2-1311/4 | 2-1311/4 |
11 FÉVRIER 2003
Le Sénat,
A. constatant qu'au cours de la Seconde Guerre mondiale, 29 940 juifs ont été déportés du territoire du Royaume de Belgique, y compris les territoires des cantons d'Eupen, Malmédy et de Saint-Vith annexés le 10 mai 1940 par le Reich allemand, par l'autorité occupante;
B. constatant que ce chiffre constitue près de la moitié de la population des juifs qui résidaient en Belgique au 10 mai 1940;
C. constatant que presque tous les déportés juifs sont morts dans les camps de concentration et d'extermination;
D. constatant que des autorités belges ont parfois été impliquées dans l'identification des juifs et/ou dans les déportations;
E. constatant, par exemple, que la première déportation des juifs de Belgique n'incombe pas à l'occupant, mais qu'elle est le fait de l'État belge encore indépendant qui arrête puis déporte dans les jours qui suivent le 10 mai 1940 des juifs du Grand Reich allemand; que des rafles ont eu lieu à Anvers au cours de l'été 1942 avec la participation de policiers belges, que des administrations communales ont procédé à des distributions d'étoiles jaunes imposées, par l'occupant;
F. constatant que plus d'un demi siècle après les faits, le temps est venu d'engager un débat démocratique sur les responsabilités éventuelles d'autorités belges dans ces événements;
G. constatant que la population belge a généralement une connaissance insuffisante de ces événements;
H. considérant que les générations futures ont droit à ce débat;
I. prenant acte du rapport final de la Commission d'étude sur le sort des biens des membres de la communauté juive de Belgique spoliés ou délaissés pendant la guerre de 1940-1945;
J. prenant acte des déclarations du premier ministre Guy Verhofstadt lors de la « journée du martyr juif de Belgique », le 6 octobre 2002;
K. reconnaissant les terribles souffrances subies par les juifs résidant en Belgique pendant cette période;
L. reconnaissant qu'il y a eu des faits de collaboration avec l'autorité occupante en Belgique;
M. reconnaissant que ces faits et ces souffrances font partie d'un passé historique douloureux et qu'il convient que la société s'en souvienne, notamment, pour prévenir la résurgence de tels actes,
1. demande au gouvernement de confier au Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) la réalisation d'une étude scientifique sur la participation éventuelle d'autorités belges à l'identification, aux persécutions et à la déportation des juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, et de mettre, pour ce faire, les moyens nécessaires à la disposition du CEGES. Le but de cette étude est d'obtenir, dans un délai de deux ans, une connaissance détaillée des faits et de leur contexte, même si ceux-ci concernent les périodes d'avant-guerre et d'après-guerre. À cette fin, le CEGES devra notamment établir les principaux faits susceptibles d'éclairer l'attitude des autorités belges concernant les événements suivants :
a) le déplacement dès le 10 mai 1940 d'un nombre important de juifs étrangers vers la France;
b) l'application des ordonnances de l'autorité occupante concernant les juifs;
c) la constitution d'un registre de juifs;
d) la distribution et le port de l'étoile jaune;
e) les concentrations et déportations de juifs;
e) la manière dont cette participation éventuelle a été prise en compte durant la répression d'après-guerre.
Cette étude portera notamment aussi bien sur l'attitude du gouvernement en exil à Londres, que sur celle des secrétaires généraux, des services de l'administration centrale, des autorités judiciaires et des autorités provinciales et communales.
Le rapport devra également établir une liste des recherches qui reste à établir afin de faire progresser la recherche sur le génocide des juifs de Belgique;
2. demande au CEGES, nonobstant son droit de saisir, à tout moment, le Sénat des problèmes qu'il rencontre dans ses recherches, de présenter au terme d'un délai d'un an, à cette assemblée un rapport sur l'état d'avancement de ses travaux;
3. recommande que lorsque ce rapport préliminaire sera publié, soit instaurée, si nécessaire, au Sénat une commission d'enquête parlementaire avec la mission :
a) de mener un débat sur les responsabilités éventuelles d'autorités belges dans l'identification, les persécutions et les déportations des juifs en Belgique;
b) de faire des recommandations et propositions aux Communautés sur les faits qu'il serait souhaitable de transmettre aux générations futures à travers l'enseignement secondaire afin de contribuer à la mémoire du génocide des juifs en Belgique et à la prévention du génocide et des autres crimes contre l'humanité.