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13 NOVEMBRE 1997
Le 26 juin 1997, un avion de voltige s'est écrasé au sol pendant le meeting aérien d'Ostende, tuant dix personnes et blessant grièvement plusieurs spectateurs. Ces victimes étaient pour la plupart atteintes de brûlures graves. En fait, il ne se passe pas un an sans que, quelque part dans le monde, les exhibitions d'acrobatie aérienne exigent leur tribut de victimes.
L'accident le plus spectaculaire s'est produit le 28 août 1988 à Ramstein en Allemagne, lorsque l'un des trois appareils italiens en perdition s'est écrasé dans le public. Cet accident coûta la vie à soixante-sept personnes ainsi qu'aux trois pilotes, et plus de trois cents personnes furent gravement brûlées. À la suite de cet accident, les exhibitions d'acrobatie aérienne furent interdites en Allemagne. En Belgique, la réaction des autorités consista à affirmer que de tels accidents sont impossibles dans notre pays, parce que l'on respecte des normes de sécurité plus strictes.
En Belgique, on organise chaque année en moyenne huit meetings aériens auxquels participent généralement aussi des avions militaires. Les plus importants sont ceux de Coxyde et de Kleine Brogel.
La présente proposition de loi reprend en partie la proposition déposée le 18 novembre 1988 par M. Van Dienderen après la catastrophe de Ramstein. Nous avons en outre également utilisé, à titre de référence, la résolution du Parlement européen concernant la catastrophe de Ramstein. La présente proposition vise à interdire tous les meetings d'aviation comportant des exhibitions d'acrobaties aériennes. Elle ne vise dès lors pas les autres manifestations, telles que les démonstrations en vol d'appareils anciens, les sauts en parachute, etc.
Il convient en premier lieu de répondre aux arguments avancés par les organisateurs de meetings aériens.
1. Leur argument essentiel est que ces manifestations remportent un grand succès de foule.
On leur rétorquera que le public manifeste toujours un grand intérêt pour les catastrophes. Inutile de se voiler la face: lors des rallyes automobiles sur la voie publique, les spectateurs se concentrent aux abords des virages, c'est-à-dire aux endroits qui présentent un danger non seulement pour les conducteurs, mais surtout pour le public.
L'argument de l'intérêt du public n'est par contre jamais invoqué par les pouvoirs publics lorsqu'il s'agit d'opérer des choix de société fondamentaux. Le ministre de la Défense nationale défend le meeting aérien de Florennes, parce qu'il attirerait 100 000 spectateurs, mais lorsque 300 000 personnes manifestèrent contre l'installation de missiles à ogive nucléaire sur cette même base de Florennes, leur action demeura sans effet sur la prise de décision politique. La « volonté populaire » fait donc l'objet d'une interprétation sélective.
On ne tient pas non plus compte des riverains des huit aérodromes où sont organisés ces meetings, et ce, même s'ils sont plusieurs dizaines de milliers. On oublie en outre les nombreuses dizaines de milliers de personnes qui, pendant leurs loisirs, se livrent à d'autres activités, que ce soit à la pratique du sport ou, tout simplement, à une promenade tonifiante. Il est vrai que ces personnes ne convergent pas toutes vers le même endroit (c'est précisément ce qu'elles veulent éviter!) et sont dès lors moins visibles. Par beau temps, la côte et les Ardennes attirent des milliers de visiteurs enthousiastes, et ce, pas un jour par an, mais des semaines durant.
2. Le deuxième argument invoqué par les organisateurs est la promotion de la navigation aérienne.
Le transport de passagers, qui constitue l'essentiel de l'activité aéronautique, n'a toutefois pas besoin de cette forme de promotion. Au contraire, ce secteur insiste surtout sur le confort, la rapidité de déplacement et la sécurité (!) comme arguments de vente.
Le secteur de la navigation militaire considère ces exhibitions comme un élément important de son image. Les Sea-Kings et les appareils C-130, dont l'utilité se limite aux opérations humanitaires, ne sont toutefois pas conçus pour les acrobaties aériennes, pour lesquelles on utilise des avions de combat. À Ostende, la force aérienne turque à même effectué des démonstrations avec des F-5 Freedom Fighters; des avions utilisés au Kurdistan. Le caractère « humanitaire » de cette guerre est bien connu.
D'autres moyens moins lucratifs de promouvoir la navigation aérienne sont largement sous-estimés. Notre pays compte plusieurs musées de l'air, dont on ne fait pas assez la promotion. Des expositions temporaires sont en outre organisées régulièrement. Actuellement, les passagers en attente au terminal de l'aéroport de Zaventem peuvent découvrir un aperçu de l'histoire de l'aviation. Des équipes spécialisées de parachutistes parcourent le monde pour faire admirer leurs acrobaties. Les rassemblements de vétérans, comme par exemple celui qui a lieu chaque année à Schaffen, sont un autre exemple. Il est d'ailleurs regrettable que ce soit précisément cette exhibition, qui n'a rien à voir avec de dangereuses acrobaties, qui a été interdite par les autorités après l'accident d'Ostende. Les baptêmes de l'air en montgolfière connaissent également un grand succès. En d'autres termes, il existe suffisamment de solutions de rechange pour la promotion de la navigation aérienne.
3. Les acrobaties aériennes influeraient favorablement sur le développement de la technique et la formation des pilotes.
Cet argument est également dénué de pertinence. L'acrobatie aérienne n'est d'aucune utilité aux pilotes d'appareils destinés au transport de passagers. Leur formation a précisément pour finalité d'éviter les situations dangereuses et inattendues. Ils seraient même incapables d'exécuter avec leurs appareils bon nombre des acrobaties présentées lors d'exhibitions aériennes. Les manoeuvres qui leur sont enseignées au cours de leur formation et de leur recyclage, sont beaucoup moins poussées et sont destinées à corriger le plus rapidement possible des situations dangereuses, ce qui n'a donc rien à voir avec le fait de provoquer de telles situations et de les faire durer le plus longtemps possible, comme c'est le cas au cours de vols acrobatiques.
En outre, la formation des pilotes civils se déroule dans des régions désertiques du Nouveau-Mexique et du Texas (États-Unis) et le recyclage s'effectue en grande partie sur des simulateurs de vol. La technique a tellement progressé que ce ne sont pas les possibilités des appareils, mais celles des pilotes qui déterminent les limites de ce qui est faisable. La plupart des appareils militaires peuvent supporter bien plus de G qu'un être humain (un G est égal à la pression normale de la pesanteur). De nombreux accidents se produisant lors de vols acrobatiques sont d'ailleurs dus aux pertes de connaissance des pilotes, provoquées par les énormes fluctuations de la pression sanguine au cours des acrobaties. Il est plus que vraisemblable que c'est ce qui s'est passé lors de l'accident d'Ostende.
4. Un autre argument consiste à dire que les exhibitions aériennes apportent une plus-value sur le plan économique.
Il est un fait que l'organisation d'événements rassemblant de grandes foules à un endroit donné pendant une brève période constitue un plus pour l'économie locale. L'avantage est toutefois nul pour l'économie du pays considérée dans son ensemble. La part de leur budget que les familles consacrent aux loisirs et au temps libre dépend de leur pouvoir d'achat global à ce moment-là. En d'autres termes, une famille qui se rend au meeting aérien d'Ostende ne consacrera pas aux loisirs un franc de plus par an qu'elle n'est en mesure de le faire. En l'absence de meeting aérien, la même famille consacrerait une somme identique à d'autres distractions.
Les rentrées supplémentaires dont bénéficie le secteur Horeca de l'aéroport sont d'ailleurs compensées par la perte de revenus enregistrée par les autres commerces du littoral pendant le meeting. Celui-ci génère même un surcoût, puisque des forces de police et des services de secours doivent être spécialement mobilisés. Au même titre que la multiplication des grands centres commerciaux, la multiplication des manifestations de masse a des répercussions négatives pour les petits commerçants et les activités de moindre envergure.
5. Toute activité humaine comporte des risques.
La circulation automobile fait plus de victimes. C'est indéniable. Elle remplit toutefois une fonction socio-économique importante. On ne prend d'ailleurs pas sa voiture pour en tester les possibilités, mais pour se déplacer. La circulation est en outre soumise à des règles strictes. Les slaloms, les dérapages et les coups de frein intempestifs sur lavoie publique sont considérés comme dangereux et interdits.
Les catastrophes qui frappent le trafic aérien ordi-naire font également des victimes, mais personne ne demande pour autant la suppression du transport aérien. En revanche, l'acrobatie aérienne ne répond à aucun besoin social. Il s'agit d'un exercice non seulement dangereux, mais en outre totalement inutile.
6. Toutes les mesures de sécurité imaginables seraient prises.
Après la catastrophe de Ramstein, les normes de sécurité ont été renforcées. Il s'agissait évidemment d'un aveu important: en durcissant les normes, on a reconnu qu'auparavant, les acrobaties aériennes se déroulaient effectivement dans des conditions dangereuses. D'autre part, il s'avère que le respect de ces normes n'est pas assuré dans la pratique, dans la mesure où il n'y a pas de contrôle systématique. Un membre de l'organisation est même admis dans la tour de contrôle de l'aéroport où se déroule l'exhibition. Si la sécurité était la préoccupation exclusive, la présence de cette personne dans la tour de contrôle serait superflue, voire indésirable. Le personnel assurant ordinairement le contrôle de la navigation aérienne tant dans les aéroports civils que dans les aéroports militaires est en effet suffisamment compétent pour juger en toute indépendance de ce qu'il y a lieu de faire pour garantir la sécurité.
7. Enfin, les organisateurs font valoir que le public accepte librement l'existence de risques.
Le même raisonnement est utilisé en ce qui concerne la pollution acoustique et atmosphérique subie par le public. Ce libre choix est toutefois refusé aux riverains des aéroports concernés.
En 1988, sur la base de son analyse de la catastrophe de Ramstein, le Parlement européen est arrivé à la conclusion que les risques que les meetings aériens militaires présentent pour la vie et la santé des pilotes, des spectateurs et des riverains étaient trop importants, que les meetings aériens militaires n'avaient aucun rapport avec la mission de défense assignée à la force aérienne et qu'il fallait dès lors interdire ce type de spectacles.
Il faut également observer, à cet égard, que la société décide régulièrement d'imposer des interdictions collectives et limite le libre arbitre de l'individu, parce que cette liberté de choix ne correspond pas toujours à l'intérêt général et s'y oppose parfois. En Belgique, on ne peut pas, par exemple, décider soi-même de l'endroit où l'on ira déverser ses déchets ni de la vitesse à laquelle on roule en voiture. La liberté de l'individu a en effet ses limites, à savoir la liberté d'autrui. Celui qui s'estime suffisamment émancipé pour décider lui-même de la vitesse à laquelle il roule limite la liberté de choix des autres en matière de circulation routière. On peut tenir un raisonnement analogue en ce qui concerne les organisateurs et le public des meetings aériens par rapport aux riverains des aéroports.
En résumé, les spectacles aériens qui comprennent des acrobaties limitent la liberté des milliers de riverains des aéroports, ils ne constituent pas une bonne publicité pour l'aviation civile et ne présentent en outre aucun intérêt sur le plan de la technique aéronautique ou de la formation des pilotes.
Article 2
Cet article définit, entre autres, la notion d'« acrobatie aérienne ». Nous avons repris à cette fin la définition qu'en donne l'Administration de l'aéronautique dans la circulaire CIR/GDF-06 d'avril 1994.
Eddy BOUTMANS. Pierre JONCKHEER. |
Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Il y lieu d'entendre par acrobatie aérienne toute manoeuvre effectuée intentionnellement par le pilote d'un aéronef, comportant un changement brusque d'assiette, une position anormale ou une variation anormale de la vitesse.
Il y a lieu d'entendre par exhibition d'acrobatie aérienne toute forme d'exhibition aérienne comprenant des acrobaties aériennes. Les exhibitions aériennes constituées en partie d'acrobaties aériennes sont considérées pour cette partie comme des exhibitions d'acrobatie aérienne.
Art. 3
Il est interdit d'organiser des exhibitions civiles ou militaires d'acrobatie aérienne.
Les infractions aux dispositions de la présente loi seront punies d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de 26 francs à 5 000 francs ou d'une de ces peines seulement.
Eddy BOUTMANS. Pierre JONCKHEER. |