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M. François Roelants du Vivier (MR). - Le sort de la plus belle collection d'art précolombien au monde, selon l'avis de nombreux experts, se joue en ce moment.
Paul et Dora Janssen ont constitué une collection qui ambitionnait de réunir des témoignages de l'ensemble des cultures précolombiennes, des Inuits d'Alaska aux Mapuches du sud du Chili. Évaluée à 25 millions d'euros, cette collection devait faire l'objet d'une dation en règlement des droits de succession du baron Paul Janssen, selon la volonté de sa veuve, qui souhaitait, en outre, que la collection fût présentée au musée du Cinquantenaire.
Des difficultés, liées à la répartition des compétences entre l'État fédéral et les Régions, ont abouti à l'adoption de la loi du 11 juillet 2005, qui prévoit que : « Une fois les oeuvres formellement acceptées en paiement par le ministre - des Finances en l'occurrence -, la Région concernée sera réputée avoir reçu, à concurrence de la valeur des oeuvres acceptées, les droits de succession dus ».
Suite à une longue saga, le gouvernement flamand exigerait maintenant, non le montant équivalent de la dation en numéraire, mais de voir diminuer le surplus budgétaire de la Flandre d'un montant équivalent aux droits de succession. De ce fait, la situation semble bloquée. Dans une interview accordée au Standaard, ce 4 février, Dora Janssen doute de la volonté du gouvernement flamand d'aboutir à un accord.
En préface à l'exposition qui se tient en ce moment à Genève au Musée d'art et d'histoire et qui présente la collection Janssen, Gillett G. Griffin, le grand spécialiste américain de l'art précolombien écrit : « Dora Janssen a légué à la Belgique, son pays, une collection d'art américain aussi riche que variée. Un somptueux cadeau. »
Il ne faudrait pas que nos autorités publiques, où qu'elles soient, fassent mentir cette appréciation, à l'heure où, excédée par tous ces atermoiements, Mme Janssen reçoit des offres tentantes de l'émir du Qatar ou du British Museum. En octobre 2006, la collection Janssen sera présente au Cinquantenaire pour une exposition temporaire, que je vous engage tous à visiter.
Je souhaite savoir ce que vous faites, vous que je sais très sensible à cette dation, pour que cette exposition annoncée ne soit pas la dernière occasion de voir la collection Janssen en Belgique.
Mme la présidente. - Monsieur Brotcorne, étant donné que votre demande d'explications de la semaine prochaine porte sur le même sujet, je vous invite à prendre brièvement la parole.
M. Christian Brotcorne (CDH). - Ce qui se passe actuellement avec la collection de Paul et Dora Janssen me pousse à rebondir sur cette problématique de la dation des oeuvres d'art en paiement des droits de succession, ceux-ci étant de compétence régionale même si la perception en est toujours assurée par le SPF Finances.
Jusqu'il y a peu, les oeuvres d'art données en paiement restaient propriété de l'État fédéral qui indemnisait la Région concernée à concurrence des droits de succession ainsi payés.
La situation est désormais tout à fait inversée et pour donner une valeur à ces différentes oeuvres d'art, il a été prévu, dans le cadre de la loi-programme du 11 juillet 2005, de créer un comité dans lequel les Régions seraient représentées aux côtés de représentants de l'État fédéral et des trois grands musées fédéraux.
Il semble aujourd'hui que, non seulement le dossier de la collection d'art colombien du baron Paul Janssen, mais aussi ceux d'autres successions, qui pourraient être réglées par une dation d'oeuvres d'art en paiement, seraient bloqués parce que cette commission ne fonctionnerait pas, la Flandre n'y ayant pas désigné son représentant.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, confirmer cette description de la situation ? Et pouvez-vous nous dire quel est le nombre de successions qui sont ainsi en souffrance ? Je comprendrais que vous ne puissiez répondre immédiatement à cette dernière question, auquel cas je vous la reposerais sous forme de question écrite.
En outre, est-il vrai que le blocage soit dû à l'absence de représentation flamande au sein de la commission spéciale ?
Envisagez-vous, en attendant que cette commission puisse fonctionner, de prendre d'autres mesures pour éviter qu'une série de collections d'art ne parte à l'étranger ? Si oui, dans quel délai ?
M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances. - Je voudrais d'abord retracer l'évolution du dossier.
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'attention des écrits de M. Griffin sur la qualité de la collection. Sans minimiser l'importance du geste, je voudrais néanmoins préciser qu'il ne s'agit pas d'un legs ou d'une donation mais d'une dation en paiement, donc d'une manière de s'acquitter d'une dette fiscale prévue par le code civil. Ce n'est pas un don fait à l'État ou à la Région. Je suis partisan depuis de nombreuses années de ce système de dation en paiement pour apurer une dette fiscale. Je ne minimiserai donc pas le geste de Mme Janssen. Il était utile de le préciser.
Jusqu'à la modification législative de juillet 2005, nous avions un système qui ne correspondait plus tout à fait à nos institutions. M. Brotcorne l'a rappelé, les droits de succession sont une matière régionalisée ; or le système en vigueur avant juillet 2005 énonçait, à la suite d'une décision du ministre des Finances, que l'État fédéral devenait propriétaire des oeuvres d'art reçues en dation et versait les droits de succession à la Région concernée. Heureusement pour le budget fédéral, la loi de juillet 2005 a clarifié et simplifié le système en faisant de la Région la propriétaire des biens acceptés en dation et, en conséquence, lui a donné la possibilité d'accepter ou de refuser la dation selon les principes du droit civil.
La loi du 22 juillet 2005 s'applique à la dation du Dr Janssen. C'est donc à la Région flamande d'accepter ou de refuser, par l'intermédiaire de son représentant au sein de la commission spéciale, le mode de paiement proposé par Mme Janssen.
Cela étant, la Région flamande a introduit...
M. Christian Brotcorne (CDH). - La Région flamande a donc désigné son représentant dans la commission spéciale ?
M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances. - N'allez pas trop vite. J'ai dit que c'est à la Région flamande d'accepter ou de refuser par l'intermédiaire de son représentant. Je n'ai pas encore parlé de la désignation des représentants.
La Région flamande a introduit un recours en annulation auprès de la Cour d'arbitrage contre les dispositions de la loi en matière de dation. Il y a donc un conflit juridique.
Je vous confirme cependant que des discussions ont lieu entre l'autorité fédérale et la Région flamande afin de savoir si on peut trouver une solution permettant d'accepter la dation et de présenter en Belgique cette prestigieuse collection.
Des propositions, notamment budgétaires, ont été formulées, mais aucune d'entre elles n'a été avalisée, en particulier par la Région flamande. Je reste évidemment ouvert à toute nouvelle proposition.
La Région flamande doit aujourd'hui faire un choix. La loi-programme du 11 juillet 2005, qui a modifié les articles du code des droits de succession, a fait entrer trois membres des régions dans la commission d'évaluation des oeuvres d'art afin de donner aux régions, qui sont créancières de l'impôt concerné, le pouvoir d'accepter ou de refuser la dation en paiement.
J'en viens ainsi à votre question, monsieur Brotcorne. Aujourd'hui, alors que les deux autres régions ont désigné leur représentant, la Région flamande ne l'a toujours pas fait. De ce fait, le fonctionnement de cette commission est bloqué, non seulement pour la succession Janssen mais aussi dans d'autres dossiers. Je vous communiquerai par écrit, si vous le souhaitez, les éléments concernant les éventuels dossiers en souffrance.
Pour le reste, je confirme qu'à ce jour je n'ai pas reçu de réponse négative définitive de la Région. Nous cherchons toujours une solution et, dans l'attente de la désignation du membre de la commission représentant la Région flamande, il est difficile de progresser.
Je comprends la difficulté budgétaire pour une région d'accepter une dation en paiement dans le cadre d'une succession, mais il est assez logique que ce soit l'entité bénéficiaire de la recette fiscale qui prenne la décision et en supporte les conséquences.
Je reste disponible pour tenter de trouver des solutions permettant d'atténuer la charge financière pour la région concernée, voire de faire participer l'État fédéral à cette démarche, à condition toutefois que ce dernier y trouve un intérêt légitime, le lieu d'exposition des collections étant un élément en la matière.
Le débat se poursuivra donc, notamment au sein du comité de concertation. Nous devrons, un jour, donner une réponse aux héritiers.
J'ai évidemment fait savoir qu'il n'y aurait pas d'intérêts de retard sur les paiements des droits de succession si le retard est dû à l'indécision des autorités publiques. Mais j'espère avec vous que nous trouverons une autre solution.
M. François Roelants du Vivier (MR). - Je remercie le ministre de sa réponse qui actualise bien ce dossier. J'insiste toutefois auprès du ministre des Finances sur le fait que les dernières déclarations de Mme Janssen concernant les offres qui lui sont faites sont à prendre au sérieux car, bien entendu, les droits de succession peuvent également être payés en numéraires. Si une offre intéressante lui est proposée, elle peut évidemment payer de cette façon.
Le risque est que nous assistions à ce qui s'est passé avec l' « Entrée du Christ à Bruxelles » de James Ensor, que l'on peut aujourd'hui voir au Musée J. Paul Getty en Californie. J'espère que nous n'en arriverons pas à la même situation.
M. Christian Brotcorne (CDH). - Je me réjouis des explications détaillées du ministre, mais je m'inquiète, comme M. Roelants du Vivier, de ne rien entendre quant à l'hypothèse de voir disparaître ces différentes collections à la suite de notre incapacité, sur un plan institutionnel, à apporter une réponse.
Cela pose de manière dramatique l'efficacité d'une législation élaborée au niveau fédéral mais qui implique dans son exécution la bonne volonté et la participation des régions. Nous nous retrouvons finalement dans un cul-de-sac juridique dans la mesure où personne ne peut être contraint à faire quoi que ce soit. Le comité de concertation est probablement le meilleur endroit où l'on puisse essayer de remédier à cette situation, mais si ce n'est pas le cas, où va-t-on et que fait-on ?