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Mme Marie Nagy (ECOLO). - En vertu de l'article 14bis de la nouvelle loi communale, inséré par la loi du 21 mars 1991, est considéré comme empêché le bourgmestre qui exerce la fonction de ministre, de secrétaire d'État, de membre d'un exécutif ou de secrétaire d'État régional, pendant la période d'exercice de sa fonction.
Comme vous le rappelez dans votre circulaire du 12 septembre dernier, la loi ne prévoit pas d'incompatibilité entre la fonction de ministre et celle de bourgmestre, raison pour laquelle il prête serment en tant que tel. En revanche, l'empêchement légal du ministre bourgmestre a pour conséquence qu'il est remplacé par le premier échevin ou par l'échevin qu'il aurait expressément délégué pour exercer ses fonctions, tout en pouvant remplir son mandat de conseiller communal.
Il est unanimement admis que ce remplacement est entier et que, dès le moment où il prête serment de ministre et jusqu'à la prestation de serment de son successeur, le ministre bourgmestre est remplacé dans tous les aspects de sa fonction. De ce fait, il ne peut accomplir aucun acte relevant de la compétence du bourgmestre, qu'il soit de nature strictement administrative ou protocolaire.
Ainsi, l'un de vos illustres prédécesseurs, M. Louis Tobback, avait été amené, à la demande du député Henri Simons, à préciser en séance plénière de la Chambre que le bourgmestre empêché « ne peut porter l'écharpe tricolore, présider le conseil communal ou faire des déclarations publiques qui incombent normalement au bourgmestre investi de la plénitude de ses fonctions ». Il avait même considéré que le bourgmestre empêché devait faire preuve de discrétion au point de devoir s'abstenir d'écrire des articles à caractère politique dans le bulletin d'information communal.
S'il est vrai que ces consignes ont été clairement énoncées à l'époque, il me semble qu'elles souffrent actuellement d'un oubli presque complet ou, à tout le moins, ne sont que très relativement respectées.
Ainsi est-il fréquent d'entendre tel ou tel ministre bourgmestre intervenir au sujet de dossiers purement communaux, en s'exprimant parfois de façon telle qu'il apparaisse comme l'auteur réel de la décision prise ou en tant qu'acteur majeur dans le dossier.
On se souvient des interventions du ministre Kubla dans le dossier de l'affaissement de la butte du Lion de Waterloo ou de la déclaration du bourgmestre faisant fonction de Jodoigne dans Le Soir du 16 juillet 1999, qui assurait que Louis Michel restait « le moteur de la commune ».
Alors qu'il quittait ses fonctions de ministre-président, le bourgmestre de Saint-Gilles avouait, dans Le Soir du 17 juillet 1999, avoir toujours eu son bureau à la maison communale et prétendait y passer plusieurs heures par semaine. On peut craindre que les choses n'aient pas changé depuis.
De même, le ministre bruxellois de l'Environnement, par ailleurs bourgmestre empêché d'une commune bruxelloise, s'exprime dans le journal Le Soir du 7 septembre 2000 au sujet d'un problème de circulation locale et annonce son intention de proposer des mesures au collège et d'entamer un dialogue avec la Région. Le dialogue entre le ministre et le bourgmestre empêché, qui sont une seule et même personne, doit être surréaliste !
Le même ministre déclarait par ailleurs dans Le Soir du 23 septembre 2000 : « Je suis d'une grande disponibilité et d'une grande écoute à l'égard de ma commune, mais ce sont des collaborateurs qui remplissent mes fonctions ».
Que dire, enfin, de la situation des commissaires du gouvernement qui jouent sur le fait que leur fonction n'est pas explicitement visée par la formulation de l'article 14bis pour rester en fonction ? Je pense, notamment, au commissaire chargé de la recherche scientifique, par ailleurs bourgmestre de la commune de Dison mais aussi, précédemment, au cas du commissaire aux grandes villes. Ceci est d'autant plus surprenant que le premier ministre partage mon point de vue puisqu'il déclarait, en commission de l'Intérieur de la Chambre, le 22 décembre 1999, qu'il était « évident que ces fonctions ne sont pas cumulables, s'agissant de deux fonctions exécutives ». M. Freddy Willockx n'est, pour sa part, plus commissaire du gouvernement depuis qu'il exerce la fonction de bourgmestre de Saint-Nicolas.
Comme le démontrent ces quelques exemples, je crains que l'objectif du législateur et l'esprit de l'article 14bis de la nouvelle loi communale ne soient que très rarement respectés, ce qui prouve l'insuffisance de cet article. Sauf erreur de ma part, tous les ministres bourgmestres empêchés sont intervenus, à des degrés divers, dans les affaires communales en tant que bourgmestres.
Ces cumuls entraînent évidemment des conflits d'intérêt puisqu'on se trouve, d'une part, en présence d'un bourgmestre qui exerce, au niveau régional, la tutelle sur ses propres décisions et, d'autre part, d'un ministre qui prend des décisions dans la perspective de les appliquer personnellement au niveau communal. Pour certaines compétences, d'ordre fédéral, la question se pose également. Je pense, notamment, aux récentes déclarations de certains en ce qui concerne la réforme de la police et son coût pour les communes.
J'ai aussi le sentiment, par exemple au sujet de l'étude sur la concentration en chlore dans les bassins de natation, que les réactions de certaines communes n'auraient peut-être pas été aussi exagérées si le promoteur de l'étude n'avait montré l'exemple en supprimant les cours de natation dans sa propre commune. Il y a là une confusion dans le rôle que chacun doit jouer.
J'attire aussi votre attention sur le fait que cette possibilité de cumul vient s'ajouter aux autres cumuls admis entre un mandat exécutif communal et une fonction de membre d'une assemblée législative. À cet égard, il est heureux que la Chambre ait finalement renoncé au projet de modification qui visait à rendre ce cumul possible pour les députés européens. Car, ensemble, ces cumuls contribuent au maintien d'un système féodal, notamment dans les assemblées régionales. Les intérêts régionaux s'y confondent souvent avec la somme du plus petit commun dénominateur des intérêts révélés par le terrain électoral constitué par le fief local des ministres et députés.
L'argument souvent avancé par les partisans du cumul de député bourgmestre ou de ministre bourgmestre est, précisément, que ce cumul permet d'intervenir au niveau supérieur pour défendre les intérêts de sa commune ou de sa ville, ce qui constitue une rupture d'égalité flagrante vis-à-vis des bourgmestres qui ne cumulent pas.
J'aimerais, monsieur le ministre, avoir votre appréciation sur l'application actuelle de l'article 14bis tant en ce qui concerne les ministres bourgmestres que les commissaires bourgmestres.
Pensez-vous, comme moi, que cet article n'est pas satisfaisant dans sa formulation actuelle en raison de l'impossibilité pratique de le faire respecter ?
Pouvez-vous me dire quelles mesures vous avez prises, suite aux dernières élections communales, pour préciser la portée de cette législation à l'attention des bourgmestres qui sont, par ailleurs, membres d'un gouvernement ?
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Mme Nagy et moi allons savourer le privilège d'avoir un dialogue singulier en séance plénière, à l'abri, oserais-je dire, des oreilles indiscrètes. A l'université, j'avais un patron qui insistait sur la possibilité de dire beaucoup de choses pertinentes en peu de mots, cette faculté étant particulièrement appréciée à certaines heures.
Le bourgmestre en titre reste seul investi de la fonction même s'il est légalement empêché en vertu de l'article 14bis de la nouvelle loi communale. Le premier échevin ou l'échevin désigné par le bourgmestre empêché ne doit d'ailleurs pas prêter le serment spécial en cette qualité. Le bourgmestre empêché reste, par conséquent, libre de s'exprimer en tant que bourgmestre. Il lui est, par contre, interdit de poser des actes qui ressortissent à la fonction, notamment présider le collège échevinal ou le conseil communal. En l'occurrence, dans cette affaire comme dans bon nombre d'autres, il s'agit probablement moins d'un problème de droit que d'un problème de déontologie. Il appartient à chacun d'apprécier la réserve dont il doit faire preuve compte tenu du fait qu'il n'assume pas effectivement la fonction. La loi ne peut certainement pas régler ce problème. Au stade actuel, il ne me paraît pas qu'une modification de l'article 14bis de la nouvelle loi communale doit être mise à l'ordre du jour des délibérations du gouvernement. J'ajoute que la question posée par Mme Nagy ne doit pas trouver une réponse définitive à l'occasion d'une simple demande d'explications. J'ai donc demandé à mon administration d'étudier le problème plus avant afin de déterminer s'il convient de laisser les choses en l'état, s'il faut apporter des précisions par le biais d'une circulaire ministérielle ou si, le cas échéant, une intervention législative s'impose. Dans l'état actuel des choses, il n'y a, à mon avis, aucune difficulté.
Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je remercie le ministre pour sa réponse. Il se situe un peu en décalage par rapport aux déclarations de son prédécesseur qui, en 1993, avait précisé que le bourgmestre empêché ne pouvait faire des déclarations publiques, lesquelles incombent normalement au bourgmestre investi de la plénitude de ses fonctions. Je relève donc deux appréciations de la portée de l'article 14bis. On évoque avec insistance une régionalisation de la loi communale et on connaît certaines tentations. Je trouve donc que plus on se trouve dans des niveaux proches, plus l'intérêt d'une intervention du ministre de l'Intérieur est évident. En fait, la confusion est totale. Le ministre bruxellois de l'Environnement a, par exemple, adressé un courrier aux collèges des bourgmestres et échevins de l'agglomération en indiquant qu'il avait fait procéder à des examens en sa qualité de ministre, ajoutant qu'en tant que bourgmestre d'une commune bruxelloise, il avait opté, par mesure de prudence, pour la suppression des cours de natation jusqu'en troisième primaire et, au delà, pour la suppression temporaire de l'obligation de suivre les cours de natation.
Voilà un exemple extrêmement précis qui, selon moi, ne constitue pas un cas isolé. Il montre qu'il n'y a plus aucune différence entre les actes que l'on pose en tant que ministre et en tant que bourgmestre.
Je suis satisfaite de la réponse du ministre, indiquant que son administration est chargée d'examiner cette question. Cependant, je pense que celle-ci mérite un débat. J'ai donc préparé une proposition de loi que je compte déposer concernant une incompatibilité de fait dans la loi. Nous aurons ainsi l'occasion de discuter, de préparer l'avenir, d'éviter des confusions d'intérêts et des interprétations divergentes. Nous pourrions arriver à ce que vous appelez, monsieur le ministre, une certaine forme de déontologie qui améliorerait le rapport que les citoyens entretiennent avec le pouvoir qui les gouverne.
-L'incident est clos.