes en Belgique ne peut être niée, ni être banalisée.

L'Europe occidentale serait donc à la fois base arrière et lieu d'action. Pourrait-elle aussi devenir cible ? Faut-il craindre que la Belgique soit un jour le théâtre d'attentats terroristes parce que les services belges de sécurité manqueraient de vigilance comme l'affirme le « géostratège » français Gérard Challiand ? (47) Faut-il donner raison à l'ancien ministre de l'Intérieur français qui, en 1996, fustigeait la Belgique pour sa complaisance présumée envers les activités islamistes ?

Les attentats ont aussi ravivé le débat de société déjà ouvert sur l'attitude que doit prendre la démocratie occidentale à l'égard du monde musulman en général. Quel est le rapport de l'islam à l'égard de l'État et de la société ? Les islamistes sont-ils un frein ou non à l'intégration des musulmans dans la société occidentale ? Ces questions importantes concernent les autorités politiques, judiciaires, administratives et policières; elles mettent aussi en cause les libertés civiles. La gestion de l'islam doit-elle être purement sécuritaire ? Ces questions prennent un relief tout particulier en Belgique puisque le gouvernement vient de mettre en place un Exécutif du culte musulman et s'apprête à reconnaître 125 mosquées dont les imams seront rémunérés au même titre que les ministres des autres cultes reconnus.

Quoi qu'il en soit, l'intensité des événements ne doit pas mener à assimiler la communauté des musulmans aux terroristes islamistes. La majeure partie du monde arabe et musulman condamne en effet les attentats terroristes et il souffre de l'amalgame qu'une certaine opinion établit entre Islam, intégrisme et terrorisme. Il existe d'ailleurs au sein du monde musulman des courants humanistes et rationalistes trop peu connu du monde occidental et avec lesquels il faudrait davantage et mieux dialoguer.

Le Conseil européen informel réuni à Gand le 19 octobre 2001 a préconisé dès lors de favoriser le dialogue d'égal à égal entre les civilisations et les cultures, à la fois au plan international et à l'intérieur de la société (48).

Ces considérations soulèvent néanmoins des questions sur le rôle que doivent jouer les services de renseignement dans la détection des groupements « liberticides » en général et sur la manière dont ils abordent le phénomène de l'islamisme et les menaces qu'il est susceptible de faire courir à l'égard de la démocratie et de la sécurité du pays.

Selon le ministre de l'Intérieur, le rôle des services de renseignement est de collecter des informations afin de déterminer les menaces à l'égard desquelles les autorités doivent être vigilantes. La collecte d'informations ne doit pas toujours être considérée sous un angle réactif. Elle doit contribuer à donner une image précise de la situation et éviter ainsi toute réaction excessive. Cela signifie qu'une évaluation permanente, pondérée et à long terme doit être effectuée de la situation pour placer les faits dans leur juste contexte, tant sur le plan international que sur le plan de la sécurité intérieure, « pour parvenir ainsi à un bon équilibre entre la confiance dans la sécurité et la vigilance critique » (49).

Il s'agit aussi pour l'État démocratique de protéger les citoyens et les cibles potentielles de la menace terroriste tout en veillant à ne pas détruire les droits civils et politiques élémentaires du citoyen, la démocratie et l'État de droit.

Le Comité permanent R est lui aussi convaincu que les services de renseignement ont un rôle important à jouer en cette matière.

La présente enquête a donc été menée pour examiner comment les services de renseignements belges (Sûreté de l'État et SGR) s'acquittent de cette mission, c'est-à-dire comment ils recueillent et analysent des informations concernant le terrorisme et l'islamisme radical, et de quelle manière ils informent les autorités civiles et judiciaires sur ce phénomène.

Le sujet de cette enquête est très vaste et demande encore un certain nombre de vérifications de la part du Comité permanent R. Ce rapport intermédiaire fait le point sur les constatations effectuées au 31 décembre 2001.

2. Procédure

En réunion du 19 novembre 1998, le Comité permanent R a décidé d'ouvrir une enquête « sur l'un des sujets traités par la Sûreté de l'État ». Cette enquête vise en fait la manière dont la Sûreté de l'État s'intéresse aux activités islamistes extrémistes et doit être replacée dans le contexte de l'élection des membres de « l'organe chef du culte musulman » qui devait avoir lieu le 13 décembre 1998.

L'exécution de cette enquête s'est heurtée dans un premier temps à des réticences, et même à des objections méthodologiques de la part de la Sûreté de l'État. Ces objections tenaient à la difficulté de circonscrire le champ d'investigation de l'enquête et de cibler correctement les sujets d'intérêts. Ces difficultés n'ont été définitivement levées qu'en octobre 1999.

En réunion du 10 novembre 1999, le Comité permanent R a également décidé d'ouvrir une enquête « sur la manière dont la Sûreté de l'État et le SGR ont géré la menace terroriste islamiste proférée contre la Belgique au cours de l'été 1999 ». Cette enquête s'intéresse plus précisément à la manière dont nos services de renseignement ont réagi après les menaces d'attentats proférées contre la Belgique par l'organisation algérienne GIA (groupe islamiste armé) et publiées par la presse arabe le 22 juin 1999.

L'accomplissement de la seconde enquête « sur la manière dont la Sûreté de l'État et le SGR ont géré la menace terroriste islamiste proférée contre la Belgique au cours de l'été 1999 » s'est heurtée à des objections soulevées par la Sûreté de l'État qui a invoqué le secret d'une instruction judiciaire en cours (article 48, § 2, alinéa 2, de la loi organique du 18 juillet 1991).

Le service d'Enquêtes R a déposé un volumineux rapport le 12 février 2001. Il s'agit d'un aperçu historique de l'islamisme radical moderne et d'une analyse de ses rapports avec l'Occident, ses valeurs et son système juridique, d'une part, du rapport de l'enquête sur les menaces terroristes de 1999, d'autre part. Ces deux thèmes étant intrinsèquement liés, il a semblé utile au service d'Enquêtes de les traiter dans un seul et unique rapport.

Le 28 septembre 2001, le Comité permanent R a décidé d'ouvrir une enquête très ponctuelle en vue de savoir si la Sûreté de l'État connaissait les assassins du chef de l'opposition afghane Ahmed Massoud lors de leur séjour éventuel en Belgique. L'ouverture de cette enquête a été notifiée le 3 octobre 2001.

Le 8 octobre 2001, le Comité permanent R a décidé d'étendre l'enquête au SGR et il a adressé une nouvelle apostille à son service d'Enquêtes. Le 20 novembre 2001, le Comité a décidé de fusionner ces deux enquêtes et d'en dresser un seul rapport commun.

Le 30 novembre 2001, le service d'Enquêtes R a présenté au Comité R un rapport sur les données dont la Sûreté de l'État disposait concernant les auteurs de l'attentat contre le commandant Massoud. L'accomplissement de cette troisième enquête s'est, elle aussi, heurtée à des objections soulevées par la Sûreté de l'État qui a invoqué le secret d'une instruction judiciaire en cours. Le 14 janvier 2002, il a été décidé de joindre aussi cette enquête à l'enquête générale.

Dans le cadre de ces trois enquêtes, le Comité permanent R, ainsi que son service d'Enquêtes ont aussi recueilli les dépositions, témoignages et points de vues d'un certain nombre d'agents traitant cette matière au sein des services de renseignement ou de la police fédérale, ainsi que d'autres personnes bien connues pour leur bonne connaissance de la communauté musulmane en Belgique.

Le Comité permanent R a pu aussi prendre connaissance d'une bonne quarantaine de notes que la Sûreté de l'État a adressées au ministre de la Justice et à d'autres autorités entre 1998 et janvier 2002 concernant ce sujet. La plupart de ces notes sont classifiées « confidentiels » ou « secret » quand elles sont consacrées à des personnes physiques.

Au cours des mois de septembre et octobre 2001, le Comité permanent R a transmis au Parlement ainsi qu'aux ministres compétents deux évaluations rapides et sommaires de l'efficacité des services de renseignement belges effectuées dans la perspective d'une intensification de la lutte contre le terrorisme islamique suite aux attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001 (50).

À cette occasion, le Comité permanent R a aussi informé le Parlement de l'état des trois enquêtes menées à ce moment sur l'activité des services de renseignement en rapport avec l'extrémisme islamique. Il s'agit des deux enquêtes dont il est fait rapport dans le présent document ainsi que de l'enquête ouverte le 1er février 2001 « sur la manière dont la Sûreté de l'État assure le suivi de l'abattoir islamique de Gembloux ».

Le présent rapport a été approuvé le 5 mars 2002. Il est destiné à la commission du Sénat chargée de l'accompagnement du Comité R ainsi qu'aux ministres compétents. Il est classifié « confidentiel » au sens de l'article 33, alinéa 3, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements. Il est revêtu de la mention « diffusion restreinte » en application de l'article 20 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

3. L'intérêt parlementaire

Le Comité permanent R a relevé de très nombreuses questions et interpellations parlementaires concernant l'activité de groupes et mouvements islamistes en Belgique. Ce problème préoccupe le Parlement depuis bien avant les attentats du 11 septembre 2001 (51).

Ainsi, de nombreuses questions et interpellations relatives à l'élection de l'assemblée représentative du temporel du culte islamique ont exprimé d'une manière ou l'autre l'inquiétude de voir certaines personnes proches des milieux islamistes extrémistes impliquées dans le processus électoral de même que dans le fonctionnement de l'organe représentatif. Certains mettent en cause le principe même de la reconnaissance et du financement du culte musulman par des deniers publics.

Le 1er mars 1999, la Chambre des représentants a adopté une motion de recommandation demandant au gouvernement de prendre des dispositions de manière à ne pas valider les candidatures des membres élus ou cooptés intégristes ou menaçant la sécurité intérieure lors de la composition de l'Exécutif des musulmans de Belgique.

Les réponses du ministre de la Justice indiquent que les candidatures à l'organe représentatif lui ont été soumises pour vérifier si elles ne se heurtaient pas à d'éventuelles objections tenant au respect de la Constitution, des lois et des institutions de la Belgique. La Sûreté de l'État et d'autres services (le parquet, les services de police) ont été chargés de procéder à un « screening » des candidats proposés pour faire partie de l'organe représentatif de 17 membres, mais non pour les candidats aux élections de l'assemblée constituante représentative du temporel du culte islamique.

Le Parlement a également été le théâtre de nombreuses questions et interpellations après les événements du 11 septembre 2001.

Le 25 septembre 2001, le premier ministre, M. Guy Verhofstadt, a exposé à la Chambre des représentants la politique de sécurité du gouvernement après les attentats. Le 16 octobre 2001, le ministre de l'Intérieur, M. Antoine Duquesne a fait un exposé de même nature au Sénat (52). Au cours des discussions qui suivirent, de même qu'au sein de la commission du Sénat chargée du suivi du Comité permanent R, le rôle des services de renseignement belges a été plusieurs fois évoqué.

La commission du Sénat chargée du suivi du Comité permanent R a entendu le chef du SGR le 7 novembre 2001, ainsi que l'administrateur général de la Sûreté de l'État le 5 décembre 2001.

Le Comité a également relevé les propositions suivantes :

­ la proposition de loi déposée par Mme Lizin (PS) le 2 septembre 1998 modifiant la loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cultes qui prévoit notamment que « tout membre d'un organe représentatif d'un culte ou d'une administration propre à un culte peut être soumis à une vérification de sécurité administrative »;

­ la proposition de déclaration de révision de la constitution déposée par Mme Marie Nagy (Ecolo-Agalev) et M. Jean Cornil (PS) le 18 juillet 2001 « permettant de priver les groupements liberticides du bénéfice des subventions, moyens et mandats octroyés à des groupements politiques, économiques, sociaux ou culturels en raison des services qu'ils rendent à la collectivité »;

­ la proposition déposée le 19 septembre 2001 par les sénateurs Lozie (ECOLO-AGALEV) et Vankrunkelsven (VU) « visant à instituer une commission d'enquête parlementaire chargée d'enquêter sur la présence d'organisations terroristes sur le territoire belge et leurs relations avec le crime organisé ». Dans cette proposition, les deux sénateurs ont notamment proposé qu'il soit fait rapport sur la connaissance qu'on a actuellement de réseaux terroristes dans notre pays et que des recommandations soient formulées en vue d'améliorer le fonctionnement de nos services de renseignements.

Le présent rapport est en mesure de rencontrer quelques-unes des préoccupations exprimées ici par les parlementaires.

4. Terminologie

Pour la bonne compréhension du présent rapport, il paraît nécessaire de s'entendre au préalable sur quelques notions terminologiques de base.

Les auteurs et les médias européens utilisent des termes tels que « fondamentalistes », « intégristes », « traditionalistes », « islamistes », « islamistes radicaux », « extrémistes islamiques » ou encore « militants extrémistes de l'islam engagé » de « l'islam politique », etc.

Ces termes sont souvent contestés par les intéressés, c'est-à-dire par ceux qui font de l'islam le point central de leur action politique. Ainsi, le concept « d'islamisme » (le projet politique de l'islam) serait une vue des choses purement occidentale puisque dans l'islam, il est impossible de séparer le citoyen du croyant. L'islamologue Tariq Ramadan (53), depuis longtemps engagé dans le débat concernant l'islam au sein du monde contemporain, préfère parler de « militant musulman ».

Il est donc malaisé de classer et de définir l'infinie variété des manières d'être musulman et de promouvoir l'établissement d'une société islamique. Les qualifications et les définitions varient d'un auteur à l'autre. Par souci de clarté, le Comité permanent R s'en tiendra pourtant aux présentes définitions qui sont les plus communément utilisées et admises par les commentateurs occidentaux.

On entendra donc par :

islam : La « soumission à Dieu » c'est-à-dire la religion d'Allah telle que prêchée par le prophète Mahomet.

Musulman : Une personne qui croit en la révélation du prophète Mahomet.

musulman : Ce qui se rapporte à la religion et à la culture de l'islam.

islamique : Ce qui se rapporte à la religion et à la culture de l'islam (synonyme de musulman).

islamisme ou islam politique : Le projet politique de promouvoir une société islamique.

islamiste : Ce qui se rapporte au projet politique de l'islam.

islamisme radical : Le mouvement revendicatif issu de la lecture politique de la révélation prophétique et plus précisément sa fraction justifiant le recours à la violence pour arriver à ses fins.

charia : La loi islamique à laquelle doit se conformer tout bon musulman.

jihad : Ce terme comporte deux acceptions : la préparation spirituelle, la lutte contre le mal en soi-même; la guerre sainte contre les ennemis de l'islam.

5. Méthodologie de l'enquête

Enquêter sur la manière dont les services de renseignement traitent l'islamisme est un sujet extrêmement vaste et complexe d'où la difficulté de circonscrire le champ d'investigation de l'enquête et de cibler correctement les sujets d'intérêts. Ceci explique sans doute en partie que cette enquête se soit heurtée dans un premier temps à des réticences, et même à des objections méthodologiques de la part de la Sûreté de l'État.

Lorsqu'en 1998 le Comité permanent R s'est intéressé d'une manière générale à la manière dont la Sûreté de l'État traitait la problématique islamiste, il voulait savoir si l'intérêt que portent les services de renseignement belges à certaines organisations, associations et groupements islamiques entrait bien dans le cadre d'une des missions que les articles 7, 1º, et 11 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignements et de sécurité leur attribuent. Ces groupes et organisations constituent-ils une menace réelle ou potentielle au sens des articles 8 et 11, § 2, de la loi précitée ?

Article 7. La Sûreté de l'État a pour mission :

1º de rechercher, d'analyser et de traiter le renseignement relatif à toute activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l'État et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel, la sûreté extérieure de l'État et les relations internationales, le potentiel scientifique ou économique défini par le Comité ministériel, ou tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel;

Article 8. Pour l'application de l'article 7, on entend par :

1º « activité qui menace ou pourrait menacer » : toute activité individuelle ou collective, déployée à l'intérieur du pays ou à partir de l'étranger, qui peut avoir un rapport avec l'espionnage, l'ingérence, le terrorisme, l'extrémisme, la prolifération, les organisations sectaires nuisibles, les organisations criminelles, en ce compris la diffusion de propagande, l'encouragement ou le soutien direct ou indirect, notamment par la fourniture de moyens financiers, techniques ou logistiques, la livraison d'informations sur des objectifs potentiels, le développement des structures et du potentiel d'action et la réalisation des buts poursuivis.

Pour l'application de l'alinéa précédent, on entend par :

a) espionnage : le recueil ou la livraison d'informations non accessibles au public, et le fait d'entretenir des intelligences de nature à les préparer ou à les faciliter;

b) terrorisme : le recours à la violence à l'encontre de personnes ou d'intérêts matériels, pour des motifs idéologiques ou politiques, dans le but d'atteindre ses objectifs par la terreur, l'intimidation ou les menaces;

c) extrémisme : les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu'elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit;

d) prolifération : le trafic ou les transactions relatifs aux matériaux, produits, biens ou know-how pouvant contribuer à la production ou au développement de systèmes d'armement non conventionnels ou très avancés. Sont notamment visés dans ce cadre le développement de programmes d'armement nucléaire, chimique et biologique, les systèmes de transmission qui s'y rapportent, ainsi que les personnes, structures ou pays qui y sont impliqués;

e) organisation sectaire nuisible : tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la sociétéï ou porte atteinte à la dignité humaine;

f) organisation criminelle : toute association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée des crimes et délits, pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux, en utilisant l'intimidation, la menace, la violence, des manouvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions.

Sont visés dans ce cadre les formes et structures des organisations criminelles qui se rapportent intrinsèquement aux activités visées à l'article 8, 1º, a) à e) et g), ou qui peuvent avoir des conséquences déstabilisantes sur le plan politique ou socio-économique;

g) ingérence : la tentative d'influencer des processus décisionnels par des moyens illicites, trompeurs ou clandestins.

2º « la sûreté intérieure de l'État et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel » :

a) la sécurité des institutions de l'État et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l'État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

b) la sécurité et la sauvegarde physique et morale des personnes et la sécurité et la sauvegarde des biens.

3º « la sûreté extérieure de l'État et les relations internationales » : la sauvegarde de l'intégrité du territoire national, de la souveraineté et de l'indépendance de l'État, des intérêts des pays avec lesquels la Belgique poursuit des objectifs communs, ainsi que des relations internationales et autres que la Belgique entretient avec des États étrangers et des institutions internationales ou supranationales.

Pour ce faire, le Comité a consulté les documents internes de la Sûreté de l'État dont il est en possession en application de l'article 33 de la loi organique du contrôle des services de police et de renseignements. Il a notamment examiné la liste des sujets de la Sûreté de l'État pour en sélectionner quelques groupes et associations qui y figurent en rapport avec l'islamisme. Le Comité a également examiné des rapports internes de la Sûreté de l'État sur ces groupes et mouvements.

La Sûreté de l'État ne constituant pas de dossiers thématiques sur les menaces présentées par des idéologies, le Comité permanent R a donc recherché dans les nombreuses sources ouvertes (essais, articles de presse, mémoires, etc.) disponibles quels étaient les objectifs et moyens d'actions mis en ouvre par les organisations et mouvements qu'il avait sélectionnés dans cette liste de sujets de la Sûreté de l'État.

Il a ainsi examiné en quoi l'idéologie et/ou les activités de ces organisations, associations et groupements, qu'elles soient individuelles ou collectives, étaient susceptibles de menacer ou menaçaient les intérêts de la Belgique, à savoir, « la sûreté intérieure de l'État et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel, la sûreté extérieure de l'État et les relations internationales, le potentiel scientifique ou économique défini par le Comité ministériel ou tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel ».

Fidèles à leur méthode, le Comité permanent R et son service d'Enquêtes ont aussi consulté un certain nombre d'articles de presse, de commentaires, d'essais et autres ouvrages de références décrivant le monde islamique, sa pensée de même que l'idéologie et les objectifs poursuivis par les mouvements islamistes.

Il existe en effet en Belgique et ailleurs en Europe d'excellents spécialistes de l'Orient, de l'islam et de la culture arabe, qu'ils soient musulmans ou non. Ceux-ci ont été particulièrement sollicités par la presse et les médias après les attentats du 11 septembre 2001.

En consultant ces auteurs, une première constatation s'impose : leurs avis divergent, parfois de manière fondamentale, sur la question essentielle de savoir si l'islam et l'islamisme sont compatibles ou non avec la démocratie.

Les analyses produites par des observateurs occidentaux sont elles-mêmes contestées par des intellectuels musulmans, tels que l'islamologue suisse Tariq Ramadan (54) qui leur reprochent leur manque de connaissance en profondeur de l'islam. Certains commentateurs occidentaux comme Huntington (55) prédisent le choc prochain des deux grandes cultures occidentale et islamique. D'autres par contre comme Kepel (56) ou Alexandre Adler (57), annoncent le déclin de l'islamisme. D'autres encore, comme le professeur espagnol Gema Martin-Muñoz, parient sur son potentiel de modernisation et d'adaptation à la démocratie : « L'Islam peut légitimer tous les modèles politiques, de la démocratie au despotisme » affirme-t-il (58). Abderrahim Lamchichi insiste pour sa part sur la volonté de la plupart des musulmans de s'intégrer dans une société démocratique et laïcisée (59). Par contre, Antoine Moussali (60) estime que c'est l'islam, dans son ensemble, qui réagit dans le sens de l'intégrisme, d'où de sérieux doutes sur sa capacité à se réformer.

Rapidement après les attentats, la presse se fit l'écho de l'absence de caution des actions terroristes par les musulmans vivant en Europe. Décrits comme modérés mais « travaillés par un prosélytisme religieux pas toujours innocent » (61), les musulmans européens sont manifestement à la recherche d'une identité.

Souvent, des demandes fusent pour qu'ils soient mieux représentés dans les rouages étatiques, tant en France qu'en Belgique. Le calme semble régner au sein de la communauté musulmane. Mais les jeunes y expriment aussi un sentiment anti-américain et pro-palestinien, ils évoquent les manipulations dont sont l'objet les informations diffusées. L'orthodoxie, pour eux, c'est suivre les préceptes religieux et non cautionner le meurtre de masse d'Américains (62). Le rôle des mosquées, décrites comme donnant sens et structurant la vie des musulmans, est également pris en compte. La presse met aussi en avant les réussites policières et soulignent les possibles connexions entre réseaux intra-européens.

La présence de réseaux terroristes islamistes dormants au sein de l'Europe suscite des inquiétudes. Il y aurait ainsi une nébuleuse de groupes en Belgique, en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni, dont le but serait de détruire les intérêts américains partout où ils se trouvent (63).

Pourtant, ce seraient les services de renseignement américains qui auraient favorisé l'émergence de groupes religieux fanatiques afin de combattre le communisme dans certaines régions du monde (64). L'Europe est inquiète, son mode de vie serait en péril et son économie secouée. La peur de l'autre risque de provoquer une obsession et un accroissement de la méfiance engendrant ainsi un arsenal de lois sécuritaires qui mettraient nos libertés démocratiques en danger (65).

Une bibliographie des ouvrages de référence consultés par le Comité permanent R et son service d'Enquêtes se trouve en annexe du présent rapport.

Le Comité a ensuite comparé les informations disponibles dans ces sources ouvertes avec celles dont la Sûreté de l'État disposait sur la présence en Belgique d'organisations et de mouvements islamistes radicaux susceptibles de porter un préjudice aux intérêts de notre pays ou d'un pays ami pour justifier le passage au stade opérationnel. Dans un troisième temps, le Comité permanent R a examiné les moyens humains que la Sûreté de l'État affectait au recueil et à l'analyse du renseignement concernant l'islamisme.

Le Comité permanent R a aussi voulu enquêter sur la collaboration qu'apportait la Sûreté de l'État aux autorités judiciaires dans des enquêtes en rapport avec le terrorisme islamiste. C'est ainsi qu'il a tenté de s'intéresser de manière plus approfondie à la manière dont la Sûreté de l'État avait traité les menaces proférées contre la Belgique par le GIA en 1999. Son enquête s'est alors heurté à une objection soulevée par l'administrateur général de la Sûreté de l'État en application de l'article 48, § 2, alinéa 2, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements.

Le Comité permanent R s'est notamment intéressé de manière au « screening » auquel la Sûreté de l'État a procédé à l'égard des candidats membres de l'Exécutif des musulmans de Belgique, de même qu'à son intervention dans la procédure de reconnaissance des mosquées susceptibles de bénéficier d'un financement public.

En ce qui concerne le SGR, le Comité permanent R est en mesure de dire que l'extrémisme et le terrorisme islamiste sont traités par deux sections spécialement dédiées à ces matières, l'une au sein du service de renseignement, l'autre au sein du service de sécurité. Ces menaces sont d'abord traitées par le SGR dans la mesure où elles concernent la sécurité des Forces armées en Belgique et à l'étranger (principalement dans les Balkans). Jusqu'au 11 septembre 2001, le terrorisme islamiste ne constituait pas la priorité du SGR. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les plans directeurs du renseignement et de la sécurité du SGR ont été adaptés pour être mis en adéquation avec l'actualité. Il s'avère en effet que des intérêts militaires situés en Belgique (le siège de l'OTAN par exemple) sont aussi susceptibles d'être pris pour cibles d'actions terroristes. Le SGR a donc créé une « task force » qui regroupe des éléments du service de Renseignement et du service de Sécurité ainsi que des collaborateurs détachés de services administratifs. Cette « task force », dirigée par un colonel, veille en permanence (24 heures sur 24) et est rattachée à la liaison opérationnelle, ce qui lui permet d'avoir tous les contacts nécessaires avec les services partenaires, qu'ils soient à l'étranger ou en Belgique.

6. Constatations

6.1. Aperçu général de l'expansion de l'islamisme

Pour comprendre le phénomène islamiste et en cerner les contours, il faut partir des pays d'origine, là où l'islam a été conçu et pratiqué. L'islamisme n'est pas nouveau dans l'histoire mais le propos n'est pas ici de retracer l'histoire de l'islam et de l'islamisme. Qu'il suffise de savoir qu'après la dislocation de l'empire ottoman, l'islamisme a été un des moteurs de la résistance au colonialisme occidental. Cependant, lors de leur accession à l'indépendance, les nouveaux États arabes vont plutôt prendre pour modèle les régimes européens, qu'ils soient libéraux ou socialistes, et tenter d'écarter la religion du pouvoir. Dès lors, l'islamisme restera confiné dans des couches minoritaires de la société avant de se propager à nouveau dans le monde arabe et musulman à partir des années soixante.

Les États arabes ont d'abord résisté à cette propagation mais la dictature et la corruption des régimes en place depuis la décolonisation, le non-décollage économique, la démographie galopante, le chômage des jeunes, et surtout la volonté de recherche identitaire et culturelle ont détourné les populations des systèmes occidentaux importés. L'islam devient pour elles le dernier recours, la source de la solution à tous leurs problèmes.

Dans ces pays, le facteur religieux demeure en effet, à la fois le contexte culturel dominant et un des principaux fondements de la légitimité du pouvoir. Les organisations islamistes profitent alors de l'échec de la modernisation pour s'insérer dans le système politique.

Les militants islamistes s'appuient sur le dogme selon lequel le monde est divisé en trois parties : le « dar al-har » (la maison de la guerre), le « dar al-islam » (la maison de l'islam) et le « dar al-solh » (la maison de la conciliation).

Pour tous les islamistes de la planète, l'objectif est le même : « réislamiser » la société musulmane par l'application de la charia (la loi islamique) et un retour aux sources du Coran : la sunna (la tradition) et le hadith (les propos et les comportements du Prophète tels qu'ils ont été rapportés par ses compagnons).

Le coran, qui demeure au centre de la foi islamique, est un livre à la fois de morale, mais aussi de prescriptions juridiques, sociales et politiques. Le spirituel et le temporel y sont intimement confondus car le temporel doit être conforme aux normes divines. Dans l'islam, il est impossible de séparer le croyant du citoyen : le croyant (« momim ») est par essence un citoyen. Les fidèles des autres religions sont quant à eux considérés comme des citoyens de seconde zone.

Des divergences existent sur les moyens de ré islamiser la société. Certains veulent opérer par la base, en privilégiant l'islamisation de la société à travers l'action sociale, culturelle, éducative et parfois même syndicale. D'autres encore veulent commencer par transformer l'État lui-même soit par l'action politique (ceux-là cherchent à s'intégrer dans l'appareil politique national, à faire partie des institutions du régime en place, en créant si besoin des partis politiques comme le FIS en Algérie ou al-Nahda en Tunisie), soit par l'action violente (exemple le GIA).

Quels qu'ils soient, les initiateurs des courants islamistes sont tous des érudits, des intellectuels ou des sages, des personnes qui ont consacré leur temps à l'étude et à l'interprétation des écritures, mais rarement des religieux ou des oulémas (des docteurs de la loi musulmane). Ils se recrutent au sein des universités et des étudiants, souvent des disciplines scientifiques.

De très nombreux musulmans ont la conviction d'être en cette qualité les victimes résignées des puissants et des riches tant en Europe que dans le monde (en Palestine, en Irak, en Bosnie, en Tchétchénie, etc.). En Europe aussi, les musulmans se sentent non-intégrés et discriminés (66). Ils veulent que leur culte soit reconnu à part entière et qu'on prenne en compte les besoins de leurs rituels dans la vie quotidienne (la prière, l'alimentation, le Ramadan, etc.). Ils ne comprennent pas l'hostilité des occidentaux au port du voile islamique. Ils voudraient pouvoir inhumer leurs morts selon leurs rites dans des cimetières islamiques. Ils ressentent une hostilité ambiante à leur égard et supportent mal d'être parfois assimilés à des délinquants, à des extrémistes, voire à des terroristes potentiels. Ils qualifient parfois cette attitude d'« islamalgame ».

D'autre part, le message islamiste présente l'Ummah, la communauté des croyants, comme une société égalitaire et solidaire face à une société matérialiste ayant érigé le profit en valeur absolue. Ce message trouve aisément sa place au sein d'une communauté issue de l'immigration qui devient de plus en plus homogène, cimentée davantage par la religion que par l'appartenance à une couche sociale déterminée ou à une nationalité d'origine. Ce sentiment d'appartenance peut être renforcé par un malaise socio-économique. Les difficultés d'intégrations y deviennent autant culturelles et identitaires que socio-économiques.

À partir des années quatre-vingt, des jeunes issus des milieux populaires maghrébins (les « beurs ») et des banlieues françaises, sans connaissances particulières de l'islam, commencèrent à être recrutés pour passer quelques semaines d'entraînement au Jihad en Afghanistan alors occupé par les troupes soviétiques. Plusieurs sources affirment que l'ISI, le service de renseignement pakistanais, a confié l'organisation de ces camps à Oussama Ben Laden.

Après le retrait soviétique, des « jihadistes » se retrouvèrent en Bosnie, en Algérie et en Egypte.

Mais certains, comme Antoine Sfeir, observent que les organisations musulmanes ou islamistes reconnues en Europe se gardent bien de se mettre hors la loi. Bien au contraire, elles connaissent nos règles et cherchent dans le cadre de la légalité à se poser en interlocutrices des autorités pour obtenir des avantages destinés à faciliter la pratique du culte et l'observance de ses règles de vie quotidienne. Ces organisations ont rapidement dépassé leurs clivages nationaux pour entretenir entre elles des rapports, parfois de rivalité, parfois de collaboration. Leur dynamisme, allié à un sens réel de l'organisation et de la communication les rend très efficaces dans la diffusion des thèses islamistes.

6.1.1. L'islamisme en Belgique.

À l'instar des autres pays européens, la Belgique connaît, elle aussi, une immigration en provenance des pays musulmans à partir des années 60. Les circonstances économiques de l'époque incitent alors à une politique d'importation massive de main-d'oeuvre. Actuellement, la population de confession musulmane en Belgique est estimée à plus de 350 000 personnes, parmi lesquelles plus de 200 000 originaires du Maroc et un peu moins de 100 000 d'origine turque.

L'installation de l'islam politique s'est réalisée chez nous en trois temps.

Dans les années soixante, la pratique religieuse se confine à la sphère privée des immigrés maghrébins qui, à cette époque, travaillent et thésaurisent en vue d'assurer un avenir meilleur à leur descendance dans la perspective d'un retour au pays.

Dans les années septante, la crise économique provoque chez de nombreux immigrés un retour à la religion, sous l'impulsion de mouvements de prédication étrangers se présentant comme apolitiques (comme par exemple, le mouvement tabligh). C'est à cette époque qu'apparaissent les premières mosquées en Belgique.

L'islamisme proprement dit atteint l'Europe et la Belgique au début des années quatre-vingt. Cette dimension politique est tout d'abord l'expression d'une solidarité envers des coreligionnaires engagés dans des luttes révolutionnaires dans les pays d'origine, comme par exemple les moudjahidin afghans en lutte contre l'occupation soviétique de leur pays. En effet, la répression dans les pays d'origine a poussé les islamistes vers les démocraties occidentales où ils ont volontiers reçu un statut de réfugié politique. L'islam discret des premiers contingents de travailleurs immigrés en Europe est depuis lors devenu un islam qui s'affiche. Des femmes portent le voile, le ramadan et ses fêtes rituelles se célèbrent dans des lieux publics, etc. C'est aussi dans les années quatre-vingt qu'apparaît un activisme chiite en Belgique. Cet activisme, limité à l'époque à quelques étudiants iraniens, propagandistes de la révolution iranienne encadrés par l'ambassade de ce pays, a fini par engendrer une communauté chiite à part entière, surtout composée de marocains, qui possède ses propres lieux de prière. Cette communauté poursuit son développement dans une grande discrétion mais elle suscite néanmoins des tensions dans la communauté sunnite.

Longtemps les gouvernements des pays d'origine ont voulu garder un lien étroit, sinon le contrôle de leurs nationaux à l'étranger.

Dans le même temps, les gouvernements des pays d'accueil, pour qui cette main d'oeuvre n'était que de passage, voyaient d'un assez bon oil le contrôle exercé par les pays d'origine sur leurs immigrés. Cette attitude pose le problème de l'ingérence de pays étrangers arabo ­ musulmans dans le financement de certaines associations et mosquées en Europe, ainsi que celui de la représentativité des autorités religieuses ainsi mises en place.

Mais l'Europe et la Belgique ne sont plus à présent un espace d'implantation provisoire pour les immigrés de la deuxième et de la troisième génération : ils y sont et y restent. L'islam s'installe donc définitivement en Europe occidentale et les musulmans cessent d'être enfermés dans une vision nationale qui les caractérisait, il y a encore une vingtaine d'années. Ils deviennent transnationaux.

En Belgique aussi, on retrouve les deux grandes tendances qui sous-tendent l'activisme islamiste : les tenants minoritaires d'une solution violente d'une part (plutôt dirigée vers leurs pays d'origine jusqu'à présent), les tenants de l'islamisation de la société par la prédication dans le respect apparent de nos structures démocratiques d'autre part. La seconde tendance est constituée de nébuleuses l'associations principalement articulées autour des Frères musulmans (voir plus loin).

Afin de contenir toute forme de radicalisme, l'idée d'organiser l'Islam de manière institutionnelle a fait son chemin en Belgique. À l'heure actuelle, cette problématique de la gestion du culte musulman constitue une des pierres d'achoppement entre l'État et la communauté musulmane; les islamistes en ont fait un de leurs chevaux de bataille favoris.

6.1.2. Le mouvement « Tabligh » (la proclamation).

Le Comité permanent s'est intéressé au mouvement de prédication Tabligh qui a joué un rôle très important dans la propagation de l'islam en Belgique. C'est en 1975 que le Tabligh constitua une association sans but lucratif pour faire bâtir une des premières mosquées en Belgique. Depuis lors, les « tablighis » (nom donné aux adeptes du « Tabligh ») en ont créées une douzaine d'autres fédérées au sein de la « Fédération des mosquées et des associations culturelles et islamiques de Belgique ». Cette fédération a été constituée en réaction à la prépondérance du Centre islamique et culturel dirigé par les wahhabites, c'est à dire les musulmans d'obédience saoudienne. « Ces gens n'expriment pas l'islam du peuple » estiment les tablighis. Ce courant piétiste se place en dehors du schéma traditionnel de l'islamisme tel qu'on se le représente en Occident. Ce mouvement a été fondé en 1927 dans l'Empire des indes alors sous domination britannique et où les musulmans étaient minoritaires (le Pakistan n'existait pas encore).

L'objectif des « tablighis » est de revitaliser la foi chez les musulmans pauvres et ignorants en proclamant un islam simple, facile à comprendre et surtout à pratiquer. Les principes de base qui doivent guider et encadrer tous les moments de la vie d'un bon musulman sont : proclamer sa foi, s'abandonner à la volonté divine, prier avec sincérité (de préférence en commun), connaître Allah et l'aimer, vivre continuellement à l'exemple du prophète Mahomet, honorer tout autre musulman et consacrer du temps à ranimer sa foi.

Comme les témoins de Jéhovah, les « tablighis » font du porte-à-porte et pratiquent un prosélytisme militant à l'intention des couches populaires. Ils méprisent les puissants, les riches, les intellectuels, les « oulémas » (les docteurs de la foi) et autres dignitaires politico-religieux. Ils déclarent rejeter la violence et ne pas s'intéresser à la politique.

Cependant, certains spécialistes estiment que le mouvement a pu être détourné de ses buts et utilisés malgré lui, comme un vecteur de l'islamisme radical. Le Tabligh s'empare en effet de la vie quotidienne du croyant ou du nouvel adepte et décrète que tel ou tel est bon ou mauvais musulman. Ses missionnaires parcourent le monde entier pour y faire du prosélytisme dans les mosquées et autres salles de prières. Les prisons (67) et les hôpitaux sont deux autres terrains de prédilection du Tabligh.

Des « tablighis » y sont présents comme aumôniers ou détenus. Ils s'adressent de préférence aux délinquants et toxicomanes d'origine maghrébine, ils les encadrent et les orientent. Leurs discours simples et leur foi accessible rassurent, alors que les autres courants islamistes peuvent sembler bien compliqués aux yeux des jeunes musulmans défavorisés.

Les quartiers généraux du Tabligh se situent à Lahore au Pakistan et à New Delhi en Inde. Certaines sources affirment même que ce mouvement est dirigé par d'anciens généraux et officiers supérieurs des services de renseignement pakistanais (68).

En France, on a constaté que des jeunes islamistes jugés pour faits de terrorisme étaient passés par le Tabligh. Certains avaient effectué des stages de formation religieuse au Pakistan au frais du mouvement, d'où ils avaient été dirigés vers des camps d'entraînement militaires.

6.2. Le traitement de l'islamisme radical par la Sûreté de l'État.

La Sûreté de l'État mène une enquête générale sur ce sujet. On entend par enquête générale la recherche de tout élément qui apporte des renseignements sur des personnes, sur leurs activités ou sur des événements qui sont en relation avec les organisations ou mouvements politiques repris dans la liste des matières traitées par la Sûreté de l'État.

De manière générale, la Sûreté de l'État a toujours porté intérêt à toute activité en rapport avec l'extrémisme (ou la subversion) et le terrorisme, comme par exemple, la propagande, le trafic d'armes et de faux papiers, et ce, quelle qu'en soit l'inspiration idéologique.

En 1981, l'administrateur directeur général de la Sûreté de l'État donnait encore de la « subversion » la définition suivante : « tout mouvement qui a pour but d'entraver le fonctionnement des institutions démocratiques et à les transformer par des moyens illégaux, non démocratiques ».

Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, la Sûreté de l'État s'intéressait essentiellement au Parti communiste, aux mouvements d'extrême gauche, d'extrême droite ainsi qu'aux activités politiques soutenues ou inspirées par les pays du bloc de l'Est (69). À l'époque, la Sûreté de l'État suivait aussi de près le terrorisme d'origine arabe ou palestinienne, c'est-à-dire les mouvements et les personnes qui peuvent contribuer à exporter le conflit du Moyen-Orient.

À partir de 1979, la Sûreté de l'État commence à s'intéresser à la présence de ressortissants iraniens en Belgique dont l'activité semble orientée vers l'exportation de la révolution islamique et la poursuite des exilés opposants au nouveau régime.

En 1982, apparaîtt un « Comité Afghanistan » dans la liste des organisations belges à surveiller. C'est aussi à partir de cette année que la Sûreté de l'État commence à suivre les Frères musulmans.

L'intérêt de la Sûreté de l'État envers les associations et mouvements islamistes présents en Belgique s'accroît encore en 1986, année au cours de laquelle une manifestation de protestation contre des bombardements américains en Libye fut organisée à Bruxelles. C'est au cours de cette manifestation qu'apparurent pour la première fois en public des groupes scandant des slogans et porteurs de bannières islamistes. À cette occasion, la Sûreté de l'État est parvenue à mettre en lumière le rôle joué par certains membres de l'ambassade iranienne dans la mobilisation des manifestants et l'élaboration de leurs mots d'ordre.

Un des résultats concrets de cette vigilance fut l'expulsion discrète de Belgique de quelques diplomates iraniens. Depuis lors, la surveillance des mouvements islamistes n'a plus cessé d'être une priorité de la Sûreté de l'État.

Au début des années nonante, le Front islamique du salut (FIS), interdit en Algérie, établit son instance exécutive en Europe; une quinzaine de ses militants s'installe en Belgique.

La Sûreté de l'État commence à être confrontée au terrorisme islamiste proprement dit à partir de 1995 lorsqu'il apparaît que des armes sont fournies au maquis islamiste algérien à partir de la Belgique. Des groupes de soutien logistique et d'approvisionnement en matériels divers (notamment médical) existent en Belgique, composés de ressortissants de diverses nationalités tels que des marocains, des tunisiens et des algériens. Leur but n'est pas de commettre des attentats en Belgique mais d'apporter un soutien logistique à des groupes terroristes à l'étranger.

Pour la Sûreté de l'État, la Belgique constitue une base d'action intéressante pour les islamistes à plusieurs titres : sa situation géographique au coeur de l'Europe, son noeud de communications, sa proximité avec la France et le fait qu'on y parle le français. Selon l'analyse de la Sûreté de l'État, la présence d'une importante communauté maghrébine et l'attitude généralement bienveillante des autorités envers les réfugiés politiques et la religion islamique permettent la mise en place de structures pouvant servir à faire circuler de la propagande ou à collecter des fonds.

Les islamistes s'intéressent particulièrement aux jeunes des deuxième et troisième générations issues de l'immigration maghrébine et turque. Ils recrutent dans la rue, les cafés et dans les prisons. Ils cherchent à « convertir » de jeunes marginaux, dénués d'instruction religieuse et adonnés à tous les « vices occidentaux ». C'est ainsi que des jeunes en grande difficulté, suivis sans succès par des services sociaux, semblent avoir trouvé auprès l'associations religieuses de leur quartier des éléments de resocialisation que n'avaient pu leur apporter les travailleurs sociaux. À plusieurs reprises, des islamistes ont tenté de récupérer à leur cause des manifestations et émeutes exprimant le malaise de jeunes immigrés dans les quartiers populaires de l'agglomération bruxelloise.

Le prosélytisme de certaines organisations islamistes dans les prisons est un sujet de préoccupation de la Sûreté de l'État. Malheureusement, l'administration pénitentiaire n'a pas encore pris le pli de lui communiquer de manière spontanée des informations sur ce problème.

Les événements du 11 septembre 2001 ont eu bien sûr des répercussions immédiates sur les activités de la Sûreté de l'État, tant au niveau des services extérieurs que des services d'étude. En ce qui concerne ces attentats proprement dit, la Sûreté de l'État déclare qu'elle avait reçu, dans les semaines qui précèdent, des avertissements de la CIA selon lesquels des attentats se préparaient en Europe ou ailleurs dans le monde contre des intérêts américains.

Mais rien ne laissait supposer que ces attentats seraient perpétrès aux États-Unis mêmes.

L'attention envers les milieux arabes et musulmans s'est bien sûr accrue pour y détecter les éléments extrémistes, voire terroristes, qui pourraient apporter un soutien quelconque aux campagnes d'actions terroristes. La Sûreté de l'État a donc adressé des rapports aux autorités sur les réactions au sein de la communauté arabe de Belgique et sur des appels éventuels à des réactions de haine ou de violence.

Certains éléments pourraient aussi appeler à des actions de solidarité ou procéder à des recrutements pour le jihad. Cette surveillance ne se limite pas à la communauté arabe classique, mais elle est également dirigée vers des éléments provenant de régions périphériques aux foyers de crise, comme par exemples la Turquie, l'Inde ou le Pakistan ou même la Somalie.

En ce qui concerne la communauté musulmane de Belgique, la Sûreté de l'État déclare qu'elle ne surveille pas la pratique de la religion islamique, ni les mosquées comme telles. C'est ainsi que le mouvement Tabligh n'est pas suivi par la Sûreté de l'État car il est considéré comme étant de nature purement religieuse. La Sûreté n'ignore cependant pas les connexions possibles entre les écoles coraniques du Tabligh au Pakistan et les camps d'entraînement militaire. Elle suit cette matière sous la rubrique « Arabes afghans et volontaires islamistes ».

Ce n'est donc que dans la perspective de menaces contre l'ordre public et la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel ou bien de manoeuvres d'ingérence qu'elle est susceptible de s'intéresser à la pratique de la religion islamique. C'est ainsi que la Sûreté de l'État a dressé une liste de mosquées réputées radicales dont elle suit les activités et surtout les prêches de leurs imams au cours de la prière du vendredi.

Un intérêt identique a été accordé au suivi des réactions d'éléments actifs au sein des organes de l'islam institutionnel en Belgique. La Sûreté de l'État a déjà examiné les risques d'infiltration extrémiste dans ces organes de l'islam institutionnel où sévit une lutte intense pour en prendre le contrôle. Ce service affirme disposer d'une bonne vue globale de la situation. De manière générale, la communauté musulmane reste calme et les imams prêchent la modération.

La Sûreté de l'État utilise tous ses moyens habituels d'enquête pour recueillir des informations sur la mouvance islamiste, à savoir des sources ouvertes et officielles de même que des sources secrètes pour les renseignements qui ne peuvent être obtenus d'une autre manière. L'obtention de renseignements de sources secrètes est limitée par des règles légales (par exemple, l'interdiction des écoûtes téléphoniques), soumise au secret professionnel et à des règles internes de déontologie.

Des informations de premier ordre sur la mouvance islamiste sont disponibles en abondance sur le réseau Internet. Ces mouvements privilégient en effet ce moyen de communication moderne. Le membre ou le sympathisant de la cause islamiste, l'internaute curieux peut trouver sur le net de nombreux sites du monde entier contenant un flot de propagande et d'informations sur toutes les composantes de l'islam, religion, culture, système juridique, politique, social, jihadistes, etc.

À titre d'exemples, on peut citer :

­ Azzam Publications for Jihad and Mujahideen : http ://www.qoqaz.net/ ­ http ://www.khilafah.com.pk

­ Hizb Ut-Tahrir (Parti de libération islamique ­ PLI) : http ://www.hizb-ut-tahrir.dk

­ Al-Muhajiroun (dissidence du PLI) : http ://www.obm.clara.net

­ http ://assabyle.com, site contre lequel le Centre pour l'égalité des chances a déposé une plainte en mars 2002 en raison de la diffusion d'une vidéo qualifiée de raciste et intitulée Nazisme et sionisme ne font qu'un.

6.2.1. Les groupes et mouvements islamistes dans la liste des sujets de la Sûreté de l'État.

La Sûreté de l'État tient à jour une liste de sujets auxquels elle s'intéresse activement en fonction de ses missions légales. On y trouve des associations et groupes actifs en Belgique, mais aussi des mouvements internationaux qui menacent l'intérêts de pays amis de la Belgique.

Cette liste des sujets est régulièrement mise à jour en fonction de l'évolution des menaces et des mouvements qui la constituent.

Le présent chapitre consistera en une brève présentation de certains des groupes, mouvements ou partis auxquels la Sûreté de l'État s'intéresse.

A. Le Front islamique du salut (FIS).

Le FIS est apparu en Algérie au lendemain des émeutes d'octobre 1988. Il est fondé et légalisé comme parti politique en mars 1989. L'objectif du FIS est la construction d'un État libre et indépendant fondé sur les principes de l'islam : la charia (la loi islamique) et la shoura (parlement islamique). Le FIS développe aussi un programme social élaboré.

Le FIS est parcouru par deux courants islamistes sunnites, le courant salafiste qui prône une vision internationaliste, fondamentaliste, conservatrice et spiritualiste de l'islam d'une part, le courant djazaariste encore appelé algérianiste qui milite en faveur d'un État algérien théocratique, mais qui développe aussi une conception plus moderniste, plus pragmatique et plus nationaliste de l'islam d'autre part.

Le FIS remporta de nombreux succès électoraux aux élections auxquelles il se présenta au début des années 90. Mais la marche du FIS vers le pouvoir va être bloquée par le régime en place qui commence par faire arrêter l'un des dirigeants du parti qui avait lancé un appel à la grève générale. En 1992, l'armée proclame l'état d'urgence, annule les élections législatives remportées par le FIS, dissout ce parti et fait emprisonner de nombreux militants puis condamner ses dirigeants à la réclusion. Le vide laissé dans le champ politique par un FIS affaibli et discrédité va être rempli par des formations aux discours et aux comportements bien plus radicaux, plongeant le pays dans une vraie guerre civile.

Certains dirigeants basculèrent dans la clandestinité et optèrent pour la lutte armée au sein de l'Armée islamique du salut (AIS, bras armé du FIS) créée en 1993, d'autres prirent le chemin de l'exil. Mais le FIS fut paralysé par des luttes intestines alimentées par des rivalités personnelles et des antagonismes entre salafistes et algérianistes ayant pour objet le leadership du mouvement. Le FIS semble actuellement en nette perte de vitesse en Algérie.

Présence du FIS en Belgique.

Même si l'immigration algérienne est peu représentée en Belgique (70), la Sûreté de l'État a connaissance d'éléments du FIS présents en Belgique.

Une quinzaine de militants se sont installés à Bruxelles, Liège et dans le Limbourg à partir de 1991. La majorité d'entre eux a sollicité la qualité de réfugié politique, d'autres ont préféré demeurer clandestinement sur notre territoire. Leur tâche principale consiste à représenter le mouvement à l'étranger par le truchement de l'Instance exécutive du FIS à l'étranger (IEFE), mise en place en 1993 par Rabah Kebir qui réside en Allemagne. Parmi les six personnes qui composent cette instance, quatre sont établies en Belgique, dont Ahmed Zaoui et Abdelkrim Ould Adda.

Leur prosélytisme s'exerce dans certaines mosquées connues de la Sûreté de l'État où ils diffusent leurs journaux et leur propagande et où ils organisent des conférences, des expositions ainsi que des collectes d'argent pour l'AIS.

Le détournement d'un avion Airbus de la compagnie Air France le 24 décembre 1994 d'Alger vers Marseille fut la première manifestation de l'exportation de la lutte islamiste algérienne à l'étranger. Elle va alerter les services de police et de renseignement européens.

En mars 1995, Ahmed Zaoui et ses complices seront arrêtés à Bruxelles, inculpés et condamnés pour association de malfaiteurs (voir plus loin).

En mars 1997, Ould Adda est nommé porte-parole officiel du FIS à l'étranger. Son rôle est de clarifier et d'expliquer les positions politiques du parti afin de prévenir les atteintes à son image et de rejeter les accusations mensongères à son encontre. L'intéressé mène depuis lors une activité politique de représentation du FIS à Bruxelles et en Europe. En avril 1997, il est expulsé d'Espagne où il participe à une réunion de partis algériens d'opposition; le gouvernement espagnol lui reproche de n'avoir pas condamné, lors de ses différentes interventions les récents massacres en Algérie.

La même année, Ould Adda est au nombre des organisateurs d'une manifestation programmée à Bruxelles pour soutenir le FIS. Cette manifestation sera interdite pour des raisons de sécurité publique.

B. Le Groupe Islamique Armé (GIA)

Le Groupe islamique armé serait né en Algérie vers 1989, formé par la fédération de différentes factions islamistes armées selon une structure souple favorisant l'autonomie d'action et de fonctionnement. D'où la tentation de certains commentateurs de parler plutôt au pluriel « des Groupes islamiques armés ». Compte tenu de ce mode d'organisation assez déconcertant, peu de choses peuvent être affirmées avec certitude concernant le ou les GIA.

Son premier passage à l'action violente consista en l'attaque d'une caserne de gendarmerie près d'Alger en 1991. Suit alors une période d'occultation du mouvement consécutive, selon lui, à la création du Front islamique du salut (FIS) dont il se démarque pourtant.

À partir de 1993, le GIA se lance dans une série d'attentats terroristes sanguinaires, spectaculaires et médiatiques revendiqués par sa revue Al Ansar (les partisans) publiée à Londres. Ses cibles sont la population civile algérienne ainsi que des intérêts français. Une partie de ses activités relève aussi de la pure criminalité : racket, hold-up, vol, pillage et trafics en tous genres.

En 1994, des membres du FIS (de la tendance salafiste) rejoignent le GIA qui s'autoproclame « seul groupe légitime pour conduire le Jihad » en conformité avec le Livre et la Sunna (la tradition). Le GIA s'engage alors dans un bras de fer contre les autres factions armées islamistes (dont l'AIS). Ses « fatwas » (décrets religieux) autorisent à tuer tous ceux qui s'opposent au projet islamiste. L'histoire de ce mouvement est alors jalonnée de dissensions internes, de meurtres et d'excommunications mutuelles. Le combattant du GIA, souvent recruté parmi la jeunesse marginale algérienne, n'a qu'une espérance de vie très limitée : elle dépasse rarement les six mois d'activité opérationnelle. Ceci est vrai aussi bien pour l'activiste de base que pour l'émir national : le GIA a connu six émirs entre 1991 et 1998. La mort de l'émir Antar Zouabri, tué par les forces de sécurité algériennes en février 2002, semble avoir porté un rude coup au GIA pour l'avenir.

Le GIA se caractérise par un radicalisme extrême de son discours et de ses actions, par le jusqu'au-boutisme de ses comportements, par le caractère absolu de sa démarche. « Pas de dialogue, pas de réconciliation, pas de trêve », tel est son mot d'ordre. Celui-ci s'est aussi donné pour but de punir la France coupable de soutenir le régime algérien.

Ce radicalisme et ces débordements sont vigoureusement condamnés par les autres formations islamistes rivales du GIA (dont le FIS et l'AIS). Pour certains, l'attitude du GIA résulterait d'une politique délibérée des services secrets algériens consistant à infiltrer le GIA pour le radicaliser et diaboliser ainsi la cause des islamistes.

La présence du GIA en Belgique.

Des partisans du GIA sont également présents en Belgique, soit avec le statut de réfugié politique, soit illégalement. Il s'agit d'Algériens, mais aussi de Marocains, de Tunisiens et de Turcs connus sur le plan judiciaire. Certains ont fui des poursuites judiciaires en France.

Les tensions existant en Algérie entre FIS, AIS et GIA ont suscité d'intenses luttes d'influence dans notre pays parmi les partisans de ces formations. Les partisans du GIA ont menacé de représailles les membres du FIS qui refusaient de se soumettre à ses fatwas; ils perturbent les conférences animées par le FIS dans les mosquées.

La séparation étant devenue effective, le FIS a réorienté son action sur le plan politique tandis que le GIA a redoublé d'effort pour améliorer ses réseaux spécialisés dans le trafic d'armes afin d'alimenter le maquis algérien. Avec des complicités belges, des réseaux clandestins acheminent des armes, de l'argent, du matériel de transmission, du matériel médical et de survie, ainsi que des faux papiers vers le maquis algérien. Ils hébergent aussi des maquisards en provenance d'Algérie et d'Afghanistan.

La plupart des revues islamistes circulant en Belgique plus ou moins sous le manteau relèvent essentiellement de la problématique de la guérilla en Algérie et des Groupes islamiques armés. Parmi elles, la revue « Al Ansar » éditée à Londres. Il s'agit d'une littérature d'appel à la révolte et à la guerre contre un pouvoir réfuté par des arguments religieux.

L'arrestation et la condamnation en 1995 de membres du GIA, dont Ahmed Zaoui en exil en Belgique, fut un rude coup porté aux activités du GIA dans l'Europe tout entière (71).

Avec l'arrestation de Noureddine en 1996 et celle de Farid Melouk et de plusieurs de ses comparses, en 1998, des liens apparaissent avec la Bosnie, le Pakistan et l'Afghanistan.

C. Les Moudjahidin afghans et les volontaires islamistes

L'organisation « Al Qa'ida » figure en premier lieu sur la liste des organisations terroristes du Conseil de sécurité des Nations unies, mais elle est présentée comme regroupant d'autres organisations comme « Islamic Salvation Foundation », « the Group for the Preservation of the Holy Sites », « the Islamic Army for the Liberation of Holy Places », « the World Islamic Front for Jihad Against Jews and Crusaders », « Usama Bin Laden Network and Organisation ».

Selon le professeur français Alain Bauer (72), « Al-Qaida » n'est pas une organisation réelle se donnant elle-même ce nom-là, mais « une nébuleuse transnationale, déterritorialisée, et protoplasmique » (sic). Son nom même serait une pure invention de la justice américaine qui avait besoin de nommer un coupable pour son acte d'accusation.

Les services de renseignement présents sur le terrain en Afghanistan pour éplucher tous les documents qu'ils récupèrent dans les anciens locaux occupés par Ben Laden n'auraient trouvé aucun document qui porte le sigle ou le nom « Al-Qaida ». À cet égard, il convient de noter que l'ouvrage d'Antoine Sfeir, Les réseaux d'Allah, édité en 1997 et réédité après les attentats du 11 septembre 2001 avec comme sous-titre, La nébuleuse Ben Laden, se borne à mentionner p. 211 qu'Oussama Ben Laden a créé son organisation « Al Kaida » en 1987 sans en donner la moindre description. Le volumineux ouvrage, Mondes rebelles ­ L'encyclopédie des acteurs, conflits & violences politiques, réédité à la fin de l'année 2001 se borne, lui aussi, à mentionner p. 367 qu'Oussama Ben Laden est le chef du mouvement « Al-Qaïda » mais ce nom n'est pas même repris dans l'index des très nombreuses guérillas, milices et organisations terroristes citées dans cet ouvrage.

C'est sans doute pour cette raison que la Sûreté de l'État traite cette mouvance sous l'intitulé « Moudjahidins afghans et volontaires islamistes ». Un document interne de la Sûreté de l'État antérieur aux attentats du 11 septembre 2001 mentionne que le « Groupe islamique combattant au Maroc » entretient des liens avec « l'organisation terroriste afghane dirigée par l'opposant saoudien Oussama Ben Laden, regroupant des combattants algériens, marocains, égyptiens, etc. désireux de développer la lutte armée à l'échelon international ». Immédiatement après les événements du 11 septembre 2001, la Sûreté de l'État affirmait cependant qu'aucun indice ne permettait de conclure à la présence d'éléments opérationnels de l'organisation « Al Qaida » en Belgique. Celle-ci recruterait plutôt parmi des ressortissants du Moyen-Orient, plus présents aux USA ou en Allemagne (73) qu'en Belgique. Les quelques imams et personnes qui affichent leur soutien à Oussama Ben Laden en Belgique sont connues de la Sûreté de l'État. Un rapport que la Sûreté de l'État a adressé aux autorités le 30 novembre 2001 mentionne qu'elle n'est pas au courant du sort d'une dizaine de personnes qui ont récemment quitté la Belgique pour participer au Jihad en Afghanistan. La Sûreté de l'État ne semblait donc pas encore à ce moment, avoir pu recueillir des renseignements plus précis concernant le recrutement d'islamistes en Belgique par le mouvement d'Oussama Ben Laden.

D. Les Frères musulmans

Les Frères musulmans constituent la plus importante organisation islamiste dans le monde arabe; ils forment le substrat de quasiment tous les mouvements se référant à l'islam. La mouvance internationale dispose aussi d'un réseau l'associations en Europe qui contribuent à la diffusion de son idéologie. Les Frères musulmans sont sans doute les plus actifs dans le tissu associatif du monde musulman en Belgique.

La confrérie des Frères musulmans fut fondée en Egypte en 1928 par l'instituteur Hassan Al Banna (1906-1949) qui appuie sa théologie sur la tradition et le respect des cinq piliers de l'islam. Nationalisme et religion sont les deux piliers des Frères musulmans. Leur programme impliquait la lutte contre l'occupant britannique, l'aliénation de l'Egypte face aux puissances étrangères et la laïcisation de la société. La religion impose en effet un modèle politique inspiré et strictement codifié par la charia (la loi musulmane) et fonctionnant dans le cadre de l'ijma, (le consensus de la communauté), la « démocratie islamique » en quelque sorte.

Les Frères musulmans veulent donc rompre avec les logiques et les mours de la société occidentale qui représentent une menace pour l'Islam. Ils veulent construire un prototype de la société islamique future avec les « vrais croyants ». Dans ce but, ils mènent une action socio-éducative intense en créant des écoles, des services sociaux et dispensaires médicaux, des mosquées ainsi que des associations culturelles.

Cette politique de solidarité permet aux Frères musulmans de s'enraciner en profondeur, d'essaimer dans le monde et de se développer rapidement. Partout où ils sont présents, les Frères musulmans revendiquent l'application de la loi islamique, la charia, pour les communautés musulmanes installées en Europe. Ils invoquent néanmoins les lois occidentales devant les tribunaux pour appuyer leurs revendications, par exemple pour faire réintégrer des jeunes filles expulsées d'un établissement scolaire pour y avoir porté le voile islamique.

La confrérie ne constitue cependant pas une entité bien unifiée du point de vue idéologique et de la stratégie politique, tant intérieure qu'extérieure; elle se présente donc sous des formes particulières, conservatrices ou « modernistes » dans chaque pays où elle s'est développée. Ces différents courants sont devenus rivaux dans leur implantation à l'étranger. On distingue en effet les Frères musulmans internationalistes et des groupes nationaux qui visent d'abord l'instauration d'un gouvernement islamique dans leurs pays d'origine.

Les Frères Musulmans internationalistes regroupent des sympathisants de diverses nationalités. Répartis dans toute l'Europe et liés au siège mondial des Frères en Egypte, ils travaillent de concert à la réislamisation de la société à l'échelle mondiale. Pour ces derniers, les musulmans doivent essayer de convertir les pays non musulmans ou tout au moins utiliser leurs règles démocratiques pour faire voter des lois conformes au modèle islamique. Pour ce faire, ils s'activent au sein de multiples associations qui changent régulièrement de noms et de statuts, notamment « l'Union islamique internationale des organisations estudiantines » et « l'Union des organisations islamiques d'Europe ». Ces organisations, en constante évolution à l'échelon international, témoignent d'une véritable stratégie qui vise à répandre l'idéologie des Frères au sein des populations immigrées et à institutionnaliser l'islam au niveau européen.

Parmi les branches nationales des Frères Musulmans, on peut citer le mouvement « Ennadha » en Tunisie, principal mouvement d'opposition islamiste au régime laïc en place, qui a subi dans les années 80 une répression sanglante. Le « Hamas » constitue la branche palestinienne des Frères musulmans; ce mouvement est connu pour ses attentats suicides contre Israël. Les Frères Musulmans syro-libanais « Tawhid » se sont opposés de manière violente au régime du président Hafez al-Assad et ont été férocement réprimés dans les années 1979-1982. De nombreux membres de l'organisation se sont alors réfugiés en Allemagne où ils ont ouvert des mosquées, notamment celle d'Aix-la-Chapelle qui étend son influence en France et en Belgique.

Tariq (ou Tarek) Ramadan

M. Tariq Ramadan, islamologue de nationalité suisse, professeur de philosophie et de littérature française à l'université de Fribourg, est souvent présenté comme l'un des porte-parole les plus actifs des Frères musulmans en Europe francophone.

L'intéressé s'en défend (74) mais il est le petit-fils du fondateur des Frères musulmans, Hassan al-Banna. Son père, Saïd Ramadan, est connu comme l'un des promoteurs du « socialisme islamique » en Egypte. Bien connu des médias ainsi que dans les milieux intellectuels et universitaires, Tariq Ramadan est considéré par les uns comme le promoteur d'un islam moderne et modéré, intégré dans le paysage démocratique, tandis que d'autres (75) s'interrogent sur ses intentions véritables et sur la nature ambiguë du message qu'il adresse à son auditoire de jeunes (76).

En 1995, M. Ramadan fut frappé d'une interdiction de résider sur le territoire français. Cela ne l'empêche pas de publier régulièrement des articles dans la presse belge et française et d'effectuer régulièrement des séjours en Belgique où il donne des conférences et où il entretient des contacts avec des associations liées aux Frères musulmans.

Dans un rapport adressé aux autorités en décembre 2001, la Sûreté de l'État indique que l'influence de Tariq Ramadan sur la communauté musulmane d'Europe occidentale est grande. Il plaide pour un dialogue intracommunautaire critique et recommande aux musulmans de s'impliquer de manière active et constructive dans la vie communautaire, tout en faisant ressortir leurs particularités religieuses et culturelles.

La présence et la stratégie des Frères musulmans en Belgique

La Sûreté de l'État suit les activités déployées par les Frères Musulmans internationalistes en Belgique depuis 1982. Les Frères musulmans internationalistes disposent d'une structure clandestine en Belgique depuis près de vingt ans. L'identité des membres est secrète; ils opèrent dans la plus grande discrétion. Ils cherchent à répandre leur idéologie au sein de la communauté islamique de Belgique et ils visent plus spécialement les jeunes des deuxième et troisième génération d'immigrés. En Belgique comme dans d'autres pays européens, ils tentent de prendre le contrôle l'associations sportives, religieuses ou sociales et d'organisations pouvant s'ériger en interlocuteurs privilégiés des autorités nationales, voire européennes, pour gérer le temporel du culte islamique. Les Frères musulmans estiment que les autorités nationales s'appuieront de plus en plus sur des responsables de la communauté musulmane pour la gestion de l'islam en général. Dans ce contexte, ils tentent d'imposer, au sein des organes représentatifs, la désignation de personnes influencées par leur idéologie. À cet effet, ils se sont impliqués très activement dans le processus électoral devant mener à l'élection des membres de l'Organe chef de culte musulman (voir plus loin).

Un autre aspect de cette stratégie est de susciter ou d'entretenir les tensions dés qu'ils considèrent qu'un musulman ou une association islamique est victime des valeurs occidentales, ainsi la question du port du voile islamique dans les écoles publiques. En France, ils ont édité un livret de conseils juridiques précisant les démarches à suivre et les arguments à défendre devant les tribunaux en faveur des jeunes filles exclues de l'enseignement pour avoir porté le voile.

Plusieurs ASBL qui ne portent pas leur nom ont été fondées par les Frères musulmans, notamment « l'Union Internationale des organisations estudiantines », « l'Union islamique de la jeunesse », « l'Association humanitaire pour la promotion de la jeunesse belge » et la « Ligue islamique interculturelle de Belgique » qui chapeaute le tout. Ces associations sont en constante évolution.

« L'Union islamique de la jeunesse » à laquelle a succédé « l'Association humanitaire pour la promotion de la jeunesse belge » est également proche du mouvement turc « Milli Gorüs ». Ces associations publient un journal qui propage des idées anti-occidentales et anti-sionistes. Elles ont activement soutenu la cause musulmane en Afghanistan par la récolte de fonds et des échanges suivis avec le « Bureau des Moudjahidins afghans à Bruxelles ». Elles organisent des camps où sont endoctrinés des immigrés des deuxième et troisième générations. L'asbl « Ligue islamique interculturelle » ayant son siège à Bruxelles a pour objet social officiel de contribuer à l'intégration de la communauté arabo-musulmane dans le pays d'accueil, notamment en aidant ses membres à prendre conscience de leurs droits et de leurs devoirs, en aidant les jeunes en difficulté, etc. La ligue entretient des contacts avec l'asbl « Centre islamique belge » dont l'objet social est aussi de s'occuper des affaires des musulmans de Belgique au point de vue social et culturel.

La « Ligue islamique interculturelle » organise régulièrement des conférences où elle invite Tariq Ramadan ainsi que son frère Hani Ramadan. La Sûreté de l'État note aussi que les discours modérés que Tariq Ramadan tient en public ne correspondent pas toujours avec les propos qu'il tient dans des milieux islamiques restreints, où il se montre nettement plus critique envers la société occidentale.

Déterminer l'appartenance d'une personne aux Frères Musulmans (notamment celle de Tariq Ramadan) est particulièrement délicat puisque ce mouvement ne dispose pas comme tel de structures précises et il ne distribue pas de cartes de membres. Il s'agit plutôt d'une mouvance informelle en constante mutation. Hani Ramadan affiche ouvertement son appartenance aux Frères musulmans et il tient un discours plus radical que son frère Tariq : pour lui, la laïcité est incompatible avec l'islam.

Les Frères musulmans sont également organisés au niveau européen, à travers « l'Union des organisations islamiques d'Europe » et le « Conseil européen pour la jurisprudence islamique et la recherche », sensé fonctionner comme un « Dar al Ifta », institution islamique promulguant des « fatwas » pour trancher les questions religieuses et sociales sur base de la loi islamique.

À titre d'anecdote, le journaliste Frédéric Moser a rapporté dans un de ses articles que les services américains avaient demandé à la Sûreté de l'État, dans les années 80, de ne plus s'occuper des Frères musulmans (77) La Sûreté de l'État dément cette affirmation de la manière la plus catégorique.

E. Le Salafisme en Belgique

Les salafistes (de l'arabe « Salaf » ­ ancêtre) prêchent le grand retour à la pureté et à la simplicité de l'islam pendant l'ère du Prophète. Ils rejettent toute critique et toute interprétation du Coran. Dans ce contexte, ils rejettent tout compromis avec la modernité qu'ils considèrent comme contraire aux valeurs islamiques. Ils constituent une mouvance peu structurée. Ils professent un Islam dur et anti occidental ainsi qu'une doctrine puritaine et conservatrice proche des Frères musulmans; ils ne développent cependant pas la même stratégie que ces derniers qui visent des objectifs plus politiques.

La stratégie des salafistes consiste surtout à étendre leur influence dans les mosquées. Ils bénéficient à cet égard du soutien financier de l'Arabie Saoudite via la Ligue islamique mondiale (voir plus loin). Une quinzaine de mosquées en Belgique serait de tendance salafiste.

Dans la mouvance salafiste, la Sûreté de l'État épingle également l'ASBL « Jeunesse bruxelloise sans frontière » qui déclare avoir pour objectif de « supprimer toutes les frontières qui existent entre les jeunes de Bruxelles », de « lutter contre l'échec et le décrochage scolaire » en mettant sur pied des écoles de devoirs, d'organiser des activités sportives et « d'aider à l'intégration pour une vie sociale harmonieuse avec les autres communautés ». Son promoteur y enseigne pourtant les principes d'un islam rigoriste et vindicatif à son public de jeunes marginaux issus de l'immigration dont certains se rendent en Syrie pour y parfaire leur éducation religieuse. Certains aussi suivent un entraînement paramilitaire et s'entraînent au parachutisme. Certains membres de cette association sont employés comme membres du personnel de la Grande Mosquée de Bruxelles. Cette association a été citée dans le cadre de l'enquête menée par le juge d'instruction français Jean-Louis Brugière sur la fusillade de mars 1996 à Roubaix.

D'autres associations de tendance salafistes s'adressent aux jeunes immigrés d'origine maghrébine : « Le jardin des jeunes », le « Centre d'éducation et culturel de la jeunesse ». Dans une note de septembre 1999, la Sûreté de l'État y notait la circulation de cassettes vidéo provenant de l'organisation d'Oussama Ben Laden.

La Sûreté indique aussi la constitution de groupes de jeunes s'érigeant en « police islamique » afin de veiller au respect des règles de vie de l'Islam dans les quartiers à forte concentration d'immigrés. Ces groupes s'en prennent aux dealers de drogues, aux prostituées et aux commerçants qui vendent de l'alcool.

À quelques exceptions individuelles près, les salafistes ne se sont pas impliqués dans le processus électoral de l'Assemblée constituante (voir plus loin) car ils rejettent le principe même d'une structure dirigeante de l'Islam, de même que celui d'élections démocratiques.

D'autres courants issus des Frères musulmans se sont carrément tournés vers le terrorisme.

F. Le parti de la libération islamique (PLI) ­ Hizb Ut-Tahrir

Issu d'une scission au sein de la confrérie des Frères musulmans en Palestine en 1948, ce mouvement prône l'édification du califat, c'est-à-dire un État islamique unitaire et transnational, dans lequel l'ummah (la communauté des croyants musulmans) est dirigée par un calife qui gouverne selon les principes de la Charia. Au besoin, le califat sera établi au moyen du Jihad. Le programme du PLI a le mérite d'être clair : la révolution globale contre toute attribution de pouvoir à l'être humain sous quelque forme ou régime que ce soit.

Il ne peut y avoir qu'un seul parti, celui de Dieu, les autres sont des partis du diable. Le PLI est particulièrement hostile aux États arabes existants auxquels il reproche de ne pas imposer la charia de façon assez rigoureuse et d'avoir cherché des compromis avec l'Amérique et Israël. Le PLI appelle à la lutte sans distinction contre Israël, sionistes et juifs entre lesquels il ne fait aucune différence. Impliqués dans plusieurs projets de coups d'État et d'attentats contre des chefs d'États arabes, bon nombre de dirigeants et membres de ce parti se sont expatriés et ont trouvé refuge en Europe occidentale, notamment en Grande Bretagne, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique où ils ont créé des structures cellulaires clandestines.

G. Tafkir Wal-Hijra

Autre dissidence des Frères musulmans créée en Egypte en 1974, le Tafkir Wal-Hijra prône l'excommunication des mauvais musulmans, la non-collaboration avec l'État et le recours à la violence contre les impies (les kafirs). Les dirigeants actuels des pays musulmans ont usurpé la souveraineté absolue de Dieu. Dissous officiellement en 1977, le mouvement est entré dans la clandestinité et s'est impliqué dans une série d'attentats et d'affrontements dans le monde arabe, notamment contre des touristes occidentaux. Suite à la répression dans leurs pays, certains membres se sont retrouvés engagés dans le Jihad en Afghanistan ou ont trouvé refuge en Europe occidentale où ils restent actifs dans la clandestinité.

Depuis la fin septembre 2001, se tient devant le tribunal correctionnel de Paris le procès de 24 islamistes soupçonnés d'appartenir au Takfir et accusés de trafics d'armes. Pendant l'instruction en 1999, certains prévenus ont déclaré que leur mouvement entretenait des liens avec le « Front islamique mondial » d'Oussama Ben Laden.

Présence du PLI et du Tafkir Wal-Hijra en Belgique

La Sûreté de l'État a aussi pu constater une recrudescence des activités du PLI en Belgique, notamment pour stigmatiser l'intervention militaire américaine et britannique en Afghanistan. Le ressortissant tunisien Nizar Trabelsi, arrêté à Uccle le 13 septembre 2001, appartiendrait quant à lui à une section locale de Tafkir Wal-Hijra. Enfin, le Hamas palestinien est présent en Belgique via l'ASBL « Al-Aqsa » à Verviers.

H. Le Milli Görüs

Le mouvement « Islamische Gemeinschaft Milli Görüs » (Communauté islamique de la voie nationale religieuse), est la plus importante organisation turque d'Europe. Fondée en 1971 en Allemagne, elle y a son siège à Kerpen près de Cologne. Après les attentats du 11 septembre 2001, des responsables politiques allemands ont demandé l'interdiction du Milli Görüs en Allemagne.

Ce mouvement constitue la branche extérieure du parti islamique turc Fazilet. Celui-ci a succédé au Parti de la prospérité (Partisi Refah) après l'interdiction de ce parti en Turquie en1998. Le parti Fazilet est lui-même interdit depuis le 22 juin 2001, en raison de son opposition au régime laïc fondé par Kemal Atatürk. Ces deux partis sont l'émanation des Frères musulmans turcs et l'ancien président du parti Refah, Necmettin Erbakan, actuellement emprisonné, a été premier ministre de Turquie entre 1995 et 1997. Le Milli Görüs nie officiellement tout lien avec le parti Fazilet étant donné que la loi turque interdit aux partis politiques de créer des organisations à l'étranger. Cette organisation est représentée en Belgique par la « Fédération islamique de Belgique » (FIB).

Fazilet et Milli Görüs sont des mouvements islamiques radicaux dans l'idéologie desquels le nationalisme occupe une place importante. Ceux-ci ont pour but ultime le renversement de la république laïque turque et la réunification des peuples turcophones de l'Asie centrale au sein d'un même État islamique gouverné par la charia. Bien qu'il s'en défende, l'idéologie du Milli Görüs se caractérise aussi par une attitude anti-occidentale. L'interdiction des partis Refah et Fazilet en Turquie aurait eu pour effet récent d'amener le Milli Görüs à prôner une idéologie moins radicale, du moins en surface, car le mouvement reste néanmoins sous le contrôle de musulmans radicaux.

En Europe occidentale, le Milli Görüs poursuit comme objectif la « réislamisation » des émigrés turcs en prônant de manière très active un islam social auprès des travailleurs de l'immigration. Son action, focalisée sur le resserrement des liens communautaires, gravite autour de plusieurs axes comme la construction de mosquées, l'enseignement coranique, la réaffirmation des valeurs de l'ancien Empire ottoman et l'aide sociale. En créant ses propres mosquées en Belgique, Milli Görüs tente d'échapper au contrôle de l'ambassade de Turquie.

La Sûreté de l'État est attentive aux manouvres d'infiltration du Milli Görüs dans les organes de l'Islam institutionnel en Belgique ainsi que dans le tissu associatif. Le suivi de ce mouvement ne relève pas du service d'analyse de l'islam, mais bien du service d'analyse de l'Europe. En effet, ce mouvement a pour ambition de se poser en porte-parole de la communauté musulmane turque émigrée et comme partenaire des autorités européennes. Le Milli Görüs encourage ses adeptes à acquérir la nationalité de leur pays d'accueil (sachant qu'un citoyen turc conserve toujours sa nationalité d'origine) et il exerce des pressions sur certains représentants politiques en ce sens. On lui prête l'intention de se constituer lui-même en parti politique européen. Ce mouvement anime une chaîne de télévision depuis l'Allemagne et diffuse un journal Milli Gazette. Il organise régulièrement au Palais des sports à Anvers des rassemblements qui peuvent rassembler 25 000 fidèles venus de toutes les communautés turques établies en Europe occidentale. Les fonds récoltés à ces occasions représentent des montants considérables.

Le Milli Görüs gère plusieurs mosquées en Belgique pour lesquelles il sollicite des subsides officiels et il cherche aussi à établir un réseau d'écoles religieuses en Europe. Ainsi il a ouvert un internat européen dans la province du Hainaut à Hensies, « l'Institut des sciences islamiques Avicenne » où des jeunes filles turques en provenance de toute l'Europe reçoivent une éducation religieuse rigoriste. La Sûreté de l'État qualifie cet enseignement d'endoctrinement fanatique.

Cet enseignement n'est pas reconnu par la Communauté française de Belgique et il ne bénéficie d'aucun subside de sa part. La direction de l'Institut entretien cependant des contacts avec de ministère en vue de faire reconnaître son enseignement et de recevoir des subventions. Ces démarches ne semblent pas avoir abouti jusqu'à présent. L'institut dispose toutefois de ressources financières non négligeables qui proviendraient de l'écot des militants, mais aussi de fonds occultes. On y constate régulièrement la présence de résidents en situation irrégulière.

Jusqu'à présent, la Sûreté de l'État n'y a détecté aucune activité suspecte qui pourrait lier cette institution au terrorisme.

I. Les organisations non gouvernementales musulmanes

Les organisations humanitaires islamiques commencent à prendre leur essor au début des années 80, à l'époque où commence le jihad contre l'occupation soviétique en Afghanistan. Ces organisations sont largement soutenues par l'Arabie Saoudite, mais aussi par l'Iran, la Turquie et la Malaisie, ainsi que par l'apport financier du système bancaire et financier islamique et de la zakat (l'aumône, l'un des cinq piliers de l'islam). Certaines de ces associations sont proches des Frères musulmans.

Pendant la guerre de Bosnie, les États sunnites, Arabie Saoudite en tête, vont privilégier l'action caritative et subsidier des organisations humanitaires islamiques, qui ne tardèrent à proliférer sur un terrain déjà occupé par des ONG occidentales. Ces organisations mettent en ouvre une conception de l'aide humanitaire associée à la propagation de la Foi, allant jusqu'à lier l'octroi de secours aux personnes à l'accomplissement des devoirs religieux. Ces organisations développent un grand nombre d'activités charitables et de propagande derrière lesquelles se dissimule un soutien actif au « Jihad » contre les oppresseurs de l'islam, notamment en Afghanistan et en Bosnie.

Disposant de réseaux en Europe, les ONG islamiques y lancèrent un mouvement de solidarité au sein de la communauté musulmane. La cause des musulmans de Bosnie était présentée comme celle de musulmans européens victimes d'une guerre de religion et d'une épuration ethnique perpétrée par des occidentaux. En dépit des politiques d'intégration des musulmans immigrés mise en oeuvre par les gouvernements occidentaux, l'avenir des musulmans en Europe ne pouvait donc passer que dans le lien religieux et la solidarité de l'oummah (la communauté des croyants).

En 1993, le gouvernement français, par la voie de son ministre de l'Intérieur de l'époque, s'est plaint ouvertement du soutien financier apporté par l'Arabie Saoudite à certains islamistes actifs sur le territoire français. Le gouvernement saoudien a alors officiellement promis de suspendre tout financement islamiste en France, mais certains observateurs déclare que ce financement se poursuit via la Ligue islamique mondiale.

Présence et activités d'ONG musulmanes en Belgique

Organisées à un niveau supracommunautaire, toutes nationalités confondues, ces organisations diffusent aussi leurs revues et leurs tracts dans les mosquées en Belgique.

La Sûreté de l'État surveille particulièrement deux ONG islamistes présente en Belgique et qui sont visées par la résolution 1333 (2000) adoptée le 19 décembre 2000 par le Conseil de sécurité des Nations Unies mentionnées (dont la mise en oeuvre en Belgique est réglée par l'arrêté royal du 17 février 2000 relatif aux mesures restrictives à l'encontre des Talibans d'Afghanistan et par leurs arrêtés ministériels d'exécution des 15 juin 2000 et 2 avril 2001.

L'organisation « Wafa Humanitarian Organization » qui figure sur la liste des organisations terroristes du Conseil de sécurité des Nations unies n'est pas active en Belgique.

J. Le chiisme maghrébin pro-iranien en Belgique

Ce phénomène touche depuis le début des années quatre-vingt la communauté immigrée originaire d'Afrique du Nord, plus particulièrement les marocains qui constituent la population d'origine étrangère non européenne la plus importante en Belgique. Celle-ci est évaluée à plus de 200 000 personnes.

Il s'agit de la mise en pratique en Belgique d'un des grands principes de la révolution iranienne de 1979, à savoir la conversion au chiisme des populations musulmanes immigrées. Cette action de prosélytisme forcené a d'abord été menée par plusieurs personnes très actives au sein de l'ambassade de la République d'Iran en Belgique. Un projet d'ouverture d'un centre culturel iranien à Bruxelles est resté lettre morte, les autorités belges lui ayant toujours refusé les autorisations nécessaires.

La manifestation la plus tangible de ce prosélytisme est apparue en avril 1986 au cours d'une manifestation de protestation dirigée contre les frappes américaines dirigées quelques jours plus tôt contre la Lybie du colonel Kadhafi. Les rues de Bruxelles ont ainsi vu défiler, au sein de milliers d'Arabes fustigeant les États-Unis, un noyau dur composé d'étudiants iraniens et de ressortissants marocains qui brandissaient des portraits de l'ayatollah Khomeiny en scandant des « Allahou Akbar » vengeurs et des slogans anti-occidentaux. Ces effigies avaient été fournies par un membre de l'ambassade d'Iran.

Choquées par cette démonstration, les autorités belges ont réagi en expulsant les diplomates iraniens que la Sûreté de l'État lui avait désignés comme principaux instigateurs de cette récupération. Mais cette mesure força l'Iran à user d'autres moyens pour poursuivre son action. Ainsi, à partir de 1989, des militants chiites libanais du mouvement « Hezbollah » ont commencé à apparaître dans les milieux maghrébins favorables à l'Iran. La Sûreté de l'État a également constaté la présence d'éléments irakiens du mouvement « Daou'a al Islamiya ».

Actuellement, la Sûreté de l'État estime à un bon millier le nombre de Marocains, d'Algériens et de Tunisiens convertis au chiisme suite à l'action des partisans de la révolution iranienne. Ils disposent à Bruxelles de deux mosquées financées par les dons des fidèles et de plusieurs associations culturelles et sportives qui affichent comme objectifs de sortir les jeunes de la délinquance et de les aider à sortir de leurs difficultés scolaires.

Ces milieux n'entretiennent plus de liens directs et visibles avec l'ambassade d'Iran mais ils ont tissé d'autres réseaux de relations directes avec Téhéran, ainsi qu'avec les autres communautés chiites établies en Europe.

La Sûreté de l'État considère que ce phénomène est inquiétant dans la mesure où il touche de plus en plus les jeunes des deuxième et troisième générations d'immigrés. Les jeunes chiites sont sensibilisés à des thèmes comme l'insurrection contre un pouvoir inique, la clandestinité, le martyr et la soumission à un chef religieux.

6.2.2. Les organes de l'Islam institutionnel en Belgique

Il n'appartient pas au Comité permanent R de retracer ici l'histoire et les péripéties survenues à l'occasion de la mise en place des organes de l'Islam institutionnel en Belgique ni les désaccords surgis entre les autorités belges et les différentes composantes de la communauté musulmane de Belgique.

Il suffira de retenir ici que la représentation du culte islamique en Belgique s'est organisée autour des organes suivants :

­ le Centre islamique et culturel de Belgique (la mosquée du parc du cinquantenaire),

­ la Diyanet turque,

­ le Conseil Supérieur des musulmans de Belgique,

­ le Conseil provisoire des sages,

­ l'Exécutif provisoire des musulmans de Belgique,

­ l'Organe chef de culte islamique, qui se fait appeler Exécutif des musulmans de Belgique.

La Sûreté de l'État est attentive aux manouvres d'infiltration extrémiste dans ces organes de l'Islam institutionnel en Belgique où sévit une lutte intense pour en prendre le contrôle. La Sûreté affirme disposer d'une bonne vue globale de la situation. Elle a adressé une bonne quarantaine de notes au ministre de la Justice et à d'autres autorités entre 1998 et janvier 2002 concernant ce sujet. La plupart de ces notes sont classifiées « confidentiels » ou « secret » quand elles sont consacrées à des personnes physiques. Le Comité résume ici le contenu de ces notes.

A. Le Centre islamique et culturel de Belgique

Ce centre est installé dans l'ancien pavillon oriental de l'exposition universelle de 1958 qui fut offert au roi Fayçal d'Arabie Saoudite en remerciement de son action philanthropique en faveur des victimes de l'incendie du grand magasin l'Innovation en 1967. En 1969, le roi Fayçal céda le centre à la Ligue islamique mondiale. Son successeur, le roi Khaled assista à la cérémonie officielle d'ouverture de la mosquée en 1978.

Le conseil d'administration du centre comprend des chefs de missions diplomatiques des pays musulmans accrédités en Belgique et auprès de l'Union européenne, entourés de cinq représentants de la communauté musulmane de Belgique. L'Imam-directeur, souvent de nationalité saoudienne, est d'obédience wahhabite dont la doctrine est tout à fait étrangère à celle de la majorité des musulmans vivant en Belgique.

Le centre a été l'un des interlocuteurs officiels des autorités belges en ce qui concerne notamment :

­ la délivrance des certificats qui permettent aux imams étrangers d'obtenir une autorisation de séjour sur le territoire belge;

­ la désignation des enseignants de religion islamique dans les écoles belges. Ce pouvoir de désignation des enseignants a été et reste toujours vivement contesté par certaines associations islamiques, d'obédience turque notamment et par les tablighis.

Depuis 1978, le centre bénéficie des dispositions du « pacte scolaire » et reçoit des subventions pour rémunérer quelque 600 enseignants religieux dans les écoles primaires et secondaires. Depuis 1989, le centre anime également l'école Al Ghazali, un institut de formation où sont enseignées les matières religieuses classiques comme l'exégèse du Coran ainsi que la langue arabe. La Sûreté de l'État y relève une influence significative des Frères musulmans.

Selon la Sûreté de l'État, le Centre islamique et culturel de Belgique est sous la coupe des Saoudiens. Les membres de l'ambassade d'Arabie Saoudite, chargés des affaires religieuses, y ont imposé le wahhabisme, la doctrine religieuse officielle rigoriste et puritaine, de ce pays, au sein de la Grande Mosquée, ceci, au grand dam des musulmans modérés qui la fréquentent habituellement. Des prêches particulièrement virulents y ont été prononcés, notamment à l'encontre de Bruxelles, qualifiée de « capitale des kafirs » (des impies). Le Dar El Iftah, l'organe juridique suprême tranchant les questions religieuses et sociale en Arabie, tente d'y introduire des membres de la police religieuse saoudienne (Al Mutawa'a), l'institution ultra-conservatrice qui contrôle les moeurs islamiques et impose les prescriptions coraniques rigoureusement. Des salafistes radicaux liés à l'association « Jeunesse bruxelloise sans frontières » sont également occupés au sein du personnel de la mosquée.

Les autorités belges se sont rapidement posé la question de la représentativité des responsables du Centre islamique et culturel, ont conçu le projet de lui substituer une sorte de consistoire musulman comme interlocuteur.

B. La Ligue islamique mondiale

Créée à La Mecque en 1962 par Fayçal Ibn Abdel Aziz, alors prince héritier du trône d'Arabie Saoudite, la Ligue islamique mondiale a pour objectifs :

­ la réalisation de l'unité et le renforcement du monde musulman, en luttant contre les ennemis de l'Islam qui veulent « exciter les musulmans à se révolter contre la religion, détruire leur unité et leur fraternité »; en clair, il s'agit des régimes laïcs et socialistes au pouvoir dans certains pays arabes;

­ l'amélioration de la qualité de l'enseignement religieux;

­ la publication d'ouvrages islamiques en langues modernes les plus répandues.

La ligue, dont la branche belge est installée au Centre islamique et culturel de Belgique, a pour vocation de soutenir les minorités islamiques établies dans les pays non musulmans. A cette fin, la ligue accorde des subventions aux associations islamiques qui créent ou entretiennent des mosquées, en particulier grâce au Conseil mondial suprême des mosquées, fondé en 1975.

La ligue accorde aussi des aides financières aux ONG et autres associations caritatives musulmanes dans le monde par l'entremise de « l'International Relief Organization ».

Dans les années quatre-vingt, le prince saoudien Turki Ibn Fayçal, fils du fondateur de la ligue et chef des services de renseignements extérieurs saoudiens, a créé la Légion islamique des Afghans également soutenue par l'ISI, le service de renseignement pakistanais. Ses volontaires sont recrutés partout dans le monde musulman, mais aussi en Europe et aux États-Unis, principalement parmi les Frères musulmans et même parmi les « tablighis » qui sont ennemis des saoudiens.

C. La Fondation religieuse islamique turque

Le Centre islamique et culturel de Belgique étant pratiquement sous contrôle arabe, et les différentes sensibilités ne se voyant pas assez représentées, les autorités turques décidèrent de fonder en 1983 la Fondation religieuse islamique turque. Cette fondation est dirigée par le département des Affaires religieuses de l'ambassade de Turquie à Bruxelles « Türkiye Diyanet Vafki », une administration qui dépend directement du premier ministre turc et qui a pour but principal de maintenir les activités religieuses de la communauté émigrée turque sous contrôle.

La « Diyanet » supervise plus de 60 mosquées en Belgique organisées sous la forme l'associations sans but lucratif et y rémunère une quarantaine d'imams et professeurs. Cette fondation gère également un fonds d'assistance mutuelle alimenté par les cotisations de plusieurs dizaine de milliers de membres. Ces fonds servent à organiser des cérémonies religieuses ainsi qu'à couvrir les frais de rapatriement et d'enterrement de ses membres décédés.

Lorsque M. Erbakan, leader du parti refah, fut nommé premier ministre de Turquie, il donna une impulsion supplémentaire à la création de mosquées turques à l'étranger via la Diyanet. Après l'éviction de M. Erbakan, le gouvernement laïc turc a repris la Diyanet sous son contrôle. Il a le projet d'ériger une Union des établissements religieux en Europe, sorte de Dyanet supranationale au niveau européen qui serait sous le contrôle de la Dyanet centrale à Ankara.

Plusieurs rapports de la Sûreté de l'État décrivent les manouvres d'ingérence que la Diyanet Vakfi développe au sein des organes de l'islam institutionnel belge (voir plus loin).

D. Le Conseil supérieur des musulmans de Belgique (CSMB)

En 1989, le Commissariat royal à la politique des immigrés (remplacé aujourd'hui par le Centre pour l'égalité des chances et de lutte contre le racisme) suggéra de constituer, par le biais d'élections organisées dans les mosquées, un Conseil supérieur des musulmans de Belgique qui deviendrait l'interlocuteur du gouvernement.

En juillet 1990, le gouvernement belge décida de mettre fin au statut d'interlocuteur privilégié du Centre islamique et culturel.

Nonobstant l'opposition exprimée par le ministre de la Justice, ce fut encore ce centre qui se chargea en janvier 1991 d'organiser dans certaines mosquées des élections d'où sortirent 89 personnes formant l'Assemblée constituante. 17 membres de cette assemblée furent désignés pour former le Conseil supérieur des musulmans de Belgique.

Les autorités belges n'ont pas reconnu ces élections. En réaction, le gouvernement installa, par l'arrêté royal du 16 novembre 1990, un Conseil provisoire des sages, composés de musulmans issus des syndicats et des mutualités belges, ainsi réputés modérés et chargés d'étudier le dossier de la représentation du culte islamique et de porter les revendications classiques des musulmans européens auprès des autorités : lieux d'abattage rituel de la viande, congés spécifiques pour le ramadan et carrés musulmans dans les cimetières. Ce Conseil ne jouissait toutefois pas d'un soutien total de la communauté musulmane et il fut remplacé en 1993 par l'assemblée constituante issue des élections de 1991, mais réduite à 51 membres.

La Sûreté de l'État qualifie le Conseil supérieur des musulmans de Belgique de « véritable foyer de sympathisants et/ou de membres des Frères musulmans et du Mili Görüs ». Celui-ci avait l'intention de se constituer en ASBL et de se positionner comme groupe de pression à l'égard des autorités belges.

E. L'Exécutif provisoire des musulmans de Belgique

Le 7 novembre 1994, le ministre de la Justice a désigné officiellement 17 personnes résidant en Belgique depuis au moins cinq ans et proposées par le Conseil supérieur des musulmans de Belgique pour assurer la représentativité des diverses tendances de l'Islam dans notre pays.

L'arrêté royal du 3 juillet 1996 officialise la mission de l'exécutif qui est de rendre au ministre de la Justice des avis concernant les différents problèmes relatifs à la représentation de l'ensemble de la communauté islamique et notamment, l'enseignement de la religion islamique et sa représentation dans les prisons et les hôpitaux. La procédure de nomination des professeurs de religion islamique, des aumôniers de prison et d'hôpitaux relève donc de l'exécutif.

F. Les organes officiels actuels : l'Assemblée constituante et l'Organe Chef de culte islamique

En 1998, l'arrêté royal du 24 juin 1998 charge l'Exécutif des musulmans de Belgique d'organiser des élections au sein de la communauté musulmane devant mener à la formation d'une Assemblée constituante.

Contrairement aux milieux salafistes radicaux, qui avaient appelé à un boycott des élections, les Frères musulmans et, dans une moindre mesure l'organisation turque Milli Görüs, s'y sont beaucoup investis via le Conseil supérieur des musulmans de Belgique. Leur intention a été de faire élire un parlement composé de 68 personnes qui aurait remplacé l'Assemblée constituante. L'Organe Chef de culte ne devait avoir aucune compétence religieuse. Sa mission devait se limiter à la gérance des biens et budgets du culte.

Via l'exécutif, des personnes proches des Frères musulmans se sont donc activement impliquées dans la préparation matérielle de ces élections. Ils ont ainsi participé aux opérations d'enregistrement des électeurs et des candidats, provoquant par-là la crainte de voir de multiples données personnelles tomber aux mains d'extrémistes. D'autres, par contre ont brandi la crainte de voir ces fichiers être utilisés par la Sûreté de l'État « à des fins hostiles aux musulmans ». Des mosquées contrôlées par les Frères musulmans ou le Milli Görüs ont été agréées comme bureaux de vote. Ces mouvements ont appelé les musulmans de Belgique à participer au vote et ont soutenu plus ou moins ouvertement certains candidats, tandis que les salafistes appelaient au boycott des élections.

L'élection de l'Assemblée constituante s'est déroulée le 13 décembre 1998. La Sûreté de l'État a constaté un certain nombre d'irrégularités mais la commission de contrôle a toutefois jugé que celles-ci n'avaient pas eu de grande influence sur les résultats du vote.

L'Assemblée constituante est formée de 68 personnes dont 51 élues et 17 cooptées (dont 7 marocains, 4 turcs, 3 belges et 3 d'autres nationalités pour assurer une représentation équilibrée). Cette assemblée avait à procéder, en son sein, à l'élection de 17 membres (dont aussi 7 marocains, 4 turcs, 3 belges et 3 d'autres nationalités) pour composer l'Organe Chef de Culte Islamique (OCCI). Les membres de cet organe devaient être agréés par le ministre de la Justice.

La mise en place de l'OCCI comme seul interlocuteur officiel de l'État belge pendant cinq ans devait entraîner la dissolution de l'Exécutif provisoire des musulmans de Belgique et celle de l'Assemblée constituante. En pratique l'OCCI continue à se faire appeler exécutif des musulmans de Belgique tandis que l'Assemblée constituante maintient une pression sur les membres de l'exécutif.

En accord avec les autorités belges, l'OCCI doit régler le statut d'environ 800 professeurs de religion islamique, le financement des mosquées, la rétribution des imams (salaires et pensions), la présence d'aumôniers dans les prisons et les hôpitaux ainsi que la concession d'émissions religieuses à la radio et à la télévision.

Les membres les plus connus des Frères musulmans ne se sont pas présentés aux élections, mais ils ont ainsi réussi à faire élire un certain nombre des personnes influencées par leur idéologie au sein de l'Assemblée constituante; ils ont aussi présenté des candidats au sein de l'Organe Chef de culte. Les ambassades d'Arabie Saoudite, de Turquie (via la Diyanet) et du Maroc ont également présenté de manière détournée des candidats proches de leurs régimes, ce qui, pour la Sûreté de l'État, pose le problème de l'ingérence éventuelle d'États étrangers dans les affaires intérieures du Royaume.

Comme les membres de l'OCCI devaient être agréés par le ministre de la Justice, celui-ci fit procéder à un « screening » des candidats par la Sûreté de l'État. Cette opération avait pour objectif d'éviter la désignation de personnes professant des idées extrémistes ou influencées par des intérêts étrangers. La Sûreté de l'État a donc effectué ce « screening » en deux phases : d'abord sur les 54 membres de l'Assemblée constituante qui se sont portés candidats à l'Organe Chef de culte, deuxièmement sur les 17 personnes désignées par l'assemblée pour siéger effectivement dans l'OCCI. La Sûreté de l'État a ainsi communiqué au ministre de la Justice un avis sur chacune des personnes ainsi proposées.

Pour rendre un avis sur ces candidats, la Sûreté de l'État a tenu compte de différents critères tels que leurs idéologies, leurs comportements et prises de position, ainsi que leurs liens avec des mosquées, associations, groupes ou mouvements extrémistes (Frères musulmans), voire violents (FIS, GIA). Le premier « screening » aboutit à rendre 29 avis positifs et 25 défavorables. Suite au deuxième « screening », 16 membres seulement reçurent un avis favorable de la Sûreté de l'État. Le principe de cette sélection ne semble cependant pas avoir été accepté par tous les membres de l'Assemblée constituante.

La Sûreté de l'État reconnaît la difficulté de procéder à un screening rigoureux mais elle estime que cette opération a permis d'écarter les éléments islamistes les plus fanatiques de l'Organe Chef de culte, et cela malgré la tactique électorale mise en oeuvre par les Frères musulmans. Néanmoins, tant le Conseil supérieur des musulmans de Belgique, qui n'est pas reconnu par le gouvernement belge, que l'Assemblée constituante, continuent à fonctionner sous l'influence des Frères musulmans et du Milli Görüs.

Les membres les plus extrémistes de l'Assemblée constituante tentent de conserver le contrôle sur l'OCCI en proposant une charte selon laquelle cet organe serait lié par les résolutions de l'assemblée. Celle-ci s'est d'ailleurs dotée de diverses commissions présidées chacune par un fondamentaliste.

L'OCCI constitué en 1998 n'a donc jamais réellement été investi de la confiance des membres de l'Assemblée constituante. Alors que celle-ci était pourtant appelée à disparaître, et cherchant à passer outre l'avis des autorités, l'assemblée a plusieurs fois invité les membres de l'OCCI à démissionner de leur mandat. Le 27 janvier 2001 déjà, cette assemblée a voulu mettre en place un nouvel organe chef de culte, composé de personnes proches des Frères musulmans et du Milli Görüs. Le début de l'année 2002 vit encore une tentative de l'assemblée constituante de forcer les membres de l'OCCI à la démission. Son président semble avoir perdu tout crédit auprès des autres instances de l'islam.

Pour le ministre de la Justice, le renouvellement partiel de cet organe ne doit pas intervenir avant l'année 2003. En attendant, les membres désignés en 1998 restent les seuls qu'il reconnaît comme interlocuteurs officiels.

Le Conseil supérieur des musulmans de Belgique essaye, quant à lui, de se positionner comme unique autorité morale puisque l'exécutif et l'Organe Chef de culte n'exercent que des compétences techniques. Le conseil, lui aussi, a tenté à de multiples reprises d'influencer les décisions de l'exécutif, puis celles de l'Organe Chef de culte. Une partie de l'argent de l'exécutif aurait d'ailleurs été utilisée par le conseil.

La Sûreté de l'État a plusieurs fois recommandé qu'un règlement d'ordre intérieur fixe les compétences respectives de l'assemblée constituante et l'exécutif ainsi que les relations entre ces deux organes. La Sûreté de l'État considère également d'un oeil très critique les propositions plusieurs fois réitérées, notamment par les salafistes, et reprise à son compte par l'Assemblée constituante, d'ériger un nouveau « conseil des sages » en autorité spirituelle des musulmans de Belgique.

L'influence que tentent de prendre les instances d'Arabie Saoudite dans le fonctionnement du l'OCCI est l'un des sujets actuels d'attention de la Sûreté de l'État.

Vu l'accroissement des tensions internes au sein de ces organes, auxquelles ne sont pas étrangères les interventions de certaines ambassades (Maroc, Turquie et Arabie Saoudite), la Sûreté de l'État a signalé au ministre de la Justice qu'elle n'excluait pas une rupture prochaine de l'assemblée constituante avec les autorités belges.

En attendant, une « Fédération des unions de mosquées » s'est érigée comme porte-voix alternatif de la communauté islamique par rapport à l'OCCI. Cette fédération entend jouer un rôle actif dans le processus devant conduire à la reconnaissance des mosquées subsidiées.

6.3. La reconnaissance des mosquées par le ministre de la Justice ­ Rôle de la Sûreté de l'État

Répondant le 2 octobre 2001 à une interpellation parlementaire sur le subventionnement de l'islam (78), le ministre de la Justice a indiqué que dans les trois années suivantes, 125 mosquées seraient reconnues, dont 75 dans le courant de l'année 2002. Pour être reconnues, ces mosquées ne devront pas subir d'influence excessive de l'étranger. Les imams proposés par l'exécutif seront soumis à un screening et ils devront s'abstenir de toute activité politique. Un imam payé par l'État belge ne pourra recevoir aucune rémunération de l'étranger. Si la mosquée organise des activités qui sont en contradiction avec les règles de droit belges, la reconnaissance pourra être retirée par arrêté royal.

Au cours de l'année 2001, la Sûreté de l'État a transmis au ministre de la Justice plusieurs avis sur les mosquées que l'Exécutif des musulmans de Belgique propose de faire reconnaître par les autorités en vue d'un financement public. La Sûreté de l'État reconnaît qu'elle manque d'informations récentes sur certaines mosquées dont il n'est pas toujours facile de déterminer le caractère radical ou non. L'orientation d'une mosquée peut en effet évoluer dans le temps, dans un sens ou dans l'autre, selon la personnalité de (ou des) imams qui y mènent la prière. La fréquentation occasionnelle ou régulière d'une mosquée « modérée » par des éléments radicaux peut la faire évoluer dans ce sens, mais inversement, la Sûreté de l'État a également observé des évolutions vers plus de modération et de tolérance. Il est donc impossible de dresser une liste définitive et intangible des mosquées extrémistes en Belgique.

Pour déterminer le caractère radical ou non d'une mosquée, la Sûreté de l'État a retenu les critères suivants qui ont d'ailleurs été discutés avec des représentants de l'Exécutif des musulmans de Belgique :

­ le profil de (des) imams qui en assure la direction;

­ la teneur des prêches qui y sont tenus lors de la prière du vendredi;

­ la fréquentation par des fidèles au profil intégriste;

­ les liens (structurels ou non) que la mosquée entretient avec des organisations fondamentalistes, que ce soit au niveau national ou international;

­ la diffusion éventuelle de propagande islamiste dans ses locaux;

­ le profil des candidats appuyés par la mosquée lors de l'élections de l'Assemblée constituante en décembre 1998.

La Sûreté de l'État a aussi indiqué au ministre quelles sont les mosquées gérées ou sous influence d'un gouvernement étranger, sans que cela signifie qu'elles aient une orientation radicale. À cet égard, les mosquées gérées par la Fondation religieuse islamique turque de Belgique ne sont pas notées défavorablement par la Sûreté de l'État. Par contre, toutes celles qui sont dirigées par le Milli Görüs sont répertoriées comme radicales.

En règle générale, sur les quelques trois cents mosquées établies en Belgique, une trentaine seulement peuvent, selon la Sûreté de l'État recevoir le label « radical ». Mais force a été de constater que la plupart des mosquées, et non des moindres, proposées à la reconnaissance du ministre par l'Exécutif des musulmans de Belgique étaient bien connues par la Sûreté de l'État soit pour leur orientation radicale, soit pour être financée par un pays étranger.

6.4. Autres activités d'influence développées au sein d'institutions belges

Partis politiques et syndicats

Une liste de candidats d'origine immigrée, intitulée NOOR (la « lumière » en arabe) s'est présentée aux élections de la Chambre des représentants du 13 juin 1999. Avec un programme politique se réclamant ouvertement de l'islam, cette liste a obtenu 1 224 voix dans l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvoorde. Selon la Sûreté de l'État, ses candidats étaient surtout des nationalistes marocains. Certains parmi eux entretiennent des liens sporadiques avec les Frères musulmans.

La Sûreté de l'État a également noté les nombreuses manouvres de lobbying que des personnes proches des milieux islamistes exercent sur des mandataires de partis politiques belges, de même que dans des syndicats. La Sûreté sait que certains éléments islamistes tentent d'influencer de manière plus ou moins occulte des personnalités politiques belges, notamment en vue de favoriser des demandes de naturalisation ou d'obtenir des subsides pour des mosquées pourtant réputées extrémistes.

Administrations, enseignement, pouvoir judiciaire

L'Office des étrangers questionne la Sûreté de l'État sur les demandes de dérogation de nationalité introduites par des étrangers qui veulent exercer en Belgique des fonctions enseignantes : il s'agit surtout de professeurs de religion islamique. Bien qu'elle ait noté que certains professeurs professaient des opinions extrémistes ou entretenaient des liens avec des organisations islamistes, la Sûreté de l'État n'a pas encore constaté d'influence notable de tels mouvements sur l'enseignement religieux islamique dans les écoles belges. La Sûreté regrette néanmoins de ne pas être mise au courant, ni consultée pour la désignation de professeurs de religion islamique qui ont la nationalité belge.

La Sûreté de l'État a connaissance d'éléments islamistes présents dans l'administration fédérale ou proches de la magistrature.

6.5. Les réactions de la communauté musulmane de Belgique aux événements récents de l'actualité

Réactions après les attentats du 11 septembre 2001

Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, la Sûreté de l'État a régulièrement adressé des notes aux autorités ainsi qu'au ministre de la Justice pour décrire les réactions que ces événements suscitaient en Belgique. Ces rapports, classifiés « confidentiel », se sont penchés en particulier sur les réactions des communautés arabes et turques.

L'Exécutif des musulmans de Belgique a condamné les attentats et a recommandé aux imams de prêcher avec modération lors de la prière du vendredi suivant. D'une manière générale, la Sûreté de l'État note qu'effectivement, dans leur grande majorité, les musulmans de Belgique, qu'ils soient arabes ou turcs, condamnent les attentats et réagissent avec compassion à l'égard des victimes. Ces sentiments sont cependant mitigés. Beaucoup pensent en effet que les USA paient le prix de leur soutien inconditionnel à Israël. La Sûreté de l'État constate aussi qu'il existe aussi un net ressentiment de la communauté musulmane à l'égard de l'Occident et des juifs par qui elle se sent humiliée. Ce sentiment s'est encore renforcé pendant les opérations militaires américaines et britanniques en Afghanistan.

Nombreux sont aussi les musulmans qui craignent les conséquences des attentats sur l'image de l'Islam dans le monde occidental. Certains ont parlé d'hystérie anti-arabe ou anti-islamique; ils ont exprimé la crainte d'actes de représailles à leur égard ou contre des mosquées et ont demandé une protection de la police. La Sûreté de l'État n'a cependant pas noté d'incitation explicite à la haine ou à des actes de violence contre les arabes et les musulmans. En revanche, la Sûreté de l'État a remarqué un certain nombre de mosquées (surtout de tendance salafiste) dans lesquelles des imams et des fidèles se sont ouvertement réjouis (ou de manière à peine voilée) des attentats et où des discours anti-occidentaux et anti-sémites ont été tenus (y compris à la grande mosquée de Bruxelles). Certains imams soutiennent plus ou moins ouvertement Oussama Ben Laden et prédisent d'autres attaques contre les États-Unis tandis que d'autres cherchent à canaliser les sentiments anti-occidentaux et anti-sémites des jeunes. Les imams opposés à Oussama Ben Laden n'osent trop le dire de crainte d'être stigmatisés en tant que « collaborateurs des occidentaux ».

Le Milli Görüs n'a pas réagi officiellement aux attentats en raison de dissensions internes. En principe, il condamne la violence mais en interne, beaucoup de militants approuvent les attentats. Parmi les Frères musulmans, il se dit que ce sont les services secrets israéliens qui ont planifié et monté les attentats afin de provoquer une violente réaction des américains et des occidentaux contre les palestiniens, les talibans et les musulmans en général. Les Frères musulmans craignent donc d'être davantage visés par les services de renseignement occidentaux et observent une attitude prudente.

Dans un premier temps, la Sûreté de l'État a craint que le ressentiment des musulmans envers les juifs ne puisse dégénérer en actions violentes contre la communauté juive de notre pays. Par la suite, elle a indiqué qu'elle ne disposait d'aucun élément laissant présager que des actes pouvant troubler la sécurité ou l'ordre public étaient en préparation.

Réactions pendant les opérations militaires américaines et britanniques en Afghanistan

Au cours du dernier trimestre de l'année 2001, la Sûreté de l'État a également adressé des notes aux autorités ainsi qu'au ministre de la Justice décrivant les réactions de la communauté musulmane en Belgique aux opérations militaires occidentales entreprises contre les talibans en Afghanistan.

La plupart des mosquées observent une attitude prudente et modérée face à ces opérations; il n'y est fait que très peu d'allusions au cours des prêches du vendredi. La Sûreté de l'État a cependant noté que des collectes avaient été organisées au profit de « coreligionnaires en péril », à savoir les populations d'Afghanistan et du Pakistan.

Beaucoup de membres de la communauté immigrée arabe considèrent cependant ces opérations militaires comme un acte hostile à l'Islam et aux musulmans en général. Ceux-là doutent de l'implication d'Oussama Ben Laden dans les attentats du 11 septembre 2001 et se font l'écho de rumeurs impliquant les services secrets israéliens, voire même américains dans ces attentats. Pour eux, le monde musulman est victime d'un complot à grande échelle de la part des juifs, des américains et des « croisés » (les chrétiens) visant à détruire l'Islam. L'extension possible de ces opérations militaires occidentales à d'autres pays arabes renforcerait bien sûr ce sentiment. Que les musulmans soient pointés du doigt et stigmatisés tant aux États-Unis qu'en Europe, est ressenti comme une humiliation et une preuve qu'ils ne peuvent s'intégrer dans la société occidentale. Seuls quelques intellectuels musulmans, parmi lesquels Tariq Ramadan, en appellent cependant au sens critique et à l'introspection (79).

Des mouvements islamistes, comme le Parti de la Libération islamique, profitent de cet état d'esprit pour diffuser leur interprétation anti-occidentale du Coran. Le discours s'est durci dans certaines mosquées jusqu'alors considérées comme modérées par la Sûreté de l'Etat. Certains imams, de même que le responsable de l'association « Jeunesse bruxelloise sans frontières » ont d'ailleurs exhorté leurs fidèles à se préparer à la « Guerre sainte » (Jihad). De même, certains islamistes en Belgique pourraient être tentés de répondre à de tels appels déjà lancés par des idéologues extrémistes établis à l'étranger mais la Sûreté de l'Etat reconnaît qu'elle ignore encore comment de tels appels pourraient se concrétiser dans notre pays. Elle déclare ne pas disposer d'élément qui indiquerait que des islamistes belges seraient réellement prêts à commettre des actes de terrorisme, mais elle n'exclut pas non plus une telle éventualité.

Dans ces circonstances, la Sûreté de l'État a pourtant conclu qu'elle ne disposait d'aucun élément laissant présager que des actes pouvant troubler la sécurité ou l'ordre public étaient en préparation. Elle se déclare cependant très attentive aux appels lancés par certains à la « Guerre sainte ». Un rapport de décembre 2001 indique que les motifs de ressentiment de la communauté musulmane se sont alors davantage cristallisés sur les événements du Proche-Orient et la cause palestinienne.

6.6. La participation de la Sûreté de l'État à des enquêtes judiciaires.

En ce qui concerne la collaboration avec le ministère public, la transmission de certains renseignements de la Sûreté de l'État se heurtait au problème du « danger source » et/ou au niveau de classification de l'information.

Le protocole de 1998 réglant la collaboration entre la Sûreté de l'État et le ministère public a résolu le problème en prescrivant une procédure d'échange et de protection des données. Ce protocole a été réactualisé en 1999.

La Sûreté de l'État prête donc, actuellement, son concours à plusieurs affaires concernant la mouvance islamiste algérienne et internationale, au stade de l'information ou de l'instruction. Des renseignements sont transmis soit au magistrat national chargé de coordonner le volet judiciaire de l'enquête, soit au juge d'instruction en charge du dossier.

De plus, une structure de coordination (Task Force) a été mise sur pied sur l'initiative du magistrat national, maître des enquêtes judiciaires, réunissant autour de lui tous les services concernés afin de coordonner les enquêtes menées et d'échanger des renseignements de nature judiciaire ou relatifs au maintien de l'ordre. On retrouve donc lors des réunions, outre le magistrat national et d'autres magistrats concernés, des représentants des services suivant :

­ le Groupe Interforces anti-terroriste,

­ la Sûreté de l'Etat,

­ la gendarmerie (à présent la police fédérale),

­ le SGR (si l'objet de la réunion justifie sa présence),

­ éventuellement tout autre service pouvant être concerné.

Dans cette structure, la Sûreté de l'État a plutôt pour mission d'analyser les renseignements recueillis sur les groupes, associations et mouvements qui sont repris dans sa liste des sujets.

En cas d'événements graves, la Task Force se réunit d'urgence pour démarrer les enquêtes nécessaires et répartir les tâches entre les services concernés.

Quelques enquêtes

La Sûreté de l'État n'a pas manqué de faire connaître au public quelques-unes uns des enquêtes judiciaires auxquelles elle a collaboré avec succès dans le cadre de la lutte contre des groupes islamistes terroristes. Mais la Sûreté de l'État a aussi collaboré de manière plus discrète à d'autres enquêtes.

6.6.1. L'arrestation d'Ahmed Zaoui et de Tarek Maaroufi (mars 1995).

La surveillance que la Sûreté de l'État a exercée sur les activités d'Ahmed Zaoui, leader du FIS en exil en Belgique, a permis, le 1er mars 1995, à la police belge de démanteler son réseau d'appui logistique au GIA.

Ce réseau ne paraît pas avoir été mis sur pied pour participer directement à la violence en Algérie, mais plutôt pour procurer du matériel et des planques discrètes à des éléments des groupes islamiques armés réfugiés en Belgique. Le réseau, coordonné opérationnellement et financièrement à partir de la Grande Bretagne (où auront lieu des arrestations), n'apparaît pas être organisé de manière très « professionnelle »: ses voitures sont mal maquillées, elles tombent en panne, les munitions ne sont pas stockées de manière adéquate, les armes sont rudimentaires, etc.

Les services français reprochèrent alors aux services belges d'être intervenus trop tôt dans cette affaire. Une bonne coopération entre services européens a pourtant permis de mettre à jour les nombreuses ramifications internationales de ce réseau et de déclencher d'autres enquêtes judiciaires à l'étranger.

Les arrestations qui s'ensuivirent suscitèrent déjà un tract de menaces signé par le GIA.

Arrêté et condamné à Bruxelles en 1995, Ahmed Zaoui a purgé sa peine et a été assigné à résidence dans une commune bruxelloise avant de reprendre le chemin de l'exil vers la Suisse d'abord, vers le Burkina Faso ensuite, d'où il continue de jouer un rôle moteur dans l'encadrement de la lutte armée en Algérie. Ces arrestations et ces condamnations portèrent un coup d'arrêt aux activités du GIA en Belgique.

Arrêté en même temps que Zaoui, le ressortissant Tunisien Tarek Maaroufi avait déjà attiré l'attention de la Sûreté de l'État comme élément du Front islamique tunisien, le bras armé de l'opposition au régime du président Ben Ali. Il était alors suspecté d'avoir séjourné dans des camps d'entraînement en Afghanistan. Condamné à trois ans de prison pour trafic d'armes, il sera libéré fin 1996. Il sera perquisitionné en mai 1998 suite aux arrestations de la rue Wéry. Son nom réapparaît également en 2001 en relation avec l'assassinat du commandant afghan Ahmed Massoud.

6.6.2. Découverte d'un réseau de trafic d'armes suite à un attentat à la grenade contre des gendarmes à Villeroux (11 décembre 1995).

L'attentat du 25 juillet 1995 à la station de métro Saint-Michel à Paris a provoqué la mort de 10 personnes et causé des blessures à 250 autres victimes. Cet événement a renforcé la coopération antiterroriste en Europe.

Dans la nuit du 11 au 12 décembre 1995, une patrouille de gendarmerie de la brigade d'Arlon, constatant un excès de vitesse, prend en chasse une voiture immatriculée au Luxembourg. Le conducteur avait refusé de répondre aux injonctions. À plusieurs reprises, les fuyards tentent d'emboutir le véhicule de la gendarmerie. La voiture luxembourgeoise ayant terminé sa course dans un rail de sécurité à hauteur de Villeroux près de Bastogne, la poursuite se poursuivit à pied à travers les campagnes. Les gendarmes ayant tiré quelques coups de feu en guise de sommation, ceux-ci reçurent pour réponse un jet de grenade qui blessa l'un d'eux. Ce incident, banal au départ, aura pour aboutissement le démantèlement d'un réseau islamiste de trafic d'armes.

En effet, les informations dont disposait la Sûreté de l'État ont permis d'identifier les protagonistes de cette fuite et de ce jet de grenade. Il s'agissait de six militants islamistes liés au GIA. Parmi eux, quatre ressortissants marocains et deux bosniaques.

Ici aussi, la coopération des services européens a permis de mettre à jour les ramifications internationales du réseau et de provoquer des poursuites judiciaires dans différents pays. Un stock d'armes fut découvert chez un ressortissant bosniaque domicilié au Grand-duché de Luxembourg le 9 avril 1996 et qui avoua avoir obtenu ces armes en Belgique.

En mars 1997, un armurier belge fut perquisitionné et inculpé du chef l'association de malfaiteur et de commerce illicite d'armes de guerre.

6.6.3. La prise d'otages à Deerlijk (29 mars 1996).

Le 29 mars 1996, à Roubaix, la police française prend d'assaut la planque d'une bande de malfaiteurs soupçonnés d'avoir braqué des fourgons dans le nord de la France de juillet 1995 à mars 1996. Quatre malfaiteurs sont tués lors de l'assaut. Des armes et de la propagande islamiste sont saisies dans les décombres de la maison. Deux malfaiteurs ont réussi à prendre la fuite parmi lesquels un jeune Français converti à l'islam. Leur voiture est interceptée en Belgique sur l'autoroute Lille-Gand, à Deerlijk (près de Courtrai).

Le Français est tué et son comparse se réfugie dans une maison où il prend en otage la propriétaire et sa femme de ménage. Il finira par se rendre, en fin de soirée, après sept heures de siège, épuisé par ses blessures. Jugé en janvier 1997, il sera condamné à treize ans de prison.

La Sûreté de l'État n'est pas intervenue directement dans cette affaire mais elle put a posteriori analyser ses éléments et découvrir ses liens avec la Bosnie.

6.6.4. L'arrestation de Farid Melouk et consorts (1995-1998).

En 1998, de patientes opérations de filatures et d'observation menées par la Sûreté de l'État ont permis aux autorités judiciaires de procéder à l'interpellation de sept militants islamistes au nº 28 de la rue Wéry à Bruxelles. Ces arrestations furent suivies d'une série de perquisitions aux différents endroits visités précédemment par ces individus. Un huitième individu sera arrêté à Schaarbeek.

L'un d'eux, Farid Melouk, de nationalité marocaine, s'est retranché pendant plus de treize heures dans une mansarde de l'immeuble de la rue Wéry. Son arrestation nécessitera l'intervention de l'Escadron spécial d'intervention de la gendarmerie (ESI). L'intéressé a été condamné en France par défaut pour sa participation à l'attentat du 25 juillet 1995.

Selon l'analyse de la Sûreté de l'État, ce réseau s'apprêtait à commettre des attentats en France à l'occasion de la coupe du monde de football. Le modus operandi de ce réseau apparaît plus professionnel. Des faux-papiers ont été saisis ainsi qu'une charte fondatrice d'un « Groupe islamique combattant marocain. »

6.6.5. Les menaces du GIA en 1999.

Le Comité permanent R a tenté de s'intéresser de manière plus approfondie à cette affaire mais son enquête s'est heurtée à une objection soulevée par l'administrateur général de la Sûreté de l'État en application de l'article 48, § 2, alinéa 2, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements.

Les faits : le 1er mars 1995, la police belge a démantelé un réseau logistique des GIA aux nombreuses ramifications internationales. Ces arrestations suscitèrent déjà un tract de menaces signées du groupe.

Daté du 11 juin 1999, un tract émanant du groupe Abou Hamza al-Afghani, diffusé par l'agence France Presse, a juré de se venger des services de renseignement qui réussiraient à les identifier. Un exemplaire de ce tract est arrivé à l'ambassade de France à Bruxelles, un ou deux autres à Paris.

Le 22 juin 1999 également, la presse arabe (Al Hayat et Al Azar) a publié un communiqué signé par le « Groupe islamique armé ­ Émir des bataillons (brigades) des martyrs : Abou Hamza al-Afghani ­ 11 juin 1999 ». Dans ce communiqué, le GIA annonçait l'intensification de ses actions ainsi que l'extension de la « guerre sainte » à l'extérieur de l'Algérie. Il promettait « de la terreur et des bains de sang aux gouvernements impliqués dans la répression des combattants » et il annonçait qu'il ajoutait à la liste des ennemis de l'islam « tous les pays signataires du document qui condamne la guerre sainte ».

Le 28 juin 1999, l'ambassade de France en Belgique a reçu par la poste un « communiqué spécial » adressé au Roi de Belgique Albert II. Ce communiqué, daté du 25 juin 1999 était lui aussi signé par « Groupe islamique armé ­ Émir des bataillons (brigades) des martyrs ­ Europe : Abou Hamza al-Afghani ».

Ce communiqué « reprochait :

­ au couple despotique occidental, composé de la France colonisatrice et de la Belgique croisée, qui méprise l'islam, d'avoir mis au point une stratégie maligne concernant les échanges de détenus du groupe dans le but de les interroger sous la torture par les fonctionnaires français.

­ le fait que l'accord conclu entre le gouvernement belge, représenté par le chef des services de renseignements, et leurs frères, n'ait pas été respecté. Dans cet accord, le gouvernement belge s'engageait à ne pas agresser et ne pas porter atteinte aux effectifs du groupe durant l'été 1996 et à tenter de circonscrire et freiner l'action des services de renseignements qui travaillent pour le compte du régime algérien. En contrepartie, les frères s'engageaient à ne pas porter atteinte à la Belgique et à garantir le départ du cheikh Abou Hodeyfa.

­ à la Belgique de ne pas respecter son engagement qui consistait à ne pas provoquer les musulmans. Qu'elle avait au contraire profané les maisons de Dieu, arrêté leurs hommes, devenant après la France le deuxième vecteur de la lutte contre l'islam et perturbant le courant de la guerre sainte ».

Le GIA accordait un délai de vingt jours pour exécuter les exigences suivantes :

­ mettre fin aux tortures infligées à leurs frères;

­ libérer les combattants détenus, d'abord les frères de Belgique, ensuite faire revenir en Belgique ceux qui ont été éloignés;

­ lever les interdictions des frères qui sont sous surveillance et mettre fin à leurs résidences surveillées, ainsi qu'à celles de leurs proches;

­ arrêter les provocations vis-à-vis des musulmans, respecter la totalité de leurs droits et ne pas s'immiscer dans leurs affaires.

Dans le cas où ces conditions ne seraient pas respectées dans le délai prescrit, le GIA promettait au pays et à ses habitants malheur et bains de sang. Le prix de chaque jour de retard serait la destruction d'églises et de lieux de culte, d'habitations ainsi que des égorgements.

Le Comité permanent R ayant chargé son Service d'enquêtes d'enquêter sur cette affaire a reçu la réponse suivante le 24 décembre 1999 : « Les enquêtes de la Sûreté de l'État au sujet du Groupe Islamique Armé et des menaces proférées par le groupe Hamza el Afghani sont menées en collaboration avec des juges d'instruction ou un membre du Parquet. (Suivent les noms des magistrats en charge de ce dossier). De ce fait, toute audition de membres du personnel de la Sûreté de l'État ne pourrait qu'aboutir à révéler des informations secrètes de ces instructions ou informations, ce que prohibe l'article 48 § 2 alinéa 2 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements. Il ne me paraît dés lors contre indiqué que des investigations soient entreprises concernant des enquêtes de mon service à contenu judiciaire, alors que l'instruction est toujours en cours. » Signé : Godelieve Timmermans, administrateur général a.i.

En effet, il est apparu au Comité permanent R que trois instructions judiciaires étaient en cours ainsi qu'une information menée par le parquet de Bruxelles en relation avec cette affaire et visant plusieurs personnes résidant en Belgique, connues comme sympathisants actifs de la mouvance islamiste algérienne. Le Comité R a cependant estimé qu'il était excessif en l'espèce d'invoquer l'article 48, § 2, de manière générale pour faire obstacle dans sa totalité à l'enquête de contrôle.

Pour la Sûreté de l'État, les exigences mentionnées dans le communiqué « Abou Hamza al-Afghani » du 25 juin 1999 résultent des succès remportés par les services compétents en la matière, et du passage devant les tribunaux des militants islamistes impliqués. Les autorités belges ont pris les menaces du GIA très au sérieux bien que la Sûreté de l'État fût plus que sceptique sur les capacités réelles et la volonté du GIA de les mettre en oeuvre. S'agissait-il de menaces réelles ou d'une opération d'intoxication ? La Sûreté de l'État se pose encore la question aujourd'hui. Tarek Maaroufi, condamné en 1995 avec Zaoui (alias cheikh Hodeyfa), puis libéré en 1996, a, à plusieurs reprises, désavoué formellement les menaces proférées à l'encontre de la Belgique.

6.6.6. L'arrestation de Nizar Trabelsi (13 septembre 2001)

Le 13 septembre 2001, la police fédérale a procédé à l'arrestation de trois personnes à Uccle, parmi lesquelles le ressortissant tunisien Nizar Trabelsi, joueur de football professionnel résidant en Allemagne. Celui-ci est soupçonné d'être un responsable local du mouvement Tafkir wal-Hijra et d'entretenir des liens avec des extrémistes au Pakistan.

À ce stade de l'enquête, ces arrestations semblent étrangères aux attentats du 11 septembre 2001. Le dossier, qui était à l'instruction depuis l'année 2000, a pourtant été réactivé par la réception d'informations provenant du service de renseignement néerlandais BVD (« Binnenlandse Veiligheidsdienst ») selon lesquelles des attentats se préparaient contre des intérêts américains en Europe, à Paris en particulier. Les personnes arrêtées ont été inculpées l'association de malfaiteurs. Elles appartiendraient à un réseau basé en France avec des ramifications opérationnelles en Belgique et aux Pays-Bas.

Cette opération est le résultat d'une bonne collaboration entre la police fédérale, la Sûreté de l'État ainsi qu'avec des services de police et de renseignement étrangers. Les suspects auraient été arrêtés grâce à des écoûtes téléphoniques réalisées par le service de renseignement néerlandais.

Le 14 septembre 2001, la Sûreté de l'État a publié un communiqué de presse intitulé « La Sûreté de l'État démontre son utilité en tant que service de renseignement. Un travail intensif de renseignement a contribué à la mise à disposition du parquet d'extrémistes islamistes ». Ce communiqué largement relayé par les médias insiste notamment sur la nécessité d'adopter une loi permettant à la Sûreté de l'État de procéder à des écoûtes administratives.

6.6.7. La saisie d'explosifs au restaurant « Le Nil ».

Le 23 octobre 2001, la Police fédérale a saisi 100 kilos de produits chimiques destinés à fabriquer un produit explosif artisanal. Ces produits étaient stockés dans l'arrière salle du restaurant égyptien « Le Nil » situé boulevard Lemonnier à Bruxelles et dont les exploitants ont été arrêtés. Cette perquisition est une conséquence de l'arrestation de Nizar Trabelsi. Il semble qu'un attentat était fomenté contre l'ambassade américaine à Paris et que ses auteurs avaient entamé la phase d'exécution. Une enquête judiciaire suit son cours.

6.6.8. L'assassinat du commandant afghan Ahmed Massoud ­ la seconde arrestation de Tarek Maaroufi.

La presse a rapporté que les deux auteurs de l'attentat suicide perpétré le 9 septembre 2001 contre le commandant afghan Ahmed Massoud étaient les nommés Kassim Bocouli et Karim Souzani, originaires du Maroc mais vivant en Belgique. Ceux-ci étaient titulaires de passeports belges dérobés dans les consulats de La Haye et de Strasbourg.

Le 28 septembre 2001, le Comité permanent R a décidé d'ouvrir une enquête très ponctuelle en vue de savoir si la Sûreté de l'État connaissait les intéressés lors de leur séjour éventuel en Belgique.

La Sûreté de l'État estimait que les identités dévoilées par la presse devaient être fausses. Ce service a apporté une contribution déterminante dans les progrès de l'enquête judiciaire en reconnaissant formellement sur une séquence vidéo le dénommé Abdesattar Dahmane comme l'un des deux auteurs de l'attentat suicide. Il s'agit d'un sujet tunisien qui avait séjourné en Belgique de 1988 à 1999. Il avait reçu un ordre de quitter le territoire en 1998.

Cette identification permit au juge d'instruction de mener différentes perquisitions dans la mouvance islamiste à Bruxelles, à Mons et à Louvain en vue de découvrir d'autres traces de complicités en Belgique avec les assassins du commandant afghan Ahmed Shah Massoud. Il apparaît que d'autres passeports belges appartenant aux mêmes lots que ceux volés à La Haye et à Strasbourg ont été utilisés dans le passé par des individus gravitant dans les milieux islamistes internationaux, proches de la mouvance arabo-afghane.

Au mois de décembre 2001, l'islamiste tunisien Tarek Maaroufi est de nouveau arrêté et inculpé l'association de malfaiteur et d'usage de faux (soit des sceaux falsifiés utilisés notamment en vue de l'assassinat de Massoud). Il est également accusé de recruter pour une troupe se trouvant sur le territoire d'un État étranger. C'est lui qui aurait recruté Abdesattar Dahmane, alors qu'il séjournait en Belgique, pour rejoindre les camps afghans des talibans.

Les liens que Maaroufi entretenaient avec un groupe islamiste à Milan faisaient par ailleurs l'objet d'une attention particulière de la police antiterroriste italienne, la DIGOS, laquelle a procédé à des écoûtes de conversations téléphoniques passées entre Maaroufi et l'Italie. Ce dernier a fait l'objet d'une demande d'extradition de la part des autorités italiennes qui le soupçonnent d'avoir préparé un attentat contre l'ambassade américaine à Rome.

6.7. Évaluation de la collaboration de la Sûreté de l'État avec les autorités judiciaires

Le 25 janvier 2001, le chef du service d'Enquêtes s'est mis en rapport avec le juge d'instruction bruxellois chargé notamment de certains dossiers en rapport avec l'Islamisme.

L'appréciation du magistrat peut être résumée de la manière suivante. Sur un plan plus technique, le juge d'instruction a précisé qu'il requérait quelquefois les services de la Sûreté de l'État en qualité d'assistance technique. Il déclare entretenir d'excellentes relations avec la Sûreté de l'État. Il estime qu'il existe une excellente synergie entre les différents intervenants : la BSR, la Sûreté de l'État et l'appareil judiciaire et ce, dans le respect mutuel des compétences de chacun.

Dans certains cas, les informations se sont vérifiées. Il est toutefois entendu que les services concernés répondent à des finalités différentes et que partant, les principes de rigueur sont différents. De plus les principes et les méthodes propres à chacun des intervenants ont été respectés. Le magistrat instructeur n'a jamais constaté d'omission volontaire dans la communication de l'un ou l'autre renseignement.

Selon le magistrat, la Sûreté de l'État a mesuré son intérêt dans une collaboration avec les autorités judiciaires au motif qu'elle y trouve son compte en recevant également des informations de la part des autorités judiciaires lors des réunions. Le magistrat instructeur pense que l'avis qui précède est également celui de la BSR Son sentiment est que les membres de la Sûreté de l'État avec lesquels il a été en contact sont des agents expérimentés, calmes, pondérés et non pas des « têtes brûlées ».

Le Comité permanent R a sollicité une nouvelle évaluation de la collaboration de la Sûreté de l'État aux enquêtes judiciaires après les attentats du 11 septembre.

Celle-ci a été donnée le 13 février 2002 par le magistrat, qui au parquet de Bruxelles, est en charge de divers dossiers d'information en rapport avec le terrorisme islamique. Ce magistrat exprime une appréciation globalement positive sur l'apport de la Sûreté de l'État dans les réunions de la Task Force qui réunit périodiquement le magistrat national, le parquet de Bruxelles, le Groupe inter forces anti-terroriste (GIA), le SGR et la police fédérale. En situation de crise, cette Task Force peut se réunir dans l'urgence. La Sûreté de l'État y est parfois chargée d'effectuer des missions de filatures. Tous les acteurs de cette collaboration soulignent l'efficacité de la Sûreté de l'État et la qualité des informations qu'elle apporte sur la mouvance islamiste. Ces informations n'ont bien sûr pas la force probante d'un procès-verbal. Au sein de la Task Force, ce sont des commissaires des services extérieurs qui représentent la Sûreté de l'État. Le magistrat interrogé a déclaré qu'il ignorait même l'existence d'un service d'analyse dans cette administration. Il a quelquefois constaté que la Sûreté de l'État transmettait directement certaines informations au magistrat instructeur alors que le protocole d'accord qu'elle a signé avec le Collège des procureurs généraux prévoit que la transmission d'informations doit s'effectuer via le magistrat national.

L'efficacité des enquêtes judiciaires dans ce domaine exige une très grande discrétion.

6.8. Les moyens humains affectés au recueil et à l'analyse du renseignement sur l'islamisme

Depuis plusieurs années, le cadre théorique du personnel de la Sûreté de l'État n'est plus complet. L'administration générale n'a eu de cesse de demander au ministre de la Justice que son cadre de personnel soit complété et qu'il soit même accru pour permettre l'engagement de personnel qualifié (analystes et experts en certaines matières, informaticiens, traducteurs, etc.).

Ces demandes se sont régulièrement heurtées aux mesures de restrictions budgétaires et de blocage général des recrutements dans la fonction publique. En février 2002, une demande en vue de combler le cadre incomplet de la Sûreté de l'État s'est à nouveau heurtée à un refus du gouvernement.

La moyenne d'âge des agents des services extérieurs de la Sûreté de l'État a donc commencé à s'élever. Ces problèmes sont examinés par le Comité permanent R dans le cadre d'une enquête sur la gestion des ressources humaines des services de renseignement.

La Sûreté de l'État a déclaré que les attentats survenus le 11 septembre 2001, en pleine période de travail supplémentaire dû à la Présidence belge de l'Union européenne et de l'OTAN, lui ont pratiquement donné le « coup de grâce » en matière de personnel étant donné la quantité considérable de travail supplémentaire que la politique antiterroriste a suscitée, tant au niveau national qu'international.

Dans ce contexte de crise, l'Administrateur général a provisoirement restructuré les services afin de rencontrer les besoins prioritaires, ce qui a eu pour conséquence que certains services, comme le service essentiel de « protection du potentiel économique et scientifique » ont été fermés temporairement et que d'autres services ont été mis en veilleuse (80).

Ce manque aigu de personnel, qui a déjà été dénoncé aux autorités voici des dizaines d'années, compromet depuis cette époque le fonctionnement de la Sûreté de l'État et signifie qu'actuellement ce service se déclare de manière définitive en situation « d'échec et mat ».

Dans ce contexte de crise, la Sûreté de l'État a continué d'accorder sa priorité à l'extrémisme et au terrorisme islamiste alors même que la protection des personnalités étrangères séjournant en Belgique à l'occasion de la présidence belge européenne mobilisait une grande partie de ses ressources humaines. Depuis les attentats, la Sûreté de l'État est en charge de six missions permanentes de protection, considérées comme étant à risques.

L'administrateur général de ce service a sollicité le plein engagement du personnel dans la lutte contre le terrorisme international.

À l'occasion du sommet européen de Laeken en décembre 2001, la section chargée de la protection rapprochée des personnalités a donc été renforcée en puisant temporairement des effectifs dans certaines sections des services extérieurs de la Sûreté de l'Etat, ceci au détriment des missions de recueil du renseignement. Néanmoins, vu les événements du 11 septembre 2001, les effectifs du service extérieur et ceux du service d'analyse qui sont spécialement consacrés aux menaces terroristes islamiques ont été épargnés et ont même été renforcés en recevant l'affectation temporaire d'agents détachés de leurs services d'origine.

Il en est de même des services chargés des relations internationales de la Sûreté de l'État. Ces mesures ont été en application entre le 5 novembre 2001 et le 10 février 2002. Néanmoins, les multiples réunions internationales et les analyses opérationnelles des informations, qui nécessitent à présent un traitement prioritaire, ont pour conséquence que tous les secteurs suivis ne peuvent plus être, à présent, traités de manière approfondie.

La direction générale de la Sûreté de l'État estime que ses effectifs sont insuffisants pour entretenir tous les contacts nécessaires et mener les enquêtes déclenchées après les événements du 11 septembre 2001. Il s'agit en l'occurrence de missions qui demandent un travail intensif et qui exigent une très grande flexibilité de la part des agents. Les contacts avec les sources peuvent avoir lieu à toute heure du jour ou de la nuit dans des conditions parfois difficiles et dangereuses. Les résultats de ce travail ne sont parfois visibles qu'à long terme.

6.9. Les difficultés opérationnelles auxquelles la Sûreté de l'État est confrontée.

Aux dires de l'ancien administrateur général de ce service, la plupart des renseignements obtenus par la Sûreté de l'État le sont de sources humaines, par un travail classique de terrain, sans moyens technologiques (81).

Effectivement, la Sûreté de l'État est dépourvue de toute capacité légale d'intercepter des communications et même d'identifier les numéros de téléphone secrets et de GSM. Tant la Sûreté de l'État que le SGR regrettent de ne pas pouvoir procéder à des interceptions de sécurité dans un cadre légal, alors que la plupart des services européens y ont recours. Certains d'entre eux ont d'ailleurs communiqué aux autorités belges des informations obtenues grâce à des écoûtes et celles-ci ont permis l'arrestation de présumés terroristes dans une série d'enquêtes menées en Belgique.

La Sûreté de l'État se plaint également de ne pas pouvoir contrôler la destination réelle de certains flux financiers, de ne pas pouvoir vérifier les déplacements suspects à l'étranger, ni identifier les titulaires de boites postales ou encore, de ne pas avoir accès à certaines données administratives du ministère des Finances, de l'Office des étrangers ou de l'ONSS.

La Sûreté de l'État regrette aussi de ne pas recevoir d'informations de la part de l'administration pénitentiaire sur l'influence islamiste dans les prisons.

Le responsable du service extérieur chargé de l'islamisme souligne donc toute l'importance des informateurs pour approcher et connaître les milieux extrémistes arabes en Belgique.

Le Comité permanent R est par ailleurs d'avis que les services de renseignement devraient envisager le recrutement d'agents d'origine étrangère connaissant des langues orientales.

7. Analyse

Il y a lieu de distinguer deux courants différents et apparemment contradictoires qui sous-tendent l'activisme islamiste en Belgique, comme ailleurs en Europe occidentale : les tenants minoritaires d'une solution violente, voire terroriste d'une part (plutôt dirigée vers leurs pays d'origine jusqu'à présent), les tenants de l'islamisation de la société par la prédication dans le respect apparent des structures démocratiques du pays d'accueil d'autre part.

La seconde tendance est constituée d'une nébuleuse l'associations principalement articulées autour des Frères musulmans et du Milli Görüs turc. Cet activisme passe par des voies légales et utilise la persuasion, l'infiltration et la pression. Il est néanmoins impossible de tracer une frontière étanche entre ces différentes options. Dans les faits, certaines figures du monde musulman se retrouvent dans ces deux mouvances.

1. La première option est le fait d'une infime minorité de personnes qui se servent des pays de l'Europe occidentale comme base de repli et d'appui logistique pour soutenir, préparer et financer des luttes armées, voire terroristes, menées à l'étranger ou contre des intérêts étrangers. Ces groupes n'ont pas pour objectif, dans les circonstances actuelles, de perpêtrer des attentats en Belgique, ils agissent dans la clandestinité et cherchent à ne pas éveiller l'attention sur eux.

C'est le cas des réseaux d'appui logistique au FIS et aux GIA mis à jour en 1995. Une enquête engagée fin de l'année 2001 fait apparaître que les assassins du commandant afghan Ahmed Massoud ont séjourné en Belgique et qu'ils s'y sont radicalisés au contact d'éléments islamistes qui y recrutaient pour le Jihad. La Sûreté de l'État estime que l'hypothèse de l'existence de réseaux dormants dans notre pays est, à ce jour, invérifiable.

Les menaces proférées contre la Belgique en juin 1999 par le GIA semblent un fait isolé et contraire à cette stratégie d'appui à des groupes extérieurs. Les menaces n'ont d'ailleurs pas été suivies d'effets et semblent avoir surtout eu pour but d'effrayer la population; tout en s'interrogeant sur leur réalité, les services de sécurité belges les ont néanmoins prises au sérieux.

2. La deuxième stratégie est surtout développée par les Frères musulmans, leurs organisations sociales et caritatives, ainsi que par le Milli Görüs turc, mais aussi par les wahhabites et les salafistes. Elle prend plusieurs voies plus ou moins parallèles, mais finalement convergentes.

Une première étape consiste à ramener les immigrés musulmans à la pratique religieuse et à développer parmi eux un sentiment d'appartenance à une société et à des valeurs distinctes de la société occidentale laïque et soi-disant pervertie. Cette action se développe surtout dans certaines mosquées, associations, centres culturels et services sociaux, de même que dans les prisons.

Vis-à-vis des autorités politiques belges, la tactique consiste à investir les organes représentatifs officiels mis en place pour gérer l'aspect temporel du culte musulman, ceci de manière à pouvoir contrôler la désignation des professeurs de religion islamique et celle des imams rémunérés par des fonds publics.

Mais un moyen consiste aussi à s'approcher des partis politiques démocratiques, de leurs mandataires et à exercer sur eux un travail de pression et de lobbying.

Cette stratégie est d'autant plus insidieuse et efficace qu'elle offre un visage plutôt rassurant aux yeux des responsables politiques et de l'opinion publique. Mais l'objectif est d'obtenir progressivement, et par des voies légales, la création d'un statut juridique propre aux musulmans et conforme à la charia.

Cette ré islamisation ne peut conduire qu'à un repli communautaire; elle s'oppose à toute politique d'intégration et de multiculturalisme. Dans un tel contexte, une fraction marginale mais grandissante de jeunes musulmans en mal de repères risque de rejoindre, tôt ou tard, des mouvances plus violentes.

La mise en oeuvre de cette stratégie se passe au niveau européen, elle est déjà fort avancée au Royaume-Uni dont l'approche de l'Islam privilégie plutôt le communautarisme. Cette politique a abouti à la création de véritables ghettos dans certaines villes où des communautés immigrées vivent repliées sur elles-mêmes et se régissent selon leurs propres règles. Il y existe même un parlement musulman et un tribunal islamique (« The Shari'ah Court of the UK »).

8. Conclusions

La Sûreté de l'État ne surveille pas comme tels ni les musulmans, ni la pratique de la religion islamique en Belgique.

La légitimité de la surveillance des menaces terroristes d'origine islamiste par ce service ainsi que le suivi des activités qui soutiennent le terrorisme à l'étranger ne souffrent d'aucune mise en cause dans leur principe. Dans ce domaine auquel elle accorde une priorité absolue, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001, la Sûreté de l'État agit surtout de manière réactive et elle semble collaborer de manière efficace à des enquêtes judiciaires.

L'identification, la surveillance et la dénonciation de réseaux islamistes aux autorités judiciaires sont le résultat d'un long travail de recueil et d'analyse du renseignement à mettre au crédit de la Sûreté de l'État. Le Comité permanent R note toutefois la difficulté de contrôler l'application du protocole de collaboration avec les autorités judiciaires, et de vérifier ainsi l'efficacité de la Sûreté de l'État dans cette matière, surtout lorsque ce service invoque de manière inappropriée le secret d'une instruction judiciaire en cours.

Mais au-delà de ses formes d'actions terroristes les plus spectaculaires, presque unanimement condamnées par la communauté musulmane, la Sûreté de l'État s'intéresse aussi à la manière dont certains courants islamistes tentent d'imposer leur vision politique de la société. La Sûreté de l'État recueille et analyse le renseignement sur la manière dont ces mouvements s'activent, de manière apparemment respectueuse des lois, au sein de certaines communautés immigrées de notre pays et au sein des organes de l'Islam institutionnel belge.

La simple lecture des textes diffusés par ces mouvements suffit à convaincre que le projet politique de l'islamisme radical constitue bien une menace extrémiste. Ce projet développe en effet une conception théocratique de l'État (le khalifat), dénie toute légitimité aux autorités élues sur base d'un système de représentation démocratique et ne souffre aucun autre système juridique que la charia (la loi islamique). De telles conceptions autoritaires ou totalitaires à caractère confessionnel sont, en théorie comme en pratique, contraires aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit.

La Sûreté de l'État est consciente que, revendiquant l'application de la charia pour tous les musulmans, où qu'ils se trouvent (en Belgique comme ailleurs en Europe), le projet politique islamiste s'oppose à toute forme d'intégration réelle de ces personnes dans notre système politique et social et qu'il met ainsi en péril la politique d'accueil et d'intégration que mènent les autorités belges à l'égard des communautés immigrées. Ce sont surtout les jeunes de la deuxième et de la troisième génération issue de l'immigration maghrébine et turque qui risquent d'être les victimes de cette menace.

Le Comité R n'est pas persuadé que la Sûreté de l'État est arrivée à sensibiliser les autorités politiques sur la réalité de cette menace.

La Sûreté de l'État est pourtant parvenue à mettre à jour l'implication active, insidieuse et continue de ces tendances extrémistes dans les affaires touchant à la représentation du culte islamique dans notre pays. Ces activités témoignent d'une volonté et d'une stratégie mise au point par ces mouvements en vue de se poser en porte parole des musulmans face aux autorités belges.

De telles menées constituent effectivement une menace réelle, grave et précise pour la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel de notre pays.

Au fur et à mesure du développement de cette enquête, le Comité permanent R a lui-même découvert avec étonnement l'ampleur de l'activisme islamiste en Belgique.

Les constatations du Comité ne résultent pas seulement d'informations rassemblées auprès des services de police ou de renseignement. Les phénomènes décrits dans le présent rapport sont largement confirmés par la presse et par d'autres sources ouvertes, ainsi d'ailleurs que par un certain nombre d'observateurs directs qui, étant proches de la communauté musulmane, ne peuvent être suspectés de racisme ou de xénophobie à son égard. Le fait même que le Comité ait pu recueillir de tels témoignages directs sous le couvert de l'anonymat, témoigne du malaise certain qui entoure cette problématique.

La Sûreté de l'État est également parvenue à mettre à jour le soutien plus ou moins occulte que certaines ambassades ont apporté à des candidats proches des régimes qu'elles représentent, lors de l'élection des organes représentatifs du culte musulman. Ces interventions posent le problème de l'ingérence d'États étrangers dans les affaires intérieures du Royaume.

Dans ce cadre, la Sûreté de l'État a procédé à un « screening » des candidats proposés pour faire partie de l'organe représentatif du culte islamique, mais non pour les candidats aux élections de l'assemblée représentative du temporel du culte islamique.

La Sûreté de l'État s'active également à repérer les activités extrémistes développées dans les mosquées et s'emploie à en informer les autorités politiques concernées par le subventionnement de ces lieux de culte.

Enfin la Sûreté de l'État communique des informations à l'Office des étrangers en cas de demande de dérogation de nationalité introduite par un étranger qui veut exercer en Belgique des fonctions enseignantes : il s'agit surtout de professeurs de religion islamique.

La Sûreté de l'État ne s'écarte donc pas de ses missions légales en recueillant et en analysant le renseignement relatif aux activités des mouvements islamistes en Belgique. En ce faisant, et pour autant qu'elle ne communique que des informations pertinentes et vérifiées aux autorités, la Sûreté de l'État ne met aucunement en péril les droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes.

Mais la Sûreté de l'Etat manque néanmoins de moyens humains, techniques et légaux pour accomplir correctement cette mission.

Avant le 11 septembre 2001, et bien qu'elle ait suivi cette problématique, la Sûreté de l'État ne semble pas avoir été en mesure de recueillir de renseignements suffisants pour alerter les autorités et empêcher le recrutement de jeunes islamistes en Belgique pour les camps d'entraînement en Afghanistan.

Pour cette matière, de même que pour les développements internationaux des réseaux islamistes, la Sûreté de l'État dépend des renseignements que veulent bien lui transmettre les services étrangers puisqu'elle ne dispose elle-même d'aucune antenne à l'étranger. Si des moyens humains supplémentaires ont été affectés à la problématique de l'islamisme après le 11 septembre 2001, c'est au détriment d'autres missions qui sont pourtant tout aussi importantes.

Dans ces circonstances, la Sûreté de l'État a observé les réactions des communautés musulmanes après les attentats et les opérations militaires en Afghanistan. Elle a été attentive aux appels lancés par certains à la « Guerre sainte » mais elle n'a détecté aucun élément laissant présager que des actes contre la sécurité ou l'ordre public étaient en préparation. Les informations que ce service a transmises aux autorités à ce sujet semblent avoir été de nature trop générale pour permettre la prise de décisions.

Pour prévenir le terrorisme et l'extrémisme islamiste, les services de renseignement doivent davantage s'insérer dans leurs schémas de pensée et dans leurs logiques, souvent déconcertantes pour les esprits occidentaux, afin de mieux approcher le phénomène. Pour ce faire, la connaissance des langues étrangères, principalement celles des pays du Proche et du Moyen orient, est indispensable. Le recrutement d'agents originaires de ces régions du monde devrait être envisagé.

L'échec des services de renseignement américains dans la détection des préparatifs des attentats de septembre 2001 démontre toute l'importance du renseignement humain qu'il ne faut pas négliger même si on possède des moyens techniques sophistiqués (écoutes, satellites, etc.), ce dont la Sûreté de l'État ne dispose même pas.

Il importe aussi d'améliorer la communication entre les autorités politiques et les services de renseignements. À cet égard, les autorités et le monde politique ont leur rôle à jouer car ils devraient eux aussi se poser les questions indispensables et consulter davantage les services de renseignement pour être correctement informés sur les manoeuvres d'infiltration et de lobbying dont ils sont parfois l'objet.

À cet égard, le Comité permanent R partage l'avis du ministre de l'Intérieur selon lequel le rôle des services de renseignement est d'informer les autorités sur les menaces à l'égard desquelles elles doivent être vigilantes. La collecte d'informations ne doit donc pas toujours être considérée sous un angle réactif mais elle doit donner une image correcte et précise de la situation.

À cet égard, le Comité se demande s'il n'existe pas une volonté diffuse au sein de la Sûreté de l'État de ne pas faire de vagues, une crainte de dire des choses « qu'on ne veut pas entendre », la peur de mettre en cause certaines autorités ainsi que des personnalités du monde politique sous prétexte que celles-ci pourraient considérer les informations qu'elle détient en la matière comme une caution possible à des discours « racistes » ou « xénophobes » envers les immigrés issus du monde musulman.

La Sûreté de l'État déclare pourtant qu'elle informe régulièrement les ministres compétents de la stratégie des milieux islamistes en Belgique, et ce, sans réticence. Effectivement, elle adresse régulièrement des notes et des rapports circonstanciés au ministre de la Justice, ainsi qu'aux autorités politiques et judiciaires du pays.

Mais après avoir pris connaissance d'un certain nombre de ces rapports, le Comité s'interroge toutefois sur leur lisibilité et sur l'utilité directe qu'en tirent les autorités politiques, vu leur caractère parfois très général et des conclusions ambiguës. Le Comité pense aussi que certains rapports ont peut-être été classifiés « secret », voire même « très secret » de manière exagérée. Dans l'exercice de son mandat, un ministre a besoin de rapports courts et de synthèses contenant des conclusions sans équivoque. Or trop de rapports de la Sûreté de l'État contiennent de longs développements, pertinents certes, mais pas toujours utiles ni directement exploitables pour permettre au ministre de prendre une décision.

Si le ministre a bien tenu compte des informations que la Sûreté de l'État lui a fournies dans la procédure de désignation des candidats membres de l'Organe Chef de culte musulman, ce service regrette par contre de ne pas recevoir de feed-back ni de directive de la part du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité pour poursuivre ses investigations dans cette matière. Ce service constate aussi, et regrette, que dans le cadre de la nouvelle procédure de naturalisation, les magistrats ne prennent pas toujours en compte les informations qu'elle leur transmet sur les activités extrémistes de certains demandeurs de la nationalité belge.

Enfin il faut regretter que, concentrant surtout ses recherches et ses analyses sur le terrorisme islamiste, la Sûreté de l'État ne consacre malheureusement plus assez de temps et de moyens en suffisance pour analyser en profondeur le développement de la stratégie des islamistes qui porte sur le long terme. On pourrait regretter par exemple que la Sûreté de l'État n'ait pas encore analysé la manière dont les islamistes pourraient chercher à se profiler sur l'échiquier politique belge dans les prochaines années.

Cela signifie qu'une évaluation permanente, pondérée et à long terme doit être effectuée de la situation pour placer les faits dans leur juste contexte, tant sur le plan international que sur le plan de la sécurité intérieure, pour parvenir ainsi à un bon équilibre entre la confiance dans la sécurité et la vigilance critique.

9. Réactions des ministres

Par courrier du 21 mars 2002, le rapport d'enquête a été transmis pour avis au ministre de la Justice, ainsi qu'au ministre de la Défense nationale.

Le ministre de la Défense nationale a fait savoir au Comité R par courrier du 2 mai 2002 qu'il ne s'opposait pas à la publication de ce rapport dans le rapport général d'activités 2001 du Comité.

En ce qui concerne le ministre de la Justice le Comité a noté que par un communiqué de presse du 31 mai 2002, le ministre a fait savoir « qu'un échange de vues aura lieu avec le Comité R quant au contenu de ce rapport et sa publication éventuelle ».

Le Comité R signale que la Sûreté de l'État a pour sa part dans un courrier du 30 mai 2002 fait savoir au Comité qu'elle n'avait « pas d'objection de principe contre une éventuelle publication du rapport ».

La Sûreté de l'État estime cependant « qu'il semble primordial de veiller à ce que le modus operandi du service ne soit pas dévoilé ». La Sûreté signale que des remarques plus approfondies seront transmises à ce sujet dans « les meilleurs délais ».


Annexe 1 au rapport de l'enquête sur la manière dont les services de renseignements s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes.

Liste non exhaustive de questions et interpellations parlementaires en rapport avec la présence de groupes et mouvements islamistes en Belgique.

­ la question orale du député Dewinter (Vlaams Blok) au ministre de l'Intérieur le 26 mai 1994 sur le congrès de l'organisation fondamentaliste Milli Görüs à Anvers (82);

­ les questions et interpellations au ministre de la Justice de MM. Dewinter et De Man (Vlaams Blok) sur la reconnaissance du culte islamique les 10 novembre et 7 décembre 1994 (83);

­ les interpellations jointes de Mme Lizin (PS) et M. Dewinter (Vlaams Blok) le 18 janvier 1995 sur la présence de groupes fondamentalistes sur le territoire belge (84);

­ la demande d'explication de Mme Lizin le 26 novembre 1996 sur la filière des intégristes tunisiens installés dans notre pays et mis en cause par le procureur général de Tunis (85);

­ la question orale de Mme Lizin du 5 décembre 1996 sur les activités du GIA en Belgique et la propagande contre l'Office des étrangers (86);

­ la demande d'explication de Mme Lizin au ministre des Affaires étrangères le 8 janvier 1998 sur les liens des réseaux islamistes en Algérie, en Egypte et en Europe, en particulier en Grande Bretagne (87);

­ la question orale du député Jacques Simonet (PRL-FDF) le 10 septembre 1998 sur l'élection d'un organe représentatif du temporel du culte musulman (88);

­ les questions nº 968 (89) et nº 2166 (90) du député Simonet (PRL-FDF) les 17 novembre 1998 et 14 décembre 1998 sur le même sujet;

­ la question orale du sénateur Verreycken (Vlaams Blok) le 8 décembre 1998 (91);

­ la question orale du député Borginon (VU) le 16 décembre 1998 concernant le respect de la vie privée à l'occasion des élections musulmanes (92);

­ la question nº 422 du député Annemans (Vlaams Blok) le 8 janvier 1999, sur les cartes d'identité spéciales à délivrer aux professeurs étrangers de religion islamique (93);

­ l'interpellation nº 2206 du député Simonet (PRL-FDF) le 25 janvier 1999 (94);

­ la question orale du sénateur Ceder (Vlaams Blok) sur la composition de l'Exécutif musulman, le 11 février 1999 (95);

­ l'interpellation nº 2235 de M. Eerdekens (PS) le 1er mars 1999 (96);

­ l'interpellation nº 2258 de M. Van den Eynde (Vlaams Blok) le 1er mars 1999 (97);

­ l'interpellation nº 2273 de M. Simonet (PRL-FDF) le 1er mars 1999 (98);

­ la question nº 1961 de M. Eerdekens (PS) le 1er mars 1999 sur la mosquée « Al Itisam de Liège » (99);

­ la question orale de Mme Lizin (PS) le 4 mars 1999 (100);

­ la question nº 1034 de M. Borginon (VU) sur le criblage des candidats à l'organe « chef de culte islamique », le 9 mars 1999 (101);

­ la question nº 1035 du député Annemans du 10 mars 1999 concernant le terrorisme du GIA algérien et du PKK kurde en Belgique (102);

­ la question nº 6 de M. Van den Eynde du 10 septembre 1999 concernant d'éventuels attentats du GIA en Belgique (103);

­ la question orale nº 824 de M. B. Schoofs (Vlaams Blok) le 1er février 2000 au ministre de l'Intérieur sur le fondamentalisme islamique dans le Limbourg (104);

­ la question 4202 de M. Van den Eynde (Vlaams Blok) le 27 mars 2001 au ministre de la Justice sur « l'infiltration par les intégristes de l'Exécutif des musulmans de Belgique » (105);

­ la question 4348 de Mme Salandra-Pelzer (Ecolo) le 17 avril 2001 au ministre de la Justice sur « les problèmes rencontrès par les membres de l'Exécutif des musulmans de Belgique » (106);

­ les interpellations et questions orales (nºs 812 et 4871) de MM. De Man (Vlaams Blok) et Vandeurzen (CVP) au ministre de la Justice le 19 juin 2001 sur « la reconnaissance et le subventionnement des imams et des mosquées en 2002 » d'une part, « sur la formation d'imam » d'autre part (107);

­ l'interpellation nº 890 de M. De Man (Vlaams Blok) le 11 octobre 2001 sur « l'imminence du subventionnement de l'Islam » (« de nakende subsidiëring van de islam ») (108).


Annexe 2 au rapport de l'enquête sur la manière dont les services de renseignement s'intéressent aux activités islamistes extrémistes et terroristes

Bibliographie sommaire sur l'islamisme

Auteur Titel van het werk
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Titre de l'ouvrage
Uitgever
­
Éditeur
Datum van
publicatie
­
Date
de parution
Abul A'La Maudoudi Comprendre l'Islam Éditions AEIF
Dasseto F.-
Bastenier A. L'islam transplanté EPO 1984
Étienne Bruno L'islamisme radical Hachette 1987
Raufel Xavier La nébuleuse : le terrorisme du Moyen-Orient Éditions Fayard 1987
Étienne Bruno La France et l'islam Hachette 1989
Shayegan, Darius Le regard mutilé : schizophrénie culturelle
Pays traditionnels face à la modernité
Paris,
Albin Michel
1989
Zakariya, Fouad Laïcité ou islamisme. Les arabes à l'heure du choix Parijs,
La Découverte
1991
Kepel, Gilles La revanche de Dieu. Chrétiens, juifs et musulmans
à la reconquête du monde
Parijs, Seuil. 1992
Roy, Olivier L'échec de l'islam politique Parijs, Seuil
­ Paris, Seuil
1992
Gresh Alain Un péril islamiste Éditions complexe 1994
Lamchichi, Abderrahim Islam, islamisme, modernité Parijs,
L'Harmattan.
­ Paris L'Harmatta
1994
Roy, Olivier Généalogie de l'Islam Parijs, Hachette.
­ Paris, Hachette
1995
Aziz Philippe Le paradoxe de Roubaix Plon 1996
Antoine Sfeir Les réseaux d'Allah, les filières islamistes
en France et en Europe
Parijs, Éditions
Plon ­ Paris,
Éditions Plon
1997
Hutington,
Samuel P
Le choc des civilisations Parijs, Odile Jacob 1997
Saïd, Edward W. Covering Islam : how the media and the experts determine
how we see the rest of the world
New York 1997
Sayyid, Bobby S A fundamental fear : eurocentrism and
the emergence of Islamism
Londen, Zed
Books. ­ Londres,
Zed Books
1997
Dasseto Felice Facettes de l'islam belge Bruylant ­
Academia
1997
Lambichichi, Abderrahim L'islamisme en question(s) Parijs,
L'Harmattan
­ Paris,
L'Harmattan
1998
Ramadan Tariq Aux sources du renouveau musulman,
d'al-Alfhani à Hassan al-Banna un siècle de réformisme islamique
Éditions Bayard 1998
Renders, Marleen De schaduwkant van de maan : islamisme in politiek, economie, maatschappij en het wereldsysteem Gent, Academia
Press
1999
Charfi Mohamed Islam et liberté, le malentendu historique Albin Michel 1999
Ramadan Tariq Être musulman européen, étude des sources islamiques
à la lumière du contexte européen
Éditions Tawhid 1999
Roy Olivier Vers un islam européen Éditions Esprit 1999
del Valle, Alexandre Islamisme et États-Unis : une alliance contre l'Europe Lausanne,
l'Âge d'Homme
2000
Kepel, Gilles Jihad. Expansion et déclin de l'islamisme Parijs,
Gallimard ­
Paris,
Gallimard
2000
Dasetto F. Paroles d'islam, individus, sociétés et discours
dans l'islam européen contemporain
Maisonneuve
& Larose
2000
Jean-Marc Balencie et Arnaud de La Grange Mondes rebelles, l'encyclopédie des acteurs, conflits
& violences politiques
Éditions Michalon 2001
Raouf, Wafik L'Europe vue par l'Islam, une perception ambivalente Parijs,
L'Harmattan ­
Paris,
L'Harmattan
2001

CHAPITRE 2 : Rapport de l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État a assuré le suivi de l'abattoir islamique de Gembloux

1. Introduction

Au début de l'année 2001, la presse a publié une série d'articles relatifs à l'intention manifestée par le gouvernement de la Région wallonne de participer à concurrence de 25 millions de francs à la relance de l'abattoir islamique de Gembloux qui est en faillite depuis 1999.

Plusieurs articles ont particulièrement retenu l'attention du Comité permanent R :

« La trouble vie de l'abattoir » : Le Soir, 9 janvier 2001;

« Drôle de parcours autour de l'abattoir de Gembloux« : La Dernière Heure ­ 9 janvier 2001;

« Un dossier qui sent le souffre »: Vers l'Avenir ­ 10 janvier 2001;

« Meat and food ­ la Région embarrassée »: Le Soir ­ 10 janvier 2001;

« Qui est réellement l'investisseur privé de Meat and Food »: Vlan Dimanche ­ 14 janvier 2001;

« Gembloux : actionnaire sulfureux pour l'abattoir »: Le Soir Magazine ­ 12 février 2001;

« Abattoir ­ Ils sont trop impliqués dans l'affaire Elf » : Le Soir ­ 17 février 2001.

Il ressort de ces articles que l'abattoir de Gembloux, créé en 1988, a pour spécialité l'abattage de bovins selon le rite islamique et l'exportation de viande congelée vers les pays du Moyen Orient.

Cet établissement est géré par la société Meat and Foot International (« MFI »), dont l'actionnaire principal General Mediterranean Holding (« GMH ») est dans les mains d'un homme d'affaires irakien, Nadhmi Auchi, que l'on dit proche du président Saddam Hussein.

Les articles de presse en question signalaient que l'intéressé faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international délivré par les autorités judiciaires françaises dans le cadre de l'affaire « ELF » et de commissions occultes. Ces articles mettaient également en cause les dettes importantes de l'abattoir, sa non-rentabilité ainsi que sa structure financière obscure.

Plus intéressante pour le Comité permanent R était l'allusion des journaux Le Soir et La Dernière Heure à l'intérêt que porterait la Sûreté de l'État à cet abattoir qui servirait en fait de façade à des activités occultes, non autrement précisées.

Le 1er février 2001, dans un article intitulé « La Région wallonne fut très téméraire à Gembloux », le journal Le Soir dévoilait le contenu d'un rapport de la SOGEPA (Société de gestion des participations publiques) rédigé en juillet 2000. Aux termes de ce rapport,« MFI » n'avait jamais été gérée de manière adéquate, avait été constamment en sureffectif et ses circuits commerciaux n'avaient jamais été convenablement étudiés.

La SOGEPA concluait que « MFI » était surdimensionnée par rapport aux capacités du marché moyen-oriental et, bien que « GMH » ait sans cesse renfloué ses caisses,« MFl » fut mise sous concordat.

Ces éléments parurent suffisants au Comité permanent R pour s'interroger sur le suivi éventuel de l'abattoir islamique de Gembloux par nos services de renseignement et prendre l'initiative d'ouvrir une enquête de contrôle sur ce sujet.

Cette enquête devait notamment chercher à savoir si la Sûreté de l'État avait informé le gouvernement de la Région wallonne des éléments dont elle pouvait être en possession.

2. Procédure

L'enquête a été ouverte le 1er février 2001.

Plus tard, le Comité permanent I décisait d'extrapoler la recherche à l'ADIV.

Un rapport classifié « secret » a été approuvé en date du 1er mars 2002.

Le présent rapport classifié « diffusion restreinte » est destiné à la commission du Sénat chargée du suivi du Comité permanent R ainsi qu'aux ministres compétents. Il a également été approuvé le 1er mars 2002. Il est confidentiel au sens de l'article 33, alinéa 3, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements.

3. Les questions posées

Les questions suivantes ont été posées au cours de l'enquête :

­ Nos services de renseignement s'intéressent-ils (ou se sont-ils intéressés) aux activités de l'abattoir islamique de Gembloux ?

­ Ont-ils en leur possession des informations concernant d'éventuelles activités occultes auxquelles l'abattoir servirait de couverture ?

­ Ont-ils analysé ces informations et ont-ils produit des rapports à ce sujet ?

­ Y-a-t-il eu demande d'information de la part des autorités de la Région wallonne ?

­ Y-a-t-il eu des contacts entre le gouvernement wallon et la Sûreté de l'État à ce sujet ?

­ La Sûreté de l'État a-t-elle transmis d'initiative des informations à ces autorités régionales ?

­ Dans l'hypothèse où la Sûreté de l'État ne se serait jamais intéressée à l'abattoir islamique de Gembloux, n'estimait-t-elle pas que l'intérêt que lui portaient la presse et la région wallonne méritait quelques vérifications de sa part ?

4. Constatations

4.1. La Sûreté de l'État

La société « Meat and Food International » (« MFI ») et le patron de son actionnaire principal sont connus de la documentation de la Sûreté de l'État depuis 1994.

4.1.1. Le dossier « Meat and Food International » (« MFI »)

L'intérêt de la Sûreté de l'État pour cette société trouve son origine dans une demande d'information émanant du ministère des Affaires étrangères en mars 1994.

En effet, l'attention du ministère avait été attirée sur la présence suspecte de quelques ressortissants iraniens en Belgique. Il s'interrogeait notamment sur la réalité des motifs invoqués à l'appui d'une demande de visa introduite par deux iraniens invités à séjourner dans notre pays à la demande de la société « Meat and Food International ».

Ceux-ci, se présentant comme religieux, se disaient en effet chargés de vérifier personnellement la conformité de l'abattage des animaux par « MFI » avec les préceptes coraniques.

Le ministère remarquait alors qu'il suffisait que ces vérifications soient effectuées par un responsable musulman déjà établi en Belgique.

Une enquête fut alors menée par la Sûreté de l'État dont le rapport de synthèse, daté de juillet 1994, décrit la structure de « MFI », de son groupe actionnaire « General Mediterranean Holding » (« GMH »), établi à Luxembourg et de son dirigeant, un homme d'affaire de nationalité irakienne, résidant à Londres.

« MFI » a obtenu des contrats commerciaux avec certains pays musulmans comme l'Iran et l'Algérie. Les contrats avec l'Iran ont représenté, à certains moments, jusqu'à 80 % du chiffre d'affaires de « MFI ».

Le même rapport précisait que :

« Lors de la réalisation de chaque contrat, les sociétés iraniennes envoient à Gembloux un vétérinaire et un membre du clergé. Ce dernier doit vérifier que les abattages sont effectués de manière rituelle et ce, malgré le fait qu'un autre religieux, payé par « MFI » mais dépendant du Centre islamique et culturel de Belgique, est constamment présent et effectue les mêmes vérifications. [ ...]

Les vétérinaires qui ont séjourné à Gembloux dans le cadre de la réalisation des contrats avec Téhéran étaient de vrais professionnels qui ont généralement effectué leur travail avec compétence et assiduité » (109).

Au sujet des religieux qui accompagnaient les vétérinaires, le rapport précisait : « ( ...) Il nous est impossible de juger de leur capacité religieuse. Leurs absences à l'abattoir étaient néanmoins fréquentes et ils se bornaient à y venir jeter un coup d'oeil très rarement » (110).

Le rapport mentionne des contacts suspects entre ces prétendus contrôleurs et des ressortissants iraniens établis en Belgique et connus pour leur attâchement au régime islamiste d'Iran. Un véhicule de « MFl » a ainsi été aperçu lors d'une manifestation iranienne.

Selon le rapport, certains éléments pouvant intéresser les Iraniens présents à Gembloux paraissaient inquiétants à la Sûreté de l'État.

Ces éléments étaient :

« ( ...) la proximité de Louvain-la-neuve, de Bruxelles, non seulement pour la présence d'une colonie iranienne mais aussi pour leurs centres de recherche et les pôles de décisions politiques et économiques belges et européennes, ainsi que la présence en Belgique de membres et de familles proches de l'opposition iranienne, pour lesquelles Téhéran n'a jamais fait mystère du sort qu'il leur réservait. ( ...) Il nous paraît plus que probable que les Iraniens en séjour à Gembloux s'intéressent de près à ces milieux.

Et l'auteur du rapport de conclure : « Il est dans nos intentions de rechercher un maximum de traces de leurs activités et de leurs contacts en Belgique (84) ».

Interrogée plus avant sur ce rapport, la Sûreté de l'État a indiqué qu'il s'agissait seulement d'une série d'hypothèses faites par l'auteur du rapport sans que celles-ci soient basées sur des preuves concrètes au sujet de la nature exacte des activités des « inspecteurs » iraniens.

Par après, aucune autre information n'a pu confirmer ces hypothèses, conclut la Sûreté de l'État.

Pour la Sûreté de l'État, il appert donc que « quelques iraniens ont donc pu séjourner dans notre pays en toute légalité, avec des papiers parfaitement en règle, mais dans d'autres buts que ceux pour lesquels ils avaient demandé leur visa » et le rapport de préciser : « Nous ignorons ce qu'ils sont venus faire mais nous savons qu'ils n'ont pas mis un pied dans les bâtiments qu'ils étaient censés visiter ».

La conclusion logique que tirait le rapport était : « Il nous étonnerait fort que de telles pratiques ne relèvent que du commerce, et ne soient pas liées à des activités de renseignement ou de terrorisme. »

En novembre 1994, l'administrateur général de la Sûreté de l'État a pourtant fait savoir au chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères que ses services n'avaient jamais pu retrouver traces concrètes d'activités politiques déployées en Belgique par ces religieux iraniens.

La Sûreté de l'État a cependant prévenu l'ambassadeur de Belgique à Téhéran ainsi que l'Office des étrangers de la délivrance abusive de visas à des prétendus visiteurs de « MFI ». Fin 1994, la Sûreté de l'État a avisé « MFI » qu'il n'était plus possible de permettre à des iraniens d'obtenir des visas de complaisance.

Ultérieurement, la Sûreté de l'État écrivait encore qu'il était dans son intention d'essayer de connaître les déplacements des imams et de rechercher un maximum de traces de leurs activités et de leurs contacts en Belgique.

Cette enquête ultérieure a, elle aussi, permis d'établir les contacts d'un client iranien de « MFI » avec un iranien en Belgique, membre d'une association d'étudiants islamiques, lui-même entretenant des contacts avec des membres des services de renseignements iraniens et ayant déjà fréquenté les Imams chargés du contrôle de l'abattage pour la société « MFI ».

Néanmoins, faute d'information plus précise sur ces contacts et, faute de renseignement ponctuel, aucun rapport d'analyse n'a été rédigé.

Le rapport de synthèse de juillet 1994 donne également quelques indications sommaires sur des visiteurs algériens que « MFI » a reçus à l'occasion des contrats autrefois passés avec l'Algérie.

On peut ainsi lire : « Il semblerait que certains, parmi ces Algériens, se soient fait remarquer, au sein du personnel de « MFI », par des prises de position radicales ».

Par ailleurs, le rapport de 1994 confirme les pertes financières désastreuses de « MFl » (120 millions de francs en 1993, 80 millions de francs pour le premier semestre de 1994) et ajoute : « Malgré cela, « GMH » et M. Auchi épongent presque sans sourciller les pertes. »

La structure du holding « GMH » est également détaillée dans un rapport du 29 mai 1998.

De même, un rapport de mars 1999 actualise les informations de la Sûreté de l'État relatives à « MFI ». En ce qui concerne les demandes de visas, il est relevé que si « MFI » demandait précédemment de nombreux visas aux autorités belges pour des sujets iraniens, elle ne le fait plus, si ce n'est encore une intervention en 1998 en faveur d'un contrôleur du rituel d'abattage.

Selon le rapport, un important changement de situation devait intervenir en février 1999 suite à une perte de quelque 90 millions lors du dernier contrat passé avec l'Iran.

Il y était question d'un changement de presque toute la direction au sein de « MFI ». Pour terminer, il est fait état de l'intention du propriétaire de procéder à la vente de « MFI » à une société turque.

4.1.2. Le dossier de M. Auchi, propriétaire du groupe « GMH »

L'intéressé, milliardaire d'origine irakienne, naturalisé britannique mais vivant en France, est connu de la documentation de la Sûreté de l'État pour ses activités en faveur de l'Irak.

C'est essentiellement en sa qualité de patron de la société « General Mediterranean Holding (« GMH ») », propriétaire notamment de « MFI », que M. Auchi a retenu l'attention de la Sûreté de l'État.

Un rapport rédigé en juin 1998 et intitulé « Activités irakiennes de renseignement et d'ingérence » indique que l'intéressé appartient à une famille d'hommes d'affaires proches du clan du président irakien.

Ceux-ci reçoivent de l'argent du gouvernement irakien pour fonder des entreprises en Irak et en Europe. Cet argent est aussi consacré à conclure des contrats avec des entreprises européennes. Les personnes qui reçoivent ainsi de l'argent du gouvernement irakien entretiennent de bonnes relations avec son service de renseignement qui cherche ainsi à recueillir de l'information et de la technologie.

Le chargé d'affaire irakien en poste à Bruxelles entretenait de bonnes relations avec M. Auchi et il avait des intérêts financiers dans certaines de ses entreprises. Deux frères de l'intéressé ont cependant péri, l'un en prison en Irak, l'autre dans un attentat en Jordanie, sans doute pour avoir détourné de l'argent du gouvernement irakien.

C'est la raison pour laquelle M. Auchi se déclare à présent opposant au régime de Saddam Hussein. Néanmoins, les milieux d'opposants à ce régime établis à Londres (le Congrès national irakien) ne font aucune confiance en l'intéressé et ils pensent qu'il travaille toujours pour ce régime.

Interrogée plus avant sur les informations dont elle disposerait à propos des liens qu'entretiendrait M. Auchi avec le régime de Saddam Hussein, la Sûreté de l'État fait valoir qu'étant un service défensif, elle ne possédait pas les moyens de faire des enquêtes au sujet d'un homme d'affaire étranger de l'entourage de Saddam Hussein qui ne réside pas en Belgique.

Le Comité R est pourtant d'avis que cette situation méritait bien d'être vérifiée plus avant, ce qui ne paraît pas avoir été fait.

4.1.3. Développements du dossier en 2001

La Sûreté de l'État a fait savoir au Comité R le 27 février 2001 qu'après avoir pris connaissance des récents développements concernant l'abattoir, elle n'avait pris aucune initiative nouvelle d'enquête dans cette affaire pour le motif que « à première vue, il semble qu'il s'agisse d'une affaire d'escroquerie financière ».

Aucun contact n'a jamais eu lieu entre le gouvernement de la Région wallonne et la Sûreté de l'État, ni à propos de la firme « MFI », ni à propos de M. Auchi.

4.2. Le SGR

Pour sa part, le SGR s'est très brièvement intéressé aux activités de l'abattoir islamique de Gembloux en 1994 et un bref rapport a été transmis à ce sujet au GIA (Groupe Interforces antiterroriste).

Selon une information reçue, cet abattoir servait en 1994 de financement occulte au FIS.

Des membres du FIS réfugiés en Belgique y auraient été cachés et occupés « au noir ».

Comme ces informations n'entraient pas dans la sphère de compétence du SGR, et sachant qu'une enquête financière était en cours sur « MFI », ce service n'a pas investigué davantage.

5. Conclusions

La Sûreté de l'État s'est intéressée au cours de l'année 1994 à la firme « MFI », ainsi qu'à son propriétaire irakien M. Auchi dans le cadre d'une enquête sur des visas demandés pour des visiteurs irakiens de l'entreprise.

Au cours de la même année, le SGR a rédigé un rapport d'office sur cette firme, lequel a été transmis au Groupe interforces antiterroriste (GIA). Le SGR ne s'est plus occupé de cette affaire par la suite, estimant qu'il n'était pas compétent en la matière.

Le Comité permanent R constate que la Sûreté de l'État n'a pas eu connaissance de ce rapport que le SGR a transmis au GIA.

L'enquête de la Sûreté de l'État a fait apparaître les liens existants entre M. Auchi et le régime de Saddam Hussein.

Les rapports établis sur les visiteurs iraniens de « MFI » émettent l'hypothèse que certains parmi eux séjournent en Belgique avec d'autres buts que le contrôle du rituel islamique de l'abattage d'animaux. Certains rapports évoquent des activités de renseignement, d'espionnage, voire de terrorisme ou de liquidation d'opposants iraniens établis dans notre pays.

Ces rapports sont restés sans suite car aucune autre information n'a pu confirmer ces hypothèses. Il ne semble pas qu'un travail approfondi de recueil et d'analyse d'informations ait été poursuivi.

La Sûreté de l'État s'est contentée de signaler à la direction de « MFI » qu'il n'était plus possible de permettre à des iraniens de se servir de « MFI » pour obtenir des visas de complaisance.

La Sûreté de l'État ne paraît pas non plus s'être intéressée outre mesure aux visiteurs algériens de l'entreprise, bien que certains parmi eux se soient signalés par des prises de positions radicales.

Cette information, mise en rapport avec celles dont le SGR avait eu vent, pouvait pourtant laisser supposer qu'il s'agissait de membres du FIS réfugiés clandestinement en Belgique. La Sûreté de l'État ne semble pas avoir été mise au courant de cette dernière information.

Les investigations entamées en 1994 n'ont pas été poursuivies après l'année 1999 et aucun rapport de synthèse n'a jamais été adressé à une quelconque autorité du pays.

L'éventualité d'une intervention de la Région wallonne dans le financement de l'entreprise « MFI » en 2001 n'a suscité aucune réaction de la part de la Sûreté de l'État alors que l'article 19 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité lui permet de communiquer des données à des autorités administratives compétentes conformément aux finalités de ses missions.

Le Comité regrette également le manque d'initiative et de persévérance de la part de la Sûreté de l'État dans cette affaire.

6. Réactions des ministres compétents

En application des articles 33 et 35 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement, le Comité permanent R a adressé le présent rapport au ministre de la Justice et au ministre de la Défense nationale le 19 mars 2002 afin de recueillir leurs avis sur la publication du rapport.

Conformément à l'article 37 de la loi précitée, les ministres compétents disposent d'un mois pour réagir à compter de la demande d'avis. Les rapports et conclusions rendus publics comprennent l'avis des ministres compétents et des autorités compétentes.

A. Réaction du ministre de la Défense nationale

Le 19 avril 2002, le ministre de la Défense nationale a adressé le commentaire suivant : « Comme je peux lire, le service général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées n'est qu'accessoirement mentionné dans ce rapport. Pour ce motif, je ne vois pas d'objection à ce que le rapport présenté soit publié dans le rapport annuel du Comité R

B. Réactions du ministre de la Justice

Par sa lettre du 16 mai 2002, le chef de cabinet du ministre de la Justice a communiqué au Comité permanent R les remarques que la Sûreté de l'État estime devoir formuler au sujet du présent rapport. Ce courrier étant classifié « confidentiel » au sens de la loi du 11 décembre 1998, le Comité permanent R ne peut en reproduire ici la teneur.

Le Comité permanent R estime que la réponse de la Sûreté de l'État ne contient aucun élément déterminant qui lui permette de revoir ou de nuancer ses conclusions initiales.

Par ailleurs, le courrier du chef de cabinet du ministre de la Justice ne mentionne aucune objection à la publication du présent rapport.

Le Comité permanent R a communiqué ses propres réactions au ministre de la Justice et lui a proposé d'organiser un échange de vues à ce sujet comme le prévoit l'article 33, alinéa 5, de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements.

CHAPITRE 3 : Le fonctionnement de nos services de renseignement dans une affaire de trafic d'armes révélée au Comité permanent R par une source ouverte

1. Introduction et procédure

Au cours de sa réunion du 25 juin 1999, le Comité R a décidé d'initiative d'ouvrir une enquête de contrôle « portant sur le fonctionnement des services de renseignement dans une affaire de trafic d'armes révélée par une source ouverte ».

Cette décision faisait suite à la parution dans une source ouverte d'un article relatif à une affaire de trafic d'armes à ramification internationale.

Il y était fait mention notamment de l'identité de deux ressortissants belges qui, d'après l'article, auraient joué un rôle important dans un réseau de vente d'armes.

Deux premiers rapports intermédiaires établis par le service d'Enquêtes du Comité R le 10 novembre 1999 mentionnaient entre autre l'existence d'un dossier d'instruction judiciaire concernant les personnes citées dans l'article de presse susvisé.

Par courrier du 15 décembre 1999, le président du Comité R a adressé une demande au procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, en vue d'obtenir l'autorisation pour son Service d'enquêtes de prendre connaissance du dossier judiciaire et le cas échéant copies des pièces utiles à l'enquête de contrôle.

Cette autorisation fut accordée dans un premier temps par lettre du 28 février 2000 signée par le procureur général de Bruxelles.

Ultérieurement, soit le 31 mars 2000, il fut demandé par le parquet général de Bruxelles que le Comité postpose sa prise de connaissance du dossier pour ne pas interférer dans l'enquête judiciaire en cours.

Lors de sa réunion du 3 avril 2000, le Comité R a décidé pour cette raison de suspendre momentanément l'enquête de contrôle.

Par courrier du 28 décembre 2000, le président du Comité R s'est adressé au procureur général près la cour d'appel de Bruxelles pour lui demander « si les obstacles à la consultation du dossier judiciaire » étaient levés afin de permettre la reprise de l'enquête de contrôle.

Dans sa réponse du 5 janvier 2001, le procureur général a fait savoir qu'il espérait être en mesure de fixer définitivement le Comité R début février 2001.

Nonobstant cette réponse, et apprenant par la presse qu'un des intervenants dans cette affaire aurait été arrêté à l'étranger pour trafic d'armes, le Comité R a demandé par apostille du 24 janvier 2001, à son service d'Enquêtes, d'actualiser les informations récoltées précédemment et de lui faire rapport.

Cette mise à jour lui a été transmise le 5 février 2001.

Le 15 mars 2001, le Comité permanent R a fait parvenir un rapport provisoire aux commissions parlementaires de suivi ainsi qu'aux ministres de la Justice et de la Défense nationale.

Comme annoncé dans ce rapport, le Comité a poursuivi son enquête de contrôle. Les constatations faisant suite à ce complément d'enquête sont reprises au point 5 ci-dessous.

Le présent rapport a été approuvé par le Comité R lors de sa réunion du 11 avril 2002.

2. Les questions posées par le Comité R

Suite à l'article dont question au point 1 ci-dessus, le Comité R s'est proposé de vérifier, de manière très ciblée, les points suivants :

­ Les deux ressortissants belges cités dans l'article étaient-ils bien connus des services de renseignement (Sûreté de l'État et SGR ) et dans l'affirmative pour quelles raisons ?

­ Les deux services étaient-ils en possession d'informations relatives au trafic d'armes dont il était question ?

­ Les deux services disposaient-ils d'éléments d'informations permettant de confirmer ou d'infirmer l'intervention d'un service de renseignement étranger dans cette affaire, ce que laissait entendre la source ouverte déjà mentionnée ci-avant ?

­ Ce service étranger, la Sûreté de l'État et le SGR échangeaient-ils le cas échéant des informations concernant cette affaire ?

­ à quelles autorités le SGR et/ou la Sûreté de l'État communiquaient-ils les renseignements dont ils disposaient éventuellement sur ces faits ?

3. Les premières constatations du service d'Enquêtes du Comité R

Dans son rapport intermédiaire du 10 novembre 1999 au Comité R, le chef du service d'Enquêtes a indiqué qu'il s'était rendu le 3 septembre 1999, successivement au siège de la Sûreté de l'État et du SGR où il avait pu avoir accès aux dossiers de personnes concernées par l'affaire de trafic d'armes.

La consultation de ces dossiers permettait de faire les constatations suivantes.

3.1. À la Sûreté de l'État

Les dossiers de la Sûreté de l'État contenaient des informations qui remontaient au début des années 80 et étaient déjà relatives au commerce des armes avec des régions sensibles dont certaines soumises à embargo.

Des informations relatives aux dix dernières années apparaissaient comme en rapport avec des enquêtes et des dossiers judiciaires en cours.

Les dernières informations de 1999 étaient celles relatées dans la source ouverte précitée.

Ces dossiers font aussi état, toujours dans le cadre du commerce des armes, de demandes de renseignements adressées à la Sûreté de l'État émanant de services étrangers

Lors de sa visite sur place, le service d'enquêtes du Comité R a également pu constater que la Sûreté de l'État détenait encore des documents nombreux non encore exploités et concernant la période de 1990 à 1995.

Il est apparu enfin aux membres du service d'Enquêtes du Comité R que la problématique de cette affaire ne constituait cependant pas une priorité pour le membre de la Sûreté de l'État qui a répondu aux questions des enquêteurs. Des dossiers consultés, il n'apparaissait pas que des informations avaient été communiquées aux autorités judiciaires. Il ressortait au contraire que les informations détenues par la Sûreté de l'État provenaient en partie de dossiers judiciaires en cours (111).

3.2. Au SGR

D'emblée, la personne de contact désignée pour répondre aux questions des enquêteurs du Comité R a signalé que la presse faisait à tort un lien entre des réseaux qui n'avaient rien à voir entre eux.

Relativement aux personnes concernées, celles-ci avaient un dossier au SGR dont le contenu confirmait leurs activités dans le secteur du commerce des armes. L'intérêt de services étrangers par rapport à certaines personnes citées était également apparent.

Il a été clairement établi d'autre part qu'une collaboration étroite existait entre la BSR et le SGR dans le cadre de l'enquête judiciaire et que des réunions avaient lieu entre le SGR et la Sûreté de l'État concernant les faits dont la presse s'était faite l'écho.

4. Le rapport complémentaire du 5 février 2001 du service d'Enquêtes du Comité R

Suite au rapport intermédiaire du Service d'enquêtes du 10 novembre 1999, d'une part, et aux récents articles de presse relatifs à l'arrestation à l'étranger d'une des personnes suspectée d'espionnage, d'autre part, le Comité R a demandé à son service d'Enquêtes d'actualiser ses informations obtenues lors de ses premières démarches à la Sûreté de l'État.

Le 29 janvier 2001, le chef du service d'Enquêtes s'est rendu à la Sûreté de l'État.

D'emblée les interlocuteurs désignés du côté de ce service ont précisé avoir été sensibilisés par la presse aux développements récents de cette affaire.

L'intérêt actuel de la Sûreté de l'État s'expliquait également par les démarches entreprises par le ministère des Affaires étrangères lorsque l'arrestation d'un ressortissant belge pour espionnage avait été annoncée par les médias.

Les Affaires étrangères n'avaient pu recueillir que des informations très parcellaires via l'ambassade de Belgique sur place et s'adressaient donc à la Sûreté de l'État.

Le 10 janvier 2001, la Sûreté de l'État a fait parvenir une note au ministère des Affaires étrangères récapitulant les informations demandées.

En ce qui concerne la collaboration entre la Sûreté de l'État et les autorités judiciaires, le service d'Enquêtes du Comité R a constaté que dans un premier temps ses interlocuteurs semblaient ignorer l'existence d'une instruction judiciaire en cours.

Ce n'est qu'après qu'il leur fut rappelé qu'au cours de la première visite du service d'Enquêtes du Comité R à la Sûreté de l'État, en 1999 (voir ci-dessus), des rapports avaient été consultés faisant état d'éléments d'enquête judiciaire, qu'ils s'en sont souvenus.

Ils ont alors précisé n'avoir appris les suites de cette instruction judiciaire que par des articles de presse.

Ils ont d'autre part affirmé ne jamais avoir été questionnés par le pouvoir judiciaire dans le cadre des diverses instructions ouvertes à charge des personnes connues également des services de la Sûreté de l'État.

Enfin, il fut précisé que les anciens documents dont le service d'Enquêtes du Comité R avaient constaté la présence lors de la première visite sur place (voir ci-dessus), étaient obsolètes puisqu'ils retraçaient des activités remontant au début des années 90. Cette documentation n'avait donc pas fait l'objet d'une exploitation opérationnelle particulière.

Il fut mentionné dans la foulée que ce dossier n'était pas prioritaire au motif qu'il ne concernait pas la problématique de la prolifération et que la Sûreté de l'État ne disposait pas des moyens nécessaires pour y consacrer le temps requis.

Le service d'Enquêtes a constaté que sur le plan de la collaboration entre la Sûreté de l'État et le SGR concernant cette affaire, il a été souligné qu'il ne s'agissait pas d'une matière visée par le protocole d'accord liant les deux services (112) et « que le SGR était mieux placé que la Sûreté de l'État pour appréhender ce problème. »

C'est la raison pour laquelle le rapport du service d'Enquêtes adressé au Comité R qualifie en l'espèce cette collaboration de « minime » tout en précisant toutefois que la Sûreté de l'État avait pris l'initiative d'organiser une réunion avec le SGR et que des informations complémentaires furent dans le contexte de cette affaire adressées au chef du SGR.

4.1. La coopération avec les autorités judiciaires

Le Comité R constate qu'une documentation apparemment importante en volume, dont la Sûreté de l'État disposait déjà en 1999 et qui constituait « des documents de travail », n'a pas fait l'objet, en temps utile, d'une exploitation opérationnelle particulière.

Le Comité R s'étonne à ce sujet qu'aucun contact ­ retraçable ­ ne semble avoir eu lieu avec les autorités judiciaires concernant ces documents, alors que les membres concernés de la Sûreté de l'État n'étaient pas sans ignorer l'existence d'instructions judiciaires en cours.

Les explications données pour répondre à cette carence de communication à savoir premièrement que la Sûreté de l'État n'aurait jamais été questionnée par le pouvoir judiciaire dans le cadre des diverses instructions ouvertes et deuxièmement que les anciens documents dont le service d'enquêtes du Comité R avait constaté la présence lors de la première visite sur place étaient obsolètes, apparaissent au Comité R comme peu pertinentes.

En ce qui concerne la première explication, le Comité R rappelle incidemment que dans le domaine de la coopération avec les autorités judiciaires et les services de renseignement, un premier protocole d'accord a été signé entre la Sûreté de l'État et le Collège des procureurs généraux le 15 décembre 1997.

La loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité consacre d'autre part en son article 20 le principe d'une coopération aussi efficace que possible notamment entre ces services et les autorités judiciaires. Cette loi est, rappelons-le, entrée en vigueur le 1er février 1999.

Ces dernières dispositions, ainsi que leur date respective, tendent à indiquer qu'au moins à partir de 1997, à une époque ou la documentation susvisée n'était pas encore susceptible d'être qualifiée d'obsolète, des textes particuliers existaient qui auraient du, dans ce dossier, inciter la Sûreté de l'État à prendre l'initiative d'un contact avec les autorités judiciaires.

Mieux encore : la première visite du service d'enquêtes du Comité R, intervenue le 3 septembre 1999, attirant nécessairement l'attention de la Sûreté de l'État sur l'intérêt extérieur porté à ce dossier, n'a semblé avoir été suivie d'aucune réaction puisqu'à l'occasion de la seconde visite du 29 janvier 2001 les documents « gisaient » encore dans le même état que celui constaté 17 mois plus tôt.

En ce qui concerne la seconde explication, le Comité R ne peut que constater que des documents, dont d'ailleurs il ne lui appartient pas pour le surplus d'estimer l'importance que ce soit aussi bien sur le plan du renseignement que sur le plan judiciaire, restent depuis bientôt cinq ans apparemment inexploités, pour des motifs invoqués relevant soit de l'absence de priorité (il ne s'agirait pas d'un sujet en rapport avec la prolifération (113), soit de l'absence des moyens nécessaires pour y consacrer le temps requis. Il semble évident, si l'on retient ces explications, que ce pourrait être davantage cette carence dans le traitement de ces documents qui soit la cause aujourd'hui de leur caractère prétendument obsolète et non le contraire.

Dans de telles circonstances, le Comité R comprend d'autant moins comment l'existence de documents susceptibles d'intéresser des dossiers judiciaires en cours, n'ait apparemment pas été signalée aux magistrats et aux enquêteurs concernés pour leur permettre d'apprécier eux-mêmes si ces pièces avaient ou non une importance dans le cadre de leur compétence de poursuites.

Enfin, un dernier aspect que le Comité R tient à envisager d'initiative au sujet de la documentation détenue par la Sûreté est celui de la protection de la source dont pourraient provenir ces documents.

L'article 18 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité est très claire à ce propos : « Dans l'exercice de leurs missions, les services de renseignement et de sécurité peuvent avoir recours à des sources humaines. Dans ce cas, ces services doivent veiller à la sécurité des données qui concernent les sources humaines et des informations qu'elles communiquent. »

Bien que cela ne semble pas être le cas actuellement, il serait donc envisageable que pour ce motif de protection de la source, et en application de la loi relative à la classification et aux habilitations de sécurité du 11 décembre 1998, la documentation litigieuse puisse faire l'objet d'un niveau de classification qui en limite l'accès.

Le Comité R estime cependant que cela n'exclut pas qu'en pratique l'information de l'existence d'une telle documentation soit communiquée, en temps utile, aux autorités judiciaires.

L'article 8 de la loi relative à la classification prévoit en effet que si « nul n'est admis à avoir accès aux informations, documents ou données, au matériel, aux matériaux ou matières classifiées s'il n'est pas titulaire d'une habilitation de sécurité correspondante et s'il n'a pas besoin d'en connaître et d'y avoir accès pour l'exercice de sa fonction ou de sa mission », cette limitation d'accès ne s'applique cependant pas aux autorités judiciaires dans le cadre de leurs compétences propres.

Les dispositions de l'article 38 de la loi organique des services de renseignement prévoit d'ailleurs une procédure particulière de recours devant la chambre des mises en accusation lorsqu'un litige intervient entre le magistrat instructeur et le chef de corps d'un service de renseignement concernant le secret qu'il y a lieu de maintenir à propos de données ou de matériels classifiés dont la saisie serait, à l'estime du responsable du service de renseignement concerné, de nature à constituer, notamment, un danger pour une personne physique.

Le Comité R pense qu'avant d'en arriver à de telles procédures contentieuses, qui doivent, lui semble-t-il, rester l'exception, la coopération entre les services, que le législateur a voulu aussi efficace que possible (85), passe nécessairement par l'initiation d'un dialogue franc et constructif dans le respect des procédures légales applicables et de la protection des sources, notamment des informateurs, matière à laquelle les autorités judiciaires sont particulièrement sensibilisées.

Rappelons que les services de renseignements se doivent de contribuer « à la protection des droits et libertés individuels, ainsi qu'au développement démocratique de la société » pour reprendre les termes mêmes de l'article 2 de la loi organique précitée.

4.2. Les missions de la Sûreté de l'État et le cas d'espèce

Il semble apparaître de la dimension internationale des enquêtes judiciaires en cours, ainsi que des données relevées lors de l'examen par le service d'enquêtes du Comité R des dossiers détenus par les deux services de renseignement nationaux (114), qu'il n'est pas à exclure a priori que les activités de trafics d'armes concernées s'inscrivent, du moins partiellement, dans le contexte d'organisations criminelles.

Face à cette constatation, il convient de rappeler que la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité a donné entre autres comme mission à la Sûreté de l'État de rechercher, d'analyser et de traiter le renseignement relatif à toute activité qui peut avoir un rapport notamment avec les organisations criminelles (articles 7 et 8 de la loi précitée).

Il faut toutefois préciser comme le fait d'ailleurs le rapport 1999 des ministres de la Justice et de l'Intérieur sur le crime organisé en 1998 : « que la Sûreté de l'État ne mène aucune enquête sur des faits punissables isolés mais tente de dresser une carte des structures ... Elle donne une description qualitative du phénomène ».

En l'espèce, il apparaît donc au Comité R que si la documentation dont il a été question ci-dessus peut sans doute avoir un intérêt dans le contexte d'une analyse stratégique du renseignement, elle semble également et incontestablement en avoir un dans le domaine de la poursuite d'infractions éventuelles, qui est de la compétence exclusive des autorités judiciaires.

5. Conclusions de l'enquête

De l'ensemble des renseignements obtenus y compris suite à l'enquête complémentaire réalisée en 2001, le Comité permanent R peut retenir les constatations suivantes :

­ Par jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles du 25 octobre 2001, seul l'intervenant principal a été condamné par défaut à 5 ans de prison et à une amende de 2 000 francs pour faux en écritures et usage ainsi que pour trafic illicite d'armes. L'arrestation immédiate a été ordonnée par le tribunal. Il s'agit de faits allant de janvier 1986 à décembre 1996. L'intéressé résiderait actuellement en Iran. Il pourrait y être arrêté pour des faits de cette nature.

­ La Sûreté de l'État était au moins depuis 1996 en possession d'une documentation importante comprenant des documents commerciaux relatifs aux commerce d'armes de la personne condamnée. Ces documents couvrant la période de 1990 à 1995, étaient immédiatement exploitables dans le cadre des enquêtes judiciaires en cours.

­ Cette documentation n'a pas été analysée ni traitée par les services de la Sûreté de l'État dans l'optique de la collaboration avec les autorités judiciaires et dans l'optique de la poursuite des activités de renseignement. Aucun rapport à ce sujet n'a donc été adressé aux autorités administratives et aux autorités judiciaires.

­ Il y aurait toutefois eu un contact informel en 1997 avec un des enquêteurs chargés du dossier judiciaire. Suivant des informations récentes transmises par la Sûreté de l'État au Comité R, il serait apparu entre autre de ce contact qu'il y avait un « double emploi » entre la documentation détenue par ce service de renseignement et les pièces contenues dans le dossier judiciaire.

­ La documentation dont question a quant à elle été officiellement transmise par la Sûreté de l'État au magistrat national le 21 juin 2001. Dans son premier rapport transmis le 15 mars 2001 aux Commissions parlementaires de suivi ainsi qu'aux ministres de la Justice et de la Défense nationale, le Comité R recommandait que « la Sûreté de l'État informe les autorités judiciaires de l'existence d'une documentation susceptible de les intéresser pour le traitement d'un dossier en cours ».

­ De l'enquête complémentaire du Comité R ainsi que des pièces du dossier judiciaire, il apparaît qu'il est fait référence à d'anciens membres du SGR.

­ Un complément d'information à ce sujet, révèle qu'au moins deux personnes ont été concernées, après leur départ à la retraite du SGR, par les activités commerciales en relation avec la vente d'armes.

­ Concernant une de ces personnes, il apparaît qu'elle était impliquée dans l'obtention de faux certificats « end user » en relation avec les trafics de l'intervenant condamné le 25 octobre 2001.

­ Le SGR a adressé le 6 janvier 1994 à charge d'un de ces officiers retraités un rapport au magistrat national sur des faits de faux et usage de faux en écriture concernant la falsification d'un certificat « end user » dans le cadre d'une commande de matériel cryptographique soi-disant destinée à l'armée belge.

Dans ce rapport, le SGR indiquait : « Les équipements cryptographiques et plus encore les moyens de production de clés variables pour ces équipements sont de nature particulièrement sensible pour la sécurité des pays. Ils sont de ce fait hautement classifiés et leur exportation strictement contrôlée par les gouvernements. »

Le Comité permanent R n'a pas connaissance à ce jour des suites données par les autorités judiciaires à ce dossier.

6. Recommandations

Les considérations qui précèdent amènent le Comité R à recommander aux services de renseignement de veiller à une application : « aussi efficace que possible » (115) du protocole d'accord conclu le 22 juin 1999 avec le Collège des procureurs généraux.

Cette enquête montre aussi que des échanges sporadiques ou informels de renseignements sont peu efficaces. Le Comité R recommande pour cette raison le développement d'une coopération structurée de manière claire et formelle comme l'article 20 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité en consacre le principe.

7. Réaction du ministre de la Justice

Par courrier du 31 mai 2002, le ministre de la Justice a fait parvenir au Comité R une note de la Sûreté de l'État concernant ce rapport d'enquête. Cette note est classifiée « confidentielle » au sens de la loi du 11 décembre 1998 et son contenu ne peut dont être reproduite dans le présent document.

Aucune objection n'est formulée à la publication du rapport.

C. Enquêtes à l'initiative du service d'Enquêtes

La manière dont le SGR s'est acquitté d'une enquête de sécurité, liée à la candidature d'un gendarme pour la section « Enquêtes de sécurité » auprès du SGR

1. Contexte

Suivant divers articles de presse qui datent du début de 2000 un gendarme fut pris en flagrant délit de tentative d'incitation à la débauche. Le gendarme, un membre de la BSR, fut placé sous mandat d'arrêt.

D'après les médias, cette personne, avait déjà auparavant fait l'objet de soupçons similaires et venait de réussir les examens de recrutement lui permettant d'intégrer le service de renseignement militaire.

Il est apparu en effet que l'intéressé, devait rejoindre au début de l'année 2000 le détachement de la gendarmerie du service général de Renseignement et de Sécurité (SGRS).

Ce détachement réalise les enquêtes en vue de la délivrance d'un certificat de sécurité. Dans ce cas précis, l'intéressé aurait obtenu un certificat de niveau « très secret ».

Le service d'Enquêtes du Comité R a pris l'initiative de mener une enquête sur cette affaire.

Le Comité R a accepté cette initiative le 17 janvier 2000. L'enquête avait pour but d'examiner la manière dont l'enquête de sécurité avait été menée compte tenu des antécédents connus.

En ce qui concerne les faits qui datent du début 2000, il y a lieu d'ajouter que la personne en question a bénéficié récemment d'un non lieu.

2. Conclusions du service d'Enquêtes

2.1. Procédure

(compte tenu de la période considérée, la terminologie utilisée est celle en usage avant la réforme des polices)

Les enquêtes de sécurité auprès du SGR sont effectuées « sur le terrain » par des gendarmes qui font partie du détâchement de la gendarmerie auprès du SGR (Det Gd/SGR).

Ils sont administrativement rattachés au corps de la gendarmerie (maintenant, police fédérale), mais travaillent de manière fonctionnelle sous la responsabilité du SGR. Le détachement est dirigé par un officier de la gendarmerie.

Les principaux membres de ce détachement sont choisis parmi les gendarmes, membres de la BSR. Le détachement d'un gendarme dans le service susdit a lieu après une procédure assez exhaustive.

Tout d'abord, le commandant du détachement auprès du SGR fait connaître ses besoins en personnel à la Direction générale de la gendarmerie.

Celle-ci publie une « vacance d'emploi ». Les personnes intéressées adressent leur candidature par la voie hiérarchique à l'état-major général. Si leur demande est déclarée recevable, elles sont interviewées par le commandant du Det Gd/SGR qui établit un classement.

Un formulaire de demande de certificat de sécurité est établi par la gendarmerie pour les candidats retenus. Ce formulaire est rempli par le candidat et son supérieur (commandant de district). Ce dernier doit signaler toutes les réserves éventuelles relatives à cette mutation.

Ce n'est qu'après cette procédure administrative que le SGRS intervient pour effectuer l'enquête relative au certificat de sécurité demandé, dans le cas d'espèce du degré « très secret ».

L'enquête se base sur l'instruction de l'OTAN CM-55 (15) définitif et s'effectue sur le terrain par le détachement de la gendarmerie du SGR.

Après la collecte des informations, le dossier est présenté à la section compétente au sein du SGRS, dont le chef décide si le certificat est oui ou non délivré.

2.2. Les constatations recoltées par le service d'Enquêtes sur l'intéressé après l'ouverture de l'enquête

Suivant les différentes sources et dossiers qui ont été consultés, avec l'accord des autorités de la gendarmerie, les éléments suivants ont été mis en évidence par le service d'enquêtes du Comité R :

1. un rapport de stage défavorable;

2. des contacts de l'intéressé avec des personnes du milieu politique extrémiste;

3. des enquêtes judiciaires à charge de l'intéressé :

4. des contacts avec des personnes issues du milieu criminel, et même la suspicion de participation à une infraction grave;

À côté de ces divers éléments négatifs issus de divers dossiers, il est apparu :

­ que l'intéressé n'avait jamais eu de problèmes de discipline;

­ qu'il avait été félicité à plusieurs reprises pour son travail.

2.3. Octroi d'un certificat de sécurité

Malgré ces éléments négatifs ­ qui, comme on l'a dit, ont été rassemblés a posteriori par l'enquête approfondie menée par le service d'enquêtes du Comité R ­ un certificat de sécurité a été accordé à l'intéressé par le SGR.

Après l'arrestation de l'intéressé, le certificat de sécurité fut retiré et sa mutation annulée.

3. Appréciations

Si le dossier de l'intéressé avait été traité d'une manière similaire aux autres dossiers de personnes qui font ou non partie du SGR, il est plus que vraisemblable que l'intéressé n'aurait jamais obtenu un certificat de sécurité de niveau « très secret », d'une quelconque autorité de sécurité.

L'expérience du Comité R en tant qu'organe de recours en matière de certificats de sécurité enseigne que les personnes qui ont plusieurs éléments négatifs dans leur dossier sont évaluées négativement par l'autorité de sécurité.

Contrairement à une procédure judiciaire, il est en tout cas accepté que ­ même si aucune condamnation effective n'a été prononcée ­ des soupçons constituent des raisons valables susceptibles de provoquer un risque qui justifie un refus de certificat de sécurité.

La question est donc de savoir pourquoi dans ce cas un certificat a été accordé. On peut avancer ici plusieurs explications :

a) Les éléments positifs du dossier;

b) L'intéressé était membre effectif d'une section de la BSR ce qui supposait que son intégrité devait être présumée;

c) Le commandant d'unité n'avait émis aucune réserve lors de la demande de certificat de sécurité et lors de la demande, avait déclaré formellement qu'il n'y avait aucun obstacle;

d) L'enquête de sécurité effectuée par le SGR n'avait pas mis en lumière certains éléments. En particulier, un dossier personnel détenu au niveau local par la gendarmerie qui mentionnait des difficultés judiciaires n'avait pas été consulté.

En principe, il est vrai que cela n'était pas nécessaire puisque le dossier en possession de l'état-major aurait du contenir ces informations.

Il n'est pas certain que, lors de l'enquête de sécurité relative à la dernière demande de mutation, les demandes de mutation précédentes ont été réexaminées.

On peut déduire cependant des constatations du service d'Enquêtes, que l'enquête de sécurité concernant l'intéressé n'a pas été exécutée de manière superficielle. Ainsi, les nombreux liens avec l'extrême-droite ont été approfondis et les divers dossiers à ce sujet furent longuement examinés. Il est tout aussi clair que l'esprit de corps régnant au sein de la gendarmerie a joué un rôle dans cette affaire.

4. Conclusions

Le Comité R est d'avis qu'aucune faute personnelle n'est intervenue lors de l'enquête ou lors de l'attribution du certificat de sécurité à l'intéressé par les membres du SGR ou du détachement de la gendarmerie auprès du SGR.

L'ignorance officielle de certains soupçons (voir point 3, d), à l'égard de l'intéressé, a probablement prévalu en l'espèce. On peut cependant se poser la question de savoir si quelqu'un du détachement de la gendarmerie auprès du SGR n'était pas au courant de la réputation de l'intéressé.

Sur le plan structurel, on peut souligner le côté malsain d'une telle prise de décision. En effet, une enquête est effectuée concernant un collègue du même corps et, en même temps, il est très difficile pour les membres, et même pour le commandant du détachement de la gendarmerie auprès du SGR d'aller à l'encontre des appréciations faites par la hiérarchie de ce corps.

Même après le remplacement du détachement de la gendarmerie (probablement en 2005) par des inspecteurs propres au SGR, cet élément restera en principe problématique.

De la même manière, l'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, qui remplace la procédure suivie dans cette enquête (basée sur les directives de l'OTAN), ne fait ici aucune différence.

Le même problème, d'ailleurs, se pose pour les membres et les candidats à une fonction à la Sûreté de l'État.

5. Recommandations

Comme recommandation générale le Comité R estime qu'il serait préférable que les enquêtes de sécurité ne soient pas effectuées par des personnes et des services qui sont liés d'une manière hiérarchique ou collégiale aux personnes concernées.

Ces enquêtes devraient au moins être évaluées d'une manière critique par des personnes ou autorités qui ne se trouvent pas dans de tels liens.

En aucun cas il n'est acceptable que pour des candidats à ces services, auxquels seront attribués un poste de confiance fondamental dans l'évaluation de la fiabilité d'autres personnes (c'est-à-dire la réalisation d'enquêtes de sécurité), on tienne compte d'une présomption d'intégrité liée à leur précédente fonction, présomption dont ne bénéficieront pas d'autres personnes.

Le Comité R n'est pas compétent pour les dysfonctionnements qui pourraient éventuellement être constatés concernant la gendarmerie. Ce corps a d'ailleurs apporté toute sa collaboration à cette enquête. Le présent rapport est d'autre part envoyé pour suite utile au Comité P.

6. Réaction du ministre de la Défense nationale

Le ministre de la Défense nationale a fait parvenir au Comité R par courrier du 13 mai 2002, les observations suivantes :

« Conscient que les faits sont intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité et avant la réforme des polices, je suis rassuré de lire dans vos conclusions « qu'aucune faute personnelle n'est intervenue lors de l'enquête ou lors de l'attribution de l'habilitation de sécurité au gendarme en question par les membres du SGR ou du détachement de la gendarmerie du SGR ».

Au SGRS, une quarantaine de policiers fédéraux s'occupent exclusivement des enquêtes de sécurité pour le département, y compris celles pour le personnel du SGRS (militaires et civils de toutes catégories et policiers fédéraux). Si entre ces différentes catégories on sait difficilement parler de liens hiérarchiques, il n'est pas exclu cependant qu'une collusion soit possible entre un membre du personnel du SGRS et le policier fédéral qui exécute son enquête de sécurité.

Je partage vos préoccupations quand vous dites qu'il serait préférable que les enquêtes de sécurité ne soient pas effectuées par des personnes et des services qui sont liés d'une manière hiérarchique ou collégiale aux personnes concernées. Une solution pourrait être la création d'une agence spécifique disposant de ses propres enquêteurs. Restera toutefois le problème de l'enquête de sécurité pour le personnel qui en fera partie.

Je n'ai pas d'objection à ce que le rapport présenté soit publié tel quel dans votre rapport annuel prochain. »

D. Plaintes de particuliers et dénonciation

CHAPITRE 1 : Rapport d'enquête concernant la plainte d'un particulier « B »

1. Procédure

Par l'intermédiaire de l'organisation syndicale à laquelle il est affilié, un militaire a introduit le 8 février 2000 une plainte écrite contre le SGR à la suite du retrait d'une habilitation de sécurité.

Le retrait de l'habilitation concernée est intervenu avant l'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 1998 instituant un organe de recours en matière d'habilitation de sécurité.

Le Comité R a donc traité la plainte de la personne concernée comme une enquête de contrôle. Cette dernière a été ouverte le 22 février 2000.

Le Comité R a entendu le plaignant le 25 juillet 2001.

Le présent rapport a été approuvé par le Comité R lors de sa réunion du 4 avril 2002.

2. Les raisons de la plainte

Le plaignant, militaire de carrière, était affecté à une unité protégée, ce qui implique que le personnel qui y est employé doit être titulaire d'une habilitation de sécurité délivrée après une enquête de sécurité.

Sur cette base, le plaignant était titulaire, depuis 1982, d'une habilitation du niveau « secret ».

Par décision du SGR du 16 août 1999, cette habilitation fut retirée à l'intéressé, sans que la raison de ce retrait lui soit communiquée, malgré ses nombreuses demandes.

Suite à cette décision, l'intervenant a perdu sa fonction. Il a été muté dans une autre unité au début de l'année 2000.

3. L'audition du plaignant

Entré à l'armée en 1975, l'intéressé a fait, lors de son audition du 10 avril 2000, valoir ses états de service et insiste sur le fait qu'il n'a jamais encouru de condamnation.

Les seules sanctions infligées durant sa carrière concernent des faits disciplinaires minimes. Aucun de ces éléments ne pouvaient d'après lui avoir joué un rôle dans la décision de retrait de son habilitation.

Le plaignant a affirmé n'avoir aucune idée de la cause précise de ce retrait. Il considérait comme frustrant et injustifié de ne pouvoir obtenir aucune réponse à ce sujet.

Il a toutefois précisé qu'il soupçonnait que la décision incriminée était la conséquence d'une initiative de son ancien commandant d'unité, fondée sur des déclarations inexactes.

À la demande de savoir s'il pouvait étayer ses soupçons sur des éléments concrets ou factuels, le plaignant a déclaré :

« Un rapport disciplinaire a été rédigé à mon encontre suite à la non exécution de consignes données par un supérieur. Cela s'est passé le 16 février 1999 avec le sergent ( ...). Il n'était pas possible de respecter ces consignes parce qu'elles étaient en contradiction avec le règlement de sécurité. Je n'ai pas été sanctionné pour cette affaire. Je peux même vous dire que la procédure disciplinaire n'a pas été respectée ... ».

Le plaignant a encore ajouté qu'il avait été choisi par le personnel comme représentant pour traiter avec des autorités hiérarchiques de son unité dans le cadre de l'ICC (Info Contact Comité). L'intéressé avait le sentiment que cet élément représentait la raison principale de la décision de retrait et son renvoi de l'unité.

L'intéressé considérait qu'il subissait d'abord un dommage moral du fait qu'il se sentait attaqué dans son honneur et qu'il avait l'impression de ne plus être le bienvenu dans son milieu de travail et dans le milieu de ses relations.

De plus, le plaignant a souligné que cette décision avait un impact défavorable sur sa situation financière à la suite des frais de déplacement supplémentaires qu'occasionnait sa mutation subséquente au retrait de son habilitation.

4. Les constatations du Comité R

Le Service d'Enquêtes du Comité R a eu accès au dossier du plaignant traité par le SGR.

Ce dossier concerne l'habilitation de sécurité de niveau « secret » de l'intéressé (les diverses demandes ­ la 1ère datant de 1982, la dernière de 1996 ­ les résultats des enquêtes de sécurité, la délivrance de l'habilitation et son retrait).

La consultation de ce dossier a mis principalement en évidence :

Que le plaignant disposait depuis 1982 d'une habilitation de sécurité du niveau « secret »;

Qu'à quatre reprises des enquêtes de sécurité ont été diligentées, dont trois dans le cadre du renouvellement de l'habilitation initiale; qu'à aucun moment des informations négatives n'ont été mises en évidence à l'occasion de ces enquêtes;

Que ce n'est qu'au cours de la période de juillet 1998 à février 1999 qu'une série de rapports disciplinaires sont rédigés à l'encontre du plaignant et que cette situation donne lieu à la rédaction et à la transmission au SGR, en avril 1999, d'un rapport de contrôle du chef de corps de l'intéressé;

Que selon ce dernier document, la fiabilité de l'intéressé doit être revue et qu'il ne peut plus être maintenu dans une fonction protégée;

Que la transmission de ce rapport au SGR a entraîné un complément d'enquête de sécurité dont le plaignant n'a pas été informé;

Que suite à ce complément d'enquête, le SGR a pris la décision de retirer l'habilitation du plaignant le 16 août 1999;

En marge de l'évolution des divers faits qui sous-tendent ce dossier, le Comité R doit constater qu'un conflit ouvert opposait le plaignant à son commandant d'unité depuis juillet 1998;

Le premier a notamment confirmé lors de son audition par le Comité R, le 25 juillet 2001, la survenance d'un dernier incident qui s'est déroulé le 16 février 1999. Il a reconnu en substance avoir, à cette date, refusé de suivre une nouvelle procédure de sécurité relative aux munitions et avoir en présence de son commandant d'unité, appelé suite à l'incident, adressé les paroles suivantes à son supérieur direct : « D'accord je vais le faire, mais toi (sergent ...), tu dois faire attention. »

À l'occasion de cet incident, dont le plaignant dit qu'il a été exagéré, la police militaire est toutefois intervenue. A la suite de cet évènement, le plaignant a été soumis à un examen psychiatrique et retiré du rôle de garde. L'examen médical n'a rien révélé d'anormal sur le plan du comportement de l'intéressé.

Un rapport initial à une procédure disciplinaire a été dressé pour des faits de « refus d'ordre, injures, menaces ».

Cette procédure disciplinaire n'a jamais connu d'autres suites; elle a été interrompue par le nouveau commandant d'unité « qui estimait que le plaignant avait été suffisamment sanctionné par le retrait de son habilitation ».

5. Conclusions

1. L'enquête de contrôle démontre qu'en l'espèce, une nette confusion s'est installée entre une procédure disciplinaire et une procédure d'enquête de sécurité, les deux faisant respectivement l'objet de règlements différents.

2. Sans sous-estimer le risque éventuel de sécurité que pouvait présenter le comportement du plaignant tel qu'il s'est manifesté à l'occasion de l'incident précité du 16 février 1999, le Comité R estime, sur la base des nombreux éléments recueillis et de l'analyse qui en a été faite par son service d'Enquêtes, que le retrait de l'habilitation de sécurité du militaire concerné a davantage été motivé par des raisons d'ordre disciplinaire que par une réelle évaluation de la fiabilité de la personne elle-même; que ce faisant le plaignant n'a pas pu disposer des garanties que la procédure disciplinaire lui reconnaissait notamment au niveau de l'exercice des droits de la défense.

Outre cet aspect, la procédure disciplinaire, si elle avait été poursuivie jusqu'à son terme, aurait d'autre part été susceptible d'apporter des éléments plus pertinents et équilibrés pour fonder une décision en matière d'habilitation de sécurité, que cette décision ait été un retrait ou un maintien de ladite habilitation.

3. En ce qui concerne ce dernier aspect, le Comité R doit constater pour le surplus que les autres informations retenues par l'enquête de sécurité complémentaire du SGR sont insuffisamment étayées et vérifiées pour convaincre un lecteur objectif de la réalité des doutes sérieux que l'on pouvait émettre concernant le degré de confiance à accorder au plaignant.

Il convient d'ajouter que si la loi du 11 décembre 1998 instaurant un organe de recours en matière d'habilitation de sécurité avait déjà été en vigueur, la décision du Comité R en cette qualité aurait été de demander de compléter l'enquête de sécurité, concernant, d'une part, l'influence que le conflit personnel entre le plaignant et sa hiérarchie directe aurait pu avoir sur l'appréciation de sa fiabilité par les enquêteurs du SGR et, d'autre part, sur la réalité de certaines rumeurs non autrement vérifiées.

4. La procédure des enquêtes de sécurité, les conditions d'octroi des habilitations, ainsi que l'organisation d'un recours en la matière sont aujourd'hui définis par les lois du 11 décembre 1998 et les arrêtés royaux du 24 mars 2000 (116).

Une série de problèmes de principe importants soulevés par la présente enquête sont donc actuellement réglés comme entre autre l'information du requérant à différents stades de la procédure, la motivation de la décision de refus ou de retrait et la possibilité pour la personne concernée d'introduire un recours contre cette décision dans le cadre d'une procédure contradictoire.

Le danger est donc moindre de voir en pratique, directement ou indirectement, une certaine confusion entre les procédures disciplinaires et les procédures liées aux enquêtes de sécurité produire ses effets.

5. Si le retrait ou le refus d'une habilitation de sécurité peut bien entendu être la conséquence d'une enquête disciplinaire ­ comme d'ailleurs d'une enquête pénale ­ le Comité R ne peut concevoir que le seul retrait ou le seul refus d'une telle habilitation par le SGR ou par la SE, agissant comme autorité de sécurité, se substitue partiellement ou totalement à une procédure disciplinaire, s'inscrivant dans le contexte soit du fonctionnement des Forces armées, soit du fonctionnement de ces deux services de renseignements.

Les deux procédures doivent conserver leurs finalités propres. Le Comité R rappelle d'ailleurs que le règlement concernant la sécurité militaire « IF5 » prévoit explicitement qu'une mesure de sécurité, comme le retrait d'une habilitation, est une mesure administrative de précaution qui ne peut constituer une mesure de nature disciplinaire.

6. Recommandation

Le Comité R recommande aux services de renseignements, désignés comme autorité de sécurité par la loi du 11 décembre 1998, de veiller rigoureusement à ne pas substituer une mesure de sécurité comme le retrait ou le refus d'une habilitation à une procédure disciplinaire.

7. Réaction du ministre de la Défense nationale

Par courrier du 2 mai 2002, le ministre de la Défense nationale a fait valoir le commentaire suivant :

« La cause de cet incident est à rechercher dans la façon dont était organisée la procédure des habilitations de sécurité avant l'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité. Je partage dont entièrement vos conclusions en la matière ».

Le ministre de la Défense nationale fait savoir également qu'il n'a aucune objection à la publication du rapport.

CHAPITRE 2 : Rapport d'enquête concernant la plainte de M. H. suite à une information transmise par la Sûreté de l'État dans le cadre d'une procédure de naturalisation

1. Procédure

Le 19 novembre 2001, le Comité permanent R a réceptionné la plainte d'un particulier introduite par l'intermédiaire de son conseil, avocat au barreau d'Anvers.

En bref, l'objet de cette plainte visait à faire vérifier sur quels éléments la Sûreté de l'État s'était fondée pour faire parvenir au procureur du Roi d'Anvers, dans le cadre d'une procédure de naturalisation, une information selon laquelle le plaignant « était membre d'une organisation extrémiste qui avait recours à des méthodes terroristes ».

Sur base de cette information, erronée selon le plaignant, le procureur du Roi avait émis un avis négatif.

Lors de sa réunion du 19 novembre 2001, le Comité R a décidé d'ouvrir une enquête de contrôle intitulée : « Plainte d'un particulier suite à une information transmise par la Sûreté de l'État dans le cadre d'une procédure de naturalisation ».

Lors de sa réunion du 14 mars 2002 le comité a approuvé le présent rapport d'enquête.

2. L'objet de la plainte

Selon la plainte rédigée par son conseil, le plaignant, M. H réside en Belgique depuis 11 ans. Il est marié à une ressortissante belge et il est venu en Belgique suite à ce mariage. Il a demandé l'obtention de la nationalité belge.

Cette demande s'est heurtée à un avis négatif du procureur du Roi qui en référait à une information de la Sûreté de l'État selon laquelle le requérant était « membre d'une organisation extrémiste, qui avait recours à des méthodes terroristes ».

En première instance, le tribunal avait écarté cet avis négatif au motif :

« (...) qu'il n'est pas concevable qu'une personne se voit refuser la nationalité belge pour la seule et unique raison de l'existence de faits avancés par la Sûreté de l'État sans que ces faits, ou les pièces confirmant ceux-ci, soient portés à la connaissance du requérant de manière à ce que celui-ci puisse les contester. Une telle attitude témoigne d'un mépris inadmissible des droits de la défense.

Tout aussi inacceptable est le fait d'attendre d'un tribunal qu'il refuse la nationalité belge à une personne, sans qu'il puisse exercer le moindre contrôle ou prononcer la moindre appréciation sur les faits qui sont retenus à charge de l'intéressé ... »

La plainte précise que le parquet a interjeté appel de cette décision pour des « raisons de principe ».

En degré d'appel, le ministère public a fait connaître les informations suivantes émanant de la Sûreté de l'État :

« Selon les renseignements qui nous ont été communiqués par l'administration communale, je vous communique que la personne concernée a pris part en 1997 à un camp d'entraînement kurde, organisé par le PKK. »

Le plaignant déclare formellement au Comité R via son conseil n'avoir jamais eu le moindre contact avec le PKK. Il n'a jamais demandé l'asile en Belgique où il est venu pour des raisons familiales. S'il est originaire du territoire kurde en Turquie, il a affirmé ne s'être jamais, ni en Turquie, ni ici en Belgique, occupé de cette problématique.

La plainte précise que dans un avis rendu par la Commission de la protection de la vie privée dans une affaire similaire (117) concernant la Sûreté de l'État, cette institution écrivait le 28 août 2001 :

« La Commission de la vie privée rencontre en effet divers obstacles légaux et politiques qui ne lui permettent pas de répondre à la question de votre client ... »

« (...) Vu le caractère insatisfaisant de la situation actuelle, la Commission de la protection de la vie privée ainsi que la Commission d'accès aux documents administratifs ont entrepris une action commune auprès du pouvoir législatif afin d'apporter les modifications nécessaires aux trois lois permettant une plus grande transparence.

« (...) La réussite d'une telle action dépend du bon vouloir politique et je suis obligé de vous signaler que cela peut prendre quelques temps. »

Le plaignant signale enfin avoir demandé à la cour d'appel de postposer sa décision en attendant les résultats de l'enquête du Comité R.

3. Les résultats de l'enquête

3.1. La consultation du dossier de la Sûreté de l'État par le service d'Enquêtes du Comité R

Le service d'Enquêtes du Comité R s'est rendu le 30 novembre 2001 à la Sûreté de l'État pour prendre connaissance du dossier du plaignant.

L'entièreté des pièces du dossier constitué d'une partie « papier » et d'une partie « électro-nique » a pu être consultée.

Ces pièces font l'objet d'une classification au sens de la loi du 11 décembre 1998 et leur contenu ne peut donc être divulgué.

Il ressort toutefois de la consultation de certaines pièces non classifiées :

­ que l'épouse du plaignant a introduit une demande de naturalisation qui a fait l'objet d'une demande de renseignement à la Sûreté de l'État émanant du procureur du Roi d'Anvers en 1995. La Sûreté de l'État n'a rien eu à signaler au sujet de cette personne qui a obtenu la nationalité belge;

­ qu'une demande de naturalisation a été introduite en 1998 par le plaignant suivant l'ancienne procédure et qu'en vertu de l'article 21, § 4, du Code de nationalité, le greffier de la Chambre des représentants a adressé une demande de renseignements à l'administrateur général de la Sûreté de l'État.

­ qu'il a été répondu en substance le 1er juillet 1998 que le plaignant « est sympathisant du PKK; que cette organisation est une organisation séparatiste turco-kurde d'inspiration marxiste-léniniste, qu'en Europe le PKK utilise la violence contre les colonies turque, kurde et arménienne et se livre à l'extorsion de fonds à leurs égards, que parfois cette organisation se livre à des actions (violentes); que dans d'autres pays d'Europe le PKK a déjà organisé des actions violentes faisant des victimes; qu'en Turquie le PKK a créé l'ARGK (Armée populaire de libération du Kurdistan) qui s'est fait remarquer par des attaques terroristes dirigées contre des villages et qui ont occasionné de grands bains de sang »; qu'une copie de cette lettre a été transmise au parquet du procureur du Roi d'Anvers;

­ qu'à la suite d'une déclaration d'option de la nationalité belge introduite par le plaignant le 31 mai 2000 dans le cadre de la procédure accélérée, dans un courrier émanant de la Sûreté de l'État et adressé le 1er août 2000 au procureur du Roi d'Anvers, il est mentionné notamment que :

« d'après des informations communiquées par l'administration communale, la personne dont l'identité est indiquée a participé en 1997 à un camp d'entraînement organisé par le PKK »; qu'il est précisé également que « depuis l'emprisonnement de son chef, Abdulhah Ocalan, le PKK a montré sa volonté d'instaurer un dialogue avec les autorités turques afin de trouver une solution pacifique au problème kurde. ».

3.2. Les constatations du service d'Enquêtes du Comité R

Le service d'Enquêtes du Comité R confirme qu'il n'y a pas d'erreur concernant l'identification de la personne dont il a consulté le dossier à la Sûreté de l'État. Il s'agit bien du plaignant. Il apparaît que ce dernier est bien connu pour être un sympathisant du PKK.

Nonobstant cette constatation, le service d'Enquêtes du Comité R n'a trouvé aucun élément qui puisse étayer « la participation du plaignant à un camp d'entraînement du PKK en 1997 », tel que mentionné dans le courrier précité de la Sûreté de l'État du 1er août 2000.

3.3. La réaction de la Sûreté de l'État suite aux constatations du service d'Enquêtes du Comité R

La Sûreté de l'État a admis que les constatations du service d'Enquêtes du Comité R étaient correctes et que la note du 1er août 2000 précitée était inexacte en ce qu'elle mentionnait la participation du plaignant à un camp d'entraînement du PKK.

Si le plaignant peut être qualifié de sympathisant du PKK, aucun autre élément ni en 1998, ni en 2000 n'indique qu'il est à considérer comme un « activiste » (quelqu'un qui est un membre actif de l'organisation et/ou qui prend part à des actions).

L'origine de la faute constatée est à attribuer à une erreur matérielle commise par une employée de la Sûreté de l'État qui a depuis lors quitté le service.

La Sûreté de l'État indique aussi que la référence à des informations transmises par l'administration communale est, elle aussi erronée.

3.4. Le courrier du 10 janvier 2002 de l'administrateur général de la Sûreté de l'État au Comité permanent R

Par courrier du 10 janvier 2002, l'administrateur général de la Sûreté de l'État a confirmé les constatations résultant de l'enquête.

Elle a également signalé qu'un courrier était adressé au procureur du Roi d'Anvers le 10 janvier 2002 afin, d'une part, de rectifier l'interprétation fautive et, d'autre part, de donner une description des activités du plaignant dans le contexte du PKK.

Le courrier précise également « (quels sont) les éléments qui ont été à la base d'une telle faute, à savoir :

­ la situation précaire du personnel de la Sûreté de l'État, qui ne permet pas de disposer pour toutes les matières du personnel d'analyse suffisant;

­ les effets de la nouvelle loi sur la naturalisation, qui d'une part entraîne une augmentation du nombre des demandes annuelles à traiter d'environ 22 000 à plus ou moins 48 000 et qui d'autre part imposent un délai de réponse plus court (un mois). Cela exclut un examen approfondi du dossier, de même qu'un éventuel examen complémentaire pour préciser certains éléments;

­ le fait qu'il ne restait à plein temps qu'un membre (néerlandophone) du personnel pour traiter les demandes de naturalisation et de régularisation émanant de ressortissants turcs (y compris les ressortissants kurdes et arméniens); que de surcroît le membre du personnel concerné souffre d'un lourd handicap visuel;

­ le fait que l'agent concerné, complètement dépassé par la situation de stress, a demandé sa mutation. »

Le courrier précité précise que « la Sûreté de l'État est totalement consciente du problème. À de nombreuses reprises, le service a attiré l'attention des autorités sur le fait que des erreurs de ce type pouvaient subvenir (les parquets, les ministres compétents, la Chambre des Représentants, le ministre de la Justice dans le cadre du projet d'enquête scientifique relatif à l'exécution de la nouvelle loi sur la naturalisation). »

À ce courrier, l'administrateur général de la Sûreté de l'État joint copie des notes dans ce sens adressées à ces différentes autorités (le 19 janvier 2001 au chef de cabinet du ministre de la Justice, aux cabinets de Sa Majesté le Roi, au premier ministre, au ministre de l'Intérieur; le 4 décembre 2001 à M. le Député C. Eerdekens, président de la commission de la Chambre pour les Naturalisations et à M. F. Graulich, greffier de la Chambre des représentants; le 14 décembre 2001 à M. C. Eerdekens).

4. Conclusions

4.1. En ce qui concerne la plainte du particulier, le Comité R constate que celle-ci est fondée en ce que l'affirmation de la Sûreté de l'État transmise au procureur du Roi d'Anvers selon laquelle le plaignant « a pris part en 1997 à un camp d'entraînement Kurde organisé par le PKK » résulte d'une erreur commise par ce service.

4.2. Suite à la plainte et à l'enquête de contrôle du Comité R, la Sûreté de l'État a adressé le 10 janvier 2002 un courrier au procureur du Roi d'Anvers rectifiant l'information inexacte.

4.3. Concernant le problème plus général lié au manque de moyens invoqué par la direction de la Sûreté de l'État, le Comité R rappelle que cet aspect du problème est actuellement analysé dans le cadre de l'audit général de ce service de renseignement.

4.4. Envisageant toutefois l'atteinte que des dysfonctionnements tels que celui relevé dans le présent rapport sont susceptibles de causer aux droits fondamentaux des personnes, le Comité permanent R examinera par priorité la manière dont cette matière est actuellement traitée.

4.5. Dès à présent, le Comité R constate qu'en marge des problèmes propres au fonctionnement de la Sûreté de l'État, une meilleure information des personnes quant aux éléments négatifs recueillis par les services de renseignement dans le cadre des procédures de naturalisation est possible tout en tenant compte des impératifs de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

Sous cette seule réserve, cette information est impérative pour permettre aux droits de la défense de s'exercer effectivement, et le cas échéant, de permettre au contrôle institué par la loi du 18 juillet 1991 organique des services de police et de renseignement de donner sa pleine mesure à l'occasion d'une des deux missions qui lui sont confiées par le législateur : « le contrôle sur la protection des droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes ».

4.6. Le Comité R souligne que des erreurs de la nature de celle relevée dans le cadre de la présente enquête sont susceptibles de porter atteinte à la crédibilité du service aussi qu'à la confiance que les autorités judiciaires et les personnes doivent avoir dans les services de renseignement.

4.7. Le Comité R rappelle ses recommandations suite à l'étude relative aux « Droits d'accès du particulier à son dossier individuel auprès d'un service de renseignement » (118) :

Le Comité R avait notamment souhaité à l'époque :

« une transparence accrue en vue d'une meilleure protection des droits des particuliers ».

Le Comité R estimait « qu'une personne qui fait état d'un préjudice matériel ou moral vraisemblable en rapport avec des informations contenues sur elle dans un dossier des services de renseignement devrait pouvoir obtenir, sous certaines conditions mais de manière plus large qu'aujourd'hui, un droit de consulter ces documents. L'opportunité de permettre ou de refuser cet accès ne doit pas être laissé à la seule appréciation des services de renseignement ».

5. Recommandation

Le Comité permanent R recommande qu'en matière de naturalisation, les notes et informations transmises par la Sûreté de l'État indiquent explicitement une motivation qui fait apparaître les éléments non classifiés ou susceptibles d'être déclassifiés qui peuvent être soumis à la contradiction du requérant.

6. Réaction du ministre de la Justice

« En général, il faut d'abord constater que dans les dossiers de naturalisation les procureurs du Roi basent leurs avis presque totalement et intégralement sur les renseignements provenant de la Sûreté de l'État.

Ceci a probablement pour cause le fait que d'autres services et autorités sollicités ne communiquent que peu ou pas d'informations concrètes, où le font tardivement. Nous constatons que la Sûreté de l'État est le seul service qui ne se contente pas de transmettre des formulaires ou des énumérations. Nous donnons toujours une esquisse de la situation du demandeur de la naturalisation vis-à-vis de la situation politique, de ses activités et liaisons en rapport de certains groupements, de ses relations à l'étranger, etc.

Normalement, le parquet qui rédige l'avis final devrait faire la synthèse de toutes les informations reçues. Le fait que dans beaucoup de cas, seule et notamment par des citations littérales, l'information de la Sûreté de l'État st utilisée, ne contribue pas à donner une image complète du demandeur. De plus, notre information et les sources de celle-ci peuvent être compromises.

Un problème supplémentaire dans ces dossiers résulte de la différence entre l'utilisation d'informations délivrées par un service de renseignement et l'utilisation de ces renseignements comme preuve dans une procédure devant un tribunal.

Un service de renseignement comme la Sûreté de l'État peut transmettre beaucoup d'informations. Vu nos méthodes de travail et les moyens légaux, nos renseignements proviennent, en général, de sources humaines. Évidemment ces informations ne sont pas équivalentes aux moyens de preuve classiques utilisés dans les procédures judiciaires.

Cela apparaît clairement dans les deux procédures possibles de naturalisation.

Dans la procédure où la demande est traitée par la Chambre des représentants, notre service constate qu'une évaluation est faite du demandeur, de ses activités et de son droit à la naturalisation. En effet, la Chambre des représentants, considère la délivrance de la naturalisation comme un avantage. La naturalisation est délivrée après examen de tous les éléments du dossier.

Lors des procédures qui passent via les parquets et qui, le cas échéant, peuvent donner lieu à une procédure judiciaire, il est davantage indiqué de disposer de moyens de preuves établis.

Pour cette raison, la Sûreté de l'État communique de manière classique les renseignements en sa possession dans l'espoir que ceux-ci soient repris dans la totalité des informations recueillies auprès des autres autorités et institutions. Il est effectivement très difficile pour un service de renseignement, si pas impossible, de transformer les informations disponibles en preuves indiscutables. Il s'agit ici en fait d'une « contradictio in terminis » avec la définition d'un service de renseignement.

Dès lors, un système où tous les renseignements seront traités dans un nouveau document est préférable à un document (et donc à une décision) basée seulement sur les faits signalés par la Sûreté de l'État.

Nous transmettons cependant toujours des données utilisables. Si nos renseignements ne mènent pas à une décision, ils peuvent le cas échéant être complémentaires d'une information émanant des autres autorités. Autrefois, une enquête complémentaire pouvait être demandée à la police ou à la Sûreté de l'État. Dans le cadre de la procédure accélérée actuelle ceci n'est plus possible.

Dans le présent dossier relatif à la plainte de M. H, une faute a effectivement été commise. Cette faute a été provoquée par le volume en forte augmentation des demandes, combiné à des délais fortement réduits.

La Sûreté de l'État n'a pas reçu pour l'exécution de cette loi, les moyens nécessaires notamment en ce qui concerne le personnel requis.

Nous avons maintes fois attiré l'attention des autorités sur ce problème ainsi que sur le fait que des fautes pourraient se produire. Dans le rapport du Comité R, il est fait référence à cette correspondance.

La faute en question a été corrigée entre temps par l'envoi d'un nouveau courrier au parquet concerné. Ceci ne change cependant pas le fond du dossier. L'activité préalablement citée l'était à tort suite à une erreur d'interprétation, mais l'appartenance et la liaison de M. H avec le PKK est établie.

Dans les conclusions de l'enquête de contrôle, notamment, au point 4.3, le Comité R estime que d'une manière générale le besoin de personnel devrait être mis en évidence par l'audit en cours.

J'estime pouvoir affirmer que ce besoin a déjà été démontré de manière claire par les constatations suivantes :

­ le cadre actuel n'est pas complet;

­ pour les nouvelles missions légales, il n'y a aucun cadre prévu;

­ pour l'exécution de la nouvelle loi sur la naturalisation, il n'y a pas de moyens prévus.

Je joins à nouveau une copie de nos notes du 19 janvier 2001 et 8 mars 2002 sur cette problématique du manque de personnel.

Dans les conclusions de l'enquête de contrôle notamment aux points 4 et 5, le Comité R propose que les personnes soient mieux renseignées sur leur dossier dans le cadre des demandes de naturalisation.

Qu'il me soit permis de référer dans ce cadre à la décision du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité du 16 février 2000, demandant aux différentes autorités de classifier le moins possible et exclusivement pour répondre aux intérêts décrits par la loi du 11 décembre 1998 concernant les classifications et les habilitations de sécurité.

Je dois faire remarquer qu'en principe les réponses aux milliers de demande de naturalisation que nous traitons ne sont dès lors pas classifiées. Ces lettres sont donc reprises dans le dossier. En plus, les citations littérales sont reprises dans les avis. Ceci implique que le demandeur ou son conseiller a accès à ses informations. En plus, dans la procédure judiciaire éventuelle, les compléments d'informations peuvent être demandés.

Exclusivement dans des cas très limités les réponses sont classifiées. Dans ce cas, ni le demandeur de la naturalisation, ni son conseil n'ont accès à l'information. Conformément à l'article 8 de la loi du 11 décembre 1998, l'accès à des informations classifiées est limité aux personnes possédant une habilitation de sécurité.

En général, il s'agit de dossiers relatifs à la criminalité organisée et/ou au contre-espionnage. Le danger pour les sources est manifestement clair dans ces cas. Une certaine réserve s'impose dès lors. L'information ne porte pas effectivement et seulement sur le demandeur même de la naturalisation, mais également sur d'autres personnes en relation, le cas échéant avec la même source. La protection de celle-ci doit donc être assurée.

En vertu de l'article 18 de la loi organique du 30 novembre 1998, la Sûreté de l'État est d'ailleurs légalement obligée de protéger les données ayant trait aux sources humaines et à l'information que celles-ci transmettent.

Tout récemment, un parquet nous a signalé lui-même un incident de sécurité. Une réponse classifiée « confidentiel » avait été communiquée par un substitut. Dès lors, la source a été exposée.

La nature délicate de ce genre de dossier est démontrée d'ailleurs par l'enquête de contrôle même, dans laquelle le Comité R préfère toujours parler de M. « H ». Il s'agit ici de la partie plaignante dont on protège malgré tout le nom. »

TITRE III :

NOTES D'INFORMATION AU PARLEMENT

CHAPITRE 1 : Brève évaluation de l'efficacité des services de renseignement au 8 octobre 2001

Avertissement

La présente note n'est pas un rapport d'enquête du Comité permanent R au sens de l'article 33 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement.

Il s'agit d'une évaluation rapide et sommaire de l'efficacité des services de renseignement belges effectuée dans la perspective d'une intensification de la lutte contre le terrorisme islamique suite aux attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001.

Ce document est destiné aux membres de la commission parlementaire d'accompagnement du Comité permanent R, ainsi qu'aux ministres de la Justice et de la Défense nationale.

Cette évaluation est bien sûr tirée de certains rapports d'enquêtes rédigés précédemment par le Comité dont elle rappelle les recommandations. Mais la présente évaluation se base aussi sur des informations qui lui ont été récemment transmises sur les mesures prises à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Certaines informations contenues dans la présente note font actuellement l'objet d'enquêtes aux fins de vérifications plus approfondies. Les présentes conclusions ne peuvent donc être considérées comme définitives de la part du Comité permanent R.

1. Le service général du Renseignement et de la Sécurité (SGR)

1.1. Les orientations générales du service

La loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité définit les missions du service ainsi que les moyens légaux qu'il peut utiliser pour recueillir des renseignements (notamment l'interception de télécommunications militaires à l'étranger).

Sur le plan du recueil du renseignement extérieur, le SGR est habituellement très tourné vers l'Afrique centrale ainsi que vers les Balkans où les Forces armées belges sont engagées ou susceptibles de l'être. L'expertise africaine est reconnue et appréciée par les services étrangers.

En matière de sécurité, le SGR préconise depuis plusieurs années une politique de sécurisation de l'information concertée au niveau fédéral.

1.2. Le traitement de l'extrémisme islamique

L'extrémisme et le terrorisme islamique sont traités par deux sections du SGR spécialement dédiées à ces matières, l'une au sein du service de renseignement, l'autre au sein du service de sécurité. Ces menaces sont d'abord traitées par le SGR dans la mesure où elles concernent la sécurité des forces armées en Belgique et à l'étranger (principalement dans les Balkans). Jusqu'au 11 septembre 2001, le terrorisme islamique ne constituait pas la priorité du SGR.

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les plans directeurs du renseignement et de la sécurité du SGR ont été adaptés pour être mis en adéquation avec l'actualité.

Il s'avère en effet que des intérêts militaires situés en Belgique (le siège de l'OTAN par exemple) sont aussi susceptibles d'être pris pour cibles d'actions terroristes.

Le SGR a donc créé une « task force » qui regroupe des éléments du service de renseignement et du service de sécurité ainsi que des collaborateurs détachés de services administratifs. Cette « task force », dirigée par un colonel, veille en permanence (24 heures sur 24) et est rattachée à la liaison opérationnelle, ce qui lui permet d'avoir tous les contacts nécessaires avec les services partenaires, qu'ils soient à l'étranger ou en Belgique.

Le SGR est en contact direct et permanent avec le ministre de la Défense nationale ainsi qu'avec l'état-major général et plus précisément le centre opérationnel de la division opérationnelle.

1.3. Le personnel du SGR

On trouve au SGR quatre catégories de personnel militaire et civil, chacune étant soumise à un statut particulier. À cet égard, le Comité permanent R avait préconisé en 1997 une concertation entre les différents ministres compétents afin de réduire autant que possible les disparités non justifiées et d'harmoniser les statuts des agents civils des services extérieurs de la Sûreté de l'État et ceux du SGR (119).

L'élaboration en cours d'un nouveau statut pour les inspecteurs et commissaires civils du service de sécurité militaire s'avère plus difficile que prévu. L'alignement progressif des salaires de ces agents sur ceux de la police fédérale devra être envisagé pour conserver aux fonctions du SGR une certaine attractivité. Une telle opération ne pourra cependant pas ignorer les revendications salariales des militaires.

Bien qu'il existe au sein du service une différence sensible de mentalité entre ses agents civils et les militaires (ces derniers étant marqués par l'esprit de corps), il ne semble pas exister de tensions internes marquantes au sein du personnel.

La mobilité du personnel militaire, surtout au niveau des officiers supérieurs, a été importante au cours de ces dernières années. Elle semble aujourd'hui quelque peu stabilisée. En 1997, le Comité avait recommandé de favoriser la stabilité de ce personnel militaire; il a notamment préconisé de nommer le chef du SGR pour une durée de cinq ans au moins.

Le Comité a également proposé de revoir l'application stricte du principe de la « barrière » de manière à permettre une certaine mobilité des agents civils du service de sécurité militaire vers les services administratifs de la Défense nationale ou d'autres services de l'État fédéral (notamment en cas de perte de l'habilitation de sécurité ou de diminution des capacités physiques).

De manière générale, il existe un déficit en personnel civil (surtout un manque d'analystes qualifiés) dû au blocage des engagements dans la fonction publique et aux lenteurs des procédures de recrutements au Selor. Pour pallier ce déficit, le SGR recourt fréquemment à l'engagement d'experts contractuels.

Une enquête récente a révélé le déficit important de personnel affecté à la section chargée de la sécurité industrielle (celle des entreprises qui travaillent pour la Défense nationale).

Le SGR risque également de subir un important déficit en personnel lorsqu'il sera mis fin au détachement de l'unité de gendarmerie encore chargée jusqu'à présent d'effectuer les enquêtes de sécurité.

Pour le reste, les attachés militaires à l'étranger constituent une source d'informations appréciable pour le SGR.

1.4. Les moyens techniques de recueillir l'information

Le SGR semble disposer de moyens matériels limités mais suffisants et d'un bon niveau technique pour accomplir ses missions, notamment sur le plan de la sécurité informatique et des télécommunications des Forces armées.

Le SGR dispose à présent de la capacité légale de procéder à l'interception de télécommunications militaires à l'étranger. Ce service ne dispose pas de la capacité légale de procéder à des interceptions de sécurité sur le territoire national, moyen qu'il estime néanmoins utile à l'exercice de sa mission.

Le SGR sera prochainement associé au développement du programme d'observation par le satellite Hélios 2, ceci grâce à la création d'une cellule d'analyse d'images satellitaires qui permettra au service d'agir en cette matière de manière plus autonome par rapport aux services étrangers.

1.5. Les informateurs

Le SGR est conscient que le recours aux moyens technologiques modernes ne doit cependant pas lui faire négliger le recours aux sources humaines d'informations (Humint).

Néanmoins, à l'occasion de certaines enquêtes et de certains contacts, le Comité permanent R s'est posé certaines questions sur l'importance accordée par le SGR à l'apport d'informateurs extérieurs aux Forces armées.

Le comité pense que cette matière doit retenir son attention dans les prochains mois.

1.6. Les sources ouvertes

En accord avec les recommandations du Comité permanent R, le SGR a pris des initiatives en vue de procéder à la collecte et à l'analyse plus systématique des sources ouvertes.

1.7. Perception générale du SGR par le Comité permanent R

L'attitude générale du SGR envers le Comité permanent R est marquée par la confiance et un esprit constructif de collaboration.

À l'exception d'un cas dans lequel il a été constaté que le SGR avait agi en « zone grise » (120), le comité n'a pas constaté jusqu'à présent que ce service s'était écarté de la loi ou de ses missions légales.

Le Comité permanent R a reçu assez peu de plaintes et de dénonciations concernant ce service. Les plaintes reçues avant l'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 1998 portant création d'un organe de recours en matière d'habilitations de sécurité émanaient surtout de militaires et concernaient principalement des retraits et refus d'octroi d'habilitations de sécurité. Ce problème a depuis lors trouvé un cadre de règlement légal.

Ainsi, au cours de l'année 2000, dans l'exercice de sa mission d'organe de recours en matière d'habilitation de sécurité, le Comité permanent R a reçu et traité vingt recours dirigés contre des refus et retraits d'habilitations de sécurité prononcés par le SGR. Le comité n'a infirmé qu'une seule de ces décisions. Il a par ailleurs renvoyé quatre dossiers à l'autorité de sécurité pour complément d'enquête et prise d'une nouvelle décision (121).

Le SGR donne l'impression générale de vouloir s'acquitter de ses missions avec efficacité, loyauté et ambition, ceci avec les moyens humains et techniques limités dont il dispose. Ce service ne fait pas de la disposition de moyens complémentaires une condition préalable à l'exécution des missions qui lui incombent.

2. La Sûreté de l'État

2.1. Les orientations générales de la Sûreté de l'État.

La loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité définit les missions du service ainsi que les moyens légaux qu'il peut utiliser pour recueillir des renseignements.

Quelques fautes individuelles mises à part, le Comité permanent R n'a jamais constaté que la Sûreté de l'État s'était écartée de la loi, ni de ses missions légales.

Les compétences légales de la Sûreté de l'État limitent son action à l'intérieur du territoire national. La Sûreté de l'État ne dispose d'aucune représentation à l'étranger.

Sur le plan du recueil du renseignement, la Sûreté de l'État apparaît surtout efficace dans l'exercice de ses missions traditionnelles à l'égard de l'extrémisme idéologique et du contre-espionnage. Néanmoins, des sujets comme l'espionnage russe et le suivi d'un parti d'extrême droite ont été négligés au cours de ces dernières années.

La Sûreté de l'État se targue d'être particulièrement performante en matière de protection rapprochée des personnalités étrangères séjournant en Belgique. La présidence belge européenne oblige toutefois ce service à affecter des moyens humains supplémentaires à cette mission au détriment des missions de recueil de renseignements. Ceci pose problème.

En ce qui concerne l'exercice de ses nouvelles missions (notamment la protection du potentiel scientifique et économique, le crime organisé), la Sûreté de l'État se retranche derrière soit l'insuffisance de ses moyens techniques et humains, soit l'absence de directives du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité pour justifier une certaine passivité de sa part (122).

En cette matière, la Sûreté de l'État doit tenir compte des activités de services de renseignement étrangers actifs en Belgique ainsi que de services de renseignement privés.

2.2. Le traitement de l'extrémisme islamique

L'extrémisme islamique est l'un des sujets traités par la Sûreté de l'État, tant au niveau de ses services extérieurs que de ses services d'analyse.

Une section des services extérieurs est spécialement dédiée à l'extrémisme islamique, au Maghreb, à l'Asie centrale musulmane, à l'Afghanistan, à l'Azerbaïdjan, à l'Iran et à Israël.

Un service d'étude est spécialement dédié à l'analyse des menaces issues du Maghreb, de la Péninsule arabe, d'Israël, de l'Iran, de l'Afghanistan, de l'Asie centrale islamique, de l'islam extrémiste, ainsi que pour les aspects de l'Islam institutionnel en Belgique. Il est également compétent pour les formes et structures du crime organisé qui se rapportent aux compétences précitées.

Les services d'analyse assurent, dans un premier stade, l'analyse des informations recueillies sur les groupes, associations et mouvements repris dans leurs listes de sujets. Après évaluation, si l'évolution ou les renseignements récoltés le justifient, ils informent les services concernés ou les autorités compétentes.

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, la Sûreté de l'État a répondu à une demande du premier ministre en lui transmettant les dernières notes ainsi qu'une mise au point concernant la menace islamiste-extrémiste.

Des renseignements ont également été transmis au chef de cabinet du Roi et au ministre de l'Intérieur.

Par ailleurs, le 14 septembre 2001, la Sûreté de l'État a publié un communiqué de presse intitulé « La Sûreté de l'État démontre son utilité en tant que service de renseignement. Un travail intensif de renseignement a contribué à la mise à disposition du parquet d'extrémistes islamistes ». Ce communiqué largement relayé par les médias insiste notamment sur la nécessité d'adopter une loi permettant à la Sûreté de l'État de procéder à des écoûtes administratives. Veuillez trouver copie de ce communiqué en annexe.

2.3. Le personnel de la Sûreté de l'Etat

Depuis plusieurs années, le cadre théorique du personnel de la Sûreté de l'État n'est plus complet. L'administration générale n'a eu de cesse de demander au ministre de la Justice que son cadre de personnel soit complété et qu'il soit même accru pour permettre l'engagement de personnel qualifié (analystes et experts en certaines matières, informaticiens, traducteurs, etc.).

Ces demandes se sont régulièrement heurtées aux mesures de restrictions budgétaires et de blocage général des recrutements dans la fonction publique. La moyenne d'âge des agents des services extérieurs de la Sûreté de l'État a donc commencé à s'élever.

Un concours de recrutement a récemment permis l'engagement de jeunes inspecteurs et commissaires stagiaires. Parmi ces stagiaires, quatre ont déjà quitté le service pour préférer une carrière à la police fédérale, et pas seulement pour des raisons financières, dit-on. Ces problèmes sont examinés par le Comité permanent R qui mène actuellement une enquête sur la gestion des ressources humaines des services de renseignement.

Une enquête récente a fait spécialement apparaître le manque de personnel affecté à la nouvelle mission de protection du potentiel scientifique et économique.

Début 1999, la section « islamisme » des services extérieurs comptait 18 personnes. Cependant, la section a connu dans le courant des années 1999 et 2000 plusieurs trains de mutations qui ont bouleversé sa composition. Ses effectifs ont été renforcés de cinq unités mais plus de la moitié du personnel a été remplacée de sorte que sur les 18 agents composant la section au début de 1999, il n'en reste que dix encore présents en 2001.

Cependant les agents de la section « islamisme » ne sont pas les seuls à s'occuper d'islamisme extrémiste à la Sûreté de l'État; les agents des bureaux provinciaux s'occupent aussi de cette matière dans les limites de leur ressort territorial, mais pas de manière exclusive.

Le Comité permanent R s'interroge sur les raisons et sur le bien fondé des nombreuses mutations d'agents constatées au cours de ces trois dernières années, surtout dans les services extérieurs. Ces mutations ne semblent pas toutes motivées par des nécessités opérationnelles du service.

Contrairement à la section des services extérieurs, la composition du service d'étude n'a pas été considérablement modifiée ces dernières années. Au début de l'année 1999, ce service d'étude comptait sept personnes. Au 4 juillet 2001, il en comptait onze, soit 4 agents qui ont progressivement renforcé l'effectif au cours des années 1999, 2000 et 2001. Les « anciens » sont restés en place. La section d'analyse est dirigée par un commissaire des services extérieurs dont la compétence en matière d'islamisme est reconnue.

L'entrée en vigueur de la loi du 14 décembre 2000 sur l'organisation du temps de travail dans le secteur public semble actuellement poser quelques problèmes au sein des services extérieurs de la Sûreté de l'État. Cette nouvelle réglementation relative au nombre maximum d'heures prestées est jugée trop contraignante pour le personnel des services extérieurs et même pour les services administratifs, ce qui n'est pas de nature à faciliter les choses. La direction générale de la Sûreté de l'État a demandé que des adaptations légales soient apportées à la loi, notamment en ce qui concerne les modalités de récupération et le paiement de certaines heures supplémentaires (123).

Le problème des moyens humains est à nouveau soulevé dans le cadre de la présidence belge de l'Union européenne qui a nécessité de nombreux renforts ponctuels dans la section de protection des personnalités. Ces renforts ont été puisés dans les autres sections des services extérieurs de la Sûreté de l'État.

Néanmoins la section extérieure en charge de l'islamisme a été épargnée compte tenu de l'actualité. Il y a cependant un problème d'effectifs plus général.

L'absence de statut syndical et de représentation du personnel des services extérieurs à l'égard de la direction empêche tout forme de concertation sociale.

Une note de service datée du 18 septembre 2001 exhorte le personnel de la Sûreté de l'État à consentir à des efforts supplémentaires compte tenu de la présidence belge de l'Union européenne et de la crise actuelle résultant des attentats terroristes aux Etats ­ Unis.

2.4. Les moyens techniques et matériels de recueillir l'information

La Sûreté de l'État plaide depuis longtemps pour qu'on lui octroie une capacité de procéder légalement à des écoûtes de sécurité. Cette revendication a été rappelée dernièrement par un communiqué de presse publié à l'occasion des attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001.

Le Comité permanent R a lui aussi formulé plusieurs fois cette recommandation pourvu que cette méthode soit encadrée de conditions claires et de mesures de contrôle efficaces (124).

La Sûreté dispose de moyens d'observation, de télécommunications ainsi que d'un réseau informatique que le Comité permanent R a l'intention de faire prochainement vérifier sur le plan de l'efficacité et de la sécurité par un expert informatique disposant d'une habilitation de sécurité.

2.5. Les informateurs

Le recours aux informateurs est pour la Sûreté de l'État le moyen par excellence de recueillir de l'information. Il n'existe aucune règle précise pour encadrer l'utilisation de ce moyen humain et la Sûreté de l'État se montre ouvertement réticente à ce que cette matière soit réglementée par voie légale.

Des notes internes existent mais dans la pratique, la manière de traiter les informateurs semble laissée à l'appréciation ponctuelle des agents des services extérieurs.

Le Comité permanent R a connaissance d'un cas dans lequel la « manipulation » d'un informateur par un agent de la Sûreté de l'État a donné lieu à la commission d'un délit.

En principe, la Sûreté de l'État n'accepte pas de recruter des informateurs qui ont encouru des condamnations pénales; l'application de ce principe pose problème, surtout en matière de criminalité organisée. Une récente note de service a été rédigée sur ce sujet au sein de la Sûreté de l'État; elle impose la divulgation de l'identité des sources aux supérieurs hiérarchiques des services extérieurs; la mise en application de cette note soulève de nombreuses objections au sein du service.

2.6. Les sources ouvertes

En accord avec les recommandations du Comité permanent R, la Sûreté de l'État a pris des initiatives en vue de procéder à la collecte et à l'analyse plus systématique des sources ouvertes en matière de renseignement.

2.7. Perception générale de la Sûreté de l'État par le Comité permanent R.

L'attitude générale actuelle de la Sûreté de l'État envers le Comité permanent R est marquée par une lente amélioration de sa collaboration.

Néanmoins, la question de l'envoi systématique des notes internes de ce service au comité vient encore de faire l'objet d'un échange de courrier.

Certaines enquêtes du comité se trouvent encore confrontées à des réponses lapidaires ou incomplètes de la part de la direction du service, voire même à des refus de réponse justifiés parfois de manière abusive par le secret d'instructions judiciaires en cours.

La section chargée des enquêtes de sécurité donne l'impression de travailler en suivant des automatismes administratifs.

Le Comité permanent R a reçu peu de plaintes de particuliers concernant la Sûreté de l'État.

Le Comité permanent R a reçu des dénonciations concernant des dysfonctionnements internes au sein de certains services, principalement des services extérieurs. On parle aussi de guerres de clans, de bureaucratisation croissante de son fonctionnement et de mesures de management inappropriées, ce qui aurait pour conséquence de créer un climat de démotivation du personnel. Ces dénonciations ont donné lieu à l'ouverture d'enquêtes de contrôle afin d'en vérifier le bien-fondé

Le Comité permanent R s'inquiète en effet de la multiplication d'articles concernant la Sûreté de l'État dans la presse. Ces articles relatent soit de prétendus dysfonctionnements du service, soit des révélations concernant des enquêtes en cours qui seraient issues de soi-disant « sources internes ».

Le 17 septembre 2001, pour la première fois à la connaissance du Comité, l'administration générale de la Sûreté de l'État a publié un communiqué démentant certaines informations publiées par un journal concernant les enquêtes de ce service sur l'activité des milieux islamistes en Belgique. Ces « fuites » pourraient être le symptôme d'un malaise réel au sein du personnel de la Sûreté de l'État. Le Comité permanent R compte mener une enquête auprès de la Sûreté de l'État sur l'origine, les circonstances et le contexte de ces diffusions d'informations.

La Sûreté de l'État dans son ensemble donne l'impression générale de vouloir s'en tenir à l'exercice de ses missions traditionnelles, avec efficacité et loyauté certes, mais sans grandes ambitions dans des domaines nouveaux comme la protection du potentiel scientifique et économique ou la criminalité organisée.

Le Comité permanent R reste néanmoins persuadé que la Sûreté de l'État comporte un potentiel humain loyal, dévoué et expérimenté. Le Comité craint toutefois que ce sentiment de malaise et de démotivation qui semble s'être actuellement installé au sein d'une partie du personnel n'obère l'efficacité de ce service.

3. La collaboration entre les services de renseignement, les autorités civiles et judiciaires

Il existe un protocole d'accord entre la Sûreté de l'État et le SGR pour organiser la collaboration et l'échange d'informations entre ces deux services. L'application de ce protocole est qualifiée de satisfaisante par les responsables des deux services.

Des responsables et cadres de ces deux services se rencontrent également au sein de plusieurs instances de décisions ou de concertation qu'elles soient permanentes ou temporaires, telles que :

­ l'Autorité nationale de sécurité pour la délivrance des habilitations de sécurité;

­ le Collège du renseignement et de la sécurité où se discute la mise en oeuvre des directives du Comité ministériel du renseignement et de la Sécurité. À ce jour, et depuis le 11 septembre 2001, le Collège du renseignement et de la sécurité s'est réuni deux fois sous la présidence de M. Coene, chef du cabinet du premier ministre;

­ le Groupe interforces antiterroriste (GIA) où se retrouvent également des membres de la police fédérale;

­ la Cellule fédérale mixte de l'information (CMFI) destinée à optimaliser le recueil et l'analyse de l'information concernant les menaces de troubles pendant la présidence belge de l'Union européenne.

Il existe également un protocole d'accord conclu le 22 juin 1999 entre la Sûreté de l'État et le Collège des procureurs généraux. Cet accord prévoit que la transmission d'informations classifiées au ministère public s'effectue via les magistrats nationaux, dont l'un est titulaire d'une habilitation de sécurité. Celui-ci peut donc recevoir des informations classifiées, même dans le cadre de recherches pro-actives. Des renseignements ont donc été transmis aux magistrats nationaux et aux juges d'instruction chargés de coordonner le volet judiciaire de l'enquête. À ce titre, ces derniers peuvent aussi prendre connaissance d'informations classifiées.

Cependant, certaines enquêtes du Comité permanent R ont encore fait apparaître des manques ponctuels de collaboration entre le SGR et la Sûreté de l'État, notamment dans le cadre des nouvelles missions attribuées à ce service par la loi organique de 1998 (125). Le Comité permanent R pense que la collaboration systématique entre ces services n'est pas encore bien ancrée dans leurs mentalités respectives et que des méfiances réciproques subsistent.

En matière de criminalité organisée notamment, la Sûreté de l'État se trouve sur un terrain d'action de la police fédérale et elle pourrait donc entrer en concurrence avec elle. Néanmoins, aucun signe de tension entre ces services n'a encore été perçu par le comité jusqu'à présent.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la collaboration entre la police fédérale, la Sûreté de l'État et le SGR a cependant été intensifiée, de même qu'au sein du Groupe inter forces anti-terroriste avec lequel ces services sont en contact permanent. La collaboration y est qualifiée d'excellente par les deux services de renseignement. Leurs responsables souhaitent que les ministres responsables donnent au GIA les moyens d'intensifier son travail d'analyse et de coordination.

La Sûreté de l'État et le SGR participent également à une structure de coordination fédérale (Task Force) réunissant, sous l'égide du magistrat national, des représentants du groupe interforces antiterroriste, de la police fédérale et de certains organes de l'Union européenne présents en Belgique.

4. La collaboration internationale avec des services étrangers

Le renforcement de la collaboration de nos services de renseignement avec des services de renseignement étrangers était une recommandation de la commission « Rwanda ».

Le SGR et la Sûreté de l'État collaborent avec des services étrangers dans le cadre des structures de l'OTAN (la Sûreté de l'État y délègue un officier de liaison); ils entretiennent également des relations bilatérales avec d'autres services.

Cette collaboration internationale n'empêche pas le SGR et la Sûreté de l'État de rester attentif aux intérêts nationaux spécifiques, même à l'égard de services de pays réputés amis de la Belgique.

L'échange d'informations entre services de pays différents est régi par la règle du « donnant-donnant » et celle du « tiers service » (126).

En matière de terrorisme islamique par exemple, le SGR a besoin des informations fournies par d'autres services. Mais pour recevoir une information d'un service étranger, il doit être en mesure de lui en fournir une autre de même valeur en échange. C'est pourquoi le SGR cultive son expertise sur l'Afrique centrale, domaine dans lequel il est susceptible d'apporter des informations inédites et utiles à d'autres services. Le SGR jouit d'une bonne réputation auprès des services étrangers à cet égard.

Le SGR reconnaît que l'application stricte de la règle du « tiers service » dans l'échange d'informations entre services de pays différents est un obstacle à la diffusion de ces informations vers les autorités civiles et judiciaires. Le SGR pense qu'il faudrait assouplir l'application de cette règle. Cependant, une telle évolution se heurte au conservatisme dominant dans les services de renseignement. Ceux-ci travaillent d'abord et surtout en fonction de leurs intérêts nationaux.

Dans le concert international, l'absence de législation belge en matière d'écoûtes de sécurité place la Sûreté de l'État sur un plan d'infériorité par rapport aux services étrangers qui disposent d'un tel moyen d'action.

5. Conclusions et recommandations

Le SGR donne l'impression générale de vouloir s'acquitter de ses missions avec efficacité, loyauté et ambition, ceci avec les moyens humains et techniques limités dont il dispose.

La Sûreté de l'État est actuellement confrontée à un problème de management de ses moyens humains. Le Comité permanent R est toutefois persuadé que la Sûreté de l'État comporte un potentiel humain loyal, dévoué et expérimenté.

Le comité craint que si la situation de malaise et de démotivation actuellement ressentie au sein du personnel de ce service devait perdurer, cela n'obère son efficacité et mène à la tentation de vouloir renforcer les structures de renseignement de la police fédérale ou d'y faire entrer la Sûreté de l'État. Le Comité permanent R y voit un danger pour la démocratie. Le problème ayant été abordé à plusieurs reprises lors de réunions des commissions d'accompagnement parlementaire des Comités permanents P et R, le Comité R se propose de poursuivre son enquête relative à la gestion des ressources humaines des services de renseignement en procédant dans le courant de l'année 2002 à un audit de la Sûreté de l'État.

La comparaison des salaires en vigueur dans les services de renseignement et ceux de la police fédérale ne manquera pas de poser certains problèmes dans un proche avenir.

Par ailleurs, se basant sur les constatations et sur l'évaluation provisoire qui précèdent, le Comité permanent R croit utile d'émettre les recommandations prioritaires suivantes :

Il convient dès à présent de prendre en compte le climat de malaise qui semble régner actuellement au sein du personnel de la Sûreté de l'État et de prendre les mesures éventuellement nécessaires pour y porter remède.

La reconnaissance d'un statut syndical au personnel des services extérieurs serait de nature à ouvrir un cadre de discussion sur ces problèmes et sur les solutions à y apporter.

À court terme, il est indispensable que le cadre effectif du personnel de la Sûreté de l'État corresponde enfin à son cadre théorique de manière à ce que l'exercice des nouvelles missions prévues par la loi organique de 1998 devienne effectif.

Il est indispensable de ne plus confier des missions de protection rapprochée à des agents chargés de recueillir des renseignements.

Il est nécessaire de pourvoir au renforcement de certaines sections du SGR (notamment la sécurité industrielle et le service des enquêtes de sécurité) ainsi qu'au recrutement de traducteurs et d'analystes qualifiés.

Sous réserve que soient définies de strictes conditions d'utilisation, et que soit instauré un mode de contrôle permanent et effectif sur celles-ci, le Comité permanent R estime qu'il est urgent d'octroyer au SGR et à la Sûreté de l'État des possibilités légales d'écoûtes de sécurité sur le territoire belge.

Mais le Comité permanent R recommande également aux deux services de ne pas négliger pour autant le recueil du renseignement par des moyens humains (Humint).

À cet égard, le Comité a aussi recommandé que le recours aux informateurs par les services de renseignement fasse l'objet d'un code de conduite et de directives claires relatives notamment quant à leur recrutement et à leur protection.

De manière générale, le Comité permanent R estime aussi que l'utilisation de techniques spéciales de recherches intrusives pour la vie privée (écoutes, filatures, informateurs) par les services de renseignement doit faire l'objet de normes légales prévoyant le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. De telles dispositions sont indispensables aussi bien du point de vue de l'efficacité, que de celui de la protection des droits des citoyens.

La collaboration systématique entre les deux services de renseignement fédéraux doit être développée à tous les niveaux.

De même, la collaboration avec les services de renseignement étrangers (européens surtout) devrait faire l'objet d'un cadre structurel et opérationnel mais aussi être contrôlée. Ainsi l'application de la règle du « service tiers » devrait être évaluée et assouplie de manière à ne pas empêcher la transmission d'informations essentielles aux autorités civiles et judiciaires.

Complément d'évaluation de l'efficacité de la Sûreté de l'État
au 14 novembre 2001

Avertissement

La présente note n'est pas un rapport d'enquête du Comité permanent R au sens de l'article 33 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement.

Il s'agit d'un complément d'information apporté à la note d'évaluation rapide de l'efficacité des services de renseignement belges transmise à la commission du Sénat chargée du suivi du Comité permanent R ainsi qu'aux ministres compétents le 8 octobre 2001.

Ce document indique les dernières mesures prises par la Sûreté de l'État en vue d'une intensification de la lutte contre le terrorisme islamique suite aux attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001.

Ce document est destiné aux membres de la commission parlementaire d'accompagnement du Comité permanent R, ainsi qu'aux ministres de la Justice et de la Défense nationale.

Cette évaluation se base sur des documents internes que la Sûreté de l'État a transmis au Comité permanent R après le 11 septembre 2001, ceci en application de l'article 33, alinéa 2, de la loi organique du 18 juillet 1991, de même que sur un entretien que le Comité a eu avec l'administrateur général et l'administrateur général adjoint de la Sûreté de l'État le mercredi 7 novembre 2001.

Le Comité permanent R poursuit ses enquêtes de contrôle afin de vérifier certaines considérations rapportées ci-après, de sorte qu'il s'abstiendra d'en tirer des conclusions définitives dans l'état actuel de la question.

1. Les orientations générales de la Sûreté de l'État

Dans le contexte actuel, la Sûreté de l'État accorde la priorité à l'extrémisme et au terrorisme islamique ainsi qu'à la protection des personnalités étrangères séjournant en Belgique à l'occasion de la présidence belge européenne.

L'administrateur général de ce service a sollicité le plein engagement du personnel dans la lutte contre le terrorisme international.

Les effectifs du service extérieur et du service d'analyse qui sont spécialement consacrés aux menaces terroristes islamiques viennent d'être renforcés en recevant l'affectation temporaire d'agents détachés de leurs services d'origine.

Il en est de même des services chargés des relations internationales de la Sûreté de l'État. Ces mesures sont entrées en application le 5 novembre 2001.

Les activités d'analyse concernant la prolifération sont, elles aussi, orientées vers la lutte contre les activités de ces groupes terroristes.

Par ailleurs, la section chargée de la protection des personnes, de même que celle chargée des filatures, ont également été renforcées en recevant l'affectation temporaire de quelques agents supplémentaires enlevés à leurs services extérieurs d'origine.

Ceci implique que les services d'analyse et les sections des services extérieurs consacrés à d'autres sujets (les sectes, les autres extrémismes idéologiques, etc.) doivent à présent travailler avec moins d'effectifs.

Ainsi, seul un suivi minimum est assuré pour les activités de contre-espionnage.

Par ailleurs, la Sûreté de l'État doit encore assurer le suivi des mouvements anti-mondialisation, les demandes d'avis en ce qui concerne la régularisation des sans-papiers et les naturalisations, de même que les accréditations de journalistes aux sommets européens. Ce service doit aussi répondre aux sollicitations du Plan fédéral de la sécurité en ce qui concerne les réseaux de trafic d'êtres humains.

La direction générale a donc décidé de suspendre temporairement les activités de recueil, d'analyse et de traitement du renseignement relatif à la protection du potentiel scientifique et économique (127). Les agents chargés de cette mission ont été réaffectés aux missions prioritaires du moment.

La direction générale justifie cette mesure, qu'elle n'a pas prise de gaieté de cour, par l'insuffisance de ses moyens humains, d'une part, par l'absence de directive du Comité ministériel du renseignement, d'autre part.

L'administrateur général de la Sûreté de l'État a informé le ministre de la Justice des mesures qui précèdent.

2. Le personnel de la Sûreté de l'État

Depuis plusieurs années, le cadre théorique du personnel des services administratifs et extérieurs de la Sûreté de l'État n'est plus complet. L'administrateur général estime que l'effectif actuel de son personnel n'est pas suffisant pour assurer toutes les missions dévolues à la Sûreté de l'État, surtout après les attentats du 11 septembre 2001.

La direction générale de la Sûreté de l'État a adressé une note au ministre de la Justice le 18 septembre afin de lui signaler les problèmes d'effectifs auxquels elle était confrontée.

Le manque de personnel se fait ressentir tant dans les services extérieurs que dans les services administratifs où il manque par exemple 46 analystes pour compléter le cadre théorique qui en fixe le nombre à 134. Les récents événements, ajoutés à la présidence belge de l'Union européenne, rendent la situation encore plus délicate.

L'exécution des missions de protection pendant la présidence belge nécessite entre 60 et 80 agents chaque jour, alors que le service de Protection ne compte qu'une trentaine d'agents. Ce qui signifie qu'il faudrait doubler l'effectif actuel de la section en charge de cette mission. Faute d'extension du cadre, des renforts sont puisés dans les sections chargées du renseignement.

Un recrutement d'agents des services extérieurs a été organisé en 1999. Plusieurs centaines de candidats se sont présentés mais 80 seulement ont été engagés. Parmi ces stagiaires, quatre ont déjà quitté le service pour préférer une carrière à la police fédérale.

Un recrutement d'agents statutaires des niveaux I, II+ et II est prévu afin de combler le cadre des services administratifs. Parallèlement, il est aussi prévu de combler le cadre des services extérieurs. Néanmoins, la direction générale craint de nouvelles mesures de blocage des recrutements.

Préalablement à l'organisation d'un examen de recrutement pour les services extérieurs, l'arrêté royal fixant les conditions de recrutement doit être adapté. Il est envisagé de demander la connaissance de langues étrangères comme l'anglais, l'allemand, l'arabe, l'italien ou le russe. La procédure est en cours.

Le personnel ainsi recruté ne pourra toutefois fonctionner de manière opérationnelle qu'après avoir suivi une période de formation.

L'administrateur général de la Sûreté de l'État estime en outre que ces recrutements pour remplir le cadre ne résoudront pas tous les problèmes. C'est pourquoi, des pourparlers sont toujours en cours pour obtenir une extension du cadre de ce service.

Application de la loi du 14 décembre 2000 sur l'organisation du temps de travail dans le secteur public

L'entrée en vigueur de la loi du 14 décembre 2000 sur l'organisation du temps de travail dans le secteur public semble actuellement poser quelques problèmes au sein des services extérieurs de la Sûreté de l'État.

La direction générale de la Sûreté de l'État se plaint de n'avoir jamais été consultée par la Fonction publique pendant les travaux préparatoires car elle juge cette nouvelle réglementation relative au nombre maximum d'heures prestées trop contraignante pour le personnel des services extérieurs et même pour les services administratifs.

C'est pourquoi elle a demandé que des adaptations légales soient apportées à la loi, notamment en ce qui concerne les modalités de récupération et le paiement de certaines heures supplémentaires.

3. Commentaires du Comité permanent R

Le Comité permanent R a plusieurs fois souligné la nécessité pour les services de renseignement belges de disposer en suffisance d'agents hautement qualifiés et polyglottes.

À ce titre, le comité ne peut que recommander le comblement rapide, voir même l'extension du cadre de la Sûreté de l'État, afin de permettre à ce service de remplir efficacement les nouvelles missions qui lui ont été confiées par la loi organique de 1998 et pour lesquelles il ne dispose pas encore des ressources humaines nécessaires.

Dans le cadre de son enquête de contrôle sur la gestion des ressources humaines des services de renseignement, le Comité permanent R souhaite toutefois examiner de manière circonstanciée les problèmes de gestion du personnel de la Sûreté de l'État ainsi que les signes alarmants de démotivation qui lui parviennent de la part de certains membres du personnel de ce service.

Les signes de démotivation perçus par le comité sont notamment les suivants :

­ le départ rapide de quatre stagiaires des services extérieurs qui ont préféré une carrière dans la police fédérale, pas seulement pour des raisons financières, à ce qu'on dit;

­ l'augmentation des plaintes et des dénonciations diverses reçues par le comité en ce qui concerne certains aspects de la gestion du personnel;

­ certains articles de presse se faisant l'écho de ces plaintes et dénonciations;

­ le fait que certains agents administratifs refusent de signer une demande d'habilitation de sécurité, cherchant sans doute de cette manière à provoquer leur mutation forcée.

Le Comité permanent R s'interroge aussi sur le bien fondé des nombreuses mutations d'agents constatées au cours de ces trois dernières années, surtout dans les services extérieurs. Ces mutations n'apparaissent pas toutes motivées par des nécessités opérationnelles du service. Le Comité permanent R examinera aussi l'impact des mutations provisoires récemment décrétées par l'administration générale afin de faire face aux priorités du moment.

Le Comité permanent R se demande par ailleurs si la protection des personnes est bien une mission relevant d'un service de renseignement. Il souhaiterait se pencher à nouveau sur cette question à l'occasion d'une prochaine enquête de contrôle.

Le Comité permanent R reste néanmoins persuadé que la Sûreté de l'État comporte un potentiel humain loyal, dévoué et expérimenté. Le comité craint toutefois que ce sentiment de malaise et de démotivation qui semble s'être actuellement installé au sein d'une partie du personnel n'obère l'efficacité de ce service.

CHAPITRE 2 : Propositions de mesures législatives et autres à prendre en matière de services de renseignement

Dans la perspective d'une intensification de la lutte contre le terrorisme à la suite des attentats perpétrès aux États-Unis le 11 septembre 2001, la commission permanente du Sénat, chargée du suivi du Comité permanent R, s'est réunie le 10 octobre 2001.

La commission a demandé au Comité permanent R de lui soumettre une liste de mesures législatives et autres qui seraient de nature à améliorer l'efficacité des services de renseignements belges, tout en préservant les droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes.

Suite à cette demande et faisant ainsi application de l'article 33, alinéa 7 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements, le Comité permanent R a proposé les mesures suivantes à l'attention des Commissions parlementaires chargées du suivi de ses travaux.

Certaines de ces recommandations ont déjà été formulées par le Comité à l'occasion d'enquêtes de contrôle. Il s'agit de propositions en vue de modifier et d'adapter certaines dispositions légales, mais aussi de mesures à prendre dans le cadre des législations existantes.

1. Dans le cadre de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité

1.1. À l'article 22, il est prévu que les officiers de protection sont les seuls agents de la Sûreté de l'État habilités à exercer les missions relatives à la protection des personnes, « à l'exclusion de toute autre mission ».

Il n'existe par contre aucune disposition analogue pour les autres agents des services extérieurs de la Sûreté de l'État qui exercent la mission de recueillir le renseignement. Or, le Comité permanent R a constaté que dans certaines circonstances, et des périodes plus ou moins longues (par exemple, la présidence belge de l'Union européenne), certains de ces agents étaient quelquefois affectés de manière quasi permanente à la protection de personnes au détriment de leurs missions de recueil de renseignements.

Le Comité permanent R estime que cette situation n'est pas tenable à terme car elle est de nature à porter gravement atteinte à l'efficacité même des activités de renseignement telles que définies par la loi organique.

Le Comité permanent R estime donc pour le moins que l'exercice par une même personne de missions de protection n'est pas compatible avec celles de renseignement.

Il propose par conséquent que soit introduite dans la loi organique des services de renseignement et de sécurité une disposition rédigée comme suit :

« Le ministre de la Justice désigne, parmi les agents des services extérieurs de la Sûreté de l'État, ceux qui sont affectés aux missions de recueil du renseignement. Ces agents sont les seuls à exercer les missions relatives au recueil du renseignement, à l'exclusion de toute autre mission. »

Par ailleurs, le Comité permanent R se demande de manière plus générale si les missions de protection des personnes sont bien du ressort d'un service de renseignement.

1.2. In fine de l'article 7, 1º, qui définit les missions de la Sûreté de l'État, le Comité permanent R propose d'ajouter les dispositions suivantes : « et d'en informer sans délai les ministres compétents ainsi que de donner des avis au gouvernement, à la demande de celui-ci, concernant la définition de sa politique de sécurité intérieure ».

Motif : assurer le parallélisme avec la mission du SGR telle que définie par l'article 11, § 1er, 1º, et qui lui impose ce devoir d'information et d'avis à l'égard des ministres compétents.

1.3. Le Comité permanent R propose de donner aux services de renseignement un cadre légal pour procéder de manière sélective et strictement contrôlée à des repérages, à des écoûtes et à des interceptions de communications sur le territoire national. Une telle capacité doit cependant être assortie de garanties rigoureuses de responsabilité pour les droits et libertés des citoyens, et soumise au contrôle effectif d'un organisme indépendant.

1.4. De manière générale, le Comité permanent R estime aussi que l'utilisation de techniques spéciales de recherches intrusives pour la vie privée (écoûtes, filatures, informateurs) par les services de renseignement doit faire, comme pour les services de police, l'objet de normes légales prévoyant le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, ainsi que des modalités de contrôle sur l'exercice de ces méthodes. De telles dispositions sont indispensables aussi bien du point de vue de l'efficacité, que de celui de la protection des droits des citoyens.

2. Dans le cadre des mesures d'applications de la loi du 30 novembre 1998, organique des services de renseignement et de sécurité

À la connaissance du Comité permanent R, les mesures d'application suivantes de la loi du 30 novembre 1998 n'ont pas encore été prises, bien qu'il existe des protocoles d'accords entre les services concernés.

2.1. Conformément à l'article 20, § 3, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité devrait :

­ définir les conditions de la communication prévue à l'article 19, alinéa 1er, c'est-à-dire la communication de renseignements aux ministres et autorités administratives et judiciaires concernés, aux services de police et à toutes les instances et personnes compétentes;

­ définir les conditions de la coopération prévue à l'article 20, § 1er, c'est-à-dire la collaboration avec d'autres services de renseignement belges et étrangers, avec les autorités administratives et judiciaires.

2.2. Conformément à l'article 7, 1º, le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité devrait définir le potentiel scientifique et économique que la Sûreté de l'État est chargée de protéger.

2.3. Bien qu'ils ne trouvent pas leur fondement dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, les arrêtés royaux du 21 juin 1996 portant respectivement création d'un Comité ministériel du renseignement et de la sécurité, d'une part, du Collège du renseignement et de la sécurité, d'autre part, n'en constituent pas moins deux éléments importants dans l'architecture normative de nos services de renseignement.

La mission du Comité ministériel est d'établir la politique générale du renseignement, de déterminer les priorités des services de renseignement et de coordonner leurs activités tandis que celle du collège est de veiller à l'exécution des décisions du Comité ministériel. Le collège a donc pour tâche de transmettre les impulsions données par le pouvoir politique aux services de renseignement et de les faire exécuter par ceux-ci.

Ni la loi organique des services de renseignement, ni les arrêtés royaux précités n'indiquent de quelle manière la production des services de renseignement sur une matière jugée prioritaire ou d'intérêt commun doit parvenir au Comité ministériel, aux ministres compétents ou aux autorités judiciaires et administratives concernées. En 1995, le Comité permanent R avait proposé que cette transmission de renseignement se passe via un coordinateur.

Le comité souhaiterait revenir sur cette proposition. Le coordinateur pourrait être un haut fonctionnaire nommé pour cinq ans à un rang au moins égal à celui de secrétaire général et titulaire d'une habilitation de sécurité du plus haut niveau. Il pourrait même s'agir d'un secrétaire d'État attaché au premier ministre.

Le coordinateur disposerait d'une vue d'ensemble de la production des services opérationnels. Son rôle serait de recevoir les rapports des services de renseignement dans les domaines jugés prioritaires par le Comité ministériel et d'en produire des synthèses périodiques ou thématiques destinées au Chef de l'État, au Comité ministériel ou aux autres ministres et autorités judiciaires concernées. Son activité ne serait en rien opérationnelle et n'empiéterait surtout pas sur l'autorité des ministres et des chefs de service.

Il serait entouré d'une équipe de secrétaires et de chargés de mission, pluridisciplinaire, chargée de synthétiser et de mettre en forme le renseignement produit. Ce service fonctionnerait ainsi comme une sorte de conseil de sécurité du gouvernement.

3. Dans le cadre de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements

3.1. L'article 3, 2º, définit les services de renseignements et de sécurité soumis au contrôle du Comité permanent R comme étant exclusivement la Sûreté de l'État et le service général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées.

Or les services de police utilisent aussi à présent des techniques de recherche pro-actives comme celles des services de renseignement. Ils disposent ainsi de possibilités légales de rechercher, recueillir, conserver et traiter des données personnelles et des renseignements (voir notamment les articles 44/1 et 44/4 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, les articles 28bis, 28ter, 55 et 56 du Code de procédure pénale).

Certains services administratifs recueillent aussi des renseignements et des données personnelles pour les traiter dans le cadre de matières spécifiques. Au sein des Forces armées, d'autres unités que le SGR pratiquent le recueil de renseignements (exemple : les C-Int).

De plus en plus nombreuses sont aussi les sociétés privées qui se spécialisent au profit de grands groupes industriels, (notamment de l'armement) dans l'intelligence économique ou dans l'investigation financière. Certaines d'entre elles procèdent pour le compte de leurs clients à de véritables enquêtes de sécurité préalables à l'embauche de personnes.

La nécessité d'un débat juridique et d'un contrôle sur la légalité des activités privées d'intelligence se fait donc plus pressante à mesure que les offres de renseignement économique privé se multiplient.

Comme l'a souligné la Commission de protection de la vie privée, même l'exploitation des sources ouvertes, c'est-à-dire celle pratiquée à partir d'informations accessibles au public, n'exclut pas le respect de certaines règles de droit.

Le plan fédéral de sécurité évoque la possible contribution que les Comités permanents de contrôle des services de police et de renseignements pourraient apporter en la matière dans les limites de leur mission légale.

S'il entrait dans l'intention du législateur de soumettre aussi ces activités de renseignement au contrôle du Comité permanent R, celui-ci suggère alors d'élargir en ce sens la définition des « services de renseignements et de sécurité » contenue dans l'article 3, 2º, de la loi organique.

3.2. Une nouvelle disposition devrait être insérée dans l'article 33 de manière à ce que tous les arrêtés, règles, directives et mesures prises par les autorités gouvernementales et qui concernent les services de renseignement figurent parmi les documents à transmettre d'initiative au Comité R (voir la note spécifique sur les informations dont le Comité permanent R estime la disposition indispensable afin d'accomplir sa mission efficacement).

3.3. À l'article 33, alinéa 3, il devrait être précisé que « le comité permanent R remet au ministre compétent, ainsi qu'au président de la Commission permanente du Sénat chargée du suivi du Comité permanent R un rapport relatif à chaque mission d'enquête ».

3.4. Ce même article 33, alinéa 3, prévoit par ailleurs que ce rapport est « confidentiel » jusqu'à sa communication au Sénat. L'article 35, qui prévoit les cas dans lesquels le Comité permanent R fait rapport à la Chambre des représentants et au Sénat, ne contient pas de disposition semblable. De plus, les effets juridiques que la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité attâche à la classification « confidentiel « ne sont pas d'application dans le cas de l'article 33 de la loi organique.

L'article 20 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre précitée prévoit quant à lui que « les documents dont l'autorité d'origine veut limiter la diffusion aux personnes qualifiées pour en connaître sans attâcher à cette limitation les effets juridiques prévus par la loi, sont revêtus de la mention « diffusion restreinte ».

Le Comité permanent R propose par conséquent qu'en attendant son approbation par les commissions de la Chambre et du Sénat chargées du suivi de ses travaux, tout rapport adressé par lui au président de la commission du Sénat (article 33) ou au président de la commission de la Chambre des représentants et au Sénat (article 35) soit désormais revêtu de la mention « Diffusion restreinte » plutôt que « confidentiel ».

3.5. À l'article 34, le Comité permanent R souhaiterait que lui soit reconnue la possibilité d'informer la partie qui a déposé la plainte ou fait la dénonciation de la suite donnée à sa plainte ou à sa dénonciation.

4. Dans le cadre de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité et de ses arretes d'exécution

4.1. Le problème de l'octroi d'une habilitation de sécurité aux parlementaires membres de certaines commissions, notamment les commissions permanentes de la Chambre des représentants et du Sénat chargées du suivi du Comité permanent R devra trouver une solution de manière à leur permettre de prendre connaissance dans leur fonction d'informations, de documents ou de données qui ont fait l'objet d'une classification.

4.2. Aux termes de l'article 7, c'est le Roi qui détermine les autorités et personnes qui peuvent attribuer un degré de classification à des données et documents. L'article 4 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité et de ses arrêtés d'exécution ne mentionne pas le Comité permanent R parmi les autorités habilitées à procéder à une classification « très secret ». Or, le Comité permanent R estime que certains des rapports qu'il produit mériteraient un tel degré de classification au sens des dispositions précitées.

Le Comité permanent R demande donc à figurer parmi les autorités mentionnées à l'article 4 de l'arrêté royal du 24 mars 2000 comme étant habilitées à procéder à une classification « très secret ».

5. Dans le cadre d'autres législations

Le Comité permanent R suggère également de revoir une série d'autres dispositions légales de manière à clarifier les compétences de la Sûreté de l'État dans une série de domaines comme la législation sur les armes et celle relative aux étrangers.

1) Retirer à la Sûreté de l'État ses compétences pour délivrer les autorisations de détention et permis de port d'armes à feu de défense ou de guerre aux étrangers sans résidence en Belgique, ainsi qu'aux belges résidant à l'étranger.

Ceci suppose une adaptation des articles 6, § 2 (délivrance de l'autorisation de détention d'une arme à feu de défense), 7, alinéa 2 (délivrance d'un permis de port d'arme de défense) et 11, § 1er, alinéa 2 (délivrance d'une autorisation de détention d'une arme à feu de guerre) de la loi de 1933 relative à la fabrication, au commerce et au port des armes, et au commerce des munitions, (modifiée notamment par la loi du 30 janvier 1991 et de ses arrêtés d'exécution) qui confèrent la compétence de délivrer les autorisations et permis précités, au ministre de la Justice ou à son délégué (en l'occurrence, la Sûreté de l'État).

2) Adapter en revanche la loi de 1933 relative à la fabrication, au commerce et au port des armes et au commerce des munitions en vue d'attribuer à la Sûreté de l'État une compétence d'avis générale et préalable à la délivrance ou au retrait de toute autorisation de détention d'une arme à feu de défense et de guerre ainsi que de tout permis de port d'armes de défense, et ceci quel que soit le lieu de résidence du demandeur (en Belgique ou à l'étranger).

L'article 7, 4º, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité permet d'attribuer cette compétence à la Sûreté de l'État.

3) La loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers devrait prévoir la consultation de la Sûreté de l'État par les autorités compétentes en la matière chaque fois que la notion de « sécurité de l'État » est en jeu. L'article 7, 4º, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité permet d'attribuer cette compétence à la Sûreté de l'État.

En ce qui concerne le SGR, le Comité permanent R propose de :

Revoir et adapter l'article 120ter du Code pénal ainsi que l'arrêté royal du 21 février 1939 « relatif à la prise de vues aériennes et au transport d'appareils photographiques à bord d'aéronefs » compte tenu du nouvel environnement juridique international, d'une part, de l'évolution technologique en matière d'observation spatiale et aérienne, d'autre part.

Le Comité permanent R pense que la protection des objectifs militaires à l'égard de prises de vues à des fins hostiles ou d'espionnage pourrait être assurée dans un cadre juridique similaire à la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

6. Dans le cadre de conventions internationales ou de décisions de l'Union européenne (Conseil justice et affaires intérieures)

Le Conseil justice et affaires intérieures de l'Union européenne a adopté le 20 septembre 2001 une série de mesures visant à intensifier sa coopération contre le terrorisme avec ses partenaires, en particulier les États-Unis. Le point 14 de la résolution souligne le rôle important des services de sécurité et de renseignement dans la lutte contre le terrorisme; ces services sont invités à intensifier leur collaboration entre eux et avec les services de police.

Le Comité permanent R est d'avis que la collaboration entre les services de renseignement doit viser l'analyse des menaces à long terme, tandis que la collaboration de ces services avec les services de police doit porter sur les menaces à court terme et la recherche des auteurs d'actes terroristes.

C'est la raison pour laquelle le Comité permanent R estime que la collaboration entre services de renseignement doit faire l'objet d'un cadre structurel qui leur soit propre par rapport aux services de police.

À l'instar des conclusions de la conférence Parlopol qui s'est tenue les 15 et 16 octobre 2001 à Bruxelles, le Comité permanent R estime que cette collaboration internationale entre services de renseignement devrait aussi faire l'objet d'un contrôle parlementaire.

Les informations indispensables dont le Comité permanent R estime devoir disposer afin d'accomplir sa mission efficacement

Le Comité permanent R estime que les règles, directives et documents énumérés ci-après lui sont indispensables pour exercer sa mission de contrôle qui porte sur la protection des droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes ainsi que sur la coordination et l'efficacité des services de renseignement.

Il ne s'agit pas de règlements, notes et directives internes aux services de renseignement visés par l'article 33 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité. Il s'agit plutôt de mesures qui les concernent prises par le Roi, le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité ou par les ministres compétents.

Le Comité permanent R estime ne pas pouvoir remplir sa mission correctement s'il n'est pas mis au courant de ces mesures. Le « besoin d'en connaître » du comité paraît évident. Par ailleurs, s'il s'agit de documents classifiés au sens de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité, il y a lieu de rappeler que tant les membres du Comité permanent R que les membres de son service d'Enquêtes et de son personnel sont tous titulaires d'une habilitation de sécurité du niveau « très secret ».

Bien sûr, l'article 33 de la loi précitée prévoit que le Comité permanent R et son service d'Enquêtes ont le droit de se faire communiquer les textes qu'ils estiment nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Encore faut-il que le Comité ait connaissance de l'existence de ces textes.

Le Comité permanent R demande par conséquent qu'une nouvelle disposition soit insérée dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité de manière à ce que les dites règles, directives et mesures suivantes figurent parmi les documents à transmettre d'initiative au Comité R.

1. Les réquisitions, recommandations et les indications que le ministre de l'Intérieur adresse à la Sûreté de l'État en ce qui concerne les missions qui ont trait au maintien de l'ordre public et à la protection des personnes (article 5, § 2, alinéas 1 et 2, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

2. L'information donnée au ministre de l'Intérieur de l'impossibilité de se conformer aux recommandations et indications précitées parce que leur exécution porterait atteinte à l'exécution d'autres missions (article 5, § 2, alinéa 3, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

3. Les projets de loi, d'arrêté royal, ministériel et réglementaire dont question à l'article 6 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

4. Les arrêtés royaux, ministériels et réglementaires pris en exécution de la du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité et qui, le cas échéant, ne font pas l'objet d'une publication au Moniteur belge (exemples : les arrêtés fixant le cadre du personnel des services de renseignement).

5. Les budgets de la Sûreté de l'État et du SGR.

6. Les directives et décisions du Comité ministériel du renseignement et de la Sécurité prises en application des articles 7, 1º et 2º, 11, 4º, et 20, § 3, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

7. Les directives et décisions du Comité ministériel du renseignement et de la sécurité prises en application de l'arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité (notamment les articles 3, 9, 11, 12, 16 et 18).

8. Les mesures d'ordre général prises par le ministre de la Justice en application de l'article 5, § 3, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité qui ont trait aux dépenses, à l'administration du personnel et la formation, l'ordre intérieur et la discipline, les traitements et indemnités, ainsi que l'équipement de la Sûreté de l'État.

9. Les mesures d'ordre général prises par le ministre de la Défense nationale en application de l'article 10, § 3, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité qui ont trait aux dépenses, à l'administration du personnel et la formation, l'ordre intérieur et la discipline, les traitements et indemnités, ainsi que l'équipement du SGR.

10. Les mesures de protection industrielle visées à l'article 11 § 3, alinéa 2, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

11. Les conventions et protocoles d'accords prévoyant qu'il est permis aux autorités judiciaires, aux fonctionnaires et agents des services publics de communiquer d'initiative ou sur requête des informations aux services de renseignement (article 14 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

12. Les informations communiquées à la presse par les services de renseignement en application de l'article 19, alinéa 2, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

13. Les conventions et protocoles d'accords établissant une collaboration avec les services de police, les autorités administratives et judiciaires ainsi qu'avec des services de renseignement et de sécurité étrangers (article 20, § 1er, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

14. Les conventions et protocoles d'accords prévoyant le concours et l'assistance technique des services de renseignement aux autorités judiciaires et administratives (article 20, § 2, de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

15. La liste des agents des services extérieurs de la Sûreté de l'État habilités par le ministre de la Justice à exercer les missions relatives à la protection des personnes (article 22 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité).

CHAPITRE 3 : Document de travail relatif aux conditions d'octroi à la Sûreté de l'État et au SGR de l'autorisation éventuelle de procéder à des interceptions de sécurité

1. Les interceptions de communication en l'état actuel de la législation belge

Dans l'état actuel de la législation belge, les seules habilitations données à la puissance publique pour intercepter (128) des télécommunications à l'insu des correspondants sont d'ordre judiciaire. L'écoute judiciaire, autorisée à titre exceptionnel, a pour objectif

d'obtenir la preuve d'une infraction grave ou de la participation à une telle infraction. Elle est ordonnée par un juge d'instruction ou, en cas d'urgence, par un magistrat du Ministère public. Le contrôle de telles mesures se fait au cas par cas au cours de la procédure judiciaire.

Le repérage judiciaire ou la localisation de l'origine ou de la destination de télé communications sont visés par l'article 88bis du Code d'instruction criminelle.

Seul le service général du Renseignement et de la Sécurité des forces armées dispose actuellement d'une habilitation légale pour effectuer à des fins militaires des interceptions de radiocommunications militaires émises à l'étranger. Il s'agit du seul cas d'interception de communications permise par la législation belge en dehors d'un mandat judiciaire (cf. l'article 44 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité qui énonce que les dispositions du § 1er, 1 et 2, de l'article 259bis ne s'appliquent pas au SGR si agissant à des fins militaires, ce service capte, écoute, prend connaissance ou enregistre des radiocommunications militaires émises à l'étranger) (129).

Suite au dernier rapport du Comité permanent R et en réponse à une interpellation de M. F. Erdman, membre de la Chambre des représentants, le Premier ministre déclarait : « À propos des interceptions militaires, le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité a approuvé lors de la réunion du 21 mai 2001 un avant-projet de loi modifiant l'article 44 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

L'avant-projet élargit l'ancienne exception prévue pour le service général du Renseignement et de la Sécurité des Forces armées en vue de l'interception de radiocommunications militaires émises à l'étranger à toute forme de communication, afin d'assurer la sécurité de leurs propres troupes et celle de leurs partenaires durant les opérations à l'étranger, de même que la protection des ressortissants belges établis à l'étranger. La modification de la loi proposée a dès lors pour objectif de répondre à l'évolution technique rapide qui permet à des individus et groupes actifs à l'étranger, des groupes cibles des services de renseignement, de ne pas hésiter à recourir aux moyens de communication modernes, tels que les téléphones portables, la correspondance électronique ou la communication par satellites, souvent associés à l'utilisation de moyens cryptographiques puissants ... ». (doc. Chambre, QRVA 50-093 ­ 3e session de la 50e législature, 1er octobre 2001, pp. 584-10585).

Ce projet a été approuvé par le Conseil des ministres fin octobre 2001.

Pour le surplus, nul Belge ou étranger ne dispose du droit de procéder depuis la Belgique ou depuis l'étranger à des écoûtes ou à des interceptions de télécommunications privées entre belges, entre étrangers ou entre belges et étrangers, qu'elles soient en cours ou conservées sur le seul territoire belge ou simultanément sur le territoire belge et un ou plusieurs territoires étrangers, et ce quel que soit leur lieu d'émission, de relais ou de destination.

Le principe restant donc l'interdiction sanctionnée pénalement (cf. les art. 259bis et 314bis du Code pénal), les interceptions administratives (ou de sécurité) ne sont pas autorisées dans notre pays.

Contrairement aux écoutes judiciaires, ce type d'écoutes n'a pas comme but d'obtenir la preuve d'une infraction.

Son objectif est le renseignement, c'est-à-dire la prévention d'une menace d'atteinte grave à la sécurité intérieure ou à tout autre intérêt fondamental du pays en donnant aux autorités publiques les renseignements nécessaires aux prises de décisions. Ces interceptions visent des personnes ou des groupes de personnes bien déterminées.

Contrairement à la plupart des services de renseignement des autres États européens (130), et bientôt des services de police belges, la Sûreté de l'État et le SGR ne sont pas autorisés à pratiquer ce type d'interception.

À la suite des événements du 11 septembre 2001, le problème des techniques spéciales et principalement celui des interceptions de sécurité dans le cadre de la recherche proactive et dans celui des activités de renseignement en matière de lutte conte le terrorisme et la criminalité organisée a été soulevé à nouveau.

C'est ainsi que le ministre de la Justice déclarait le 2 octobre 2001 (Com. 545, p. 14 ) : « La Sûreté de l'État réclame à nouveau des compétences en matière d'écoute et d'enregistrement des télécommunications privées. Cela ne peut se faire actuellement, dans la phase de réaction, qu'en présence d'un juge d'instruction. La question de l'utilisation proactive des écoutes téléphoniques a de forts relents politiques et doit faire l'objet d'une nouvelle discussion. La mission de la Sûreté de l'État consiste en effet à recueillir et analyser des informations afin de garantir la sécurité de l'État. Il faut un débat parlementaire où l'on mettrait en balance les libertés garanties essentielles telles que le droit à la vie privée, d'une part, et d'éventuelles atteintes à l'ordre public, d'autre part. Il s'agit d'un problème qui concerne typiquement le Parlement. Le ministre de la Justice ne peut décider seul. »

À plusieurs reprises, le Comité permanent R a recommandé que ce type de moyens soit mis à la disposition des services de renseignements belges (voir notamment le rapport d'activités 2000, p. 56). Il a également insisté pour que ces techniques fassent l'objet d'un contrôle démocratique renforcé et efficace.

Le 21 novembre 2001, le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi sur les techniques policières spéciales de recherche en matière de lutte contre la criminalité organisée.

Concernant le sujet plus particulier des écoutes proactives policières, le Comité R avait déjà noté que dans le premier rapport intermédiaire fait au nom de la Commission de suivi en matière de criminalité organisée (Sénat de Belgique, 17 avril 2000 doc. nº 2-425/1, p. 91), le procureur du Roi de Charleroi apportait les précisions suivantes : « En ce qui concerne les communications téléphoniques, l'intention est bien de permettre l'interception de toute forme de télécommunication :

­ écoute directe par microphone (131);

­ ligne téléphonique classique;

­ GSM identifiable : il faut procéder par zone, car on ne peut travailler au plan national; on dépend des différents opérateurs. Cela pose surtout des problèmes pour les demandes internationales d'entraide judiciaire;

­ GSM non identifiables (fonctionnant par cartes prépayées) : dans le groupe de travail « télécommunications » du cabinet, on examine le système français (où l'on essaie de travailler par le biais des cartes d'identité) et le système hollandais (où l'on travaille sur la base d'une liste des GSM de ce type, disponible chez les revendeurs).

On a opté pour une approche globale du système, par la création d'une unité globale d'interception technique en Belgique, par laquelle tous les opérateurs devront passer. L'écoute sera réalisée dans les différents arrondissements par le service de police concerné.

Ce système a été approuvé, en ce qui concerne tant sa forme que le budget qui s'y rapporte. Cela représente un premier investissement de 200 millions.

Quant à l'arrêté royal en préparation, il est actuellement soumis pour avis à la Commission pour la protection de la vie privée. Il devra ensuite être examiné par le Conseil d'État, puis par le Conseil des ministres. »

2. Le rappel des principes généraux en ce qui concerne la protection du citoyen contre les interceptions de sécurité

Le droit à la vie privée et familiale est garanti par l'article 22 de la Constitution.

Ce droit est d'autre part protégé notamment par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme. La protection de ces droits doit être garantie par la loi. Or l'interception de messages transmis par télécommunications représente un danger tant pour la vie privée des personnes mises sur écoûtes que pour leur liberté d'expression.

La sécurité de l'État justifie néanmoins que les États disposent de moyens techniques efficaces permettant l'interception légale des télécommunications peu importe le moyen utilisé et qu'il s'agisse de la prise de connaissance du contenu des messages ou simplement de certains éléments de ceux-ci (exemples : l'origine ou la destination de l'appel, la localisation de celui-ci).

La Cour européenne des droits de l'homme a fait observer dans ses arrêts Klass et Leander qu'il était nécessaire de disposer « de garanties suffisantes contre les abus car un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre ».

Quatre conditions limitent dès lors l'immixtion possible de l'État. Ces quatre conditions applicables en matière d'interception des télécommunications ont été maintes fois rappelées par la jurisprudence de la Cour. Ainsi, il importe :

1. que l'interception n'ait lieu que dans le cadre des objectifs d'intérêt vital de l'État énumérés par la convention elle-même tant dans l'article 8 que dans l'article 10;

2. que ces finalités soient prévues par la loi, c'est-à-dire par un texte réglementaire accessible au public et rédigé de façon suffisamment précise pour que le citoyen puisse y répondre par un comportement adéquat (arrêt Kruslin ­ 24 avril 1990);

3. qu'ensuite la mesure prise soit strictement proportionnée à l'objectif poursuivi. À cet égard, comme le répètent notamment les arrêts Klass (6 septembre 1978) et Leander (25 février 1987), une surveillance exploratoire ou générale effectuée à grande échelle est prohibée;

4. qu'enfin, selon l'arrêt Leander, il importe qu'une balance soit opérée entre d'une part la protection de la vie privée et d'autre part les impératifs de sécurité et d'ordre public qui fondent la mission des services de renseignement et de sûreté; il importe plus encore, ajoute l'arrêt, que cette balance soit opérée par une autorité indépendante.

Les écoutes et autres formes d'interception des entretiens téléphoniques doivent ainsi se fonder sur une loi d'une précision particulière; l'existence de règles claires et détaillées en la matière apparaît indispensable, d'autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner.

Dans une recommandation 2/99 du 3 mai 1999 concernant le respect de la vie privée dans le contexte de l'interception des communications, le groupe de protection des personnes à l'égard du traitement des données personnelles (groupe, dont la compétence n'est que consultative, créé par l'article 29 de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de celles-ci (Journal Officiel, L 281 du 23 novembre 1995, p. 31) a énuméré une série de conditions relatives à toute interception de télécommunications :

« Il importe que le droit national précise de façon rigoureuse .....

­ les autorités habilitées à permettre l'interception légale des télécommunications, les services habilités à procéder aux interceptions et la base légale de leur intervention;

­ les finalités selon lesquelles de telles interceptions peuvent avoir lieu, qui permettent d'apprécier leur proportionnalité au regard des intérêts nationaux en jeu;

­ l'interdiction de toute surveillance exploratoire ou générale de télécommunications sur une grande échelle;

­ les circonstances et les conditions précises (par exemple les éléments de fait justifiant la mesure, la durée de la mesure) auxquelles sont soumises les interceptions, dans le respect du principe de spécificité auquel est soumis toute ingérence dans la vie privée d'autrui (le respect de ce principe de spécificité, corollaire de l'interdiction de toute surveillance exploratoire ou générale, implique en ce qui concerne plus précisément les données de trafic que les autorités publiques ne peuvent avoir accès à ces données qu'au cas par cas, et non de façon générale et proactive);

­ les mesures de sécurité en ce qui concerne le traitement et le stockage des données, et leur durée de conservation

­ en ce qui concerne les personnes impliquées de façon directe ou aléatoire dans les écoutes, les garanties particulières apportées au traitement des données à caractère personnel : notamment, les critères justifiant la conservation des données, et les conditions de la communication de ces données à des tiers;

­ l'information de la personne surveillée, dès que possible;

­ les types de recours que peut exercer la personne surveillée;

­ les modalités de surveillance de ces services par une autorité de contrôle indépendant;

­ la publicité ­ par exemple sous forme de rapports statistiques réguliers ­ de la politique d'interception des télécommunications effectivement pratiquée;

­ les conditions précises auxquelles les données peuvent être communiquées à des tiers dans le cadre d'accords bi-ou multilatéraux. »

3. Les solutions retenues par les législations de pays autorisant les interceptions de sécurité

Diverses formules sont appliquées dans d'autres pays européens dans lesquels, à côté des écoûtes judiciaires, des interceptions de sécurité sont prévues par la loi. Ces systèmes impliquent également, outre une procédure d'autorisation préalable (parfois à deux niveaux), un contrôle a posteriori.

Le comité est d'avis qu'en l'état, les principes démocratiques à retenir pour mettre en place une législation destinée aux services de renseignement belges ont d'ores et déjà été dégagés et appliqués dans ces autres États.

Les textes de base sont : « L'interception of communications Act 1985 » au Royaume-Uni, en RFA la loi du 13 août 1968 limitant le secret de la correspondance, des envois postaux et de télécommunications, dite « loi G10 (Gesetz 1) » entrée en vigueur le 1er novembre 1968, les articles 88-2 et 88-3 du Code d'instruction criminelle luxembourgeois, l'article 139c du Code pénal néerlandais (la législation est en cours d'évolution : si les écoutes administratives sont envisagées par le Code pénal, elles ne sont pas organisées expressément par la loi sur les services de renseignement et de sécurité du 3 décembre 1987. Une nouvelle loi est donc actuellement en préparation. Elle détaille et définit les pouvoirs du BVD en matière d'interception, réception, enregistrement et écoute de toutes formes de conversation, télécommunication ou transfert de données informatiques. Le projet de loi prévoit de mettre en place une commission de contrôle chargée de vérifier la légalité dans la mise en oeuvre des nouvelles dispositions (132); la loi française nº 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications.

À la suite des événements du 11 septembre 2001, plusieurs pays ont pris de nouvelles mesures pour lutter contre le terrorisme, notamment en matière de contrôle des communications. Selon des informations du quotidien suisse Le Temps du 1er novembre 2001 : « Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont fait passer une loi qui facilite et élargit le contrôle des communications. Avec le « Patriot Act », adopté par une très large majorité des élus américains, les autorités fédérales jouissent d'une plus grande latitude dans la surveillance des communications électroniques (téléphonie mobile et Internet) ainsi que dans l'exploitation des informations ainsi récoltées. Dans ce dispositif figure l'utilisation par les enquêteurs des moyens techniques développés pour le programme Carnivore. Ce système de surveillance de courrier et autres communications électroniques mis en place par les américains avait donné lieu à une enquête de la Commission européenne. Les enquêteurs américains pourront donc enregistrer l'activité des personnes jugées suspectes sur Internet. Les fournisseurs d'accès devront rendre leur matériel compatible avec les systèmes de surveillance. AOL, Earthlink, et Home, les grands fournisseurs d'accès américains, avaient d'ailleurs déjà révélé avoir été approchés par le FBI suite au 11 septembre afin qu'ils recherchent dans leurs réseaux des communications qui auraient pu aider à la mise en place des attaques. La surveillance généralisée du Réseau est en quelque sorte ouverte. Ces mesures exceptionnelles votées la semaine dernière seront valables pour une période de temps précise (jusqu'en 2006). Dans la suite des américains, la France vient d'adopter des mesures plus contraignantes. En Allemagne a lieu un débat similaire. »

Selon le même journal : « L'Assemblée nationale française a également voté un texte intitulé « loi sur la sécurité quotidienne » qui comporte un volet antiterroriste et notamment des articles consacrés à l'extension de la surveillance électronique. Deux alinéas ont été votés. Le premier concerne l'accès des enquêteurs aux données. »

3.1. La décision d'autoriser une interception de sécurité

L'autorisation est donnée par un ministre responsable.

C'est le cas en France où c'est le Premier ministre ou une personne qu'il délègue spécialement à cet effet qui donne l'autorisation écrite sur proposition également écrite et motivée, soit du ministre de la Défense, soit du ministre de l'Intérieur, soit du ministre chargé des Douanes ou de la personne que chacun d'eux aura spécialement délégué. Le premier ministre organise la centralisation de l'exécution des interceptions autorisées.

Aux Pays-Bas, l'initiative appartient au chef du service de renseignement intérieur (le BVD « Binnenlandse Veiligheidsdienst ») qui doit soumettre une demande motivée aux quatre ministres compétents. La décision est prise conjointement par le Premier ministre, le ministre de la Justice, le ministre de l'Intérieur, et par le ministre des Transports et des Travaux publics.

L'autorisation fait intervenir le gouvernement et une commission ad hoc.

En Grande-Bretagne, les interceptions de sécurité autorisées par la loi sont de la responsabilité du ministre de l'Intérieur (Secretary of state) qui délivre les autorisations d'après les directives du « Joint intelligence Commitee » (JIC). En cas d'urgence, un haut fonctionnaire peut moyennant délégation délivrer l'autorisation, sous réserve de l'accord exprès téléphonique du ministre et de sa confirmation écrite dans les 48 heures.

En République fédérale d'Allemagne, les autorités compétentes pour ordonner les interceptions de sécurité sont le ministre fédéral de l'Intérieur ou son secrétaire d'État pour le renseignement intérieur, l'autorité suprême du Land concerné pour le renseignement intérieur au Land, le ministre fédéral de la Défense ou son secrétaire d'État pour le renseignement stratégique à l'étranger. Dans tous les cas, il faut une demande écrite et motivée du chef du service de renseignement ou de sécurité compétent et l'autorisation préalable de la commission parlementaire G 10 (sauf dans les cas particulièrement urgents et pressants où le ministre peut ordonner l'exécution de la mesure; l'autorisation de la commission peut alors être donnée a posteriori; en cas de décision négative de cette dernière, l'exécution de la mesure doit être immédiatement interrompue ).

Au Grand-Duché de Luxembourg, c'est le Président du Gouvernement avec l'assentiment préalable d'une commission de hauts magistrats (président de la Cour supérieure de justice, du président du contentieux, du Conseil d'État et du président de la Chambre des comptes). En cas d'urgence, le président du Gouvernement peut faire procéder immédiatement à la surveillance, sauf à saisir sans désemparer la commission ... qui décidera si la surveillance et le contrôle doivent ou non être maintenus. Il faut noter toutefois que « la surveillance et le contrôle à l'aide de moyens techniques appropriés, de toutes les formes de communication » peut être autorisée « aux fins de rechercher des infractions contre la sûreté extérieures de l'État »

Les autorités judiciaires ou policières

C'est le cas de la Suisse où le procureur général de la Confédération, l'auditeur en chef de l'armée ou le directeur cantonal de la police peuvent les ordonner selon les cas.

Le système aux Etats-Unis

Pour pouvoir mener une opération de surveillance électronique sur un citoyen américain aux États-Unis, il faut obtenir l'ordonnance d'une juridiction spécifique : la « Foreign Intelligence Surveillance Court ».

Si la personne visée se trouve à l'étranger, c'est l'Attorney General (le ministre de la Justice) qui doit approuver la surveillance.

Sous certaines conditions certifiées par l'Attorney General, le président des États-Unis peut autoriser, sans décision judiciaire, la surveillance électronique de puissances étrangères en vue d'obtenir des renseignements d'ordre extérieur.

3.2. Les motivations de la décision

En ce qui concerne les interceptions de sécurité, les motifs que l'on rencontre dans les législations existantes concernent principalement et d'une manière générale la sécurité nationale intérieure ou extérieure, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée (France, Grande- Bretagne).

La loi française prévoit que l'interception sollicitée et autorisée « à titre exceptionnel » doit être motivée par une indication précise des éléments de fait (indices) qui la justifient par rapport aux objectifs énumérés par la loi (la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée et la reconstitution ou le maintien de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées). La transcription ne peut porter que sur les renseignements ayant un rapport avec l'un de ces objectifs.

Les principes de subsidiarité et de complémentarité doivent impérativement être rencontrés; les moyens ordinaires de recueil des informations doivent s'avérer inopérants (ou insuffisants) en raison de la nature des faits et des circonstances spéciales de l'espèce.

C'est ainsi qu'en Grande-Bretagne, de telles mesures ne sont prises que si les informations dont l'acquisition est jugée nécessaire ne peuvent être obtenues par d'autres moyens. Ces mesures sont prises pour une durée limitée renouvelable. Le GCHQ ne peut exercer ses missions pour servir la cause de quelque parti politique que ce soit au Royaume-Uni. Les motifs sont peu nombreux :

­ l'intérêt de la sécurité nationale;

­ la prévention ou découverte d'un crime grave;

­ la sauvegarde de la prospérité économique du Royaume-Uni.

Comme le mentionnent Claudine Guerrier et Marie-Christine Monget dans leur ouvrage Droit et sécurité des télécommunications (133) : « Le Royaume-Uni est tout acquis au jeu du marché, mais pleinement conscient des risques que fait courir à l'État-Nation l'efficacité des entreprises d'espionnage économique (transfert illicite de savoir-faire d'une société à une autre société). »

En Allemagne, la loi prévoit que pour autoriser un contrôle sur les communications d'un particulier, il faut disposer d'indices réels (134) (le degré de soupçon requis peut être inférieur au degré nécessaire pour déclencher l'ouverture d'une instruction) laissant présumer que la personne visée fait, a fait ou prévoit de commettre un des actes répréhensibles répertoriés par la loi G 10 (les crimes graves, comme l'assassinat, l'homicide volontaire et les délits les plus graves au regard de la sécurité de l'État comme la haute trahison, l'atteinte à la sûreté extérieure de l'État, l'espionnage, les activités d'agents secrets, l'association de malfaiteurs etc.). Il faut aussi que l'enquête soit vouée à l'échec ou rendue considérablement difficile en utilisant d'autres moyens d'investigations. Ce type de mesure ne peut intervenir que s'il existe « un danger imminent » contre l'État de droit démocratique, l'existence et la sécurité du pays.

Comme le note la Commission nationale française de contrôle des interceptions de sécurité : « La législation allemande s'attâche aussi à définir les personnes susceptibles d'être les cibles de ces mesures, ce que ne fait pas la loi française qui n'évoque que les motifs justifiant l'interception. Cette différence doit être relativisée dans la pratique, car pour apprécier le bien fondé d'un motif, il est indispensable de prendre en considération la personne visée autant que les éléments qui constituent le fondement légal du recours à l'interception. En revanche, à la différence du système allemand, la loi française prévoit le contingentement des interceptions ». (extrait du rapport annuel d'activités 2000 de la CNCIS française).

La prise en compte des nouvelles formes de l'insécurité en Europe a conduit depuis une dizaine d'années à l'élargissement des motifs justifiant le recours au « contrôle stratégique », c'est-à-dire à la surveillance exercée sur certaines liaisons entre l'Allemagne et l'étranger, destinée à collecter des informations non individualisées pour prévenir certaines menaces. La nature de ces menaces pour la sécurité allemande est prévue par le paragraphe 3 de l'article 1 de la loi du 13 août 1968 (agression armée, attentats terroristes sur le territoire allemand, trafic international de matériel de guerre ou de moyen de destruction massive bactériologique, chimique ou nucléaire ou encore trafic de stupéfiants, blanchiment d'argent, faux monnayage). La surveillance ne doit pas permettre de retenir des éléments contre des personnes identifiées. Pour qu'une mesure d'écoûte stratégique soit autorisée, il faut que le ministre compétent délimite géographiquement au préalable une zone de risque précise dans un acte qui, pour être valide, requiert l'approbation de l'instance de contrôle parlementaire (PKG) composée de neuf députés du Bundestag.

Le Conseil constitutionnel fédéral dans un arrêt du 14 juillet 1999 a déclaré que les nouvelles dispositions portant sur les diverses formes de contrôle stratégiques, insérées dans la loi G 10 en 1994, étaient en grande partie incompatible avec la Constitution (sans pour autant déclarer d'une façon générale que ce type de surveillance était illicite)(extrait du rapport d'activités de la CNCIS 1999, p. 57).

3.3. Les contrôles

Faisant référence au document transmis au Comité R par la Sûreté de l'État et concernant les constatations de la Cour par rapport au modèle allemand, on note à propos du « contrôle de la surveillance lorsque celle-ci est ordonnée, et pendant que la mesure est exécutée, que la Cour estime préférable que ce contrôle soit confié à un juge, mais elle n'est pas opposée à un contrôle d'un autre type pour autant que les organes institués soient indépendants des autorités qui procèdent à la surveillance, qu'ils soient investis de pouvoirs et attributions suffisants pour exercer un contrôle efficace et permanent, qu'ils présentent une composition équilibrée reflétant leur caractère démocratique et qu'ils jouissent d'une indépendance suffisante pour statuer de manière objective.

La Cour constate à cet égard que la « surveillance peut subir un contrôle à trois stades, lorsqu'on ordonne, pendant qu'on la mène ou après qu'elle a cessé.

Quant aux deux premières phases, la nature et la logique même de la surveillance secrète commande d'exercer à l'insu de l'intéressé non seulement la surveillance comme telle, mais aussi le contrôle qui l'accompagne. Puisque l'on empêchera donc forcément l'intéressé d'introduire un recours effectif ou de prendre une part directe à un contrôle quelconque, il se révèle indispensable que les procédures existantes procurent en soi des garanties appropriées et équivalentes sauvegardant les droits de l'individu. Il faut de surcroît, pour ne pas dépasser les bornes de la nécessité au sens de l'article 8, § 2, respecter aussi fidèlement que possible, dans les procédures de contrôle, les valeurs d'une société démocratique et donc la prééminence du droit ».

En France, il existe une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité composée d'un président (135), haut magistrat, d'un membre de l'Assemblée nationale et d'un sénateur. Un des deux parlementaires doit appartenir à l'opposition. La limitation à trois personnalités est justifiée par la nécessité d'assurer une confidentialité rigoureuse des secrets intéressant la Sûreté de l'État, détenus par la commission. Deux magistrats de l'ordre judiciaire assistent la commission. Il s'agit d'une autorité administrative indépendante disposant de crédit dans le budget du premier ministre. Elle vérifie la légalité de toutes les écoûtes ordonnées par le premier ministre et enquête d'initiative ou sur les plaintes qui lui sont adressées. Elle peut adresser des recommandations au premier ministre et/ou dénoncer à l'autorité judiciaire toute infraction à la loi.

Le président de la CNCIS doit être informé des décisions d'interception dans un délai de 48 heures. S'il estime que la légalité de cette décision, au regard des dispositions de la loi, n'est pas certaine, il réunit la commission, qui statue dans les sept jours suivant la réception. La commission doit remettre au premier ministre chaque année un rapport qui est rendu public sur les conditions d'exercice et les résultats de son activité qui précise notamment le nombre de recommandations adressées au premier ministre et les suites qui leur ont été données.

En Grande-Bretagne, un double contrôle est organisé. D'une part, le « commissioner », un commissaire indépendant, magistrat de haut rang nommé par le premier ministre, vérifie auprès des services de renseignement concernés les conditions d'application de la loi. Il adresse chaque année un rapport au premier ministre et un rapport général sur les résultats de son activité. D'autre part, un tribunal indépendant (Interception of Communication tribunal) est chargé d'examiner les plaintes des particuliers concernant les opérations des services de renseignement. Il est composé de membres possédant une expérience juridique d'au moins dix ans, nommés par la Reine et issus de la majorité parlementaire. Les pouvoirs du tribunal ne sont pas exhaustifs. L'institution se contente d'examiner les réclamations déposées par les personnes physiques ou morales qui pensent faire l'objet de mesures d'interceptions. Le « commissionner » apporte son aide au tribunal, qui a accès aux informations et aux documents nécessaires à son édification.

Quand le tribunal conclut qu'une mesure d'interception est ou a été anticonstitutionnelle, il est obligé d'en avertir l'auteur de la réclamation, élabore un rapport adressé au premier ministre, et promulgue une ordonnance qui tend :

­ à déclarer nulle la décision d'interception;

­ à opérer la destruction de tous les documents, y compris les comptes;

­ à engager le ministre compétent à verser au demandeur le montant de l'indemnité évaluée par le tribunal.

Le ministère de l'Intérieur a fait en sorte que ces procédures soient connues du grand public.

En Allemagne, un contrôle préalable et a posteriori (examen des plaintes, contrôle de l'exécution du devoir de notification pour les contrôles individuels) est exercé par la commission fédérale G 10 qui est une émanation du Parlement et dont les membres sont nommés par l'instance chargée au Bundestag de contrôler les services de renseignement (Le PKG dont les membres sont élus au sein du Bundestag ). Une commission de ce type doit également être mise en place dans chacun des länder.

La Commission G 10 décide si les mesures d'interception soumises par le ministre fédéral compétent sont nécessaires et conformes aux exigences légales. Elle contrôle également la régularité de l'exécution et s'assure que les destructions des enregistrements, transcriptions, supports informatiques, prévues par la loi sont effectives et que les dispositions relatives à l'information a posteriori des personnes ayant fait l'objet d'une surveillance de leur correspondance sont respectées.

Les membres de ces commissions jouissent de l'indépendance des magistrats; ils n'ont de compte à rendre à personne et sont irrévocables pendant la durée de leur mandat. Ces commissions jouissent de larges pouvoirs d'investigation et aucun secret ne peut leur être opposé, pas même la protection des sources d'information.

La Commission G 10 est également compétente pour recevoir et juger les plaintes; chacun peut s'adresser à la commission s'il a le sentiment d'être entravé dans l'exercice de son droit fondamental à la liberté de communication. La commission examine les plaintes et transmet ensuite au plaignant une notification. Si l'enquête de la commission n'a pas montré que le plaignant a fait l'objet d'une écoûte illégale ou que son courrier a été soumis à une surveillance illégale, il lui est notifié que les droits que lui confèrent la Constitution n'ont pas été enfreints.

Un contrôle des écoûtes stratégiques est effectué par la commission parlementaire de contrôle des services de renseignement (PKG).

Aux Pays-Bas, il existe un contrôle parlementaire. Le ministre de l'Intérieur, sous la responsabilité duquel se trouve le « Binnenlandse Veiligheidsdienst », rend compte au Parlement de sa politique en la matière. Il doit répondre aux questions parlementaires sauf en ce qui concerne des informations confidentielles. Celles-ci sont débattues avec la commission parlementaire pour les services de renseignement et de sécurité, composée des chefs des quatre plus grands groupes politiques de la seconde chambre. Ses membres sont tenus de respecter le secret.

En Suisse, la décision de mise sous surveillance est secrète. Ce secret persiste après la fin de la mesure. Toutefois celle-ci doit être soumise dans les 24 heures qui suivent son adoption à l'autorité de contrôle compétente, c'est-à-dire :

­ la chambre d'accusation fédérale pour le procureur général de la Confédération;

­ le président du tribunal militaire de Cassation pour l'auditeur en chef de l'armée;

­ l'autorité judiciaire unique désignée par le droit cantonal pour le directeur cantonal de la police.

L'autorité de contrôle doit se prononcer dans un délai de cinq jours. Elle peut annuler la décision si elle constate qu'il y a eu violation du droit fédéral, y compris excès ou abus de pouvoir d'appréciation.

Aux États-Unis, l'Attorney General doit informer les commissions parlementaires permanentes du renseignement, ainsi que la Justice. Dans chaque cas, la justice doit être informée du nom du « Federal Officer » chargé d'exécuter la surveillance électronique, de l'étendue de sa mission, de son objectif, de la cible visée, des circonstances qui la justifient et des procédures instaurées.

L'Attorney General fait un rapport annuel « to the administrative office of the US Court » et au Congrès sur le nombre de surveillances effectuées. Les commissions parlementaires du renseignement peuvent demander toutes les explications qu'elles estiment nécessaires.

3.4. La durée

Des dispositions sont généralement prévues pour limiter au maximum l'autorisation dans le temps, mais avec des renouvellements possibles : 4 mois en France, 3 mois au Grand-Duché de Luxembourg en Allemagne et aux Pays-Bas.

En Grande-Bretagne, la durée est de deux mois lorsque la décision est prise par le « Secretary of State »; la mesure est renouvelable pour six mois. Le ministre peut annuler l'autorisation si celle-ci ne lui semble plus nécessaire La durée est de deux jours lorsque la décision est prise par un fonctionnaire délégué. Le renouvellement de deux mois (confirmation) peut avoir lieu dans le délai initial.

3.5. Les services compétents pour les réaliser

Dans la plupart des cas, ce sont les services désignés par la loi qui pratiquent les écoûtes avec l'aide ou la collaboration des entreprises de communication ou de télécommunication.

En Grande-Bretagne, c'est la « British Telecom » qui se charge de prendre la ligne téléphonique à surveiller en dérivation et d'enregistrer les communications interceptées. BT fournit le matériel, en assure le fonctionnement et transmet la bande enregistrée au service demandeur.

Le « Gouvernment Communication Headquarters » (GCHQ) pratique les interceptions stratégiques vers l'étranger, mais il pratique aussi les écoûtes intérieures sur demande du « National Criminal Intelligence Service » (NCIS), du « Security Service » (MI5) et des douanes.

En France, la loi du 10 juillet 1991 consacre la plupart de ses dispositions au contrôle des services habilités à demander des interceptions de sécurité, mais elle comporte aussi des prescriptions applicables aux exploitants de réseaux et autres fournisseurs des services de télécommunication. S'agissant de réseaux ouverts au public, l'article D 98-1 du Code des postes et télécommunications précise que « l'opérateur devra mettre en place et assurer la mise en oeuvre des moyens nécessaires à l'application de la loi du 10 juillet 1991 ».

La sanction des obligations mises à la charge des opérateurs est la suspension ou le retrait de l'autorisation, sans préjudice des sanctions pénales prévues. (Extrait du rapport annuel d'activités 1998 de la CNCIS, pp. 36 et 37 ).

En Suisse, le Conseil fédéral a autorisé le ministère de la Défense à se doter d'un système d'interception des télécommunications par satellites. Neuf antennes paraboliques de 4 à 18 mètres de diamètre seront, à terme, installées sur différents sites.

En Allemagne, aussi bien la Deutsche Bundespost que les autres opérateurs ont l'obligation de participer aux mesures d'interception. La loi permet la surveillance des télécommunications faisant appel à de nouvelles technologies.

3.6. L'information des personnes concernées par la mesure

La position de la Cour européenne des droits de l'homme à cet égard est suffisamment claire (voir supra la note de la Sûreté de l'État communiquée au Comité R), à propos des questions suivantes :

­ un contrôle judiciaire avec la participation de l'individu doit-il demeurer exclu même après la fin de la surveillance et

­ la notification ultérieure à l'intéressé ou la mesure prise à son insu est-elle exigible dans tous les cas (en l'absence de celle-ci en effet l'intéressé ne pourrait guère exercer un recours judiciaire) ?

À cet égard, la Cour relève que « l'activité ou le danger qu'un ensemble de mesures de surveillance tend à combattre peut subsister pendant des années, voire des décennies, après la levée; une notification ultérieure à chaque individu touché par une mesure désormais levée pourrait bien compromettre le but à long terme qui motivait à l'origine la surveillance « ... » Pareille notification risquerait de contribuer à révéler les méthodes de travail des services de renseignement, leurs champs d'observation et même, le cas échéant, l'identité de leurs agents « ... ». Dès lors que l'ingérence résultant de la législation contestée se justifie au regard de l'article 8, § 2, il ne saurait être incompatible avec cette disposition de ne pas informer l'intéressé dès la fin de la surveillance, car c'est précisément cette abstention qui assure l'efficacité de l'ingérence.

La note de la Sûreté de l'État susmentionnée mentionne également que « Dans ce cadre, la Commission de la Cour européenne des droits de l'homme a statué sur une requête introduite contre la législation luxembourgeoise (loi du 26 novembre 1982 introduisant des article 88-1, 88-2,88-3, 88-4 dans le Code d'instruction criminelle luxembourgeois), laquelle ne prévoit pas d'information ultérieure des personnes concernées par les mesures de surveillance. Se fondant sur les principes de l'arrêt Klass, elle a conclu que la loi contestée réalisait l'équilibre inhérent au système de la Convention entre les exigences de la défense de la démocratie constitutionnelle et des droits de l'individu (affaire Mersch et autres décision du 10 mai 1985) ».

En Allemagne, le ministre fédéral compétent doit informer la personne qui a fait l'objet d'une mesure de surveillance que celle-ci a pris fin. Tous les mois, sont ainsi présentées à la commission du G 10, outre les projets d'interception, les notifications effectuées et les cas dans lesquels cette obligation de notification se heurte à des objections susceptibles d'y faire obstacle. Si la notification est de nature à faire obstacle à l'objectif poursuivi par la mesure, la commission peut exceptionnellement dispenser le gouvernement de notifier ou décider qu'il sera sursis à cette démarche.

Il n'y a pas de notification dans le cas du contrôle stratégique puisqu'il ne comporte pas de contrôle individualisé. Si à l'occasion d'une interception internationale certaines personnes sont concernées sur le territoire allemand, les informations doivent être détruites dans un délai de trois mois faute de quoi notification doit être faite à ces personnes sauf exception.

3.7. Les modalités relatives à la conservation, la transcription, la destruction des informations

En France, il est établi un relevé de chacune des interceptions effectuées. Seuls les renseignements en relation avec l'un des objectifs énumérés par la loi peuvent faire l'objet d'une transcription. L'enregistrement est détruit après 10 jours. Les renseignements recueillis ne peuvent servir à d'autres fins que celles prévues par la loi. Les transcriptions doivent également être détruites dès que leur conservation n'est plus nécessaire.

En Allemagne, les renseignements et documents recueillis ne peuvent servir à d'autres fins que celles prévues par la loi. Tous les matériaux et éléments d'informations obtenus et qui ne sont plus nécessaires aux fins de la surveillance doivent être détruits sans délai.

Au Grand-Duché de Luxembourg, si aucun résultat n'est obtenu, l'ensemble des documents ou enregistrements est détruit. Dans le cas contraire, il est conservé au plus tard jusqu'à la prescription de l'action publique.

La Sûreté de l'État dans le document déjà mentionné, indique que : « Ces modalités doivent obligatoirement figurer dans la loi. Par ailleurs, il y aurait sans doute également lieu de prévoir une disposition mentionnant que les renseignements recueillis ne peuvent servir à d'autres fins que celles prévues par la loi (sous réserve de l'article 29 Code d'instruction criminele). »

Toujours d'après ce même document, la Cour impose « l'existence de conditions strictes assortissant tant l'application des mesures de surveillance que le traitement des renseignements recueillis de la sorte : fixation de celles-ci dès que les conditions requises ont disparu ou qu'elles ne sont plus nécessaires; les renseignements et documents obtenus grâce à elle ne peuvent servir à d'autres fins et on doit détruire ces derniers dès que l'on n'en a plus besoin pour atteindre le but recherché ».

4. Proposition pour une législation belge en matière d'interceptions de sécurité

Les possibilités suivantes pourraient être techniquement envisagées, dans la mesure ou la décision serait prise de doter les services de renseignement belges de la possibilité de pratiquer des interceptions de sécurité :

­ une modification de la loi organique des services de renseignement et de sécurité consistant à compléter le chapitre III ­ L'exercice des missions ­ par une section consacrée à l'identification, au repérage, à la localisation, à la prise de connaissance et à l'enregistrement de communications et télécommunications privées (y compris Internet); le cas échéant y ajouter également une section sur les techniques spéciales en matière de renseignement (voir 3º);

­ une nouvelle loi traitant uniquement du sujet des interceptions de sécurité;

­ une nouvelle loi traitant de l'utilisation et du contrôle démocratique des techniques spéciales nécessaires aux services de renseignement pour accomplir les missions leur attribuées par la loi organique du 30 novembre 1998. Ces techniques seraient, outre l'interception de communications, l'observation, l'infiltration, la manipulation d'informateurs (136).

En ce qui concerne les conditions de fond pour les interceptions de sécurité et en se référant aux modèles ci-dessus, le Comité permanent R retient en grande ligne les principes suivants :

­ une demande écrite et motivée des chefs des services de renseignement et de sécurité adressée au ministre de tutelle du service, ainsi qu'éventuellement au premier ministre;

­ une autorisation écrite d'un des ministres ou d'un secrétaire d'État délégué, pour une durée limitée renouvelable;

­ la mise en place d'une procédure d'urgence (compétence des chefs de service avec régularisation de la procédure endéans un certain délai);

­ la limitation des motivations en se référant aux missions légales des services de renseignement (ou à certaines d'entre elles comme le terrorisme et la criminalité organisée) et la justification de la mesure d'interception (subsidiarité);

­ la notification des autorisations à un organe de contrôle parlementaire ou dépendant du Parlement (137) endéans un certain délai;

­ un organe de contrôle pouvant intervenir dès le début de la procédure, en cours de celle-ci et a posteriori, soit d'initiative, soit sur plainte de personnes physique ou morale; un rapport périodique devrait être adressé au Parlement et aux ministres concernés;

­ une procédure d'information de la personne sur la base du modèle allemand (avec la possibilité de ne pas y procéder pour des justes motifs, avec l'autorisation de l'organe de contrôle);

­ techniquement la réalisation pratique des ces interceptions pourrait s'effectuer à l'intervention de l'unité globale d'interception par laquelle tous les opérateurs devront passer (voir à la p. 3 du présent document, les précisions apportées par le procureur du Roi de Charleroi).

Il appartient bien sûr au législateur de se prononcer sur l'opportunité d'autoriser de telles procédures et le cas échéant de choisir les modalités de mise en oeuvre de celles-ci.

Le Comité permanent R suggère néanmoins d'élargir le débat sur l'ensemble des techniques spéciales propres aux services de renseignement. Le Comité R est en effet d'avis que même pour les techniques qui sont déjà utilisées à l'heure actuelle (comme par exemple le recours à des informateurs et les filatures) des dispositions légales s'avèrent nécessaires.

TITRE IV

COMPOSITION ET FONCTIONNEMENT DU COMITÉ PERMANENT R

1. Composition

Depuis les modifications de la loi organique du contrôle des services de police et de renseignement intervenues le 20 juillet 2000, le Comité R comprend trois membres effectifs à temps plein.

La nomination de ces trois membres, sur la base de ces nouvelles dispositions, s'est faite attendre (principalement compte tenu de l'exécution des enquêtes de sécurité relatives aux candidats). C'est ainsi que pour une grande partie de l'année 2001, les trois membres présents ont poursuivis temporairement l'exercice de leur mandat. Il s'agit, jusqu'en septembre 2001, de MM. Jean-Claude Delepière, Gérald Vande Walle et Jean-Louis Prignon.

Le 19 septembre 2001, MM. Jean-Claude Delepière, Gérald Vande Walle et Walter De Smedt ont prêté serment devant le Président du Sénat, M. Armand De Decker, comme membres du Comité permanent R, avec un mandat de cinq ans. Comme dans le cadre de la composition précédente, Jean-Claude Delepière a été nommé en qualité de président du Comité.

En même temps que les membres effectifs nommés par le Sénat le 19 juillet 2001, les membres suppléants ont également été désignés.

M. Jean-Louis Prignon, ancien membre effectif du Comité R, a été nommé en qualité de président suppléant.

M. Etienne Marique, a été nommé, membre suppléant francophone et M. Peter De Smet, membre suppléant néerlandophone.

2. Le greffier

Le Comité est assisté d'un greffier nommé par le Sénat. Celui-ci est chargé du secrétariat du comité dans le contexte aussi bien de sa mission d'organe de contrôle que de celle d'organe de recours en matière d'habilitations de sécurité.

Il est également responsable du personnel administratif, de la logistique, du budget et de la sécurité.

Depuis la création du Comité, cette fonction est exercée par M. Wouter De Ridder.

3. Le service d'Enquêtes

Le service d'Enquêtes est un organe du Comité permanent R dont le cadre comprend actuellement cinq membres, le chef du Service d'enquêtes inclus. Ces membres ont la compétence d'officier de police judiciaire. Ce service a une double fonction.

Premièrement, il exécute les missions de contrôle du Comité dans le cadre des enquêtes de contrôle et il traite également, sous le contrôle du Comité, les plaintes de particuliers qui s'estiment préjudiciés suite à l'intervention d'un service de renseignement.

Deuxièmement, il peut être chargé d'enquêtes judiciaires sous la responsabilité des autorités judiciaires.

Les membres de ce service sont tous détachés actuellement d'un service de renseignement ou d'un service de police, à l'exception du chef de service qui est un magistrat.

4. Le personnel administratif

Au cours de l'année 2001, le cadre du personnel a été complété par deux nouveaux membres.

Actuellement, le personnel comprend :

­ une documentaliste;

­ un comptable;

­ deux secrétaires;

­ une employée;

­ un huissier;

­ une réceptionniste;

­ deux chauffeurs ­ renforts logistiques.

À l'exception d'un des chauffeurs qui a été mis à disposition par les Forces armées, les autres membres du personnel sont engagés sous un statut spécifique. Les deux dernières personnes engagées sont actuellement en stage.

Afin de mieux structurer les activités, trois sections ont été formées :

­ la section Secrétariat;

­ la section Documentation;

­ la section Budget et Logistique.

Chacune est dirigée par un chef de section

5. Les activités

Le contenu des activités de contrôle du comité se trouve naturellement développé ailleurs dans le présent rapport. Il n'est question ici que des éléments relatifs à l'organisation.

Le comité se réjouit de l'intérêt croissant manifesté par les parlementaires qui se traduit par un nombre accru de réunions et de contacts avec les Commissions de suivi.

En 2001, le Comité a été invité à 9 reprises par le Parlement. Ces rencontres ont eu lieu aussi bien avec la Commission de suivi du Sénat qu'avec cette dernière siégeant ensemble avec la Commission de suivi de la Chambre des représentants. Les deux commissions sont présidées par les présidents des deux Assemblées parlementaires nationales.

Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2001, le comité a tenu 49 réunions. Ces réunions qui rassemblent les membres et le greffier, sont le lieu où les décisions sont prises par le Comité, aussi bien dans le domaine des enquêtes que dans celui du fonctionnement interne. À plusieurs reprises, il a été demandé au chef du service d'enquêtes d'assister aux réunions.

Comme cela a déjà été mentionné dans l'introduction, 15 décisions furent également rendues par le comité agissant en qualité d'organe de recours en matière d'habilitations de sécurité.

Chaque affaire dans ce domaine implique, chaque fois, à côté des nécessaires échanges de correspondance et de dossiers, une consultation des pièces de l'enquête de sécurité par le requérant ainsi que l'audition de ce dernier par le comité. En règle générale, un projet de décision est rédigé par un membre du comité. Après délibération avec les autres membres, la décision définitive est prise en commun.

À côté des réunions consacrées aux problèmes logistiques et des réunions du greffier avec le personnel, il faut encore mentionner les groupes de travail suivants :

­ le groupe de travail constitué de membres, des greffiers et de représentants du personnel des Comités P et R pour l'élaboration d'un nouveau statut du personnel administratif;

­ le groupe de travail composé de membres, des greffiers et des chefs des services d'Enquêtes des deux comités pour la rédaction d'un projet de nouveau statut pour les membres des services d'Enquêtes.

Lorsque cela apparaît utile, les membres, le greffier ou des membres du service d'Enquêtes participent à des conférences ou à des journées d'études sur des sujets intéressants du moment.

Enfin, le comité invite des personnes ou des représentants d'autres services qui peuvent l'informer au sujet de certaines problématiques. Cela se fait le plus souvent dans la phase préliminaire d'une enquête de contrôle.

Les chefs ou les membres d'un des deux services de renseignement sont parfois concernés. Dans les autres cas, il s'agit de particuliers ou de personnes du secteur public ou privé disposant d'une connaissance particulière dans leurs domaines d'activités.

Il faut distinguer ces réunions des échanges de vues organisées tous les six mois avec les chefs des deux services de renseignement, qui ne concernent pas un sujet spécifique mais un échange d'informations générales au cours duquel divers points peuvent être abordés.

6. Les moyens financiers

Les moyens financiers du comité proviennent d'une dotation accordée annuellement par la Chambre des représentants sur la base d'un projet de budget préparé par le greffier qui est responsable sur le plan comptable.

La dotation attribuée peut être utilisée pour des dépenses qui tiennent compte des restrictions suivantes :

­ elles doivent respecter les règles des dépenses publiques;

­ elles sont limitées aux montants prévus aux postes du budget tels qu'ils ont été approuvés par la Chambre des représentants;

­ les dépenses de personnel dépendent de l'approbation par la Chambre des représentants du cadre de ce personnel.

Les dépenses sont soumises à un contrôle interne exercé par un membre du comité, qui effectue des vérifications de la comptabilité, et à un contrôle externe de la Cour des comptes.

Les comptes de l'exercice clôturé sont approuvés en même temps que le rapport de la Cour des comptes par la Chambre des représentants.

Les soldes créditeurs de cet exercice sont remis à la disposition de la Chambre.

Pour 2000, une dotation de 72 450 000 francs a été accordée.

Pour cette même année un solde créditeur de 14 688 150 francs a été enregistré.

Pour 2001, une dotation de 73 480 000 francs a été accordée. Les comptes de cet exercice seront clôturés dans les prochains jours pour être présentés à la Chambre.

Pour l'année 2002 une dotation de 1 997 773,92 euros (80 590 000 francs) a été attribuée.

7. Activités communes avec le Comité P

Au cours de l'année 2001, trois réunions communes ont été tenues avec le Comité permanent P. Elles ont eu notamment pour objet la préparation de nouveaux statuts pour le personnel administratif et pour les membres des services d'Enquêtes.

Des échanges de vues fréquents entre les présidents et entre les greffiers des deux comités ont également eu lieu, dans le domaine de leurs compétences respectives.

En 2001, un demi-étage du bâtiment a été mis à la disposition du Comité P, suite à un manque de place disponible pour le nouveau personnel de celui-ci.

8. La participation au cours de l'annee 2001 du Comité R à des réunions de travail, séminaires, conférences et colloques

7 mars : IRSD ­ Bruxelles

Séminaire Afrique « L'impact de la nouvelle politique belge en Afrique sur les Forces armées ».

21 mars : Centre d'analyse politique des relations internationales (CAPRI) ­ Liège

Journée d'étude « La stratégie d'intervention et la politique européenne de sécurité et de défense. Le processus de mutation politico-militaire : de la territorialité à la projection ».

20 au 22 mai : Friedrich-Ebert-Stiftung ­ Berlin

Colloque : « Les services de renseignement et leur personnel à l'époque de la mondialisation ».

13 juin : Fédération des entreprises de Belgique (FEB) ­ Bruxellesl

« Forum de l'entreprise ».

15 juin : Centre pour l'égalité des chances ­ Palais des congrès ­ Bruxelles

Colloque « Maffias et traite des êtres humains ».

5 octobre : Le centre de recherches droit et défense de l'Université Paris V

Journée d'étude sur : « Le renseignement ».

10 et 11 octobre : Les ministres belges de la Fonction publique ­ Palais des congrès ­ Bruxelles

« Eerste conferentie over de kwaliteit van de overheidsdiensten in België ».

15 et 16 octobre : Conférence organisée par la Chambre des représentants

« Accompagnement parlementaire des services de police ».

18 octobre : Association française pour la promotion de l'intelligence économique (SCIP) ­ Paris

Conférence « Sous-traiter son intelligence concurrentielle ».

19 octobre : Université catholique de Louvain (UCL) ­ Louvain-la-Neuve

Formation « Actualités législatives et questions critiques en matière pénale ».

26 octobre : American Society for Industrial Security (ASIS-Europese Benelux)

Studiedag « anti-globalisatie ».

21 novembre : Salon Milipol ­ Paris

« Salon mondial de la sécurité intérieure des États ».

28 novembre : IRSD ­ Bruxelles

Symposium « La sécurité dans l'espace de l'Est méditérranéen et du Proche-Orient).

4 décembre : Institut d'étude sur la justice ­ Palais des congrès ­ Bruxelles

Colloque « La corruption nous concerne tous ».

12-14 décembre : Haut Comité français pour la défense civile ­ Saint-Maxime

Séminaire international « Terrorisme NRBC ».

20-21 décembre : Comité permanent de contrôle des services de police et la Chambre des représentants

Colloque « Le citoyen et le fonctionnement de la police au sein de l'Union européenne ».


(1) Arrêté royal du 21 juin 1996.

(2) Rapport complémentaire de l'enquête sur la manière dont les services de renseignement (Sûreté de l'État et SGR) ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge.

(3) Rapport intermédiaire relatif à l'enquête de contrôle initiée à la demande du Parlement dans le dossier « Lernout et Hauspie ».

(4) « La presse prétend même que les Israéliens en auraient informé les Américains. »

(5) Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, rapport final, 8 décembre 1998, doc. Sénat, nº 1-326/9.

(6) Article 24 « Sans préjudice de l'article 458 du Code pénal est puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de cent francs à quatre mille francs ou d'une de ces peines seulement, toute personne visée à l'article 23 qui aura révélé les secrets en violation de cet article. »

(7) Suite à son précédent rapport d'activités, les Commissions de suivi ont convenu de charger le Comité permanent R « d'examiner dans quelle mesure le fait de ne pas mentionner dans des dossiers judiciaires que des éléments en faisant partie sont communiqués aux services de renseignement et vice-versa constitue un système » (Rapport d'activités 2000 du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité du 10 octobre 2001 ­ Doc. nº 2-867/1 (Sénat) ­ Doc. nº 50 ­ 1434/001 (Chambre) p. 14.

(8) Voir rapport d'activités 2000 du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité du 10 octobre 2001 ­ Doc nº 2-867/1 (Sénat) ­ Doc. nº 50 1434/001 (Chambre), p. 14.

(9) Cf. la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration. La C.A.D.A. peut être saisie quand une administration (autorité administrative au sens de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'État) refuse ou s'abstient de donner copie ou de permettre la consultation d'un document administratif.

(10) Article 15, 2º, de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité.

(11) Article 15, 1º, de la même loi

(12) Article 6 de la loi du 11 décembre 1998 portant création d'un organe de recours en matière d'habilitations de sécurité.

(13) Article 5, § 2 et § 3, de la même loi.

(14) Troisième suivi du rapport complémentaire sur l'existence éventuelle d'un système américain « Echelon » d'interception des communications téléphoniques et fax en Belgique.

(15) Comité permanent R, rapport complémentaire d'activités 1999, p. 46 (fr).

(16) Traduction libre du néerlandais.

(17) De Morgen, 16 mars 2001. ­ La Libre Belgique, 15 juin 2001.

(18) Le Soir, 5 août 2000.

(19) « Het Laatste Nieuws », 9 septembre 2000.

(20) Ouvrage collectif rédigé sous la direction de Jean-Marc Balencie, docteur en sciences politique et chercheur à l'IRIS, et d'Arnaud de La Grange, journaliste au Figaro.

(21) La Sûreté de l'État précise « que ce type de problème se présente quasi tous les jours ».

(22) La Sûreté de l'État confirme cette constatation, mais déclare être limitée actuellement dans ses moyens.

(23) La Sûreté de l'État confirme cette analyse. Régulièrement ce service entreprend des démarches auprès des autorités responsables pour que la législation en la matière soit appliquée.

(24) Actuel préfet du Nord Pas-de-Calais et ancien patron de la DST.

(25) Lors du dernier Conseil des ministres sous présidence belge, les 6 et 7 décembre derniers, les Quinze s'étaient accordés sur la définition commune du terrorisme, mais pas sur une liste d'organisations terroristes à proscrire en vertu de la définition adoptée.

(26) Les ministres européens se sont mis d'accord pour dresser une liste au seul niveau diplomatique (COREPER) (Source : Le Soir, 29 décembre 2001.)

(27) La direction de la Sûreté de l'État partage ce point de vue. Elle rappelle que dans le passé le service publiait de manière limitée et à destination exclusive des autorités, un rapport semestriel qui donnait une description des développements généraux dans les principaux secteurs d'intérêt. Cette initiative a été abandonnée au début des années 90 à la suite d'une augmentation des tâches et d'un manque de personnel.

(28) « Le caractère international de ce mouvement terroriste et la volonté ainsi que la possibilité de réagir de manière non autorisée aux événements en Turquie rend nécessaire dans l'avenir l'attention du BVD pour le DHKP-C » (traduction libre).

(29) La Sûreté de l'État souscrit entièrement à cette conclusion.

(30) La Sûreté de l'État tient à souligner cette recommandation.

(31) Selon des informations parues dans le journal Le Soir du 30 décembre 2001 (voir aussi le FET du 28 décembre 2001) l'ETA figure dans la liste commune européenne des organisations déclarées terroristes. Le bras politique de l'ETA, le parti légal Batasuna n'est pas repris sur cette liste.

(32) Le Parti du travail de Belgique.

(33)

(34) Selon une dépêche de l'AFP (Madrid 26 juin 2000) les ministres espagnols de l'Intérieur et de la Justice ont rencontré à Bruxelles leurs homologues belges pour renforcer leur coopération dans la lutte contre le terrorisme.

(35) Selon la Sûreté de l'État il s'agit d'une allusion à une absence de législation anti-terroriste et aux procédures de recours concernant les demandes d'asile de Basques espagnols en Belgique. L'Espagne ne peut concevoir qu'un pays démocratique membre de l'UE reconnaisse comme réfugiés politiques des ressortissants d'un autre État démocratique de l'UE.

(36) Voir le « Rapport d'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État s'acquitte de sa nouvelle mission de protection du potentiel scientifique et économique » (rapport d'activités 2000 du Comité R p. 112 et suivantes); voir également « l'enquête sur la manière dont les services de renseignement (Sûreté de l'État et SGR) ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentative d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche belge » (rapport d'activités 2000, p. 60 et suivantes).

() DARPA est l'unité centrale d'investigation et de développement du département de la défense nationale des États-Unis. Il gère pour ce département les enquêtes et les projets en relation avec des technologies dont l'évolution peut constituer une avancée très importante dans le domaine traditionnel des activités et des missions militaires (traduction libre).

(37) Le journal français Le Monde du 31 octobre 2001 fait état d'un document de 24 pages émis par le sous secrétaire américain à la défense chargé de l'équipement qui constitue un appel d'offre adressé à toute entreprise ou à toute personne ayant une proposition à faire pour répondre à l'un des besoins spécifiés. Parmi ces moyens « sont recherchés notamment des dispositifs automatisés permettant de repérer certains mots ou séquences de mots pouvant se rapporter à des actes terroristes dans des conversations tenues en pachtou, ourdou, farsi, dialectes arabes, ainsi que des langues minoritaires parlées au Proche-Orient et en Asie centrale ou méridionale ».

(38) Encore convient-il de signaler en l'occurrence que le recueil d'informations intervient tardivement par rapport aux faits eux-mêmes.

(39) Le Comité permanent R s'étonne d'autant plus de cette décision lorsqu'il se réfère à la réponse faite le 20 octobre 1999 (Chambre 1999/2000 ­ COM O25) par le ministre de la Justice actuel à une interpellation de M. Geert Bourgeois sur « la guerre économique et le rôle de la Sûreté de l'État et du parquet ». Le ministre se référait notamment à l'existence d'une « plate-forme permanente concernant la sécurité des entreprises » qui s'était réunie le 19 novembre 1999. Selon les mots du ministre : « À l'intérieur de ce forum, la Sûreté de l'État en collaboration avec la FEB, est chargée de mettre sur pied un plan d'action concernant la coopération secteur privé secteur public. C'est précisément le rôle de la Sûreté de l'État de jouer dans ce domaine un rôle proactif. »

(40) Le présent rapport complémentaire a été approuvé par le Comité permanent R le 14 mars 2002.

(41) Cf. article 3, 2 de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements

(42) Le principe d'une « coopération mutuelle aussi efficace que possible » est explicitement visé aujourd'hui par l'article 20, § 1er de la loi organique du 18 décembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité. Voir aussi l'article 29 du Code d'instruction Criminelle : « Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui, dans l'exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou délit aura été compris et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ... »

(43) Il s'agit de l'article 22 de la Constitution, l'article 8 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la recommandation nº R 589º 2 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe et aux États membres de la protection des données à caractère personnel utilisées à des fins d'emploi, adoptée par le Comité des ministres le 18 janvier 1989, les articles 4 et 5 de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, l'article 109ter de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques, l'article 6 de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail, l'article 2, § 1er, de la Convention collective de travail nº 39 du 13 décembre 1983 concernant l'information et la concertation sur les conséquences sociales de l'introduction des nouvelles technologies.

(44) Page 64 (fr.).

(45) « Les services de renseignement et de sécurité ne communiquent les renseignements (...) qu'aux ministres et autorités administratives et judiciaires concernés, aux services de police et à toutes les instances et personnes compétentes conformément aux finalités de leurs missions (...). »

(46) Cette enquête visait en fait la manière dont la Sûreté de l'État s'intéresse aux activités islamiques extrémistes en général.

(47) La Libre Belgique, 16 novembre 2001.

(48) Conseil européen informel de Gand le 19 octobre 2001, rapport fait au nom du Comité d'avis fédéral chargé des questions européennes : Sénat, doc. nº 2-935/1, Chambre, doc nº 50-1490/001.

(49) Sénat de Belgique, session de 2000/2001, 16 octobre 2001, « La politique de sécurité après les attentats terroristes aux États-Unis d'Amérique », exposé de M. Duquesne, ministre de l'Intérieur à la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives (doc. nº 2-924/1).

(50) Voir le titre III du présent rapport d'activités : notes d'information au Parlement.

(51) Voir une liste non exhaustive de ces questions et interpellations en annexe du présent rapport.

(52) Sénat de Belgique, 16 octobre 2001, doc. nº 2-924/1.

(53) Voir plus loin.

(54) Voir Aux sources du renouveau musulman dans lequel Tariq Ramadan (voir plus loin) émet un jugement sévère à l'égard des chercheurs américains et européens.

(55) Le choc des civilisations, Paris, 1997.

(56) Directeur de recherches au CNRS (France), auteur du livre Djihad, expansion et déclin de l'islamisme (Galimard).

(57) Voir notamment son éditorial Les derniers feux de l'islamisme dans la revue française Courrier international, nº 577 du 22 au 28 novembre 2001.

(58) Le Soir, mercredi du 21 novembre 2001.

(59) Géopolitique de l'islamisme, L'Harmattan, Paris.

(60) Prêtre d'origine libanaise, il a publié sept nuits avec un ami musulman aux éditions de Paris. La Libre Belgique du 11 mars 2002.

(61) J. P Prieto, Les musulmans de France conspuent (presque) tous Ben Laden in Courrier international, nº 571, 11 octobre 2001, p. 13.

(62) En Europe, des réseaux dormants très actifs Courrier international, nº 571, 11 octobre 2001, p. 67.

(63) Idem.

(64) Les dollars de la terreur ­ les États-Unis et les islamistes Richard Labévière, Grasset, février 1999.

(65) En conséquence de quoi in Courrier international, nº 571, 11 octobre 2001, p. 73.
Libertés en danger ­ les États renforcent les lois sécuritaires, « Courrier International », nº 583, 3 janvier 2002.

(66) Un sondage de l'IFOP réalisé en juin 2001 à la demande du gouvernement français auprès de 522 personnes âgées de 15 à 25 ans nées en France de parents maghrébins fait apparaître un sentiment d'être rejeté auprès de 24 % des jeunes musulmans pratiquants (Le Monde, 30 janvier 2002).

(67) Selon une enquête du journal Le Monde, depuis quelques années, la vie des établissements pénitentiaires français est émaillée de mouvements de rébellion et de petite crispations, qui ont en commun la revendication d'une pratique plus stricte de l'islam.

(68) « Les réseaux d'Allah », p. 62, Antoine Sfeir, Plon.

(69) En 1953 toutefois, un ordre de service classifié « secret » prescrivait déjà de « pousser plus activement la surveillance des algériens et des marocains en raison de la situation politique dans ces pays ».

(70) Le nombre des Algériens présents en Belgique est estimé à environ 13 000, sur une communauté musulmane de 250 000 à 300 000 personnes.

(71) Voir plus loin.

(72) Alain Bauer est co-auteur avec Xavier Raufer du livre, La guerre ne fait que commencer, (édition JC Lattes), il est enseignant à la Sorbonne et consultant en sûreté, il assura la formation de cadres de la gendarmerie nationale.

(73) Ainsi, Mohamed Atta, l'un des pilotes suicides du 11 septembre 2001, a été recruté alors qu'il séjournait à Hambourg.

(74) Voir son interview dans l'hebdomadaire « Knack » du 19 décembre 2001.

(75) Voir notamment, Gilles Keppel, directeur de recherche au CNRS et responsable du programme doctoral sur le monde musulman à l'Institut d'études politiques de Paris dans son article « Vers la démocratie musulmane ? ». Voir aussi l'article de Marie-Cécile Royen « La génération Ramadan » paru dans le Vif/l'Express le 27 octobre 2000.

(76) D'autres encore comme le père Christian Delorme sont plus affirmatifs; parlant des Frères musulmans, il déclare : « Tous ces gens s'enracinent dans une même conception d'un islam qui englobe tout, la vie spirituelle, la vie sociale et la vie politique. Ils prêchent un islam transnational, qui veut débarrasser les musulmans de leurs attâches culturelles. C'est ce que je reproche le plus à Tariq Ramadan, puisqu'il est le prédicateur le plus influent auprès des jeunes musulmans français : il contribue à déraciner les jeunes de la culture populaire de leur famille. » Christian Delorme est prêtre chargé des relations avec les musulmans au diocèse de Lyon. Après avoir favorisé activement l'émergence des associations de jeunes musulmans, il exprime néanmoins ses doutes à l'égard d'un islam qui tend à isoler les jeunes de la société dans une interview qu'il accorde au journal Le Monde le 4 décembre 2001.

(77) Attentats aux États-Unis, guerre globale ? dans Télémoustique, nº 3497, du 19 septembre 2001.

(78) Chambre, 3e session, 2000/2001, CRABV 50 COM 546, p. 7.

(79) voir par exemple l'article Islam, le temps de l'autocritique dans Le Nouvel Observateur du 4 octobre 2001

(80) Ces mesures ont été levées en février 2002.

(81) Interview de M. Bart van Lijsebeth, procureur du Roi d'Anvers, ancien administrateur général de la Sûreté de l'État dans « Knack » (7 novembre 2001) et Le Vif-L'express (9 novembre 2001).

(82) Chambre, Annales 48, Plen., 26 mai 1994.

(83) Chambre, Annales 48, Plen., 10 novembre 1994 et 7 décembre 1994.

(84) Chambre, Annales 48, Plen., 18 janvier 1995.

(85) Chambre, Annales 48, Plen 26 novembre 1996.

(86) Sénat, Annales, 1-77.

(87) Sénat, Annales, 1-156.

(88) Chambre, QRVA 49 nº 156.

(89) Chambre, QRVA, 21 décembre 1998.

(90) Chambre, CRIV 49 COM Justice.

(91) Sénat, Annales, 1-228.

(92) Chambre, CRIV 49 Plen 294.

(93) Chambre, CRIV 49 QRVA 163.

(94) Chambre, CRIV 49 COM Justice.

(95) Sénat, Annales, 1-245.

(96) Chambre, CRIV 49 COM Justice.

(97) Chambre, CRIV 49 COM Justice.

(98) Chambre, CRIV 49 COM Justice.

(99) Chambre, CRIV 49 COM Justice.

(100) Sénat, Annales, 1-250.

(101) Chambre, QRVA 49 nº 171.

(102) Chambre, QRVA 49 nº 171.

(103) Chambre, QRVA 50 nº 3.

(104) Chambre, CRIV 49 COM Intérieur.

(105) Chambre, CRIV 50 COM 435.

(106) Chambre, CRIV 50 COM 443.

(107) Chambre, CRIV 50 COM 507.

(108) Chambre, CRIV 50 Plen. 166.

(109)

(110)

(111) Ce sont ces éléments qui ont déterminé le Comité R à demander l'autorisation d'avoir accès au dossier judiciaire dans le but de poursuivre le plus efficacement son enquête de contrôle en appuyant ces constatations sur des éléments les plus complets possible (voir au sujet de cette autorisation le point 1. Introduction et procédure)

(112) Voir à ce sujet le rapport général d'activités 1999 du Comité R, p. 55, et suivantes.

(113) L'article 8, d), de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité définit la prolifération comme « le trafic ou les transactions relatifs aux matériaux, produits biens ou know- how pouvant contribuer à la production ou au développement de systèmes d'armement non conventionnels ou très avancés. Sont notamment visés dans ce cadre le développement de programmes d'armement nucléaire, chimique et biologique, les systèmes de transmission qui s'y rapportent, ainsi que les personnes structures ou pays qui y sont impliqués. »

() Cf. article 20 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité.

(114) Veuillez voir points 3.1 et 3.2 du présent rapport.

(115) Ces termes visent la coopération entre les services spécialement soulignée dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité (article 20).

(116) Loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité (Moniteur belge du 7 mai 1999);
Loi du 11 décembre 1998 portant création d'un organe de recours en matière d'habilitations de sécurité (idem);
Arrêté royal du 24 mars 2000 déterminant la procédure à suivre devant l'organe de recours en matière d'habilitations de sécurité (Moniteur belge du 31 mars 2000);
Arrêté royal du 24 mars 2000 portant exécution de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité (idem).

(117) La plainte précise que dans cette affaire le recours à la Commission de la protection de la vie privée avait été introduit sur suggestion de la Sûreté de l'État elle-même qui avait signalé qu'une procédure d'accès indirect aux données personnelles de la Sûreté de l'État était prévue via la Commission de protection de la vie privée.

(118) Cf. rapport d'activités Comité R ­ 1997, p. 72, Chapitre 2, point 10 : « Recommandations ».

(119) Comité permanent R ­ rapport d'activités (annexe) 1997.

(120) Rapport relatif à l'enquête de contrôle concernant le SGR suite à la plainte d'un particulier ­ rapport d'activités 2000, titre II : les enquêtes de contrôle ­ D. plaintes et dénonciation de particuliers.

(121) Comité permanent R ­ rapport d'activités 2000 ­ titre I, chapitre 3 : le contentieux des habilitations de sécurité.

(122) Le rapport de l'enquête sur la manière dont la Sûreté de l'État s'acquitte de sa nouvelle mission de protection du potentiel scientifique et économique montre pourtant que ce service s'est montré d'emblée sensibilisé à ce sujet avant même que cette mission lui fut attribuée par la loi. Cependant les travaux préparatoires entrepris à l'époque n'ont pas été menés à leur terme. Rapport d'activités 2000, B. chapitre 7.

(123) Ces deux derniers problèmes sont connus du Comité permanent R et sont examinés dans le cadre d'une enquête en cours sur la gestion des ressources humaines de la Sûreté de l'État.

(124) Rapport de synthèse sur la manière dont les services belges de renseignement réagissent face à l'éventualité d'un réseau « Échelon » d'interception des communications ­ titre II, A. Rapport d'activités 2000.

(125) Voir par exemple, enquête sur la manière dont les services de renseignement ont réagi à propos d'éventuels faits d'espionnage ou de tentatives d'intrusion dans le système informatique d'un centre de recherche ­ C Comité permanent R ­ Rapport d'activités 2000, pp. 60 (fr.) à 65 (fr.).

(126) Selon cette règle, notamment rappelée dans le document Enfopol 69 du 13 juillet 2001, le service qui reçoit une information d'un service étranger n'est pas autorisé à le diffuser en dehors des services de police ou de renseignement nationaux concernés, sauf accord exprès de l'État qui a fourni l'information, celui-ci se réservant en outre le droit d'apprécier le « need to know » (« besoin d'en connaître ») du tiers.

(127) Cette mesure a pris fin en février 2002.

(128) écouter, prendre connaissance et enregistrer pendant leur transmission des communications ou des télécommunications privées ... » (cf. les articles 90ter à 90decies du Code d'instruction criminelle insérés par l'article 3 de la loi du 30 juin 1994, modifiés par les lois du 13 avril 1995 (articles 13 et 14, 2º), 10 juin 1998 (article 6, 1º et 2º, et 10 janvier 1999 (article 5)).

(129) D'une manière générale, les écoutes électromagnétiques et les écoutes militaires sont le plus souvent orientées vers l'étranger à des fins de renseignement stratégique. Les objectifs sont plus vastes, mais aussi plus flous : on y trouve généralement la prévention des menaces militaires ou terroristes, des conflits, de la prolifération, mais aussi « le bien être économique du pays » etc. Les écoutes stratégiques consistent en la surveillance des moyens et réseaux de communication à longue distance au départ ou à destination de zones à risque (par exemple les liaisons cablées internationales, les liaisons par faisceau hertzien, les transmissions par satellite, certaines liaisons postales ...). Elles sont pratiquées par les services de renseignement militaires ou extérieurs.

(130) A contrario, la législation italienne n'envisage les interceptions téléphoniques que dans le cadre de procédures judiciaires. En Espagne, à côté des écoutes judiciaires, le ministre de l'intérieur ou à défaut le directeur de la Sûreté de l'État peuvent ordonner ce type de procédure en cas d'urgence et en matière d'infraction en relation avec des bandes armées ou le terrorisme. Le juge compétent doit être saisi et il doit confirmer ou non cette mesure dans les 72 heures.

(131) La légalisation des interceptions de sécurité n'entraîne pas celle du recours aux écoutes microphoniques, c'est-à-dire de captation directe de propos privés ou confidentiels. Dans la plupart des cas, la mise en place de l'appareil qui permet la captation de paroles suppose en outre la prise en compte d'exception au principe de la protection des libertés individuelles, comme l'inviolabilité du domicile, la liberté de réunion .... D'autres procédés de détection des conversations évitent toute intrusion au domicile (appareils de type micro-canon ou équipés de dispositifs d'amplifications acoustiques, système d'écoute à distance par faisceau laser). Plusieurs pays de l'Union européenne se sont dotés récemment d'une législation sur ce point. On citera notamment, à titre d'exemple, la Grande-Bretagne dont le « police Act 1997 » permet aux services de police et des douanes de pénétrer dans les domiciles privés et les bureaux, y compris dans les lieux d'exercice des professions médicales, des avocats, des journalistes et des ministres du culte, pour y recueillir des informations sur des activités criminelles. (extrait du 6ème Rapport d'activités 1997 de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité française, voir pp. 33 à 35).

(132) Cf. : Rapport annuel 2000 du BVD, p. 17 et suivantes.

(133) Collection technique et scientifique des télécommunications-Springer, Paris, 2000, p. 87.

(134) Dans un document transmis au Comité R par les services juridiques de la Sûreté de l'État est mentionné ce qui suit : « Parmi les conditions retenues par la législation allemande, jugées conformes à l'article 8 de la Convention, figurent : L'existence d'indices permettant de soupçonner quelqu'un de projeter, accomplir ou avoir accompli certaines infractions graves; les mesures de surveillance ne peuvent être prescrites que si l'établissement des faits d'une autre manière est voué à l'échec ou considérablement entravé; (nécessité de la mesure et principe de subsidiarité); même alors, la surveillance ne peut concerner que le suspect lui-même ou les personnes présumées avoir des contacts avec lui, de sorte que la législation n'autorise pas une surveillance dite exploratoire ou générale. »

(135) Selon l'article 13 de la loi 91-646 du 10 juillet 1991 : « une personnalité désignée, pour une durée de 6 ans, par le président de la République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de Cassation. »

(136) L'observation : la surveillance systématique, éventuellement à l'aide de moyens techniques (comme par exemple des enregistrements d'images ou des enregistrements vocaux, dans des lieux publics et/ ou privés ­ après infiltration ou par l'intermédiaire d'informateurs) de personnes, de lieux ou d'événements dans le but de recueillir et de traiter des informations utiles (ou indispensables) pour l'accomplissement des missions prévues aux articles 7 et 11 de la loi organique des services de renseignement et de sécurité.

(137) Dans une première proposition datant du 1er octobre 1993, la Sûreté de l'État faisait déjà remarquer qu'« il semble que par sa composition, son indépendance, sa permanence et les moyens dont il dispose, le Comité Permanent R réponde aux caractères des organes de contrôle tels que la Cour européenne des droits de l'homme les a déterminés. C'est néanmoins par l'intermédiaire de son président, arbitre des situations délicates (cf. article 48 de la loi sur le contrôle des services de police et de renseignement) que le Comité permanent R sera informé des mesures de surveillance portant atteinte à la vie privée des personnes ».